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La grave crise en Catalogne d’octobre 2019

L’Espagne est une monarchie issue directement du franquisme, avec une démocratisation inégale concernant un nombre très important d’aspects. La revendication indépendantiste catalane naît de ce terreau et la condamnation très lourde à la prison des indépendantistes modérés ayant organisé un « référendum » a mis le feu aux poudres.

Le monde connaît des contradictions qui, vues de l’extérieur, semblent étranges. Ainsi, la ville de Santiago du Chili connaît de violentes émeutes et est désormais sous le statut de l’état d’urgence. Pourquoi tout cela ? Car le ticket de métro a augmenté de 4 centimes d’euro, pour passer 1,04 euros. C’est évidemment un déclencheur de quelque chose de plus profond.

Il en va de même pour la Catalogne où grosso modo la moitié du pays est pour l’indépendance, l’autre moitié contre. Vendredi, la fameuse Sagrada Familia a ainsi été fermée aux touristes suite à un blocage par un groupe dénommé « Pique-nique pour la République ». Comme on le voit, cela concerne bien plus qu’une simple question d’indépendance, il y a là une dimension politique.

C’est ce qui provoque les troubles en Catalogne concernant des questions politiques, sociales, culturelles, idéologiques, dans un grand mélange datant de la guerre d’Espagne. Ce n’est pas pour rien que la personne qui a été condamné le plus lourdement pour l’organisation du référendum sur l’indépendance est Oriol Junqueras. C’est l’ex-vice-président de la Catalogne, dirigeant du parti Gauche républicaine de Catalogne (ERC). Il a écopé de 13 ans de prison pour sédition et détournement de fonds public.

Ce n’est pas pour rien non plus qu’en réaction aux condamnations, il y a eu vendredi une grève générale chez Seat, dans le port et dans la chaîne de supermarché Bonpreu. Il y a une profonde dimension ouvrière dans cette agitation.

L’opposition au centralisme de Madrid relève d’une démarche républicaine fédéraliste tout à fait assumée dans la vraie Gauche, que les socialistes du PSOE ont quitté depuis longtemps. Il existe une grande scène d’agitation pro-républicaine (anti-monarchiste), sur une base de gauche, allant bien au-delà de la question catalane et allant d’écologistes alternatifs aux communistes illégalistes historiquement liés au PCE(r) clandestin.

Mais pour la question catalane directement, il y a également une enchevêtrement avec la bourgeoisie catalane, qui joue la carte de l’égoïsme en utilisant la fibre nationaliste. La bourgeoisie catalane veut profiter seule de 7,6 millions d’habitants, 20 % du PIB espagnol, de la grande métropole qu’est Barcelone. La Catalogne est un bastion capitaliste et une plaque tournante de la « mondialisation ».

Il n’est pas bien difficile de voir comment cela donne des ailes « anticapitalistes » aux nationalistes centralisateurs, comment cela provoque des rancœurs en Espagne. D’où la brutalité et le caractère large des condamnations que l’État a pu mettre en place, de par le vaste espace existant politiquement pour cela en Espagne.

Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, de la scène associative, ont été condamnés à neuf ans de prison ; cinq personnes ayant été ministre d’Oriol Junqueras ont été condamnées à des peines allant de 10,5 à 12 ans de prison et l’ex-présidente du parlement régional, Carme Forcadell, à 11 ans. Trois autres personnes ont pris des amendes.

C’est un avertissement clair à la bourgeoisie catalane. Cela dit : l’armée est la garante de l’unité du pays et jamais la Catalogne n’aura son indépendance, point final. L’acte d’accusation fait d’ailleurs 493 pages, histoire de bien montrer que l’État gère tout comme il l’entend.

On comprend donc que plus 500 000 personnes aient manifesté à Barcelone vendredi, alors que les heurts avec la police durent depuis le 14 octobre, avec 600 blessés. Il y a des raisons objectives de se révolter contre le régime. Mais le fait que cela soit fait par l’intermédiaire du prisme nationaliste est une faiblesse impliquant une défaite inévitable. Il n’existe pas de « nationalisme de gauche », il n’existe qu’une Gauche avec des revendications nationales-démocratiques. Il n’en a jamais été autrement.

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Les élections du 21 décembre 2017 en Catalogne

Les élections catalanes se sont tenues hier 21 décembre 2017, suite à la crise provoquée par la tentative d’affirmation d’indépendance par le gouvernement régional. Avec 82 % de participation, la mobilisation a été importante et elles ont été marquées par la victoire de la même majorité, avec cette fois 70 députés contre 72 auparavant.

C’est donc un retour à la case départ, avec cette fois le responsable du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, en exil à Bruxelles pour éviter la répression de l’État espagnol. Pourra-t-il revenir ? Pas s’il continue de mettre en avant l’indépendance.

Mais comment mettre en avant l’indépendance si le pays est coupé en deux parts à peu près égales ? Sans compter qu’il y a la question de l’unité de l’Espagne. Si le camp de tradition franquiste est indéniablement encore très puissant, il y a aussi les gens qui ne veulent pas d’implosion d’un pays, de morcellement en toujours plus de petits pays.

Naturellement, être de gauche, c’est se dire qu’après tout, c’est une bonne chose que la monarchie espagnole vacille. Mais le contraire de la monarchie, n’est-ce pas la république ? Mais alors la république pour tout le monde, pas simplement pour les Catalans.

Lors de la guerre d’Espagne, la Catalogne existait sous la forme d’une Généralité catalane, au sein de la République. C’était une composante essentielle du Front populaire, tout en conservant une large autonomie. Les partis socialistes et communistes avaient d’ailleurs fusionné leurs sections locales, devenues indépendantes, en un Parti socialiste unifié de Catalogne.

La Catalogne s’était insérée dans un projet plus global de république portée par les partis de gauche, dans le sens de valeurs résolument ancrées dans les traditions socialistes et communistes. Défendre la Catalogne alors, c’était participer à ses valeurs. C’était la liberté catalane contre la monarchie, l’armée, l’Église. C’était finalement la cause de tout le monde.

La Catalogne ne prend pas du tout aujourd’hui une telle direction. Elle veut être un pays riche dans une Europe composée de petits pays, chacun tirant son épingle du jeu autant qu’il peut. Sous prétexte d’être catalan, tout le monde devrait être ensemble en Catalogne et toutes les questions sociales devraient passer à la trappe.

Les partisans de l’indépendance de la Catalogne sont ainsi contre la monarchie, mais uniquement contre la monarchie pour ce qui les concerne. Ils ne se sentent pas proches des républicains ailleurs en Espagne. Ils veulent leur république, comme si d’ailleurs un tel républicanisme était une fin en soi.

Un tel manque d’universalisme reflète toujours le particularisme, le repli sur soi, l’égoïsme. Alors qu’une cause juste, même particulière, participe toujours à l’universel. Cela pourrait être le cas si la cause catalane avait les mêmes fondamentaux qu’en 1936.

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Déclaration d’indépendance de la Catalogne d’octobre 2017

[Document signé par 72 députés formant la majorité du parlement catalan, dont la valeur a été suspendu par le même parlement, afin d’entamer des négociations avec l’Etat espagnol, qui aboutiront en fait sur la répression.]

Au peuple de Catalogne et à tous les peuples du monde,

La justice et les droits humains individuels et collectifs intrinsèques, fondements essentiels qui donnent la légitimité historique et la tradition juridique et institutionnelle de la Catalogne, sont la base de la constitution de la République catalane.

La nation catalane, sa langue et sa culture ont mille ans d’histoire. Pendant des siècles, la Catalogne a été dotée et a bénéficié de ses propres institutions qui ont exercé l’autonomie avec plénitude, avec la Generalitat comme la plus grande expression des droits historiques de la Catalogne.

Le parlementarisme a été, pendant les périodes de liberté, la colonne vertébrale sur laquelle ces institutions ont été soutenues, il a été canalisé par les « Cortes catalans » et a été cristallisé dans les Constitutions de Catalogne.

La Catalogne restaure aujourd’hui sa pleine souveraineté, perdue et largement attendue depuis des décennies lors d’une coexistence institutionnelle honnête et loyale avec les peuples de la péninsule Ibérique.

Depuis l’adoption de la Constitution espagnole de 1978, la politique catalane a joué un rôle clé avec une attitude exemplaire, loyale et démocratique à l’égard de l’Espagne et un sens profond de l’Etat. L’Espagne a répondu à cette allégeance en refusant la reconnaissance de la Catalogne en tant que nation; et a accordé une autonomie limitée, plus administrative que politique et a provoqué une processus de recentralisation; un traitement économique profondément injuste et une discrimination linguistique et culturelle.

Le statut d’autonomie, approuvé par le Parlement et le Congrès et approuvé par la citoyenneté catalane, devrait constituer le nouveau cadre stable et durable des relations bilatérales entre la Catalogne et l’Espagne. Mais c’était un accord politique brisé par la décision de la Cour constitutionnelle et qui a fait émerger de nouvelles plaintes des citoyens.

Reprenant les demandes d’une grande majorité de citoyens de Catalogne, le Parlement, le gouvernement et la société civile ont demandé à plusieurs reprises à l’état espagnol la tenue d’un référendum sur l’autodétermination. Devant la constatation les institutions de l’Etat ont rejeté toutes les négociations, elles ont violé le principe de démocratie et d’autonomie et ont ignoré les mécanismes juridiques prévus par la Constitution, la Generalitat de Catalogne a organisé un référendum pour l’exercice du droit à l’autodétermination reconnu en droit international.

L’organisation et la célébration du référendum ont conduit à la suspension de l’autonomie gouvernementale en Catalogne et à l’application de fait de l’état d’urgence. Les opérations policières brutales de caractère et de style militaires orchestré par l’Espagne contre les citoyens catalan ont touché, en de multiples occasions répétées, leurs libertés civiles et politiques et les principes des droits de l’homme, et a contrevenu aux accords internationaux signés et ratifiés par l’Etat espagnol.

Des milliers de personnes, parmi lesquelles des centaines d’élus, institutionnels et professionnels du secteur des communications, l’administration et la société civile ont été surveillées, détenues, frappées, interrogées et menacées par de sévères peines de prison.

Les institutions espagnoles, qui doivent rester neutres, protéger les droits fondamentaux et arbitrer le conflit politique, sont devenues une partie et un instrument de ces attaques et ont laissé les citoyens de Catalogne sans protection. Malgré la violence et la répression visant à empêcher un processus démocratique et pacifique, les citoyens de Catalogne ont voté majoritairement en faveur de la constitution de la République catalane.

La Constitution de la République catalane se fonde sur la nécessité de protéger la liberté, la sécurité et la coexistence de tous les citoyens de la Catalogne et d’avancer vers un Etat de droit et une démocratie de meilleure qualité et répond à l’interdiction de la part de l’Etat espagnol de rendre effectif le droit à l’autodétermination des peuples.

Le peuple de Catalogne est l’amant du droit, et du respect de la loi est et sera l’une des pierres angulaires de la République.

L’Etat catalan remplira toutes les dispositions conformes à la présente Déclaration et garantira le maintien de la sécurité juridique et le maintien des accords de l’esprit fondateur de la République catalane.

La constitution de la République est une main tendue au dialogue. Conformément à la tradition catalane, nous maintenons notre engagement en faveur de l’accord comme moyen de résoudre les conflits politiques. De même, nous réaffirmons notre fraternité et notre solidarité avec le reste des peuples du monde et en particulier avec ceux avec lesquels nous partageons la langue et la culture et la région euro-méditerrannée pour la défense des libertés individuelles et collectives.

La République catalane est une opportunité pour corriger les déficits démocratiques et sociaux actuels et de construire une société plus prospère, plus juste, plus sûre, plus durable et plus solidaire. En vertu de tout ce qui vient d’être exposé, nous, représentants démocratiques du peuple de Catalogne, dans le libre exercice du droit à l’autodétermination et conformément au mandat reçu des citoyens de Catalogne,

NOUS CONSTITUONS la République Catalane, en tant qu’État indépendant et souverain, de droit, démocratique et social.

NOUS METTONS EN VIGUEUR la loi de transition juridique et fondamentale de la République.

NOUS INITIONS le processus constitutif, démocratique, citoyen, transversal, participatif et contraignant.

NOUS AFFIRMONS la volonté d’ouvrir des négociations avec l’Espagne, sans conditions préalables, visant à établir un système de collaboration au bénéfice des deux parties. Les négociations doivent nécessairement être sur un pied d’égalité.

NOUS PORTONS A LA CONNAISSANCE de la communauté internationale et des autorités de l’Union européenne la constitution de la République catalane et la proposition de négociations avec l’Espagne.

NOUS DEMANDONS instamment à la communauté internationale et aux autorités de l’Union européenne d’intervenir pour mettre fin à la violation continue des droits civils et politiques et de suivre le processus de négociation avec l’État espagnol et d’être témoins.

NOUS MANIFESTONS le désir de construire un projet européen qui renforce les droits sociaux et démocratiques des citoyens ainsi que l’engagement à continuer à appliquer les normes de l’ordre juridique de l’Union européenne et celles de l’Espagne et de la Catalogne autonome qui transposent cette norme.

NOUS AFFIRMONS que la Catalogne a le désir sans équivoque de s’intégrer le plus rapidement possible à la communauté internationale. Le nouvel Etat s’engage à respecter les obligations internationales actuellement appliquées sur son territoire et à continuer à faire partie des traités internationaux auxquels le Royaume d’Espagne est partie prenante.

NOUS APPELONS les États et les organisations internationales à reconnaître la République catalane comme un État indépendant et souverain.

NOUS DEMANDONS au Gouvernement de la Generalitat de prendre les mesures nécessaires pour rendre possible la pleine réalisation de cette déclaration d’indépendance et des dispositions de la loi de transition juridique et fondamentale de la République.

NOUS APPELONS chacun des citoyens de la République catalane à nous rendre dignes de la liberté que nous avons donnée et à construire un Etat qui se traduit par des actions et en conduite des inspirations collectives.

Les représentants légitimes du peuple de Catalogne

Barcelone, 10 octobre 2017