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Effondrement de la France

La crise de régime inévitable

La France est en train de craquer, telle est la leçon fondamentale de ce début d’été. Et le craquage ne fait que commencer, avec encore une immense majorité de gens qui se dérobent à la réalité en préférant regarder ailleurs.

Mais l’Histoire s’est mise en marche et elle va emporter des millions de gens dans son sillage, les obligeant à l’activité et à la réflexion prolongée.

Ce qui se passe et surtout va ce qui va se passer dans les mois prochains, c’est un rattrapage, un immense rattrapage : celui des 4 années écoulées depuis la pandémie de Covid-19.

Quatre années qui ont vu la dette de la France exploser, sa base économique se zombifier, ses relations sociales se distendre au point de banaliser les comportements anti-sociaux et la drogue, son état d’esprit être lessivé par les abus consommateurs des réseaux sociaux, le militarisme et l’horizon de la guerre se rapprocher dangereusement, l’écologie et les animaux passer par perte et profits…

En n’ayant choisi de ne pas vouloir savoir l’ampleur de la crise, les gens ont choisi de se mettre en mode sans échec, tel un programme informatique qui force le cours des choses face à un bug. La crise de régime issue des résultats électoraux des élections législatives anticipées apparait comme le début de la fin de ce mode sans échec.

Les choses auraient été plus aisées s’il y avait eu conscience de la nature de la crise commencée en 2020, et dont seuls quelques éléments d’avant-garde en avaient souligné la portée, celle de la seconde crise générale du capitalisme. Là les gens sont ahuris et vivent l’expérience de la crise et de son rattrapage en quelques semaines.

Le rattrapage prend pour le moment un chemin pour le moins sinueux et déformé, avec des rapports de classe qui se sont exprimés au niveau politique de manière alambiquée. Se sont exprimés une classe ouvrière en bonne partie favorable au Rassemblement national et une petite et moyenne bourgeoisie qui lui a renvoyé le bâton au visage en donnant une majorité au Nouveau Front populaire.

Mais c’est tout le caractère alambiqué de la situation qui permet d’affirmer qu’il y a justement un rattrapage : la crise de représentativité en cours depuis une décennie s’est muée en crise parlementaire en 2022 pour se transformer en crise de régime en cet été 2024.

Alors que va s’ajouter au tumulte politique la crise économique déjà annoncée, il est clair que la Ve République apparaît comme un régime à bout de souffle face à la situation qu’elle traverse. Tout le monde l’a tellement bien compris que le véritable sujet est effacé : la crise de régime. Cette situation renforce le blocage de la France actuelle, personne ne pouvant vraiment prendre ses responsabilités puisque celles-ci ne peuvent être prises qu’avec la crise de régime.

En réalité, qui peut croire aux fables présentées par certains sur l’avènement d’un régime parlementaire ? Sur la nécessité de faire des coalitions et enfanter une culture de compromis ?

On peut bien mettre un gouvernement technique ou faire des combinaisons de groupes à l’assemblée, cela ne fera que temporiser et éloigner l’échéance fatale car comme le dit l’expression, la messe est dite. Les contradictions qui ont cours dans le pays tant aux plans politiques qu’économiques et culturels sont énormes, d’une telle énormité qu’elles prennent de plus en plus un tour antagoniste.

Si personne ne parle ouvertement de cela, c’est que personne ne peut prétendre à l’encadrement de la crise de régime. On est loin du thème de la VIe République de la France insoumise qui, par ailleurs, l’a rangé au placard de manière tout à fait opportuniste par peur des conséquences.

Au fond, tous craignent la mise à plat de tous les problèmes avec la participation active de millions de gens aux problématiques du pays. Des millions de gens qui seront placés face à leurs contradictions – classe contre classe, régime contre régime, capitalisme contre socialisme !

La crise de régime est donc inévitable, elle est même déjà là. Elle est l’horizon pour les révolutionnaires authentiques qui doivent s’y préparer en assurant leur rôle d’élévation des consciences, pour une conscience de classe retrouvée fidèle aux grands principes du Socialisme.

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Refus de l’hégémonie

Agressivité du 75e sommet de l’Otan et exercices militaires sino-biélorusses

Au début de l’année 2024, l’Otan menait l’exercice « Steadfast Defender 2024 » (« défenseur inébranlable ») avec notamment 90 000 soldats mobilisés ainsi que 133 chars, 50 navires de guerre, etc. Cela en fait la plus importante opération de ce type depuis 1988.

En réponse, la Chine vient de tenir avec la Biélorussie l’exercice « Assaut du faucon », plus grande manœuvre militaire entre les deux pays depuis 2010. On parle d’un exercice réalisé à 5 kilomètres de la frontière avec la Pologne et quelques kilomètres de celles avec l’Ukraine, au moment même où s’ouvrait le sommet de l’Otan à Washington.

Cela fait suite à l’acceptation de l’adhésion de la Biélorussie à l’Organisation de coopération de Shanghai, alliance de coopération économique et militaire piloté par la Chine de concert avec la Russie.

À l’instar des années précédents 1914, on assiste à la mise en place de manière toujours plus délimitée de deux grands blocs, eux-mêmes dirigés par la superpuissance américaine et la superpuissance chinoise, formant le terreau inéluctable d’une troisième guerre mondiale. Il n’est clairement plus simplement question d’escalade, mais bel et bien de la préparation concrète de la guerre générale.

Le 75e sommet de l’Otan qui s’est déroulé du 6 au 11 juillet à Washington s’inscrit entièrement dans cette perspective avec la mise sur pied de nouveaux éléments de commandement et de coordination des efforts militaires interalliés en Europe.

Le point 7 de la déclaration générale affirme sur la chose suivante :

Nous procédons au plus grand renforcement de notre défense collective depuis une génération. Nous concrétisons ainsi les décisions prises aux sommets de Madrid et de Vilnius pour moderniser l’OTAN dans la perspective d’une nouvelle ère de défense collective. La possibilité d’une atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de pays de l’Alliance n’est pas à exclure.

Nous avons renforcé notre posture de dissuasion et de défense afin de priver tout adversaire potentiel de toute occasion d’agression. Nous continuons de renforcer la dissuasion et la défense de l’OTAN face à toutes les menaces et à tous les défis, dans tous les domaines et dans plusieurs directions stratégiques dans la zone euro-atlantique.

Nous avons déployé des forces en place et prêtes au combat sur le flanc oriental de l’Alliance, renforcé les défenses avancées et amélioré l’aptitude de l’Alliance à fournir rapidement des renforts à tout Allié qui serait menacé.

Nous disposons d’une nouvelle génération de plans de défense de l’OTAN, qui rendent l’Alliance plus forte et mieux à même d’assurer la dissuasion et, si nécessaire, la défense face à tout adversaire potentiel, y compris sans préavis ou sur court préavis. Nous sommes déterminés à mettre à disposition les forces à haut niveau de préparation requises, dans tous les domaines, notamment au service d’une Force de réaction alliée robuste et agile. Nous accélérons encore la modernisation de notre défense collective.

Les 73 et 74 sommets de Madrid (2022) et de Vilnius (2023) avaient établi la nouvelle feuille de route stratégique de l’Otan contre la Chine et la Russie. Le 75e sommet de l’Otan vient quant à lui confirmer la mise en place concrète des modalités des opérations militaires à tenir.

Ainsi, les exercices au niveau brigade (4 000 soldats) redoublent d’intensité, de nouveaux plans de défense ont été mise sur pied, avec notamment la définition de trois zones d’opération et il est déjà prévu que le commandement terrestre pour la zone atlantique, actuellement à Norfolk aux États-Unis, soit transféré en Finlande.

La zone autour de l’exclave russe de Kaliningrad devient de plus en plus ouvertement l’espace d’une confrontation entre l’Otan et la Russie. Dans cette perspective, le commandement opérationnel doit également être relocalisé à Brunssum en Allemagne et les pays Baltes, de concert avec la Pologne, mettent en place de nouvelles et massives lignes de défense militaire à leurs frontières. Il est aussi dorénavant visé un nouveau seuil de participation financière au budget militaire de chaque pays membre, au-delà de l’ancienne règle des 2%.

De la même manière que les points 26 et 27 de la déclaration prennent acte du « rôle déterminant » de la Chine « dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine au travers de son partenariat dit « sans limites » et du large soutien qu’elle apporte à la base industrielle de défense russe« . En parallèle aux tensions accrues en Mer de Chine, les Philippines et le Japon viennent récemment de signer un pacte de défense mutuelle contre la Chine, s’imposant comme des relais de la superpuissance américaine dans la zone.

Il est donc maintenant clair que la Chine est reconnue comme belligérante dans la guerre en Ukraine, celle-ci formant un terrain d’affrontement clair entre la superpuissance américaine et la superpuissance chinoise pour l’hégémonie mondiale.

Dans ce cadre, et pour continuer à gagner du temps, de nombreuses annonces ont été faites pour maintenir debout le proxy ukrainien dans sa guerre à la Russie. Ont été annoncées des livraison d’avions de chasse F-16 par la Belgique et la Norvège, avec déjà des appareils en provenance du Danemark et des Pays-bas acheminés vers les forces ukrainiennes. En parallèle, le Royaume-Uni vient d’annoncer l’envoi de missiles Martlet à guidage laser pour contrer les drones russes et une nouvelle enveloppe de 40 milliards d’euros vienne d’être accordée pour l’année à venir.

Les Etats-Unis vont également placer des missiles à longue portée en Allemagne, ce qui nous ramène à la « crise des euromissiles » des années 1980.

Cette montée en puissance des conditions de l’affrontement reflète en réalité la déliquescence de l’Occident face aux poussées russes et chinoises, autant que face au pourrissement des situations nationales intérieures. Emmanuel Macron a par exemple dû rassurer l’opinion quant à la situation d’instabilité intérieure de la France et le président américain Joe Biden a créé un malaise général en présentant « le président Poutine » au lieu du président Zelensky.

Alors que la France a pris le leadership de la guerre américaine à la Russie en Europe, la crise de régime qu’elle traverse actuellement fait plus que jamais d’elle le maillon faible du bloc occidental. Une situation des plus inquiétantes, avec à l’horizon une potentielle remise en ordre par l’armée dans le but de garantir ses prétentions de part ses engagements pris depuis le 26 février 2024.

Là est le sens de l’Histoire avec un Occident qui s’effondre toujours plus sur fond de mise en place des conditions de la troisième guerre mondiale. La situation d’instabilité générale de la France relève directement de cette tendance et appelle impérativement à la reconstruction d’une force autonome de la Gauche historique pour établir une porte de sortie positive, socialiste, à la crise en cours.

Plus que jamais, l’actualité est : Guerre ou la Révolution  Socialisme ou barbarie!

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Effondrement de la France

François Ruffin réélu à la façon d’un notable républicain

Il y a des situations qui en disent long sur l’état d’instabilité générale de la France. Celle de la 1ère circonscription de la Somme fait partie de celles-là.

Il y a une analyse à faire sur le retournement de la situation suivante : battu au premier tour par la candidate RN, alors arrivée en tête avec une avance de 3 500 voix pour, le député sortant ex-LFI François Ruffin parvient finalement à se faire réélire grâce au désistement de la candidate de l’ex-majorité présidentielle, Albane Branlant, entre les deux tours.

S’il y a une chose ancrée et non pas le résultat d’une conjoncture électorale (« la tambouille » dont il est souvent parlé) c’est celle de la dynamique populaire en faveur du Rassemblement National : aux précédentes élections législatives de juin 2022 François Ruffin était arrivé en tête du 1er tour avec 15 081 voix contre 8 495 suffrages pour la candidate RN.

Et là où les choses sont frappantes, c’est que la dynamique du 1er tour de la candidate du RN a clairement été dans ce qui constitue la cible de François Ruffin, à savoir les petits bourgs de sa circonscription.

Par-exemple à Vignacourt, un village de 2 372 habitants, François Ruffin gagnait 3 voix entre le 1er tour des législatives de juin 2022 et celui des élections de 2024 quand Nathalie Ribeiro-Billet du RN en gagne 392. À Longueau, petite ville de 5 491 habitants, François Ruffin progressait de 92 voix contre 620 pour la candidate RN. Si à Amiens, préfecture de la Somme avec plus de 100 000 habitants, il progressait plus que la candidate RN, dès que l’on revient à une plus petite ville comme Abbeville, c’est la candidate RN qui engrangeait 2 555 voix contre 276 pour François Ruffin.

Bref se confirmait ici la tendance repérée dans tous les pays au 1er tour des élections législatives 2024 avec un RN puisant sa dynamique dans le cœur des petites et moyennes villes tout autant que dans les zones rurales, ces espaces où vit majoritairement le prolétariat du pays.

Maintenant si l’on regarde les reports de voix entre le 1er et le 2e tour, il est clair que François Ruffin est élu grâce aux voix de l’électorat centriste, celui des réseaux de notables alors que l’électorat populaire favorable au RN n’est pas parvenu à s’élargir.

Ainsi, à Amiens, pour un nombre similaire de votants (59%), François Ruffin gagne 2 031 voix entre le 1er et le second tour, alors même que la candidate Renaissance Albane Barlant avait obtenu 2 265 voix et qu’il n’y avait eu comme autres candidats qu’un représentant de Lutte Ouvrière avec 200 voix et un de « Divers Centre » ayant obtenu 56 voix. À l’inverse, la candidate du RN progresse d’à peine plus de 400 voix entre les deux tours…

Si l’on prend Abbeville, avec la même configuration générale, qui avait donc vu une nette poussée de la candidate RN, elle n’engrange qu’un peu plus de 600 voix quand François Ruffin en gagne pratiquement 2 000, issues clairement de l’électorat centriste qui avait rassemblée 2 555 voix au 1er tour.

Avec sa réélection, François Ruffin opère une fin de course après avoir longtemps oscillé entre la tentative de reléguer à l’arrière-plan les thèmes de la fausse gauche postmoderne en parlant de « gauche du travail » et la volonté de se normaliser pour être un point de consensus entre le centre-gauche et la France insoumise. Dans cette optique, il accordait en juin 2022 un entretien dans la revue d’orientation national-catholique Limite sur la critique du « Progrès » et, dans le même temps, déclarait en novembre 2023 être un « social-démocrate » dans les colonnes du journal de la bourgeoisie modernisatrice Le Nouvel Obs…

Ce va-et-vient devenu de plus en plus prégnant à la suite des élections législatives de 2022 avait été remarqué par la revue fasciste « Éléments pour la civilisation européenne » dont le directeur de rédaction, après avoir été invité à la fête de l’Humanité pour participer à un débat en présence de François Ruffin, publiait un numéro spécial sur le thème des « Nouvelles insurrections ». Le but était clairement de participer à son basculement dans le « camp national ».

Pour les franges nationalistes-révolutionnaires, François Ruffin pouvait apparaître comme un potentiel tribun à la Jacques Doriot. Il pouvait jouer un rôle dans la capacité à faire dévier une partie des bases populaires d’un retour vers la Gauche historique et la lutte des classes, lui qui se montre à la fois si mielleux avec les travailleurs et si terrifié par la « fracture du pays », si ouvert au nationalisme dans certaines de ses variantes.

Grâce aux précieux travaux de Zeev Sternhell, on sait que son rejet ou son bricolage (ce qui revient au même) du marxisme au profit d’un protectionnisme national-social ne pouvait l’amener que dans deux directions : ou bien un repositionnement vers le centre-gauche en se rapprochant des notables pour mieux être une figure traditionnelle de type républicaine-sociale, ou bien se heurtant à l’aigreur populaire il proposerait une synthèse « ni droite, ni gauche », c’est-à-dire fasciste.

Le rapport dialectique entre une dynamique populaire du RN bloquée entre le 1er et le 2e tour et l’élargissement au centre de la dynamique de François Ruffin montre que ce dernier a été englouti par la République et ses notables. En ayant refusé le marxisme et la lutte des classes, il finit ici son recentrage en devenant une figure banale de la notabilité républicaine qui, historiquement, est au cœur du barrage anti-prolétarien depuis la IIIe République.

Cela suffit de démontrer le changement profond qui se passe en France à travers ces élections législatives anticipées et la fracture consommée entre une partie du peuple et les réseaux institutionnels, y compris locaux.

La bourgeoisie a si l’on veut su prendre conscience d’elle-même en voyant à travers la poussée du RN, la poussée du prolétaire, et lui opposer un front anti-populaire. À l’inverse, le prolétaire qui a placé son espoir dans le vote RN se prend le retour de bâton en pleine face du fait de ne pas assumer clairement une conscience de classe.

Mais tout cela est une très bonne chose ! Car dans le tumulte on voit déjà naître les recompositions sociales, classe contre classe !

C’est une perspective renouvelée pour que la Gauche historique, celle qui assume la fracture sociale pour bâtir un ordre nouveau, se fraye un chemin ! D’autant plus que l’option national-socialiste se retrouve au point mort et va devoir faire un effort de reconstruction alors que l’Histoire qui a commencé sa grande œuvre ne lui laisse précisément plus tout son temps.

La lutte des classes qui va en ressortir, avec toute sa violence, va tout balayer dans une grande tempête rédemptrice ! Agauche.org répond présent !

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Effondrement de la France

Le désastre de Fabien Roussel et du PRCF aux législatives de 2024

Depuis l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives 2024, Fabien Roussel n’est plus député. Le secrétaire général du PCF occupait ce siège depuis 2017. Mais le candidat du RN l’a emporté avec 50,30% des suffrages exprimés, tournant une page de l’histoire politique.

Fabien Roussel a chuté à Saint-Amand-les-Eaux, dans le vieux bassin industriel du Nord. La classe ouvrière y est omniprésente, élisant jusque-là, depuis le début du siècle dernier et sans discontinuer, des candidats de gauche.

Et à en croire les bobos des villes, c’en serait fini de la classe ouvrière. Classe dangereuse, elle aurait perdu la raison et serait vendue aux fascistes.

En réalité, Roussel est le dirigeant d’un parti politique à prétention sociale agissant dans le cadre des institutions. Et pour défendre ses intérêts, l’électeur des classes populaires de sa circonscription aura préféré l’assurance tranchante de la droite populiste à la bonhomie “syndicalisante” de la gauche populiste.

En guise d’exemple du style de pantomime présenté par le PCF aux classes populaires, citons le rassemblement qui a eu lieu à Lens, le 6 octobre 2023. Les maires de la circonscription, accompagnés des parlementaires communistes du Pas-de-Calais, s’étaient donné rendez-vous devant la sous-préfecture un vendredi à 18h, pour déposer une pétition demandant la hausse des salaires et des retraites.

Ce rassemblement faisait suite à une campagne de pétition lancée à l’appel de Fabien Roussel. Un peu plus de 10 000 signatures avaient été recueillies durant l’été, “sur le terrain”, c’est-à-dire en réalité sur les marchés, devant les supermarchés, ou directement chez les habitants de sa circonscription.

10 000 signatures sur un bassin de vie de 250 000 habitants, ce nombre dérisoire montrait alors le manque d’ancrage dans le réel de cette farce de lutte des classes. 10 000, c’est deux fois moins que le nombre de suffrages obtenus par le candidat de la droite populiste dans la circonscription de Saint-Amand-les-Eaux, qui ne compte que 80 000 inscrits.

A Saint-Amand-les-Eaux justement, le PCF disparaît donc du paysage. Reste l’essentiel : la classe ouvrière. Lors du premier tour des législatives anticipées de 2024, elle s’est livrée à une droite aigre par défiance d’elle-même. Elle agit encore par procuration, mais… la tension monte. Elle ne tardera pas à trouver en elle-même les ressources nécessaires pour provoquer le changement qu’elle attend.

Pour cela, la classe ouvrière doit accepter son vrai visage. Il n’est ni celui des beaufs de la gauche populiste, ni celui des arrivistes de la droite populiste.

De manière contradictoire, ce visage, c’est peut-être André Stil, journaliste et écrivain né à Hergnies près de Saint-Amand-les-Eaux et promoteur de la révision du communisme par le PCF, qui en parlait le mieux. Dans son livre autobiographique « l’optimisme librement consenti » paru en 1979, il décrit un type d’Homme dont il craignait la rigueur de l’engagement.

“La politique est nécessaire, c’est un mal nécessaire. Dans le monde d’aujourd’hui, une bonne politique est ce qu’on peut faire de mieux pour les hommes. Mais la politique est dure, souvent inhumaine.

Et le plus douloureux n’est pas toujours les coups à prendre ; il y a aussi les contrecoups de ceux qu’on donne. La plus humaine des politiques est parfois inhumaine.

Des hommes tout dévoués au bonheur de l’humanité peuvent, dans ce dévouement même, croire nécessaire de prendre un visage de bois.”

A Saint-Amand-les-Eaux et partout où la gauche de pantalonnade leur cède la place, les visages grimaçants de la droite populiste n’occuperont pas la scène bien longtemps. Et l’échec de Fabien Roussel, qui s’est cru populaire en maniant les éloges de la viande et de la voiture, fait partie de ce parcours-détour.

Dans le même registre, il y a d’ailleurs le désastre du PRCF. Le Pôle de Renaissance Communiste en France est issue de l’aile gauche du PCF, celle qui a la nostalgie du PCF des années 1980, de l’URSS des années 1980.

Le PRCF a choisi de présenter trois candidats pour ces législatives, après une campagne de boycott des élections européennes. C’était un vrai test, car le PRCF tente de se poser comme centre d’un nouveau Parti Communiste, différent de celui de Fabien Roussel, devant revenir sur le devant de la scène historique en France.

Le choix des circonscriptions a été prudent. Les candidats se sont présentés dans des endroits pour ne pas risquer de favoriser le Rassemblement National, des circonscriptions donc acquises à la gauche, où par ailleurs, il existait d’autres candidatures témoins d’extrême-gauche.

Seulement, voilà, au total il a été recueilli 541 voix par les trois candidats. Pour obtenir cela, autant ne rien faire. Quel intérêt que de se faire humilier et rappelé à son insignifiance politique? L’impact de la « gauche programmatique », dont fait partie le PRCF (comme Lutte Ouvrière ou le Parti Matérialiste Dialectique) est réel sur le plan des idées et de la culture, mais cela ne va pas au-delà et cela ne saurait se concrétiser en termes électoraux dans la France actuelle.

Ou alors c’est de la démesure et il y avait vraiment l’espoir de parvenir à quelque chose, ce qui serait une énorme erreur. Le PRCF propose en effet une « Alternative Rouge et Tricolore ». Et le terrain de ce mélange « national » et « social » est déjà occupé par le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella.

Le PRCF peut bien dire que le RN est démagogue et mystificateur, que ses valeurs n’ont rien à voir, dans la pratique les gens ne comprennent rien à ce qui leur apparaît comme des nuances sans importance.

Les gens voient Fabien Roussel défendre le bleu-blanc-rouge, la viande et la voiture, ils voient le PRCF tout fonder sur la patrie… Qu’à cela ne tienne, il y a déjà Marine Le Pen et Jordan Bardella.

Il aurait fallu porter une différence, mais Fabien Roussel et le PRCF s’imaginent que la France est encore en 1960, qu’il n’y a pas de société de consommation, que les gens sont réellement pauvres voire misérables, etc. Ce manque de réalisme est fatal.

Dans le détail pour les résultats du PRCF, on a 131 voix pour Gilliatt De Staërck, dans la sixième circonscription d’Ille-Et-Villaine au nord de Rennes, ce qui représente 0,20% des voix. La candidate Manon Haller a fait 291 voix dans la deuxième circonscription du Val-de-Marne, soit 0,71% des voix, juste derrière le candidat Reconquête. Quant au troisième, il s’agissait de Yannick Duterte avec 119 votes soit 0,28% des voix dans la septième circonscription de Seine-Saint-Denis.

En Ille-et-Vilaine le PRCF appelle à l’abstention avec un deuxième tour Renaissance contre RN, dans le Val de Marne à voter pour le Nouveau Front Populaire (NFP) incarné par Rachel Keke, et en Seine-Saint-Denis aucune consigne n’est donnée puisque s’opposent le dissident LFI Alexis Corbière à Sabrina Ali-Benali de la France insoumise-NFP.

Le PRCF appelle en général à soutenir les candidats du PCF et de La France Insoumise, et à boycotter les autres. Ce qui revient à la position initiale du PRCF, qui est de se poser « à gauche » de La France Insoumise, avec toujours un grand respect pour Jean-Luc Mélenchon notamment.

Où est l’intérêt de tout cela? Quelle est la qualité apportée? Surtout alors que ce qui va arriver va être historiquement d’une autre dimension!

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« No pasaran » : une chanson rap anti-RN en mode mafieux

C’est à DJ Kore, un producteur de l’ancienne génération du rap français, et à Ramdane Touhami, un entrepreneur décadent, qu’on doit ce lamentable spectacle. Ils ont rassemblé des « artistes » pour tenter de produire un morceau dans la tradition anti-FN qui a eut cours dans le pays depuis les années 1990.

Difficile de savoir par où commencer tellement rien ne va. Déjà parce que le changement d’époque est radical et transposer ce qui était dit du Front National au début des années 2000 est contre-productif. L’époque a changé, sa ligne politique à changé, son électorat à changé, et en face, les cités ont changé, la gauche à changé et les rappeurs eux-mêmes ont changé. Bref tout a été modifié par la crise générale du capitalisme.

Autrement dit : voir des gens avec des valeurs de Droite, en mode pro-business, pro-mafia, s’imaginer agir contre le RN, reprendre le slogan historique de la guerre d’Espagne (No pasaran : ils ne passeront pas)… c’est à la fois faux, désolant, contre-productif.

Certains revendiquent d’ailleurs leur absence de conscience politique ou carrément ne semblent même pas avoir compris qu’il fallait appeler à voter contre le RN :

Un vieux loup ne suit jamais la meute,
Je ne voterai ni pour toi, ni pour toi.
La grosse douille c’est d’avoir peur de ce qu’on ne connaît pas.

MC Tyer

Moi j’ai jamais voté
Je suis de l’autre côté
Les gars je vote pas
Mais bon j’suis très étonné
Leur programme me fait pas rigoler
Allez niquer vos mères Marine et Bardella
Bientôt je me barre de là.

RK

Le morceau No Pasaran n’est qu’une complainte glauque, une ambiance mafieuse du tous contre tous, complètement masculiniste. Il serait réducteur de limiter ça à l’absence totale de femme dans la démarche, puisque cela ne changerait pas le fond qui n’est que culture du gang, de la violence, autodestruction, dont les femmes se tiennent à l’écart de toutes façons.

C’est là d’ailleurs une énième preuve que face à la décadence anti-sociale du lumpenprolétariat allié à la bourgeoisie, la solution est dans la mobilisation de ces dernières.

Si les fachos passent, j’vais sortir avec un big calibre
J’sors les canines, les petits niquent leur vie pour un peu de dopamine
Ils nous vendent des belles paroles cellophanées
L’intérieur de leur âme est fanée, ils méritent de caner
J’revend c’qui fait planer…

Ashe 22

La jeunesse se lève pas voter
Elle est scotchée sous frapasse

ISK

Quelle idée en même temps de faire un projet musical censé être engagé à gauche avec Seth Gueko qui fait l’éloge de la pornographie et fait référence à des tueurs en série, ou encore avec Alkapote, fan d’Alain Soral et admirateur d’Adolf Hitler ?

On en profite pour lui expliquer que l’hôtel est connu pour être l’ancien repaire de la Gestapo et des forces nazies durant la seconde Guerre Mondiale. « Lourd de ouf, frère, on n’a qu’à faire l’interview ici. J’suis fan d’Hitler. »

Une ribambelle de boulets conduits, qui plus est, par des vieux, des complotistes, des nuls qui ont fait leur temps.

40 ans qu’on l’écrit
Voilà on en est là avec un seul candidat
Jordannuel Macronardella

Akhenaton

Le monde est contrôlé par des Illu-Minés
La vérité j’sais plus avec quoi la faire rimer

MC Tyer

Le résultat n’a rien de surprenant quand on voit comment les mafias sont devenues hégémoniques dans les quartiers et comment cela est sans cesse glorifié dans le rap, avec un attrait pour des pseudos contestations avec des poncifs islamistes et antisémites mais surtout, surtout, sans aucun réel repère. C’est le règne de l’ultra-individualisme mi-zombie, mi-gangster.

J’recharge la kalashnikov
En Louis Vuitton comme Ramzan Kadirov
Nique l’imam Chalgoumi [imam modéré médiatique ndlr]
Et ceux qui suivent le sheitan à tout prix
Marine et Marion les putes
A coup de bâton sur ces chiennes en rut
On continue la lutte, bientôt on va célébrer leur chute […]
Ils font du mal à nos enfants
Ils veulent nous injecter une puce dans le sang.

Alkpote

Le contraste avec Hip Hop Citoyen sorti en 2002 ou bien encore 11’30 contre les lois racistes (et 16’30 contre la censure) est frappant. Dans ces morceaux, il y a un ancrage dans le parcours des luttes de classe en France avec grosso modo des gens relevant du sous-prolétariat qui se rattachent à l’héritage de la classe ouvrière. Tant sur le plan de la forme relevant positivement de la variété française que sur le fond, avec sa perspective social-républicaine, on a un démarche politique sincère qui débouchera ou bien sur la révolte de l’automne 2005 ou bien sur l’engagement associatif « de quartier » avant d’échouer dans les années 2010.

« No Pasaran » est quant à lui un pur produit de la décomposition des quartiers dits populaires dans le cadre de la crise générale. Il est la consécration de l’anti-politique à la sauce émeutes de juin 2023. C’est un style totalement décadent avec une mentalité lumpenprolétaire qui n’a plus aucun lien avec le patrimoine historique de la Gauche.

Seth Gueko parlant de sa vie en Thaïlande dans un reportage de BooskaP. Un Eldorado des années 2010 pour les délinquants de quartiers, y vivant comme de vrais colons français, détestés de la population locale.

Voter RN c’est comme une femen
Qui veut être femme à Soral

Seth Gueko

Le morceau est hors-sol car porté par des gens qui ne glorifient que le business, il ne porte aucun engagement politique mais un ressentiment identitaire relevant d’un style à l’américaine, ni plus, ni moins.

De ce point de vue, il ne peut qu’être vomi par la masse des gens, particulièrement par la classe ouvrière. À l’inverse, il ne peut que satisfaire les franges post-modernes du Nouveau Front Populaire pour qui la « gauche » c’est se limiter à intégrer le plus d’identités possibles dans une énorme ronde de fausse tolérance et de vrai libéralisme.

Il y a eu d’ailleurs une réaction de Marine Tondelier, excusant la tonalité des paroles… Tout en disant que c’était le genre de choses qu’elle n’écoutait pas en tant que féministe. Elle finit par dire que c’est intrinsèque à la culture du rap, ce qui est strictement faux lorsqu’on connaît l’âge d’or d’avant les années 2000, où l’esprit dominant est résolument positif même si l’esprit ultra patriarcal a pu exister à la marge.

De son côté Marine Le Pen a réagi de manière totalement légitimiste, en en appelant à la justice. Elle gagne des points en se posant comme au-dessus de ce genre d’horreur.

Comment peut-il en être autrement? Les masses ne veulent pas des mafias, du style patriarcal comme il y a mille ou deux mille ans. La classe ouvrière, le noyau de la société, recherche logique, cohérence et rationalité. La chanson « No pasaran » en ce sens, par sa décadence, aide la démagogie de l’extrême-Droite !

Marina Ginestà, socialiste républicaine espagnole (1936)
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Effondrement de la France

Comment qualifier le Rassemblement National?

L’Histoire se présente toujours de manière tortueuse, ce qui demande un effort intellectuel pour en saisir correctement les contours et ses dynamiques. En ce début d’été 2024, la poussée inouïe du Rassemblement national aux élections législatives anticipées interroge quant à la nature de sa dynamique.

Car rien n’est très clair quant à la nature du phénomène selon que l’on prend le programme présenté, la dynamique sous-jacente, les alliances politiques effectuées ou bien encore les discours tenus par certains de ses principaux dirigeants.

Il est aisé de renvoyer aux origines du Front national pour le qualifier de « fasciste », ce qui n’est par ailleurs pas forcément justifié puisqu’il était surtout, dans cette époque donnée, un pôle de la droite anticommuniste.

Dans les années 1980-1990, Jean-Marie Le Pen va essentiellement représenter un réflexe bourgeois face à la Gauche au pouvoir, dans une dynamique anticommuniste et libérale. Il était de ce point de vue une option d’extrême-Droite, au sens d’un parti bourgeois radicalisé face aux prétentions de la Gauche.

C’est la raison pour laquelle les places fortes de la percée du Front national de Jean-Marie Le Pen aux élections législatives de 1986 se situent dans les grandes villes. Tout comme la tentative de mettre sur pied des syndicats Front national au milieu des années 1990 relevait d’une stratégie de barrage de la lutte des classes, d’opposition droitière au mouvement ouvrier organisé et non pas d’une tentative d’assécher son terrain pour en faire basculer ses éléments vers le « camp national ».

Cette perspective droitière anticommuniste et libérale a eu comme point d’orgue l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, disqualifiant Lionel Jospin, premier ministre sortant d’un gouvernement de « gauche plurielle » en cohabitation avec Jacques Chirac.

Comme on le sait, cette orientation a changé alors que Nicolas Sarkozy avait pu récupérer l’électorat droitier lepéniste de 2002 à l’élection présidentielle de 2007 en fondant cette même année une « Union pour une majorité présidentielle » devenue « Union pour un mouvement populaire » (UMP).

À la fin des années 2000 lorsque Marine Le Pen progresse dans les instances du pouvoir du parti jusqu’à en prendre les reines en 2012, elle impose comme on le sait une nouvelle orientation qui a pris le nom de « dédiabolisation ». En fait de « dédiabolisation », il y avait une transformation en un sens fasciste avec le fait d’assumer l’option « ni de droite, ni de gauche » avec une forte prétention sociale.

C’est l’époque où Alain Soral est proche du Front national et où est effectué un travail de sape de la Gauche historique pour proposer une option littéralement national-socialiste. De la même manière que c’est la décennie où, notamment après l’élection présidentielle de 2012, le Front national emporte des pans entiers des couches populaires anciennement acquises à la Gauche. Une Gauche qui, en parallèle, s’éloigne de son héritage historique pour devenir une Gauche américaine fondée sur les valeurs libérales-libertaires et l’idéologie postmoderne.

À la différence de Jean-Marie Le Pen, la perspective de Marine Le Pen n’était pas de se heurter frontalement aux restes du mouvement ouvrier, mais d’en assécher le terrain pour en récupérer des grappes, et notamment certains de ses cadres. Cela a relativement fonctionné comme l’a prouvé les ralliements d’anciennes figures de la gauche de la gauche au Front National : Davy Rodriguez passé du Front de gauche au FN en 2015, Aurélien Legrand issu des rangs de la LCR/NPA et passé au FN en 2014 ou bien encore André Kotarac passé du parti de gauche au Rassemblement National en 2019.

Et la stratégie de Marine Le Pen a elle aussi connu son point d’orgue quelque part entre 2017 et 2019 avec Florian Philippot, élu vice-président du parti en 2012 et défendant le « Frexit » comme vecteur de cette orientation national-socialiste, avant d’être expulsé du parti après l’échec de la présidentielle de 2017.

Le mouvement des gilets jaunes qui est apparu comme une sorte de petit 6 février 1934 aurait pu provoquer une tentative de coup de force avec un front populiste de nature national-social. Mais son anti-parlemantarisme n’a surtout donné qu’un rejet de la politique, bloquant toute perspective de ce type, alors même que le FN devenait le Rassemblement National pour mieux mettre de côté ses origines.

Qu’est-il aujourd’hui ? Jordan Bardella devenu président du RN en 2021 se rapproche bien plus d’une figure de la Droite populaire telle qu’elle existait dans les années 1990 avec par-exemple le RPF de Charles Pasqua. Aussi n’est-il n’est plus nécessaire d’aller assécher le terrain de la Gauche, puisqu’elle-même a fini de muter en une fausse gauche américaine réfugiée dans les grandes villes comptant électoralement sur des communautés identitaires.

Reste que Jordan Bardella peut bénéficier de tout l’apport des années 2010 en termes d’électorat et de dynamiques populaires, alors que la ligne national-socialiste a échoué en 2017-2018 face au fameux « plafond de verre ». Depuis elle a été rabotée voir carrément abolie, notamment avec l’abandon de la sortie de l’Union européenne et de la monnaie unique. Sans même parler de l’acceptation totale de l’Otan et de la guerre à la Russie, évidemment!

Alors que représente en 2024 le RN ? Ni vraiment un parti d’extrême-Droite affichant une volonté de s’opposer à la lutte des classes, pour l’instant au point mort, ni un parti fasciste visant à faire de la France une grande puissance en mode cavalier seul.

Historiquement, il apparaît en réalité comme l’expression torturée et déformée d’une partie du peuple pour s’émanciper d’une société bourgeoise en décadence. Mais l’échec de la ligne national-socialiste des années 2010 fait qu’il va se heurter à sa propre incapacité historique, puisqu’il soulève un problème bien trop immense pour lui. Le poids de la dette, la récession économique et les nécessité de la guerre à la Russie forment les principaux moteurs de son échec annoncé.

Il en sortira demain ou bien un retour en force de l’option nationaliste-révolutionnaire, ou bien l’option de la Gauche historique, celle que nous portons, en première ligne. Agauche.org est au service de l’avenir inéluctable, du drapeau rouge !

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Effondrement de la France

La base bobo du « Nouveau Front Populaire »

L’ADN de la petite-bourgeoisie des centres villes s’est de s’imposer comme protagoniste de l’Histoire alors même qu’elle n’est qu’une variable d’ajustement pour la bourgeoisie modernisatrice et son turbocapitalisme.

Cela se vérifie clairement avec le pseudo espoir véhiculé par le « Nouveau Front Populaire » qui trouve à s’exprimer dans un concours d’affiches récemment lancé. Sur le site « 24×36.art », un regroupement bohème souhaite mettre à disposition des affiches en soutien au « Nouveau Front Populaire » en se reposant sur les capacités de création individuelle des « artistes, graphistes, illustrateurs, photographes ou simples citoyens ».

Voici comment est présenté la démarche :

« L’esprit du Front Populaire repose sur la solidarité, la justice sociale et la lutte contre le changement climatique.

C’est un mouvement de rassemblement et d’espoir visant à construire une société plus juste, plus humaine et plus écologique.

Nous, artistes, graphistes, illustrateurs, photographes ou simples citoyens, sommes convaincus qu’il est impératif d’accompagner avec joie et optimisme la grande révolution sociale et environnementale qui se présente à nous. »

Que ces propos sont niais, en plus d’être doublés d’un effacement de l’histoire de la lutte des classes ! C’est véritablement le triomphe de l’idéologie « macdo », c’est-à-dire le néant civilisationnel sur fond de consécration de l’ensemble des identités proposées par la société de consommation développée. Avec des mesurettes n’ayant même pas d’envergure social-démocrate réformiste au sens historique, la gauche caviar bobo s’auto-intoxique d’une manière dérisoire.

Heureusement, cela est intenable. Car la seule réalité qui vaille, c’est celle de la lutte des classes. Et de ce point de vue, on est à mille lieues de l’héritage du front populaire historique, de son universalisme lié à la lutte des classes.

Tout le côté simpliste et sans envergures des affiches tranche avec la réalité historique de la séquence 1934-1936. Car le Front Populaire historique a débuté dès le soir du 6 février 1934, par des affrontements violents dans la rue entre les communistes et l’extrême-Droite. De la même manière, la victoire de la coalition en mai 1936 avait débouché sur une vague de grèves et d’occupation massives dans les entreprises, reflet d’une conscientisation venue de loin grâce à l’implication ardente de milliers de militants !

Mais voilà les réalités telle que la classe ouvrière, la lutte des classes, la bourgeoisie, le capitalisme, le militarisme, etc., sont des choses étrangères à ce regroupement faisant un hold-up sur le front populaire historique.

Un hold-up d’autant plus frappant que sa base sociale a compris, au moins inconsciemment, que le score du RN était un message envoyé à leur encontre et tout son délire « progressiste » LGBT-Cannabis-Migrant-Palestine. Dans ces affiches, on lit vraiment l’affrontement entre la bourgeoisie modernisatrice qui vit l' »happycratie » des grandes villes contre l’aigreur revancharde des zones populaires…

Car malheureusement les couches populaires pro-RN ne le font pas avec un engagement actif pour l’émancipation mais en se réfugiant dans le populisme conservateur. Car face à la niaiserie bobo, les zones populaires pro-RN n’ont rien à proposer de manière positive et démocratique pour être productif sur le plan de la lutte des classes et de la résolution des contradictions en cours.

Mais avec le recul historique, on ne peut que constater le double rôle joué par la gauche bobo : d’un côté, elle déforme l’histoire et n’aide en rien à la prise de conscience de l’ampleur de la crise générale du capitalisme, mais d’un autre côté, par la diffusion de ses chimères anti-prolétariennes, elle participe, bien que de manière négative et passive, à la reconstruction d’une conscience de classe prolétarienne.

Une recomposition lente, sinueuse, qui ne manquera pas de s’accélérer sur le poids de la 3e guerre de repartage impérialiste.

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Effondrement de la France

La tromperie du « nouveau » front populaire

Tout comme l’avait déjà été la NUPES du printemps 2022, constituée à la hâte, le « Nouveau Front Populaire » est un accord réalisé par en haut, où s’agrège dans un melting-pot revendications syndicales, forces associatives et partis politiques n’ayant plus aucune consistance sociale et populaire.

Ces points de programme suffisent à démontrer le caractère democrat à l’américaine de cette coalition. On est dans le style LGBT à 100 % rien que sur le plan de la forme avec cette coalition colorée de type melting-pot des identités politiques possibles. Au-delà d’être très niais, c’est révélateur du caractère opportuniste d’une coalition « mac do » où chacun peut venir comme il est.

Sur le fond, il suffit de constater qu’il n’y a aucun point concernant des nationalisations de grandes entreprises, au cœur pourtant de l’union de gauche ayant portée François Mitterrand au pouvoir en mai 1981. C’est du pur populisme gestionnaire dans lequel il est avancé quelques mesurettes syndicales et le retour d’impôts « sociaux », sans aucune perspective, même réformiste, de remise en cause du capitalisme.

On est bien loin, très loin, de l’héritage du Front Populaire de 1934-1936 qui relève du patrimoine de la Gauche historique, et dans laquelle l’élection de Mitterrand en 1981 puisait une certaine filiation. Mais ce qui en fait une expression la plus patente de democrat à la française c’est le soutien absolu à la « construction européenne », « à l’Europe de la défense » ainsi qu’au soutien militaire au régime ukrainien.

On est là dans une fausse gauche qui accepte entièrement la soumission à la superpuissance américaine, sans aucune critique ni opposition à la tendance à la guerre.

Quelle escroquerie par rapport à la dynamique de 1934-1936 qui naissait de l’opposition au coup d’état fasciste de février 1934 sur fond de prise de pouvoir des fascistes en Italie, Allemagne et en Autriche et le retour de la guerre et du militarisme. L’alliance socialiste-communiste dans la rue en 1934, prélude à l’alliance électorale en 1935, relevait d’une compréhension que le retour de la guerre ne pouvait qu’amplifier la crise sociale et économique issue du Krach de 1929.

Le « Nouveau Front Populaire » apparaît comme l’espace de défense de la bourgeoisie modernisatrice agrégeant autour d’elle la petite-bourgeoisie et une partie des sous-prolétaires urbains. À cet égard, il est logique de le considérer comme probable héritier d’Emmanuel Macron, puisque seuls quelques mesures syndicales et fiscales les séparent, quand l’encadrement du turbocapitalisme et la soumission aux États-Unis les réunissent.

L’opposition politique qui prend forme pour les élections législatives anticipées est donc viciée, elle relève d’une illusion générée par un capitalisme français en crise et qui se précipite au nom des États-Unis dans la guerre à la Russie pour se relancer. Pour chaque camp, l’objectif est de maintenir ce cadre afin d’éviter le retour de la lutte des classes.

Vive la Gauche historique opposée à la 3e guerre de repartage impérialiste, seule perspective antagoniste au capitalisme français moribond !

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Refus de l’hégémonie

La course aux armements

Le monde ne cesse de s’équiper en armements et dilapide des sommes colossales dans la recherche d’engins de mort toujours plus sophistiqués. Et cela de manière accélérée : au niveau mondial, les dépenses militaires ont progressé de 6,8 % entre 2022 et 2023.

De manière générale, ce sont 2443 milliards de dollars qui ont été engloutis dans le monde en 2023 pour l’armement. Une recrudescence qui frappe alors que ce même budget militaire mondial n’avait cessé de baisser entre la fin des années 1980 et le début des années 2000. Le seuil des 2000 milliards a été franchi en 2019, après une hausse constante depuis 2014, marquant par là l’entrée dans l’époque de la crise générale et de ses corollaires, la guerre et la révolution.

L’immense majorité de ces dépenses, environ 1799 milliards de dollar, revient à une poignée de pays, que sont notamment les États-Unis, la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et l’Inde. À travers cette concentration, on perçoit tout le caractère de la guerre de repartage impérialiste en cours avec trois mondes qui sont de plus en plus délimités.

Car parler de manière générale de « dépenses militaires mondiales » n’a en réalité pas de sens puisque de nombreux États n’ont pas de complexe militaro-industriel leur permettant d’assurer un développement souverain de leurs armées. Ces États forment le monde des pays dominés, rivés par des liens néocoloniaux, notamment par le biais de « partenariats militaires », à une puissance de second ordre ou une superpuissance. Ils forment le butin des deux principales superpuissances ou de leurs vassaux, les puissances secondaires, et leur militarisation par un tel ou un tel permet de déployer des guerres par procuration dans le cadre du repartage impérialiste.

Ainsi la course aux armements n’est-elle pas quelque chose de chaotique mais s’organise autour de la polarisation des budgets militaires de la Chine et des États-Unis, avec respectivement 296 milliards et 916 milliards en 2023. Il est évident que l’ensemble des pays du monde se prépare à l’affrontement Chine/États-Unis, les deux superpuissances rivales, notamment dans la zone info-pacifique. Chacune de ces deux superpuissances entretient alors militairement des pays vassaux, formant le terreau de la course aux armements.

Taïwan comme satellite américain a ainsi vu son budget militaire augmenter de 11 %, pour atteindre 16,6 milliards de dollars pour une île qui compte 23,57 millions d’habitants. À l’inverse, les Îles Salomon, un États sans forces armées, ont signé un partenariat militaire avec la Chine en 2022 lui permettant d’y déployer ses forces militaires.

Face à la puissance challengeuse chinoise, un axe Australie, Philippines, Japon est en train de se tisser, avec là aussi une remontée en flèche des budgets d’armement. L’Australie vise à atteindre 2,4 % de son PIB pour ses dépenses militaires, tout en augmentant de 30 % ses forces d’ici 2040, avec à l’arrière-plan l’alliance AUKUS. L’Australie se situe ici dans le camp des puissances de second ordre alignées sur la superpuissance américaine, son budget permettant de faire tourner les grandes entreprises d’armement anglaises et américaines.

En Europe, c’est la Pologne qui a le plus renforcé son budget militaire, avec un bond de 75 % de ses dépenses entre 2022 et 2023. Cela se fait au bénéfice de l’industrie de l’armement américaine évidemment, avec l’achat récemment de près d’une centaine d’hélicoptères et de 1798 missiles de tous les types.

C’est également au niveau de l’U.E qu’il y a eu un tournant important avec un « fonds européen de la défense » disposant de 8 milliards d’euros jusqu’en 2027 pour financer de la recherche militaire. Une ligne budgétaire qui était inexistante avant 2017… et qui bénéficie en premier lieu au complexe militaro-industriel français qui a lui aussi vu ses commandes bondir dans le cadre d’une hausse de 50 % du budget militaire français entre 2019 et horizon 2030. Une Europe militarisée qui cherche à s’imposer comme véritable délégué politico-militaire des États-Unis contre la Russie…

Derrière la course aux armements, il y a aussi et surtout une réorientation accrue des investissements de capitaux dans les industries de guerre en vue de produire plus d’armes en tous genre mais aussi en vue d’en fournir de nouvelles, plus « performantes », plus meurtrières. La science et la technologie, ces trésors de l’Humanité pour améliorer sa condition d’existence, se transforment en un simple rouage de la destruction de la civilisation. Le militarisme devient une porte de sortie pour la valorisation de capitaux qui tournent en rond et ne trouvent plus à se valoriser de manière profitable dans un contexte de ralentissement général de l’accumulation capitaliste.

À ce titre, la guerre en Ukraine est le laboratoire macabre des complexes militaro-industriels des principales puissances capitalistes pour adapter leurs armements en vue de la troisième guerre mondiale. Et l’on saisit l’effroyable cercle vicieux : les rivalités de puissances alimentent l’industrie de guerre, la croissance des industries de guerre alimente les tensions et autres replis bellicistes des grandes puissances…

Comme cela s’est déroulé dans les années précédent 1914, c’est tout le capitalisme mondial qui se précipite dans la guerre pour se relancer. Une tendance qui s’exprime à travers un monde qui se scinde entre les deux superpuissances ; superpuissances qui tissent leurs zones d’influences en vassalisant militairement des États en vue de se partager le butin du Tiers-Monde.

La course aux armement révèle que l’engrenage n’en n’est plus à ses débuts mais est dorénavant bien enclenché telle une machine gargantuesque qui alimente à son tour la tendance à la guerre. L’alternative est posée : soit la guerre est empêchée par la révolution, soit la guerre provoque la révolution.

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Refus de l’hégémonie

L’armée française entraîne des néo-nazis ukrainiens

L’information est issue d’une enquête du journal d’investigation Médiapart, dont l’article est réservé aux abonnés et dont on se doute qu’elle va rester confinée aux confins de l’opinion publique.

Car il y est démontré qu’à la fin octobre 2023, l’armée française a organisé un camp d’entrainement au « camp de La Courtine, dans le sud de la creuse » avec des soldats ukrainiens issus de la 3e brigade d’assaut, héritière du régiment Azov et dont le changement de façade à l’été 2022 n’avait à l’époque trompé aucune personne un peu attentive au caractère idéologique du bataillon.

Le commandant de la 3e brigade est d’ailleurs Andriy Biletsky, le dirigeant d’Azov qui est à la fois une composante de l’armée et un parti politique. En Ukraine de nombreuses unités sont de ce type.

Nul doute que les formateurs français étaient au courant du caractère idéologique des soldats formés, certains ayant des tatouages à la gloire du nazisme visibles sur leur visage.

Le nazi français (pseudo « Cafard Misanthrope ») a rejoint Azov et a fait partie des soldats ukrainiens formés en France

En réalité, cette enquête de Médiapart intervient à un moment précis. À la fin avril, une reporter au Donbass, Christelle Néant, publiait une enquête sur cette réalité. Il y était affirmé que la France avait livré, et donc formé des soldats d’Azov au maniement du canon TRF1 de 155mm produit par Nexter, et pouvant par ailleurs envoyer des obus à sous-munition proscrit par les conventions internationales.

Des renseignements qui ne sont pas sortis du chapeau mais directement issus des propos tenus sur la chaine du réseau social telegram d’Azov, exposant ses combats d’artillerie à l’aide du canon TRF1.

Dès la fin octobre 2022, il avait été remarqué par Rosa la gazette l’apparition d’un commandant d’artillerie arborant une Totenkopf stylisée tirant des obus d’un canon CAESAR français….sans qu’il ne soit fait mention du caractère néo-nazi du personnage par France 2.

Ainsi, que l’information soit étayée par Médiapart, organe de presse totalement aligné sur le soutien au régime ukrainien, atteste en fait du redoublement de la vigilance pour assurer la légitimité de la guerre contre la Russie. L’enjeu viserait à renforcer la pression pour mieux « contrôler » les soldats formés alors qu’on parle actuellement, et officiellement, de 12 000 soldats formés en France.

Ce n’est pas forcément gagné : voici une photographie de l’ancien premier ministre britannique Boris Johnson le 22 mai 2024, avec des nazis d’Azov invités au Parlement britannique…

Comme on le sait, au-delà d’Azov, les groupes ultra-nationalistes ont été les premiers à s’engager de manière volontaire contre la Russie dans le Donbass dès 2014, avant d’être intégrés de manière officielle.

Dans le feu des combat, ces groupes ont généré des cadres militaires intermédiaires, se retrouvant en toute logique dans les camps de formation occidentaux. Ils sont en effet utilisés comme bataillons de choc, de par la ferveur nationaliste et la volonté de détruire la « Moscovie » semi-asiatique.

Il est donc incorrect de seulement parler de « soldats » tant les figures néonazies sont impliquées dans la guerre depuis longtemps et ont gravi les échelons du commandement, formant dorénavant une strate de la hiérarchie militaire elle-même, et de toutes façons à l’arrière-plan toute l’idéologie de l’Etat ukrainien.

Le chef d’Azov dans un reportage du média en ligne « Brut » publié le 12 avril 2024

L’Ukraine a choisi son orientation historique et elle est en cela malheureusement déjà condamnée… La fièvre nationaliste l’a trop contaminée pour une remise en cause d’elle-même. Le fanatisme anti-Russes de gens ayant vécu des décennies avec… des Russes, et souvant parlant russe eux-mêmes au quotidien, est un exemple de délire et de comment le nationalisme peut l’emporter.

La base du régime de Kiev est en même temps viciée. Sa perspective impossible de mobilisation de 500 000 soldats atteste du décalage avec la population. La place prise au départ par les néo-nazis au détriment des masses populaires est une caractéristique du régime.

C’est d’ailleurs bien pour cette raison que la propagande se fissure, formant un terreau pour la justification d’envoi de troupes occidentales. Car le régime de Kiev n’a jamais eu de base populaire ni de perspectives démocratiques, d’ailleurs tout ce qui est de gauche est interdit.

Kyrylo Boudanov, le directeur du renseignement militaire ukrainien, dans ses bureaux avec la carte indiquant son rêve de partition de la Russie

La réalité c’est que l’Otan a choisi d’utiliser les éléments nationalistes les plus fanatisés de l’Ukraine pour sa basse besogne anti-Russie. Et dans ce panorama immonde, la France a choisi de se positionner en tête de pont des Etats-Unis en Europe pour remplir cette mission.

Combattons la superpuissance américaine qui cherche à maintenir son hégémonie mondiale à tout prix, dans le sang, dans la guerre, et dont le capitalisme français est le vassal zélé!

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Refus de l’hégémonie

Engagez-vous contre la guerre !

Emmanuel Macron, le chef d’état-major de l’armée britannique, le ministre allemand de la défense, le président polonais, le président du Conseil européen et tant d’autres ont tous en commun de l’avoir répété : si tu veux la paix, prépare la guerre.

Voilà la réalité historique qui est devant nos yeux : les bourgeoisies européennes se préparent à faire la guerre à la Russie. À ces mots s’ajoutent des actes avec une remontée en puissance des budgets d’armements, de la masse militaire, des lignes de production de guerre.

Du point de vue populaire, s’il était possible de s’en tenir à l’appel à une solution diplomatique avant février 2022, avant d’espérer une paix imposée par le peuple jusqu’au 26 février 2024, la situation exige dorénavant un engagement éprouvant contre la guerre.

Et les français ont une responsabilité importante. Car depuis les propos d’Emmanuel Macron du 26 février 2024, la bourgeoisie française a décidé de prendre le relais de la puissance américaine en Europe en assumant d’être le leader politique et militaire de la préparation de la guerre à la Russie.

Car dans tous les cas de figure, la France capitaliste d’aujourd’hui, c’est la faillite générale demain. En vaut pour preuve l’explosion du déficit public, l’endettement colossal du pays alors même que le budget militaire français s’est renforcé et qu’on s’apprête à des coupes claires dans les budgets de santé et sociaux.

Dans un tel contexte, les simples appels à la paix ne servent qu’à laisser le terrain libre aux diplomates chargés de gagner du temps pour mieux permettre les préparatifs militaristes. Dorénavant, la paix, c’est seulement la pacification sociale, l’abdication envers la cause du Socialisme.

Nous sommes en 1911. Comme le remarquait Rosa Luxemburg cette même année dans sa critique des « Utopies pacifistes » :

Le militarisme est étroitement lié à la politique coloniale, la politique douanière, la politique mondiale, (…) par conséquent les États actuels, s’ils voulaient sérieusement mettre un terme à la course aux armements, devraient commencer par désarmer leur politique commerciale, abandonner le pillage colonial ainsi que la politique étrangère des sphères d’intérêt dans toutes les parties du monde, en un mot faire exactement le contraire de ce qu’est l’essence de la politique actuelle d’un État de classe capitaliste en politique extérieure comme en politique intérieure.

En 2024, le démantèlement de la Russie est devenue la condition de la relance du capitalisme français. Militarisme et capitalisme sont dès lors imbriqués dans une danse macabre : il n’y a plus de retour en arrière possible, tout le futur est conditionné par cet objectif stratégique. Par conséquent, la pressurisation sociale va s’accentuer, la situation intérieure continuer à se dégrader avec les violences anti-sociales, les trafics et la consommation de drogue, l’ultra-individualisme généralisé, la tolérance avec les mœurs féodales. Tout cela parce que la prétention de la bourgeoisie à encadrer et diriger la société se voit englouti par le militarisme…

De deux choses l’une, ou bien la bourgeoisie française réussie son plan et se relance au prix d’attaques générales contre les conditions de vie populaire et la nature pendant une décennie, ou bien la lutte des classes portée par la classe ouvrière refait surface et ouvre une nouvelle ère.

Or, comment dans une telle situation les travailleurs ne peuvent -ils pas être viscéralement opposés à leur bourgeoisie qui les embarque dans un projet de mort pour conserver sa part du gâteau de la « mondialisation » ? Une opposition qui va s’avérer douloureuse car les gens ont cru au mirage de l’accès au pavillon, à l’illusion de la vie à crédit, de la guerre limité aux confins du tiers-monde.

Après avoir vu sa vie coulée dans le béton de la « paix capitaliste », c’est la nécessité de reprendre le flambeau de la révolution sociale dans l’opposition à la guerre qui refait surface en ce printemps 2024. Un retour de bâton d’autant plus terrible que règne une grande confusion intellectuelle dans la population.

Dans les couches populaires, trop investis dans le travail manuel, il n’est pas pensé que la guerre soit « possible » du fait que la France, ce pays en déliquescence, ne peut se le permettre. Tout cela ne serait pas sérieux. Il y a là une considération juste sur le fait que les préparatifs matériels n’en sont qu’à leur début et qu’une guerre moderne prend du temps. Mais en même temps, la mise en place très concrète des préparatifs sont niés, ce qui n’aide pas à la prise de conscience.

Ouvriers, salariés, oui la France est une puissance en déclin, c’est pour cela qu’elle se précipite dans la guerre contre la Russie ! Hier comme aujourd’hui, la bourgeoisie déclinante fera toujours passer ses profits avant vos vies ! Oui il y a un plan, un budget, des préparatifs de guerre en cours, sabotez-les avant le déluge !

Quant aux couches dirigeantes, trop sûre de leur investissement dans le travail intellectuel, il faudrait dévoiler les propos des chefs d’Etat, à commencer par ceux d’Emmanuel Macron énoncés depuis le 26 février 2024. Tout cela serait en réalité un habile travail diplomatique visant à faire reculer la Russie… On a là aussi un aspect des choses qui manque la tendance de fond, celle de la guerre de repartage impérialiste comme tendance inéluctable.

Cadres d’entreprises, fonctionnaires, ne soyez pas dupes de la situation, le 24 février 2022 a montré que la diplomatie ne dure qu’un temps ! La guerre généralisée est l’issue terrible de la situation actuelle ! Refusez d’être un rouage idéologique de la machine de guerre qui se met en place !

Les personnes qui ont saisi la nécessité de se battre contre la marche à la troisième guerre mondiale doivent prendre conscience de la nature idéologique et culturelle de la bataille. Il faut se confronter à l’état d’esprit national français : celui du relativisme, du rationalisme, du scepticisme.

Concrètement cela se traduit par l’idée qu’il faudrait tout peser ; relever le pour et le contre, établir les « possibilités » alors qu’il s’agit d’une tendance de fond irrépressible même si elle se développe de manière sinueuse, avec des va-et-vient entre tensions et apaisements.

Etudiez les classiques du mouvement ouvrier d’avant 1914, lisez Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Clara Zetkine, Lénine, phares de l’Humanité face à la barbarie de 1914. Retenez et appliquez la leçon si juste du communiste allemand William Pieck en 1935, qui était social-démocrate aux côtés de Rosa Luxembourg puis a affronté les nazis :

« Rien ne saurait être plus dangereux que l’illusion qu’on peut ajourner la lutte contre la guerre impérialiste jusqu’au moment où les impérialistes déclaraient leur guerre criminelle. »

La course contre la montre est lancée. Chaque jour peut voir les choses déraper : n’oubliez pas que la Première Guerre mondiale est sorti d’un fait divers qui a suffit de tout enflammer en quelque semaines. Moins des pans entiers de la population s’investissent dès maintenant, plus il sera difficile d’organiser les choses quand les choses vont sentir le roussi.

La lutte doit se construire aujourd’hui dans le but d’assumer le rapport de forces nécessaire demain, c’est une question de préservation de la vie face aux entrepreneurs de mort.

Vous qui avez compris que nous étions engagés dans un mécanique similaire à celle d’avant 1914, saisissez-vous du matériel d’agitation anti-guerre ! Collez les affiches anti-guerre, diffusez des tracts, imprimez et collez des autocollants, organisez-vous !

Brisez vos illusions, cessez d’être spectateur du déluge qui vient ! Osez sortir du carcan de la société de consommation ! Contre la guerre, un chemin s’ouvre pour une nouvelle vie radieuse ! Devenez protagoniste de l’Histoire !

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Planète et animaux

Chicago 1905, le socialisme et les animaux

En 1905, l’écrivain Upton Sinclair publie sous la forme de feuilletons La Jungle dans le journal socialiste Appeal to Reason. Un roman-reportage qui témoigne des pires horreurs des abattoirs de Chicago et va provoquer un véritable scandale tant il dévoilera aux yeux du grand public la face cachée de la fabrication en masse d’aliments à base de viande.

Derrière, c’est le capitalisme américain que l’on retrouve dépeint et qui va conquérir l’ensemble de l’Occident jusqu’à façonner l’ensemble de son industrie agroalimentaire. Et surtout il va généraliser la barbarie industrialisée envers les animaux à la base de la société de consommation.

Les usines à viande de Chicago en 1947

C’est de ces chaînes automatisées d’abattage qu’Henri Ford puisera son inspiration pour réaliser ses chaînes d’automobiles et ainsi systématiser tout un mode d’organisation du travail mis au seul service d’une minorité capitaliste.

Les animaux… Un thème moins mis en avant à l’époque face au drame vécu par les ouvriers et aux méthodes insupportables déployées par les industriels pour falsifier la qualité de leur nourriture tout en la vendant aussi chère. Jusqu’à vendre des produits issus de cuves dans lesquelles des ouvriers sont morts dans des accidents de travail…

Et pourtant, on y trouve également un passage où un philosophe, Schliemann, passionné de diététique, vivant parmi les ouvriers de Chicago et participant aux réunions du Parti socialiste affirme des choses qui sonnent si justes. Si justes car, malgré le temps perdu, elles attestent de l’inéluctable fusion de la cause animale avec le Socialisme…

« Schliemann reprit son souffle quelques instants avant de poursuivre :

– Et puis il faut ajouter à cette production agricole illimitée la récente découverte de certains physiologistes qui affirment que la plupart des troubles dont souffre le corps humain sont dus à la suralimentation !

Qui plus est, il a été prouvé que l’homme peut se passer de viande. Or celle-ci est évidemment plus difficile à produire que les denrées d’origine végétale, plus déplaisante à préparer et à manipuler, plus délicate à conserver. Mais qu’importe, n’est-ce pas, du moment qu’elle nous flatte plus agréablement le palais.

— Comment le socialisme peut-il changer ces habitudes ? se permit de demander l’étudiante. C’était la première fois qu’elle intervenait.

Tant que le salariat sera de règle, répondit Schliemann, il sera toujours facile de trouver des bras pour s’acquitter des tâches les plus avilissantes et les plus répugnantes.

Mais, dès que le travail sera libre, le prix de ce genre de besogne augmentera. On abattra une par une les vieilles usines sales et insalubres, car il sera moins onéreux d’en bâtir de nouvelles.

On équipera les bateaux à vapeur de machines capables d’alimenter automatiquement les chaudières, on éliminera les risques dans les métiers dangereux ou on élaborera des produits de substitution pour les substances toxiques actuellement utilisées.

De la même façon, chaque année, au fur et à mesure que les citoyens de notre République industrielle verront leurs goûts s’affiner, le coût des produits carnés augmentera, si bien, qu’un beau jour, les amateurs de viande devront tuer eux-mêmes les bêtes qu’ils mangent.

Combien de temps croyez-vous, alors, que la coutume survivra ? »

Aujourd’hui, alors que le 21e siècle est déjà largement lancé, tout cela résonne profondément, malgré la naïveté du propos. L’humanité a acquis une conscience avec une telle ampleur qu’il y a des évidences qui s’imposent.

Et ce n’est pas pour rien justement que le capitalisme se débarrasse de la cause animale, en faisant quelque chose d’anecdotique, et que la vieille gauche emprisonnée dans des traditions du siècle dernier ou de l’agitation superficielle est incapable d’aborder la question des animaux.

Penser aux animaux, c’est inévitablement exiger la révolution, c’est assumer que rien n’est possible sans le renversement de l’ordre établi. C’est porter la conscience de la Société nouvelle, du Socialisme !

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Rapport entre les classes

La victoire du capitalisme, c’est l’écrasement de l’Histoire

Quand on pense au Capital de Karl Marx, on a souvent en tête une œuvre « économique » qui vise à la critique scientifique du mécanisme d’exploitation proprement capitaliste. C’est là une vue réduite, simpliste qui masque son envergure idéologique générale.

Car le fil conducteur de l’œuvre est contenu dans son sous-titre, très souvent effacé : critique de l’économie politique. Ce simple rappel démontre à lui seul combien Karl Marx ne visait pas un travail « économique », mais un travail de critique qui, par définition, ne peut-être qu’idéologique, et donc historique.

Le Capital, c’est la découverte des processus historiques dans le mécanisme de l’Histoire. Ce n’est pas simplement que l’Histoire se fonde sur la transformation de divers modes de production, mais que l’Humanité, de l’individu jusqu’aux rapports collectifs, s’entrecroise dans des dynamiques contradictoires pour satisfaire des besoins qui sans cesse s’approfondissent.

Ainsi, lorsque par-exemple il est analysé la « journée de travail », il n’est pas analysé seulement un rapport momentané d’exploitation, mais une mise en relation au long terme, non pas entre deux individus, mais entre des conjonctures historiques prenant la forme de classes sociales, constituées sur le long terme.

De la même manière que la critique de la marchandise se clôt par le passage bien connu sur son fétichisme qui dévoile précisément le fait que toute marchandise est avant tout le produit d’une interconnexion prolongée de milliers de personnes.

Karl Marx a ouvert le champ de l’Histoire à tous les étages de la vie humaine en en dévoilant sa clef essentielle : le développement toujours plus accru des capacités productives pour la satisfaction des besoins humains. Une clef qui se devrait d’être mise en exergue partout dans les arts, mais qui dans le capitalisme arrivé à pleine maturité est savamment effacée.

Car dans une société où le fétichisme de la marchandise règne de toutes parts, c’est l’usage du neuralyzer des Men in black qui se généralise : tout impact sur la conscience doit être effacé, écrasé. C’est vrai dans la politique, mais aussi dans l’art et dans les relations sociales, sentimentales.

Il suffit de voir une personne sur Tiktok. Que reste-il sinon une approche immédiate du présent dans le présent lui-même ? Ou bien encore, une personne qui flirte sur une application de rencontre, qu’y a t-il si ce n’est une médiation directe avec autrui sans égard pour le passé, et surtout pour l’avenir ?

Il y a aussi cette disparition, si caractéristique de notre temps, des ornementations sur les bâtiments. L’ornementation d’un édifice a toujours été l’illustration d’une époque, sa mise en perspective historique. Le fait de n’avoir plus que de simples cubes en béton illustre comment la bourgeoisie en décadence a balancé par-dessus bord toute mise en perspective d’elle-même, mais donc aussi de la société toute entière. Il ne reste plus qu’une fonctionnalité immédiate, sans ancrage dans un processus au long court.

Car l’Histoire, ce n’est pas seulement la lecture du passé dans le passé, c’est avant tout l’avenir contenu dans le passé et le passé lu dans l’avenir. On saisit les tendances lorsqu’on embrasse l’ensemble du mouvement, et cela est vrai autant du point de vue collectif qu’individuel. On ne peut pas avancer soi-même sans avoir une lecture de son propre avenir dans l’avenir collectif et cela nécessité forcément une approche de son passé, de ses erreurs, de ses avancées, etc.

L’Histoire ce n’est donc pas la séparation comme le veut la bourgeoisie du passé avec le présent et avec l’avenir, mais c’est inversement la synthèse à un moment du passé dans l’avenir et de l’avenir dans le passé.

Évidemment une telle conception, si utile pour le développement du genre humain, est impossible dans le capitalisme qui fige un présent illusoire pour mieux dérouler le tapis de la consommation dans l’océan des intérêts privés. Il ne faut ni passé, ni futur car l’un comme l’autre place la conscience individuelle devant la morale et l’universel. Et comme on le sait, morale et universalisme sont à l’opposé même de la société marchande développée…

C’est la raison pour laquelle l’enjeu du XXIe siècle est la bataille pour l’Histoire. L’Histoire non pas formellement, non pas seulement du point de vue de la critique de l’économie politique, mais dans son noyau essentiel, c’est-à-dire le mouvement contradictoire universel pour tous les phénomènes de la vie.

Si le capitalisme isole et mutile dans un présent illusoire, alors la révolution ne peut que connecter et émanciper dans un futur qui se saisit dans la lecture du passé. De fait, le présent n’existe pas et le Socialisme a ce rôle de généraliser cette manière de voir les choses à travers la planification des moyens de satisfaire et d’élargir les besoins sur une base harmonieuse.

C’est dans ce sens que les maoïstes du PCF (mlm) ont proposé récemment une nouvelle orientation partisane, celle du Parti matérialiste dialectique.

Si on regarde justement l’Histoire, on ne peut que constater que toute bataille révolutionnaire ou démocratique se situe dans l’affirmation de l’histoire comprise comme mouvement de transformation des anciennes choses en de nouvelles. C’est vrai pour les démocrates de la réforme protestante, mais aussi pour les idéologiques des Lumières, cela ne se limitant pas à la seule forme des régimes politiques mais aussi à toute les choses de la vie quotidienne.

Et cela ne peut être que d’autant plus vrai devant la question écologique qui place la classe révolutionnaire devant une responsabilité d’envergure, celle d’introduire son histoire particulière dans le grand tout de l’Univers et de la planète-terre considérée comme Biosphère.

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Culture & esthétique

Des halles socialistes plutôt que des zones commerciales

Avec l’essor de la commande en ligne et des livraisons à domicile (ou points relais), le capitalisme s’enfonce tout en essayant de résoudre ses propres contradictions. La décadence d’un mode de production est justement complet quand même les solutions aux problèmes sont de nouveaux problèmes.

Depuis les années 1950, la société marchande a connu un véritable bond en avant, développant une multitudes de possibilités de consommation. D’un côté cela veut dire que l’abondance des biens est un progrès immense qui permet de vivre confortablement, si l’on vit dans un pays développé. D’un autre côté, cela signifie que la tendance au monopole et la mise en concurrence produisent un éparpillement. En pratique, pour trouver ce que l’on cherche il faut se rendre dans plusieurs enseignes au lieu d’une seule et souvent cela veut dire faire des kilomètres, perdre du temps et ne plus s’y retrouver.

Cela est particulièrement palpable au moment des fêtes dans la mesure où l’on veut mettre la barre haute, que ce soit en faisant des cadeaux ou préparant des repas conviviaux, mais c’est surtout une réalité qui pèse toute l’année pour ses courses au quotidien.

Galeries Lafayette, boulevard Haussman, Paris (1894, coupole 1912)

Dans un magasin A on trouve de la nourriture pour animaux correcte, dans un magasin B comment s’alimenter sainement de manière vegan, dans un magasin C le meilleur rapport qualité prix pour des produits de base, dans un magasin D l’ambiance sera moins oppressante que le magasin C mais on ne trouvera que peu de choses, ainsi de suite. C’est un vrai casse-tête du quotidien qui se multiplie dans tous les domaines de consommation.

Il ne faut pas négliger cet aspect dans la tendance à l’augmentation des achats en ligne, du recours au « drive » ou à la livraison de ses courses à domicile : il y a une tentative de résolution de ce chaos à l’échelle individuelle. Et comme cela touche l’organisation du quotidien, ce sont principalement les femmes qui ont recours à ces services.

Certes beaucoup apprécieront de faire les boutiques, mais au quotidien naviguer de zones commerciales en supermarchés en zones piétonnes, de tours de ronds-points en embouteillages et recherche d’une place de parking, c’est tout bonnement intenable.

Dans ce cadre, il faut maintenir un certain rythme, un certain standing et avec le développement anarchique des enseignes et des produits visant simplement à satisfaire des niches, rien n’est uniformisé, homogénéisé, centralisé, simplifié et surtout rendu plus agréable. Le temps libre se transforme en un long cauchemar quand il faut se confronter à ces espaces labyrinthiques d’une grande laideur. À ce titre on voit bien l’évolution esthétique de la bourgeoisie rien qu’en comparant un centre commercial d’après les années 1970 avec une galerie marchande de la fin du XIXe siècle. Entre vecteur de beauté et décadence capitaliste.

Grand Magasin à dimension populaire, Paris (1856)

Les centre commerciaux ont été imaginés chacun comme une flânerie à l’abri des intempéries, mais dès qu’une agglomération dépasse quelques milliers d’habitants ce sont plusieurs centres commerciaux, voire zones commerciales qui se font concurrence, et alors cela se transforme en course contre la montre quotidienne. À moins d’être chanceux, il faut choisir entre rationaliser ses lieux de consommation avec ses trajets domicile travail ou faire de choix plus culturels ou sain au prix de beaucoup de temps et d’argent.

En soi cela ne pose aucun problème pour le capitalisme que le temps libre du travailleur soit dédié à ce genre de course à la consommation. Mais le besoin de sérénité et surtout de rationalité trouve toujours un chemin !

Celui-ci pourrait être celui de remettre en question une vie quotidienne dictée par les lois du profit et sa laideur. Mais en l’absence de perspectives la remise en question est remplacée par un repli sur soi et une participation à l’extension de la consommation capitaliste à la sphère privée.

Avec le développement des plateformes d’achats en ligne, de la livraison et des « drive », le capitalisme exploite ses propres failles en compensant l’absence de l’objet convoité par un « parcours client » virtuel amenant à la compulsivité.

Passage Pommeraye, Nantes (1843)

Là où en allant en ligne on pensait gagner en tranquillité tout en supprimant la tentation des packaging et de la mise en rayon en faisant son panier en ligne, les publicités ciblées se chargent de rappeler qu’on ne s’est mis à l’écart de rien du tout, que la capitalisme se glisse dans la moindre pensée de manière perfide.

La seule échappatoire est politique et sur ce sujet là, il n’est pas compliqué d’avoir un minimum d’utopie car on peut faire beaucoup mieux. Alors, que serait un lieu de distribution de la marchandise tout à fait socialiste ?

Tout d’abord, le socialisme permet d’unifier les différents monopoles et ainsi de supprimer l’éparpillement des produits tout en réduisant le volume de l’inutile grâce à la planification. Il est donc possible de rendre la distribution des produits plus claire. Surtout cela permet de satisfaire la qualité des produits dans l’abondance générale. Car à y regarder de près, le capitalisme prétend à l’abondance en ne parvenant pas à répondre à la qualité, sauf à appartenir aux classes les plus riches de la société.

La « publicité » doit être limitée à promouvoir des bonnes habitudes de salubrité et à présenter les nouveaux produits élaborés dans ce sens. Cela diminue le stress psychique au quotidien et au moment des courses. Ainsi, les dépenses compulsives en raison de prétendues promotions sont éliminées.

Passage Balthus, Autun (1848)

Le moment des courses est replacé au centre de la vie quotidienne et doit pouvoir s’effectuer à moins de dix minutes de chez soi, sans prendre la voiture puisque les voitures sont bannies du quotidien du plus grand nombre.

La fin des voitures étant nécessaire pour réduire l’étalement urbain, il est évident que les zones commerciales seront repensées soit pour ramener la nature dans et aux abords des villes, soit pour créer de nouveaux centres-villes là où les grandes villes et zones commerciales avaient absorbés l’activité des bourgs secondaires. Dans le cas de cette seconde option, les nouveaux magasins socialistes sont une structure centrale pour reconstruire la vie collective dans les déserts urbains capitalistes.

On trouve une halle dans chaque quartier dans les grandes villes, celles-ci sont adaptées au nombre d’habitants par leurs dimensions et la quantité de produits, mais le choix est aussi large dans les bourgs modeste que les grandes villes. Les halles participent à l’attractivité et ainsi au rééquilibrage démographique entre ville et campagne.

La forme du lieu où faire ses courses pourrait être empruntée aux halles ou galeries marchandes puisque cela permet d’éviter les « parcours clients » des hypermarchés de la société actuelle au milieux de rayons de marchandises dont l’achat n’est pas prévu. Les galeries sont un ensemble de boutiques thématiques approvisionnées essentiellement de la marque issue des monopoles précédemment socialisés.

Ainsi, on a d’une part l’alimentaire sec, de l’autre les fruits et légumes, ou encore la parapharmacie, les produits d’entretien, etc. La qualité est mise en avant car mise à disposition du peuple tout entier, que cela concerne l’alimentation, l’habillement, l’ameublement, etc.

Les galeries sont couvertes et il est possible de ramener les chariots jusque chez soi, jusqu’aux prochaines courses. Pour les personnes âgées et le parent faisant les courses en présence d’enfants en bas âge, les halles emploient des personnes affectées à l’aide aux course et à la restauration du lien social.

Coupole en vitrail dans le magasin Printemps (Paris) reconstruit en style néo-classique en 1883

Le beau redevient un critère essentiel aux nouvelles constructions, y compris pour les halles. Leur architecture se réfère au classicisme et les ornements empruntent à différents courants figuratifs du classicisme à l’art nouveau.

Les halles socialistes sont réellement des lieux de flâneries où l’on se croise aussi bien à faire ses courses qu’à admirer les bas reliefs, tableaux, vitraux et statues représentant la Nature, les animaux ou des moments clefs de l’Histoire de l’humanité. Ce lieu, comme le reste des villes et communes populaires sont décorés avec goût pour fêter les solstices et les dates clefs de l’Histoire mondiale du mouvement ouvrier.

En somme une halle socialiste se doit d’être un carrefour entre le musée, l’architecture et la satisfaction des besoins humains. La halle a comme aspect principal de mettre en exergue le contrôle par le peuple des forces productives permettant de satisfaire les besoins. Contrairement aux grands magasins bourgeois, les halles socialistes ne font pas dans la démesure, l’objectif est de faire du beau simplement, et néanmoins répandu sur tout le territoire.

Retrouver des lieux de consommation agréables ne pourra se faire qu’avec le socialisme puisque les modalités d’accumulation du capital poussent à réduire le bâtis au fonctionnel et poussent ceux-ci en dehors des villes. Cette incapacité à faire du beau, de la qualité et de l’écologique est d’ailleurs une des choses qui va pousser inéluctablement l’Humanité dans l’ère du Socialisme.

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Culture & esthétique

Diane, Actéon et le professeur des collèges

Il en faut bien peu pour désarçonner les adultes à l’époque du capitalisme moderne ; même des élèves de sixième peuvent ébranler un professeur au collège. Tel est le triste panorama d’une société libérale où aucune valeur n’est considérée comme intouchable. Le détonateur de l’affaire dont on parle ici est pourtant une peinture, du 17e siècle qui plus est, et on pourrait s’imaginer que face à une œuvre d’art, c’est le respect qui prime.

Cependant, comme le capitalisme massacre l’art avec ses carrés noirs, ses lignes blanches plus ou moins blanches et ses « installations » contemporaines, la peinture est désacralisée par les nouveaux barbares.

Le tableau dont on parle ici, c’est Diane et Actéon, de Giuseppe Cesari, dit Il Cavalier d’Arpino ou Le Cavalier d’Arpin. Il date du début du 17e siècle et se trouve au Louvre. Les personnages féminins ne sont pas forcément bien représentées, le personnage masculin est lui trop formel, mais la composition est admirable et il y a un sens du mouvement.

Dans cet épisode de la mythologie gréco-romaine, en effet, Actéon tombe sur la déesse Diane en train de prendre un bain et celle-ci pour se venger le transforme en cerf. Actéon est alors dévoré par ses chiens de chasse. L’épisode est raconté dans les Métamorphoses d’Ovide (III, 138-252).

On comprend tout de suite la portée de cet épisode, qui est à la fois en défense des femmes face à la convoitise des hommes, et un témoignage de comment les déesses-mères de l’humanité première ont été intégrées dans le panorama mythologique.

De manière plus approfondie, on peut y voir une expression de la violence latente en chaque femme en raison de la soumission générale des femmes depuis l’élevage et l’agriculture. C’est tout un potentiel de rage en défense de son intimité qui s’exprime ici et c’est sans nul doute l’aspect le plus intéressant.

Au milieu du 17e siècle, le thème a été repris par Rembrandt, mais c’est forcément plus obscurci que dans la peinture italienne et, surtout, il y a une dimension photographique nuisant au propos « philosophique ».

Rembrandt, Diane et ses nymphes surprises au bain par Actéon

On trouve le même défaut, mais sans le réalisme et de manière plus anecdotique dans la peinture réalisée cent ans plus tôt par le Titien. On y retrouve par contre toute une préciosité du détail à l’italienne.

Le Titien, Diane et Actéon

Le tableau de Cesari a en tout cas été prétexte début décembre 2023 à un droit de retrait de la part des professeurs du collège Jacques-Quartier d’Issou, dans les Yvelines, en périphérie de Paris. La présentation de la peinture par un professeur de français a en effet provoqué des troubles en raison de la nudité des femmes, troubles qu’on devine liés à l’Islam sans que ce ne soit jamais dit.

Et comme le collège est rempli d’élèves livrés à eux-mêmes et de parents égocentriques pour qui leur enfant est roi, le tout dans une abandon social et une décadence culturelle, alors forcément, cela tourne au drame. Et on ne saurait être sauvé par l’idéalisme, à la fois cosmopolite et de la démesure, de pseudos gens de gauche, comme la secrétaire générale du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES-FSU) Sophie Vénétitay, qui vient expliquer qu’à ce stade rien ne montre que c’est la religion qui pose problème.

On notera ici d’ailleurs un aspect marquant. Mahomet était un porteur de civilisation et il a amené les tribus arabes à un niveau supérieur. Pour s’opposer frontalement aux superstitions, il a toutefois été dans l’optique d’interdire tant la musique que toute représentation d’êtres vivants. Il visait en fait les cultes mystiques, le paganisme avec ses chants, ses cultes, etc.

On sait comment l’Islam a pu composer avec cela, par exemple avec les miniatures persanes qui représentent tout de même des êtres vivants, ou bien avec l’architecture islamique justement produit de la non-possibilité de développer la peinture. Inversement, ces interdictions ont été largement utilisées par l’obscurantisme de l’armée et du clergé, qui ont fini par étouffer la civilisation islamique jusqu’à son effacement.

Mais donc, au sens strict, aucun musulman ne peut, non pas simplement regarder ce tableau, mais même n’importe quel tableau représentant des êtres vivants. Pour « déradicaliser », il suffirait de cours de peinture et de cours de musique. Bien entendu, une société libérale ne peut pas mettre cela en place, car cela serait rendre « absolu » certaines valeurs.

« Sacraliser » la peinture, c’est « sacraliser » l’Histoire, c’est affirmer l’universel. Le capitalisme ne peut pas faire faire cela, car il relativise tout. L’héritage culturel n’est bon pour lui que comme base de recyclage, et son horizon c’est de toutes façons Harry Potter.

Voilà comment on se retrouve avec des élèves de 6e en révolte contre la peinture, et avec des professeurs incapables de protéger la civilisation. Les uns sont idiots façonnés par leurs parents, les réseaux sociaux et la consommation, les autres des lâches qui n’assument rien au nom du confort occidental.

Et les Français qui voient ça, choqués, mais ne valant pas mieux, vont dire à l’extrême-Droite de régler tout ça. Voilà le panorama d’une France sans dimension, sans envergure, incapable de porter encore le Socialisme.

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Planète et animaux

« Une classe de travailleurs oubliés »

Publié en juillet 1888 dans « La Revue Socialiste » de Benoît Malon, ce petit article de Charles Gide est illustratif de la naissance de la Cause animale à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Il témoigne de la proximité historique, pour ne pas dire de la coopération entre certaines vies animales et la classe paysanne, puis ouvrière, dans le labeur quotidien. Une coopération qui ne pouvait que participer à une éthique amenée à se renforcer dans la grande cause de l’émancipation sociale.

C’est là un repère important pour quiconque veut défendre la Cause animale du point de vue de la Gauche historique, contre les artifices petits-bourgeois.

« UNE CLASSE DE TRAVAILLEURS OUBLIÉS

Je veux ici plaider la cause d’une classe particulière de travailleurs et de salariés : — classe nombreuse, car ses membres se comptent par millions — classe misérable, car pour obtenir de quoi ne pas mourir de faim, ils sont assujettis au travail le plus dur, à la chaîne, et sous le fouet ; —- classe qui a d’autant plus besoin de protection qu’elle est incapable de se défendre elle-même, n’ayant pas assez d’esprit pour se mettre en grève et ayant trop bonne âme pour faire une révolution ; je veux parler des animaux, et en particulier des animaux domestiques.

II semble que les travailleurs-hommes devraient avoir certains sentiments de confraternité pour les travailleurs-animaux, ces humbles compagnons de leurs travaux et de leurs peines. Mais non ! et on pourrait croire au contraire, qu’ils cherchent à se venger sur eux de l’injustice du sort. Dans notre région du Midi, peut-être plus que dans toute autre, on est dur pour les animaux, et dans cette ville même (Montpellier), on sait bien que les courses de taureaux constituent le divertissement populaire par excellence et que le sang des taureaux et des chevaux, confondu dans l’arène, est comme la monnaie avec laquelle s’achètent les suffrages des électeurs.

Jean-François Millet, Des paysans rapportant à leur habitation un veau né dans les champs, 1864

Hé bien ! il faut avoir le courage de dire qu’aussi longtemps que de semblables mœurs régneront, il n’y a pas lieu d’espérer que les hommes réussissent à se faire une idée claire de ce que c’est que la justice, ni bien moins encore qu’ils parviennent à la réaliser dans leurs relations sociales.

Et qu’on ne hausse pas ici les épaules en disant que autre est la justice vis-à-vis de nos semblables, et autre la justice vis-à-vis des animaux. La justice est Une, au contraire, une pour tous. Tout être en ce monde, par cela seul qu’il sent, qu’il souffre, qu’il travaille, a des droits et des droits qui sont sacrés. A bien plus forte raison quand il s’agit de ces êtres qui font vraiment partie intégrante de la famille, puisqu’ils, sont les amis de la maison et les hôtes du foyer.

Nos langues modernes ont un beau mot qui était inconnu aux anciens, ou que du moins ils ne prenaient point dans le même sens, c’est le mot d’HUMANITÉ. Le sens d’abord étroitement circonscrit s’est peu à peu élargi, et l’élargissement progressif de ce terme marque et mesure le développement de l’idée de justice en ce monde ; on y a fait rentrer successivement tous ceux qui d’abord avaient été laissés en dehors, l’esclave qui n’était qu’une chose, l’étranger dont le nom était synonyme d’ennemi, la femme qui n’était qu’un instrument de reproduction ou.de plaisir.

Mais il y a encore un pas à faire, et si paradoxale à première vue que paraisse une semblable affirmation, il faut affirmer que les animaux aussi font partie de l’humanité.

Jules Jacques Veyrassat, labour, XIXe

Les savants se font forts de nous démontrer que les animaux sont nos frères dans le sens littéral du mot ou tout au moins nos cousins germains en ce sens que nous descendons eux et nous d’un ancêtre commun et que par conséquent le même sang coule dans nos veines. A vrai dire, cette voix du sang n’a pas l’air d’inspirer à nos savants des sentiments très-tendres.; elle ne les-empêche pas, en tout cas, de soumettre nos infortunés cousins à d’abominables tortures pour chercher, sous prétexte de vivisection, ce qu’ils ont dans le ventre.

Je ne suis pas bien sûr d’ailleurs que cette doctrine soit parfaitement établie ; je ne sais pas trop si les animaux sont nos frères par les lois de l’hérédité et par le fait d’une commune origine ; mais ce que je sais bien — et cela me suffit — c’est qu’ils sont nos frères par le fait d’une association indestructible dans le travail et dans la peine, par la solidarité de la lutte en commun pour le pain quotidien.

Que les hommes descendent ou non des animaux, toujours est-il qu’avant que l’homme parut sur cette terre, les animaux y étaient déjà. Dans la grande famille des créatures vivantes, ils sont nos aînés ; sans leur aide, jamais nous ne nous serions tirés d’affaires ; ils se seraient fort bien passés de nous, mais nous, nous n’aurions pu nous passer d’eux. Sans le chevalet, le chien qui lui ont permis d’atteindre le gibier ou de garder les troupeaux ; sans le bœuf qui lui a permis de labourer, la terre et l’a acheminé ainsi par l’agriculture à la civilisation, jamais sans doute l’homme n’aurait pu franchir les premières étapes du progrès : il serait encore à cette heure dans l’affreux dénuement de ces indigènes australiens qui se nourrissent de terre et peut-être au-dessous même de ces pauvres animaux qui lui ont fait la courte échelle et qu’il regarde aujourd’hui avec un orgueil de parvenu !

Ce sont eux qui, de leur chair, nous ont fourni les premiers aliments, de leur peau ou de leur laine, nos premiers vêtements, de leurs os ou de leur corne, nos premières, armes. Encore à cette heure, le meilleur de ce que nous avons, c’est à eux que nous l’empruntons. Faibles, frileux et nus, nous leur avons pris leur toison pour nous vêtir, leur fourrure pour nous réchauffer, leur soie pour nous parer; misérables va-nu-pieds que nous étions, nous leur avons pris leur cuir pour nous faire des chaussures ! Nous les avons dépouillés de tout ce qu’ils portent sur eux comme des voleurs embusqués au coin d’un bois pour nous le mettre sur le corps. Nous leur devons tout, ils ne nous doivent rien.

Voilà pourquoi, si la réciprocité des services n’est pas un vain, mot, les animaux ont droit à notre pitié : et ce n’est point assez dire : ils ont droit à notre justice — et ce n’est point encore assez : ils ont droit à notre respect !

Pour protéger les faibles contre les abus de la force, on ne connaît jusqu’ici que deux moyens’ : l’intervention du législateur ou l’association des faibles entr’eux.

Quant au législateur, il s’est décidé à intervenir en faveur de ces faibles dont nous parlons ici, quoique d’une façon bien timide. La loi dite Grammont qui punit les mauvais traitements envers les animaux domestiques de peines légères, quoique souvent raillée, n’en restera pas moins un des titres d’honneur du XIXe siècle et elle suffira peut-être au regard de la postérité pour racheter bien des défaillances.

Quant à l’association, les animaux ne pouvant y recourir pour leur propre compte et ne pratiquant pas encore les associations professionnelles, c’est à leurs amis qu’il appartenait d’en créer une destinée à les protéger : c’est ce qu’ils ont fait en effet et c’est ainsi qu’est née la Société protectrice des animaux, autre sujet de raillerie pour les esprits bornés. Peu importe ! elle représente une grande idée…

Julien Depré, dans le pâturage, 1883

Je sais bien quelle est l’objection qu’on ne manque pas de faire. On dit: il y a bien assez à faire pour les hommes qui souffrent, sans aller s’occuper d’abord des animaux ! Vous vous imaginez peut- être que ceux qui vous tiennent ce langage sont des philanthropes qui ne vivent que pour s’occuper de leur prochain et ne sauraient détourner une minute de leur temps, ou une obole de leur bourse au profit d’une pauvre bête ? Ah ! bien oui : ce sont pour la plupart des gens qui ne font pas plus de cas de leur semblable que d’un chien, ce qui leur permet en toute sûreté de conscience, de ne pas plus s’occuper des uns que des autres…

Qu’on laisse donc de côté ce pitoyable sophisme ! Il faut dire au contraire que si l’on apprenait, par exemple, aux enfants à aimer les animaux, ce serait le meilleur moyen de leur apprendre à aimer plus tard les faibles et les déshérités. Hé sans doute notre premier devoir est d’aimer notre semblable. Qui songe à le nier ? Mais notre semblable n’est pas toujours si aimable, ni si spirituel ! Et voilà pourquoi le meilleur moyen de s’exercer à aimer les hommes, c’est encore de commencer par aimer les bêtes.

Charles, GIDE. – (Émancipation). »

La Revue Socialiste, juillet 1888
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Vie quotidienne

Les réseaux sociaux, entrave au changement

Il y a un paradoxe ou disons plutôt une contradiction : l’usage généralisé du smartphone s’inscrit dans un long mouvement de fond historique qui est la libération d’un temps socialement disponible. Le smartphone a considérablement réduit les aléas de la vie et fluidifié le quotidien.

On peut acheter immédiatement son ticket de transport, consulter rapidement les horaires et les pannes sur un réseau de transport urbain, se repérer grâce au guidage par satellite, payer directement les choses, savoir si l’on peut retrouver une personne qui est loin d’où l’on se trouve, planifier et harmoniser ses courses alimentaires, etc. Cela permet de libérer énormément de temps disponible. Il y a encore 30 ans il fallait anticiper, prévoir, voir être carrément pris au dépourvu sans moyens d’emprise pour beaucoup de choses de la vie quotidienne.

Ce temps socialement disponible relève d’un espace-temps désencastré des impératifs d’une vie quotidienne salariée et domestique caractérisée par un faible développement des moyens de communication. Communiquer exige un temps qui a été considérablement réduit tout comme cela l’a été pour travailler et se déplacer.

C’est donc l’expression d’une tendance de fond, un progrès historique du à l’élévation des forces productives qui est en continuité d’autres, tels que l’eau courante, la machine à laver le linge, les plaques de cuisson électriques, etc. Le smartphone apparaît ici comme le prolongement du processus de civilisation au sens où il favorise la stabilisation et l’efficience de la vie quotidienne.

Mais évidemment comme chacun le sait, l’élévation technologique d’une société ne tombe pas du ciel. Elle se matérialise dans le cadre de rapports sociaux déterminés, actuellement dominés et orientés par le capitalisme et sa logique marchande. Tout cet espace-temps socialement disponible pour favoriser le développement des personnalités se retrouve pris dans une logique de consommation et de marchandisation.

Au centre de cette appropriation capitaliste du temps socialement disponible, il y a évidemment les réseaux sociaux qui sont devenus un moment central et incontournable des sociétés capitalistes. Une centralité apparue au cours des années 2010 et qui vue de 2023, soit un peu plus d’un an après deux années de confinement pour cause de pandémie de Covid-19, sonne comme une évidence.

Car au lieu d’user de cet espace-temps libéré pour approfondir ses connaissances universelles, pour développer son sens artistique, sa sensibilité, etc., le capitalisme en a fait un tremplin pour le déploiement tout à la fois de nouveaux espaces marchands et d’existences entrepreneuriales.

La contradiction est donc la suivante : il n’y a jamais eu autant de temps libre à disposition de la société par une élévation technologique ayant pénétré jusqu’à la vie immédiate des gens mais, dans le même temps, il n’y a jamais eu autant d’emprise des impératifs marchands dans le quotidien.

C’est que les smartphones, en fait surtout ses contenus algorithmiques, ne flottent pas en l’air mais s’inscrivent dans un ensemble social-historique qui est la société de consommation mature. Une société marquée par une fatigue psychique et une morosité collective qui ne tient que parce qu’elle génère des individus-égocentrés shootés à la dopamine, cette molécule du « bonheur » immédiat, générée par les réseaux sociaux.

L’absence de perspective collective est compensée par la satisfaction de « petits bonheurs » égocentrés réalisées heure par heure dans une journée généralement sans exaltation aucune. La perte de sens ou le triomphe du nihilisme « no futur » dans la société bourgeoise en décadence a comme pendant l’existence des réseaux sociaux comme sas de décompression psychique. Un sas qui peut également s’avérer être un espace de promotion d’un life style pour n’importe qui en quête d’un sens existentiel.

On peut être celui qui part faire « le tour du monde » tout comme le travailleur manuel qui valorise son expérience ou bien encore la femme moderne qui pense trouver un sens à sa vie en restant mère au foyer : tout est possible à partir du moment où l’on peut justifier son existence dans un espace valorisant et générateur d’un bonheur artificiel.

On peut donc affirmer sans peine que la généralisation de l’usage des réseaux sociaux est le prolongement de tout un ensemble culturel allant de la massification des drogues à l’idéologie du développement personnel.

Dans la société bourgeoise en décadence triomphent les Paradis artificiels de Charles Baudelaire avec une généralisation de subjectivités tout à la fois épuisées et hypnotisées par le temple de la valorisation marchande.

C’est dans ce contexte qu’on ne peut comprendre pourquoi toute perspective de changement d’envergure au XXIe siècle ne peut passer par la seule case de la « prise de conscience ». La « prise de conscience » exigeait un temps libre disponible pour réfléchir – au sens de refléter – sa propre vie individuelle dans un cadre plus large que son seul environnement immédiat mais dans la société toute entière.

L’élévation des forces productives dans son cadre capitaliste à la fin du XXe siècle a fini d’occuper un tel espace-temps pour le placer au seul service du capitalisme. À ce titre, le positionnement pratique par rapport aux réseaux sociaux marque l’ADN de tout mouvement ou organisation visant un changement des choses en profondeur.

Depuis la pandémie de Covid-19, un tournant a eu lieu et il est est dorénavant incontournable de passer par l’étape de la rupture. D’ailleurs la bourgeoisie cherche tant bien que mal à réguler le monstre qu’elle a elle-même enfanté sans en comprendre les tenants et les aboutissants.

En Chine mais aussi au parlement catalan en Espagne, des discussions ont eu lieu début novembre 2023 à propos d’un encadrement de l’usage du smartphone chez les adolescents. De la même manière un maire de Seine-et-Marne cherche à interdire l’usage du smartphone chez les enfants dans l’espace public de sa commune….

Dans une autre perspective a été fondé en 2021 « le Luddite Club », un regroupement de jeunes aux États-Unis qui souhaitent ce désintoxiquer du smartphone en revenant au téléphone basique sans connexion internet.

Le problème c’est que tout cela reste piloté par en haut dans le cadre d’institutions qui ne peuvent s’attaquer frontalement au problème, ou bien orienté en des termes petits-bourgeois unilatéraux qui ne dépassent finalement pas l’idée du développement personnel.

Lorsqu’on souhaite la révolution, la critique du smartphone doit s’orienter surtout sur les réseaux sociaux comme tremplin vers une remise en cause générale de la marchandisation capitaliste. On ne peut pas se séparer des réseaux sociaux sans viser un changement général de la société qui enfante une telle mutilation des personnalités.

Ce dont il s’agit, c’est de participer à la formation de subjectivités en rupture avec tout ce qui entrave la recomposition cognitive pour un changement collectif. L’objectif c’est de contribuer à former des brèches dans les interstices du quotidien pour redéployer une subjectivité émancipée de la marchandise.

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Nouvel ordre

L’emprise toujours plus importante du trafic de drogues

La drogue s’est infiltrée à tous les niveaux de la société. La France est aujourd’hui la championne de consommation de cannabis en Europe avec près de 5 millions de consommateurs annuels. Quant à l’ecstasy et la cocaïne, elle a pareillement explosé ces 20 dernières années avec des centaines de milliers de consommateurs par an pour un prix au gramme à Paris passé de 150 € il y a quelques années à 60/80€ aujourd’hui.

Tout cela sans compter sur une jeunesse qui a relativement délaissé « fumette » et alcool pour mieux expérimenter les drogues de synthèse tels que par-exemple les opiacés.

Cette explosion de la consommation serait impossible sans l’emprise accrue des mafias à tous les étages de la société, et notamment dans les sphères institutionnelles, à commencer par les douanes et la police mais aussi les ports, porte d’entrée sur l’Europe pour les mafias. Il suffit de voir les multiples faits divers concernant le personnel des docks des ports de France dans la presse ces dernières années pour s’en convaincre.

En novembre 2022, un rapport du sénat alertait d’ailleurs sur le risque que le France devienne un « narco-État » 2.0, quelques temps après qu’un docker du port du Havre, Allan Affagard, a été sauvagement tué par des mafieux liés au trafic de cocaïne le 12 juin 2020.

Aux Pays-Bas, la mafia est tellement conquérante qu’elle se permet de menacer la vie du Premier ministre Mark Rutte, l’obligeant à se balader en permanence avec des gardes du corps, tout comme en Belgique le Ministre de la Justice échappait de peu à une tentative d’enlèvement en septembre 2022.

C’est que la production et le trafic explosent, comme au port belge d’Anvers où ce sont 110 tonnes de cocaïne qui ont été saisies en 2022 contre seulement 16 en 2015, témoin de l’Europe comme débouché face à un marché américain saturé. Et les ports d’Anvers, de Rotterdam et du Havre sont naturellement les principales porte d’entrée.

Le rapport du sénat français appelle ainsi à la mise en place d’une opération « Mains propres » comme celle qui a eu lieu en Italie dans les années 1990 où le dévoilement de l’ampleur de la corruption aboutissait à la chute des deux principaux partis politiques au pouvoir depuis 1945. Un rapport sur une situation catastrophique qui est passée inaperçu.

Nous ne sommes plus en 1990 : une telle opération contre la corruption institutionnelle par les trafiquants de drogue en France aurait des conséquences bien plus profondes que celles encore dans l’Italie des années 1990. Car la réalité c’est que la France a abdiqué, comme l’atteste la prise en compte dès 2018 du trafic de drogues par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour le calcul de la richesse intérieure (PIB) de la France.

La France craque sous le poids de sa propre inertie d’ « en haut », avec une corruption institutionnelle de plus en plus massive, et d’ « en bas » avec un peuple apathique qui laisse les drames et la déchéance s’installer.

De manière générale, c’est tout un trait d’esprit national qui a failli. De la critique des « paradis artificiels » de Charles Baudelaire à la peinture naturaliste de l’Assommoir par Émile Zola, les français ont préféré relativiser pour finir par accepter la drogue (et ses conséquences) en ce début de XXIe siècle.

Une acceptation qui coûte déjà cher, très cher. Comme cette jeune femme de 24 ans tuée par des balles de kalachnikov dans son appartement après une descente de mafieux pour intimider des rivaux dans un quartier du 13e arrondissement de Marseille au cœur de l’été 2023. Une ville dont certains policiers évoquent sa « mexicanisation », notamment avec l’expansion de résidences privées ultra-sécurisées, tels les « gated communities » américaines.

Ou le drame sordide du 21 août 2023 dans le quartier Pissevin à Nîmes où un jeune garçon de 10 ans a été abattu de sang-froid dans une voiture alors qu’il revenait d’une soirée au restaurant avec son oncle et son petit frère de 7 ans.

Ces évènements apparaîtront demain comme le symbole d’un craquage général de la civilisation.

Un craquage d’autant plus frappant qu’il ne se passe rien à ce sujet alors qu’on peut avoir des semaines d’émeutes pour la mort d’une jeune délinquant routier… Et on assiste à une spirale négative puisque la seule perspective que semble offrir la bourgeoisie c’est la fuite en avant avec une légalisation du cannabis qui a pourtant montré ses effets pervers sur le renforcement des mafias et régressifs sur les plans sanitaires dans les États légalisateurs dans les années 2010, tels l’Uruguay dès 2013.

Même l’extrême-droite est aux abonnés absents, et c’est tout à fait révélateur. En 2023, il apparaît qu’en finir avec les drogues et leurs trafics ne peut passer par une simple « remise en ordre », une « fermeté policière et judiciaire » mais doit passer par la construction d’un nouvel ordre débarrassé des maux de l’ancien monde. « Il y a tout à revoir », voilà ce qui ressort de manière générale car la drogue et son trafic condensent l’ensemble des problèmes d’une société capitaliste en chute libre.

Il y a besoin d’un tel électrochoc général : viser la révolution dans ce pays ne peut se faire sérieusement sans avoir pour objectif le règlement de cette problématique populaire. Et tout le monde sait bien au fond de lui qu’au rythme où vont les choses, cela finira avec la constitution de milices populaires contre les dealers… et les consommateurs.

Il est même tout à fait probable que l’apparition d’un mouvement de ce type soit le prélude à l’enclenchement d’un processus plus large de remise en cause de l’ordre existant. Et dialectiquement de rétablissement de l’ordre tout court, mais nouveau, car socialiste.

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Culture & esthétique

Nescafé et le métissage avec la Cumbia

Nous sommes en 1981 et la multinationale Nestlé lance une campagne internationale pour son café soluble, Nescafé (dont le nom mixe Nestlé et Café). La chanson à l’arrière-plan atteint une formidable popularité, avec son air entraînant.

Voici la chanson utilisée pour la publicité, qui a atteint une grande renommée alors, tant en France (et d’autres pays européens) qu’en Amérique latine.

Par la suite, Nestlé a dû sacrément mettre à la poche et payer les ayant-droits. La chanson était en effet une reprise. C’est bien de la Cumbia, une musique colombienne d’esclaves africains passée au prisme des influences des Caraïbes et amérindiennes, tant au niveau des innombrables instruments que du tempo, du refrain, etc.

Cependant, la chanson originale de 1977 relevait de la Cumbia du Pérou, qui a eu une influence du rock psychédélique notamment. On est dans le métissage le plus complet, la synthèse en pleine action (les post-modernes diraient que c’est de la « réappropriation culturelle »).

Si la chanson originale n’est pas extraordinaire, la Cumbia péruvienne, ou Chicha, ou Cumbia tropicale andine, dispose d’un patrimoine exceptionnel, dont voici deux exemples résolument bluffants.

La chicha est née du départ de paysans andins pour la banlieue de Lima ; on est ici à une époque où ces zones, tant les Andes que les banlieues de Lima, vont justement former le bastion des maoïstes du Parti Communiste du Pérou (le fameux « Sentier lumineux » des médias).

La Cumbia dans sa version moderne est pour ainsi dire une musique typique de ces paysans débarquant dans l’urbanisation, avec la rencontre de la musique traditionnelle et de son souci populaire d’un côté, des instruments modernes et de l’approfondissement musical expérimental de l’autre.

On retrouve la Cumbia dans la plupart des pays d’Amérique latine suivant ce modèle. Voici un exemple d’Argentine, avec un sous-genre populaire-vulgaire qui eut son succès.

Chaque pays latino-américain a même repris la Cumbia à sa manière, ou emprunté un style d’un autre pays pour l’adapter à sa manière, pour le meilleur et le pire, car ce sont des musiques populaires et on tombe malheureusement aisément dans le côté facile, commercial.

Si on ajoute à cela que chaque région est très riche musicalement, cela donne une multitude sans fin de genres et de sous-genres de Cumbia, avec à chaque fois – en raison de l’esprit latino – une codification extrême du style dans l’apparence et la danse. C’est enjoué, mais cadencé, libéré mais très cadré, dans ce paradoxe typiquement latino-américain.

Rien que pour les variantes mexicaines cela donne comme liste de genre : Cumbia norteña, Cumbia Texmex, Tecnocumbia, Cumbia sonidera, Cumbia del sureste, Cumbia Sureña mexicana, Cumbia Andina Mexicana, Cumbia Banda, Cumbia saxofonera, Cumbia rock, Cumbia mariachi, Cumbia poblana, Cumbia peñonera, Cumbia texana, Cumbia ranchera, Cumbia grupera ou tecnocumbia, Cumbia estadounidense, Cumbia ska, Cumbia Tribalera, Electro Cumbia, Cumbia huapango/Cumbia huapanguera o de la huasteca y michoacana.

Voici un exemple avec la représentante de son propre style, la « Anarcumbia » à l’esprit féministe assumé, attention hypnose musicale garantie.

Pour finir, voici un mix de la nouvelle vague Cumbia chilienne, encore un témoignage du côté circulaire et entraînant de la Cumbia.

La publicité de Nescafé relevait classiquement de la « mondialisation » et on cerne ici bien les deux aspects. D’un côté, c’est du capitalisme, de l’autre il y a l’inexorable avancée dans la rencontre – fusion des masses mondiales.

Et ce on devine comment, même quand l’humanité sera unifiée, il y aura fusion et refusion dans un mouvement infini !

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Rapport entre les classes

La révolution sera t-elle une prise de conscience?

Quand on bascule dans le camp de la Révolution, on pense souvent deux choses. On se dit ou bien que les gens ne savent pas, ou bien qu’ils ne comprennent pas les enjeux du monde. Il s’agirait alors de « faire prendre conscience » sur tel ou tel évènement, telle ou telle problématique, etc.

Hier, alors que la grande masse des paysans ne savaient pratiquement ni lire, ni écrire, l’enjeu était bien de briser cette arriération pour mieux casser la dépendance au curé ou au notable. Il fallait en « prendre conscience » et quoi plus de simple quand la vie quotidienne était elle-même si pénible, si difficile ? En même temps, les difficultés de la vie, l’analphabétisme rendaient la tâche malaisée.

Aujourd’hui, il y a un fait inverse et tout à fait palpable : il n’y jamais eu autant peu de gens analphabètes dans le monde et pourtant les mouvements révolutionnaires n’ont jamais été aussi faibles. Alors qu’on comptait environ 12 % de personnes alphabétisées dans le monde en 1820, il y en a 87 % en 2021.

Il s’agit donc de réfléchir en sens inverse : et si les gens savaient ? Et si les gens avaient finalement compris les choses, au moins dans leur globalité ? Question inconfortable car cela place l’idée du « militant » dans un désert politique.

Évidemment, l’aliénation produit par le quotidien capitaliste ne permet pas de comprendre réellement les choses pour tout un chacun. Mais dans la société de consommation développée, il est évident que l’aliénation, c’est la « conscience » de ne pas vouloir comprendre et non plus simplement la seule dépossession de soi.

Ou plutôt : la dépossession de soi a atteint un tel niveau, une telle profondeur que tout processus conscient est lui-même subsumé par la marchandisation.

En réalité, cela montre que les choses avancent toujours plus vers la Révolution, car ce sont tous les espaces de la vie qu’il va s’agir de transformer.

Il faut bien voir que la majorité des expériences socialistes au siècle dernier ont eu lieu dans des pays arriérés, en majorité composés de paysans liés en grande partie à un quotidien répétitif basé en partie sur l’auto-suffisance.

La révolution se devait de passer par l’objectif socialiste du fait que la classe ouvrière était la seule classe sociale en mesure de porter le processus de formation nationale extirpé de son enveloppe féodale. L’enjeu prioritaire était la lutte contre le poids du féodalisme et, dans une perspective résolument démocratique, l’élévation du niveau d’éducation.

Forcément dans un tel schéma de vie, la révolution ne pouvait que passer par le stade d’une « prise de conscience » : il faut bien savoir pourquoi l’on se bat, au-delà même du fait d’améliorer son immédiat quotidien. Et quand il est parlé de savoir les choses, on parle de comprendre l’Histoire et ses modalités, d’appréhender sa dynamique et ses protagonistes, de se penser soi-même protagoniste etc.

Cela était encore vrai dans des pays comme la France de 1871. Raison pour laquelle Karl Marx a dit que les insurgés de la Commune de Paris « partaient à l’assaut du ciel ». La métaphore n’est pas que littéraire, elle représentait un cheminement historique évident, avec une classe ouvrière en cours de formation et péniblement émancipée d’une paysannerie rivée à la vie quotidienne d’ancien régime.

Il a fallu encore plusieurs décennies à la bourgeoisie française pour élever le niveau culturel de la paysannerie française et finir par l’arrimer à sa République. La voie socialiste de cette étape ayant échoué avec la faillite des héritiers de la Commune de Paris qui refusèrent le marxisme au profit de bricolages idéologiques.

Toujours est-il que le drapeau rouge, le marteau et la faucille, l’Internationale étaient autant de symboles qui illustraient l’idée que la révolution, c’était un peuple faisant l’Histoire en connaissance de cause. Aller parler de cela à un ouvrier aujourd’hui, il pourra trouver cela intéressant, mais espérer que cela le raccorde au fil historique de la lutte des classes est voué à l’échec.

Évidemment, tout cela est fort différent pour les pays du tiers-monde, où la question nationale encore non résolue rend nécessaire la prise de conscience d’un fil historique perdu… Comment par exemple régler la question ukrainienne sans passer par la connaissance du processus historique de formation de sa nation ? Tout comme la libération nationale palestinienne ne peut faire l’économie d’une prise de conscience de la trajectoire historique des peuples et nations constituées dans cette zone géographique, pour ne prendre que des exemples actuels.

Dans les nations riches constituées de longue date par contre, le capitalisme ce sont des ouvriers maniant des machines et procédures toujours plus complexes, des employés de service utilisant des réseaux informatiques sophistiqués, tout cela dans un mode de vie confortable exigeant donc des niveaux de connaissances et d’analyse plus qu’élevés.

De fait, ce sont des des gens épuisés par une vie quotidienne rythmée par les impératifs marchands d’un capitalisme pleinement développé à tous les niveaux de la vie.

Ce n’est donc pas que les gens ne veulent pas savoir, c’est qu’ils ne peuvent pas vouloir savoir les choses, bien qu’ils aient des dispositions cognitives plus importantes que le paysan du XIXe ou l’ouvrier des années 1920.

On ne peut être un protagoniste conscient dans telles conditions historiques. La révolution intervient alors dans un contexte de fatigue morale et psychique mais avec des capacités cognitives plus qu’approfondies.

Cette contradiction ne peut qu’impliquer des décrochages subjectifs sans « prise de conscience » vers l’engagement révolutionnaire mais dans une quête révolutionnaire en négatif, dont le carburant n’est rien d’autre que le crash généralisé de l’ancien monde.

Et c’est une réflexion incontournable à ce sujet dont nous avons besoin, aussi.