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Nouvel ordre

La révolution, c’est le sursaut de civilisation

La conscience d’autrui n’est pas possible dans une société qui ne le permet pas. Ainsi, dans la société tribale de chasseurs-cueilleurs, les rapports avec l’extérieur sont très limités, et lorsqu’ils surviennent, ils prennent la forme de la méfiance, voire d’une défiance en l’absence de confiance.

Confiance dans la société et stabilisation de la vie sociale sont la base même de la civilisation qui trouve à s’exprimer à travers la succession des modes de production.

Le mode de production capitaliste a été ici un formidable stabilisateur de la vie quotidienne et, en élargissant à tous les niveaux la division sociale du travail, il a également participé à la diffusion générale de la confiance dans les relations interpersonnelles.

Mais on l’aura compris, survient en creux la question de la lutte des classes.

La civilisation est toujours portée par un mode de production à travers une classe, passée de dominée à dominante, avant d’entrer elle-même en décadence, incapable de porter et de continuer la civilisation et finisse par cela même renversée.

Une révolution est toujours une expression de la continuation de la civilisation, menacée d’effondrement du fait que son ancien support historique, la classe dirigeante, s’est transformée en classe historiquement dépassée.

Cette continuation s’exprime de manière dialectique et non mécanique : ce n’est pas simplement le fait que les « riches ont tout et les pauvres rien », mais que les travailleurs d’un mode de production donné (esclaves, paysans asservis, travailleurs salariés) contribuent activement à un niveau de raffinement dont il sont exclus du fait du rapport d’exploitation-aliénation.

Quand les esclaves de l’Égypte romaine extraient le granit nécessaire aux somptueuses colonnes du panthéon de Rome, ils participent à bâtir une architecture d’un grand raffinement bien qu’ils soient eux-mêmes placés dans des conditions en-deçà du niveau de civilisation.

Et la majorité des esclaves dans l’Empire romain étaient issus des peuples barbares qui, au Ve siècle, le mèneront à la chute sans pour autant avoir, à cette époque, les moyens matériels immédiats pour faire continuer la civilisation (qui trouvera son chemin dans l’Islam).

C’est là que l’Histoire de la civilisation se lie à la lutte des classes de manière dialectique, et non mécanique : il ne suffit pas de renverser une classe décadente pour continuer la civilisation, faut-il encore en avoir les moyens sociaux, politiques et culturels.

À ce titre, la révolution soviétique représente un sursaut de civilisation. Elle sauve le raffinement de l’être humain, ayant basculé dans la violence généralisée, le pourrissement de l’âme, la décadence absolue de la première guerre mondiale. Il suffit de relire ce passage du célèbre article « Socialisme ou barbarie » écrit en 1915 par Rosa Luxemburg pour voir la portée civilisationnelle d’Octobre 1917 :

« Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est.

Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. »

Car il faut bien s’imaginer que si historiquement tout appareil d’État est affaire de conditionnement social en vue de faire correspondre la psyché des gens avec une vie plus stable, plus pacifiée, quel sens cela a t-il dans une tranchée pleine de boue, dévastée et sous le feu d’une artillerie avec des obus produits à la chaîne ?

De la mission civilisatrice, l’État en est revenu à sa seule fonction de « domination de classe », dilapidant le meilleur de la civilisation dans les prétentions étroites d’un capitalisme ayant atteint son stade impérialiste. La civilisation exige alors de bâtir un nouvel Ordre pour sauvegarder la civilisation : c’est le sens des Soviets.

C’est pourquoi face à l’effritement de la civilisation, il y a toujours deux options : l’une conservatrice qui veut rétablir l’ordre pourrissant mais qui a porté autrefois l’élan, et l’autre, révolutionnaire, qui vise l’établissement d’un nouvel Ordre fondé sur la cohérence, l’harmonie, la rationalité à tous les étages. Il faut relire cet interview d’un membre de la Gauche prolétarienne en 1970, dont les propos sonnent juste actuellement :

« Dès qu’on refuse la société actuelle, sous les prétextes les plus divers, on se figure qu’on est maoïste alors que ce n’est pas ça. Une société communiste c’est bien plus contraignant qu’une société capitaliste.

C’est plus facile à supporter qu’une société capitaliste, parce que c’est plus juste, mais pour l’instant c’est pas le cirque : il ne faut pas compter là-dessus pour faire tout ce qu’on voudra.

Moi, c’est ce que je souhaite parce que le capitalisme, c’est aussi le désordre. On exploite mal les richesses. Personne n’en profite. Il y a des gens qui crèvent à côté de richesses inexploitées. Il y a des parties de la France inondées de constructions et d’autres désertiques.

Toutes ces conneries-là, c’est le désordre, et pour moi, le communisme c’est l’ordre. »

La révolution c’est la capacité de la classe exploitée à s’organiser pour s’approprier le meilleur de la civilisation et le faire se continuer historiquement en l’enrichissant de nouveau.

On comprend donc que si la question de la propriété des moyens de production est importante – il faut bien avoir les moyens matériels pour réaliser la civilisation, l’enjeu central est avant tout le pouvoir d’État – il faut surtout avoir les moyens administratifs et policiers pour sauvegarder puis élever la civilisation.

Car, en réalité, limiter la révolution à la transformation de la propriété des moyens de production, c’est rester dans une forme de gauchisme qui limite la révolution à une « émancipation sociale » et non pas à la continuation-élévation de la civilisation, qui relève forcément de la question du pouvoir d’État.

Si la civilisation est un processus qui se déroule dans les interstices culturels des rapports sociaux, elle est avant tout conditionnée et garantie par l’appareil d’État.

L’État est en première instance l’expression de la complexification de la société, et en cela la garantie de relations sociales pacifiées et raffinées grâce aux règles et lois qu’il impose. En dernière instance, il est l’expression d’une classe qui en domine une autre. L’État est donc à la fois une garantie universelle et en même temps une expression spécifique, conjoncturelle, reliée à une classe.

C’est la raison pour laquelle la continuation de la civilisation prend la forme à un moment donné de l’Histoire de la violence qui vise en remplacement d’un État par un autre.

Car la révolution ce n’est pas simplement le processus de transformation d’une classe exploitée et dominée en une classe dominante, c’est aussi et surtout le passage d’une classe dirigée à une classe dirigeante. Et pour diriger, il faut orienter, fournir un axe, une perspective. Cela ne peut que relever de la civilisation en tant que condensée du meilleur de l’Humanité dans les mœurs, dans les manières de vivre.

Mise en valeur de Pouchkine en URSS

Il a bien fallu la violence révolutionnaire à la fin du XVIIIe siècle pour que le processus de civilisation ne s’éteigne pas dans une élite aristocrate toujours plus repliée sur elle-même, s’appropriant le meilleur du raffinement royal pour mieux le dilapider dans la décadence.

Lorsque la noblesse d’épée, l’aristocratie terrienne d’ancien régime entre en décadence aux alentours du XVIe siècle, l’avant-garde de la bourgeoisie s’est déjà solidement implantée dans l’appareil administratif de la monarchie, lui donnant sa forme absolutiste.

C’est qu’elle s’apprête à devenir une classe dirigeante et à assumer la continuité de la civilisation : les bourgeois lettrés manient le droit et le code romain, cet héritage de la civilisation leur ouvrant la voie à l’administration de l’État moderne.

C’est la raison pour laquelle Lénine a tant insisté sur le rôle de la conscience et de l’idéologie car en s’appropriant le meilleur de la culture et de la science, la classe ouvrière acquiert une conscience de classe qui doit exprimer une supériorité par rapport à la bourgeoisie décadente.

On ne peut comprendre le rejet par la social-démocratie historique des attentats individuels, représentatifs d’un retour aux temps des seigneurs féodaux où des individus « se font justice », « défendent l’honneur des pauvres » sur le mode d’une « vengeance de classe » qui n’a aucun sens du point de vue de la civilisation.

C’est là d’ailleurs un précieux critère pour faire le tri quant à la violence qui s’exprime dans la société.

La violence relève de la civilisation lorsqu’elle s’impose d’emblée comme une violence d’État, du moins à prétention étatique. S’opposer à un chauffard, à un trafiquant de drogue, à des incivilités en tous genres, c’est faire preuve du sens de l’État. La violence qui a le sens de l’État, c’est celle qui porte en elle la perspective d’un Ordre qui sait sauvegarder les règles de la vie courante, les bonnes mœurs.

De manière plus collective, la violence révolutionnaire représente le condensé d’un nouvel Ordre en cours de formation qui cherche à s’imposer pour sauver le raffinement, le beau et le bon et le généraliser à tous.

On ne peut pas comprendre la victoire soviétique contre le nazisme sans saisir cet aspect civilisationnel. Car la force de l’URSS, ce ne fut pas seulement que le peuple laborieux s’était émancipé socialement, mais qu’il avait accédé à l’ordre socialiste.

Mieux, l’élévation générale du niveau culturel et intellectuel de la classe ouvrière à travers sa scolarisation et l’alphabétisation généralisée, mais également tout le travail culturel éducatif a fait du peuple un participant actif de la civilisation.

Cela se lit bien dans la construction du métro de Moscou dans les années 1930, mais aussi dans les nombreux abribus pour autocars qui se veulent une expression esthétique avancée.

De fait, la défense d’un tel ordre revêtait une dimension historique et morale capitale, indomptable, face à un régime nazi célébrant le glauque et le baroque.

La défense de la civilisation comprise dans un sens révolutionnaire revêt l’aspect d’un programme politique en soi car il est possible et nécessaire de décliner l’envergure classique-civilisationnelle à l’ensemble des champs des rapports sociaux : en art donc, mais aussi dans le langage, les manières de manger, de s’exprimer, de se déplacer.

Il est possible et nécessaire d’en faire un étendard de sa vie quotidienne : les exploités sont le rempart à la décadence, car ils méprisent un ordre qui vacille et fait se diluer progressivement les acquis de la civilisation. Il faut se vivre comme un rempart et un défenseur de cette dernière.

À l’aune du déni des effets la pandémie et du réchauffement climatique, de la tendance à une nouvelle guerre mondiale, de l’effritement des règles de vie au quotidien, de la mocheté des villes, de la nullité dans les arts, de la compression des sensibilités : Socialisme pour la civilisation ou barbarie.

« Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre.

C’est là un dilemme de l’histoire du monde, un ou bien – ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l’avenir de la civilisation et de l’humanité en dépendent. »

Rosa Luxemburg, Socialisme ou barbarie, 1915
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Nouvel ordre

La décivilisation, expression de la décadence de l’ordre bourgeois

Poser la question de la civilisation et de la décivilisation, c’est poser la question de l’Ordre social. Car tout ordre se doit de générer les conditions pour faire continuer et élever le niveau de civilisation : c’est le propre du développement de l’Humanité.

Quand on parle d’Ordre, on parle d’une manière d’ordonner la vie sociale de façon à ce qu’il soit garanti au plus grand nombre une vie quotidienne à peu près stable par rapport aux conditions historiques données.

L’instabilité sociale est le contraire d’un Ordre social et plus l’instabilité sociale est importante, plus les conditions d’élévation de la civilisation s’affaissent. Le processus de civilisation ne s’établit pas sur plusieurs années, il se réalise sur plusieurs décennies, si ce n’est plusieurs siècles ; cela demande nécessairement calme et stabilité.

La capacité de l’être humain d’élever le niveau de civilisation correspond donc à sa manière d’ordonner les comportements humains. Ou comme le décrit le sociologue Norbert Elias, penseur de la question qui a toutefois sanctuarisé l’ordre bourgeois comme gage du niveau de civilisation :

« La stabilité particulière des mécanismes d’autocontrainte psychique qui constitue le trait typique de l’habitus de l’homme « civilisé » est étroitement liée à la monopolisation de la contrainte physique et à la solidité croissante des organes sociaux centraux. C’est précisément la formation de monopoles qui permet la mise en place d’un mécanisme de « conditionnement social », grâce auquel chaque individu est éduqué dans le sens d’un autocontrôle rigoureux. »

Par « monopole », il faut entendre ici le lent processus de formation d’un appareil d’État entre les 13e et 18e siècles. Il faut ici rappeler justement la double dimension de l’appareil d’État qui s’il est l’expression de la domination d’une classe par une autre et également le reflet du nécessaire conditionnement des individus à des rapports sociaux plus sophistiqués.

C’est ainsi que lorsque les États du monde ont déclaré des confinements de population entre 2019 et 2020 pour lutter contre la pandémie de Covid-19, ils exprimaient non pas une domination de classe mais la continuité de la civilisation.

Les mesures de contrainte étaient en réalité une manière de contraindre les individus dans le cadre d’une société moderne où la fluidité des échanges et la mobilité sont la règle. Évidemment, les États l’ont fait dans les conditions d’un Ordre marqué par l’accumulation capitaliste et l’échange marchand, ayant pour conséquences les désordonnements qui ont suivi et continuent à s’exprimer dans les années qui suivent.

Déjà, des portions réduites de la population ont manifesté des comportements de décivilisation, avec le refus de l’autocontrainte. Ces gens ont rejeté un phénomène qui pourtant s’est déroulé sur plusieurs siècles : celui de la formation de règles publiques garanties par un organisme central contre l’intérêt privé de seigneurs locaux, se cristallisant ensuite dans des comportements jusqu’à en devenir automatiques.

Or, la question est de saisir aujourd’hui d’où vient de manière générale le refus de l’autocontrainte ? Est-ce un leg du passé, du temps d’avant la formation d’un appareil d’État centralisateur, où les petits seigneurs régnaient en maîtres sur leurs territoires ? Ou bien est-ce le produit des conditions de la société capitaliste moderne ?

Une personne qui circule à vive allure en scooter ou sur une trottinette électrique sur un trottoir piéton est-il un petit seigneur ou un individu forcené du capitalisme ?

Évidemment, cela relève en premier lieu des conditions de la société de consommation moderne. Car lorsqu’on parle de l’autocontrainte, il y a indirectement l’idée d’une plus grande subtilité des individus dans leurs relations sociales, une sorte de raffinement.

À travers la ville et l’échange marchand, le capitalisme a développé puissamment les espaces publics/collectifs à travers desquels est nécessaire un raffinement de son comportement, mais en même temps arrivé à un stade de son développement il en est une entrave.

Il suffit de prendre un grand magasin de vêtements dans un centre-ville pour s’en rendre compte. D’un côté, il y a un fourmillement d’individus qui veillent à ne pas mal se comporter mal face aux autres en respectant les codes d’usage comme ne pas essayer les habits devant tout le monde, garder une distance à la caisse, etc. Mais de l’autre côté si quelque chose grippe la mécanique, cela se ressent dans les individus qui deviennent plus aigres, plus raides, plus aigris, avec jamais bien loin un risque de dérapage, de petits conflits.

Si cela est dans l’ADN de la consommation capitaliste à ses débuts, la généralisation de la société de consommation a amené à une généralisation de l’esprit d’immédiateté qui, s’il est entravé, risque de générer des formes de brutalité, de grossièreté, même minimes.

Être raffiné, c’est savoir prendre le temps car c’est intellectualiser son rapport au monde, sa manière de vivre, de se nourrir, de se vêtir, d’aimer, d’apprécier l’autre. À l’heure des applications de rencontre, de livraison de repas à domicile, de l’écoute accélérée de musique, de la généralisation du format série, c’est toute la base de la civilisation qui s’affaisse.

Si la civilisation est le long processus de formation d’une autocontrainte psychique, avec l’attention et le temps requis, elle se heurte à société capitaliste-marchande qui, en plus d’être ultra-accélérée, va jusqu’à effacer ses propres conditions de production pour mieux fétichiser la valeur. Comment ne pas voir qu’une telle société arrivée à maturité formate des esprits dans le sens d’une décivilisation ?

Le règne abouti du fétichisme marchand, c’est l’âge d’individus narcissiques qui évoluent dans un monde abstrait. C’est l’âge de l’individu qui se moque du réel : il évolue à sa guise dans un monde sans que ne soient plus exigées ni contraintes, ni barrières quelconques, si ce n’est celles de ne pas entraver le bon écoulement des marchandises.

Et il n’est pas difficile également de comprendre que lorsque le pire de cette société de consommation moderne, soit le culte de l’égo indépendant de tout et le pire de la société féodale, soit le culte de l’honneur guerrier, se rencontrent, il y a un cocktail parfait pour des phénomènes de dé-civilisation. C’est l’individu-roi à base d’avancées guerrières, qui consomme ses échappées chevaleresques.

Il s’agit là d’une expression d’un mode de production capitaliste arrivé à maturité en ce qu’il a développé une consommation outrancière d’objets inutiles grâce au maintien d’une large partie du globe dans une situation féodale, avec pour résultat la combinaison des pires horreurs en termes de comportements.

Et comme l’État actuel est une émanation de cette société, il est évident que les institutions publiques sont à la peine pour maintenir le niveau de civilisation exigé par l’époque. Elles sont à la dérive et cela se voit en de multiples manières, des autorisations de construction délirantes au relativisme sur les incivilités sur la route jusqu’à l’acceptation-encadrement des trafics de drogue, de la pornographie, le délaissement des victimes de harcèlement scolaire…

Cela peut apparaître décalé et en même temps tout le monde comprend bien que les choses s’effondrent avec une société repartie sur les braises d’une pandémie qui n’a fait se générer aucun bilan social et culturel.

Vu du futur, tout ceci sonnera comme une évidence…

L’évidence que la société humaine développée du 21e siècle s’effondrait sur elle-même du fait de l’affaissement des vecteurs d’autocontraintes psychiques dû à un mode de production capitaliste pleinement développé.

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Comprendre la civilisation pour mieux la porter

La civilisation est un long processus qui se situe au niveau de l’être humain lui-même. On peut la résumer en la prise de conscience de l’interdépendance sociale, donnant lieu à une intériorisation par l’individu qu’il vit et évolue dans un ensemble plus vaste qui se nomme « société ».

Cette intériorisation s’exprime à travers des codes et des mœurs qui se résument dans le fait d’être civilisé dans ses rapports sociaux : la civilisation est le processus d’auto-éducation de l’Humanité à travers son développement.

Dans l’Empire romain d’Occident, on parle de civilisation du fait que la vie était plus douce, plus pacifiée, non pas en raison immédiate d’une « psychologie » ou d’une « culture » mais parce qu’il existait des capacités productives fondées sur une interdépendance.

Y compris jusque dans les fermes de paysans isolés des campagnes, on bénéficiait d’une poterie ornée, en nombre, et on vivait dans des maisons avec les toits en tuile (le moyen-âge connaîtra un recul avec la chaume). Les marchés utilisait des pièces de monnaie intermédiaire en cuivre, disparues dans les débuts du moyen-âge. Bref, la vie s’était sophistiquée, se reflétant en des mœurs pacifiés, car ayant conscience de l’interdépendance collective générale.

Si les invasions dites barbares ont été un choc, c’est bien parce que les peuples en question n’avaient pas acquis un tel niveau de développement matériel, donnant lieu à une nouvelle « civilité ». Un exemple frappant est le fait que pour combattre les « barbares », les Romains ont dû recruter dans les esclaves – issus majoritairement des peuples « barbares » – mais aussi dans les peuples barbares eux-mêmes moyennant contrats. La raison est simple : les romains s’étaient adoucis, pacifiés et la guerre n’était plus pour eux un horizon envisageable.

A strictement parler, il est pourtant erroné de parler de la « civilisation romaine », car en fait ce processus est universel et interne à l’Humanité elle-même. Il n’y a pas « des civilisations », il y a un processus général de civilisation qui toutefois se décline en des ères culturelles et géographiques variées. La substance reste toutefois similaire : une pacification-sophistication des relations sociales en lien avec un mode de vie plus sûr, mieux garanti.

Par conséquent, le processus de civilisation commence avec l’agriculture, puis se prolonge avec l’écriture jusqu’à aboutir à des modes de vie toujours plus complexes d’où sont exclus la précarité, l’insécurité avec pour conséquence des mœurs plus raffinés. Mais aussi une culture qui prend ensuite la forme du classicisme en ce que le raffinement du quotidien s’exprime à travers l’harmonie de l’utile et de l’agréable.

C’est pourquoi la chute de Rome n’exprime pas une fin de la civilisation, car la civilisation a trouvé comment continuer et s’enrichir avec les dynasties abbassides et Omeyyades entre les VIIe et XIIIe siècles.

Puis le processus reprend en Occident avec l’avènement de la bourgeoisie à travers les entrailles de l’ordre féodal. La bourgeoisie, née au cœur des villes et de l’échange commercial, a de suite porté des mœurs nouvelles face à une noblesse encastrée dans le code de l’honneur de la chevalerie. Un code faisant de la violence physique et de la guerre des valeurs cardinales, où l’individu n’existe que parce qu’il s’inscrit dans une communauté où autrui est vu comme un rival à dominer.

La civilisation est donc un processus de long terme qui repose sur une complexification des mœurs en lien avec la sophistication d’un mode de vie. Mais qui dit complexification et sophistication dit appareil d’État édictant des règles et des lois venant sanctuariser les manières de vivre et de faire en rapport avec le mode de vie.

Lorsqu’il est parlé de « décivilisation », c’est donc au recul du raffinement des comportements civils qu’il est fait référence. Cela s’exprime par des relations sociales marquées par plus d’agressivité, de pulsions individuelles et d’égocentrisme corrosifs, mais également dans l’effritement de ce qu’on nomme la « bienséance ».

Les drames tels que l’horrible torture et meurtre de Shaïna entre le 31 août 2017 et le 25 octobre 2019 et dont le procès s’est terminé le 9 juin 2023, l’attaque immonde au couteau à Annecy le 8 juin 2023 ou bien encore le suicide de la jeune Lindsay le 12 mai 2023 ne sont qu’une (très petite) partie émergée de l’iceberg. Il faudrait plutôt parlé de l’aspérité de la vie quotidienne.

Il y a dans les pays capitalistes un recul de civilisation qui se joue dans les interstices du quotidien, sans pour autant que cela ne bascule forcément dans une brutalité directe – comme cela l’est plus régulièrement dans les sociétés encore marquées par une culture féodale.

Cela s’exprime à travers l’irrespect du code de la route, les harcèlements en tous genres, les micro-tensions dans l’espace public, les agressions aux accueils dans les hôpitaux, les banques, les centres administratifs, etc. Mais on peut parler aussi de la généralisation de la pornographie, de la prostitution adolescente, ainsi que du désengagement au travail, etc.

Et si l’on parle de règles de bienséance, on pourrait tout à fait inclure également la généralisation du « fast-food » dans la décivilisation, alors qu’inversement le processus de civilisation est précisément passé par l’art de raffiner l’alimentation avec des poteries ornées !

En creux de la décivilisation, il y a à l’absence de conscience d’autrui ou pire la conscience qu’autrui est un obstacle à enjamber, et le refus de soumettre son individualité à des codes et des règles collectives permettant des rapports sociaux pacifiés et raffinés.

Les survenues d’épisodes de brutalité absolue vont d’autant plus choquer que la civilisation n’est pas un phénomène statique, mais un processus de long terme qui s’enrichit à mesure que le mode de vie se sophistique. On est gravement heurté par un meurtre gratuit au couteau dans l’espace public dans une époque où l’on bénéficie d’un mode de vie apaisé et fondé sur un haut niveau de sophistication.

Il restera ensuite à déterminer comment la civilisation, ce processus d’auto-éducation de l’être humain, se réalise et s’enrichit concrètement à travers un antagonisme qu’est la lutte des classes. C’est naturellement un processus dialectique, où l’auto-éducation de l’humanité se conjugue avec la nécessité historique du socialisme, du communisme.

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Le classicisme contre le capitalisme

Le capitalisme transforme tout selon ses besoins et, pour cette raison, il n’est pas conservateur. En même temps, le capitalisme profite de ce qu’il a mis en place et en ce sens, il est conservateur. Si l’on reste prisonnier de cette opposition, alors on s’imagine qu’être de droite c’est être conservateur, être de gauche progressiste, ou inversement qu’être de droite c’est être libéral, et être de gauche pour le « maintien des acquis ».

Si on dépasse cette opposition, on est alors amené à valoriser le classicisme. Le classicisme, c’est en effet le maintien de certaines valeurs à travers les changements. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’évolution, mais celle-ci se déroule dans un cadre de valeurs bien déterminées. C’est la civilisation, au contraire du capitalisme qui lui est hyper corrosif et abîme tout.

La civilisation humaine exige la hauteur d’esprit, l’harmonie de la construction, l’envergure mentale et psychologique, la profondeur des émotions, la beauté du goût. Les 16 fondements de l’urbanisme établis en République Démocratique Allemande au début des années 1950 forment un excellent exemple d’une telle exigence.

Maison de la culture à Magdebourg 
en République Démocratique Allemande en 1951

Le classicisme, c’est ce qui se maintient malgré tout. Il y a des classiques en littérature comme en musique, en sculpture comme en peinture. Dans tous les domaines, il y a des classiques, qui ne sont pas des modèles, mais les meilleures productions du passé. On ne peut qu’être en continuité avec elle.

Le capitalisme implique inversement le renouvellement absolu des marchandises, il ne laisse donc aucun espace possible au classicisme. Il fait la promotion du subjectivisme. La fantasmagorie de « changer de sexe » est le paroxysme du culte absolu de l’ego consumériste qui « façonne » sa réalité au moyen de choix consommateurs.

Le capitalisme désormais tout à fait développé supprime donc l’idée même de classicisme. Il n’y a plus aucun domaine où le capitalisme fait semblant d’assumer une continuité culturelle. Tout est renouvelable, tout est renouvelé, de manière ininterrompue. Même les Beatles ou Mozart apparaissent comme des fantômes du passé, des reliquats d’une époque de toute façon lointaine et obscure.

Ce qui compte, pour le capitalisme, c’est le présent de la consommation. Pour les plus souffrants de cela, il y a la religion pour apporter de la transcendance. La consommation se maintient cependant, toujours victorieuse, toujours hyperactive. Il ne saurait y avoir de classiques à l’époque de Facebook, Instagram, Tiktok et Twitter.

Il n’y a pas de place pour la peinture de Léon Lhermitte, admirable peintre réaliste du 20e siècle, à une époque où ce qui compte c’est la nature consommée d’un produit. Rien ne doit pouvoir se maintenir et devenir culture, rien ne doit dépasser le cadre du marché.

Léon Lhermitte, Le repas de Midi

Dans les années 1960, il y a eu en France des révolutionnaires. Ils n’avaient aucune chance de réussir : quelle crédibilité avaient-ils face à des bourgeois maîtrisant un haut niveau de culture, d’intellect, de mœurs ? Désormais totalement décadente, la bourgeoisie ne fait même plus semblant. Elle a jeté toute prétention de continuité culturelle par-dessus bord.

La bourgeoisie française se conçoit comme un simple appendice de la bourgeoisie américaine, au point que tous les enfants des classes supérieures vont faire des études aux États-Unis, ou bien en Angleterre ou dans un autre pays, suivant les moyens. La bourgeoisie française est devenue cosmopolite ; que ce soit le bobo de l’Est parisien ou le bourgeois « old money » de l’ouest parisien, tous ont presque la même mentalité, pratiquement les mêmes approches, au fond la même sensibilité.

Libéralisme et relativisme ont des poids différents chez les uns et chez les autres, mais tous sont d’accord pour procéder à la grande liquidation. Tout se vend, tout s’achète, on peut discuter à quel prix et dans quelle mesure, mais c’est la tendance de fond.

Il n’est plus de place pour l’harmonie, pour le sens classique. C’est tellement vrai que le réalisme socialiste est absolument incompréhensible pour les bourgeois. Ils n’ont jamais su ne serait-ce que comprendre le concept. Quiconque a compris le classicisme saisit inversement tout de suite le réalisme socialiste soviétique dans l’architecture par exemple : rien qu’à voir, on comprend directement.

Pont Bolchoï Krasnokholmski, Moscou

Le capitalisme a supprimé en pratique les catégories de beau, de laid, d’harmonieux, de constructif… car ce qui l’intéresse, c’est une mentalité maladive de consommation sans cesse renouvelée. C’est la tentative de supprimer l’Histoire, la continuité de la culture, tout ce qui aboutit à des sauts dans le domaine de la civilisation. Le capitalisme enserre tous les domaines de la vie, afin d’empêcher qu’on le remettre en cause.

Le classicisme est à ce titre révolutionnaire. Il représente la possibilité d’une continuité de l’Histoire, d’une transformation de l’Histoire vers le meilleur. Qui se place en-dehors du classicisme se place en-dehors de l’Histoire, en-dehors de la vie elle-même… et se retrouve condamné à errer dans une consommation permanente, sans signification ni sens.

Le drapeau rouge porte en ce sens le classicisme, comme vecteur de la civilisation harmonieuse !

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Pas de personnalité sans classiques littéraires

Pourquoi lire un roman ? Certains disent : pour se divertir. D’autres pensent que c’est pour découvrir un jeu de l’esprit. Ce sont là des points de vue qui nient la réciprocité qui existe entre un lecteur et le roman. Il n’y a pas d’un côté un lecteur tout puissant, qui déciderait de ce qu’il veut prendre, ou pas. Il n’y pas d’un autre côté un auteur qui jetterait à la tête du lecteur ce qu’il veut, comme bon lui semble.

Il y a, lorsque les romans sont de vrais romans, une interaction entre l’œuvre et le lecteur. Lorsque le lecteur lit un roman, il découvre la réalité, il est saisi par l’esprit de cette réalité. Il intègre dans son cerveau la nature de cette réalité. Voilà pourquoi la littérature focalisée sur les crimes, les délires, les perversions… sont des poisons. Ils habituent les pensées à de telles choses.

Le véritable rôle des romans est d’éveiller les personnalités, de leur permettre de s’approfondir, de connaître les gammes de sentiments, d’émotions, de sensations. Sans cet éveil, les êtres humains ne saisissent que de manière brute, brutale, ce qui se déroule en eux.

Les grands auteurs sont ceux qui proposent la réalité, du moins une partie de celle-ci, dans toute sa complexité, ou du moins avec une très grande complexité. On voit le réel, on saisit les nuances (infinies), on découvre comment découvrir la vie. C’est ce qu’on retrouve chez les grands auteurs, les seuls vrais auteurs d’ailleurs, car la culture doit être la plus exigeante.

On ne peut pas dire qu’on est un être humain accompli si l’on ne se tourne pas vers Balzac et Tolstoï, Kafka et Lu Xun, Tchekhov et Cervantès, Hamsun et Dante, Goethe et Gorki. Et il ne s’agit pas ici de faire un catalogue d’auteurs, car tel n’est pas le sens de la littérature romanesque.

Il ne s’agit pas de dresser une liste, avec chaque ouvrage ayant un numéro de 1 à 100, en se disant qu’il s’agit de les lire un par un. La littérature, ce n’est pas la science. La littérature, c’est un appui à l’âme. Et comme l’âme affronte des situations différentes, on se tourne vers certaines oeuvres aux dépens d’autres, par affinités, besoins, exigences.

En raison justement de cela, on peut considérer qu’il est possible de jeter directement à la poubelle la quasi totalité des romans du 20e siècle, alors qu’on trouvera dans ceux du 19e, même les moins valables, toujours quelque chose. Car le 20e siècle a été marqué par le triomphe du subjectivisme, de l’égocentrisme, du culte du moi. L’élan fasciste et le nombrilisme capitaliste ont assassiné la littérature romanesque.

Il s’agirait soit de célébrer un ego soit de manière boursouflée, soit de manière désincarnée, dans tous les cas avec un « existentialisme » résumant la vie à des existences pessimistes ou nihilistes, quand ce n’est pas les deux. Comment s’étonner que la France soit ce qu’elle est au début du 21e siècle quand on a célébré par exemple Albert Camus ?

Il n’y a pas de style littéraire à part un langage parlé, les personnages se baladent dans l’existence sans s’attacher à rien ni être personne, le monde n’est qu’une vaste abstraction. Le personnage de L’étranger, c’est désormais absolument tout le monde à l’heure des réseaux sociaux. On se balade partout sans trop y croire, jusqu’à quelque chose se passe, et là alors on est débordé !

Mais qu’est-ce que la littérature romanesque, en définitive ? C’est celle qui expose une vie dans une vie, en exposant les différents aspects, en indiquant les tendances de fond, en présentant les sensibilités, les émotions. C’est celle qui empêche au lecteur de devenir un dégénéré.

Car une vie où on ne cultive pas sa sensibilité devient une démarche de mort-vivant, et on sait à quel point la vie dans le capitalisme est rempli d’insensibilités, jusque dans les détails. C’est très exactement ça, l’enfer du 24 heures sur 24 de la vie quotidienne dans le capitalisme.

Les classiques littéraires sont des supports inévitables, tant dans la vie en général, que dans la vie particulière qu’est celle dans le capitalisme. Ce ne sont pas des « outils », mais des prolongements de soi, car ils montrent comment nous sommes, tout comme nous sommes produits par eux.

Car, oui, il faut être produit par les classiques littéraires ! Il faut s’aligner sur le meilleur de l’humanité, sur le meilleur de la sensibilité, la plus grande profondeur de l’âme, l’immense gamme des émotions.

C’est ça, le sens réel du principe de civilisation.

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Il ne s’agit pas d’être « pour » ou « contre » les coupures d’électricité

On se situe au niveau de la civilisation elle-même.

L’annonce de coupures d’électricité par le gouvernement, avec un plan détaillé à ce sujet envoyé à toutes les préfectures, devrait normalement interpeller les gens sur la situation de blocage que vit l’humanité. Mais, cela semble passer comme tout le reste, et c’est normal car il y a là un problème complexe qui exige un niveau de conscience adéquat.

Quand on y réfléchit raisonnablement, on se dit qu’on ne peut ni être « contre », ni être « pour » les coupures d’électricité. On voit d’ailleurs ici combien le populisme style gilet jaune renforce la logique pragmatique de la bourgeoisie qui gère les choses en fonction d’une société minée par une crise profonde.

Pour les populistes, il ne s’agit que d’une « mauvaise gestion » due à deux hommes, François Hollande puis Emmanuel Macron. Par miroir inversé, le gouvernement peut facilement s’appuyer sur la réalité de la guerre en Ukraine, mais aussi et surtout sur l’impact qu’a eu la pandémie sur la maintenance des centrales nucléaires pour dire que le problème vient de là. À « la mauvaise gestion » répond la « gestion du cours des choses ».

Au centre de ce débat, les gens normaux restent désemparés. Il a été compris qu’on avait affaire ici à un problème d’une grande complexité où s’entremêlent de nombreux aspects. A ce titre, il ne faut pas écouter la bourgeoisie qui nous parle d’une succession de crises pour mieux masquer le fait que c’est une seule et même chose qui s’appelle la crise générale du capitalisme en ce début de XXIe siècle, et qui va donc en fait marquer tout ce siècle.

De quoi relèvent les coupures d’électricité ? D’une mauvaise gestion ou d’une nécessité liée à une « conjoncture » ? Évidemment, cela n’est ni l’un ni l’autre : les coupures d’électricité, c’est l’expression émergée du crash du capitalisme, en tant que mode de production apte à reproduire la vie quotidienne des gens.

Derrière les multiples causes que sont la guerre en Ukraine et l’inflation du prix du gaz qui impact, en tant que dernier moyen de production mobilisable pour fournir de l’électricité, le prix général de l’électricité, la sécheresse estivale comme expression de l’écocide qui mine les réservoirs des barrages d’hydroélectricité, sources essentielles pour faire face aux pics de consommation hivernale, et le retard de maintenance de centrales électriques due à la pandémie, il n’y a pas une accumulation d’aspects, mais un seul et même problème qui s’exprime à travers divers phénomènes.

Cet aspect central, c’est le fait que le capitalisme se heurte à son propre blocage historique, blocage qui lui est propre car c’est bien sa dynamique d’accumulation qui a fait entrer l’humanité dans ce mur et continue à le faire en forçant le cours des choses.

C’est finalement la même chose qu’au début de la pandémie, où le confinement était critiqué par certains comme une « gestion du moyen-âge » alors même qu’il ne s’agissait pas de savoir si l’on était pour ou contre, car telle était dorénavant la situation, exigeant d’y faire face, mais de comprendre comment et pourquoi une telle situation minait l’humanité toute entière.

Et comme pour les coupures d’électricité, on trouvait là concentré en lui le réchauffement climatique, la destruction de la nature, l’enfermement et l’anéantissement des animaux, l’asphyxie de la grande ville, etc.

C’est bien là qu’on voit qu’il y a une continuité historique entre les effets de la pandémie et la cause des coupures d’électricité, renvoyant aux oubliettes la logique d’explication de « cause à effets ».

Le rapport bancal de l’Humanité a amené à la situation d’une pandémie historique, bloquant l’ensemble de la production mondiale qui, pour redémarrer dans un cadre capitaliste, donc marchand, a connu des distorsions majeures.

Distorsions qui sont le terrain à l’accentuation d’antagonismes entre puissances, donc à la tendance à la guerre de repartage… mais aussi à des pénuries en tout genre, y compris de main d’œuvre qui minent le travail de maintenance alors même que l’écocide s’exprime toujours plus, comme les canicules et sécheresses majeures de l’été 2022.

Les potentielles coupures d’électricité de l’hiver 2022-2023 ne sont donc pas un « nouveau » phénomène après la pandémie, puis après la guerre en Ukraine et à côté du réchauffement climatique, mais l’expression nouvelle d’un même phénomène, celui de la crise générale du capitalisme.

De fait, les coupures d’électricité ne posent pas la question formelle « pour ou contre », mais bien une problématique d’ordre civilisationnel de type : « comment faire pour ne plus arriver dans une telle situation ? ».

De plus, il est fort à parier que l’anarchie du capitalisme associée à la décadence toujours plus prononcée des couches dirigeantes, cette autre expression de la crise générale, vont donner, si elles ont lieu, une tournure ubuesque à ces coupures d’électricité…

La Gauche historique se doit d’être à la hauteur de sa responsabilité en posant le problème au niveau de la civilisation humaine elle-même et non pas se ranger derrière la critique populiste, ou bien derrière un pragmatisme « de gauche » proposant une « autre gestion » plus « équitable », plus « rationnelle » etc.

On ne peut ni être pour, ni être contre les coupures d’électricité, mais on se doit d’élever le niveau de conscience pour embarquer l’Humanité dans la nécessité d’une nouvelle civilisation qui s’épargnera à l’avenir les régressions qu’elle éprouve depuis maintenant trois ans et qu’elle ne va manquer d’endurer si elle ne s’émancipe par du cours des choses.

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Société

Le coronavirus COVID-19 et les multiples crises qu’il implique

Le coronavirus COVID-19 fait peur en France, mais la nature de la crise est mondiale et touche pratiquement tous les aspects de la vie. C’est encore un signe que rien ne va plus pour une planète toujours plus malade du capitalisme et des humains le diffusant.

Paranoïa et réelle crise sanitaire, crise de l’utilisation des animaux à la fois de manière artisanale et hyper-industrielle, perturbations économiques, chaos administratif et réelle supervision à la fois opaque et bureaucratique… Le coronavirus COVID-19 a été la boîte de Pandore de toute une série de contradictions, dont on ne voit pas la fin.

Il va de soi que le fait que la crise du coronavirus COVID-19 parte de Chine, l’usine du monde, renforce d’autant plus le véritable choc mondial. Un choc dont on n’entrevoit pas la fin : qui peut savoir comment une maladie d’origine animale, ayant sauté la barrière des espèces, comme le SRAS et Ebola, va se comporter ?

On est en effet ici dans une crise provoquée par le grand chambardement planétaire provoqué par les activités humaines. Si en Chine on ne capturait pas des centaines et des centaines de milliers d’animaux sauvages, dans les conditions les plus sordides, pour les amener vivant et les tuer sur le marché, pour les consommer comme aliments, la crise du coronavirus COVID-19 n’aurait pas existé. C’est aussi simple que cela.

Naturellement, cela n’inquiète guère les médias, qui préfèrent distiller la peur et engager une réflexion inquiète sur les conséquences pour l’économie mondiale. Le capitalisme se nourrissant du capitalisme toujours plus grand, toujours plus étendu, le ralentissement général lui est contre nature. Cela ne sera pas sans conséquences, mais quelle sera leur dimension ?

Et la Chine s’en remettra-t-elle ? Ce pays vise à être une superpuissance et son affrontement avec les États-Unis est déjà programmé, de part et d’autre. Mais son statut de colosse aux pieds d’argile est déjà flagrant. Wuhan, avec ses onze millions d’habitants, désormais connu mondialement comme lieu source du coronavirus COVID-19, reflète l’incroyable décalage chinois entre une avancée à pas de géant et une arriération terriblement profonde.

Si 400 millions de Chinois voient leur niveau de vie augmenter, tel n’est pas le cas pour un milliard d’ouvriers, de paysans, affrontant des conditions de vie misérable. Les 3/4 des Chinois n’ont même plus d’assurance-maladie, le système ayant été démantelé pour laisser libre la voie au capitalisme le plus effréné. Quant à l’hôpital censé être sorti du sol en dix jours, c’est un simple assemblage de préfabriqués, lui-même symbole de l’absence initiale d’infrastructures.

Ce qui est inversement d’autant plus étonnant, c’est le gigantesque stress qui est né en France. Il y a pourtant beaucoup d’infrastructures, une capacité sanitaire parmi les meilleures mondiales. On voit cependant à quel point tout est atomisé et il n’y a aucune confiance nulle part. Le coronavirus COVID-19 est prétexte à un repli sur soi, à un retour dans une bulle d’autant plus trompeuse qu’elle exige l’individualisme le plus complet.

Il y a tellement d’aspects dans cette crise qui commence seulement que, finalement, il est inévitable de la considérer comme propre à une époque, celle de la fin d’une civilisation, incapable de se saisir rationnellement des questions posées, de s’organiser de manière constructive, à l’échelle planétaire d’ailleurs.

Oui, il faut être visionnaire, par les temps qui courent. Sans quoi la fin de la civilisation capitaliste sera la fin de la civilisation tout court.

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Réflexions Vie quotidienne

La vie, c’est comme Docteur Maboul

Finalement, le monde a été contaminé par Docteur Maboul. Parce que tout le monde considère que dans la vie, il s’agit d’arracher des choses auxquelles on a plus ou moins pas droit. La vie est un « combat », celui de retirer un maximum d’opportunités, sans se faire pincer.

Si on regarde bien, on peut discerner surtout deux types de personnes. Il y a ceux qui veulent se faire de l’argent, et ceux qui veulent retirer le plus possible de la vie. Les premiers ne réfléchissent pas au contenu de leur vie et paradoxalement ils ont presque une compréhension socialiste de l’abondance… Sauf qu’ils ne la conçoivent concrètement que pour eux-mêmes.

Les seconds se posent la question du contenu, mais ils pensent que cela restera surtout indéfini, que c’est le hasard qui va décider d’à quoi cela va ressembler. Ils ont compris que le capitalisme était une loterie, mais ils pensent qu’ils peuvent faire les plus fins, les plus malins. Ils ont l’impression qu’ils pourront arracher au bon moment ce qu’il faut et se conçoivent en quelque sorte comme des pirates des temps modernes.

Alors qu’en réalité, ils ont le niveau conceptuel du jeu Docteur Maboul, où il s’agit avec une pince d’attraper des petits objets sans toucher les bords. La vie est ici aussi simple que cela : prendre ce qu’on peut, sans se faire pincer, sans se faire heurter, sans se faire trop cabosser. Essayer autant qu’on peut…

On ne le croira peut-être pas, mais l’analogie est encore moins bizarre qu’on ne pourrait le penser de prime abord, parce que n’importe qui peut être Docteur Maboul. Si un docteur dingue peut le faire, alors pourquoi pas moi ? C’est la démocratisation absolue du casino capitaliste. Tout comme n’importe quel docteur, même fou, peut réussir cette chirurgie joviale, n’importe qui peut gagner au loto de la vie. Il suffit de jouer.

Et même, plus il y a de participants, plus il y a de lots. La conception « Docteur Maboul » de la vie voit le monde comme un gigantesque Las Vegas, avec une multitude de prix, de gagnants, de perdants mais ce n’est pas grave car cela ne concerne pas soi-même : tant qu’on peut jouer…

Il ne s’agit pas, notons le bien, de faire sauter la banque. Cela, c’est pour ceux qui veulent gagner de l’argent, en abondance, pour vivre dans l’abondance, dans « leur » communisme à eux, dans leur « utopie », dans « leur » petit « paradis ». Il s’agit simplement de vivre et pour cela il faut un cadre, des normes, des moyens. Et pour les avoir il faut participer au casino et pousser les autres à le faire. On pense même d’autant mériter de gagner qu’on a contribué à renforcer le nombre de lots. On veut forcer le hasard.

La vie, c’est comme Docteur Maboul. La vie, c’est rien de prévu, à part la possibilité de gagner. De gagner quoi ? On ne sait pas, il y a de la concurrence. Mais il y a des lots, et c’est ça qui compte. Car rien d’autre n’a de sens : ni l’histoire, ni la nature, et encore moins la société. La vie est une sorte d’immense foire du trône, avec des divertissements, des lots à gagner, des préférences. On y flotte, on bascule dans certains choix et pas dans d’autres, on est transporté et grisé, et à la fin tout le monde rentre chez soi.

Que dire du vide d’une telle conception de la vie ? Que c’est l’aboutissement de toute une civilisation. Le capitalisme connaît une fin telle Rome ; il a gagné totalement et donc perdu. Il s’effiloche en se renforçant, se renforce en s’effilochant, il attend à travers son déclin que le Socialisme le remplace, rétablissant le sens : l’histoire, la nature. Fini, Docteur Maboul !