Le 8 mars 2024, le ministre des affaires étrangères polonais Radosław Sikorski expliquait qu’une intervention de l’Otan aux côtés de l’Ukraine était une très sérieuse hypothèse, afin de mettre au pas la Russie, autrement dit de la dépecer.
« La présence de forces de l’OTAN en Ukraine n’est pas impensable. J’apprécie l’initiative du président Emmanuel Macron car il s’agit de faire en sorte que Poutine ait peur et non que nous ayons peur de Poutine.
La Russie s’est révélée civilisationnellement incapable d’adopter nos valeurs, malgré nos encouragements répétés. Nous avons dû revenir au rôle initial de l’OTAN. Les Russes se définissent eux-mêmes comme un pays qui ne peut pas vivre en paix avec ses voisins. »
Cette diatribe polonaise ne doit pas surprendre, le nationalisme polonais rêve depuis des centaines d’années de prendre le contrôle de toute l’Europe de l’Est et de détruire la « Moscovie ». Et c’est là qu’on a affaire à des complications très nombreuses, qu’il est nécessaire pourtant de saisir pour ne pas perdre le fil.
Le plus simple pour cela, c’est de prendre la nomination de Valeri Zaloujny, nommé le 7 mars 2024 ambassadeur extraordinaire au Royaume-Uni. Auparavant, il était commandant en chef des forces armées d’Ukraine.
Zaloujny, un général, occupait ce dernier poste depuis juillet 2021, avant de se faire démettre début février 2024. C’est justement là où c’est intéressant. Zaloujny est en effet un fervent nationaliste, un admirateur de Stepan Bandera. En fait, l’armée ukrainienne est par définition bandériste.
Or, le nationalisme ukrainien est traditionnellement exterminateur par rapport aux Juifs, aux Polonais et aux « Moscovites ». Cependant, la situation actuelle empêche une telle « franchise » et les nationalistes appuient surtout l’idée d’une alliance entre le Royaume-Uni, la Pologne et l’Ukraine.
Le Royaume-Uni assume depuis le départ de vouloir détruire la Russie, et, fait très important, en février 2022, une alliance dénommée « trilatérale » unissait le Royaume-Uni, la Pologne et l’Ukraine.
C’est le sens de la nomination de Zaloujny comme ambassadeur à Londres. C’est un compromis avec les nationalistes ukrainiens de la part de la fraction directement pro-américaine, dirigée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Par nationalistes ukrainiens, il ne faut pas penser à Azov. La ligne d’Azov est celle d’un bandérisme « pur », jusqu’au-boutiste avec un racialisme « européen » à l’arrière-plan. C’est le « secteur droit » qui est ici au cœur de la question, car il est le parti prônant l’alliance directe avec le Royaume-Uni, tout comme « Svoboda ».
Rappelons que tant Azov que le « secteur droit » et « Svoboda » disposent d’unités de l’armée directement sous leur direction idéologique. Ces organisations pèsent très lourd en Ukraine.
Zaloujny était parfaitement en phase avec l’armée bandériste, et était très populaire, d’où la grande surprise de son éviction. Mais une semaine avant son éjection du poste de commandant en chef des forces armées d’Ukraine, il y avait des rumeurs de heurts politiques très violents entre Zaloujny et Zelensky.
Cela semblait très flou. On devinait alors un affrontement interne, très brutal, dont le point de départ était l’échec de la « contre-offensive » ukrainienne. Mais quel était la nature de cet affrontement ?
Retraçons les grandes lignes de ce qui s’est passé. Nous le disions dès avril 2023 : cette contre-offensive n’avait qu’un seul sens, celui de servir la marche à la guerre du côté occidental.
L’échec de la contre-offensive, de fait, a été complet, et un grand souci du point de vue occidental dans le bilan est que Zaloujny n’a pas suivi les consignes de l’Otan, dispersant tout le matériel fourni en différents points au lieu de chercher à ouvrir une brèche.
Il a également reconnu, en novembre 2023 lors d’une interview au média américain The Economist, l’échec de la contre-offensive. Pour cette raison, il a ensuite poussé à la mobilisation de 500 000 nouveaux soldats, ce que Zelensky voyait comme un grand risque politique dans une Ukraine sous le joug du nationalisme, mais avec une base très précaire sur le plan social ou des idées.
Zaloujny a alors été remplacé par Oleksandr Syrsky, ancien commandant des forces terrestres, lié à la fraction de Zelensky. Mais comme la superpuissance américaine a confié la patate chaude aux Européens, Zaloujny a été nommé au Royaume-Uni, comme compensation renforcée aux nationalistes ukrainiens.
Zaloujny avait d’ailleurs entre-temps refusé d’être nommé au Conseil national de Sécurité et de Défense, preuve qu’il voulait rester dans la partie politique en cours au sein d’un régime ukrainien en très mauvaise posture.
Autrement dit, on a ici les deux fractions principales aux commandes en Ukraine, maintenant une forme de compromis : la fraction soumise à la superpuissance américaine, dirigée par Volodymyr Zelensky et aux commandes, la fraction nationaliste cherchant un tournant « britannique » et polonais, qui n’est pas aux commandes mais reste puissante.