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Johnny Hallyday : un « rêve américain » opposé à la Gauche

Johnny Hallyday expliquait au début de sa carrière :

« Hallyday, c’est mon vrai nom et mon père est américain. »

Ce n’était pas vrai, mais cela en dit long. Car il y a une attitude systématique chez les fans de Johnny Hallyday : la mise en valeur du rêve américain. Johnny Hallyday est présenté un écorché vif, mais surtout dans la mesure où il est montré comme le type qui a réussi à faire ce qu’il veut.

Les gens aimant Johnny Hallyday ne l’aimaient malgré son style de vie, mais en raison de son style de vie. Ils valorisaient le côté « rêve américain » littéralement opposé aux valeurs de gauche.

Regardons ce qu’il en était. Johnny Hallyday vivait à Marnes-la-Coquette, une ville de 1700 habitants dans l’ouest parisien, qui est autant soporifique que propre, de par sa particularité d’être dans le top 5 des villes où les habitants ont les revenus les plus élevés. Ce n’est pas vraiment rock’n’roll roll.

A cette résidence de 900 m² de Marnes-la-Coquette (à quoi il faut ajouter un parc d’un hectare, une piscine, un tennis, un cinéma, etc.) s’ajoute un 650 m² à Los Angeles dans le richissime quartier de Pacific Palissade, ainsi qu’un 500m² sur l’île de Saint-Barthélémy et un chalet dans la ville suisse de très haut standing Gstaad.

Johnny Hallyday a également vécu longtemps à Saint-Tropez, dans la villa Lorada (1000², piscine de 500 m, piste d’hélicoptère, etc.).

Ce ne sont pas seulement des résidences luxueuses. Il s’agit surtout là d’endroits d’un conformisme le plus complet, des lieux qui appartiennent aux rendez-vous les plus classiques des gens richissimes.

Toute personne de gauche s’ennuierait à mourir dans des endroits remplis de gens très propres sur eux, superficiels et ostentatoires, vivant dans une bulle entièrement séparée de la société.

Ce n’est vraiment pas rock’n’roll roll et de toutes manières, quelqu’un qui est vraiment à fleur de peau n’est pas en mesure de dépenser entre 6 et 7 millions d’euros par an, comme le faisait Johnny Hallyday.

Lequel d’entre nous serait capable de dépenser 20 000 euros par jour ? On ne saurait même pas quoi acheter avec tant d’argent. En réalité, Johnny Hallyday était un flambeur, qui vivait de ses performances scéniques.

Johnny Hallyday demandait des chansons à des paroliers et des musiciens, les enregistrait (ce qui fait 50 albums studio) et surtout les jouait sur scène (ce qui fait 29 albums live). Sa vie fastueuse s’appuyait sur ses concerts (il en a fait 3 257).

Il a donc mis en avant une certaine image, tout en vivant de manière décadente entre drogues et alcools, présentant ses excès comme rock’n’roll et maquillant les tourments des gens riches en existentialisme populaire.

Les gens favorables à Johnny Hallyday appréciaient cela, car ce dont ils rêvaient eux-même, c’est de vivre ce rêve américain. Les coups de tête de Johnny Hallyday étaient appréciés en ce sens.

C’est son côté aristocrate capricieux. Dans les années 1960, il a un accident avec sa  Triumph TR3? Il en rachète une seconde.

Elle aussi détruite dans un accident, il se procure une Jaguar Type-E. Qu’il détruit, pour la remplacer par une Ferrari 250 GT Pininfarina… Elle aussi accidentée, remplacée alors par une autre Ferrari…

Les achats ne cesseront jamais : Porsche 356, Aston Martin DB6, Lamborghini Miura P400 (celle-ci étant fracassée dans un accident)… C’est un processus sans fin et quel symbole qu’en 1968, l’année de la fameuse révolte, Johnny Hallyday roule en Rolls Royce (Phantom 5 et Silver Shadow).

La liste des modèles est sans fin, avec également des Mercedes (450 SEL, 560 AMG), un hummer, une Panther De Ville… Ou encore une Lamborghini Aventador SV, une Rolls Royce Phantom Drophead Coupé, une Cadillac Serie 62 Cabriolet Custom, une AC Cobra, une Ford GT, etc.

Pour donner le ton, il y a une anecdote connue : un ami vient voir Johnny Hallyday un matin en Ferrari Testarossa. L’après-midi même, il s’en commande une.

C’est le principe du caprice, de la capacité à faire « ce que l’on veut ». Et surtout de luxueux et de visible.

Il en va de même pour la moto. Johnny Hallyday n’était pas un « motard », preuve en est il a eu de très nombreuses voitures de luxe et ces deux cultures n’ont rien à voir.

Et même en moto, il prend du luxe, en piochant avec un éclectisme troublant pour qui aime la moto : la moitié des motos qu’il a eu étaient des Harley-Davidson, mais il y aussi eu des motos Triumph, Ducati, Kawasaki, Yamaha, Honda.

Pour quiconque aime la moto, ce mélange des goûts est vraiment étrange ; il y a au moins trois écoles de pensée du rapport à la moto qui s’opposent dans de tels choix.

Mais tout cela n’a jamais compté pour personne, car Johnny Hallyday était simplement le symbole du rêve américain : les uns ne le prenaient pas en compte, les autres voyaient en lui le « self made man », l’homme qui a réussi par lui-même, en restant lui-même.

Ce n’est pas sans rappeler une certaine fascination populaire pour Donald Trump. C’est le même type de régression.

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Magyd Cherfi capitule devant Johnny Hallyday

Magyd Cherfi a commis une pathétique tribune dans Libération. L’ancien chanteur de Zebda y explique qu’en tant que personne de gauche, il aurait dû forcément considérer Johnny Hallyday comme un beauf faisant de la variété.

Les valeurs de gauche ne feraient pas le poids face à la dimension christique de Johnny Hallyday!

Au lieu de se remettre en cause et d’élever son niveau, Magyd Cherfi a préféré basculer chez les beaufs, au nom du fait qu’au moins ce serait populaire. C’est le principe de la capitulation culturelle et une fois qu’on perd ses valeurs culturelles de gauche, on n’est tout simplement plus de gauche…

TRIBUNE
Johnny, plus qu’une voix, par Magyd Cherfi
Par Magyd Cherfi, Chanteur — 6 décembre 2017

J’ai fait partie de ces ados qui, dans les années 80, se moquaient de Johnny, à cause de ses fautes de syntaxe, de grammaire, de conjugaison, que sais-je.

C’étaient des années encore «politiques» et l’on portait encore à gauche. On ricanait de son inculture, on riait de sa beauté irréelle, de son allure d’apollon achevé, on moquait ses chansons, leur romantisme échevelé, parfois leur aspect réac.

On raillait son manque d’érudition, son vocabulaire étriqué. On se rassurait qu’un dieu puisse être faillible à ce point. C’était trop facile d’écrabouiller une idole accessible par son humanité.

J’ai fait partie de ces bobos d’avant l’heure qui déifiaient Ferré, en oubliant que le plus réac n’est pas celui qu’on croit. J’ai fait partie de ces prétentieux, sauf qu’en cachette j’achetais ses albums, à Johnny, je bavais du «beau» cousu main.

J’écoutais, agenouillé, une voix plus qu’un texte qui me dévastait, et repartais ailé. Oui, j’ai fait partie des «honteux» qui se croyaient une avant-garde et ne supportaient pas cette ombre venue de plus haut que tous les espoirs.

Il était le mégaphone de tous les appels au secours

J’oubliais que cet homme était plus qu’une voix et cette voix incarnait une détresse des bas-fonds et en même temps une lueur plus haute que les croix portées.

C’était une vibration qui détruisait les migraines, qui carapaçait les cœurs blessés. Elle redressait des corps fourbus et permettait qu’ils embauchent le matin dans les pires boulots, les tâches les plus ingrates.

C’était une voix qui venait au secours de la nôtre. Qui la musclait les jours de colère. Elle se plaquait à nos cordes vocales pour les secourir des cris de détresse étouffés. Il était le mégaphone de tous les appels au secours, oui, un mégaphone d’en bas.

Il portait sans s’en rendre compte la voix de tous les sans-voix, celle des exclus de tous les systèmes, il offrait un alphabet manquant au non-érudit, une plaidoirie à l’âme blessée, il offrait l’argument défaillant chez les démunis du verbe. Son répertoire est devenu une bible, une plaidoirie des muets cette masse inconfortable, la gloire des malheureux.

Cet homme, en ne voulant que se consoler, revigorait l’orgueil des battus, il battait en brèche tous les idéaux d’un monde meilleur, la promesse électorale et la prophétie divine mêlées.

C’était un dieu sans promesses que pour lui-même. Il vieillissait, souffrait, buvait, fumait et survivait à ses propres tares.

Il apaisait la peine du pauvre, du paria, du SDF, du chômeur

Ce Johnny, c’était pas un rockeur, c’était pas un chanteur mais un cataplasme de nos frustrations, un pansement de tous les malheurs de la vie. C’était un organe qui vous recousait le cœur les jours endeuillés.

Ce Johnny était plus que lui-même, il incarnait la consolation, il colmatait les douleurs prolétaires.

Il consolait les survivants des pires malheurs, tous les déclassés. Tous s’identifiaient à cet homme qui suggérait la possibilité de victoires sur le mauvais sort. Il devenait le grand remplaçant d’un être manquant, un cher disparu, une mère trop tôt partie, un enfant blessé.

Il apaisait la peine du pauvre, du paria, du SDF, du chômeur, de la femme battue, du Noir, de l’Arabe, du manouche, de celui même qui ne comprenait pas un traître mot de français.

Son chant allait au-delà du texte, au-delà de la chanson. Toujours il a été plus fort que ses airs, plus fort que lui.

Lui, gueule d’ange, chantait «qu’est ce qu’elle a, ma gueule ?» et tous les moches s’identifiaient à la simple intonation de la sincérité – prouesse.

Sa voix construisait un barrage de paupières contre les larmes de tous les chagrins, un barrage derrière lequel nous nous réfugions et j’ai pas l’impression à l’heure de ce deuil d’en faire des tonnes.

Aujourd’hui, je pleure un mort qui n’est pas de ma famille mais ne l’était-il pas ?

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Johnny Hallyday : les unes des quotidiens nationaux et régionaux

Voici les unes des quotidiens nationaux et régionaux, avec leur éloge de Johnny Halliday, qualifié par le président Emmanuel Macron de « héros français ».

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Florilège des éloges de Johnny Hallyday

Voici quelques exemples importants, au moins symboliquement et sur ce que cela retranscrit comme système de valeurs, des éloges de Johnny Hallyday.

 

 

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Décès de Johnny Hallyday : le communiqué de l’Élysée

Johnny Hallyday est un excellent exemple de pourquoi nous allons exister agauche.org. C’est un écorché vif qui est capable d’exprimer des émotions. Mais ce n’est ni un auteur, ni un compositeur.

Il est resté orienté dans un registre rock – variété particulièrement régressif, à l’image d’une France refusant catégoriquement toute évolution, tout changement. Sa carrière a été soutenue par tous les médias, en faisant une icône au-dessus des classes sociales, de toute critique aussi.

Les attitudes concernant Johnny Hallyday sont particulièrement régressives : il était intouchable, on lui accordait une dimension pratiquement christique.

Johnny Hallyday est l’exemple significatif du poids culturel de la France profonde, d’ouvriers capables de voter pour une droite « populaire », et cela pendant plusieurs décennies. Comme si le monde ne changeait pas, comme si aucun changement n’était jamais possible…

Emmanuel Macron, qui se veut résolument moderne, l’a parfaitement compris et le communiqué de l’Élysée est un parfait exemple de démagogie et de contribution à l’endormissement des gens.

On a tous en nous quelque chose de Johnny Hallyday.

Celui qui se disait fils de personne, né à Paris, un soir de juin 1943, s’appelait Jean-Philippe Smet et fut rapidement mieux connu sous le nom de Johnny.

La rock’n’roll attitude qu’il importa des Etats-Unis fit de lui l’idole des jeunes dans les années 60, et une figure de la génération yé-yé. Lorsque passa le bon temps du rock’n’roll, le public aurait pu l’abandonner. Il n’en fut rien. Une autre vie pour lui commença.

Celle d’un artiste puisant dans la musique qu’il aimait, qui venait du blues, du rock, de ces Etats-Unis rêvés. Celle d’un homme resté l’enfant qui faisait le rêve tout bleu de Nashville. Il tirait de cela une sincérité et une authenticité qui maintinrent vivant le feu qu’il avait allumé dans le cœur du public. Depuis plus de 50 ans, il était une icône vivante.

Il était le bad boy qui chantait l’amour, le rocker sentimental qui défiait Gabrielle ou Sarah, le cœur tendre allant de conquêtes en déchirures. Nous avons souffert et aimé avec lui.

A travers les générations, il s’est gravé dans la vie des Français. Il les a conquis par une générosité dont témoignaient ses concerts : tantôt gigantesques tantôt intimes, tantôt dans des lieux démesurés, tantôt dans des salles modestes.

Il chantait avec la même passion à Las Vegas et au Stade de France qu’à Epinal, Rodez ou Bar-le-Duc. Il n’a jamais vieilli parce qu’il n’a jamais triché. Parce qu’il est resté simple et amoureux de la vie. Et parce qu’il savait que le secret pour ne pas vieillir est d’avoir plusieurs vies.

Jusqu’au bout, libre dans sa tête, il aura été cette présence familière, cette voix tant de fois imitée, cette personnalité osant vivre pour le meilleur, et communiquant une énergie fraternelle à ce public qui en retour lui criait : « Que je t’aime ». Ce public aujourd’hui est en larmes, et tout le pays est en deuil.

Tout au long de sa carrière, il sut s’entourer des meilleurs – musiciens, compositeurs, paroliers -, les associant pleinement à ses succès et partageant souvent la scène avec un sens profond de l’amitié, qu’il s’agisse de plus jeunes que lui ou de ses immédiats contemporains comme récemment Eddy Mitchell et Jacques Dutronc.

Il s’honorait parfois aussi de la présence à ses côtés de quelques-unes de ses idoles, comme Lionel Richie.

De Johnny Hallyday nous n’oublierons ni le nom, ni la gueule, ni la voix, ni surtout les interprétations, qui, avec ce lyrisme brut et sensible, appartiennent aujourd’hui pleinement à l’histoire de la chanson française. Il a fait entrer une part d’Amérique dans notre Panthéon national.

Le Président de la République et son épouse présentent à Laeticia Hallyday, à ses filles Joy, Jade et Laura, à son fils David, à ses musiciens, à son équipe, à ses amis, à ses fans, leurs sincères condoléances.

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Deux scènes marquantes du « Dictateur » de Charlie Chaplin

Avec le film Le dictateur, Charlie Chaplin dénonce en 1940 le national-socialisme allemand et le fascisme italien, l’expansionnisme et le militarisme. Deux scènes sont particulièrement marquantes.
La première est la scène du globe. Le dictateur, lui-même brun, veut anéantir tous ceux qui sont bruns, fantasmant de conquérir le monde. Il prend alors un globe terrestre, s’imaginant pouvoir jouer avec comme bon lui semble…

 La conclusion de la scène est prémonitoire de l’échec complet des plans des conquérants. La seconde scène, très connue également, est celle du discours de Charlie Chaplin.
Cette fois, il n’est plus le dictateur, mais un barbier juif qui, au cours d’un quiproquo et en raison de sa ressemblance, est pris pour le dictateur. Amené à faire un discours, il fait alors un éloge de la paix, du partage général, de l’universalisme le plus complet…

Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire.
Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne.Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider si nous le pouvions,
les êtres humains sont ainsi faits.Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas lui donner le malheur.
Nous ne voulons pas haïr ni humilier personne.Chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains.

Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre mais nous l’avons oublié.

L’envie a empoisonné l’esprit des hommes, a barricadé le monde avec la haine,
nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang.Nous avons développé la vitesse pour nous enfermer en nous-mêmes.
Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent dans l’insatisfaction. Notre savoir nous a fait devenir cyniques.Nous sommes inhumains à force d’intelligence,nous pensons beaucoup trop et nous ne ressentons pas assez.

Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d’humanité.

Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse.

Sans ces qualités humaines, la vie n’est plus que violence et tout est perdu.

Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres,
ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l’être humain,
que dans la fraternité, l’amitié et l’unité de tous les hommes.

En ce moment même, ma voix atteint des millions de gens à travers le monde, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants désespérés,
victimes d’un système qui torture les faibles et emprisonne des innocents.Je dis à tous ceux qui m’entendent:Ne désespérez pas !Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère
de l’habilité,de l’amertume de ceux qui ont peur
des progrès qu’accomplit l’Humanité.

Mais la haine finira par disparaître et les dictateurs mourront,
et le pouvoir qu’ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples.

Et tant que des hommes mourront pour elle, la liberté ne pourra pas périr.

Soldats, ne vous donnez pas à ces brutes,
à une minorité qui vous méprise et qui fait de vous des esclaves,
enrégimente toute votre vie et qui vous dit tout ce qu’il faut faire
et ce qu’il faut penser, qui vous dirige, vous manoeuvre,
se sert de vous comme chair à canons et qui vous traite comme du bétail.

Ne donnez pas votre vie à ces êtres inhumains,

ces hommes-machines avec une machine à la place de la tête
et une machine dans le coeur.

Vous n’êtes pas des machines !

Vous n’êtes pas des esclaves !

Vous êtes des hommes !

des hommes avec tout l’amour du monde dans le coeur.
Vous n’avez pas de haine, sinon pour ce qui est inhumain,
ce qui n’est pas fait d’amour.

Soldats ne vous battez pas pour l’esclavage mais pour la liberté.

Il est écrit dans l’Evangile selon Saint Luc
« Le Royaume de Dieu est dans l’être humain »,
pas dans un seul humain ni dans un groupe humain,
mais dans tous les humains, mais en vous,
en vous le peuple qui avez le pouvoir.
Le pouvoir de créer les machines,
le pouvoir de créer le bonheur.
Vous, le peuple, vous avez le pouvoir.
Le pouvoir de rendre la vie belle et libre,
le pouvoir de faire de cette vie une merveilleuse aventure.

Alors au nom même de la Démocratie,
utilisons ce pouvoir.
Il faut tous nous unir,
il faut tous nous battre pour un monde nouveau,
un monde humain qui donnera à chacun l’occasion de travailler,
qui apportera un avenir à la jeunesse et à la vieillesse la sécurité.

Ces brutes vous ont promis toutes ces choses
pour que vous leur donniez le pouvoir : ils mentaient.
Ils n’ont pas tenu leurs merveilleuses promesses ; jamais ils ne le feront.
Les dictateurs s’affranchissent en prenant le pouvoir
mais ils font un esclave du peuple.

Alors, il faut nous battre pour accomplir toutes leurs promesses.

Il faut nous battre pour libérer le monde,
pour renverser les frontières et les barrières raciales,
pour en finir avec l’avidité, avec la haine et l’intolérance.

Il faut nous battre pour construire un monde de raison,
un monde où la science et le progrès mèneront tous les hommes vers le bonheur.

Soldats, au nom de la Démocratie, unissons-nous tous !

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Le roman « Kaputt » de Curzio Malaparte

Kaputt de Curzio Malaparte est une œuvre d’une valeur inestimable, parce qu’elle s’appuie sur une expérience particulièrement concrète, alliée à une remise en cause existentielle.

On connaît cela avec les grands écrits de la première guerre mondiale, Le feu du Français Henri Barbusse et À l’Ouest, rien de nouveau de l’allemand Erich Maria Remarque. Ces écrits relatent la désillusion terrible vécue au front par des gens ayant pourtant choisi d’y aller.

Kaputt relate un événement existentiel similaire. L’Italien Curzio Malaparte est un homme brillant intellectuellement, adhérant aux valeurs de raffinement les plus poussées, ce qui l’amène dans les années 1920 à devenir une figure du fascisme en étant happé à la fois par l’esprit aristocratique de la haute société et le volontarisme de Mussolini.

Kaputt, publié en 1944, raconte sa terrible prise de conscience de toute l’horreur de cet engagement au cours de la seconde guerre mondiale. Curzio Malaparte dresse un panorama à la fois précis et sordide de la réalité de la terreur nazie, avec cet antisémitisme exterminateur combinant raffinement et folie furieuse.

En tant qu’officier italien de haut rang servant de correspondant de guerre, il rencontre des figures les plus importantes de l’armée allemande, se moque d’eux tout en comprenant qu’il n’est que leur bouffon, découvrant que derrière le visage humain des nazis et de leurs alliés, l’assassin sommeille au détour de pensée troubles, malades.

Un exemple montrera le caractère baroque de cette entreprise générale de crime organisé : Curzio Malaparte rencontre le chef de l’État croate collaborant avec l’Allemagne nazie, Ante Pavelic. C’est un homme affable, et pourtant…

«  – Le peuple croate, disait Ante Pavelic, veut être gouverné avec bonté et avec justice. Et moi, je suis là pour garantir la bonté et la justice.

Tandis qu’il parlait, j’observais un panier d’osier posé sur le bureau, à la droite du Poglavnik [équivalent croate du mot Duce, employé par Ante Pavelic pour se désigner comme chef].

Le couvercle était soulevé : on voyait que le panier était plein de fruits de mer. Tout au moins, c’est ce qu’il me sembla : on eût dit des huîtres, mais retirées de leurs coquilles, comme on en voit parfois exposées sur des grands plateaux, dans les vitrines de Fortnum and Mason, [un grand magasin de luxe], à Piccadilly, à Londres.

[Le diplomate italien Raffaelle] Casertano me regarda et me cligna de l’oeil :

– Ça te dirait quelque chose, hein, une soupe d’huîtres ?

– Ce sont les huîtres de Dalmatie ? Demandai-je au Poglavnik.

Ante Pavelic souleva le couvercle du panier et, me montrant ces fruits de mer, cette masse d’huîtres gluante et gélatineuse, il me dit avec son sourire, son sourire las : c’est un cadeau de mes fidèles oustachis, ce sont vingt kilos d’yeux humains. »

Tout Kaputt est ainsi et encore cet exemple n’est pas le plus terrible ; on ressort bouleversé de la cruauté nazie, racontée non pas de manière racoleuse ou brutale, mais dans toute sa puissance assassine, implacable et inhumaine.

Qui plus est, et c’est là quelque chose de particulièrement marquant, on peut considérer Kaputt comme le premier roman vegan. Tout le roman est en effet organisé en parties où un animal particulier est mis en exergue, son martyr étant la base sur laquelle il raconte des épisodes particuliers : on a ainsi les chevaux, les rats, les chiens, les oiseaux, les rennes, les mouches, tous divisés en sous-chapitres.

C’est la première prise en compte des animaux en tant que tel, servant de base même à la dénonciation de l’enfer de la guerre. Curzio Malaparte n’est pas du tout vegan, mais il exprime une sensibilité allant en ce sens de manière particulièrement appuyée, retrouvant dans la sensibilité l’affirmation de la possibilité d’une sortie à tout cela.

Après 1945, Curzio Malaparte se revendiquera en ce sens, de manière nullement étonnante, du christianisme et du communisme.

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Le film « Stalker » d’Andrei Tarkovski (1979)

Stalker est, dans l’histoire du cinéma, considéré comme l’un des plus grands chefs d’œuvre du 20e siècle.

Son grand paradoxe est de présenter une action extrêmement lente combinée à une capacité de capter l’attention avec un magnétisme d’une très grande puissance, avec une vigueur graphique de la plus haute qualité, et servi par la musique profonde d’Edouard Artemiev.

Il y a de quoi désarçonner par cette esthétique résolument étrangère, très oppressante. C’est d’autant plus dépaysant, si l’on peut dire, que la base même de cette capacité à saisir l’intégralité de l’esprit des spectateurs repose sur la perspective « cosmique » propre à la culture slave, plus particulièrement la culture nationale russe.

L’environnement ne peut être compris que comme totalité, comme cosmos ; c’est la raison pour laquelle la Russie a produit au même moment, outre Lénine (1870-1924), le théoricien du voyage spatial Constantin Tsiolkovski (1857-1935) et le théoricien de la planète comme Biosphère Vladimir Vernadsky (1863-1945).

On est dans une sorte de spinozisme modernisé et Stalker est une sorte d’avatar extrêmement captivant et dérangeant en même temps.

Le scénario, on s’en doute, est particulièrement tortueux, afin de justifier la progression du film et d’acteurs particulièrement déroutants.

Dans Stalker, réalisé en 1979 en URSS, Andrei Tarkovski reprend la trame du roman Pique-nique au bord du chemin, de Boris et Arkadi Strougatsky, tout en effaçant cependant l’aspect science-fiction.

Ainsi, au lieu d’avoir une « zone » marquée par des phénomènes étranges en raison des restes d’une pause faite sur terre par des extra-terrestres lors de leur voyage, on a une allégorie de l’univers comme ayant une dimension complexe, où tout est relié.

Stalker se situe ainsi dans le prolongement direct des questionnements cosmiques propres à l’URSS des années 1930-1950, dans la perspective ouverte en Russie à la fin du 19e siècle.

Mais, en même temps, il rompt avec cela dans une partie significative ; de par les conditions propres à l’URSS alors, le film bascule dans un existentialisme pessimiste absolument typique de l’esprit du « dégel » ayant suivi la mort de Staline.

La tendance à la réflexion métaphysique devient alors le grand leitmotiv du film, la véritable obsession des personnages.

Le film, aux images d’un niveau éblouissant sur le plan photographique, se focalise donc sur les affres intellectuelles et spirituelles d’un écrivain et d’un professeur guidés dans la « zone » par un Stalker, c’est-à-dire un passeur, être ultra-sensible rompant avec les valeurs dominantes d’un monde indifférent et cynique.

C’est également car il possède une charge critique virulente : la critique de la situation soviétique d’alors est patente et juste, exposée d’ailleurs par une alternance entre le noir et blanc (le monde hors de la zone) et la couleur (celle de la zone, qui est la nature elle-même, en opposition au monde abîmé).

La pollution, la militarisation de la police, l’oppression du secteur militaro-industriel en général, notamment avec le nucléaire, sont dénoncés de manière indirecte mais flagrante.

L’URSS des années 1970 est présentée comme une sorte d’État policier et d’organisation spatiale particulièrement sordide, entre béton, chaos et profonde laideur.

Le film culmine de ce fait dans un appel romantique, reprenant un poème du très important poète russe Fiodor Tiouttchev (1803-1873) : « J’aime tes yeux mon ami. J’aime les flammes qui y jouent quand tu les lèves soudain et que, telle la foudre, tu embrasses tout de ton regard. Mais plus puissant encore est leur charme quand, baissés comme pour se prosterner, au moment de l’étreinte passionnée, au travers des cils, j’entrevois le feu sombre et terne du désir ».

Cela en fait un film difficile d’accès, si l’on cherche une vue d’ensemble. Si l’on omet de comprendre le caractère fondamentalement russe de Stalker, on sombre dans une interprétation unilatéralement mystico-philosophique d’un film, dont le filigrane est en réalité le panthéisme cosmique dans son approche slave.

Derrière les références à Lao Tseu et au Christ, aux considérations métaphysiques, se retrouve la question de saisir un monde unifié, naturel et tourné vers la bonté. En ce sens, c’est un film particulièrement sombre, mais plein d’espoir.

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Baudelaire et les vitres de couleur pour les quartiers pauvres

Dans le Spleen de Paris, où il écrit des poèmes en prose, Baudelaire appelle au besoin de vitres de couleur pour les quartiers pauvres, afin d’être en mesure de voir la vie en beau…

LE MAUVAIS VITRIER

Il y a des natures purement contemplatives et tout à fait impropres à l’action, qui cependant, sous une impulsion mystérieuse et inconnue, agissent quelquefois avec une rapidité dont elles se seraient crues elles-mêmes incapables.

Tel qui, craignant de trouver chez son concierge une nouvelle chagrinante, rôde lâchement une heure devant sa porte sans oser rentrer, tel qui garde quinze jours une lettre sans la décacheter, ou ne se résigne qu’au bout de six mois à opérer une démarche nécessaire depuis un an, se sentent quelquefois brusquement précipités vers l’action par une force irrésistible, comme la flèche d’un arc.

Le moraliste et le médecin, qui prétendent tout savoir, ne peuvent pas expliquer d’où vient si subitement une si folle énergie à ces âmes paresseuses et voluptueuses, et comment, incapables d’accomplir les choses les plus simples et les plus nécessaires, elles trouvent à une certaine minute un courage de luxe pour exécuter les actes les plus absurdes et souvent même les plus dangereux.
Un de mes amis, le plus inoffensif rêveur qui ait existé, a mis une fois le feu à une forêt pour voir, disait-il, si le feu prenait avec autant de facilité qu’on l’affirme généralement. Dix fois de suite, l’expérience manqua ; mais, à la onzième, elle réussit beaucoup trop bien.

Un autre allumera un cigare à côté d’un tonneau de poudre, pour voir, pour savoir, pour tenter la destinée, pour se contraindre lui-même à faire preuve d’énergie, pour faire le joueur, pour connaître les plaisirs de l’anxiété, pour rien, par caprice, par désœuvrement.

C’est une espèce d’énergie qui jaillit de l’ennui et de la rêverie ; et ceux en qui elle se manifeste si opinément sont, en général, comme je l’ai dit, les plus indolents et les plus rêveurs des êtres.

Un autre, timide à ce point qu’il baisse les yeux même devant les regards des hommes, à ce point qu’il lui faut rassembler toute sa pauvre volonté pour entrer dans un café ou passer devant le bureau d’un théâtre, où les contrôleurs lui paraissent investis de la majesté de Minos, d’Éaque et de Rhadamanthe, sautera brusquement au cou d’un vieillard qui passe à côté de lui et l’embrassera avec enthousiasme devant la foule étonnée.

— Pourquoi ? Parce que… parce que cette physionomie lui était irrésistiblement sympathique ? Peut-être ; mais il est plus légitime de supposer que lui-même il ne sait pas pourquoi.

J’ai été plus d’une fois victime de ces crises et de ces élans, qui nous autorisent à croire que des Démons malicieux se glissent en nous et nous font accomplir, à notre insu, leurs plus absurdes volontés.

Un matin je m’étais levé maussade, triste, fatigué d’oisiveté, et poussé, me semblait-il, à faire quelque chose de grand, une action d’éclat ; et j’ouvris la fenêtre, hélas !

(Observez, je vous prie, que l’esprit de mystification qui, chez quelques personnes, n’est pas le résultat d’un travail ou d’une combinaison, mais d’une inspiration fortuite, participe beaucoup, ne fût-ce que par l’ardeur du désir, de cette humeur, hystérique selon les médecins, satanique selon ceux qui pensent un peu mieux que les médecins, qui nous pousse sans résistance vers une foule d’actions dangereuses ou inconvenantes.)

La première personne que j’aperçus dans la rue, ce fut un vitrier dont le cri perçant, discordant, monta jusqu’à moi à travers la lourde et sale atmosphère parisienne. Il me serait d’ailleurs impossible de dire pourquoi je fus pris à l’égard de ce pauvre homme d’une haine aussi soudaine que despotique.

« — Hé ! hé ! » et je lui criai de monter. Cependant je réfléchissais, non sans quelque gaieté, que, la chambre étant au sixième étage et l’escalier fort étroit, l’homme devait éprouver quelque peine à opérer son ascension et accrocher en maint endroit les angles de sa fragile marchandise.

Enfin il parut : j’examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis : « — Comment ? vous n’avez pas de verres de couleur ? des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis ? Impudent que vous êtes ! vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n’avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau ! » Et je le poussai vivement vers l’escalier, où il trébucha en grognant.

Je m’approchai du balcon et je me saisis d’un petit pot de fleurs, et quand l’homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets ; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d’un palais de cristal crevé par la foudre.

Et, ivre de ma folie, je lui criai furieusement : « La vie en beau ! la vie en beau ! »

Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance ?