Il y a mille jours, le conflit armé en Ukraine commençait. Deux membres de notre rédaction avaient mis le réveil à cinq heures du matin, pour vérifier que ce serait bien la nuit fatale et publier l’article correspondant, le 24 février 2022. Car nous savions depuis plusieurs heures que ce serait pour cette nuit, et nous n’étions pas les seuls : les observateurs les plus avisés constataient les signes qui ne trompent pas à cour terme, comme par exemple la disparition subite de tous les Russes présents sur certains forums de discussion en ligne.
Cet effort d’étude approfondie correspondait à notre compréhension du caractère inéluctable du conflit armé, que nous annoncions six mois avant qu’il ne commence. Nous avions saisi que la crise capitaliste commencée en 2020 rendait les choses impossibles, intenables et que l’affrontement pour le repartage du monde allait commencer.
Nous avions alors certaines illusions. Nous nous sommes dit que si un million de Français cherchaient à savoir ce qui se passe, il y en aurait bien 100 000 à aller sur internet pour voir de quoi il en retourne de manière un peu approfondie, et qu’au moins 10 000 tomberaient sur nous. Eh bien, rien, rien de rien, le début du conflit en Ukraine n’a rien changé du tout pour nous, malgré le fait que nous l’ayons annoncé.
Tel est le fruit du dédain au sein de la citadelle capitaliste française. On s’intéresse aux retraites dans le capitalisme, on s’intéresse au niveau de vie dans le capitalisme, on dénonce le capitalisme dans le capitalisme… et surtout, surtout, que ça n’aille pas plus loin. Il suffit de voir la mise en place par l’armée française de la brigade ukrainienne « Anne de Kiev » : nous sommes les seuls à en avoir parlé à gauche.
Il y a ici un tabou et le dispositif du régime, avec le statut présidentiel, joue à fond. C’est comme si ça se passait « au-dessus » de tout débat en France. La France capitaliste soutient le régime ukrainien pour faire tomber la Russie, il faut faire avec, il faut l’accepter, il ne faut rien dire, c’est comme ça.
Cependant, si les Français sont prompts à faire semblant de rien, à jouer les raisonnables, à se comporter comme des acteurs récitant leur rôle, les choses vont très mal tourner et là il faudra bien payer le prix de la passivité, de la stupidité, de l’ignorance, du mépris.
Il n’est en effet aucune raison que les choses s’arrangent. Le capitalisme français est en crise et a besoin de faire tomber la Russie. La chronologie que nous faisons depuis le 26 février 2024 impose un verdict sans appel : l’escalade est là, l’engrenage est réalisé. La France est de la partie. Et on va au pire.
Que vient d’ailleurs de faire Vladimir Poutine en Russie ? Il vient d’ajuster la doctrine concernant l’emploi des armes atomiques. Il y a deux raisons de plus de l’employer, désormais, du côté russe.
La première, c’est le lancement massif d’attaques aériennes contre la Russie. Cela fait référence à une éventuelle intervention de l’Otan avec son aviation militaire, qui est très largement supérieure à la Russie.
La seconde, c’est la « mise à disposition de territoire et de ressources pour une agression contre la Russie ». C’est une allusion à la fourniture de missiles de longue portée au régime ukrainien par la superpuissance américaine, et au fait que de tels missiles pouvant frapper en Russie même ne peuvent pas être employés du côté ukrainien sans une aide technique de l’armée américaine.
C’est là une lourde décision de la part de la Russie et cela indique qu’elle ne reculera pas. Elle ne peut de toutes façons pas accepter un régime nationaliste ukrainien qui désire la réduire à une petite Moscovie.
Et qu’a dit le président ukrainien Volodymyr Zelensky justement à l’occasion des mille jours de conflit ? Qu’il n’y aurait pas en Ukraine de nouvelles élections présidentielles, que l’affrontement continuerait jusqu’à la défaite de la Russie.
Il est intervenu par message vidéo au parlement européen, un parlement européen tout acquis, où tout le monde (absolument tout le monde!) vote en faveur du soutien au régime ukrainien. Les pays européens, la France en tête, sont prêts à prendre le relais de la superpuissance américaine pour utiliser le régime ukrainien comme fer de lance contre la Russie.
Une intervention en soutien – de la part de la Pologne, de la Finlande, de la Suède, de la France, du Royaume-Uni – est clairement envisagé sur le plan stratégique. C’est Emmanuel Macron qui a, le premier, le 26 février 2024, présenté cette orientation. Qu’on ne s’y trompe pas, ce ne sont pas des paroles en l’air, c’est une tendance historique !
Volodymyr Zelensky a également affirmé que l’âge de la conscription ne baisserait pas en Ukraine. Ce qui est un désastre du point de vue de l’armée ukrainienne, car cela signifie qu’il n’y aura pas de troupes fraîches, alors que sur le front les choses vont de plus en plus mal. Il ne peut toutefois pas en être autrement, les jeunes Ukrainiens, que le régime a jusque-là préservé, refusant catégoriquement d’aller se faire tuer.
Car ce qu’ils voient, c’est que depuis le début du conflit, 12 162 civils ukrainiens se sont fait tuer. C’est un chiffre terrible, affreux. Mais on parle d’une guerre et c’est un chiffre extrêmement bas. Par comparaison, rien qu’en 2023 il y a plus eu de 40 000 morts au Brésil en raison de meurtres commis par des criminels.
Les jeunes Ukrainiens voient donc bien qu’il n’y a pas de politique génocidaire de la Russie, malgré ce que racontent les nationalistes ukrainiens et les médias occidentaux. Human Rights Watch parle, par exemple, de « bombardements indiscriminés de la Russie ont été bien documentés dans de nombreuses villes depuis lors, notamment Tchernihiv, Kharkiv, Kherson, Kramatorsk, Krementchouk, Marioupol, Mykolaïv et bien d’autres encore ». Rien que Kharkiv, c’est 1,4 millions d’habitants. Des « bombardements indiscriminés » ressembleraient à autre chose.
Alors, ils tentent de fuir la folie, la guerre étant toujours une folie. Et ils ont raison.
Mais ce que cela implique, c’est qu’une intervention militaire occidentale est d’autant plus nécessaire pour sauver le régime ukrainien et continuer à pouvoir l’utiliser contre la Russie.
La logique de la bataille de repartage du monde est implacable. Nous ne sommes qu’au début du processus d’affrontement, un affrontement qui sera général et dont la toile de fond est la confrontation entre les superpuissances américaine et chinoise pour l’hégémonie mondiale.