Le gouvernement a présenté la semaine dernière un plan vélo censé faire passer la part du vélo de 3% à 9% dans les déplacements. Il propose quelques mesures pour les centres-villes, mais il n’y a pas de réflexion globale quant à la nature des grandes aires urbaines et des campagnes en France, largement façonnées par l’automobile et difficilement praticables en vélo.
Le vélo est un moyen de transport qui doit être soutenu, tant pour des raisons culturelles que pour des raisons écologiques. Seulement, les choses ne se décrètent pas d’en haut de manière unilatérales, en disant aux Français qu’il faut utiliser son vélo. Cela est abstrait.
Le Premier ministre Édouard Philippe a eu raison dans son discours prononcé à Angers de dire qu’il faut diffuser « la culture du vélo », évoquant un effort culturel nécessaire.
Une pratique difficile
Le chef du gouvernement a certainement bien vu les choses aussi quand il introduit son propos en parlant de la contradiction entre la faible pratique du vélo, et le fait que notre pays est celui de son invention et celui du Tour de France, l’une des principales manifestations sportives mondiales.
Mais justement, on ne peut pas comprendre cela si l’on ne considère pas les choses de manière globales et concrètes. La réalité de la configuration des villes et des campagnes à notre époque rend forcément anecdotique la pratique du vélo.
Si elle ne représente que 3% des déplacements aujourd’hui, il est difficile d’imaginer que cette pratique triplera en moins de dix ans avec quelques mesures. En l’occurrence, il s’agit surtout d’une enveloppe de 350 millions répartie sur sept années, soit 50 millions par an pour toute la France, alors que rien que la ville de Paris consacre déjà aujourd’hui 25 millions d’euros par an au vélo.
Ces sommes doivent servir à des aménagements cyclables et à côté de cela il y a la mise en place d’un forfait de 400 euros annuels pour les personnes se rendant au travail à vélo, mais à la charge des entreprises et sans caractère obligatoire. Autant dire donc qu’il s’agit d’une mesure à la marge, qui servira surtout les prétentions modernistes de quelques entreprises dans les centres-villes.
Des infrastructures pour l’automobile
Pour que le vélo soit utilisé en masse, il ne suffit pas de le décréter, il faut qu’il satisfasse à une réalité pratique. Concrètement, si le vélo triple le temps d’un trajet, il faut une conviction personnelle absolument immense pour le préférer à sa voiture. On ne peut pas imaginer compter uniquement là-dessus.
Si l’on ajoute à cela le fait que l’usage du vélo est très dangereux, tant les infrastructures, les mentalités et les règles n’existent que par et pour l’automobile, on comprend pourquoi la grande majorité des travailleurs ne l’utilisent pas au quotidien.
Autant il est possible pour un cadre vivant au coeur d’une grande métropole d’enfourcher sa bicyclette pour se rendre tranquillement au bureau à 9h ou à 10h le matin sans vraiment d’impératif horaire, autant cela est très difficile pour un ouvrier ou un salarié qui a des horaires très précises et qui habite souvent loin en banlieue ou à la campagne. D’autant plus quand on ajoute à cela la nécessité de prendre en charge les enfants, dont les établissements scolaires peuvent-être loin de l’habitation, sauf encore dans les centres-villes.
En France, les habitants des périphéries des grandes villes ainsi que ceux des villes moyennes et des campagnes représentent la grande majorité de la population. Le plan vélo du gouvernement est pour eux quelque-chose de très abstrait. Il ne correspond aucunement à leur réalité quotidienne faite, globalement, d’autoroutes reliant des zones pavillonnaires et des zones d’activités commerciales ou industrielles.
Que ce soit dans les campagnes ou à la périphérie des grandes villes, quasiment rien n’est possible aujourd’hui sans une voiture, à moins de se résigner à un isolement culturel et social, ainsi qu’économique, absolument immense.
Le plan vélo du gouvernement ne prend pas en compte cela, car il n’envisage nullement de bouleverser la réalité économique et sociale de la France. Si l’on considère l’Île-de-France notamment, on ne peut pas rationnellement dire autre chose que c’est un monstre absolument invivable qui devrait être rapidement et largement démantelé. Ce que n’envisage nullement ce gouvernement, au contraire.
L’organisation et l’aménagement du territoire est strictement conforme aux besoins du capitalisme, dont l’automobile est un vecteur et un produit indispensable.
Un choix individuel limité
D’un point de vue culturel, le vélo est souvent saisi comme totem par des gens critiquant l’automobile, de manière romantique, voire réactionnaire. Il s’agit souvent gens fades, se disant « décroissant », voir des « zadistes », méprisant le football et le Tour de France. C’est-à-dire en fin de compte des figures souvent détestables d’un point de vue prolétarien.
Si la fascination pour l’automobile est un marqueur terrible d’aliénation et de soumission au capitalisme, la fétichisation du vélo n’en est que le pendant. Un strict équivalent inversé ne permettant pas une remise en cause de la réalité matérielle.
De la même manière, le vélo est aujourd’hui utilisé comme symbole « lifestyle » pour une imagerie moderne et tendance pour des gens aisés vivant dans les centres-villes. Cela est largement issu de la culture « fixie », qui est un apanage jeune et branché du libéralisme ultra à la mode new-yorkaise.
Le plan vélo ne répond absolument pas aux exigences de notre époque. Il n’est que vaines prétentions, totalement conformes d’ailleurs aux exigences des associations d’usager souvent en dehors des réalités des classes populaires.
Cela est bien dommage, et c’est la preuve encore une fois que la Gauche n’est pas à la hauteur en France. Elle ne s’est jamais approprié la question du vélo, qui n’est abordé aujourd’hui que comme un choix individuel, laissant place éventuellement à une indemnité forfaitaire comme récompense, mais pas à une pratique correspondant à un choix de société.
Le vélo serait pourtant un très bon outil, parmi d’autres, pour façonner une organisation nouvelle du territoire et de la vie, plus conforme aux besoins sociaux et naturels.