L’Autorité de sûreté nucléaire a confirmé hier que huit soudures situées à l’intérieur du bâtiment réacteur EPR de Flamanville (Manche) sont non conformes aux exigences de sûreté. La construction de cette centrale nucléaire gigantesque connaît de nombreux retard, alors qu’elle était censée démarrer en 2012.
Les défaillances sur ces soudures avaient été rendus publique l’année dernière, ce qui révélait un problème de conception très grave et très inquiétant. Elles s’ajoutent à de nombreuses anomalies en tous genres, détectées ou suspectées, qui montrent la folie de ce projet, qui devrait être abandonné immédiatement. Elle montre encore une fois l’instabilité des entreprises capitalistes, y compris dans les domaines censés être à la pointe, comme chez Boeing.
Le Réseau « Sortir du nucléaire » et l’association Greenpeace France avaient alors porté plainte à propos de ces soudures. Voici les arguments alors avancés :
« Soudures défectueuses sur le chantier de l’EPR de Flamanville : le Réseau “Sortir du nucléaire“ et Greenpeace France portent plainte
Communiqué du 18 juillet 2018
Voici quelques mois, des soudures défectueuses ont été détectées sur des tuyauteries du circuit secondaire de l’EPR de Flamanville ; plus d’un tiers d’entre elles seraient concernées. Ce 18 juillet 2018, le Réseau “Sortir du nucléaire“ et Greenpeace France déposent plainte à ce sujet contre EDF, Framatome et contre X pour 10 infractions devant le procureur de la République de Cherbourg.
En effet, les industriels ont laissé fabriquer et installer sur le chantier ces tuyauteries dont les soudures ne correspondaient pas aux exigences de sûreté, et omis d’en informer l’Autorité de sûreté nucléaire. Nous ne laisserons pas l’industrie nucléaire jouer la tactique du fait accompli !
Des soudures non-conformes sur des équipements cruciaux
Lors de la conception de l’EPR de Flamanville, EDF avait décidé que certains composants parmi les plus essentiels relèveraient du principe d’ « exclusion de rupture ». N’étant surtout pas censés rompre, ces équipements étaient supposés présenter une qualité de conception et de fabrication à toute épreuve. Leur rupture étant de ce fait supposée impossible, EDF pouvait se dispenser d’en étudier les conséquences. C’était le cas, notamment, de la cuve de l’EPR.
Or d’autres équipements sont concernés par ce principe. Après la cuve de l’EPR, ce sont des soudures du circuit secondaire, qui transfère la vapeur sous pression des générateurs de vapeur vers les turbines, qui sont concernées par un nouveau scandale.
Le 22 février 2018, EDF a dû rendre public ce nouveau défaut, qui faisait l’objet d’échanges avec l’ASN depuis plus d’un an. Ainsi, lors de la préfabrication de ces soudures, en 2012 et 2013, EDF n’avait pas transmis à son sous-traitant Framatome (anciennement Areva) les prescriptions renforcées permettant d’atteindre le niveau de qualité supérieur exigé. Le problème aurait été détecté dès 2015 en usine ; l’ASN n’en a cependant été informée que début 2017. Par ailleurs, ces exigences renforcées n’auraient pas été transmises pour les soudures réalisées à partir de 2016 sur le chantier, si bien que de nouveaux défauts y ont été découverts.
Pire : le 10 avril 2018, de nouveaux défauts ont été détectés par EDF sur d’autres soudures du circuit secondaire, qui avaient pourtant été contrôlées après fabrication et déclarées conformes. Suite à une inspection, l’ASN a déclaré que « l’organisation et les conditions de travail lors des contrôles de fin de fabrication ont globalement nui à la qualité des contrôles ».
Pour l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, cette situation constitue une « alerte sérieuse ». Dans un avis du 11 avril 2018, pointant « des défaillances humaines et organisationnelles », « un manque de rigueur des fournisseurs » et « une insuffisance du système de surveillance mis en place par EDF », il préconise l’extension des contrôles.
Le 30 mai 2018, une nouvelle inspection de l’ASN a mis en évidence une organisation du travail pour le moins perfectible [1] concernant la mise en œuvre des contrôles. Cette affaire paraît semblable à une pelote qui n’en finirait plus de se dévider, chaque inspection révélant de nouveaux défauts et la nécessité d’étendre les contrôles à de nouveaux équipements !
De graves infractions qui doivent être sanctionnées
Le fait d’installer et utiliser des équipements sous pression nucléaire ne satisfaisant pas aux exigences essentielles de sûreté constitue un délit. Sur les tuyauteries concernées, le niveau de sûreté attendu n’est pas atteint et l’affirmation d’EDF selon laquelle « ces circuits sont aptes à assurer leur mission en toute sûreté » relève de la pure mauvaise foi. Cette irresponsabilité est d’autant plus grave au regard des caractéristiques des tuyauteries concernées, dans lesquelles circuleraient plusieurs tonnes de vapeur par minute à une pression de plusieurs dizaines de bars. Comme l’indique le cabinet indépendant WISE Paris dans une note, leur rupture serait susceptible d’entraîner un déséquilibre thermique et de réactivité dans le cœur du réacteur et d’endommager gravement les équipements environnants. Et il ne s’agit pas d’une anomalie isolée : selon l’ASN, plus d’un tiers des soudures du tuyauteries du circuit secondaire présenteraient des défauts [2] !
EDF a également commis un délit en n’informant l’ASN qu’en 2017 de défauts qu’elle avait pu constater dès 2015 en usine. Avoir attendu plus de deux ans constitue-t-il le symptôme d’un dysfonctionnement grave de l’organisation interne d’EDF ? Ou s’agit-il d’une volonté délibérée de retarder le traitement des « écarts » pour bénéficier du fait accompli, les tuyauteries étant alors installées ?
Face à des faits aussi graves et à une telle pratique du fait accompli, il est urgent de mettre un coup d’arrêt aux agissements d’EDF, d’autant que la liste des problèmes n’est sans doute pas close.
C’est pourquoi le Réseau “Sortir du nucléaire“ et Greenpeace France déposent aujourd’hui plainte pour 10 infractions. Au-delà de la nécessaire sanction d’industriels délinquants, cette plainte doit interpeller les pouvoirs publics sur l’urgence d’abandonner ce chantier catastrophique. Ce réacteur criblé de malfaçons ne doit démarrer sous aucun prétexte !
Notes
[1] Contrôles effectués à la lampe frontale dans des lieux peu éclairés, interrogation sur la qualification des agents en charge des contrôles, etc.
[2] Voir la déclaration de Pierre-Franck Chevet, Président de l’ASN, devant laCommission d’Enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité nucléaire le 7 juin 2018 : « La procédure [de vérification] est en cours et nous en attendons le bilan global de façon imminente. D’après les indications dont nous disposons, environ 35 % des soudures présenteraient des défauts ». »