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RanXerox

RanXerox est une bande dessinée absolument mythique, une sorte d’ovni graphique extrêmement puissant, épuisant toute une gamme de possibilités cyber-punk et s’épuisant par conséquent également, l’oeuvre n’ayant pratiquement que deux tomes, si l’on omet le troisième produit bien plus tard.

Le scénario de cette bande dessinée italienne du tout début des années 1980 est un mélange de Blade Runner et de Robocop, même si ces œuvres ne sortiront qu’après. On est dans une ville géante, une Rome du future entièrement moderne consistant surtout en de gigantesques bas-fonds où règnent l’ultra-violence, les drogues et la décadence, avec des couches ultra-privilégiées vivant dans la décadence la plus outrancière.

Un étudiant révolutionnaire a fabriqué, au moyen de pièces de photocopieuses (de marque Ranx Xerox), un androïde, mais alors qu’il était en train de le régler, la police intervient, sur la dénonciation d’une espionne du Parti communiste italien.

L’étudiant est tué et l’androïde connaît alors diverses aventures de zonard, toutes focalisées sur un triptyque meurtres gratuits – drogues dures – sexualité avec une jeune de treize ans dont il amoureux, le tout présenté sous la forme d’un véritable choc graphique.

Mais il faut ici saisir la nature de ce choc. En filigrane, de par les nombreuses allusions politiques trouvées ici et là dont les nombreux marteaux et faucilles, on reconnaît tout à fait l’ambiance nihiliste qui a été celle de toute une frange des intellectuels de gauche en Italie après la période 1977-1982.

Refusant catégoriquement le Parti communiste italien, sympathisant avec les Brigades Rouges mais refusant l’orthodoxie marxiste, liés d’une manière ou d’une autre à la scène de l’Autonomia Operaia (autonomie ouvrière) ayant basculé dans le mode de vie « alternatif » avec une très forte présence de l’héroïne, ces intellectuels de gauche ont sombré dans une sorte de mélancolie furieuse, dont RanXerox est un témoignage très puissant.

A l’espoir révolutionnaire a succédé un malaise, un mal-être, une fascination pour le morbide, le dégénéré, le décadent, le tout avec plus ou moins de discours néo-romantiques sur les drogues, la sexualité sans limites, la fascination pour l’extrême (les références pullulent de groupes de musique d’ambiance sombre comme Throbbign Gristle, Joy Division, les Ramones avec la chanson sur le fait de sniffer de la colle, etc.), etc.

RanXerox est pour cette raison une bande dessinée à la fois très vivante et horriblement glauque. C’est le besoin existentiel d’autre chose qui suinte de la bande dessinée qui sauve le tout, car sinon tout tombe des mains.

Graphiquement à l’initial tout est mal dessiné, ensuite il y a une véritable atmosphère, mais le scénario se résume à quelques scènes et des meurtres en série de l’androïde, allant jusqu’aux enfants, avec en plus des cases pornographiques.

On a l’impression, pour faire un parallèle discutable mais qui apporte de l’eau au moulin, d’avoir déjà une série par opposition à un film : tout est en continu, tout traîne sans avoir de but, pour capter l’attention on a de l’ultra-violence et de la pornographie.

On fait donc face ici à une gigantesque ville rempli de sociopathes et de psychopathes, d’un chaos urbain peuplé d’une population passive, de cafés futuristes, de délinquants sexuels forcenés, de mafieux et de pervers, avec des scènes malsaines, voire odieuses.

Rien de bien intéressant et pourtant, derrière la désillusion qui se dégage de l’œuvre, on trouve une critique radicale de la société, comme une case précise de manière cynique :

« Il est 20H30 sur le pont Garibaldi : A cette heure-là, l’atmosphère est tellement chargée d’oxyde de carbone qu’on peut presque entendre, dans les poumons des passants, le frou-frou des cellules cancéreuses qui prolifèrent allègrement à la manière de spermatozoïdes dans les testicules d’un beau gosse en parfaite santé. »

C’est donc tout un témoignage sur une époque. Le scénariste Stefano Tamburini, à l’origine de RanXerox, appartenait à toute la scène italienne, massive, des revues alternatives, lui-même travaillant à la maison d’éditions Stampa Alternativa et donnant naissance aux revues Combinazioni (1974), Cannibale (1977) et Frigidaire (1980), avant de mourir d’une overdose d’héroïne en 1986.

Le dessinateur Tanino Liberatore est surtout connu pour cette bande dessinée, certains musiciens lui demandant par ailleurs de faire leur pochette (notamment Frank Zappa, Gold pour Laissez-Nous Chanter, Bijou, Dick Rivers).

Dans le milieu des années 1990, un troisième tome de RanXerox a été publié à son initiative, l’humoriste Alain Chabat terminant un scénario non terminé de Stefano Tamburini. « Amen » n’a cependant nullement la qualité de « Ranxerox à New York » et de « Bon Anniversaire Lubna »… pour autant qu’on puisse parler de qualité pour une oeuvre cherchant justement à montrer l’impossibilité d’en avoir dans un monde ignoble.

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Le musée Vodou de Strasbourg

Le Musée Vodou, ouvert depuis 2014 à Strasbourg, a la particularité de présenter la plus importante collection d’objets au monde du culte vodou, originaire d’Afrique de l’Ouest (Togo, Ghana, Bénin, Nigéria dans une moindre mesure). En tout 1060 pièces répertoriées, pour un total de 220 présentées.

L’intérêt et la curiosité pour les cultures africaines sont bien sûr une excellente chose que partagent toutes les personnes progressistes, à la fois en raison des profonds et anciens liens historiques que notre pays partage avec une grande partie de ce continent, de l’importance de la francophonie en Afrique et de celle de la présence au sein des masses françaises de nombreux immigrés venant pour la majeure partie justement des pays dits francophones d’Afrique.

A Strasbourg en particulier, de nombreux migrants africains viennent d’Afrique de l’Ouest et concernant ce sujet, notamment du Togo et du Bénin.

Le musée en lui-même a été installé dans un ancien château d’eau de l’époque du Reich allemand, construit au début des années 1880 par l’architecte berlinois Johann Eduard Jacobsthal (1839-1902), qui a réalisé les plans des gares berlinoises de l’Alexanderplatz et de Bellevue, et à qui l’Etat impérial allemand confia la réalisation des gares de Strasbourg et de Metz (qui sera ensuite revue plus grande au début du XXe siècle).

Il se présente sous la forme d’une haute tour octogonale, massive, de style « néo-roman », couronnée d’un ouvrage en brique jaune orné de croisillons de métal et de verrières géométriques, s’inspirant des bâtiments de la Renaissance rhénane des XVe-XVIe sièscles.

Le soubassement de grès rose est un écho à la fois à la gare de Strasbourg justement et aussi à la cathédrale. Outre sa fonction technique de ravitailler en eau les machines à vapeur du réseau ferré de la Reichbahn, le château était aussi un lieu de vie des ouvriers de cette entreprise et après eux des sociétés françaises qui en ont pris le relais jusqu’aux années 1950.

En particulier avant la généralisation de l’eau courante dans les logements populaires, il y était possible d’y faire sa toilette après le travail notamment. En conséquence, ce lieu a fini, après son abandon lamentable dans les années 1950, par être inscrit sur la liste de l’inventaire des Monuments Historiques en 1983, sans toutefois faire l’objet de rénovations.

Jusqu’à son rachat par l’ancien PDG des brasseries Fischer et Adelshoffen Marc Arbogast, soutenu par son épouse Marie-Luce Arbogast pour un faire un musée exposant leur collection personnelle.

La rénovation a été confiée à un architecte strasbourgeois d’envergure : Michel Moretti, qui a aussi notamment réalisé les plans de l’ENA de Strasbourg en 1995 et de l’Ecole d’Architecture (ENSAS) en 1987.

La requalification du lieu en musée est une belle réussite de ce point de vue, et le travail muséographique réalisée par des salariés et des bénévoles de l’association qui gère le musée sur la base du droit local (maintenu après la réannexion de l’Alsace et de la Moselle à la France), est aussi une réalisation esthétiquement agréable, notamment en terme de présentation. Le musée étant formellement plaisant et accessible à visiter.

La démarche même de la collection suinte cependant l’esprit bourgeois de toutes part, dans une perspective agressive colonial-impérialiste à l’ancienne. En dépit de son objectif de rencontre des cultures, le malaise raciste ne quitte pas le visiteur, si celui-ci à une culture de gauche développée.

Le ton est donné par le propriétaire même du lieu : « Le Château Vodou est l’aboutissement de ma passion pour l’Afrique, qui combine une curiosité pour les savoirs traditionnels, la chimie et la chasse. »

On ne saurait mieux dire. Marc Arbogast et son épouse Marie-Luce ne sont pourtant pas eux-mêmes des personnes racistes au sens strict. Marie-Luce se présente comme une ancienne volontaire aux Médecins du Monde, et le couple souligne à l’envie la passion commune et ancienne pour l’Afrique qui les unit, depuis leur jeunesse.

Le musée est d’ailleurs fortement et ouvertement marqué par leur présence et leur promotion, on y apprend rapidement plus sur eux que sur n’importe quelle personne qu’ils auraient rencontré en Afrique. Leur promotion individuelle écrase littéralement tout le reste.

La performance de réaliser un musée sur l’Afrique sans qu’on puisse identifier d’Africains, ne semblent pas leur avoir traversé l’esprit. Il n’est question que de leur expérience, que nous sommes invités à partager sous leur propre prisme. On a vite l’impression de parcourir plus une vulgaire page FaceBook qu’un musée en tant que tel.

C’est ainsi que de leur propre aveu, leur intérêt pour l’Afrique s’est construit comme une fascination propre à l’époque coloniale :

« Je me souviens de ma mère, petite-fille de pasteur, qui n’avait de cesse de me parler d’Albert Schweitzer, dont nous admirions l’éthique du « respect de la vie », et aussi de mon père, fasciné par Tarzan et l’image d’une Afrique mythique qu’il partagea avec moi. À cette époque, pourtant, aucun de nous n’y avait mis les pieds ! ».

Cette vision « mythique » de l’Afrique aurait nécessité pour le moins depuis un conséquent exercice d’autocritique et de révision. Mais Marc et Marie-Luce Arbogast n’ont en pas été capables, en raison de leurs préjugés de classe et ont fini en outre par verser dans un complet mysticisme, malgré leurs indéniables aspirations progressistes.

C’est ainsi que Marc Arbogast relit son enfance pour y justifier son goût pour le vodou en précisant
qu’il avait l’habitude de côtoyer une « sorcière » lors de ses séjours dans une maison secondaire
avec ses parents dans les Vosges.

Le portrait et les valeurs de ce couple sont des élément repérables dans bon nombre de familles bourgeoises ou petites-bourgeoises alsaciennes, notamment celles liées à ce protestantisme philanthrope, ouvert au monde mais miné par une fascination pour le mysticisme et le religieux.

C’est ainsi que ce couple, connaisseur des cultures d’Afrique de l’Ouest de par leurs nombreux voyages, n’ont néanmoins pas vu l’Afrique dans sa dimension populaire, ni même les cultures africaines dans leur esprit. Ils ont en revanche « expérimenté » le vodou et ils en ont déduit que ces séries d’expériences leurs avaient appris quelque chose qui valait la peine de partager, dans une démarche d’individualisme bourgeois tout ce qu’il y a de plus caricatural.

On ne s’étonnera pas que parmi tous les soutiens médiatiques du musée, on trouve bien sûr en bonne place la catholique Société des Missions Africaines de Strasbourg, avec le curé Jacques Varoqui, qui
entretient lui-même à Haguenau un « espace africain » dédié aux missions en Afrique de l’Ouest.

La première chose auquel le visiteur est confronté, c’est la première chose que fit Marc Arbogast a
son arrivée en Afrique : chasser. Tout est ici dit de son rapport à la « vie » et à la nature.

Tout le premier niveau n’est rien de moins qu’une glaçante salle de trophée de chasse, exposant les cornes de dizaines d’animaux abattus au cours des multiples parties de chasse livrées par le propriétaire en Afrique. On y voit même un lion entièrement empaillé pour servir de lieux de photographies souvenir.

Le reste du musée est ensuite à l’avenant, une galerie d’objets exposés avec une réflexion sur leur fabrication matérielle et leurs usages, sans chronologie, sans mise en perspective sociale de la moindre forme. Le rapport avec l’Islam ou la Traite sont à peine mentionné.

En un mot, aucune mise en histoire, aucun mouvement. Une Afrique immobile et rongée par le mysticisme, vue par des yeux complaisants qui ne veulent voir de l’Afrique que cela.

Viennent enfin les « divinités masquées », ici on a directement des éléments de cultures populaires, mais rien n’est franchement creusé, analysé, relié. Même le lien avec les pratiques vodou du niveau précédent n’est pas clair.

Faut-il alors s’étonner que des institutions comme le Musée du Quai Branly, ou des chercheurs comme Bernard Müller (IRIS-EHESS) associés au Musée Vodou lors de son lancement, se soient depuis désolidarisés à la fois pour des raisons de fonds concernant les expositions et de formes concernant l’esprit de management boutiquier du couple Arbogast.

Outre ce désaveu scientifique,d’institutions bourgeois pourtant initialement bienveillantes, le Musée a aussi été rejeté par les associations comme Curio, qui milite pour la dignité et l’expression des cultures nationales du Togo en Alsace et en Franche-Comté.

Captif de la vision mystique et égocentrée de ce couple bourgeois, la tentative de ce musée est donc un échec, porté à bout de bras par la fondation qui le finance et le dense réseau religieux et bourgeois qui le soutien. Ce musée est donc à la connaissance de l’Afrique, et même du Vodou, ce que la Fondation
Vuitton est à l’art : une appropriation bourgeoise frisant le délire.

Strasbourg a certes besoin et a du coup presque une sorte de base avec ce musée pour affirmer les cultures africaines, très vivantes dans la métropole, dans un esprit démocratique (avec la participation des éléments des masses originaires de ces pays), populaire (en l’ouvrant sur la curiosité des masses alsaciennes, désireuses de mieux connaître une part de l’Afrique au-delà des clichés éculés entretenus par ce musée) et scientifique (en dépassant la seule question des cultes et du vodou et en développant une vraie perspective matérialiste historique, qui ne fétichise pas les cultures d’Afrique mais permet leur connaissance et leur métissage).

En un mot, on attend la confiscation populaire de ce lieu !

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Abra : « Rose » (2015)

Aaliyah avait contribué à redéfinir une forme de R&B largement travaillé par la pop et le hip hop, mais l’orientation restait résolument ancrée dans une accessibilité tendant ouvertement au commercial.

Avec la chanteuse Abra, la « duchesse de la darkwave », on a un profil tout à fait similaire, mais avec cette fois une optique d’intimisme tourmenté et d’affirmation féminine dense et en-dehors des attentes des codes dominants.

Cette perspective, commune à d’autres artistes comme Kelela, Princess Nokia ou encore Tommy Genesis qui est proche d’Abra, n’est jamais simple de par les risques de sombrer dans l’esthétisme faussement rebelle de la posture identitaire, comme le « queer ».

Abra s’y arrache pourtant pour l’instant de manière magistrale grâce à son très haut niveau culturel, au moyen d’une R&B tendant vers cet electro vaporeux, froid, lancinant, d’une puissance démesurée.

Le plus impressionnant est que dans son premier album Rose en 2015, on croit qu’Abra pratique ses gammes, touchant à toutes les extrémités possibles d’une musique feutrée et dansante, avec à chaque fois une touche différente, une approche choisie.

S’agit-il d’ailleurs d’une pop electro tendant à la Soul pleine de langueur, visée de la quête inaboutie cette dernière décennie de Madonna, ou bien d’une musique de club envoûtante, ou encore de la bande originale d’une vie urbaine musicalisée, à la fois hostile à la société et totalement dedans, comme le vivent les jeunes ?

La nature féminine ainsi qu’afro-américaine du véritable projet d’Abra saute aux yeux. On est clairement dans une affirmation particulièrement étudiée, de la part d’une jeune chanteuse qui se produit avec un micro et un ordinateur, avec une aisance oscillant entre jeu sensuel et touche garçon manqué.

Et en arrière-plan, il y a cette force de frappe de l’esprit funk, avec cette basse frappant le rythme dans la première partie des années 1980, ou encore à la soul et son esprit particulièrement chaleureux. Ici, la seconde chanson n’est pas sur l’album, mais est issu d’une collaboration avec Stalin Majesty.

On a ici quelque chose de résolument moderne, correspondant à l’esprit de synthèse. Née à New York dans une famille de missionnaires s’installant à Londres juste après sa naissance, Abra a vécu à Atlanta à partir de 8 ans.

Sa famille interdisait la musique semblant non conforme à la religion, donc elle fonde sa culture musicale sur le folk, le jazz, le flamenco, pour ensuite se tourner elle-même vers la pop, son frère se tournant vers le punk et le neo-metal.

L’album Rose, sorti en 2015, revient quant à lui toujours à la R&B, mais Abra a une production inépuisable et les commentateurs musicaux sont unanimes pour souligner à quel point son avenir sera d’une très grande signification culturelle.

Loin de tout formatage identitaire individuel, on a ici une expression personnel faisant synthèse de plusieurs courants musicaux, avec une démarche solide et une très haute qualité, ici de l’autoproduction exigeante : Abra est une référence de la fin des années 2010.

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Le film « Le miroir » d’Andrei Tarkovski (1979)

Regarder Le Miroir, film d’Andreï Tarkovski de 1975, est au sens strict une expérience impossible pour un spectateur français, qui se dira nécessairement qu’il aura moins de mal à saisir ce que disent des extra-terrestres qu’à comprendre quoi ce soit à ce film.

Il y a trois raisons amenant à cet état de fait. Tout d’abord, les personnages du film ne peuvent pas s’empêcher d’être eux-mêmes et cela est montré avec tellement de densité que cela en est perturbant pour des spectateurs français habitués au contrôle de soi ou au psycho-drame surjoué.

Ensuite, ces personnages ne pouvant pas s’empêcher d’être eux-mêmes sont russes, avec tout ce que cela signifie en termes d’expression de la mélancolie, de sens de l’interrogation sur l’existence, avec les inévitables longues citations de poésie et références à la littérature (Tchékhov, Dostoïevski).

Le troisième point est le plus délicat, faisant que ce film est, finalement, davantage un film pour les réalisateurs que pour le public. Il se retrouve d’ailleurs systématiquement au plus haut des grandes références chez les réalisateurs.

Cela se concrétise de la manière suivante : le film montre des tranches de vie d’un cinéaste qui va mourir, l’œuvre se voulant par ailleurs autobiographique.

Or, non seulement on découvre cela à la fin, mais qui plus est la même actrice joue la mère et la femme du cinéaste, alors que le même acteur joue le cinéaste et le père de celui-ci au moment de sa jeunesse. Pire encore, on passe de l’année 1975 à 1935, puis à 1975 avant d’aller en 1937, pour retourner en 1975, pour se retrouver en 1942, puis en 1975, en 1935, en 1942 et finalement en 1975.

On ne s’y retrouve pas et le titre a été choisi pour montrer comment la vie reflétait de multiples aspects vécus, un miroir étant d’ailleurs présent dans de nombreuses scènes.

On peut interpréter alors l’œuvre de deux manières. La première, la plus juste, est de rattacher Le miroir à la culture russe et d’y reconnaître un sens de l’interrogation sur le statut de sa propre personne dans l’ensemble.

C’est la fameuse quête typiquement russe d’un sens cosmique général à l’existence – qu’on trouve dans le matérialisme dialectique de Lénine et Staline comme dans les icônes de l’Église orthodoxe ou la mystique de l’Eurasie formulée par Alexandre Douguine.

Reste à savoir dans quel sens va cette interrogation : est-elle un fétiche de sa propre vie, une tentative de saisir la profondeur de sa vie, une réflexion sur l’existence à travers ou malgré la situation de l’Union Soviétique alors ?

Après tout, une importance essentielle est accordée à la maison dans la campagne, avec une identité russe particulièrement marquée.

Et surtout – c’est l’argument principal – le film n’est en tant que tel pas sur le cinéaste, mais sur deux femmes, voire sur la profondeur féminine, la densité de sa psychologie.

Il y a ici la même caractéristique que chez Ingmar Bergman et c’est l’argument décisif montrant bien qu’il s’agit ici d’intimisme et non pas de « psychologisme » partant dans tous les sens.

L’autre manière d’interpréter Le miroir est d’y voir un équivalent soviétique de la réflexion propre à la littérature « moderne », avec son existentialisme, sa quête des « flux de la conscience », sa déconstruction permanente des identités.

Le philosophe Gilles Deleuze, l’un des chefs de file philosophiques de cette vision du monde, est très lyrique au sujet du miroir :

« Le miroir constitue un cristal tournant à deux faces, si on le rapporte au personnage adulte invisible (sa mère, sa femme), à quatre faces aux deux couples visibles (sa mère et l’enfant qu’il a été, sa femme et l’enfant qu’il a).

Et le cristal tourne sur lui-même, comme une tête chercheuse qui interroge un milieu opaque : Qu’est-ce que la Russie, qu’est-ce que la Russie…?

Le germe semble se figer dans ces images trempées, lavées, lourdement translucides, avec ses faces tantôt bleuâtres et tantôt brunes, tandis que le milieu vert semble sous la pluie ne pas pouvoir dépasser l’état de cristal liquide qui garde son secret. »

Gilles Deleuze considère que la qualité photographique du film va dans le sens d’une lecture subjective du film, dans le cas contraire il faudrait considérer celle-ci comme allant dans le sens d’une quête du concret, du solide, au-delà des tourments existentiels.

On comprend la densité de ce film et, en un certain aussi, son ambiguïté.

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« You’ll Never Walk Alone » et « I’m Forever Blowing Bubbles »

Il existe une mythologie concernant les chansons utilisées par certains clubs de football ; elles sont tellement employées sur un mode identitaire qu’on croirait qu’elles ont un lien direct et unique avec ces clubs.

En réalité, elles transportent un certain état d’esprit, bien conforme à l’esprit populaire du football tel qu’il existe à l’origine : rebelle, mais défaitiste, plein d’espoir mais s’en remettant au sort.

Les exemples les plus emblématiques sont deux chansons tirées de comédie musicale : You’ll Never Walk Alone et I’m Forever Blowing Bubbles, deux magnifiques chansons connues pour provoque des frissons de par leur puissance.

Voici leur petite histoire, qui a un rapport avec la civilisation, la culture, et pas le fétichisme et le tribalisme de clubs de football, sans vouloir préjuger du patrimoine populaire que cela peut représenter.

Ces chansons sont d’ailleurs américaines à l’origine, avant de connaître un succès anglais.

You’ll Never Walk Alone est tirée de la comédie musicale américaine Carousel, dont la première eut lieu en 1945 ; I’m Forever Blowing Bubbles est tiré de la comédie musicale de The Passing Show of 1918, une reprise en 1918 d’une revue musicale américaine de 1894.

Carousel dépeint un terrible drame : une jeune ouvrière et un jeune animateur d’un carrousel tombent amoureux, mais la propriétaire du dit carrousel le licencie alors. La jeune femme tombant enceinte alors que tous deux sont dans la misère, le jeune homme tente alors un cambriolage qui tourne mal et se suicide alors.

Une fois au purgatoire, on lui donne une chance de se rattraper pour aller au paradis et il va prodiguer de bons conseils à sa fille devenue une jeune femme. C’est notamment à ce moment pathétique qu’est chantée parallèlement la chanson You’ll Never Walk Alone.

Quand tu marches à travers une tempête
Garde ta tête haute
Et ne sois pas effrayé de l’obscurité
A la fin de l’orage
Il y a un ciel doré
Et le doux chant argenté d’une alouette

Continue de marcher à travers le vent
Continue de marcher à travers la pluie
Bien que tes rêves soient maltraités et soufflés
Continue de marcher, continue de marcher
Avec l’espoir dans ton coeur
Et tu ne marcheras jamais seul
Tu ne marcheras jamais seul

Il y eut bien entendu un film, sorti en 1956 ; voici la scène finale avec la chanson.

La liste des reprises de chanson est sans fin, elle va de Frank Sinatra à Nina Simone, de Gene Vincent à Shirley Bassey, de Judy Garland à Mahalia Jackson, sans oublier Elvis Presley, Aretha Franklin, etc.

Voici la version de Judy Garland et en-dessous celle de Gerry and the Pacemakers.

La chanson de  Gerry and the Pacemakers fut un tube en 1963 ; or, avant le match, les dix chansons étaient du top 10 étaient passées. You’ll Never Walk Alone ne fut pourtant plus lâchée par les supporters du club de football de Liverpool, ce dernier s’appropriant l’hymne en tant que tel.

L’approche gagna un prestige énorme lorsque Pink Floyd enregistra les supporters – le « Kop » – de Liverpool le chantant pour le placer dans la chanson Fearless sur l’album Meddle en 1971.

Le Celtic Glascow adopta la chanson après avoir battu Liverpool en 1966, tout comme une floppée de clubs allemands (plus d’une dizaines), ainsi que des clubs des Pays-Bas, d’Espagne, de France avec le Red Star, etc.

La chanson I’m Forever Blowing Bubbles est quant à elle tirée d’une comédie musicale intitulée The Passing Show of 1918 ; en réalité, il s’agit d’une « revue », c’est-à-dire de danses, de chansons et de sketches assemblées en vrac dans l’esprit d’une comédie musicale, le tout étant renouvelé chaque année.

Les paroles de la chanson sont du même type que celles de You’ll never walk alone : populaire plein d’espoir, mais empreint de blessure et d’échec.

Je souffle pour toujours des bulles

De jolies bulles dans l’air

Elles volent si haut, atteignent presque le ciel

Et comme mes rêves, elles s’évaporent et meurent

La fortune se cache toujours,

J’ai regardé partout

Je souffle pour toujours des bulles

De jolies bulles dans l’air

La chanson, une sorte de valse fut éditée ensuite en 1919, et immédiatement plusieurs fois reprise la même année, notamment dans une version orchestrale et une version jazzy.

La chanson fut régulièrement reprise dans les music hall ou encore dans les dessins animés. C’est dans ce cadre que, un joueur du club londonien de West Ham ressemblant à un jeune garçon d’une publicité pour du savon, un responsable du club chantait I’m Forever Blowing Bubbles, qui fut aussitôt approprié par les supporters.

En voici la version « standardisée », une version dans le stade et la reprise de 1980 par Cockney Rejects, groupe de musique oi représentatif de l’esprit voyou, alors que West Ham possédait la « firme » hooligan pratiquement la plus violente, appelée Inter City Firm.

Les deux chansons ont comme caractéristique de représenter l’espoir et l’humilité, deux caractéristiques populaires. Mais leur inclination à l’acceptation des choses telles qu’elles sont est indéniable.

C’est finalement tout le paradoxe de la culture populaire du football qu’on retrouve à travers ces deux chansons.

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« Être moderne le MoMA à Paris » à la Fondation Louis Vuitton

Ce sont les dernières semaines de la grande exposition « Être moderne le MoMA à Paris », qui se tient à la Fondation Louis Vuitton à Paris : elle finira au tout début du mois de mars 2018.

Cela doit être prétexte à réflexion, parce que le « MoMA », c’est-à-dire le Musée d’art moderne de New York, est une puissante institution, qui depuis 1929 joue un grand rôle dans la diffusion de l’art moderne, puis de l’art contemporain.

Or, les gens n’aiment pas l’art contemporain. Tout le monde apprécie la tentative d’exprimer quelque chose de manière artistique, et par tolérance les gens se forcent à être ouvert d’esprit de manière parfois absurde.

Mais l’art contemporain, cela ne passe pas. Les couches sociales les plus aisées, par contre, vouent un véritable culte à l’art contemporain. Et culturellement, plus la gauche a été corrompue sur le plan matériel, plus elle a basculé elle-même dans la valorisation de l’art contemporain.

Pourtant, n’y a-t-il pas quelque chose de problématique à voir que l’art contemporain est systématiquement valorisé par les couches les plus privilégiées du monde entier ?

La Fondation Louis Vuitton, créée par le groupe LVMH, qui fait venir des œuvres du MoMA, qu’y a-t-il de plus symbolique dans l’idée, si l’on pense à une bataille culturelle ?

Surtout que l’exposition consiste à souligner le passage naturel entre art moderne et art contemporain. On passe de Cézanne, Picasso, Dali, Malevitch et son carré blanc sur fond blanc, aux œuvres contemporaines les plus étranges, consistant en un cercle dessiné sur un mur, en des mots illuminés sous la forme de néons, une pile de bonbons aux emballages rouge ou bleu et qu’on peut prendre, etc.

L’exposition se veut également marquée à gauche ou plus exactement, et c’est très intéressant, « progressiste », avec une insistance sur les « remises en question artistiques, politiques et sociétales formulées par les artistes à partir de la fin des années 1960 ». On a un drapeau LGBT  hissé sur un mur, une œuvre d’art consistant en un drapeau américain aux couleurs afro-américaines, bref toute la modernité qui prétend remplacer la gauche historique, au profit du progrès.

Mais on est en droit de ne pas considérer cela comme un progrès, pas plus que les poupées Barbie voilées ou LGBT qui viennent de sortir dans les magasins. La gauche défend des valeurs, la culture, pas la conquête de marché sur une mode identitaire ou communautaire.

On peut même dire ici que tant que la gauche n’aura pas réglé son compte à l’art contemporain, la gauche subira l’hégémonie de gens liés aux classes sociales supérieures, fort de toute une culture qui, en réalité, est la simple diffusion de thèmes et d’approches totalement opposés à ce que la gauche a porté historiquement comme contenu.

Tant qu’il y aura un découplage entre libéralisme économique et libéralisme politique – découplage que ne faisait pas la gauche historique – tout est forcément perdu. Le libéralisme politique présuppose le libéralisme économique et inversement.

L’art contemporain célèbre justement le libéralisme. Peut-être qu’aller à l’exposition de la Fondation Louis Vuitton est alors utile – 16 euros, quand même – pour s’en apercevoir. On ne peut pas ne pas être sceptique devant des œuvres consistant en des couleurs jetées les unes sur les autres ou bien en des traits griffonnés n’importe comment.

On ne peut pas de dire autre chose que : il y a un problème, ces machins, ces trucs, valent des centaines de milliers d’euros, voire des millions, voire des dizaines de millions. Or, on n’y voit rien à part le nombrilisme de l’auteur de chaque œuvre. Pourtant, l’art ne peut pas consister en la célébration des egos… et des comptes en banque des gens les plus aisés !

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L’échec de Star Trek Discovery à un retour aux sources

Star Trek Discovery est une nouvelle série américaine dont la diffusion a débuté en septembre 2017. On a pu déjà voir neuf épisodes de la première saison, les six derniers étant diffusés à partir du 7 janvier 2018.

Les événements de la série ont lieu une dizaine d’années avant ceux de la série originelle des années 1960, cependant la série se distingue principalement des autres séries et de l’univers Star Trek en général sur deux points.

La première saison est dès le début, et jusqu’aux derniers épisodes diffusés, marquée par une guerre (celle avec l’empire Klingon) et elle est centrée sur la vie d’un personnage. Or, s’il y a des conflits et de guerre présents dans Star Trek, à aucun moment une guerre ne prend autant de place dans l’opus…

Et cela encore moins au tout début d’une série. Star Trek est avant tout une tentative de présentation d’un monde unifié, en paix, tourné vers la bienveillance. C’est l’une des différences majeures avec Star Wars, qui relève de la fantasy dans un contexte spatial.

De plus, si à l’origine certaines personnages ont eu plus d’importance que d’autres dans les différents films et séries, aucun n’a autant monopolisé l’attention que l’héroïne de la nouvelle série, Michael Burnham.

Cette nouvelle série brise donc le fondement même du Star Trek de Gene Roddenberry : critiquer le présent à travers une utopie en évitant la personnalisation, même si c’est à travers des personnages que l’on découvre les événements.

L’origine du problème est relativement simple : au lieu de proposer un futur qui critique le présent, Discovery fait surgir notre présent dans le futur de Star Trek.

Il n’y a plus l’unité qu’il y avait auparavant : avancées technologiques, progrès médicaux, raffinement culturel, etc. Le seul progrès ici est d’ordre technologique…

Comme si les progrès technologiques n’avaient pas de limite, tandis que nous approcherions des limites de tout ce qui est d’ordre culturel et moral.

Cela revient ni plus ni moins à briser toute utopie. Pourquoi ? Parce que le simple fait de poser une pseudo critique (de certains aspects) du présent dans ce qui est censé être une utopie revient à dire que dans deux siècles l’humanité se posera toujours ces questions. Si elle se les pose toujours, c’est qu’il est impossible d’y apporter une réponse. Star Trek Discovery tue le futur en y incorporant de force une époque relativement barbare.

Dans Star Trek à l’origine, on ne pose pas la question du racisme, mais on y répond en montrant que dans le futur, il y a des gens de toutes couleurs de peau et que la couleur ne compte pas. Lorsque est posée la question de la guerre, des conflits, c’est à travers la présentation de monde arriérés, qui doivent progresser encore.

Prenons un exemple. La question des animaux et du rapport à la nature est une question brûlante de ce début du XXIe siècle. Il est clair qu’un futur où la chasse à courre, la vivisection et l’industrialisation de la mort d’être vivants continuent d’exister n’a plus rien d’utopique. Même l’Utopie de Thomas Moore publié au début de XVIe siècle repoussait déjà la mise à mort d’animaux du cœur de son utopie.

Cette question a déjà été comprise ne serait-ce que partiellement dans différentes œuvres : pensons à Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (aussi publié sous le titre Blade Runner), ou  encore au quatrième film Star Trek : Retour sur Terre. Ces œuvres ont plus de trente ans.

Qu’en est-il aujourd’hui avec Star Trek Discovery ? Tout cet héritage est nié. Ceci se voit à travers le tardigrade spatial. Il s’agit d’un animal colossal retrouvé sur un vaisseau, et retenu en captivité afin de l’étudier afin de développer de nouvelles armes. Aucune dignité n’est reconnue à cette forme de vie. Le capitaine justifie et justifiera toutes ses décisions le concernant par la guerre avec l’empire Klingon. L’héroïne de la série est tout d’abord réticente mais accepte.

Rapidement, le scientifique de l’équipage comprend le rôle de l’animal sur le vaisseau où il a été trouvé et capturé : il permet de stabiliser et d’améliorer le nouveau système de navigation du vaisseau (passons les détails sur la vision délirante et anti-scientifique de l’univers qui va avec).

Comment ? En étant attaché dans une cellule transparente au coeur de la salle d’ingénierie et en souffrant à la vue de tous.

L’héroïne comprend que l’animal souffre mais ne réagit pas fermement : elle commence par accepter, puis tente de convaincre le capitaine qu’il faut arrêter. Pendant ce temps, les voyages continuent et le tardigrade alterne sa cellule de captivité et sa cellule de torture.

Où est la civilisation lorsque devant de tels actes tout le monde reste passif ? Comment peut-on penser que dans une civilisation avancée, une telle ignominie puisse exister ?

La question qui est posée ici est celle de la vivisection. Mais elle est posée selon les critères de notre époque – et même pour notre époque, elle est posée d’une manière grossière. La poser de cette manière c’est admettre plus qu’à demi-mot que l’humanité sera toujours capable de barbarie dans deux siècles.

Star Trek Discovery s’imagine donc « progressiste » parce qu’elle aborde, entre autres, la question des animaux à travers la vivisection. Toutefois, il n’en est rien. Le discours est libéral ; il n’y a plus d’universel, il n’y a que des individus avec différentes sensibilités.

Certains sont amenés à faire de mauvais choix, d’autres à en faire de bons. Il n’y plus de société comprise comme un tout. Il n’y a plus un ensemble qui avance vers toujours plus de progrès : l’individu est ici un horizon indépassable.

Cette importance de l’individu se voit avec la place centrale qu’occupe Michael Burnham et son passé. La série nous en apprend plus sur son passé que sur celui de n’importe quel capitaine ou officier dans toute une saison d’une autre série.

Pour souligner ce caractère central, le personnage qui est une femme a un nom d’homme, une absurdité servant à surfer sur la question du « genre » et de l’identité. Afin de bien renforcer cela, ce personnage a été sauvé de la mort par un Vulcain.

Les Vulcains forment une espèce extra-terrestre plus avancée technologiquement que l’humanité qui a fait le choix de se défaire de ses émotions pour ne plus vivre que selon la logique. Ils symbolisent la rationalité : dans la série à l’origine, le personnage de Spock, Vulcain, faisant le pendant au côté émotionnel tête brûlée du Capitaine Kirk.

C’est une manière de philosopher sur comment combiner émotion et raison. Là, on a droit à un questionnement identitaire de Michael Burnham se demandant si elle doit céder aux sentiments, avec tout un questionnement existentiel sur son rapport avec son père.

Cette personnalisation correspond vraiment à une incapacité à revenir aux sources de Star Trek. On pourrait, somme toute, faire un parallèle avec les gens de gauche comme Benoît Hamon, qui choisisse d’être des Emmanuel Macron de gauche plutôt que de revenir aux sources.

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Le sens de la polémique quant à « Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi »

Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi a été un très grand succès du box-office en France, dépassant les quatre millions de vues. Cependant, il a révélé un immense conflit d’interprétation.

La presse internationale a considéré que le film était une réussite dans la forme, même si l’on pouvait aussi regretter que le scénario est particulièrement redondant, puisant aux autres épisodes. Le public, par contre, a considéré qu’il connaissait un outrage. La pétition lancée aux États-Unis et demandant le retrait de l’épisode VII du « canon » de la saga a rassemblé 75 000 signatures.

Interpréter cette différence d’interprétation révèle beaucoup de choses et la première, c’est que désormais Star Wars relève de l’univers Disney, dans la forme et dans son contenu. Cet univers est profondément de culture protestante, avec la question du doute généralisé et angoissant, de l’engagement moral avec le choix entre le bien et le mal, avec des personnages révélant une certaine faiblesse par rapport à des événements plus forts qu’eux.

Bien entendu, il ne faut pas ici s’attendre à un questionnement intellectuel, mais à une déviation du protestantisme sur un mode commercial de masse, avec tout le côté caricatural qui va avec.

Or, Star Wars appartient historiquement à une lecture relevant du fantastique, sous la forme du Space Opera. On a donc une combinaison de culte de la supériorité « naturelle » et de la magie, dont les jedis, avec leur spécificité dans le sang, sont les grands représentants.

Le public a donc reproché à Disney d’avoir sabordé cette dimension fantastique au profit de sa propre lecture et le grand symbole de cela, c’est le sort réservé à Luke Skywalker.

Son côté faible et son refus de la tradition jedi, associés au caractère « fort » de personnages secondaires, a heurté de plein fouet le culte de la « supériorité ». Le rôle secondaire, voire inexistant de la « force » a totalement perturbé.

L’humour régulièrement présent a été considéré comme une insulte à la dimension épique. Le petit passage où Chewbacca veut manger un Porg rôti devant d’autres Porgs, pour finalement ne pas le faire en raison de son sentiment de culpabilité, a également choqué.

Toutes ces critiques sont à la fois naïves et fausses. D’abord, parce que Star Wars est un produit commercial de bout en bout et que le principe de la force relève du mysticisme le plus complet. Vouloir donc une continuité rationnelle pour Star Wars n’a donc aucun sens : tout dépend des choix subjectifs des studios, ainsi que de l’imagination délirante des scénaristes.

Ensuite, parce qu’il y a une dimension nostalgique foncièrement régressive qui s’exprime. Les épisodes IV-V-VI relèvent du Space Opera, mais les épisodes I-II-III sont remplis d’éléments simplistes, enfantins, aberrants, etc.

Cela fait bien longtemps qu’il n’y a plus cette dimension « mystique » sérieuse et finalement on retrouve dans l’attitude des fans de Star Wars le même comportement irrationnel que chez les fans de Dune ou du Seigneur des anneaux.

Il y a une telle fuite dans un monde imaginaire totalement coupé de la réalité que les réactions sont exacerbées, les vanités hypertrophiées, le sentiment de trahison complet dès qu’il y a la perte des habitudes, des repères traditionnels.

Tout cela montre bien le formidable niveau d’aliénation qui existe dans la « société de consommation »: on vend du rêve et une fois ce rêve se révélant faux, on éprouve une nostalgie régressive, sans remettre tout à plat, sans rien remettre en cause.

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Columbine : « Enfants terribles » (2017)

Le collectif musical Columbine a connu un immense succès dans la jeunesse française en 2017 avec plusieurs millions de vues pour chacun de leurs clips sur YouTube. Cela prolonge le grand succès qu’ils avaient rencontré en 2016, presque uniquement via internet et le bouche-à-oreille dans les lycées.

Leur premier album Clubbing for Columbine était un patchwork rap/electro protéiforme, une sorte de grand jet plein de bonnes choses, mais partant dans tous les sens.

Leur second album Enfants terribles sortie en avril 2017 affirme pour sa part une véritable identité, avec une grande unité musicale et une production de haute qualité.

Columbine est un collectif de jeunes artistes ayant un grand sens de l’esthétique. Les principaux membres se sont d’ailleurs rencontré au lycée dans une section « Cinéma-Audiovisuel ».

Cela produit une musique très moderne, avec des textes de qualité, bien posés sur des instrumentales efficaces. Autrement dit, ce sont de jeunes musiciens qui savent faire de la musique. Et qu’en font-ils ? En bons artistes, ils expriment leur époque.

Le terme « Enfants terribles » est récurent dans l’album. C’est le fil conducteur qui exprime en quelque sorte le mal-être de la jeunesse, de l’adolescence au début de l’âge adulte.

La vulgarité, très présentes et difficilement supportable par moment, est une volonté d’authenticité, de réalisme. C’est aussi, on l’imagine, un moyen d’affirmer le refus du conformisme, des rapports sociaux faux et dénaturés, superficiels, trop simples. Le titre éponyme de l’album est à ce sujet très parlant.

La vulgarité semble être ici un moyen de garder de la distance avec le sujet, comme s’il était trop difficile d’exprimer ses sentiments autrement sans tomber dans la niaiserie ou dans quelque chose de faux.

Le titre Rémi est quant à lui certainement le plus abouti de l’album. L’univers du groupe, son message, son ambiance, est excellemment délivré. Le couplet de Fauda (le deuxième) est particulièrement impressionnant. Il dégage une véritable puissance, de part la vitesse d’élocution et la qualité du texte.

On est toujours dans la thématique du mal-être de la jeunesse et le refrain « Qu’est-ce qu’on s’emmerde » est là encore plein de sens.

Le titre Été triste est peut-être le plus classique de tout l’album, le plus accessible. La thématique est simple et populaire, abordées plus légèrement que dans les autres morceaux. Et c’est très réussi.

Le titre Talkie-Walkie, avec son clip, est le plus travaillé, le plus professionnel. Il est aussi le plus « radio-edit », c’est-à-dire qui pourrait tout à fait passer en radio, et le clip à la télévision.

C’est un morceau de grande qualité, sans lissage ni formatage insipide. Cependant, Talkie-Walkie exprime toute la contradiction du groupe. On ne sait jamais si on est dans la dérision simplement divertissante ou bien dans la critique sociale plus profonde.

Faut-il comprendre ce titre comme le récit humoristique de la vie d’un dealer ou bien est-ce une métaphore ? Que faut-il penser de la drogue d’ailleurs ? Columbine la critique dans certaines paroles, mais relativise ailleurs en l’assumant.

Cette ambiguïté, à propos de la drogue mais pas seulement, est omniprésente dans leur démarche. Elle est typique de l’époque, à l’image d’une jeunesse qui se cherche, qui a des exigences culturelles et sociales élevées, mais qui est incapable de faire des choix tranchés.

La jeunesse française a choisi la dérision et le détachement comme moyen d’éviter la réalité. Mais à ne rien assumer, on ne fait que subir la réalité.

Columbine en est certainement là. Le titre Château de Sable qui conclue brillamment l’album montre d’ailleurs qu’ils se posent des questions, sur leur avenir, sur leur démarche, etc.

Vont-ils continuer dans le détachement et l’attitude « d’enfants terribles », ou bien vont-ils prendre leur métier d’artistes au sérieux ? Vont-ils contribuer à transformer toujours plus le rap français en de la simple variété française ou bien vont-ils participer en tant qu’artistes à changer le monde ?

Pour l’instant, ils ont du recul par rapport à leur succès et ne semblent pas vouloir sombrer dans la célébrité, l’argent facile. Leur volonté de rester simple et accessible est tout à fait louable. Mais ils marchent sur un fil car cela n’est pas évident.

Autant ils s’affirment comme populaires et ancrés dans la réalité populaire quand ils assument de supporter le Stade Rennais, leur club de football local. Autant ils frôlent le populisme quand ils assument d’écouter Jul « comme tout le monde », alors que ce dernier produit une musique d’une nullité affligeante et d’un niveau culturel déplorable.

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Princess Nokia : « 1992 Deluxe » (2017)

Destiny Frasqueri alias Princess Nokia, avec son album l’album 1992 Deluxe sorti en septembre 2017, a réussi à produire à quelque chose de très intéressant, exprimant quelque chose de très fort, correspondant à une réaffirmation féministe urbaine des femmes, à travers un style hip hop marquée profondément par la soul et le R&B.

Pour bien évaluer la valeur et les limites de sa démarche, il faut se tourner vers ce qu’elle a fait juste avant, sous le nom de Destiny : une approche soul marqué par le funk et le hip hop, entre sensualité féminine afro-américaine et affirmation du patrimoine culturel, où l’on sent déjà une quête de la reconnaissance identitaire et personnelle, avec un son « maîtrisé ».

Ce que donne la musique en tant que Princess Nokia est bien différent. Dans une synthèse d’agressivité et d’esprit universel, mêlé à des sons particulièrement léchés, 1992 Deluxe est un album de reprise du terrain par les femmes, avec une orientation clairement tournée vers l’esprit de patrimoine, de culture, de communauté.

En ce sens, les chansons Bart Simpson et Kitana sont sans doute les plus révélatrices de l’atmosphère réelle à laquelle appartient la chanteuse dans sa dimension authentique : celle du hip hop d’une grande ville, avec une froideur quotidienne dans une immensité bétonnée, compensée par une quête de chaleur sociale, dans l’esprit de la musique soul.

C’est d’autant plus intéressant que à moins de se renouveler entièrement, ne pourra pas dépasser cette œuvre fondamentalement intéressante. La base de sa démarche est déjà corrompue, en raison de son « jeu » avec les identités.

Destiny Frasqueri a en effet un parcours chaotique : elle est d’origine afro-porto-ricaine et caribéenne, élevée dans différents foyers, sa mère étant décédée du SIDA, lorsqu’elle avait neuf ans, avant d’être élevé en partie par une famille juive. Adolescente en rupture mais s’intégrant dans un milieu plus aisé, elle se tourne vers le punk, vers la mythologie caribéenne des sorcières, ainsi que le mouvement de la Harlem Renaissance des années 1920-1930.

Se tournant alors vers la culture hip hop et R&B, elle prend le nom de Wavy Spice, puis Destiny et enfin Princess Nokia. Or, la valeur de sa démarche ne pouvait qu’attirer le commerce avide de modernité et de différence, de culte de l’identité, dont le phénomène du « queer » est le fer de lance aux États-Unis.

Si elle se veut donc résolument « ghetto » et totalement hostile au commerce de la musique, affirmant mépriser l’argent, elle est déjà justement par là devenue une figure de toute la scène intellectuelle et commerciale qui se prétend en marge.

Vogue a parlé d’elle, elle a défilé pour Calvin Klein, sa musique a pu être repris pour tel défilé de mode, alors que bien entendu des médias comme l’anglophone Vice ou le germanophone Spex la célèbrent pour son identité décalée, sa vulgarité outrancière, son affirmation féministe, etc.

La chanson Tomboy est un excellent exemple de cette fétichisation de l’identité. L’esthétique de la chanson se rattache à l’esprit révolté des années 1970, avec un féminisme de conquête de l’espace public clairement affirmé, tout comme la remise en cause des stéréotypes exigés par les femmes, y compris la beauté.

Mais cela passe par la vulgarité et la quête de reconnaissance identitaire, la chanteuse expliquant que « avec mes petits sein et mon gros ventre / Je peux prendre ton mec si tu me laisses faire », tout en disant en même temps être un mannequin pour Calvin Klein.

Cette démarche identitaire se retrouve dans la vidéo à prétention éco-féministe Young girls, au style totalement déconnecté de Tomboy, mais de la même démarche identitaire. La chanson Brujas, sur les sorcières caribéennes, serait alors une sorte d’intermédiaire.

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Princess Nokia pourra-t-elle se sortir d’un tel tournant identitaire, résolument commercial malgré sa prétention à ne pas l’être ? Cela révèle toutes les limites du phénomène « queer », qui prétend dépasser les clichés, mais qui au lieu des les abolir les fabrique au kilomètre, perdant de vue la société pour ne se tourner que vers l’individu s’imaginant roi… ou reine, ou princesse.

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Johnny Hallyday et le rôle négatif de ses 392 reprises

Le Parisien a publié un article très intéressant sur la proportion de reprises dans le nombre total de chansons de Johnny Hallyday. Les journalistes de ce quotidien ont comptabilisé pas moins de 392 reprises sur le millier de chansons faisant partie du répertoire de Johnny Hallyday.

C’est un chiffre vraiment extrême, qui souligne un problème de fond : le manque de maturité qui a longtemps existé en France dans l’assimilation de la culture rock. A part Téléphone et Noir Désir, ou encore peut-être Trust ou encore les Rita Mitsouko, la France a été incapable de produire de manière continue des groupes de rock d’une véritable ampleur.

Il y a eu une gigantesque consommation de groupes et de chanteurs anglais et américains, mais une vraie incapacité de se lancer soi-même. Johnny Hallyday a certainement joué ici un très mauvais rôle, parce qu’il a empêché une assimilation correcte, passant en sous-main, de manière dévoyée, la culture rock.

Johnny Hallyday était en effet un chanteur d’adaptation, faisant passer de la musique en contrebande, en brisant sa réelle nature, en l’asservissant au son de la variété.

Johnny Hallyday a repris tout ce qu’il pouvait, d’Aretha Franklin à Lynyrd Skynyrd ou Bob Dylan et Jon Bon Jovi, pour prétendre avoir une authenticité, en fait fictive. La liste sur son site officiel fait pratiquement dix pages.

Il n’était pas un passeur de musique, contribuant à la découverte des originaux, ou quelqu’un modifiant dans le sens d’une interprétation réellement différente, mais un pillard, s’appropriant le prestige d’une musique évoluée, pour la démolir dans le sens de la conformité avec l’esprit variété et radio.

Voici par exemple Génération banlieue (1984), où il chante que la banlieue va exploser, que cela va péter, etc, ce qui est plutôt ironique pour un multi-millionnaire ayant toujours fui le fisc français. Juste après, on a l’original de Warren Zevon, un chanteur important de la culture américaine, considéré comme une sorte de musicien des musiciens, comme l’a défini Bob Dylan.

C’est odieux, parce qu’il y a un lissage musical, une réduction du texte à des éléments caricaturaux, un décalage total par rapport à l’esprit originel.

Voici une autre chanson, qu’il « emprunte » à Aretha Franklin.


Les mimiques de Johnny Hallyday sont ici clairement une tentative de s’approprier le prestige de l’approche d’Aretha Franklin, mais il n’y a évidemment strictement rien à voir.

Le masque de l’émotion a vraiment servi à empêcher d’aborder la culture selon un angle authentique.

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Johnny Hallyday et les Zéniths comme salles de concerts

Johnny Hallyday a marqué de son empreinte ce qu’est la musique en France depuis les années 1960. Ses concerts sont reconnus comme des monuments de divertissement spectaculaires, réunissant un grand nombre de spectateurs acquis à son style de musique de variété souvent teintée de rock’n’roll.

Le chanteur était au centre de séries de spectacles destinés à être joués à travers le pays selon le principe des tournées. Chaque tournée est alors conçue comme une entreprise indépendante, réunissant temporairement des investisseurs autour du projet, dans le but de réaliser des profits.

Ainsi par exemple, le « Tour 66 » réalisé par Johnny Hallyday en 2009-2010, dernière grande entreprise du genre autour du chanteur, aurait généré plus de 60 millions d’euros de bénéfices, sans compter les ventes de produits-dérivés.

De telles entreprises nécessitent des infrastructures adaptées à les accueillir, ces spectacles réunissant en effet jusque 20 000 spectateurs par soir. Les concerts se déroulent dans des stades ou de très grandes salles de spectacles.

C’est la politique culturelle menée par Jack Lang au début des années 1980 qui a permis l’essor de ce type d’entreprises de divertissement.

Le ministre a encouragé les grandes villes à construire de grandes salles pour accueillir la musique pop en plein essor à cette époque. Ce sont les Zéniths, dont les cahiers des charges très stricts, tant sur le plan de l’architecture que sur celui de la localisation, ont tous été élaborés sur le même modèle.

Dix-sept salles dont certaines ont une capacité de 9000 places seront construites en périphérie des principales agglomérations françaises.

Johnny Hallyday a été l’un des conseillers techniques du Ministère de la Culture pour la conception du Zénith de Paris, ouvert en 1984.

Jean-Claude Camus, le principal producteur de Jonnhy Hallyday entre 1961 et 2009, a lui-même été l’exploitant du Zénith de Saint-Étienne durant de nombreuses années.

Construits avec de l’argent public provenant de l’État et des collectivités locales, les Zéniths sont exploités comme des entreprises dont la survie dépend de la réalisation de bénéfices importants, par l’organisation de concerts géants.

Ce modèle économique s’oppose à la production de spectacles moins consensuels ou plus pointus, sans parler évidemment des artistes des scènes alternatives, incapables de réunir une quantité de spectateurs suffisantes.

Johnny Hallyday aura été la figure de proue des concerts-monstres à la française, l’idole de milliers de personnes arrivant en voiture à la périphérie des villes, pour des spectacles stéréotypés, conçus pour satisfaire facilement le plus grand nombre, de manière passive et commerciale.

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Kelela : « Take me apart » (2017)

Le premier album de Kelela était très attendu de par les morceaux connus depuis quelques années, en faisant déjà une figure de proue de ce qui est défini comme l’alternative R&B, et il est indéniable que la sortie de l’album Take me apart de Kelela a très certainement été l’un des événements musicaux les plus marquants de la fin de l’année 2017.

L’écouter avec un son puissant est nécessaire pour se retrouver dans l’ambiance R&B sucrée et urbaine typique des banlieues françaises des années 1990 où planait l’ombre lumineuse de Prince.

Take me apart réactive ce processus, appuyant sur la délicatesse et le raffinement sonore tout en restant fondamentalement dansant – l’influence du garage UK est ici fortement présente -, ainsi surtout qu’une orientation electronica particulièrement poussée.

Kelela qui est né en 1983 à Washington d’une famille éthiopienne-américaine, a un avec Take me apart un premier album qui correspond à l’adage coup d’essai, coup de maître.

Si l’une de ses références est Björk, on a ici quelque chose de plus accessible, avec l’irruption d’une féminité assumée, assumant toute sa complexité, la question sentimentale se posant au premier plan, qui dévoile particulièrement les faiblesses des dernières tentatives de Madonna.

Non seulement l’atmosphère ne se dégrade pas en facilités electro-dance – ce que Kylie Minogue n’a littéralement jamais réussi à faire, malgré les quelques mélodies accrocheuses – mais il y a une très profonde maturité sonore et textuelle, amenant qu’on se dit : enfin, de la musique populaire pour adultes.

Ce qui est marquant également est que Take me apart est un album véritablement complet, formant une ambiance particulièrement prenante, résolument chaleureuse et urbaine, tout en étant profondément intimiste ou, comme le précise Kelela, « une vision honnête de comment nous naviguons, dissolvant les liens entre nous, tout en restant sanguin pour la prochaine possibilité d’aimer ».

Take me apart appartient à l’esprit de la musique soul et disco, si marqué par le questionnement sur les sentiments, le couple ; par son témoignage d’une affirmation féminine – qui plus est marquée par l’africanité -, il fera très certainement peur à ceux qui préfèrent s’imaginer simple, simpliste, élémentaire, la densité féminine.

Et il n’est qu’un diamant parmi une multitude d’autres, dont l’un des exemples les plus marquants de 2015-2016 a été Abra, la duchesse de la dark wave, mais à qui il faut bien sûr ajouter Tommy Genesis ou encore Princess Nokia.

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Emmanuel Macron sur Johnny Hallyday à l’église de la Madeleine

Transcription du discours du Président de la République – Hommage populaire à Johnny Hallyday en l’église de la Madeleine

Mes chers compatriotes,

Vous êtes là pour lui, pour Johnny HALLYDAY.

Près de 60 ans de carrière, 1.000 chansons, 50 albums. Et vous êtes là, encore là, toujours là.

Je sais que vous vous attendez à ce qu’il surgisse de quelque part. Il serait sur une moto, il avancerait vers vous. Il entamerait la première chanson et vous commenceriez à chanter avec lui.

Il y en a certaines qu’il vous laisserait chanter presque seuls. Vous guetteriez ses déhanchés, ses sourires.Il ferait semblant d’oublier une chanson et vous la réclameriez, alors il la chanterait.

Vers la fin, il présenterait ses musiciens et vous applaudiriez, vous applaudiriez plus encore pour que cela ne finisse jamais. Et dans un souffle, en n’osant pas vous l’exprimer trop fort, alors il vous dirait qu’il vous aime.

Alors oui, ce samedi de décembre est triste. Mais il fallait que vous soyez là pour Johnny parce que Johnny depuis le début était là pour vous.

Dans chacune de vos vies, il y a eu ce moment où l’une de ses chansons a traduit ce que vous aviez dans le cœur, ce que nous avions dans le cœur : une histoire d’amour, un deuil, une résistance, la naissance d’un enfant, une douleur.

Dans sa voix, dans ses chansons, dans son visage il y avait cette humanité indéfinissable qui vous perce à jour et qui fait qu’on se sent moins seul.

C’est comme cela que Johnny est entré dans nos vies, par ce blues qui dit nos misères et nos bonheurs, par ce rock qui dit nos combats et nos désirs et pour beaucoup il est devenu une présence indispensable, un ami, un frère.

Et je sais que certains aujourd’hui ont le sentiment d’avoir perdu un membre de leur famille, je sais que beaucoup d’entre vous depuis quelques jours découvrent une solitude étrange.

Mais vous aussi, vous étiez dans sa vie. Vous l’avez vu heureux, vous l’avez vu souffrir. Vous avez vécu ses succès et ses échecs.

Vous l’avez vu parcourir le moindre recoin du pays, passer près de chez vous, chanter dans les petites salles et dans les plus grands stades. Vous l’avez vu frôler la mort plusieurs fois et vous avez tremblé pour lui. Vous avez aimé ses amours, vous avez vécu ses ennuis et à chaque instant, vous l’avez aidé parce qu’il savait que vous étiez là pour lui.

Nous sommes là avec sa famille : avec Sylvie VARTAN, Nathalie BAYE, Laeticia HALLYDAY ; avec ses enfants David, Laura, Joy et Jade, avec ses petits enfants, Emma, Ilona, Cameron.

Et je n’oublie pas que pour eux, c’est aussi un jour de souffrance intime. Nous vous avons si souvent volé votre mari, votre père, votre grand-père, aujourd’hui nous devons aussi vous le laisser un peu parce que ce deuil est d’abord le vôtre.

Nous sommes là avec sa marraine, avec ses musiciens, avec ses paroliers, ses équipes, ses amis, avec ses compagnons de route de toujours. Eux aussi sont déjà un peu plus seuls, ils chercheront cette énergie qui emportait tout sur scène.

Ils devront désormais retenir les mots et les mélodies que personne d’autre ne pouvait chanter ; et ils attendront le copain, l’ami, celui dont ils aimaient les longs silences et l’œil qui à un moment sourit.

Mais tous, tous au fond d’eux-mêmes savent depuis longtemps que Johnny était à vous, Johnny était à son public, Johnny était au pays.

Parce que Johnny était beaucoup plus qu’un chanteur, c’était la vie, la vie dans ce qu’elle a de souverain, d’éblouissant, de généreux et c’était une part de nous-mêmes, c’était une part de la France.

Que ce jeune belge décidant de prendre un nom de scène anglo-saxon soit allé chercher très loin le blues de l’âme noire américaine, le rock’n’roll de Nashville pour le faire aimer aux quatre coins du pays était hautement improbable. Et pourtant, c’est un destin français.

Dix fois, dix fois il s’est réinventé, changeant les textes, les musiques, s’entourant des meilleurs mais toujours il a été ce destin et toujours vous étiez au rendez-vous. Il a été ce que Victor HUGO appelait « une force qui va ».

Il a traversé à peu près tout sur son chemin, il a connu les épreuves, les échecs. Il a traversé le temps, les époques, les générations et tout ce qui divise la société.

Et c’est aussi pour cela que nous sommes ensemble aujourd’hui, c’est aussi pour cela que je m’exprime devant vous. Parce que nous sommes une nation qui dit sa reconnaissance. Parce que nous sommes un peuple uni autour d’un de ses fils prodigues.

Et parce qu’il aimait la France, parce qu’il aimait son public, Johnny aurait aimé vous voir ici.

Il ne savait pas vraiment exprimer ce qu’il vivait, il préférait les silences. Alors il chantait les mots des autres, les chansons des autres. Il n’osait pas avouer ce qu’il ressentait, il aimait la pudeur.

Alors il se brûlait au contact du public, dans la ferveur de la scène et il s’offrait entièrement, terriblement, furieusement à vous.

Il aurait dû tomber 100 fois, mais ce qui l’a tenu, ce qui souvent l’a relevé c’est votre ferveur, c’est l’amour que vous lui portez.

Et l’émotion qui nous réunit ici aujourd’hui lui ressemble. Elle ne triche pas. Elle ne pose pas. Elle emporte tout sur son passage. Elle est de ces énergies qui font un peuple parce que pour nous, il était invincible parce qu’il était une part de notre pays, parce qu’il était une part que l’on aime aimer.

Alors au moment de lui adresser un dernier salut, pour que demeure vivant l’esprit du rock’n’roll et du blues, pour que le feu ne s’éteigne pas, je vous propose où que vous soyez, qui que vous soyez pour lui dire merci, pour qu’il ne meure jamais d’applaudir monsieur Johnny HALLYDAY.

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Aswad : Live and direct (1983)

L’album Live and direct du groupe Aswad est un bijou reggae de 1983, qui a été une porte d’entrée à ce type de musique pour beaucoup de monde, par son incroyable accessibilité. C’est vraiment le maître-mot.

Live and direct est connu comme retranscrivant de manière assez unique en son genre toute une ambiance de concert, toute une atmosphère live, avec un son très particulier et beaucoup de chaleur.

Non seulement on s’y croirait, mais la musique colle tellement au public qu’il y a toute une profonde dimension contestataire qui se dégage, et cela pourtant dans un esprit d’introversion mêlé à une ferveur collective.

Le lieu du concert enregistré tient une place particulière, indéniablement. Il s’agit d’un live au carnaval de Notting Hill qui a lieu chaque année à Londres et consiste en toute une expression culturelle immigrée, dans une perspective syncrétique à l’époque.

Les Anglais originaire des Caraïbes d’Aswad présentent ainsi une musique largement teintée de dub, marquée par le jazz, influencée par la soul. C’est une perspective tout à fait représentative de la scène musicale anglaise de l’époque, du moins celle qui n’est pas tournée ou marquée par la cold wave.

Aswad ne va cependant pas vraiment parvenir à maintenir le cap, renforçant la dimension monumentale du Live and direct comme étant l’apogée de toute une démarche.

L’album se situe ainsi entre une période reggae traditionnelle,« roots », avec notamment l’album Showcase (contenant des chansons importantes dans le reggae : « Three Babylon », « It’s Not Our Wish » et l’instrumental « Warrior Charge ») et un tournant pop virant au commercial avec un certain succès, dévaluant particulièrement le prestige d’Aswad.

C’était peut-être le prix à payer pour dépasser le reggae (Steel Pulse conservant davantage son orientation « roots ») et parvenir à captiver un public de toutes origines, dans une ambiance chaleureuse, avec un son mêlant expression populaire et contestation, esprit de communion et haut niveau de technique musicale, tout en restant agréable et plaisant.

L’album Live and direct, à son écoute, témoigne de toute une réalité débordant largement la musique, il est pratiquement une photographie réaliste et en ce sens un grand classique de la musique.

Au début du live, le chanteur demande ce que signifie « live and direct » et il explique que cela veut dire… « live and direct » : jamais une réponse ayant l’air si stupide n’a exprimé pourtant quelque chose de si vrai et si précis.

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Les oiseaux enfermés au musée d’art contemporain de Rochechouart

Le Canard enchaîné de cette semaine publie les propos de Jean-Marc Bustamante, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, chevalier de la Légion d’honneur, commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres, membre de l’Académie des Beaux-Arts section peinture.

Celui-ci connaît en effet une plainte déposée par l’association CLAMA de Limoges, en raison de la condition des animaux employés pour ce qui est censé être une œuvre d’art.

Jean-Marc Bustamante a créé en effet une installation avec sept oiseaux, des pinsons mandarins, enfermés chacun dans une cage.

Ce n’est pas de l’art, c’est de la cruauté et la responsable de l’association CLAMA dit à juste titre que :

« Cette œuvre pose un problème de principe, celui de se servir d’êtres dotés de sensibilité comme des objets de décoration. De plus les mandarins sont des animaux grégaires. Ils ont besoin de contacts physiques avec leurs congénères. Seuls dans leurs cages, ils peuvent être stressés. »

Le musée d’art contemporain de Rochechouart, dans la Haute-Vienne, feint de s’étonner, expliquant que cette installation est là depuis 20 ans… L’artiste s’étonne aussi, expliquant que de nombreux musées l’ont exposée, dont le Guggenheim de Bilbao.

Le Canard enchaîné relate même son inquiétude :

« Sous prétexte de défendre la cause animale, ne sommes-nous pas face à des gens qui rejettent l’art contemporain ? »

Cela en dit long sur la mentalité de ces « artistes ». Mettons entre guillemets, car on a là affaire à de simples nombrilistes, qui trop pressés de vendre une fortune leurs tableaux, leurs « installations » à des gens riches, n’ont plus aucun rapport avec la réalité.

Enfermer des oiseaux est déjà une bien triste démarche, mais qui plus est les séparer, exhiber leur souffrance, quel intérêt, si ce n’est une mentalité faisant de l’art une sorte de magie mêlé à de l’égocentrisme, à un sentiment de toute puissance ?

En quoi les oiseaux auraient-ils à souffrir d’un attachement à une « perception mentale voire psychologique du monde »?

Et quel intérêt à un charabia comme le suivant, commis par Jean-Marc Bustamante :

« La présence ne renvoie qu’à elle-même, rien vous empêche de passer sans la voir, rien ne vous empêche d’y stationner. »

Jean-Marc Bustamante peut bien exposer au Musée national d’art moderne (Centre Pompidou), au Musée National Reina Sofia Madrid, au Musée d’ art contemporain de Barcelone, au Tate Modern de Londres, au musée d’art contemporain de Vienne, au Stedelijk Museum d’Amsterdam…

Il ne fait que montrer que l’art contemporain est une lecture « psychologique » du monde qui est coupée de la réalité, qui n’est là que pour satisfaire les goûts abstraits ou morbides de gens tellement riches qu’ils en arrivent à nier que des oiseaux soient des oiseaux.

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Johnny Hallyday : les éditoriaux élogieux du Figaro et de l’Humanité

Voici l’éditorial du Figaro sur Johnny Hallyday, puis celui de l’Humanité.

humanite.fr

L’éditorial de Patrick Apel-Muller.

Johnny Hallyday. À cœur perdu

Johnny n’aura pas eu la mort violente et inattendue de James Dean, celle dont il disait rêver. Les mots de Jack London auraient pu l’accompagner : « J’aime mieux être un météore superbe plutôt qu’une planète endormie. La fonction de l’homme est de vivre, non d’exister. Je ne gâcherai pas mes jours à tenter de prolonger ma vie. Je veux brûler tout mon temps. »

L’angoisse de mourir et la peur de perdre ont accompagné ses flamboiements et sculpté un destin que les Français ont aimé, parce que dans ce pays on aime aussi les chutes et les douleurs, les rédemptions et le panache, le dur désir de durer et le sens du rebond. L’amour toujours, l’élan animal, la faiblesse avouée, les peines revendiquées…

Sa musique a changé, mais pas nos frissons. Il a posé ses braises au long du chemin de toutes les générations et elles scintillent encore, témoins d’une perte ressentie presque unanimement.

Bien sûr, il eut ses conformismes – notamment politiques –, ses écarts fiscaux, les commandes que commandaient ses dettes. Mais même quand la France répétait « ah que » derrière les Guignols de l’info, la moquerie signait le statut de monument national, de chronologie musicale de nos vies.

Avec lui, nous aurons dansé le rock et le twist, goûté les slows et la romance, réconcilié le blues et la chanson française. Nous nous serons sentis biker, yé-yé, hippie, bidasse, flambeur magnifique ou amoureux lumineux, puis solitaire et trahi.

Ses contradictions dessinent une carte en forme d’Hexagone. Il chanta Chirac, aima Sarkozy, puis en perdit le goût, mais il versa des cachets pour soutenir le mouvement des sidérurgistes lorrains en 1979 et fit de ses passages à la Fête de l’Humanité des monuments. Parce que là était le peuple, les gens qu’il aimait et dont il se sentait.

Tout cela restera. Sa jeunesse insolente et les rides des épreuves, la voix qui arrache ou qui caresse, la mort trompée et gagnante au bout du compte.

Sa fin, il l’a aussi donnée au public, chantant au-delà des maux, marquant jusqu’à son dernier souffle qu’il était avec nous. Les agacements n’y changeront rien. Il a joliment « brûlé tout son temps ».

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Benoît Hamon : Johnny Hallyday ou les Sisters of mercy?

La comparaison de Johnny Hallyday avec la tour Eiffel qu’a faite Benoît Hamon est vraiment incompréhensible. Ou, plutôt, elle témoigne du fait que Benoît Hamon a sciemment fait de la démagogie.

Au détour d’une petite biographie que Libération lui consacre en 2007, on apprend que celui-ci a eu trois périodes niveau goûts musicaux :

Jeune, il n’est pas très lecture. Cela lui viendra plus tard: Primo Lévi, Gide, Gary, Cocteau, Gramsci. Il préfère la musique. Exhume trois strates datables au carbone 14. 1) Du hard rock (AC/DC, Trust). 2) De la new wave (Cure, Sisters of Mercy, encore les soeurs.) 3) Du rap. «J’écoute NTM, quand ma nana n’est pas là.»

Benoît Hamon, lorsqu’il avait gagné les primaires du Parti socialiste, avait accordé une interview au magazine Rolling Stone, présentant de manière plus poussée ses propres goûts musicaux. Le premier 45 tours qu’il a acheté était de Status Quo, puis il a écouté AC/DC, Motörhead, Saxon.

Après cette vague de son rock lourd et métallique, il est passé à la cold wave, avec Joy Division, The Cure (de la période très sombre de la fameuse trilogie) et les Sisters of mercy.

Ses goûts, ici, sont typiquement ceux des gens alternatifs au début des années 1980 : la minorité qui n’écoutait pas la musique commerciale dominante.

On se tourne alors vers le heavy metal, le punk, la cold wave, ou encore dez manière plus marginale vers le hip hop ou la musique electro-industriel.

On s’identifie à une certaine sensibilité exprimée de manière profonde, s’éloignant du caractère neutre, fade, répétitif d’une vie quotidienne dans une société morne et ennuyeuse.

C’est l’époque où, dans chaque lycée, il y avait quelques métalleux, quelques punks, quelques gothiques, tous ayant en commun de ne fréquenter que des gens pareillement tournés vers des musiques non commerciales.

Il y avait un besoin de distinction avec les normes dominantes. Benoît Hamon le revendiquait par ailleurs lui-même dans l’interview :

A ce propos, quand vous sortiez à Brest pour écouter de la bonne musique, c’était où votre QG ?

On allait tous au Mélo. Cette boite était le point de rendez-vous pour tous les amateurs de cold-wave. C’était le club rock incontournable de la ville. Au moins, là-bas on savait qu’on n’allait pas se retrouver encerclé par Michel Sardou ou François Valéry, la programmation musicale affichait clairement les couleurs.

« Encerclé » est un mot tout à fait bien choisi. Trouver un endroit où passait de la musique alternative, c’était briser l’encerclement de la ringardise, du consensus comme quoi dans la société tout est bien, tout va bien, etc.

Comment peut-il alors en arriver à Johnny Hallyday ? Dans la même interview, quand on lui la poste la question du rock français, il nomme les groupes Téléphone, Bijou, Starshooter, Noir désir. Il mentionne également Miossec.

Il ne parle pas de Johnny Hallyday. Si c’était une référence digne, en termes de référence, de comparaison avec la tour Eiffel, pourquoi ne pas le nommer ?

Dans une autre interview, il cite comme référence Trust, raconte qu’il appréciait (un peu) les Béruriers noirs et explique qu’il écoutait également les Stray cats, un groupe de rockabilly – psycho.

Il nomme également plusieurs groupes de New wave montrant qu’il s’y connaît au moins plutôt pas mal : Public Image Limited, Killing Joke, UltraVox, Depeche Mode, Talk Talk, Lords of the New Church.

Les gens qui écoutent ce genre de groupes ont deux caractéristiques : d’abord, le niveau musical est très poussé, ensuite c’est souvent une musique qui « rippe », qui a des sons perturbés, qui cherche à se démarquer musicalement des sons « traditionnels », pour souligner la rupture avec le consensus musical dominant et la société qui va avec.

Jamais ils n’écouteraient Johnny Hallyday ! Ce dernier recevait soit une indifférence complète, soit un mépris assumé. Johnny Hallyday, tout le monde savait qu’il se présentait comme un passeur de rêve et de sentiments, mais c’était juste symbolique, sans réelle profondeur, que c’était de la variété.

Joy Division ou les Smiths, par contre, voilà qui musicalement et sur le plan du vécu, représentait bien autre chose…

Benoît Hamon le sait très bien et a adopté la posture du démagogue en comparant Johnny Hallyday à la tour Eiffel. Il s’est plié au consensus.

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Johnny Hallyday : l’homélie de Monseigneur de Sinety

Voici le texte de l’homélie faite lors de « l’hommage populaire » à Johnny Hallyday, par le vicaire général de l’archidiocèse de Paris, le père Benoist de Sinety.

«Avec une seule poignée de terre, Il a créé le monde

Et quand Il eut créé la Terre, tout en faisant sa ronde

Le Seigneur jugeant en somme qu’il manquait le minimum

Il créa la femme et l’amour qu’elle a donné aux hommes.»

En ce jour où une foule immense communie à la même tristesse, autour de vous Laeticia, Jade et Joy, autour de vous David et Laura, autour de vous leurs mamans, voici que ce refrain chanté par un jeune homme au début des années 60, peut retentir de nouveau.

Ces paroles résonnent comme en écho à celles que nous venons d’entendre, paroles initiales du Livre de la Vie: «La vie s’est manifestée!». L’Apôtre Jean pousse ce cri de joie en écrivant aux premières communautés chrétiennes: oui la vie s’est manifestée et elle se manifeste encore, jour après jour, comme un don inestimable qui nous est confié en partage, à nous, hommes de toutes conditions, de tous peuples et de toutes cultures.

En entendant la nouvelle de sa mort, beaucoup ont été saisis de chagrin, d’angoisse, de détresse: ainsi celui qui avait accompagné tant de moments heureux ou douloureux de nos existences ne chanterait plus, sa voix s’est éteinte…

Même si chacun au plus intime de lui-même se reconnaît finalement mortel, on en vient à rêver que ceux que nous aimons et que nous admirons, ne connaissent jamais de fin. Et lorsque les ténèbres du deuil paraissent, un froid glacial saisit nos cœurs et nos esprits.

Il y a deux mille ans, un homme naquit. Il se manifesta à ceux qui attendaient du Ciel un Envoyé, comme le Messie, le Christ. Ceux qui le reconnurent comme tel, le suivirent, pensant qu’Il leur donnerait de voir un royaume humain inédit, que rien ni personne ne pourrait détruire. Ils le suivirent sur les chemins de Judée et de Galilée, de Samarie et jusqu’au Temple de Jérusalem.

En l’écoutant parler, en le regardant guérir l’aveugle de ses obscurités, purifier le lépreux des rejets qu’il inspire, relever la femme que tous veulent lapider, accueillir l’étranger que nul ne veut recevoir, relever ceux qui étaient morts, ceux qui le suivent apprennent à comprendre qu’en ce Jésus se révèle le visage de Dieu.

Et pourtant, un jour, celui qu’ils pensaient être roi sur terre, fut suspendu à la croix d’infamie. Les ténèbres semblaient devoir tout recouvrir: qu’espérer alors et qui croire? A cette question, le matin de Pâques apporte une réponse éclatante.

Celui qui était mort est vivant, le Christ est ressuscité. Désormais, tout homme peut entendre de ses oreilles une Espérance nouvelle: l’Amour est incorruptible. Ce que nos rêves osaient à peine envisager est bien la réalité: la mort n’est pas le dernier mot de nos histoires. S’il n’est pas roi sur la terre, le Christ est bien le Roi de cette terre nouvelle vers laquelle nous marchons, cahin-caha, où la mort disparaît!

«Recherchez avec ardeur les dons les plus grands», je vais vous en indiquer le chemin par excellence écrit Paul aux chrétiens de Corinthe. A ceux qui vivent dans cette cité antique où les plaisirs et les richesses coulent à flots, quel autre chemin vers le bonheur donner que de profiter de tout cela sans vergogne?

Que sont, pourtant, nos vies sans l’Amour? Non pas l’amour éphémère d’une passion aussi intense que fugace, non pas l’amour égoïste et narcissique, mais l’Amour véritable qui nous fait reconnaître dans l’autre un frère à aimer, l’amour exigeant qui nous invite à aimer comme Jésus lui-même a aimé.

Lequel d’entre nous ne mesure l’infini vide que procurent, au bout du compte, les objets de ce monde pour lesquels nous déployons pourtant tant d’efforts et d’énergie?

Qui n’a jamais ressenti, enfant, la déception devant le jouet tant espéré qui, sitôt obtenu, devient moins séduisant, moins excitant? Rien ne peut combler le cœur de l’homme sinon l’Amour. C’est cet Amour qui nous rend capables de sortir de nous-mêmes, de croire que nous valons plus que nous n’osons l’envisager, de comprendre que nous sommes appelés à l’immortalité.

À la différence de beaucoup d’entre nous, Jean-Philippe Smet n’a peut-être pas reçu dans les premiers instants de son existence cet Amour qui est dû pourtant à toute vie naissante. Ces regards absents, sans doute, les a-t-il guettés tout au long de sa vie et s’est-il profondément réjoui de les trouver auprès de ceux qui l’ont aimé du plus proche au plus lointain.

Mais il avait, un jour de son enfance, entendu retentir au plus secret de son être ces mots prononcés de la bouche même de Dieu: au jour de son baptême ces paroles ont été déposées en lui «Tu es mon enfant bien-aimé, en toi je mets toute ma joie».

«On peut me faire ce qu’on voudra, je resterai chrétien. Je suis sûr que Jésus, lui, ne m’en veut pas» dira-t-il plus tard alors que des journalistes l’interrogent sur sa foi.

À sa manière, tout au long de sa vie, il a cherché l’Amour et il a compris que le moyen le plus certain d’y parvenir était d’aimer, d’aimer sans compter, d’aimer toujours.

C’est pour cela que nous sommes là, parce que nous avons un jour compris, à travers ses chansons, sa générosité et sa disponibilité, que nous étions aimés de lui. Si la voix du chanteur et ses mélodies touchent en nous l’intime c’est qu’elles nous révèlent son désir et que ce désir nous bouleverse parfois.

Toute vie est mortelle mais ce qui ne meurt jamais c’est l’Amour: l’amour dont nous avons été aimés et l’amour dont nous aimons: ces liens tissent en chacun de nous un être spirituel immortel, éternel. Ces liens nous mettent dans une communion de plus en plus intime avec Dieu même ; ils nous divinisent.

La vie de Johnny Hallyday, parce qu’elle a manifesté l’Amour, y compris dans ses pauvretés et dans ses manques, nous invite à lever les yeux vers Celui qui en est la source et l’accomplissement.

Celui dont il nous dit, en reprenant l’image biblique, qu’avec «une poignée de terre il a créé le monde» afin d’y faire vivre l’Amour.

Oui, à chacun de vous cette promesse est renouvelée aujourd’hui: votre vie est précieuse, tellement précieuse. Ensemble, nous sommes invités à cheminer en ce monde, frères et sœurs, en laissant l’amour accomplir en nous le don de nous-mêmes.

Chacun d’entre vous est infiniment aimé de Celui qui ne cesse de nous créer et qui nous appelle le jour venu à le contempler face à face. Quels que soient votre existence, ses doutes, ses hontes, ses renoncements, ses blessures, cet Amour dont Dieu vous aime ne passera jamais. Il est le seul bien, la seule promesse que rien ni personne ne pourra jamais nous enlever, nous arracher.

«Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» dit Jésus à ceux qui cherchent le chemin de la Vie.

Comme Jean-Philippe, devenu Johnny Hallyday, nous sommes tous appelés à laisser percer en nous cette lumière divine qui fait de nous des icônes de l’Amour de Dieu plutôt que des idoles dont la vie s’épuise.

Entre dans la Lumière Johnny Hallyday, une Lumière, un Feu qui ne s’éteint jamais. Te voilà accueilli par un Père qui ouvre les bras à l’enfant tant aimé, toi qui as tant cherché et tant donné aussi.

Avec toi, nous l’entendons te dire pour toujours ces paroles qui viennent en écho jusqu’à nous car elles nous sont aussi adressées, sans aucun doute possible: «Que je t’aime, que je t’aime…» Amen.

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Hommage à Johnny Hallyday : les motos, les Hells Angels et Emmanuel Macron

Quand on pense aux années 1960 d’un point de vue de gauche, on pense à des années de profond conservatisme, mai 1968 venant tenter de rétablir un équilibre.

Johnny Hallyday est lui le symbole du rêve américain, ancré dans les valeurs de droite. C’est pour cette raison que lors de « l’hommage populaire » fait samedi 9 janvier 2017 à Johnny Hallyday sur les Champs-Élysées, il y avait 700 motos comme cortège.

Le motard se veut individualiste, rebelle et conformiste en même temps. Plus de deux mille autres motards se sont d’ailleurs greffés à un moment au cortège, avec l’accord de la police.

De manière plus grave, le cortège des 700 motos « officiels » avait à sa tête… les hells angels. Cette structure de motards est considérée par les polices européennes comme une organisation criminelle reine en coups de communication pour se donner une image favorable.

C’est quelque chose d’extrêmement grave et cela montre que les institutions étaient prêtes à n’importe quel compromis pour mobiliser en faveur de l’hommage national.

Du monde, il y en avait, plusieurs centaines de milliers de personnes, mais le pari était toujours risqué , car si Johnny Hallyday a ses fans, la majorité du pays est indifférente, voire même hostile.

Les audiences des dispositifs spéciaux mis en place à la télévision n’ont ainsi été que correctement suivis (pas de changement pratiquement pour les chaînes d’information continue, et 14,9 % de part d’audience pour TF1, 14,4 % pour France 2, 4,1 % pour M6, 1,9 % pour C8, 0,5 % pour Cstar).

De manière opportune, la préfecture de Paris a donc refusé de donner des chiffres sur le nombre de gens venus assister à l’hommage national. Il y avait du monde, le président de la République a parlé, c’est censé suffire.

Et il a parlé de… moto, bien sûr :

« Vous êtes là pour lui, pour Johnny Hallyday. Près de 60 ans de carrière, et vous êtes là. Encore là. Toujours là. Je sais que vous vous attendez à ce qu’il surgisse de quelque part, en moto, il entamerait la première chanson et vous commenceriez à chanter avec lui. »

C’est une transformation de Johnny Hallyday en figure christique. Concluons donc sur une anecdote intéressante, de parce qu’elle révèle. Lors de « l’hommage populaire », il y avait Daniel Rondeau qui a pu notamment dire :

« Dans les friches de la France abandonnée comme dans les donjons de l’establishment, c’est le même cœur qui bat pour lui. Oui, notre cœur français bat pour toi, Johnny. »

Celui-ci expliquait qu’il avait des « liens mystérieux » avec Johnny Hallyday, qu’il connaît bien depuis sa publication en 1982 « L’âge-déraison : véritable biographie imaginaire de Johnny H. ».

C’est une sorte de biographie poétisée racontant la vie intérieure de Johnny Hallyday, présenté comme un grand tourmenté exprimant sa sensibilité à travers le rock’n’roll.

Daniel Rondeau, en vénérant Johnny Hallyday, réglait les comptes avec son propre passé de gauche. Auparavant, il avait rejoint la Gauche Prolétarienne maoïste et participé au mouvement d’établissement dans les usines.

Son éloge de Johnny accompagne la direction des pages culturelles de Libération, une carrière littéraire, un poste d’ambassadeur, puis de délégué permanent de la France auprès de l’UNESCO.

« L’âge-déraison : véritable biographie imaginaire de Johnny H. » commence de la manière suivante :

« Pour tout le monde, c’était Johnny. Un Américain à Paris. Il était grand, plutôt beau gosse et très nerveux. Agité. Surtout des jambes et des pieds. On pourrait dire qu’il avait du rythme. Une drôle de façon de rouler les mécaniques. Tout dans la hanche. De la balance, une grande vibration et un certain sens de l’épate. »

C’est une comparaison, évidemment, à Elvis Presley, avant que les lignes qui suivent n’assimilent Johnny Hallyday à James Dean, puis racontent comment des jeunes Parisiens tentent de vivre le rêve américain à leur manière, dans une rébellion conformiste à travers une récupération du style de leurs idoles américaines.

Le roman est ainsi une valorisation esthétique de Johnny Hallyday, avec un sens très précis : dénoncer mai 1968. C’est aussi le sens de « l’hommage populaire ».