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Refus de l’hégémonie

Engagez-vous contre la guerre !

Emmanuel Macron, le chef d’état-major de l’armée britannique, le ministre allemand de la défense, le président polonais, le président du Conseil européen et tant d’autres ont tous en commun de l’avoir répété : si tu veux la paix, prépare la guerre.

Voilà la réalité historique qui est devant nos yeux : les bourgeoisies européennes se préparent à faire la guerre à la Russie. À ces mots s’ajoutent des actes avec une remontée en puissance des budgets d’armements, de la masse militaire, des lignes de production de guerre.

Du point de vue populaire, s’il était possible de s’en tenir à l’appel à une solution diplomatique avant février 2022, avant d’espérer une paix imposée par le peuple jusqu’au 26 février 2024, la situation exige dorénavant un engagement éprouvant contre la guerre.

Et les français ont une responsabilité importante. Car depuis les propos d’Emmanuel Macron du 26 février 2024, la bourgeoisie française a décidé de prendre le relais de la puissance américaine en Europe en assumant d’être le leader politique et militaire de la préparation de la guerre à la Russie.

Car dans tous les cas de figure, la France capitaliste d’aujourd’hui, c’est la faillite générale demain. En vaut pour preuve l’explosion du déficit public, l’endettement colossal du pays alors même que le budget militaire français s’est renforcé et qu’on s’apprête à des coupes claires dans les budgets de santé et sociaux.

Dans un tel contexte, les simples appels à la paix ne servent qu’à laisser le terrain libre aux diplomates chargés de gagner du temps pour mieux permettre les préparatifs militaristes. Dorénavant, la paix, c’est seulement la pacification sociale, l’abdication envers la cause du Socialisme.

Nous sommes en 1911. Comme le remarquait Rosa Luxemburg cette même année dans sa critique des « Utopies pacifistes » :

Le militarisme est étroitement lié à la politique coloniale, la politique douanière, la politique mondiale, (…) par conséquent les États actuels, s’ils voulaient sérieusement mettre un terme à la course aux armements, devraient commencer par désarmer leur politique commerciale, abandonner le pillage colonial ainsi que la politique étrangère des sphères d’intérêt dans toutes les parties du monde, en un mot faire exactement le contraire de ce qu’est l’essence de la politique actuelle d’un État de classe capitaliste en politique extérieure comme en politique intérieure.

En 2024, le démantèlement de la Russie est devenue la condition de la relance du capitalisme français. Militarisme et capitalisme sont dès lors imbriqués dans une danse macabre : il n’y a plus de retour en arrière possible, tout le futur est conditionné par cet objectif stratégique. Par conséquent, la pressurisation sociale va s’accentuer, la situation intérieure continuer à se dégrader avec les violences anti-sociales, les trafics et la consommation de drogue, l’ultra-individualisme généralisé, la tolérance avec les mœurs féodales. Tout cela parce que la prétention de la bourgeoisie à encadrer et diriger la société se voit englouti par le militarisme…

De deux choses l’une, ou bien la bourgeoisie française réussie son plan et se relance au prix d’attaques générales contre les conditions de vie populaire et la nature pendant une décennie, ou bien la lutte des classes portée par la classe ouvrière refait surface et ouvre une nouvelle ère.

Or, comment dans une telle situation les travailleurs ne peuvent -ils pas être viscéralement opposés à leur bourgeoisie qui les embarque dans un projet de mort pour conserver sa part du gâteau de la « mondialisation » ? Une opposition qui va s’avérer douloureuse car les gens ont cru au mirage de l’accès au pavillon, à l’illusion de la vie à crédit, de la guerre limité aux confins du tiers-monde.

Après avoir vu sa vie coulée dans le béton de la « paix capitaliste », c’est la nécessité de reprendre le flambeau de la révolution sociale dans l’opposition à la guerre qui refait surface en ce printemps 2024. Un retour de bâton d’autant plus terrible que règne une grande confusion intellectuelle dans la population.

Dans les couches populaires, trop investis dans le travail manuel, il n’est pas pensé que la guerre soit « possible » du fait que la France, ce pays en déliquescence, ne peut se le permettre. Tout cela ne serait pas sérieux. Il y a là une considération juste sur le fait que les préparatifs matériels n’en sont qu’à leur début et qu’une guerre moderne prend du temps. Mais en même temps, la mise en place très concrète des préparatifs sont niés, ce qui n’aide pas à la prise de conscience.

Ouvriers, salariés, oui la France est une puissance en déclin, c’est pour cela qu’elle se précipite dans la guerre contre la Russie ! Hier comme aujourd’hui, la bourgeoisie déclinante fera toujours passer ses profits avant vos vies ! Oui il y a un plan, un budget, des préparatifs de guerre en cours, sabotez-les avant le déluge !

Quant aux couches dirigeantes, trop sûre de leur investissement dans le travail intellectuel, il faudrait dévoiler les propos des chefs d’Etat, à commencer par ceux d’Emmanuel Macron énoncés depuis le 26 février 2024. Tout cela serait en réalité un habile travail diplomatique visant à faire reculer la Russie… On a là aussi un aspect des choses qui manque la tendance de fond, celle de la guerre de repartage impérialiste comme tendance inéluctable.

Cadres d’entreprises, fonctionnaires, ne soyez pas dupes de la situation, le 24 février 2022 a montré que la diplomatie ne dure qu’un temps ! La guerre généralisée est l’issue terrible de la situation actuelle ! Refusez d’être un rouage idéologique de la machine de guerre qui se met en place !

Les personnes qui ont saisi la nécessité de se battre contre la marche à la troisième guerre mondiale doivent prendre conscience de la nature idéologique et culturelle de la bataille. Il faut se confronter à l’état d’esprit national français : celui du relativisme, du rationalisme, du scepticisme.

Concrètement cela se traduit par l’idée qu’il faudrait tout peser ; relever le pour et le contre, établir les « possibilités » alors qu’il s’agit d’une tendance de fond irrépressible même si elle se développe de manière sinueuse, avec des va-et-vient entre tensions et apaisements.

Etudiez les classiques du mouvement ouvrier d’avant 1914, lisez Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Clara Zetkine, Lénine, phares de l’Humanité face à la barbarie de 1914. Retenez et appliquez la leçon si juste du communiste allemand William Pieck en 1935, qui était social-démocrate aux côtés de Rosa Luxembourg puis a affronté les nazis :

« Rien ne saurait être plus dangereux que l’illusion qu’on peut ajourner la lutte contre la guerre impérialiste jusqu’au moment où les impérialistes déclaraient leur guerre criminelle. »

La course contre la montre est lancée. Chaque jour peut voir les choses déraper : n’oubliez pas que la Première Guerre mondiale est sorti d’un fait divers qui a suffit de tout enflammer en quelque semaines. Moins des pans entiers de la population s’investissent dès maintenant, plus il sera difficile d’organiser les choses quand les choses vont sentir le roussi.

La lutte doit se construire aujourd’hui dans le but d’assumer le rapport de forces nécessaire demain, c’est une question de préservation de la vie face aux entrepreneurs de mort.

Vous qui avez compris que nous étions engagés dans un mécanique similaire à celle d’avant 1914, saisissez-vous du matériel d’agitation anti-guerre ! Collez les affiches anti-guerre, diffusez des tracts, imprimez et collez des autocollants, organisez-vous !

Brisez vos illusions, cessez d’être spectateur du déluge qui vient ! Osez sortir du carcan de la société de consommation ! Contre la guerre, un chemin s’ouvre pour une nouvelle vie radieuse ! Devenez protagoniste de l’Histoire !

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Planète et animaux

Chicago 1905, le socialisme et les animaux

En 1905, l’écrivain Upton Sinclair publie sous la forme de feuilletons La Jungle dans le journal socialiste Appeal to Reason. Un roman-reportage qui témoigne des pires horreurs des abattoirs de Chicago et va provoquer un véritable scandale tant il dévoilera aux yeux du grand public la face cachée de la fabrication en masse d’aliments à base de viande.

Derrière, c’est le capitalisme américain que l’on retrouve dépeint et qui va conquérir l’ensemble de l’Occident jusqu’à façonner l’ensemble de son industrie agroalimentaire. Et surtout il va généraliser la barbarie industrialisée envers les animaux à la base de la société de consommation.

Les usines à viande de Chicago en 1947

C’est de ces chaînes automatisées d’abattage qu’Henri Ford puisera son inspiration pour réaliser ses chaînes d’automobiles et ainsi systématiser tout un mode d’organisation du travail mis au seul service d’une minorité capitaliste.

Les animaux… Un thème moins mis en avant à l’époque face au drame vécu par les ouvriers et aux méthodes insupportables déployées par les industriels pour falsifier la qualité de leur nourriture tout en la vendant aussi chère. Jusqu’à vendre des produits issus de cuves dans lesquelles des ouvriers sont morts dans des accidents de travail…

Et pourtant, on y trouve également un passage où un philosophe, Schliemann, passionné de diététique, vivant parmi les ouvriers de Chicago et participant aux réunions du Parti socialiste affirme des choses qui sonnent si justes. Si justes car, malgré le temps perdu, elles attestent de l’inéluctable fusion de la cause animale avec le Socialisme…

« Schliemann reprit son souffle quelques instants avant de poursuivre :

– Et puis il faut ajouter à cette production agricole illimitée la récente découverte de certains physiologistes qui affirment que la plupart des troubles dont souffre le corps humain sont dus à la suralimentation !

Qui plus est, il a été prouvé que l’homme peut se passer de viande. Or celle-ci est évidemment plus difficile à produire que les denrées d’origine végétale, plus déplaisante à préparer et à manipuler, plus délicate à conserver. Mais qu’importe, n’est-ce pas, du moment qu’elle nous flatte plus agréablement le palais.

— Comment le socialisme peut-il changer ces habitudes ? se permit de demander l’étudiante. C’était la première fois qu’elle intervenait.

Tant que le salariat sera de règle, répondit Schliemann, il sera toujours facile de trouver des bras pour s’acquitter des tâches les plus avilissantes et les plus répugnantes.

Mais, dès que le travail sera libre, le prix de ce genre de besogne augmentera. On abattra une par une les vieilles usines sales et insalubres, car il sera moins onéreux d’en bâtir de nouvelles.

On équipera les bateaux à vapeur de machines capables d’alimenter automatiquement les chaudières, on éliminera les risques dans les métiers dangereux ou on élaborera des produits de substitution pour les substances toxiques actuellement utilisées.

De la même façon, chaque année, au fur et à mesure que les citoyens de notre République industrielle verront leurs goûts s’affiner, le coût des produits carnés augmentera, si bien, qu’un beau jour, les amateurs de viande devront tuer eux-mêmes les bêtes qu’ils mangent.

Combien de temps croyez-vous, alors, que la coutume survivra ? »

Aujourd’hui, alors que le 21e siècle est déjà largement lancé, tout cela résonne profondément, malgré la naïveté du propos. L’humanité a acquis une conscience avec une telle ampleur qu’il y a des évidences qui s’imposent.

Et ce n’est pas pour rien justement que le capitalisme se débarrasse de la cause animale, en faisant quelque chose d’anecdotique, et que la vieille gauche emprisonnée dans des traditions du siècle dernier ou de l’agitation superficielle est incapable d’aborder la question des animaux.

Penser aux animaux, c’est inévitablement exiger la révolution, c’est assumer que rien n’est possible sans le renversement de l’ordre établi. C’est porter la conscience de la Société nouvelle, du Socialisme !

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Rapport entre les classes

La victoire du capitalisme, c’est l’écrasement de l’Histoire

Quand on pense au Capital de Karl Marx, on a souvent en tête une œuvre « économique » qui vise à la critique scientifique du mécanisme d’exploitation proprement capitaliste. C’est là une vue réduite, simpliste qui masque son envergure idéologique générale.

Car le fil conducteur de l’œuvre est contenu dans son sous-titre, très souvent effacé : critique de l’économie politique. Ce simple rappel démontre à lui seul combien Karl Marx ne visait pas un travail « économique », mais un travail de critique qui, par définition, ne peut-être qu’idéologique, et donc historique.

Le Capital, c’est la découverte des processus historiques dans le mécanisme de l’Histoire. Ce n’est pas simplement que l’Histoire se fonde sur la transformation de divers modes de production, mais que l’Humanité, de l’individu jusqu’aux rapports collectifs, s’entrecroise dans des dynamiques contradictoires pour satisfaire des besoins qui sans cesse s’approfondissent.

Ainsi, lorsque par-exemple il est analysé la « journée de travail », il n’est pas analysé seulement un rapport momentané d’exploitation, mais une mise en relation au long terme, non pas entre deux individus, mais entre des conjonctures historiques prenant la forme de classes sociales, constituées sur le long terme.

De la même manière que la critique de la marchandise se clôt par le passage bien connu sur son fétichisme qui dévoile précisément le fait que toute marchandise est avant tout le produit d’une interconnexion prolongée de milliers de personnes.

Karl Marx a ouvert le champ de l’Histoire à tous les étages de la vie humaine en en dévoilant sa clef essentielle : le développement toujours plus accru des capacités productives pour la satisfaction des besoins humains. Une clef qui se devrait d’être mise en exergue partout dans les arts, mais qui dans le capitalisme arrivé à pleine maturité est savamment effacée.

Car dans une société où le fétichisme de la marchandise règne de toutes parts, c’est l’usage du neuralyzer des Men in black qui se généralise : tout impact sur la conscience doit être effacé, écrasé. C’est vrai dans la politique, mais aussi dans l’art et dans les relations sociales, sentimentales.

Il suffit de voir une personne sur Tiktok. Que reste-il sinon une approche immédiate du présent dans le présent lui-même ? Ou bien encore, une personne qui flirte sur une application de rencontre, qu’y a t-il si ce n’est une médiation directe avec autrui sans égard pour le passé, et surtout pour l’avenir ?

Il y a aussi cette disparition, si caractéristique de notre temps, des ornementations sur les bâtiments. L’ornementation d’un édifice a toujours été l’illustration d’une époque, sa mise en perspective historique. Le fait de n’avoir plus que de simples cubes en béton illustre comment la bourgeoisie en décadence a balancé par-dessus bord toute mise en perspective d’elle-même, mais donc aussi de la société toute entière. Il ne reste plus qu’une fonctionnalité immédiate, sans ancrage dans un processus au long court.

Car l’Histoire, ce n’est pas seulement la lecture du passé dans le passé, c’est avant tout l’avenir contenu dans le passé et le passé lu dans l’avenir. On saisit les tendances lorsqu’on embrasse l’ensemble du mouvement, et cela est vrai autant du point de vue collectif qu’individuel. On ne peut pas avancer soi-même sans avoir une lecture de son propre avenir dans l’avenir collectif et cela nécessité forcément une approche de son passé, de ses erreurs, de ses avancées, etc.

L’Histoire ce n’est donc pas la séparation comme le veut la bourgeoisie du passé avec le présent et avec l’avenir, mais c’est inversement la synthèse à un moment du passé dans l’avenir et de l’avenir dans le passé.

Évidemment une telle conception, si utile pour le développement du genre humain, est impossible dans le capitalisme qui fige un présent illusoire pour mieux dérouler le tapis de la consommation dans l’océan des intérêts privés. Il ne faut ni passé, ni futur car l’un comme l’autre place la conscience individuelle devant la morale et l’universel. Et comme on le sait, morale et universalisme sont à l’opposé même de la société marchande développée…

C’est la raison pour laquelle l’enjeu du XXIe siècle est la bataille pour l’Histoire. L’Histoire non pas formellement, non pas seulement du point de vue de la critique de l’économie politique, mais dans son noyau essentiel, c’est-à-dire le mouvement contradictoire universel pour tous les phénomènes de la vie.

Si le capitalisme isole et mutile dans un présent illusoire, alors la révolution ne peut que connecter et émanciper dans un futur qui se saisit dans la lecture du passé. De fait, le présent n’existe pas et le Socialisme a ce rôle de généraliser cette manière de voir les choses à travers la planification des moyens de satisfaire et d’élargir les besoins sur une base harmonieuse.

C’est dans ce sens que les maoïstes du PCF (mlm) ont proposé récemment une nouvelle orientation partisane, celle du Parti matérialiste dialectique.

Si on regarde justement l’Histoire, on ne peut que constater que toute bataille révolutionnaire ou démocratique se situe dans l’affirmation de l’histoire comprise comme mouvement de transformation des anciennes choses en de nouvelles. C’est vrai pour les démocrates de la réforme protestante, mais aussi pour les idéologiques des Lumières, cela ne se limitant pas à la seule forme des régimes politiques mais aussi à toute les choses de la vie quotidienne.

Et cela ne peut être que d’autant plus vrai devant la question écologique qui place la classe révolutionnaire devant une responsabilité d’envergure, celle d’introduire son histoire particulière dans le grand tout de l’Univers et de la planète-terre considérée comme Biosphère.

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Culture & esthétique

Des halles socialistes plutôt que des zones commerciales

Avec l’essor de la commande en ligne et des livraisons à domicile (ou points relais), le capitalisme s’enfonce tout en essayant de résoudre ses propres contradictions. La décadence d’un mode de production est justement complet quand même les solutions aux problèmes sont de nouveaux problèmes.

Depuis les années 1950, la société marchande a connu un véritable bond en avant, développant une multitudes de possibilités de consommation. D’un côté cela veut dire que l’abondance des biens est un progrès immense qui permet de vivre confortablement, si l’on vit dans un pays développé. D’un autre côté, cela signifie que la tendance au monopole et la mise en concurrence produisent un éparpillement. En pratique, pour trouver ce que l’on cherche il faut se rendre dans plusieurs enseignes au lieu d’une seule et souvent cela veut dire faire des kilomètres, perdre du temps et ne plus s’y retrouver.

Cela est particulièrement palpable au moment des fêtes dans la mesure où l’on veut mettre la barre haute, que ce soit en faisant des cadeaux ou préparant des repas conviviaux, mais c’est surtout une réalité qui pèse toute l’année pour ses courses au quotidien.

Galeries Lafayette, boulevard Haussman, Paris (1894, coupole 1912)

Dans un magasin A on trouve de la nourriture pour animaux correcte, dans un magasin B comment s’alimenter sainement de manière vegan, dans un magasin C le meilleur rapport qualité prix pour des produits de base, dans un magasin D l’ambiance sera moins oppressante que le magasin C mais on ne trouvera que peu de choses, ainsi de suite. C’est un vrai casse-tête du quotidien qui se multiplie dans tous les domaines de consommation.

Il ne faut pas négliger cet aspect dans la tendance à l’augmentation des achats en ligne, du recours au « drive » ou à la livraison de ses courses à domicile : il y a une tentative de résolution de ce chaos à l’échelle individuelle. Et comme cela touche l’organisation du quotidien, ce sont principalement les femmes qui ont recours à ces services.

Certes beaucoup apprécieront de faire les boutiques, mais au quotidien naviguer de zones commerciales en supermarchés en zones piétonnes, de tours de ronds-points en embouteillages et recherche d’une place de parking, c’est tout bonnement intenable.

Dans ce cadre, il faut maintenir un certain rythme, un certain standing et avec le développement anarchique des enseignes et des produits visant simplement à satisfaire des niches, rien n’est uniformisé, homogénéisé, centralisé, simplifié et surtout rendu plus agréable. Le temps libre se transforme en un long cauchemar quand il faut se confronter à ces espaces labyrinthiques d’une grande laideur. À ce titre on voit bien l’évolution esthétique de la bourgeoisie rien qu’en comparant un centre commercial d’après les années 1970 avec une galerie marchande de la fin du XIXe siècle. Entre vecteur de beauté et décadence capitaliste.

Grand Magasin à dimension populaire, Paris (1856)

Les centre commerciaux ont été imaginés chacun comme une flânerie à l’abri des intempéries, mais dès qu’une agglomération dépasse quelques milliers d’habitants ce sont plusieurs centres commerciaux, voire zones commerciales qui se font concurrence, et alors cela se transforme en course contre la montre quotidienne. À moins d’être chanceux, il faut choisir entre rationaliser ses lieux de consommation avec ses trajets domicile travail ou faire de choix plus culturels ou sain au prix de beaucoup de temps et d’argent.

En soi cela ne pose aucun problème pour le capitalisme que le temps libre du travailleur soit dédié à ce genre de course à la consommation. Mais le besoin de sérénité et surtout de rationalité trouve toujours un chemin !

Celui-ci pourrait être celui de remettre en question une vie quotidienne dictée par les lois du profit et sa laideur. Mais en l’absence de perspectives la remise en question est remplacée par un repli sur soi et une participation à l’extension de la consommation capitaliste à la sphère privée.

Avec le développement des plateformes d’achats en ligne, de la livraison et des « drive », le capitalisme exploite ses propres failles en compensant l’absence de l’objet convoité par un « parcours client » virtuel amenant à la compulsivité.

Passage Pommeraye, Nantes (1843)

Là où en allant en ligne on pensait gagner en tranquillité tout en supprimant la tentation des packaging et de la mise en rayon en faisant son panier en ligne, les publicités ciblées se chargent de rappeler qu’on ne s’est mis à l’écart de rien du tout, que la capitalisme se glisse dans la moindre pensée de manière perfide.

La seule échappatoire est politique et sur ce sujet là, il n’est pas compliqué d’avoir un minimum d’utopie car on peut faire beaucoup mieux. Alors, que serait un lieu de distribution de la marchandise tout à fait socialiste ?

Tout d’abord, le socialisme permet d’unifier les différents monopoles et ainsi de supprimer l’éparpillement des produits tout en réduisant le volume de l’inutile grâce à la planification. Il est donc possible de rendre la distribution des produits plus claire. Surtout cela permet de satisfaire la qualité des produits dans l’abondance générale. Car à y regarder de près, le capitalisme prétend à l’abondance en ne parvenant pas à répondre à la qualité, sauf à appartenir aux classes les plus riches de la société.

La « publicité » doit être limitée à promouvoir des bonnes habitudes de salubrité et à présenter les nouveaux produits élaborés dans ce sens. Cela diminue le stress psychique au quotidien et au moment des courses. Ainsi, les dépenses compulsives en raison de prétendues promotions sont éliminées.

Passage Balthus, Autun (1848)

Le moment des courses est replacé au centre de la vie quotidienne et doit pouvoir s’effectuer à moins de dix minutes de chez soi, sans prendre la voiture puisque les voitures sont bannies du quotidien du plus grand nombre.

La fin des voitures étant nécessaire pour réduire l’étalement urbain, il est évident que les zones commerciales seront repensées soit pour ramener la nature dans et aux abords des villes, soit pour créer de nouveaux centres-villes là où les grandes villes et zones commerciales avaient absorbés l’activité des bourgs secondaires. Dans le cas de cette seconde option, les nouveaux magasins socialistes sont une structure centrale pour reconstruire la vie collective dans les déserts urbains capitalistes.

On trouve une halle dans chaque quartier dans les grandes villes, celles-ci sont adaptées au nombre d’habitants par leurs dimensions et la quantité de produits, mais le choix est aussi large dans les bourgs modeste que les grandes villes. Les halles participent à l’attractivité et ainsi au rééquilibrage démographique entre ville et campagne.

La forme du lieu où faire ses courses pourrait être empruntée aux halles ou galeries marchandes puisque cela permet d’éviter les « parcours clients » des hypermarchés de la société actuelle au milieux de rayons de marchandises dont l’achat n’est pas prévu. Les galeries sont un ensemble de boutiques thématiques approvisionnées essentiellement de la marque issue des monopoles précédemment socialisés.

Ainsi, on a d’une part l’alimentaire sec, de l’autre les fruits et légumes, ou encore la parapharmacie, les produits d’entretien, etc. La qualité est mise en avant car mise à disposition du peuple tout entier, que cela concerne l’alimentation, l’habillement, l’ameublement, etc.

Les galeries sont couvertes et il est possible de ramener les chariots jusque chez soi, jusqu’aux prochaines courses. Pour les personnes âgées et le parent faisant les courses en présence d’enfants en bas âge, les halles emploient des personnes affectées à l’aide aux course et à la restauration du lien social.

Coupole en vitrail dans le magasin Printemps (Paris) reconstruit en style néo-classique en 1883

Le beau redevient un critère essentiel aux nouvelles constructions, y compris pour les halles. Leur architecture se réfère au classicisme et les ornements empruntent à différents courants figuratifs du classicisme à l’art nouveau.

Les halles socialistes sont réellement des lieux de flâneries où l’on se croise aussi bien à faire ses courses qu’à admirer les bas reliefs, tableaux, vitraux et statues représentant la Nature, les animaux ou des moments clefs de l’Histoire de l’humanité. Ce lieu, comme le reste des villes et communes populaires sont décorés avec goût pour fêter les solstices et les dates clefs de l’Histoire mondiale du mouvement ouvrier.

En somme une halle socialiste se doit d’être un carrefour entre le musée, l’architecture et la satisfaction des besoins humains. La halle a comme aspect principal de mettre en exergue le contrôle par le peuple des forces productives permettant de satisfaire les besoins. Contrairement aux grands magasins bourgeois, les halles socialistes ne font pas dans la démesure, l’objectif est de faire du beau simplement, et néanmoins répandu sur tout le territoire.

Retrouver des lieux de consommation agréables ne pourra se faire qu’avec le socialisme puisque les modalités d’accumulation du capital poussent à réduire le bâtis au fonctionnel et poussent ceux-ci en dehors des villes. Cette incapacité à faire du beau, de la qualité et de l’écologique est d’ailleurs une des choses qui va pousser inéluctablement l’Humanité dans l’ère du Socialisme.

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Planète et animaux

« Une classe de travailleurs oubliés »

Publié en juillet 1888 dans « La Revue Socialiste » de Benoît Malon, ce petit article de Charles Gide est illustratif de la naissance de la Cause animale à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Il témoigne de la proximité historique, pour ne pas dire de la coopération entre certaines vies animales et la classe paysanne, puis ouvrière, dans le labeur quotidien. Une coopération qui ne pouvait que participer à une éthique amenée à se renforcer dans la grande cause de l’émancipation sociale.

C’est là un repère important pour quiconque veut défendre la Cause animale du point de vue de la Gauche historique, contre les artifices petits-bourgeois.

« UNE CLASSE DE TRAVAILLEURS OUBLIÉS

Je veux ici plaider la cause d’une classe particulière de travailleurs et de salariés : — classe nombreuse, car ses membres se comptent par millions — classe misérable, car pour obtenir de quoi ne pas mourir de faim, ils sont assujettis au travail le plus dur, à la chaîne, et sous le fouet ; —- classe qui a d’autant plus besoin de protection qu’elle est incapable de se défendre elle-même, n’ayant pas assez d’esprit pour se mettre en grève et ayant trop bonne âme pour faire une révolution ; je veux parler des animaux, et en particulier des animaux domestiques.

II semble que les travailleurs-hommes devraient avoir certains sentiments de confraternité pour les travailleurs-animaux, ces humbles compagnons de leurs travaux et de leurs peines. Mais non ! et on pourrait croire au contraire, qu’ils cherchent à se venger sur eux de l’injustice du sort. Dans notre région du Midi, peut-être plus que dans toute autre, on est dur pour les animaux, et dans cette ville même (Montpellier), on sait bien que les courses de taureaux constituent le divertissement populaire par excellence et que le sang des taureaux et des chevaux, confondu dans l’arène, est comme la monnaie avec laquelle s’achètent les suffrages des électeurs.

Jean-François Millet, Des paysans rapportant à leur habitation un veau né dans les champs, 1864

Hé bien ! il faut avoir le courage de dire qu’aussi longtemps que de semblables mœurs régneront, il n’y a pas lieu d’espérer que les hommes réussissent à se faire une idée claire de ce que c’est que la justice, ni bien moins encore qu’ils parviennent à la réaliser dans leurs relations sociales.

Et qu’on ne hausse pas ici les épaules en disant que autre est la justice vis-à-vis de nos semblables, et autre la justice vis-à-vis des animaux. La justice est Une, au contraire, une pour tous. Tout être en ce monde, par cela seul qu’il sent, qu’il souffre, qu’il travaille, a des droits et des droits qui sont sacrés. A bien plus forte raison quand il s’agit de ces êtres qui font vraiment partie intégrante de la famille, puisqu’ils, sont les amis de la maison et les hôtes du foyer.

Nos langues modernes ont un beau mot qui était inconnu aux anciens, ou que du moins ils ne prenaient point dans le même sens, c’est le mot d’HUMANITÉ. Le sens d’abord étroitement circonscrit s’est peu à peu élargi, et l’élargissement progressif de ce terme marque et mesure le développement de l’idée de justice en ce monde ; on y a fait rentrer successivement tous ceux qui d’abord avaient été laissés en dehors, l’esclave qui n’était qu’une chose, l’étranger dont le nom était synonyme d’ennemi, la femme qui n’était qu’un instrument de reproduction ou.de plaisir.

Mais il y a encore un pas à faire, et si paradoxale à première vue que paraisse une semblable affirmation, il faut affirmer que les animaux aussi font partie de l’humanité.

Jules Jacques Veyrassat, labour, XIXe

Les savants se font forts de nous démontrer que les animaux sont nos frères dans le sens littéral du mot ou tout au moins nos cousins germains en ce sens que nous descendons eux et nous d’un ancêtre commun et que par conséquent le même sang coule dans nos veines. A vrai dire, cette voix du sang n’a pas l’air d’inspirer à nos savants des sentiments très-tendres.; elle ne les-empêche pas, en tout cas, de soumettre nos infortunés cousins à d’abominables tortures pour chercher, sous prétexte de vivisection, ce qu’ils ont dans le ventre.

Je ne suis pas bien sûr d’ailleurs que cette doctrine soit parfaitement établie ; je ne sais pas trop si les animaux sont nos frères par les lois de l’hérédité et par le fait d’une commune origine ; mais ce que je sais bien — et cela me suffit — c’est qu’ils sont nos frères par le fait d’une association indestructible dans le travail et dans la peine, par la solidarité de la lutte en commun pour le pain quotidien.

Que les hommes descendent ou non des animaux, toujours est-il qu’avant que l’homme parut sur cette terre, les animaux y étaient déjà. Dans la grande famille des créatures vivantes, ils sont nos aînés ; sans leur aide, jamais nous ne nous serions tirés d’affaires ; ils se seraient fort bien passés de nous, mais nous, nous n’aurions pu nous passer d’eux. Sans le chevalet, le chien qui lui ont permis d’atteindre le gibier ou de garder les troupeaux ; sans le bœuf qui lui a permis de labourer, la terre et l’a acheminé ainsi par l’agriculture à la civilisation, jamais sans doute l’homme n’aurait pu franchir les premières étapes du progrès : il serait encore à cette heure dans l’affreux dénuement de ces indigènes australiens qui se nourrissent de terre et peut-être au-dessous même de ces pauvres animaux qui lui ont fait la courte échelle et qu’il regarde aujourd’hui avec un orgueil de parvenu !

Ce sont eux qui, de leur chair, nous ont fourni les premiers aliments, de leur peau ou de leur laine, nos premiers vêtements, de leurs os ou de leur corne, nos premières, armes. Encore à cette heure, le meilleur de ce que nous avons, c’est à eux que nous l’empruntons. Faibles, frileux et nus, nous leur avons pris leur toison pour nous vêtir, leur fourrure pour nous réchauffer, leur soie pour nous parer; misérables va-nu-pieds que nous étions, nous leur avons pris leur cuir pour nous faire des chaussures ! Nous les avons dépouillés de tout ce qu’ils portent sur eux comme des voleurs embusqués au coin d’un bois pour nous le mettre sur le corps. Nous leur devons tout, ils ne nous doivent rien.

Voilà pourquoi, si la réciprocité des services n’est pas un vain, mot, les animaux ont droit à notre pitié : et ce n’est point assez dire : ils ont droit à notre justice — et ce n’est point encore assez : ils ont droit à notre respect !

Pour protéger les faibles contre les abus de la force, on ne connaît jusqu’ici que deux moyens’ : l’intervention du législateur ou l’association des faibles entr’eux.

Quant au législateur, il s’est décidé à intervenir en faveur de ces faibles dont nous parlons ici, quoique d’une façon bien timide. La loi dite Grammont qui punit les mauvais traitements envers les animaux domestiques de peines légères, quoique souvent raillée, n’en restera pas moins un des titres d’honneur du XIXe siècle et elle suffira peut-être au regard de la postérité pour racheter bien des défaillances.

Quant à l’association, les animaux ne pouvant y recourir pour leur propre compte et ne pratiquant pas encore les associations professionnelles, c’est à leurs amis qu’il appartenait d’en créer une destinée à les protéger : c’est ce qu’ils ont fait en effet et c’est ainsi qu’est née la Société protectrice des animaux, autre sujet de raillerie pour les esprits bornés. Peu importe ! elle représente une grande idée…

Julien Depré, dans le pâturage, 1883

Je sais bien quelle est l’objection qu’on ne manque pas de faire. On dit: il y a bien assez à faire pour les hommes qui souffrent, sans aller s’occuper d’abord des animaux ! Vous vous imaginez peut- être que ceux qui vous tiennent ce langage sont des philanthropes qui ne vivent que pour s’occuper de leur prochain et ne sauraient détourner une minute de leur temps, ou une obole de leur bourse au profit d’une pauvre bête ? Ah ! bien oui : ce sont pour la plupart des gens qui ne font pas plus de cas de leur semblable que d’un chien, ce qui leur permet en toute sûreté de conscience, de ne pas plus s’occuper des uns que des autres…

Qu’on laisse donc de côté ce pitoyable sophisme ! Il faut dire au contraire que si l’on apprenait, par exemple, aux enfants à aimer les animaux, ce serait le meilleur moyen de leur apprendre à aimer plus tard les faibles et les déshérités. Hé sans doute notre premier devoir est d’aimer notre semblable. Qui songe à le nier ? Mais notre semblable n’est pas toujours si aimable, ni si spirituel ! Et voilà pourquoi le meilleur moyen de s’exercer à aimer les hommes, c’est encore de commencer par aimer les bêtes.

Charles, GIDE. – (Émancipation). »

La Revue Socialiste, juillet 1888
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Vie quotidienne

Les réseaux sociaux, entrave au changement

Il y a un paradoxe ou disons plutôt une contradiction : l’usage généralisé du smartphone s’inscrit dans un long mouvement de fond historique qui est la libération d’un temps socialement disponible. Le smartphone a considérablement réduit les aléas de la vie et fluidifié le quotidien.

On peut acheter immédiatement son ticket de transport, consulter rapidement les horaires et les pannes sur un réseau de transport urbain, se repérer grâce au guidage par satellite, payer directement les choses, savoir si l’on peut retrouver une personne qui est loin d’où l’on se trouve, planifier et harmoniser ses courses alimentaires, etc. Cela permet de libérer énormément de temps disponible. Il y a encore 30 ans il fallait anticiper, prévoir, voir être carrément pris au dépourvu sans moyens d’emprise pour beaucoup de choses de la vie quotidienne.

Ce temps socialement disponible relève d’un espace-temps désencastré des impératifs d’une vie quotidienne salariée et domestique caractérisée par un faible développement des moyens de communication. Communiquer exige un temps qui a été considérablement réduit tout comme cela l’a été pour travailler et se déplacer.

C’est donc l’expression d’une tendance de fond, un progrès historique du à l’élévation des forces productives qui est en continuité d’autres, tels que l’eau courante, la machine à laver le linge, les plaques de cuisson électriques, etc. Le smartphone apparaît ici comme le prolongement du processus de civilisation au sens où il favorise la stabilisation et l’efficience de la vie quotidienne.

Mais évidemment comme chacun le sait, l’élévation technologique d’une société ne tombe pas du ciel. Elle se matérialise dans le cadre de rapports sociaux déterminés, actuellement dominés et orientés par le capitalisme et sa logique marchande. Tout cet espace-temps socialement disponible pour favoriser le développement des personnalités se retrouve pris dans une logique de consommation et de marchandisation.

Au centre de cette appropriation capitaliste du temps socialement disponible, il y a évidemment les réseaux sociaux qui sont devenus un moment central et incontournable des sociétés capitalistes. Une centralité apparue au cours des années 2010 et qui vue de 2023, soit un peu plus d’un an après deux années de confinement pour cause de pandémie de Covid-19, sonne comme une évidence.

Car au lieu d’user de cet espace-temps libéré pour approfondir ses connaissances universelles, pour développer son sens artistique, sa sensibilité, etc., le capitalisme en a fait un tremplin pour le déploiement tout à la fois de nouveaux espaces marchands et d’existences entrepreneuriales.

La contradiction est donc la suivante : il n’y a jamais eu autant de temps libre à disposition de la société par une élévation technologique ayant pénétré jusqu’à la vie immédiate des gens mais, dans le même temps, il n’y a jamais eu autant d’emprise des impératifs marchands dans le quotidien.

C’est que les smartphones, en fait surtout ses contenus algorithmiques, ne flottent pas en l’air mais s’inscrivent dans un ensemble social-historique qui est la société de consommation mature. Une société marquée par une fatigue psychique et une morosité collective qui ne tient que parce qu’elle génère des individus-égocentrés shootés à la dopamine, cette molécule du « bonheur » immédiat, générée par les réseaux sociaux.

L’absence de perspective collective est compensée par la satisfaction de « petits bonheurs » égocentrés réalisées heure par heure dans une journée généralement sans exaltation aucune. La perte de sens ou le triomphe du nihilisme « no futur » dans la société bourgeoise en décadence a comme pendant l’existence des réseaux sociaux comme sas de décompression psychique. Un sas qui peut également s’avérer être un espace de promotion d’un life style pour n’importe qui en quête d’un sens existentiel.

On peut être celui qui part faire « le tour du monde » tout comme le travailleur manuel qui valorise son expérience ou bien encore la femme moderne qui pense trouver un sens à sa vie en restant mère au foyer : tout est possible à partir du moment où l’on peut justifier son existence dans un espace valorisant et générateur d’un bonheur artificiel.

On peut donc affirmer sans peine que la généralisation de l’usage des réseaux sociaux est le prolongement de tout un ensemble culturel allant de la massification des drogues à l’idéologie du développement personnel.

Dans la société bourgeoise en décadence triomphent les Paradis artificiels de Charles Baudelaire avec une généralisation de subjectivités tout à la fois épuisées et hypnotisées par le temple de la valorisation marchande.

C’est dans ce contexte qu’on ne peut comprendre pourquoi toute perspective de changement d’envergure au XXIe siècle ne peut passer par la seule case de la « prise de conscience ». La « prise de conscience » exigeait un temps libre disponible pour réfléchir – au sens de refléter – sa propre vie individuelle dans un cadre plus large que son seul environnement immédiat mais dans la société toute entière.

L’élévation des forces productives dans son cadre capitaliste à la fin du XXe siècle a fini d’occuper un tel espace-temps pour le placer au seul service du capitalisme. À ce titre, le positionnement pratique par rapport aux réseaux sociaux marque l’ADN de tout mouvement ou organisation visant un changement des choses en profondeur.

Depuis la pandémie de Covid-19, un tournant a eu lieu et il est est dorénavant incontournable de passer par l’étape de la rupture. D’ailleurs la bourgeoisie cherche tant bien que mal à réguler le monstre qu’elle a elle-même enfanté sans en comprendre les tenants et les aboutissants.

En Chine mais aussi au parlement catalan en Espagne, des discussions ont eu lieu début novembre 2023 à propos d’un encadrement de l’usage du smartphone chez les adolescents. De la même manière un maire de Seine-et-Marne cherche à interdire l’usage du smartphone chez les enfants dans l’espace public de sa commune….

Dans une autre perspective a été fondé en 2021 « le Luddite Club », un regroupement de jeunes aux États-Unis qui souhaitent ce désintoxiquer du smartphone en revenant au téléphone basique sans connexion internet.

Le problème c’est que tout cela reste piloté par en haut dans le cadre d’institutions qui ne peuvent s’attaquer frontalement au problème, ou bien orienté en des termes petits-bourgeois unilatéraux qui ne dépassent finalement pas l’idée du développement personnel.

Lorsqu’on souhaite la révolution, la critique du smartphone doit s’orienter surtout sur les réseaux sociaux comme tremplin vers une remise en cause générale de la marchandisation capitaliste. On ne peut pas se séparer des réseaux sociaux sans viser un changement général de la société qui enfante une telle mutilation des personnalités.

Ce dont il s’agit, c’est de participer à la formation de subjectivités en rupture avec tout ce qui entrave la recomposition cognitive pour un changement collectif. L’objectif c’est de contribuer à former des brèches dans les interstices du quotidien pour redéployer une subjectivité émancipée de la marchandise.

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Nouvel ordre

L’emprise toujours plus importante du trafic de drogues

La drogue s’est infiltrée à tous les niveaux de la société. La France est aujourd’hui la championne de consommation de cannabis en Europe avec près de 5 millions de consommateurs annuels. Quant à l’ecstasy et la cocaïne, elle a pareillement explosé ces 20 dernières années avec des centaines de milliers de consommateurs par an pour un prix au gramme à Paris passé de 150 € il y a quelques années à 60/80€ aujourd’hui.

Tout cela sans compter sur une jeunesse qui a relativement délaissé « fumette » et alcool pour mieux expérimenter les drogues de synthèse tels que par-exemple les opiacés.

Cette explosion de la consommation serait impossible sans l’emprise accrue des mafias à tous les étages de la société, et notamment dans les sphères institutionnelles, à commencer par les douanes et la police mais aussi les ports, porte d’entrée sur l’Europe pour les mafias. Il suffit de voir les multiples faits divers concernant le personnel des docks des ports de France dans la presse ces dernières années pour s’en convaincre.

En novembre 2022, un rapport du sénat alertait d’ailleurs sur le risque que le France devienne un « narco-État » 2.0, quelques temps après qu’un docker du port du Havre, Allan Affagard, a été sauvagement tué par des mafieux liés au trafic de cocaïne le 12 juin 2020.

Aux Pays-Bas, la mafia est tellement conquérante qu’elle se permet de menacer la vie du Premier ministre Mark Rutte, l’obligeant à se balader en permanence avec des gardes du corps, tout comme en Belgique le Ministre de la Justice échappait de peu à une tentative d’enlèvement en septembre 2022.

C’est que la production et le trafic explosent, comme au port belge d’Anvers où ce sont 110 tonnes de cocaïne qui ont été saisies en 2022 contre seulement 16 en 2015, témoin de l’Europe comme débouché face à un marché américain saturé. Et les ports d’Anvers, de Rotterdam et du Havre sont naturellement les principales porte d’entrée.

Le rapport du sénat français appelle ainsi à la mise en place d’une opération « Mains propres » comme celle qui a eu lieu en Italie dans les années 1990 où le dévoilement de l’ampleur de la corruption aboutissait à la chute des deux principaux partis politiques au pouvoir depuis 1945. Un rapport sur une situation catastrophique qui est passée inaperçu.

Nous ne sommes plus en 1990 : une telle opération contre la corruption institutionnelle par les trafiquants de drogue en France aurait des conséquences bien plus profondes que celles encore dans l’Italie des années 1990. Car la réalité c’est que la France a abdiqué, comme l’atteste la prise en compte dès 2018 du trafic de drogues par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour le calcul de la richesse intérieure (PIB) de la France.

La France craque sous le poids de sa propre inertie d’ « en haut », avec une corruption institutionnelle de plus en plus massive, et d’ « en bas » avec un peuple apathique qui laisse les drames et la déchéance s’installer.

De manière générale, c’est tout un trait d’esprit national qui a failli. De la critique des « paradis artificiels » de Charles Baudelaire à la peinture naturaliste de l’Assommoir par Émile Zola, les français ont préféré relativiser pour finir par accepter la drogue (et ses conséquences) en ce début de XXIe siècle.

Une acceptation qui coûte déjà cher, très cher. Comme cette jeune femme de 24 ans tuée par des balles de kalachnikov dans son appartement après une descente de mafieux pour intimider des rivaux dans un quartier du 13e arrondissement de Marseille au cœur de l’été 2023. Une ville dont certains policiers évoquent sa « mexicanisation », notamment avec l’expansion de résidences privées ultra-sécurisées, tels les « gated communities » américaines.

Ou le drame sordide du 21 août 2023 dans le quartier Pissevin à Nîmes où un jeune garçon de 10 ans a été abattu de sang-froid dans une voiture alors qu’il revenait d’une soirée au restaurant avec son oncle et son petit frère de 7 ans.

Ces évènements apparaîtront demain comme le symbole d’un craquage général de la civilisation.

Un craquage d’autant plus frappant qu’il ne se passe rien à ce sujet alors qu’on peut avoir des semaines d’émeutes pour la mort d’une jeune délinquant routier… Et on assiste à une spirale négative puisque la seule perspective que semble offrir la bourgeoisie c’est la fuite en avant avec une légalisation du cannabis qui a pourtant montré ses effets pervers sur le renforcement des mafias et régressifs sur les plans sanitaires dans les États légalisateurs dans les années 2010, tels l’Uruguay dès 2013.

Même l’extrême-droite est aux abonnés absents, et c’est tout à fait révélateur. En 2023, il apparaît qu’en finir avec les drogues et leurs trafics ne peut passer par une simple « remise en ordre », une « fermeté policière et judiciaire » mais doit passer par la construction d’un nouvel ordre débarrassé des maux de l’ancien monde. « Il y a tout à revoir », voilà ce qui ressort de manière générale car la drogue et son trafic condensent l’ensemble des problèmes d’une société capitaliste en chute libre.

Il y a besoin d’un tel électrochoc général : viser la révolution dans ce pays ne peut se faire sérieusement sans avoir pour objectif le règlement de cette problématique populaire. Et tout le monde sait bien au fond de lui qu’au rythme où vont les choses, cela finira avec la constitution de milices populaires contre les dealers… et les consommateurs.

Il est même tout à fait probable que l’apparition d’un mouvement de ce type soit le prélude à l’enclenchement d’un processus plus large de remise en cause de l’ordre existant. Et dialectiquement de rétablissement de l’ordre tout court, mais nouveau, car socialiste.

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Rapport entre les classes

La révolution sera t-elle une prise de conscience?

Quand on bascule dans le camp de la Révolution, on pense souvent deux choses. On se dit ou bien que les gens ne savent pas, ou bien qu’ils ne comprennent pas les enjeux du monde. Il s’agirait alors de « faire prendre conscience » sur tel ou tel évènement, telle ou telle problématique, etc.

Hier, alors que la grande masse des paysans ne savaient pratiquement ni lire, ni écrire, l’enjeu était bien de briser cette arriération pour mieux casser la dépendance au curé ou au notable. Il fallait en « prendre conscience » et quoi plus de simple quand la vie quotidienne était elle-même si pénible, si difficile ? En même temps, les difficultés de la vie, l’analphabétisme rendaient la tâche malaisée.

Aujourd’hui, il y a un fait inverse et tout à fait palpable : il n’y jamais eu autant peu de gens analphabètes dans le monde et pourtant les mouvements révolutionnaires n’ont jamais été aussi faibles. Alors qu’on comptait environ 12 % de personnes alphabétisées dans le monde en 1820, il y en a 87 % en 2021.

Il s’agit donc de réfléchir en sens inverse : et si les gens savaient ? Et si les gens avaient finalement compris les choses, au moins dans leur globalité ? Question inconfortable car cela place l’idée du « militant » dans un désert politique.

Évidemment, l’aliénation produit par le quotidien capitaliste ne permet pas de comprendre réellement les choses pour tout un chacun. Mais dans la société de consommation développée, il est évident que l’aliénation, c’est la « conscience » de ne pas vouloir comprendre et non plus simplement la seule dépossession de soi.

Ou plutôt : la dépossession de soi a atteint un tel niveau, une telle profondeur que tout processus conscient est lui-même subsumé par la marchandisation.

En réalité, cela montre que les choses avancent toujours plus vers la Révolution, car ce sont tous les espaces de la vie qu’il va s’agir de transformer.

Il faut bien voir que la majorité des expériences socialistes au siècle dernier ont eu lieu dans des pays arriérés, en majorité composés de paysans liés en grande partie à un quotidien répétitif basé en partie sur l’auto-suffisance.

La révolution se devait de passer par l’objectif socialiste du fait que la classe ouvrière était la seule classe sociale en mesure de porter le processus de formation nationale extirpé de son enveloppe féodale. L’enjeu prioritaire était la lutte contre le poids du féodalisme et, dans une perspective résolument démocratique, l’élévation du niveau d’éducation.

Forcément dans un tel schéma de vie, la révolution ne pouvait que passer par le stade d’une « prise de conscience » : il faut bien savoir pourquoi l’on se bat, au-delà même du fait d’améliorer son immédiat quotidien. Et quand il est parlé de savoir les choses, on parle de comprendre l’Histoire et ses modalités, d’appréhender sa dynamique et ses protagonistes, de se penser soi-même protagoniste etc.

Cela était encore vrai dans des pays comme la France de 1871. Raison pour laquelle Karl Marx a dit que les insurgés de la Commune de Paris « partaient à l’assaut du ciel ». La métaphore n’est pas que littéraire, elle représentait un cheminement historique évident, avec une classe ouvrière en cours de formation et péniblement émancipée d’une paysannerie rivée à la vie quotidienne d’ancien régime.

Il a fallu encore plusieurs décennies à la bourgeoisie française pour élever le niveau culturel de la paysannerie française et finir par l’arrimer à sa République. La voie socialiste de cette étape ayant échoué avec la faillite des héritiers de la Commune de Paris qui refusèrent le marxisme au profit de bricolages idéologiques.

Toujours est-il que le drapeau rouge, le marteau et la faucille, l’Internationale étaient autant de symboles qui illustraient l’idée que la révolution, c’était un peuple faisant l’Histoire en connaissance de cause. Aller parler de cela à un ouvrier aujourd’hui, il pourra trouver cela intéressant, mais espérer que cela le raccorde au fil historique de la lutte des classes est voué à l’échec.

Évidemment, tout cela est fort différent pour les pays du tiers-monde, où la question nationale encore non résolue rend nécessaire la prise de conscience d’un fil historique perdu… Comment par exemple régler la question ukrainienne sans passer par la connaissance du processus historique de formation de sa nation ? Tout comme la libération nationale palestinienne ne peut faire l’économie d’une prise de conscience de la trajectoire historique des peuples et nations constituées dans cette zone géographique, pour ne prendre que des exemples actuels.

Dans les nations riches constituées de longue date par contre, le capitalisme ce sont des ouvriers maniant des machines et procédures toujours plus complexes, des employés de service utilisant des réseaux informatiques sophistiqués, tout cela dans un mode de vie confortable exigeant donc des niveaux de connaissances et d’analyse plus qu’élevés.

De fait, ce sont des des gens épuisés par une vie quotidienne rythmée par les impératifs marchands d’un capitalisme pleinement développé à tous les niveaux de la vie.

Ce n’est donc pas que les gens ne veulent pas savoir, c’est qu’ils ne peuvent pas vouloir savoir les choses, bien qu’ils aient des dispositions cognitives plus importantes que le paysan du XIXe ou l’ouvrier des années 1920.

On ne peut être un protagoniste conscient dans telles conditions historiques. La révolution intervient alors dans un contexte de fatigue morale et psychique mais avec des capacités cognitives plus qu’approfondies.

Cette contradiction ne peut qu’impliquer des décrochages subjectifs sans « prise de conscience » vers l’engagement révolutionnaire mais dans une quête révolutionnaire en négatif, dont le carburant n’est rien d’autre que le crash généralisé de l’ancien monde.

Et c’est une réflexion incontournable à ce sujet dont nous avons besoin, aussi.

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Rapport entre les classes

GPA: ce lien mère-enfant qui est nié

Un sondage IFOP de 2022 établit que soit-disant 75% des Français sont pour le principe de la gestation pour autrui (GPA). C’est-à-dire qu’ils adhèreraient au fait qu’on puisse réquisitionner le corps d’une femme, contre rémunération (ou non), pour en obtenir un enfant, à l’aide d’un contrat.

Dans le Droit bourgeois, le droit individuel est à peu près au dessus de tout, c’est un prétendu consentement éclairé, c’est comme ça que sont présentées les choses aux gens.

Et surtout, pour arriver à ce résultat c’est la souffrance de la séparation mère-enfant qui est masquée. Les gens qui ont intérêt à ce que la gestation pour autrui se répande se cachent derrière la notion de contrat et de consentement.

Si la mère porteuse a bien compris que l’enfant n’est pas pour elle, alors c’est bon, il n’y aura pas de souffrance. Et puis selon les acteurs du secteur, si les ovules de la mère porteuse ne sont pas utilisés alors il y a moins de risque qu’un lien puisse se créer.

C’est faire preuve ici de beaucoup de mauvaise foi, il est clair qu’il y a un lien qui est tissé durant la grossesse, par huit à neuf mois d’échanges organiques et sensoriels. C’est cette réalité qui rattrape beaucoup de mères porteuses, qu’elles soient soi-disant « altruistes » ou motivées par des raisons financières, au moment où le lien est rompu avec la séparation juste après la naissance.

C’est ce lien rompu que propose d’exposer le livre Broken Bounds : Surrogate Mothers Speak Out (« Liens brisés : les mères porteuses s’expriment »), à travers des témoignages de mères porteuses de différents pays. Un ouvrage n’ayant eu malheureusement presque aucun écho donc n’existant qu’en anglais.

Il y est notamment souligné en introduction que lorsqu’il s’agit de la plupart des animaux on fait très attention de ne pas séparer des petits de leur mère avant le sevrage car cela crée des troubles, ou si on tue une mère ayant des petits, cela choque.

« En science animale, la séparation maternelle est considérée comme l’une des expériences négatives précoces les plus stressantes de la vie d’un animal (Récamier-Carballo et al., 2017). »

Klein, Renate. Broken Bonds : Surrogate Mothers Speak Out (édition anglaise) (p. 10). Spinifex Press.

Une compréhension et une compassion qui s’arrête malheureusement ou commence le calvaire des animaux d’élevage destinés à l’industrie alimentaire, ou de l’habillement ou encore des cibles vivantes de chasse.

Bref, là où il existe une industrie, il existe un discours visant à présenter les choses sous un jour attrayant et propre, comme dit plus haut au sujet de la GPA.

La grossesse est un processus biologique complexe, indépendamment de la question de l’origine des gamètes. Si la grossesse fonctionne, c’est bien que l’organisme féminin fait comme si c’était une fécondation naturelle.

Il y a un lien dialectique qui se forme entre deux êtres et non pas un lien unilatéral de la mère à l’enfant qui serait artificiellement évitable. Au contraire on est à la source de la vie et les choses sont faites pour que cette dernière triomphe.

La grossesse prépare une relation autant qu’elle « fabrique » un enfant.

Pour la mère c’est une préparation à accueillir un être dont elle a entendu et vu le cœur durant les échographies, dont elle a porté le poids et senti les mouvements. Même si l’attachement se construit encore après la naissance, la naissance n’est qu’un saut qualitatif dans un processus ou la grossesse et la vie de l’enfant forment une continuité organique.

Qu’on le veuille ou non le moment de la séparation est donc difficile non seulement pour la femme connaissant tous les inconvénients du post-partum, sans ses joies, mais aussi pour l’enfant.

Pour le nourrisson, le lien se matérialise très concrètement par le fait de retrouver l’odeur du liquide amniotique sur le sein de sa mère, de reconnaître sa voix et celle de ses proches, entendues pendant neuf mois, les battements du cœur maternel. Toutes ces choses sont impossibles à reproduire artificiellement, car ce que vivent mère et enfant est une synchronie physiologique, hormonale et sensorielle.

La rupture de ce lien est une immense perte de repère pour le nouveau né et est très traumatisante. Un stress précoce qui peut expliquer des troubles anxieux et dépressif chez l’adulte, ainsi que des tendances addictives.

Là où cela arrive par défaut, en raison d’une naissance prématurée, un problème de santé grave chez le nourrisson ou la mère, d’un abandon pour X raison dramatique, la GPA vient le provoquer sciemment.

La GPA contient donc une rupture physiologique et psychologique chez les femmes exploitées et les enfants qui en sont le produit pour satisfaire une vision égoïste de la reproduction.

Pour promouvoir la gestation pour autrui auprès de potentielles mères porteuses il est joué sur l’empathie et l’altruisme des femmes. Une véritable instrumentalisation ne manquant pas d’hypocrisie, comme ci-dessous, où l’on laisse penser que le fait d’être mère porteuse a quelque chose à voir avec le fait d’être mère (le texte dis « tu aimes être mère ? As-tu pensé à devenir mère porteuse »).

Le décalage entre comment la GPA est montrée comme « altruiste », une « expérience humaine unique » et la froideur de la réalité du rapport marchand est une notion qui revient dans de nombreux témoignages de mères porteuses des pays occidentaux où la GPA est autorisée.

La gestation pour autrui est une pratique moche qui ne devrait même pas être une option. L’envie de parentalité doit être reconnue comme une chose sociale et non pas individuelle.

La reproduction est la base du renouvellement de la société humaine, mais elle n’est pas la seule manière de préparer le futur. S’impliquer en adoptant ou en tant que famille d’accueil sont par exemple des manières très louables de faire partie de ce processus inexorable.

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Rapport entre les classes

Érosion de cadres dirigeants, délitement de la société civile

C’est un fait frappant : il n’y a plus de cadres dirigeants. Il y a toujours des gens qui dirigent, mais la présence de dirigeants qui savent où ils sont et surtout où ils vont est au point mort.

Objectivement chacun est à sa place, se pense dans sa bonne position, et cela se suffit à lui-même.

Or, un cadre c’est précisément une personne qui ne se contente pas d’un simple fait – « être là » – mais quelqu’un qui impulse, oriente, décide. Et pour cela il lui faut une capacité d’analyse et d’anticipation, pour ne pas dire de planification.

Mais évidemment, cela postule qu’il faut savoir s’engager. Être un cadre dirigeant, c’est savoir s’engager au présent pour mieux planifier les choses de l’avenir du fait d’une capacité d’analyse des tendances. Cela vaut pour n’importe quelle activité, aussi bien sportive que culturelle, politique qu’économique.

Aujourd’hui il apparaît très nettement que l’engagement est réduit au néant. De fait, les dirigeants encadrent plus qu’ils ne dirigent. La société de consommation a tellement tout englouti que les choses roulent par elles-mêmes sans que les cadres prennent la peine d’orienter quoi que ce soit.

Il n’y a pas un étage de la société qui ne vit pas cet affaiblissement des cadres dirigeants, notamment intermédiaires. Les associations sont, de manière générale, en déliquescence, minées par le manque de bénévoles. Les établissements scolaires manquent cruellement de professeurs. La fonction publique n’attire plus grand monde, les entreprises ont des gestionnaires plus que des dirigeants. Même l’armée s’alarme de l’érosion de ses cadres qui partent aussi tôt qu’ils sont arrivés.

Au centre de cette érosion, il faut remarquer l’affaiblissement de l’engagement associatif tant il a été à la base des prétentions de la bourgeoisie en matière de direction de la société. L’associatif a toujours été le corollaire de deux autres dispositifs institutionnels : l’école et la mairie.

Grosso modo, l’idéal de la citoyenneté bourgeoise c’est un processus de socialisation culturelle qui passe par l’acquisition d’une raison et d’un « libre-arbitre » à l’école. Cette formation d’un tel individu doit ensuite se concrétiser par une participation sur la scène municipale, l’engagement associatif formant un canevas essentiel au dispositif.

Lorsque la bourgeoisie française atteint son apogée, quelque part entre 1848 et 1910, elle le doit principalement à un engagement pratique au sein des communes et/ou des associations (héritières des clubs). C’est cet engagement qui a toujours généré des cadres dirigeants, non pas simplement de tel ou tel secteur administratif ou économique, mais bien de la société toute entière.

L’érosion de l’engagement dans ces espaces hante la bourgeoisie, car à l’arrière-plan ce n’est pas seulement un affaiblissement de son appareil d’État qui se produit, mais la dégradation de sa légitimité historique à gouverner, et surtout à diriger. Car à l’inverse de la société féodale, la légitimité à diriger dans la société bourgeoisie est due à sa capacité à faire sortir de toutes les couches sociales des dirigeants placés sous son hégémonie.

Dans les années 1990-2000, la bourgeoisie a eu le vain espoir que les lois de décentralisation de 1982 à 1986 favorisent la relance de tout son dispositif idéologique et culturel. Le département, la région, pour ne pas dire « le pays » seraient les futurs espaces de formation des cadres dirigeants.

L’idéal de la « démocratie participative » si répandue dans la période 2005-2015 a été la dernière tentative de réactivation de la légitimité historique de la bourgeoisie. On touchait déjà la fin : le maire, le président de département et/ou de région se devait de générer des espaces pour produire de la « citoyenneté ». C’était peine perdue.

La pandémie de COVID-19 apparaît historiquement comme un coup de massue portée sur les dernières tentatives de la bourgeoisie de réactiver sa légitimité à diriger la société. Plus rien ne tient : les espaces pratiques pour générer des cadres dirigeants se sont étiolés et ne vont manquer de se dégrader encore et encore.

Pire encore : avec l’effritement de la société civile, illustrée par les taux d’abstention si élevés, notamment lors des élections municipales et législatives, et la chute du bénévolat associatif, la bourgeoisie perd un des principaux liens organiques avec la société. Un maire, un préfet a besoin d’une vitalité civile pour s’orienter : il faut pouvoir aller sereinement à telle ou telle soirée associative pour se légitimer et parfaire sa vision des choses. C’en est fini, ou se maintient de manière fictive.

C’est la continuité organisationnelle de la bourgeoisie qui est ainsi atteinte en son cœur. D’où d’ailleurs la nécessité de raisonner en termes de prolétariat/bourgeoisie, comme forces et pôles historiques, et non pas dans les termes syndicalistes d’ouvriers/patrons, salariés/capitalistes.

Notons justement que cet assèchement donne régulièrement lieu à des débats autour du thème de la déconnexion entre les « élites » et le « peuple ». Il faut ici pointer les erreurs du populisme car si les prétentions dirigeantes de la bourgeoisie s’effondrent, c’est bien parce qu’elle est minée par les contradictions de sa propre société, devenue simple société de consommation.

Une société ne flotte pas en l’air, elle produit des comportements, des mentalités répandus dans le peuple lui-même. Dans les faits, les gens se moquent d’être impliqués dans la société civile tout à la fois par distance avec la bourgeoisie et par aliénation dans la passivité consommatrice.

La passivité reste l’élément prépondérant, car sinon il y aurait un engagement antagoniste sur la base d’une citoyenneté nouvelle, socialiste. Or, la déliquescence de la capacité dirigeante de la bourgeoisie ne va pas mécaniquement de pair avec l’éclosion de dirigeants socialistes issus du prolétariat. C’est ce qui explique la faiblesse de la Gauche historique.

C’est la grande différence entre la révolution telle qu’elle se déroulera au XXIe siècle et telle qu’elle a pris forme au XXe siècle avec une classe ouvrière née sur le terrain de la revendication de l’idéal bourgeois pour mieux le dépasser avec l’expérience communarde, soviétique.

Et cela pose une problématique centrale pour les révolutionnaires de ce siècle : quelle sera la nature du processus révolutionnaire ? La révolution sera t-elle un « assaut du ciel » avec des gens conscients de leur engagement de part un héritage historique ou bien sera-t-elle une réorganisation antagoniste, brouillonne dans le jeu immédiat des contradictions ?

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Événements significatifs

La NUPES tourne court

Au printemps 2022, Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise impulsaient la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » consistant en un accord électoral des forces de la gauche gouvernementale en vue des élections législatives de juin 2022. Un accord qui débouchait alors sur la formation d’un inter-groupe parlementaire constitué de 150 députés.

Mais au-delà de cet accord électoral et de cet inter-groupe parlementaire, la France insoumise visait en tant que force dirigeante de la coalition une perspective politique à moyen-terme. C’était la perspective de réaliser la stratégie populiste de la Gauche d’Amérique latine tant étudiée par Jean-Luc Mélenchon, en unissant dans un magma politique le plus de forces politiques pour ensuite compter sur les vagues des mouvements sociaux pour « faire la bascule » vers le pouvoir.

Du point de vue particulier du contexte français, cela ramenait la gauche française dans sa situation d’avant 1905, avec un « socialisme » partant dans tous les sens, sans visée organisatrice tangible ni armature idéologique.

Du fait de la nature social-impérialiste de l’ensemble des composantes de la NUPES, il allait de soi que le conflit entre l’Ukraine et la Russie, impliquant la France à travers sa soumission aux États-Unis dans le cadre de l’Otan, ne pouvait pas fissurer l’union.

En revanche, il ne pouvait pas en être ainsi avec l’attaque du Hamas sur des civils israéliens qui rappelait trop nettement aux français les horreurs subies lors des attentats du 13 novembre 2015. Et qui suffit à révéler une contradiction entre le courant post-moderne « décolonial » bien établi à la France insoumise et la tradition sociale-républicaine historiquement liée au PS et au PCF.

En effet, le premier communiqué de la France insoumise parlait d « offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas » pour qualifier une attaque terroriste sur des civils, y compris des jeunes d’un festival de musique Techno tournés vers la paix. Puis quelques jours plus tard, c’est sur une radio que Danièle Obono, députée LFI de Paris et cheffe d’orchestre de tout ce courant « décolonial », approuvait le fait d’intégrer le Hamas dans les « organisations de résistance palestinienne ».

Avec de telles déclarations, c’est l’héritage républicain, ainsi que rationaliste, qui a refait surface et est venu se heurter à une lecture ultra-populiste des évènements par la France insoumise, mettant de côté les enjeux démocratiques de la libération nationale palestinienne.

Dans cette dynamique, c’est le PCF qui a ouvert la boîte de pandore avec la tenue d’un conseil national votant le dimanche 15 octobre 2023 à près de 93 % une résolution dans laquelle il était dit que la NUPES « telle que constituée sous la volonté hégémonique de LFI, est une impasse ». Puis le Parti socialiste s’est prononcé en faveur d’un « moratoire » sur la participation à l’inter-groupe NUPES mardi 17 octobre 2023 au soir, EELV appelant à ce que l’ensemble des députés de la coalition se réunissent pour discuter de leurs « différends ».

Évidemment, et malheureusement, l’érosion de la NUPES ne peut se faire sur la base d’un débat démocratique réel puisque cette union renvoie à un accord électoral réalisé par en haut sans perspectives programmatiques. De ce fait l’érosion est lente et sans franchise… Le député Fabien Roussel et premier secrétaire du PCF allant même jusqu’à dire qu’il ne siégerait plus à l’inter-groupe NUPES tout en laissant les députés de son parti libre de faire ce qu’ils veulent !

Une chose est sûre, c’est que la Gauche française reste prisonnière de ses propres renoncements historiques. L’effritement de la NUPES nous renvoie dans la vieille opposition entre les « sociaux-républicains » et populistes, autrefois marquées par le syndicalisme révolutionnaire, et aujourd’hui se mélangeant avec les théories universitaires les plus farfelues.

La faillite de la NUPES en cet automne 2023 apparaît comme un évènement majeur, en négatif. En négatif car l’opposition « républicains »/populistes sonne creux par rapport aux enjeux de l’Histoire.

La Gauche française est ici, encore une fois, à mille lieux de la Gauche allemande.

« Une nouvelle politique pour vous! »

À l’inverse, la démission officielle de Sahra Wagenknech, ainsi que de 9 députés, du parti« Die Linke » en Allemagne ce lundi 23 octobre 2023 se fonde sur une envergure programmatique. C’est pourquoi il est également laissé du temps entre l’officialisation du départ et l’annonce du futur parti en janvier 2024, le temps de bien élaborer et poser les choses.

De fait, la critique ne se fait pas spontanément, dans le creux d’une conjoncture, mais dans le prolongement d’une maturation politique et idéologique. Elle cible notamment la pensée libérale-libertaire ou LGBT, telle que le représentée outre-Rhin par les lois sur la légalisation du cannabis et l’ « auto-détermination de genre », comme des obstacles au redéploiement d’une Gauche populaire.

Si l’on veut s’orienter dans la décomposition politique actuelle de la Gauche française, il apparaît très nettement que c’est du côté de la démarche de l’allemande Sahra Wagenknecht qu’il faut regarder et s’inspirer.

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Culture & esthétique

Biensüre, l’amitié anatolienne

Biensüre est un groupe originaire de Marseille ayant sorti son premier album au titre éponyme en 2022. Il s’agit de sept morceaux dansants dans leur style particulier, que les quatre membres qualifient de « psychédelisco anatolien ».

Se dire de l’Anatolie est pour eux une manière de prôner artistiquement un rassemblement autour de la méditerranée, un échantillon d’amitié entre les peuples. Parler d’Anatolie est d’ailleurs historiquement un marqueur pour les gens de gauche liés de près ou de loin à l’actuelle Turquie.

C’est que Hakan Toprak, le chanteur, lyriciste et joueur de saz est un kurde de Turquie et Anselme Kavoukdjian (clavier) est d’origine arménienne de Turquie. Hakan chante à propos de l’exil, de l’amour et de l’amitié.

L’influence « Kraftwerk » est flagrante dans ce morceau.

« Anatolien » car le saz est leur signature. Le saz est un instrument à corde, à la manière d’une guitare, que l’on trouve en Perse jusqu’à 3000 ans avant notre ère. Il est donc un liant de la musique que l’on trouve en Turquie, Grèce, Azerbaïdjan et Arménie mais aussi jusque dans le Caucase, la Crimée et les Balkans.

On le trouve dans des musiques traditionnelles et plus récemment dans la scène disco turque des années 1980 dans laquelle Hakan a baigné.

L’influence turque ne sera donc pas nationale, mais liée à une très grande histoire culturelle et de mélange des peuples. Ce mélange continue avec l’influence du batteur, Milan Petrucci, amateur de techno et de cold wave façon New Order qui n’hésite d’ailleurs pas à saluer Deli Teli, un groupe de musique grec.

Dans le clip de Muhabbet il arbore d’ailleurs un t-shirt Versace « greca » avec un motif clé grecque identique à celui du logo de la marque, inspiré directement de la mythologie grecque. Ici il s’agit d’un logo des années 1990, c’est très fin, très branché, très marseillais et sûrement pas laissé au hasard.

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Culture & esthétique

« Barnyard deck », le skateboard des années 1990

Le skateboard n’est pas simplement une approche, mais une culture, un life style. Il fait partie d’une vague née dans le milieu des années 1980 et ayant pris son véritable envol moderne dans les années 1990.

Dans les années 1990-2000, aller vers la culture skateboard, ou même devenir carrément un skateur, était une perspective qui se voulait à la marge de la société. Non pas tant contestataire ou rebelle, qu’alternatif, à la marge, en dehors du monde, désengagé du cours normal des choses.

On se mettait au skateboard pour s’échapper d’une vie quotidienne marquée par la routine et la morosité, pour se connecter avec toute une contre-culture urbaine allant des vêtements à la musique en passant par la vision du monde faite de désintérêt envers l’école et de refus du travail.

Dans tout cela, il est intéressant de noter que le véganisme et l’amour des animaux n’a pas été intégré au « pack ». Et pourtant, cela n’a pas été sans tentative… Comme en atteste la très connue « barnyard deck », littéralement « planche de la basse-cour », qui a été une planche de skateboard sortie en 1989 qui a marqué son époque.

A cette époque, on est au tournant du skateboard : on passe progressivement de l’approche dite « freestyle » consistant à réaliser des figures sans ne jamais décoller du sol, comme une sorte de gymnastique, à ce qu’est le skateboard moderne avec ses « ollies » et autres variantes infinies de figures, notamment au-dessus de divers obstacles que présente la ville.

Si le « ollie », soit la capacité à passer par-dessus un obstacle grâce à un mouvement coordonné des pieds sur la planche elle-même, est réalisé dès 1976 par Allan Gelfand à l’aide de la rampe d’une piscine, il faut attendre le milieu des années 1980 pour que Rodney Mullen réalise la figure directement dans la rue. Il ouvre alors la boite de pandore avec la réalisation de variantes tels que les « flip », « heelflip », « 3-6 flip », etc.

C’est ce même Rodney Mullen qui fonde en mars 1989 avec Steve Rocco et Mike Vallely la marque « World Industries » qui sera tout un symbole au cours des années 1990-2000. Et les trois skateurs sentent qu’un tournant va s’effectuer qu’il s’agit d’accompagner, voir de révéler.

C’est dans ce contexte qu’est pensé la « barnyard deck » qui n’est autre que le pro-modèle de Mike Vallely chez World Industries. Alors âgé de 29 ans, Mike Vallely est végétarien puis vegan depuis ses 17 ans . Il influencera un autre grand nom du skateboard moderne connu pour la défense du veganisme, Ed Templeton, fondateur en 1993 de la marque « Toy Machine ».

Mike Vallely et une version de la « barnyard deck »

La « Barnyard » est alors un bijou tant sur le plan esthétique que sur le plan technique. Elle offre une forme novatrice pour l’époque, permettant de faire des ollie dans tous les sens possibles, notamment avec l’avant avec le pied inversé (« nollie ») ou en avant avec le pied normal (« fakie ») alors qu’auparavant l’avant d’une planche était plate.

Sur le plan esthétique, le travail graphique de Marc Mckee est avant-gardiste car on parle de planches à l’époque qui sont souvent sans motif élaboré, voir totalement nues.

Surtout on y trouve la mise en avant du véganisme dans la variante fun propre au skateboard. Le graphisme de la planche se lit telle une bande-dessinée, de haut en bas, avec côté roues une scène typique de la vie (capitaliste) à la campagne avec son exploitation animale, son agrobusiness destructeur en haut. En bas les poules et poussins apparaissent en amateurs de hip-hop avec leurs platines vinyles et autre ghetto-blaster. Sur le dessus de la planche, on a le slogan qui sonne comme un credo « Don’t eat my friends ! », le fermier étant écrasé sous une enclume, le poussin enfin libre sur un skateboard.

Réédition en 2015 par la marque de Mike Vallely « Street Plant » de la Barnyard Deck

Mais il n’était pas si curieux de voir le véganisme mis en avant à cette époque. D’une mode à la fin des années 1970, le skateboard était passé à la marginalité dans les années 1980, l’amenant tout naturellement à se connecter au punk hardcore. Mike Vallely sera ainsi le chanteur de « Black Flag » puis de « Revolution Mother ». On a eu de grands noms du skateboard qui sous cette influence passèrent au véganisme, tel que Jamie Thomas, Nyjah Huston, Geoff Rowley, ayant tous abandonné depuis lors.

Même Mike Valley avait cessé d’être vegan à partir de 1999 avant de le redevenir en 2015 après une tournée dans le Kentucky pour le groupe Black Flag où il revit la réalité sordide des abattoirs du coin… Un choix qu’il ne vit plus comme une simple réaction en opposition, mais comme une célébration.

C’est la raison pour la quelle l’esthétique végan de la « barnyard deck » sonne aujourd’hui totalement décalée. Non pas parce qu’elle assume le véganisme mais parce qu’elle exprime une contre-culture presque activiste. Or, dorénavant, il y a de nombreux skateurs végétariens mais aussi vegan sans pour autant que cela passe par un activisme.

Sur le plan particulier, une connexion a été loupée car il aurait pu être possible qu’en 2023 être vegan soit une partie-intégrante de la culture skateboard. Mais sur le plan général, cela signifie la dilution dans un grand ensemble !

Comme tant d’autre contre-culture, comme l’a été pratiquement le véganisme des années 1990-2000, le skateboard ne peut plus être ce qu’il a été dans les années 1990 : une volonté d’affirmer une contre-tendance séparée du reste de la société.

D’ailleurs, si Geoff Rowley, ce skateur emblématique de chez Vans dans les années 2000, a cessé d’être vegan pour devenir un promoteur du mode de vie chasseur c’est bien parce qu’il a refusé la dilution. Au fond, pour lui, comme pour d’autres, le véganisme n’était qu’une promotion existentielle liée à la marginalité et non pas une cause universelle portée par des subversifs.

Un retour sur la « barnyard deck » montre qu’il en est fini des scènes s’affirmant contre ou à la marge du monde car le XXIe siècle porte en lui la synthèse générale !

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Culture & esthétique

Les infâmes sacs Basic Fit

Impossible de manquer la prolifération de ces sacs aux couleurs de la chaîne de salles de musculation Basic Fit, et ce en dépit du bon goût. Ils sont partout depuis quelques temps, résultat d’une opération promotionnelle avec un sac systématiquement offert à l’abonnement d’un an à l’enseigne néerlandaise.

Certains avancent que ce serait un accessoire incontournable de l’année ou encore une publicité réussie… Dire que des gens sont payés pour dire des bêtises pareilles dans des revues à gros tirage et sites spécialisés sur internet. Il est pourtant évident que l’opération se retourne en son contraire et donne des frissons d’angoisse rien qu’à l’idée de fréquenter une de ces salles.

Il n’a pas été pris le temps de faire le portrait des gens qui osent sortir affublés de ce sac publiquement, car si il était originellement imaginé que le sac serait porté fièrement par des hommes et des femmes au corps sculpté par leur assiduité à « la salle », en réalité il s’agit désormais de l’objet incontournable des limbes de la société.

En effet, une large partie de ces sacs offerts à l’adhésion en 2022 a vraisemblablement fini dans les circuits de seconde main en 2023 et plus probable encore dans ceux de charité, compte tenu de leur gratuité et de leur laideur.

Rien que sur la plateforme Vinted, on en trouve environ 450 n’ayant jamais servis, à des prix d’ailleurs ridiculement élevés. C’est déjà un manque de respect pour soi-même et autrui que de vendre un tel objet, à moins d’être guidé par la misère la plus profonde. Pour le français moyen, le sac doit être absolument donné ou refusé à l’inscription, ou mieux, il faut s’en aller pratiquer un vrai sport et éviter à tout prix d’être mêlé à l’origine de ce mal.

Quelle idée déjà de porter un produit dérivé de la sorte ? Avec un logo sans aucune recherche graphique. Et même si on oublie le flocage, avec de telles couleurs et formes, c’est peine perdue. Le sac, au lieu d’épouser le corps et d’offrir des lignes agréables, est une espèce de boursouflure due à ses poches proéminantes et tombe lamentablement sans aucune tenue. Cela contraste évidemment avec l’image dynamique voulue par la marque. On a ensuite cet aspect matelassé qui n’entre en résonance avec rien de connu, ni d’original, à rebours de toute fraîcheur, de toute modernité.

Trop gros pour être utilisé au quotidien de manière esthétique, trop petit pour voyager, il finit logiquement dans les mains de ceux qui se contentent d’errer, l’esprit verrouillé.

On est donc tout à fait à l’abri d’une quelconque tendance, comme cela avait pu être le cas avec l’engouement éclair pour les baskets Lidl.

C’est qu’en fait les gens qui portent les sacs Basic-Fit sont trop perdus pour se poser des questions. Et finalement, l’accessoire finit par montrer aux yeux de tous la laideur ambiante de notre temps.

Le sac Basic-Fit n’est pas un détail, c’est une expression parmi tant d’autres du manque d’ambition collective auquel il faudra bien remédier, avec un haut niveau d’exigences sur tous les plans.

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Nouvel ordre

La révolution, c’est le sursaut de civilisation

La conscience d’autrui n’est pas possible dans une société qui ne le permet pas. Ainsi, dans la société tribale de chasseurs-cueilleurs, les rapports avec l’extérieur sont très limités, et lorsqu’ils surviennent, ils prennent la forme de la méfiance, voire d’une défiance en l’absence de confiance.

Confiance dans la société et stabilisation de la vie sociale sont la base même de la civilisation qui trouve à s’exprimer à travers la succession des modes de production.

Le mode de production capitaliste a été ici un formidable stabilisateur de la vie quotidienne et, en élargissant à tous les niveaux la division sociale du travail, il a également participé à la diffusion générale de la confiance dans les relations interpersonnelles.

Mais on l’aura compris, survient en creux la question de la lutte des classes.

La civilisation est toujours portée par un mode de production à travers une classe, passée de dominée à dominante, avant d’entrer elle-même en décadence, incapable de porter et de continuer la civilisation et finisse par cela même renversée.

Une révolution est toujours une expression de la continuation de la civilisation, menacée d’effondrement du fait que son ancien support historique, la classe dirigeante, s’est transformée en classe historiquement dépassée.

Cette continuation s’exprime de manière dialectique et non mécanique : ce n’est pas simplement le fait que les « riches ont tout et les pauvres rien », mais que les travailleurs d’un mode de production donné (esclaves, paysans asservis, travailleurs salariés) contribuent activement à un niveau de raffinement dont il sont exclus du fait du rapport d’exploitation-aliénation.

Quand les esclaves de l’Égypte romaine extraient le granit nécessaire aux somptueuses colonnes du panthéon de Rome, ils participent à bâtir une architecture d’un grand raffinement bien qu’ils soient eux-mêmes placés dans des conditions en-deçà du niveau de civilisation.

Et la majorité des esclaves dans l’Empire romain étaient issus des peuples barbares qui, au Ve siècle, le mèneront à la chute sans pour autant avoir, à cette époque, les moyens matériels immédiats pour faire continuer la civilisation (qui trouvera son chemin dans l’Islam).

C’est là que l’Histoire de la civilisation se lie à la lutte des classes de manière dialectique, et non mécanique : il ne suffit pas de renverser une classe décadente pour continuer la civilisation, faut-il encore en avoir les moyens sociaux, politiques et culturels.

À ce titre, la révolution soviétique représente un sursaut de civilisation. Elle sauve le raffinement de l’être humain, ayant basculé dans la violence généralisée, le pourrissement de l’âme, la décadence absolue de la première guerre mondiale. Il suffit de relire ce passage du célèbre article « Socialisme ou barbarie » écrit en 1915 par Rosa Luxemburg pour voir la portée civilisationnelle d’Octobre 1917 :

« Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est.

Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. »

Car il faut bien s’imaginer que si historiquement tout appareil d’État est affaire de conditionnement social en vue de faire correspondre la psyché des gens avec une vie plus stable, plus pacifiée, quel sens cela a t-il dans une tranchée pleine de boue, dévastée et sous le feu d’une artillerie avec des obus produits à la chaîne ?

De la mission civilisatrice, l’État en est revenu à sa seule fonction de « domination de classe », dilapidant le meilleur de la civilisation dans les prétentions étroites d’un capitalisme ayant atteint son stade impérialiste. La civilisation exige alors de bâtir un nouvel Ordre pour sauvegarder la civilisation : c’est le sens des Soviets.

C’est pourquoi face à l’effritement de la civilisation, il y a toujours deux options : l’une conservatrice qui veut rétablir l’ordre pourrissant mais qui a porté autrefois l’élan, et l’autre, révolutionnaire, qui vise l’établissement d’un nouvel Ordre fondé sur la cohérence, l’harmonie, la rationalité à tous les étages. Il faut relire cet interview d’un membre de la Gauche prolétarienne en 1970, dont les propos sonnent juste actuellement :

« Dès qu’on refuse la société actuelle, sous les prétextes les plus divers, on se figure qu’on est maoïste alors que ce n’est pas ça. Une société communiste c’est bien plus contraignant qu’une société capitaliste.

C’est plus facile à supporter qu’une société capitaliste, parce que c’est plus juste, mais pour l’instant c’est pas le cirque : il ne faut pas compter là-dessus pour faire tout ce qu’on voudra.

Moi, c’est ce que je souhaite parce que le capitalisme, c’est aussi le désordre. On exploite mal les richesses. Personne n’en profite. Il y a des gens qui crèvent à côté de richesses inexploitées. Il y a des parties de la France inondées de constructions et d’autres désertiques.

Toutes ces conneries-là, c’est le désordre, et pour moi, le communisme c’est l’ordre. »

La révolution c’est la capacité de la classe exploitée à s’organiser pour s’approprier le meilleur de la civilisation et le faire se continuer historiquement en l’enrichissant de nouveau.

On comprend donc que si la question de la propriété des moyens de production est importante – il faut bien avoir les moyens matériels pour réaliser la civilisation, l’enjeu central est avant tout le pouvoir d’État – il faut surtout avoir les moyens administratifs et policiers pour sauvegarder puis élever la civilisation.

Car, en réalité, limiter la révolution à la transformation de la propriété des moyens de production, c’est rester dans une forme de gauchisme qui limite la révolution à une « émancipation sociale » et non pas à la continuation-élévation de la civilisation, qui relève forcément de la question du pouvoir d’État.

Si la civilisation est un processus qui se déroule dans les interstices culturels des rapports sociaux, elle est avant tout conditionnée et garantie par l’appareil d’État.

L’État est en première instance l’expression de la complexification de la société, et en cela la garantie de relations sociales pacifiées et raffinées grâce aux règles et lois qu’il impose. En dernière instance, il est l’expression d’une classe qui en domine une autre. L’État est donc à la fois une garantie universelle et en même temps une expression spécifique, conjoncturelle, reliée à une classe.

C’est la raison pour laquelle la continuation de la civilisation prend la forme à un moment donné de l’Histoire de la violence qui vise en remplacement d’un État par un autre.

Car la révolution ce n’est pas simplement le processus de transformation d’une classe exploitée et dominée en une classe dominante, c’est aussi et surtout le passage d’une classe dirigée à une classe dirigeante. Et pour diriger, il faut orienter, fournir un axe, une perspective. Cela ne peut que relever de la civilisation en tant que condensée du meilleur de l’Humanité dans les mœurs, dans les manières de vivre.

Mise en valeur de Pouchkine en URSS

Il a bien fallu la violence révolutionnaire à la fin du XVIIIe siècle pour que le processus de civilisation ne s’éteigne pas dans une élite aristocrate toujours plus repliée sur elle-même, s’appropriant le meilleur du raffinement royal pour mieux le dilapider dans la décadence.

Lorsque la noblesse d’épée, l’aristocratie terrienne d’ancien régime entre en décadence aux alentours du XVIe siècle, l’avant-garde de la bourgeoisie s’est déjà solidement implantée dans l’appareil administratif de la monarchie, lui donnant sa forme absolutiste.

C’est qu’elle s’apprête à devenir une classe dirigeante et à assumer la continuité de la civilisation : les bourgeois lettrés manient le droit et le code romain, cet héritage de la civilisation leur ouvrant la voie à l’administration de l’État moderne.

C’est la raison pour laquelle Lénine a tant insisté sur le rôle de la conscience et de l’idéologie car en s’appropriant le meilleur de la culture et de la science, la classe ouvrière acquiert une conscience de classe qui doit exprimer une supériorité par rapport à la bourgeoisie décadente.

On ne peut comprendre le rejet par la social-démocratie historique des attentats individuels, représentatifs d’un retour aux temps des seigneurs féodaux où des individus « se font justice », « défendent l’honneur des pauvres » sur le mode d’une « vengeance de classe » qui n’a aucun sens du point de vue de la civilisation.

C’est là d’ailleurs un précieux critère pour faire le tri quant à la violence qui s’exprime dans la société.

La violence relève de la civilisation lorsqu’elle s’impose d’emblée comme une violence d’État, du moins à prétention étatique. S’opposer à un chauffard, à un trafiquant de drogue, à des incivilités en tous genres, c’est faire preuve du sens de l’État. La violence qui a le sens de l’État, c’est celle qui porte en elle la perspective d’un Ordre qui sait sauvegarder les règles de la vie courante, les bonnes mœurs.

De manière plus collective, la violence révolutionnaire représente le condensé d’un nouvel Ordre en cours de formation qui cherche à s’imposer pour sauver le raffinement, le beau et le bon et le généraliser à tous.

On ne peut pas comprendre la victoire soviétique contre le nazisme sans saisir cet aspect civilisationnel. Car la force de l’URSS, ce ne fut pas seulement que le peuple laborieux s’était émancipé socialement, mais qu’il avait accédé à l’ordre socialiste.

Mieux, l’élévation générale du niveau culturel et intellectuel de la classe ouvrière à travers sa scolarisation et l’alphabétisation généralisée, mais également tout le travail culturel éducatif a fait du peuple un participant actif de la civilisation.

Cela se lit bien dans la construction du métro de Moscou dans les années 1930, mais aussi dans les nombreux abribus pour autocars qui se veulent une expression esthétique avancée.

De fait, la défense d’un tel ordre revêtait une dimension historique et morale capitale, indomptable, face à un régime nazi célébrant le glauque et le baroque.

La défense de la civilisation comprise dans un sens révolutionnaire revêt l’aspect d’un programme politique en soi car il est possible et nécessaire de décliner l’envergure classique-civilisationnelle à l’ensemble des champs des rapports sociaux : en art donc, mais aussi dans le langage, les manières de manger, de s’exprimer, de se déplacer.

Il est possible et nécessaire d’en faire un étendard de sa vie quotidienne : les exploités sont le rempart à la décadence, car ils méprisent un ordre qui vacille et fait se diluer progressivement les acquis de la civilisation. Il faut se vivre comme un rempart et un défenseur de cette dernière.

À l’aune du déni des effets la pandémie et du réchauffement climatique, de la tendance à une nouvelle guerre mondiale, de l’effritement des règles de vie au quotidien, de la mocheté des villes, de la nullité dans les arts, de la compression des sensibilités : Socialisme pour la civilisation ou barbarie.

« Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre.

C’est là un dilemme de l’histoire du monde, un ou bien – ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l’avenir de la civilisation et de l’humanité en dépendent. »

Rosa Luxemburg, Socialisme ou barbarie, 1915
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Vie quotidienne

Les français sont passés en mode sans échec

Comment la France va t-elle s’en sortir ? La question est dans toutes les têtes et forme un tel vertige qu’en débattre est exclu. Les esprits s’enivrent, les âmes vacillent et la discussion politique est toujours plus réduite, plus taboue tant les implications sont vastes.

On peut bien discuter des difficultés de la vie, de telles ou telles choses liées à l’actualité mais poser les choses du point de vue politique est interdite. Encore moins si l’on a une prétention idéologique. Si l’on regarde correctement les choses, on ne peut que constater à ce point de vue une coupure majeure entre les années d’avant 2010 et celles d’après 2020.

Il y a encore quelques années, parler de « capitalisme » était autorisé même si cela était une sorte de pensée commune sans surface critique et scientifique, il n’en restait pas moins vrai qu’une discussion impliquant un effort et une attention même minime était envisageable. Cela pour le capitalisme, mais également pour des tas d’autres choses comme la musique, l’actualité, l’écologie, les relations de la vie elle-même…

En 2023, cela est toujours moins permis. Non pas qu’il y ait une barrière formelle, des lois répressives comme le diffuse les petits boutiquiers du mensonge, mais bien que la pression psychique sur les gens est telle que toute discussion au-delà du quotidien immédiat est proscrite. On peut bien parler de grandes sujets, comme le réchauffement climatique, la guerre, l’exploitation salariée, etc., mais cela restera au stade élémentaire.

C’est là une donnée issue de la pandémie de Covid-19, avec des confinement qui ont permis de se poser, de revoir les choses ou pour le dire d’uploader sa vie, ou plutôt la vie dans une nouvelle configuration. Mais en réalité, l’upload a buggé. Le téléchargement des nouvelles données avait bien commencé mais il s’est crashé à 10 ou 20 % du processus…

Le bug a forcé les gens à continuer à vivre dans un autre mode. Penser que les gens sont dans le déni de l’après Covid-19 est donc erroné. Le déni est derrière eux, les gens sont passés en mode sans échec. Toute programmation psychique qui demande un effort dans lequel l’activité cérébrale est tendue vers un aspect collectif prolongé est indisponible.

Les gens vivent sur un mode élémentaire et la seule chose dont ils leur est permis d’avoir conscience, c’est que ce mode est précisément voué à l’échec. Dans le mode sans échec du capitalisme, c’est l’élémentaire et l’immédiat qui prime sur tout.

S’il y avait seulement déni, on ne pourrait comprendre par exemple les émeutes de la fin juin 2023. L’émeute anarchique avec pour arrière-plan l’ « anti-flic » relève d’un tel mode sans échec : le réel n’est pas nié mais filtré par un logiciel sans les pilotes permettant la navigation (l’interprétation) complexe.

Cela est visible dans le rapport aux règles de vie civique, le respect de la nature et des animaux, les relations amoureuses, le rapport au travail, etc. Dans le mode sans échec, ce qui manque c’est justement le pilote qui permet la conscience du rapport social.

Le rapport au travail justement est l’expression typique du phénomène. Il n’y a plus investissement au travail avec l’idée qu’on est là dans un rapport collectif mais une présence sur le mode simple. Il n’est pas question de regretter en soi ce phénomène issu de la réalité du capitalisme, mais d’un autre côté tout révolutionnaire part de cette réalité qui lui lègue des gens leur étant indisponible, voir même indisposé.

Évidemment, la bourgeoisie s’en émeut mais n’y peut rien car elle-même est passée sur ce mode. Il n’y a qu’à voir comment l’endettement du pays l’effraye et dont elle sait qu’il va falloir faire travailler les gens plus, beaucoup plus, avec moins d’acquis sociaux mais il lui faudrait pratiquement un régime policier, voir fasciste pour cela. Une telle programmation complexe lui est hors de portée.

La France va t-elle s’en sortir ? Sûrement pas et tant pis se disent les français puisque de toute manière le mode sans échec ne dure qu’un temps. La France va donc au crash et il sera l’espace de débogage.

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Nouvel ordre

La décivilisation, expression de la décadence de l’ordre bourgeois

Poser la question de la civilisation et de la décivilisation, c’est poser la question de l’Ordre social. Car tout ordre se doit de générer les conditions pour faire continuer et élever le niveau de civilisation : c’est le propre du développement de l’Humanité.

Quand on parle d’Ordre, on parle d’une manière d’ordonner la vie sociale de façon à ce qu’il soit garanti au plus grand nombre une vie quotidienne à peu près stable par rapport aux conditions historiques données.

L’instabilité sociale est le contraire d’un Ordre social et plus l’instabilité sociale est importante, plus les conditions d’élévation de la civilisation s’affaissent. Le processus de civilisation ne s’établit pas sur plusieurs années, il se réalise sur plusieurs décennies, si ce n’est plusieurs siècles ; cela demande nécessairement calme et stabilité.

La capacité de l’être humain d’élever le niveau de civilisation correspond donc à sa manière d’ordonner les comportements humains. Ou comme le décrit le sociologue Norbert Elias, penseur de la question qui a toutefois sanctuarisé l’ordre bourgeois comme gage du niveau de civilisation :

« La stabilité particulière des mécanismes d’autocontrainte psychique qui constitue le trait typique de l’habitus de l’homme « civilisé » est étroitement liée à la monopolisation de la contrainte physique et à la solidité croissante des organes sociaux centraux. C’est précisément la formation de monopoles qui permet la mise en place d’un mécanisme de « conditionnement social », grâce auquel chaque individu est éduqué dans le sens d’un autocontrôle rigoureux. »

Par « monopole », il faut entendre ici le lent processus de formation d’un appareil d’État entre les 13e et 18e siècles. Il faut ici rappeler justement la double dimension de l’appareil d’État qui s’il est l’expression de la domination d’une classe par une autre et également le reflet du nécessaire conditionnement des individus à des rapports sociaux plus sophistiqués.

C’est ainsi que lorsque les États du monde ont déclaré des confinements de population entre 2019 et 2020 pour lutter contre la pandémie de Covid-19, ils exprimaient non pas une domination de classe mais la continuité de la civilisation.

Les mesures de contrainte étaient en réalité une manière de contraindre les individus dans le cadre d’une société moderne où la fluidité des échanges et la mobilité sont la règle. Évidemment, les États l’ont fait dans les conditions d’un Ordre marqué par l’accumulation capitaliste et l’échange marchand, ayant pour conséquences les désordonnements qui ont suivi et continuent à s’exprimer dans les années qui suivent.

Déjà, des portions réduites de la population ont manifesté des comportements de décivilisation, avec le refus de l’autocontrainte. Ces gens ont rejeté un phénomène qui pourtant s’est déroulé sur plusieurs siècles : celui de la formation de règles publiques garanties par un organisme central contre l’intérêt privé de seigneurs locaux, se cristallisant ensuite dans des comportements jusqu’à en devenir automatiques.

Or, la question est de saisir aujourd’hui d’où vient de manière générale le refus de l’autocontrainte ? Est-ce un leg du passé, du temps d’avant la formation d’un appareil d’État centralisateur, où les petits seigneurs régnaient en maîtres sur leurs territoires ? Ou bien est-ce le produit des conditions de la société capitaliste moderne ?

Une personne qui circule à vive allure en scooter ou sur une trottinette électrique sur un trottoir piéton est-il un petit seigneur ou un individu forcené du capitalisme ?

Évidemment, cela relève en premier lieu des conditions de la société de consommation moderne. Car lorsqu’on parle de l’autocontrainte, il y a indirectement l’idée d’une plus grande subtilité des individus dans leurs relations sociales, une sorte de raffinement.

À travers la ville et l’échange marchand, le capitalisme a développé puissamment les espaces publics/collectifs à travers desquels est nécessaire un raffinement de son comportement, mais en même temps arrivé à un stade de son développement il en est une entrave.

Il suffit de prendre un grand magasin de vêtements dans un centre-ville pour s’en rendre compte. D’un côté, il y a un fourmillement d’individus qui veillent à ne pas mal se comporter mal face aux autres en respectant les codes d’usage comme ne pas essayer les habits devant tout le monde, garder une distance à la caisse, etc. Mais de l’autre côté si quelque chose grippe la mécanique, cela se ressent dans les individus qui deviennent plus aigres, plus raides, plus aigris, avec jamais bien loin un risque de dérapage, de petits conflits.

Si cela est dans l’ADN de la consommation capitaliste à ses débuts, la généralisation de la société de consommation a amené à une généralisation de l’esprit d’immédiateté qui, s’il est entravé, risque de générer des formes de brutalité, de grossièreté, même minimes.

Être raffiné, c’est savoir prendre le temps car c’est intellectualiser son rapport au monde, sa manière de vivre, de se nourrir, de se vêtir, d’aimer, d’apprécier l’autre. À l’heure des applications de rencontre, de livraison de repas à domicile, de l’écoute accélérée de musique, de la généralisation du format série, c’est toute la base de la civilisation qui s’affaisse.

Si la civilisation est le long processus de formation d’une autocontrainte psychique, avec l’attention et le temps requis, elle se heurte à société capitaliste-marchande qui, en plus d’être ultra-accélérée, va jusqu’à effacer ses propres conditions de production pour mieux fétichiser la valeur. Comment ne pas voir qu’une telle société arrivée à maturité formate des esprits dans le sens d’une décivilisation ?

Le règne abouti du fétichisme marchand, c’est l’âge d’individus narcissiques qui évoluent dans un monde abstrait. C’est l’âge de l’individu qui se moque du réel : il évolue à sa guise dans un monde sans que ne soient plus exigées ni contraintes, ni barrières quelconques, si ce n’est celles de ne pas entraver le bon écoulement des marchandises.

Et il n’est pas difficile également de comprendre que lorsque le pire de cette société de consommation moderne, soit le culte de l’égo indépendant de tout et le pire de la société féodale, soit le culte de l’honneur guerrier, se rencontrent, il y a un cocktail parfait pour des phénomènes de dé-civilisation. C’est l’individu-roi à base d’avancées guerrières, qui consomme ses échappées chevaleresques.

Il s’agit là d’une expression d’un mode de production capitaliste arrivé à maturité en ce qu’il a développé une consommation outrancière d’objets inutiles grâce au maintien d’une large partie du globe dans une situation féodale, avec pour résultat la combinaison des pires horreurs en termes de comportements.

Et comme l’État actuel est une émanation de cette société, il est évident que les institutions publiques sont à la peine pour maintenir le niveau de civilisation exigé par l’époque. Elles sont à la dérive et cela se voit en de multiples manières, des autorisations de construction délirantes au relativisme sur les incivilités sur la route jusqu’à l’acceptation-encadrement des trafics de drogue, de la pornographie, le délaissement des victimes de harcèlement scolaire…

Cela peut apparaître décalé et en même temps tout le monde comprend bien que les choses s’effondrent avec une société repartie sur les braises d’une pandémie qui n’a fait se générer aucun bilan social et culturel.

Vu du futur, tout ceci sonnera comme une évidence…

L’évidence que la société humaine développée du 21e siècle s’effondrait sur elle-même du fait de l’affaissement des vecteurs d’autocontraintes psychiques dû à un mode de production capitaliste pleinement développé.

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Nouvel ordre

Un nouvel ordre pour une nouvelle armée !

Avec la crise du capitalisme, les rivalités entre grandes puissances ont refait surface. On ne compte plus les points de tensions dans le monde et, de la guerre en Ukraine à l’opposition entre la Chine et les États-Unis en rapport à Taïwan, la guerre est devenue une actualité permanente.

Cela terrifie les gens d’autant plus qu’ils ont cru en la fable des années 1990 du « village planétaire » d’où la guerre entre États serait exclue. Cette époque est révolue.

Le problème est que la conscience de cette fin de séquence historique oblige les opinions à réfléchir à la guerre et son corolaire, l’armée, alors même qu’ils s’en sont éloignés. En France, la fin du service militaire obligatoire en 1996 a renforcé cet éloignement, qui se traduit aujourd’hui par une sorte de paralysie générale.

Pourtant, on ne peut vraiment s’intéresser à la politique sans passer par un programme militaire, car comme le dit la formule célèbre de Clausewitz, la guerre est « la continuation de la politique par d’autres moyens ».

La question est alors de savoir quelle position la Gauche historique développe à propos des questions militaires en général et de la défense en particulier ?

On sait que Jean Jaurès était partisan de l’abolition de l’armée de métier, séparée du corps civil. En bon héritier de la Révolution française commencée en 1789, notamment avec la défense nationale de 1792-1793 contre les armées royalistes, il plaidait pour la formation de milices civiles territorialisées.

En réalité, poser la question ainsi est erroné.

Du point de vue de la Gauche historique, de la même manière qu’elle a su dénoncer la prétention de l’Etat à apparaitre neutre et arbitre des lutte de classe, l’aspect militaire n’a jamais été détaché de la question de la nature du pouvoir.

L’armée, fusse-t-elle « populaire » à l’instar d’une milice territoriale, n’en sera pas moins au service d’un ordre déliquescent à tous les points de vue. C’est ce que rappelait Lénine.

« A propos de la milice, nous devrions dire, pour donner une réponse concrète et pratiquement indispensable : nous ne sommes pas pour la milice bourgeoise, mais seulement pour une milice prolétarienne. Par conséquent, « pas un sou et pas un homme », non seulement pour l’armée permanente, mais aussi pour la milice bourgeoise, même dans des pays tels que les États‑Unis ou la Suisse, la Norvège, etc. » 

Aujourd’hui en France, une milice à la mode helvétique s’inscrirait en continuité d’initiatives telles que les « voisins vigilants » et leur mentalité de petit propriétaires replié sur leur pavillon et leur jardin. Alors même qu’il n’y a à côté de cela, aucun engagement d’envergure collective sur le délitement social…

La question militaire est donc conditionnée à la question de l’Ordre et de son Pouvoir qui s’inscrivent nécessairement dans un certain sens de l’Histoire. C’est la raison pour laquelle Mao Zedong a pu dire que « le parti commande aux fusils et il ne faut jamais permettre que les fusils commandent au parti ».

Il est toujours question de savoir ce que l’on défend et pourquoi : ainsi était-il juste d’assumer la guerre pour l’Ordre républicain porté par la Gauche contre la réaction fasciste en 1936 en Espagne. Ou pour prendre un autre exemple : la France ne s’est-elle pas effondrée à l’été 1940 parce qu’elle était, entre autres choses, à bout de souffle malgré tout son matériel militaire ?

Par conséquent, la seule perspective est de participer à la formation d’un Nouveau Pouvoir au service d’un Nouvel Ordre qui vaille la peine d’être défendu. Et la réalité actuelle, c’est que les français sont au bord du craquage psychique.

Une « guerre de haute intensité » exige pourtant une grande discipline collective et de l’abnégation déterminée par une morale au service d’une Cause. Une chose dont la France, mais également les États-Unis, sont bien incapables, minés par des décennies de lessivage par la société de consommation.

Nouvel Ordre, Nouveau Pouvoir, Nouvelle Morale : c’est à partir de là que peut commencer un débat sur les questions militaires, y compris par rapport à la question de la « défense nationale » contre les autres puissances.

Car il est évident qu’une France nouvelle sur tous les plans aurait à se confronter à des pays encore marqués par l’ancien ordre des choses. La défense militaire devient alors une nécessité d’époque car portant une nouvelle dynamique.

Les guerres se remportent lorsqu’elles sont justes et elles sont justes lorsqu’elles sont justifiées par la tendance de l’Histoire. Les armées républicaines françaises ont gagné sur les monarchies, c’était là le sens de l’Histoire, tout comme le peuple soviétique a remporté sur le IIIe Reich, représentant l’ultime sursaut de défense d’un ordre décadent.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé du côté ukrainien dans les premiers mois de l’invasion avant de se retourner en son contraire : de la défense nationale, on est passé principalement à une guerre par procuration pour le compte de l’Occident contre la Russie. Et la justesse de la Cause est devenue secondaire par rapport aux rivalités de grande puissance, marquant de son empreinte toute la stratégie militaire.

L’attente d’une « contre-offensive ukrainienne » au printemps 2023, entièrement déterminée par les moyens militaires occidentaux, en est la dernière preuve éclatante.

Ainsi donc, la question militaire est d’abord et toujours avant tout une question politique liée à l’Ordre que l’on défend.

Aujourd’hui, l’Ordre en France se délite socialement de tous les côtés, la morale ne sait plus porter rien de sérieux au plan culturel, l’architecture dans les villes françaises vire à l’immonde, il y a une absence de considération pour la nature et les animaux, les comportements anti-sociaux sont monnaie courante, sans même parler de ces travailleurs exploités dans des tâches abrutissantes et ces poches de pauvreté, etc.

Sérieusement, qu’y a t-il à défendre au juste actuellement en France, ce pays où les gens délaissent la politique, ne s’engagent nullement ? Il n’y a que les esprits fascistes pour penser que le fait militaire soit à même de relancer la société : c’est l’inverse qui est vrai ! D’ailleurs, les pays qui avaient construit un Nouvel Ordre, socialiste, à l’instar de la Russie ou de la Chine, ont justement liquidé la Cause dans les années 1960-1970 en laissant penser que la direction des choses en revenait à l’État seul, lui-même orienté par l’armée.

La seule chose qu’il faille défendre est la formation d’un nouvel État pour être en mesure de défendre une nouvelle société à même d’accompagner un nouvel élan de civilisation. Alors la défense militaire devient un horizon valable.

Une armée qui de fait sera nouvelle et sera marquée par de nouveaux rapports : la fin de la séparation d’avec la société civile, la féminisation des cadres dirigeants, la suppression de la culture de l’héroïsme patriarcal, l’élection des officiers et généraux, la soumission absolue de la technique à l’art humain de l’organisation, l’élévation du degré de conscience générale de chaque soldat pour une prise de décision démocratique, etc.

Toute réflexion militaire qui ne pose pas la question de la nature de l’Ordre défendu est étrangère au programme militaire à gauche. La défense d’un Ordre vacillant ne peut être que porté par une armée vacillante : c’est peut-être la clef pour construire un nouvel Ordre socialiste qui vaille la peine d’être défendu, coûte que coûte, vaille que vaille.

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Culture & esthétique

Comprendre la civilisation pour mieux la porter

La civilisation est un long processus qui se situe au niveau de l’être humain lui-même. On peut la résumer en la prise de conscience de l’interdépendance sociale, donnant lieu à une intériorisation par l’individu qu’il vit et évolue dans un ensemble plus vaste qui se nomme « société ».

Cette intériorisation s’exprime à travers des codes et des mœurs qui se résument dans le fait d’être civilisé dans ses rapports sociaux : la civilisation est le processus d’auto-éducation de l’Humanité à travers son développement.

Dans l’Empire romain d’Occident, on parle de civilisation du fait que la vie était plus douce, plus pacifiée, non pas en raison immédiate d’une « psychologie » ou d’une « culture » mais parce qu’il existait des capacités productives fondées sur une interdépendance.

Y compris jusque dans les fermes de paysans isolés des campagnes, on bénéficiait d’une poterie ornée, en nombre, et on vivait dans des maisons avec les toits en tuile (le moyen-âge connaîtra un recul avec la chaume). Les marchés utilisait des pièces de monnaie intermédiaire en cuivre, disparues dans les débuts du moyen-âge. Bref, la vie s’était sophistiquée, se reflétant en des mœurs pacifiés, car ayant conscience de l’interdépendance collective générale.

Si les invasions dites barbares ont été un choc, c’est bien parce que les peuples en question n’avaient pas acquis un tel niveau de développement matériel, donnant lieu à une nouvelle « civilité ». Un exemple frappant est le fait que pour combattre les « barbares », les Romains ont dû recruter dans les esclaves – issus majoritairement des peuples « barbares » – mais aussi dans les peuples barbares eux-mêmes moyennant contrats. La raison est simple : les romains s’étaient adoucis, pacifiés et la guerre n’était plus pour eux un horizon envisageable.

A strictement parler, il est pourtant erroné de parler de la « civilisation romaine », car en fait ce processus est universel et interne à l’Humanité elle-même. Il n’y a pas « des civilisations », il y a un processus général de civilisation qui toutefois se décline en des ères culturelles et géographiques variées. La substance reste toutefois similaire : une pacification-sophistication des relations sociales en lien avec un mode de vie plus sûr, mieux garanti.

Par conséquent, le processus de civilisation commence avec l’agriculture, puis se prolonge avec l’écriture jusqu’à aboutir à des modes de vie toujours plus complexes d’où sont exclus la précarité, l’insécurité avec pour conséquence des mœurs plus raffinés. Mais aussi une culture qui prend ensuite la forme du classicisme en ce que le raffinement du quotidien s’exprime à travers l’harmonie de l’utile et de l’agréable.

C’est pourquoi la chute de Rome n’exprime pas une fin de la civilisation, car la civilisation a trouvé comment continuer et s’enrichir avec les dynasties abbassides et Omeyyades entre les VIIe et XIIIe siècles.

Puis le processus reprend en Occident avec l’avènement de la bourgeoisie à travers les entrailles de l’ordre féodal. La bourgeoisie, née au cœur des villes et de l’échange commercial, a de suite porté des mœurs nouvelles face à une noblesse encastrée dans le code de l’honneur de la chevalerie. Un code faisant de la violence physique et de la guerre des valeurs cardinales, où l’individu n’existe que parce qu’il s’inscrit dans une communauté où autrui est vu comme un rival à dominer.

La civilisation est donc un processus de long terme qui repose sur une complexification des mœurs en lien avec la sophistication d’un mode de vie. Mais qui dit complexification et sophistication dit appareil d’État édictant des règles et des lois venant sanctuariser les manières de vivre et de faire en rapport avec le mode de vie.

Lorsqu’il est parlé de « décivilisation », c’est donc au recul du raffinement des comportements civils qu’il est fait référence. Cela s’exprime par des relations sociales marquées par plus d’agressivité, de pulsions individuelles et d’égocentrisme corrosifs, mais également dans l’effritement de ce qu’on nomme la « bienséance ».

Les drames tels que l’horrible torture et meurtre de Shaïna entre le 31 août 2017 et le 25 octobre 2019 et dont le procès s’est terminé le 9 juin 2023, l’attaque immonde au couteau à Annecy le 8 juin 2023 ou bien encore le suicide de la jeune Lindsay le 12 mai 2023 ne sont qu’une (très petite) partie émergée de l’iceberg. Il faudrait plutôt parlé de l’aspérité de la vie quotidienne.

Il y a dans les pays capitalistes un recul de civilisation qui se joue dans les interstices du quotidien, sans pour autant que cela ne bascule forcément dans une brutalité directe – comme cela l’est plus régulièrement dans les sociétés encore marquées par une culture féodale.

Cela s’exprime à travers l’irrespect du code de la route, les harcèlements en tous genres, les micro-tensions dans l’espace public, les agressions aux accueils dans les hôpitaux, les banques, les centres administratifs, etc. Mais on peut parler aussi de la généralisation de la pornographie, de la prostitution adolescente, ainsi que du désengagement au travail, etc.

Et si l’on parle de règles de bienséance, on pourrait tout à fait inclure également la généralisation du « fast-food » dans la décivilisation, alors qu’inversement le processus de civilisation est précisément passé par l’art de raffiner l’alimentation avec des poteries ornées !

En creux de la décivilisation, il y a à l’absence de conscience d’autrui ou pire la conscience qu’autrui est un obstacle à enjamber, et le refus de soumettre son individualité à des codes et des règles collectives permettant des rapports sociaux pacifiés et raffinés.

Les survenues d’épisodes de brutalité absolue vont d’autant plus choquer que la civilisation n’est pas un phénomène statique, mais un processus de long terme qui s’enrichit à mesure que le mode de vie se sophistique. On est gravement heurté par un meurtre gratuit au couteau dans l’espace public dans une époque où l’on bénéficie d’un mode de vie apaisé et fondé sur un haut niveau de sophistication.

Il restera ensuite à déterminer comment la civilisation, ce processus d’auto-éducation de l’être humain, se réalise et s’enrichit concrètement à travers un antagonisme qu’est la lutte des classes. C’est naturellement un processus dialectique, où l’auto-éducation de l’humanité se conjugue avec la nécessité historique du socialisme, du communisme.

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Vie quotidienne

La place du skateboard dans la ville

Le skateboard est né au cœur de l’urbanité. On peut se dire que le skateboard suit, finalement, la bétonisation de la ville. C’est vrai et cela constitue forcément un problème si l’on se place du point de vue écologique.

Mais en rester là serait formel car en réalité le skateboard ne suit pas tellement l’extension urbanistique de la ville à travers l’agglomération périurbaine, mais plutôt son renouvellement incessant.

Si l’on prend une zone périurbaine résidentielle, l’architecture y est finalement très pauvre et routinière. Il n’y a que peu de place pour des formes urbaines originales, ouvrant la voix à une exploration dense par le skateboard.

Rassemblement de skateurs au « LOVE park », une place de Philadelphie (États-Unis) détruite en 2016 pour stopper la pratique.

Mais voilà, une place urbaine, un escalier d’immeuble, une succession de trottoirs ou de bancs, etc., sont partagés avec d’autres usagers. Des usagers de toutes sortes, donnant lieu à des conflits et des nuisances tels le bruit et la dégradation du mobilier urbain.

Les mairies ont cru trouver une solution clef en main avec la multiplication des skateparks dans le but de pouvoir limiter la pratique dans la ville elle-même. A cela s’ajoute parfois des éléments anti-skate posés sur les mobiliers urbains, à l’instar des installations anti-SDF.

Le problème c’est qu’un skatepark reste un endroit limité par nature et bien qu’on puisse sans cesse renouveler son approche, il n’en reste pas moins vrai que les espaces sont les mêmes, avec les mêmes formes, les mêmes prises d’élan, etc., etc. Fondamentalement, un skatepark vise plutôt la performance et l’entraînement et c’est pourquoi en parallèle à l’inflation de ces structures, toujours plus élaborées ces dernières années, se sont montés en parallèle des clubs de skate dispensant un « enseignement ».

Mais la pratique du skateboard n’est pas un sport : plus qu’une discipline d’effort physique, il exige un déploiement de sa subjectivité à travers les formes sans cesse mouvantes de l’urbanité. Ce n’est pas pour rien qu’il y a une règle informelle, le ABD pour « Already Been Done » (déjà fait), qui veut qu’il ne faille pas réaliser un tricks (une figure) déjà réalisée sur un spot. Ou bien que s’est développé ces dernières années la mode de relever des grilles et/ou les plaques d’égout pour sauter un obstacle ou atteindre une surface, normalement inatteignable.

Une place urbaine va changer au fil des années et skater un park cloisonné et placé entre un gymnase et un terrain de football ne remplacera jamais le plaisir d’évoluer sur une place urbaine avec ses aléas, sa vie, ses contacts sociaux fluctuants… Une place s’est aussi un point central pour partir ensuite dans la ville, à la différence du skatepark qui en est le plus souvent éloigné.

Un skateur est donc une sorte d’artiste qui sculpte la ville et c’est pourquoi la scène est si connectée au monde des arts, pour le meilleur et pour le pire. Le skate, c’est l’art de combiner à la fois l’exploration et l’exploitation des possibilités de la ville.

La team « GX1000 » à San Francisco (États-Unis) est parvenue a marquer son empreinte par le fait qu’elle skate les nombreuses descentes très abruptes de la ville (down hill dans le jargon skate) d’une manière ultra-engagée, à la limite du suicide (Pablo Ramirez, un des membres du team, est décédé le 23 avril 2019 à la suite d’une percussion à grande vitesse avec un bus).

C’est à la fois le bon et le mauvais exemple : le bon car il traduit l’appropriation de la ville, le mauvais car il montre le côté anti-social du skate avec des comportements pleins de danger pour soi et pour autrui.

Les choses sont donc entendues : le skateboard est une démarche semi-artistique qui prend corps dans la ville mais se heurte à d’autres usages tout aussi légitimes.

Or voilà, étant donné que le skateboard est finalement quelque chose de récent dans sa forme moderne, il ya un tâtonnement pour résoudre ces questionnements.

Faut-il accepter de se transformer en un sport avec ses règles et son encadrement pour mieux négocier sa place au soleil ou maintenir la fidélité avec l’art urbain au risque de se heurter aux politiques de la ville et à sa police ?

Landhaus plaza à Innsbruck (Autriche). Une place urbaine qui a été refaçonnée en 2011 en acceptant le skateboard, après une interdiction en 1991-1992.

Dès qu’on pose cette question, il émerge deux options bien connues de la contre-culture : il y a ceux qui optent pour l’intégration aux institutions et voient donc la démarche vidée de son contenu, et les autres qui gardent la substance alternative mais se retrouvent marginalisés.

Ces deux options sont deux écueils qui pêchent par leur unilatéralisme. Car la clef, ce n’est pas « contre-culture » versus « institution » mais la mobilisation des pratiquants sur une base démocratique. De ce point de vue, si un débat et une mobilisation démocratique avait lieu, l’intégration du skateboard aux Jeux olympiques serait apparue pour ce qu’elle est : une simple tentative de relancer par en haut une institution qui n’attire plus les spectateurs.

Ce qui est intéressant, toujours, c’est la mobilisation des esprits à la base. Il existe depuis plusieurs années une démarche qui vise à se mobiliser pour peser auprès des mairies dans le but de sauver des places destinées à être détruites.

En 2016, à l’annonce de la destruction du « LOVE Park », une place très réputée à Philadelphie (États-Unis), les skateurs se sont rassemblés pour témoigner de leur attachement à un lieu, par ailleurs marqué par des conflits. La police municipale y menait régulièrement des raids anti-skateurs sur la base d’arrêtés d’interdiction, assimilant les skateurs aux dealers qui squattaient le même endroit.

Il y a également la très mythique « Stalin Square », son marbre et son point de vue à couper le souffle, à Prague (République Tchèque) qui a été sauvée de la destruction par ce type de mobilisation.

En France aussi, à Lyon, les skateurs se sont mobilisés pour sauver en 2016-2017 la place Louis Pradel (renommée en Hôtel de ville ou plus simplement « HDV ») qui était menacée de destruction alors qu’elle fait partie d’un des endroits les plus populaires pour le skateboard mondial.

Parmi l’architecture, il a été conservé les bancs en pierre qui bordent la place et dont la pierre offre un matériau tout particulier pour le skate, ainsi que les dalles de la place eux-mêmes en carreaux de pierre lisse.

Ici une vidéo tournée juste avant que la place soit rénovée, par la marque de skate Venture qui avait spécialement sorti un tee-shirt ainsi que des trucks avec la statue de Louise Labé et Maurice Scève, deux célèbres poètes français du 16e siècle, qui trône au milieu de la place et en est devenue l’emblème du fait de sa forme pyramidale :

L’enjeu c’est donc bien de générer une mobilisation à la base des skateurs dans le but de mieux faire cohabiter le skate avec les autres usages et usagers de la ville.

Il a d’ailleurs été suffisamment démontré que la présence de skateurs sur une place régulièrement minée par des incivilités contribue en fait à en réduire l’impact du fait de la présence prolongée faisant office de médiation.

Le skateur et co-fondateur de la marque Magenta skateboard Léo Valls, a impulsé une nouvelle approche dans le rapport aux mairies. A Bordeaux où il est installé, le skateboard s’est fait une place dans la ville en négociant tout à la fois l’installation de modules urbains adaptés à la pratique dans tel ou tel endroit et l’encadrement de la pratique sur les places par le biais d’horaires légales. Cet encadrement, respecté, devrait être généralisé à toutes les villes, avec une sorte de passeport interne délivré à chaque pratiquant pour évoluer en connaissance de cause.

On peut apprécier toute la démarche dans ce documentaire :

Mais voilà, si la mobilisation à la base est une clef pour entretenir un rapport avec la ville, il n’en reste pas moins vrai que les villes sont le plus souvent dirigées par une conception marchande de l’espace public, limitant aussi les autres usagers à des circuits de consommation et vis-à-vis desquels le skateboard peut apparaître comme un obstacle.

Le rapport du skateboard à la ville exige donc tout à la fois la prise en main de la scène skate pour assumer l’encadrement par rapport à la collectivité et une révolution des esprits pour liquider la perpétuelle tentation des villes à aseptiser ses rues dans l’objectif de satisfaire la société de consommation.