Le premier mai 2019 a été marqué par le chaos des gilets jaunes et des anarchistes des black-blocks. Ils ont littéralement effacé les fondamentaux du premier mai, pourtant déjà bien mis à mal.
Comparaison n’est pas raison, dit-on. Pourtant quand on compare le tour de force de la social-démocratie autrichienne hier à Vienne à ce premier mai 2019 français, on voit bien qu’au-delà de la différence de situations, il y a un mal français.
Ce mal français, c’est le refus de la politique, qui est systématique. Les partis politiques sont vides, tout est simplement « revendication » auprès de l’État, la culture de la Gauche historique est absente. Car tout de même, ce fut affreux que ce premier mai sous les yeux attentifs et permanents des médias. Surtout quand les médias sont ceux qui, comme BFMTV, cherchent le spectacle, la pseudo-actualité jouant sur les affects.
À l’opposé de la raison et de l’organisation propre au premier mai, les gilets jaunes et les anarchistes des black-blocks veulent le spectacle et ne proposent que l’irrationalisme. Ils ont fait leur show et ainsi les syndicats sont ainsi tous très mécontents. Il y avait pratiquement 300 000 personnes qui se sont mobilisées dans le pays – un résultat fort honorable –, mais ce qui a marqué, c’est le dirigeant de la CGT Philippe Martinez se prenant des grenades lacrymogènes alors que sa partie du cortège parisien était coincée entre les forces de l’ordre et les black-blocks.
Tout le point presse prévu à 14 heures a dû être annulé, alors que Philippe Martinez a été exfiltré et, pris de colère, n’a pas décroché aux coups de téléphone du ministère de l’intérieur, Christophe Castaner. S’il a continué le parcours, Bernadette Groison, secrétaire de la FSU (Fédération syndicale unitaire, majoritaire dans l’enseignement), a quant à elle plié bagage (« on s’est fait voler notre manifestation »).
Non pas qu’il y ait eu vraiment beaucoup de casse, mais l’ensemble a été très chaotique et les forces de l’ordre ont savamment opéré de manière très dispersée, pour perturber profondément le cortège qui a rassemblé 40 000 personnes. Cela partait dans tous les sens, les forces de l’ordre ont joué la carte du rentre-dedans généralisé, avec 17 000 contrôles préventifs à Paris, 330 interpellations et 210 gardes à vue.
L’ambiance a été délétère, Benoît Hamon résumant très bien ce qui l’amertume qui en reste :
« Aujourd’hui ceux qui voulaient manifester pour l’augmentation des salaires, la réduction du temps de travail, la fin du travail pénible ont été empêchés de le faire ou auront marché en vain. Et pourtant ces revendications sont tellement légitimes. A qui cela profite-t’il ? #1erMai »
Ian Brossat dit la même chose, avec le même regard authentiquement politique et la même volonté d’exprimer le désarroi de la Gauche :
« Le gouvernement peut se frotter les mains. On ne parle pas des 240 défilés qui se sont déroulés dans le calme partout en France, plus fournis que l’an dernier. On ne parle pas de la colère sociale, des salaires et des délocalisations. Lamentable. #1erMai2019 »
Là où par contre il y a une certaine hypocrisie de la part de tout le monde, c’est que c’était prévu. L’article d’hier publié sur agauche.org soulignait bien que les gilets jaunes et les black blocks allaient dénaturer le premier mai. Philippe Martinez lui-même, sur France Inter, disait la veille de la manifestation :
« Attention à ne pas dénaturer le sens de cette journée, c’est une journée de mobilisation, et elle revêt toute son importance après les annonces d’Emmanuel Macron. »
Seulement voilà, quand on joue avec le feu on se brûle. En croyant qu’il est possible d’utiliser des irrationalismes anti-politiques comme les gilets jaunes, et même les black-blocks (et ce depuis quelques temps déjà), beaucoup de monde de la Gauche politique ainsi que la CGT ont perdu leurs propres fondamentaux, déjà pas forcément solides. Tout le monde s’est dit qu’il allait tirer les marrons du feu… .
Ce qui s’est passé à Montpellier en est un bon exemple. Les gilets jaunes arrivent. Ils prennent la tête du cortège et se mettent en branle. Ils s’aperçoivent que la CGT ne suit pas. Elle veut la tête. Les gilets jaunes reviennent. Les discussions commencent… La CGT capitule et se met à la remorque des gilets jaunes. Un siècle de mouvement ouvrier pour ça ?
Et les propos libéraux de Sylvia Meli, secrétaire générale de la CGT de l’Hérault, sont à ce titre une honte pétrie de libéralisme confondant. Elle justifie la capitulation de la manière suivante :
« Les contacts que nous avons avec les « gilets jaunes » se passent très bien. D’habitude, on est devant, oui. D’autres personnes ont voulu dépasser le camion, ils font comme ils le veulent, on n’est pas la police. »
Ces propos sont aussi pathétiques que cette horrible image d’une personne déguisée en gaulois.
Et que dire de ce slogan CRS=DAESH absolument terrifiant, relevant d’une logique de nihilisme et de relativisme ? Un siècle de mouvement ouvrier pour que le premier mai soit prétexte à ça ?
Qu’une telle horreur se laisse voir un premier mai, quelle infamie pour le mouvement ouvrier de notre pays ! Et quelle joie pour les populistes : Jean-Luc Mélenchon parle de « la jonction entre le mouvement ouvrier, traditionnel, syndical, et le mouvement spontané, insurrectionnel des « gilets jaunes » » !