Au début des années 1980, le fret ferroviaire français transportait 66,4 milliards de tonnes-kilomètres (une tonne sur un kilomètre). Au début des années 2020, c’est pratiquement moitié moins, avec 35,5 milliards de tonnes-kilomètres. Cela donne une part du transport de marchandises par train de 9%, contre 89% pour la route, et l’écart se creuse toujours plus en raison de la faillite du fret SNCF et de l’incapacité de ses concurrents.
Mais en Allemagne, c’est plus de trois fois plus, avec 123 milliards de tonnes-kilomètres. En propotion, cela représente plus du double par rapport à la France : l’Allemagne transporte 20% de ses marchandises par le train.
Faut-il, ainsi, préférer le capitalisme d’avant, ou bien le capitalisme allemand ? Ou bien s’imaginer qu’ils sont plus faciles à transformer en socialisme, par rapport au capitalisme français d’aujourd’hui avec ses camions sur les autoroutes ? Absolument pas, car ce serait là avoir une très courte vue et ne rien comprendre à ce qu’est le socialisme par rapport au capitalisme.
La révolution socialiste n’est pas un changement quantitatif par rapport au capitalisme, avec la même chose mais en mieux. Ici par exemple, avec plus de fret ferroviaire à la place des camions.
Évidemment que le fret ferroviaire correspond bien mieux que la route au besoin d’une économie industrielle et centralisée, planifiée pour servir le peuple tourné vers la nature. Rien que de part son efficience énergétique (le principe du train de faire glisser des roues en fer sur des rails en fer est hyper efficace) et la fiabilité qu’il garantit, le fret ferroviaire est incontournable.
Mais le socialisme, c’est avant tout un changement qualitatif, un bouleversement dans l’organisation même de l’économie, qui est renversée, transformée, révolutionnée. On ne peut pas penser le socialisme de demain en envisageant le capitalisme d’aujourd’hui, sinon on rate l’essentiel.
Qui dit socialisme, dit un changement radical dans la façon d’envisager les marchandises à la base. Et c’est cela qui ensuite produit la nécessité d’une organisation nouvelle du transport des marchandises. Il faut d’abord considérer une économie nouvelle, avec en particulier une industrie nouvelle, et alors on comprend en quoi le transport est forcément totalement différent dans le socialisme.
Par nature, dans sa conception même, le transport des marchandises dans le socialisme n’a plus rien à voir avec le transport de marchandise d’aujourd’hui.
Soyons concrets. Au début des années 2020, une entreprise doit expédier partout en France et un peu en Europe des palettes composées des marchandises qu’elle produit. Elle évolue dans un marché, de manière autonome, où elle doit trouver des clients pour assurer un chiffre d’affaires et assurer la reproduction du capital.
On a là déjà un premier élément. Dans le capitalisme, l’entreprise en question est susceptible d’envoyer ses marchandises à n’importe qui, n’importe quand et surtout n’importe où. Dans le socialisme, cela n’existe pas : une entreprise produit dans le cadre d’un plan, elle n’est plus du tout susceptible d’envoyer ses marchandises à n’importe qui, car les choses sont décidées rationnellement et en amont.
Cela change tout, absolument tout.
L’entreprise d’aujourd’hui va faire appel à des transporteurs, qui sont en concurrence et évoluent chacun de leur côté.
Si elle a beaucoup de palettes à expédier à un seul client, elle pourra affréter un camion complet, pour assurer la course directement. Le chauffeur arrivera, se fera charger puis prendra la route pour se rendre à destination.
Peu importe que d’autres marchandises partant de la même villes doivent également être livrées dans la même ville. Un autre camion fera la même chose de son côté.
Il est assez facile ici d’imaginer comment le socialisme change la donne. Il faut organiser rationnellement et en amont le besoin de transférer des marchandises d’une ville à l’autre, et ensuite par exemple des camions viennent chercher les marchandises pour les acheminer vers une gare de fret ferroviaire où un train est chargé pour assurer le voyage sur une longue distance.
Toutefois, dans la plupart des cas, on n’a pas de tels affrètements, qui sont facilement « transformable » en transport « différent » dans le cadre du socialisme. Dans la plupart des cas, dans le capitalisme, le transport de marchandise fonctionne en des flux extrêmement atomisés.
Pour reprendre l’exemple de l’entreprise, la plupart du temps il ne sera expédié qu’un nombre restreint de palettes pour chaque camion. Déjà, parce que le capitalisme fonctionne en flux tendu, au jour le jour. Mais aussi parce qu’en raison de la concurrence, il sera fait appel à plusieurs transporteurs.
Tout simplement, l’entreprise a une liste (ou un algorithme pour les plus grosses entreprises) pour choisir : pour tel pays, au-dessus de tel poids, c’est tel transporteur, pour tel département, en dessous de tel volume, c’est tel transporteurs, etc.
Ainsi les transporteurs, en général des groupes de messagerie, viennent enlever les palettes, puis les regroupent dans un entrepôt. D’ailleurs, le même camion transporte également d’autres palettes à livrer à d’autres entreprises voisines, et a aussi été charger des palettes dans des entreprises voisines. Bien entendus, d’autres camions de transporteurs concurrents font exactement la même chose, se rendant strictement dans les mêmes entreprises et aux mêmes moments.
Les marchandises sont ensuite acheminées à travers différents entrepôts, en général en passant par des « hubs » (des nœuds servant à une sorte de décentralisation centralisée), puis elles arrivent à destination, en général le plus vite possible, car c’est un critère commercial.
Il peut y avoir également au milieu de ces différentes phases de transport, des opérations de dégroupage : l’entreprise expéditrice a fait des palettes regroupant des marchandises pour différents clients (par exemple d’une même ville), qu’il faut alors dégrouper avant la livraison finale à chaque destinataire.
Ce fonctionnement concerne bien entendu les colis, par exemple achetés sur internet et à destination de particuliers, mais il concerne également les immenses flux de marchandises à destinations des professionnels et des commerçants, y compris voire surtout pour des volumes bien plus importants que des colis. Jusqu’à 3 tonnes de marchandises pour un même destinataire, il est considéré que cela relève de la messagerie, et donc directement de ce processus.
Mais même au-delà de 3 tonnes de marchandises, il y a en fait dans le capitalisme une accumulation gigantesque d’opérations de logistique et de transports pour les marchandises, avec énormément d’intervenants et d’interactions.
En pratique, cela donne des milliers d’entrepôts partout sur le territoire qui stockent, organisent et s’échangent en permanence des milliards de tonnes de marchandises.
Dans le capitalisme, le transport de marchandises fonctionne strictement et directement dans cette perspective ; il est par nature atomisé, inorganisé et inefficient. C’est pour cela qu’il y a des dizaines de milliers de camions qui circulent en permanence et dans tous les sens sur les routes du pays.
Dans le socialisme, le transport par messagerie n’a aucun sens. Ces flux immenses de logistique sont une aberration inutile propre au chaos de l’économie de marché à l’époque du capitalisme. Dans le socialisme, le transport change radicalement de nature et s’organise forcément différemment, sans aucun rapport ou presque avec ce qui existe aujourd’hui.
Dans le capitalisme, le transport de marchandise est caractérisé par l’éparpillement. Dans le socialisme, il est caractérisé par l’organisation.
C’est exactement la même chose pour le transport des individus.
Il ne s’agit pas dans le socialisme de s’imaginer fabriquer des voitures électriques pour s’imaginer être en phase avec l’environnement, mais de considérer les choses avec une perspective radicalement différente.
À l’éparpillement des individus qui doivent se déplacer sans cesse de manière individuelle et chaotique dans le capitalisme, le socialisme oppose la régulation et l’organisation de la vie collective dans le but de l’épanouissement personnel.
Cela change la donne par nature.
L’existence de millions d’automobiles et du réseau routier actuel devient par nature absurde, car inutile. Tout comme sont absurdes et inutiles les bouchons et les feux rouges, qui relèvent d’une forme arriérée du transport des individus.
Au contraire, la généralisation des trains et des tramways est forcément bien plus utile pour une organisation rationnelle de la vie collective des masses, intéressées par leur épanouissement personnel à chaque moment de la journée.
D’ailleurs, tout comme le train est un moyen de transport sur longue distance très efficace énergétiquement, le vélo est un moyen de transport pratiquement imbattable en termes d’efficacité énergétique sur de courtes distances.
Mais il ne s’agit pas de s’imaginer « développer » la pratique du vélo dans les métropoles tentaculaires du capitalisme, avec ses grands axes saturées de voitures, ses banlieues pavillonnaires éparpillées et ses zones industrielles morbides, entre lesquels les individus doivent parcourir des dizaines de kilomètres chaque jour.
Dans un tel panorama, le vélo est une aberration, qui reste forcément marginale. Le socialisme change d’abord les choses structurellement, et ensuite les transports changent, par nature, comme produits nouveaux d’une époque nouvelle.
Par exemple, le socialisme ne pourra pas produire des immondices tels que les vélos à assistance électrique, car il produira des humains en bonne santé physique ayant le besoin de se déplacer par eux-mêmes sur des axes dédiés et d’extrêmement bonne qualité pour la pratique quotidienne du cyclisme.
C’est la différence de nature entre le capitalisme multipliant la nécessité permanente des choix individuels, et le socialisme relevant d’une organisation de masse systématique.