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Tour de France : quand les Français gagnent, on ne parle plus de dopage

Les performances de l’équipe Sky (devenue Ineos) sur le Tour de France ont été l’objet de nombreuses critiques ces dernières années, avec des soupçons formulés plus ou moins ouvertement de dopage. Cette année, ce sont surtout deux Français qui réussissent sur le Tour, alors les doutes s’évaporent de manière tout à fait chauvine.

Le cyclisme est un sport abîmé, usé par les affaires de dopage. Non pas que ce phénomène n’existe pas ailleurs comme dans le football où il est tout simplement nié, mais plus que tout autre sport, le vélo est inéluctablement associé à cette corruption de l’esprit et du corps.

La succession de l’affaire Festina en 1998 puis de l’ère Armstrong dans les années 2000 a fait de grands dégâts, à tel point par exemple que la télévision allemande avait pendant un temps arrêté la diffusion du Tour. Les masses populaires ont relativement réglé ce problème du dopage avec un certain fatalisme, en se disant que de toutes manières cela ne change pas grand-chose à la course.

Qu’il y ait des tricheurs est dommage pensent les amateurs de vélo, mais dans tous les cas il y a toujours des coureurs plus forts que d’autres et de toutes manières, à peu près tout le monde doit se doper… Ce n’est pas idéal comme point-de-vue, c’est même regrettable, mais à défaut d’autre chose, cela a une certaine dignité. Et cela permet en tous cas de continuer à apprécier ce sport malgré un arrière-plan détestable.

L’apparition de l’équipe anglaise Sky ces dernières années a quelque peu changé la donne. Elle a en effet montré une puissance collective hors-norme, écrasant littéralement le Tour d’une manière très froide et calculée, presque mécanique. Cela a heurté l’esprit petit-bourgeois français qui au contraire aime le « panache » individuel, les grandes embardées « héroïques », quitte d’ailleurs à ce qu’elles aient une issue tragique.

De nombreuses personnes ont alors pris le prétexte de la critique morale et populaire du dopage pour en fait formuler surtout une critique chauvine envers les coureurs anglo-saxons. Christopher Froome en particulier a été l’objet d’une farouche hostilité, alors que de nombreux autres coureurs à la réputation non-moins suspecte ont été largement épargnés par la critique.

Ce chauvinisme est un poison et aucun grand changement démocratique ne pourra avoir lieu dans le pays sans une grande remise en cause culturelle sur ce plan. Mais quand on voit l’emballement qu’il peut y avoir aujourd’hui à propos des performances de Thibaut Pinot et Julian Alaphilippe sur le Tour depuis deux semaines, on se dit qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Le problème n’est pas bien-sûr que le public français puisse être content du succès de coureurs français. Il y a une proximité plus immédiate et palpable avec les coureurs français qui conduit assez logiquement à un soutien, là n’est pas la question. Le problème est quand les doutes disparaissent et que ceux qui pointaient du doigt le dopage ne le font plus, alors que les performances sont tout autant exceptionnelles, si ce n’est plus.

Disons-le franchement, si Julian Alaphilippe était britannique, les commentaires incendiaires à son sujet ne manqueraient pas. Lui qui vient d’une équipe à la réputation douteuse, qui suit les meilleurs grimpeurs du monde et écrase le contre-la-montre individuel alors qu’il est censé n’être qu’un puncheur ayant déjà eu son pic de forme sur les grandes classiques du printemps, qu’il avait survolé (il est en tête du classement UCI des meilleurs coureurs du monde).

On ne peut pas accuser sans preuve, évidemment. C’est précisément ce qui protège les tricheurs d’ailleurs, puisque le business qui corrompt le sport n’a aucunement envie qu’on mette les moyens pour enrayer le dopage. Mais il faut au moins avoir l’honnêteté de ne pas accepter aussi facilement ce qui est du même ressort que ce qu’on a critiqué auparavant.

Il faut donc en dire autant des performances de Thibaut Pinot, qui survole jusqu’à présent en montagne avec des performances largement comparables à ce qui a été critiqué les années précédentes.

Il ne s’est rien passé sur le plan de la lutte anti-dopage (qui n’a quasiment aucun résultat) pour expliquer un changement de situation. Les micro-transfusions ou l’usage détourné de corticoïdes et tous les autres artifices para-médicaux destinés à améliorer le rapport poids/puissance des coureurs n’ont pas disparus du jour au lendemain du peloton.

Pourtant, certains n’hésitent pas à faire de grandes déclarations triomphantes, comme Antoine Vayer, chroniqueur au Monde, qui explique sans détours que Thibaut Pinot roule à l’eau claire et qu’il n’y a rien de suspect chez lui.

Et pourquoi donc ? Sous prétexte qu’il le suit depuis son adolescence, alors il faudrait lui faire confiance. Dans une chronique au Monde, absolument détestable quand on connaît l’arrière-plan chauvin, il affirme ni plus ni moins que « le Tour 2019 va peut-être se jouer à vitesse réelle ». Aucune explication ne vient corroborer cela, il faudrait simplement le croire quand il dit que les performances sont plus normales qu’avant, alors qu’en réalité elles n’ont pas diminuées.

On peut d’ailleurs citer ici le coureur champion de France 2019 Warren Barguil qui a affirmé, données à l’appuie :

« Il est clair que ça roule beaucoup plus qu’en 2017 et 2018. Mon capteur de puissance en atteste. Je pense aussi qu’une équipe comme Ineos est au niveau des autres années, mais ça roule plus vite et en même temps le niveau est plus homogène. »

Le journal l’Équipe ou bien les commentateurs télévisés ne sont pourtant pas en reste pour aduler Julian Alaphilippe et Thibaut Pinot en oubliant toute méfiance rationnelle quand au dopage, la fierté chauvine justifiant à peu près tout.

Cette « crise de mauvaise foi collective », comme l’a justement dénoncé le journaliste Stéphane Thirion du quotidien Belge Le Soir, n’est pas seulement exaspérante. Elle est surtout le reflet d’une tendance nauséabonde dans la société, très bien ancrée, qui n’augure rien de bon pour les temps à venir.

À la Gauche de démasquer ce chauvinisme, pour s’y opposer frontalement dans une perspective démocratique et populaire, pour empêcher l’irrationnel de triompher, pour enrayer la perspective nationaliste et guerrière qui se dessine de plus en plus clairement.

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Le dopage est-il évitable ou inhérent au sport ?

Il y a de quoi s’offusquer des propos du journaliste sportif Patrick Montel qui, dans une vidéo, avait donné l’impression de relativiser la fuite rocambolesque reprochée à la marathonienne Clémence Calvin, appelant à une certaine compréhension sur la question du dopage.

Clémence Calvin prépare au Maroc le marathon de Paris (qui aura lieu dimanche). Son compagnon, l’athlète Samir Dahmani, se serait interposé physiquement face à des contrôleurs antidopage français, ce qui aurait permit à Clémence Calvin de prendre la fuite, l’athlète ne donnant depuis aucune nouvelle.

Le journaliste sportif Patrick Montel a fait des commentaires à ce sujet, en disant que le dopage était généralisé dans le sport et qu’il fallait comprendre le phénomène de manière bien plus large.

Le recordman du monde du décathlon Kevin Mayer s’est emporté sur les réseaux sociaux à son encontre. Il lui a rétorqué :

« Ces propos sortants de la bouche d’un commentateur sportif « spécialisé » dans l’athlétisme… Faire du dopage une généralité chez les Athlètes de haut niveau… Autant j’arrivais à supporter @LaProlon malgré ses nombreux défauts, mais là c’en est trop.

Le dopage est un raccourci pour les flemmards qui n’ont aucune conscience. Je vous inviterai bien à passer avec moi les 6 derniers mois de ma préparation avant Doha… Mais ce serait un rude sacrifice de ma part

Pour finir, vous profitez de votre notoriété pour balancer des infos sur lesquels vous n’avez aucune connaissance… Vous discréditez une grande partie des athlètes qui s’acharne tous les jours pour s’exprimer et inspirer des millions de personnes! J’arrête, je suis hors de moi »

On peut tout à fait comprendre que Kevin Mayer s’emporte de la sorte, se sentant visé, mis dans le même sac que des tricheurs par un journaliste qui explique presque que le dopage est inhérent au sport et qu’on y pourrait pas grand-chose.

Patrick Montel a étayé son propos dans une autre vidéo, où il insiste sur le fait qu’il a du mal à supporter l’acharnement contre les dopés, expliquant que les conséquences (suspension) sont déjà assez graves quand quelqu’un se fait « attraper par la patrouille » pour qu’il soit la peine « d’en rajouter ».

Son point de vue à propos du dopage est centré sur les individus. Ceux-ci pourraient commettre une faute en cédant à ce qui serait une pression, et il faudrait se satisfaire d’une sanction individuelle, juridique.

Il faut au contraire comprendre en quoi le dopage est un phénomène social déviant, qui doit être condamné en général, et non pas seulement en particulier. La condamnation populaire des sportifs dopés, ce qui est appelé ici « acharnement », est donc très importante. On peut même dire qu’elle est plus importante que la suspension elle-même.

Le dopage dénature le sport. C’est une décadence morale, qui relève de la corruption des valeurs, de la perte de repères. C’est à mettre sur le même plan que la délinquance ordinaire. C’est insupportable dans les classes populaires.

Kevin Mayer a très bien compris la chose quand il dit que « le dopage est un raccourci pour les flemmards qui n’ont aucune conscience ».

La lutte contre le dopage est une cause démocratique de très haute importance, qui relève de la bataille des idées entre les partisans du monde tel qu’il est, et ceux qui veulent le rendre meilleur.

Ceux qui disent que le dopage est inhérent au sport et que c’est une course perdue d’avance n’ont pour seul horizon que le capitalisme et la reproduction du capital. Ils n’imaginent pas qu’un autre monde soit possible, sans le business et toutes les horreurs qu’il suppose.

L’humanité n’est pas corrompue par nature, et le dopage est incompatible avec les valeurs populaires qu’il faut généraliser.

C’est d’ailleurs tout l’honneur de la Gauche, via le combat de Marie-George Buffet du PCF, que d’avoir eu un grand rôle pour la lutte antidopage, aboutissant sur la création de l’Agence mondiale antidopage (AMA) en 1999.

Cela ne fait pas suffisamment le poids, bien sûr, car il y a en face des forces très puissantes et très organisées. Cela donne l’impression que seuls les plus « petits » se font attraper, comme dans l’athlétisme, alors que dans le football par exemple, les contrôles sont quasiment inexistants et le problème est nié.

Soit, mais c’est justement tout l’honneur d’un sport que d’être l’objet d’une plus grande lutte antidopage que les autres, et de voir tomber ses tricheurs.

Il y a la même considération par rapports à d’autres pays et des athlètes français peuvent parfois déplorer que l’Agence française de lutte contre le dopage soit bien plus alerte que les agences d’autres pays.

Là encore, c’est tout l’honneur d’une fédération sportive nationale que de voir les tricheurs de son sport bien plus inquiétés qu’ils ne peuvent l’être ailleurs.

Tout relativisme à propos du dopage est donc insupportable pour qui a des valeurs, le sens de la morale. Ce qu’il faut critiquer au contraire, c’est plutôt que la lutte antidopage a de moins en moins de moyens, qu’elle perd beaucoup de terrain depuis quelques années, malgré les avancées qu’elle avait pu connaître au tournant des années 2000.