Le Premier ministre Michel Barnier n’a été nommé que pour une seule et unique mission : tenter de sauver la France du naufrage économique. Son gouvernement ne peut être que « technique », dans le sens où il va systématiquement se présenter comme au-dessus des partis, des opinions et de la politique, dans un unique but de redressement budgétaire.
Contrairement à nous qui savons que la crise a une ampleur générale, ne pouvant aboutir que par un renversement du régime (par la guerre mondiale en cas d’échec populaire ou par la révolution démocratique en cas de succès populaire), le gouvernement de Michel Barnier doit avoir une vision mécanique, froide et sans envergure. La crise est considérée comme un simple problème technique, relatif à la dette structurelle du pays.
N’ayant par encore nommé son gouvernement, Michel Barnier a toutefois déjà commencé à gouverner début septembre, aux alentours du 10 septembre 2024, en négociant directement avec la Commission européenne pour obtenir un délai. La France est censée présenter à l’Union européenne le 20 septembre 2024 un plan de redressement de ses comptes, dans le cadre de la procédure pour déficit excessif engagé contre elle.
Cette demande de délai signifie que la France accepte de se plier aux exigences européennes, et qu’elle n’envisage absolument plus aucune indépendance. Michel Barnier est lui-même un cadre européen, ayant été le négociateur en chef de l’Union européenne avec le Royaume-Uni (ou plutôt contre le Royaume-Unis), lors du Brexit.
La France, province européenne, sous protectorat américain, est maintenant dans la situation suivante :
– sa dette a été mesurée à près de 111 % du PIB en 2023 et elle devrait approcher les 113 % en 2024 puis les 114 % en 2025, mais elle doit présenter un plan de redressement pour s’orienter vers l’exigence européenne qui est de ne pas dépasser les 60 % du PIB ;
– son déficit public a été mesuré à 5,5% du PIB en 2023 et il y a la prétention que celui-ci soit réduit à 5,1 % pour l’exercice 2024, mais elle doit présenter un plan de redressement pour s’orienter vers l’exigence européenne qui est de ne pas dépasser les 3% du PIB.
Traduit en des termes simples, cela signifie que la France est en faillite, mais qu’elle va faire la promesse de redresser drastiquement et en urgence ses comptes par des mesures précises. Il s’agit là de plusieurs milliards d’euros d’économie à faire, au moins une trentaine de milliards d’euros immédiatement (le déficit serait quant à lui aux alentours de 160 milliards d’euros).
Maintenant, soyons sérieux et voyons ce que cela implique concrètement.
Déjà, pour bien comprendre ce qui est en jeu, il ne faut pas perdre de vue la relativité de ces chiffres. C’est-à-dire que le déficit de la France est, par définition, relatif aux richesses qui sont produites en France (mesurées par le fameux PIB).
Si la France réduit le montant brut de sa dette, mais qu’en même temps elle a produit beaucoup moins de richesses, son déficit peut tout à fait se creuser. Voilà le cœur du problème, qui fait que la situation est explosive.
Pendant des décennies, il a été misé sur le fait qu’il valait mieux endetter le pays pour garantir sa croissance économique, que de couper dans les dépenses et risquer un décrochage. La bourgeoisie en France s’est donc gavée non pas seulement en exploitant le travail des prolétaires français et immigrés, mais aussi en faisant en sorte que la consommation soit portée par une dépense publique absolument massive.
Un cas typique est celui de la Sécurité sociale : c’est historiquement une avancée sociale, car cela protège la population sanitairement, mais c’est surtout une manne pour l’industrie pharmaceutique et le secteur hospitalier, notamment privé, où l’on trouve une masse de gens excessivement riches qui se gavent grâces aux soins et médicaments remboursés.
Cela est vrai pour tout : les différentes formes d’allocations et subventions aux personnes les plus précaires servent en fait à porter la consommation et assurer le train de vie des personnes formant la bourgeoisie (ou espérant s’y inclure). Les APL par exemple servent en apparence à aider les plus précaires à se loger ; elles servent en réalité à garantir des loyers élevés aux propriétaires de logements.
La Droite, dont est issu Michel Barnier, est donc coincée. Elle prétend qu’elle va réduire les dépenses, mais elle ne peut pas le faire car elle sait très bien que cela mettrait en péril l’économie française, en torpillant la consommation.
Voilà pourquoi Bruno Le Maire, lui aussi issu de la Droite, n’a pendant ses sept années à la tête du ministère de l’Économie et des finances, absolument rien fait contre l’envolée de la dette publique, qui n’a cessé de battre des records historiques.
Cela n’a pas suffi à empêcher la crise, et c’est maintenant d’autant plus un facteur aggravant de la crise. Comme cela a été expliqué début septembre 2024 dans une note ministérielle destinée aux parlementaires, les recettes de TVA, d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés s’annoncent ainsi largement moins élevées que prévu.
Le déficit, qui devait baisser à 5,1 % en 2024, pourrait en réalité augmenter à 5,6 % en 2024 en raison du ralentissement économique impliquant une baisse drastique des recettes.
De surcroît, les collectivités territoriales (communes, départements, etc.) ont également largement dépensé pour tenter d’endiguer la crise (ce serait là 16 milliards d’euros qui pèseraient sur les comptes de l’État pour 2024), ce qui fait que tous les compteurs sont au rouge, accablés par le ralentissement de la croissance.
Selon les prévisions de l’Insee pour le dernier trimestre 2024, le repli de la croissance devrait être de 0,1%, ce qui porterait la croissance du PIB sur l’ensemble de l’année 2024 à seulement 1,1 %, alors que le projet de loi de finances 2024 tablait sur 1,4%. Cela aggrave directement et dangereusement la possibilité d’un redressement de la dette française pour le gouvernement de Michel Barnier.
L’établissement d’un budget pour 2025, sous tutelle de l’Union européenne, va maintenant être le grand marqueur du basculement de la France, qui n’est plus un pays riche, une puissance de l’occident, mais un maillon faible du capitalisme mondial.
L’État français n’a plus aucune indépendance budgétaire, donc il n’a plus d’indépendance du tout. C’est d’autant plus vrai que Michel Barnier, agent de l’Union européenne, doit également rendre des comptes aux agences de notation financière, pour éviter que la situation ne déraille du jour au lendemain.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de croire que les agences de notations aient un quelconque poids en elles-mêmes. Seulement, elles sont un reflet de la situation, car elles sont utilisées par les acteurs des marchés financiers pour évaluer des situations économiques (ici de l’État français, mais c’est également le cas pour les grandes entreprises).
Ce qui se joue directement, c’est la crédibilité de la France en tant qu’elle emprunte énormément d’argent sur les marchés financiers. Alors la France doit tout faire pour convaincre les agences de notation qu’il est conseillé de lui prêter de l’argent, que cela est un investissement fiable.
Sans cette garantie, la France se retrouverait, se retrouvera bientôt, au même niveau que des pays secondaires du capitalisme mondial : de l’argent est prêté, mais à des taux très élevés. Et qui dit taux élevés, dit augmentation de la charge de la dette, donc forcément du déficit.
En juin 2024, juste après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le taux d’emprunt à 10 ans pour les bons du Trésor français a atteint pratiquement 3,20 %, soit pratiquement 0,70 point de plus que le taux allemand (la référence pour la France).
L’État français, qui empruntait il y a encore quelques années à des taux extrêmement bas, voir négatifs dans certains cas particuliers, se retrouve maintenant face à un mur.
C’est le mur de la dette, contre lequel se fracasse le pays ; Michel Barnier n’y pourra rien. Même s’il tentera d’en faire payer le prix aux prolétaires, la situation est inextricable, car la crise est en réalité ancrée depuis de nombreuses années, en profondeur, sans aucune possibilité de redressement dans le cadre actuel.
La réponse doit donc être l’intelligence, celle de la Gauche historique, avec ses valeurs. Car le prolétariat va se recomposer comme classe dans, à travers et contre la crise. Comme le dit l’adage chinois, le vent gonfle le pavillon!