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Planète et animaux

La vie sauvage doit être une matière à l’école

Il existe dans chaque pays une vie sauvage, qui a ses particularités, même si les animaux ne connaissent pas de frontières, à moins qu’il y ait des obstacles sciemment placés sur leur route. L’Arctique connaît des désagréments majeurs à ce niveau par exemple. La Finlande, dans une logique militariste, établit une clôture avec tranchées et barbelés sur 200 kilomètres à sa frontière avec la Russie. Il y a également des barrières en Norvège pour empêcher les rennes d’aller en Russie, dans le parc naturel de Pasvik Zapovednik, et d’y causer des dégâts.

Les animaux sauvages montrent donc la voie, à rebours de la logique humaine de tracer des frontières. Ils sont à la fois emblématiques à certaines régions et enclins à des voyages au-delà des frontières érigées de manière abstraite. La Biosphère ne reconnaît pas les gribouillis humains sur les cartes nationales.

C’est pourquoi des cours sur la vie sauvage à l’école, en tant que matière, permettraient de connaître son propre pays, et d’en voir également les limites, puisque la Nature ne considère pas les frontières nationales comme ayant un sens. Cela renforcerait la compréhension de la vie sauvage et cela appuierait la conception qu’il n’y a qu’une seule humanité. L’hirondelle de fenêtre va d’Alsace en Afrique australe, on peut donc apprendre sur sa propre région en Alsace, et élargir son horizon.

Comme à l’école, les mentalités sont très différentes suivant les âges, il est nécessaire que les cours sur la vie sauvage aient lieu tout au long de la vie scolaire, de la maternelle jusqu’au bac. Il ne peut pas s’agir de quelques cours fournis pendant un temps limité, pas plus d’ailleurs que ces cours ne doivent être intégrés aux enseignements scientifiques. Cela doit être une matière en tant que telle, afin de bien reconnaître qu’au-delà des connaissances, il y a la culture, et au-delà de la culture, il y a tout la sensibilité.

La grande difficulté de tout le processus ici étant, bien entendu, le respect et la distanciation. La vie sauvage doit être reconnue comme ayant une valeur en soi, il ne faut pas d’interférence. On sait d’ailleurs à quel point les photographes naturalistes se comportent de plus en plus mal dans le capitalisme, par avidité, afin de se procurer les « meilleures images ». Il y a ici une tendance à contrecarrer et avec les enfants, c’est une tâche très difficile. Les enfants sont en effet très joueurs et la mauvaise éducation qu’ils ont reçu les pousse à chercher une interaction avec les animaux, aboutissant la plupart du temps à du harcèlement en raison du manque d’empathie pour la pauvre créature martyrisée.

Le problème, c’est bien sûr de trouver des éducateurs. Il existe en France une grande tradition éducative, mais c’est celle historiquement portée par les instituteurs de la troisième république. C’est un enseignement unilatéral, dans un esprit de salle de classe. Il va de soi que c’est inapproprié pour une éducation concernant la vie elle-même. Il faut des cours qui permettent de voir, de sentir, d’entendre, de toucher, d’admirer en s’émerveillant, d’observer prudemment.

Il existe certainement de nombreuses très bonnes idées pour satisfaire à cette exigence. Mais l’école dans le capitalisme, avec sa fadeur et son professeur déversant son flot de propos, ne saurait y satisfaire. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la vivisection existe encore à l’école en France, sans que cela ne choque personne. Il y a ici une véritable révolution à mener et c’est pour cela que les éducateurs ne peuvent venir que de milieux déjà tournés vers les animaux.

La mise en place de cours sur la vie sauvage, en tant que matière à l’école, doit en fait procéder d’une révolution culturelle, avec une partie de la société qui est mise en avant pour jouer un rôle éducateur, de formation des mentalités nouvelles.

La vie sauvage comme matière à l’école exige, de toutes façons, d’aller dans le sens de la remise en cause du rapport villes-campagnes ; on pourrait dire en un sens que ces cours s’opposent le plus directement à la fascination du capitalisme pour le béton et les ronds-points. Ce qui sous-tend de tels cours, leur possibilité, c’est la volonté de regarder avec passion la vie sauvage, au lieu de l’ignorer et de participer à sa destruction.

Le Socialisme doit donc assumer une telle exigence que ces cours, tant pour son programme du futur, une fois le capitalisme renversé, que déjà aujourd’hui, malgré et contre le capitalisme. C’est une question de choix de vie et il ne faut jamais faire les choix du capitalisme, ni ceux d’un retour en arrière dans un passé idéalisé.

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Restructurations économiques

Le FMI demande la privatisation de l’éducation française

Les bases culturelles pour ça sont déjà posées.

Dans son rapport sur la France, le FMI explique la chose suivant le 21 novembre 2022.

« Remédier à la faiblesse des résultats scolaires et aux inefficiences des dépenses d’éducation pourrait contribuer à améliorer les compétences de la population active. 

Le niveau d’instruction et les résultats des élèves en France sont relativement faibles par rapport à leurs pairs, tandis que les dépenses sont relativement élevées, laissant entrevoir des possibilités de réaliser des gains d’efficience. Il pourrait s’agir notamment de rééquilibrer les dépenses excédentaires en faveur du deuxième cycle du secondaire vers l’enseignement primaire et de rationaliser les dépenses relatives au personnel non enseignant.

Pour continuer de réduire ces déficits de résultats en matière d’éducation, il conviendrait en outre d’améliorer la formation des enseignants et de prévoir une rémunération en fonction des résultats, compte tenu du faible niveau des salaires des enseignants par rapport à leurs pairs.

Les disparités liées au statut socio-économique pourraient être réduites en incitant les enseignants à travailler dans des zones défavorisées, notamment à travers la rémunération. Donner davantage de responsabilités et d’autonomie aux administrations scolaires pourrait favoriser les innovations pédagogiques. »

Ce que demande là le Fonds monétaire international n’a rien d’original, puisque depuis trente ans les bases pour en arriver là sont établies par les gouvernements successifs. La décentralisation des collèges et des lycées, avec des proviseurs choisissant eux-mêmes les professeurs, est un objectif tout à fait clair du capitalisme. Pareillement, la rémunération au « mérite », tant des professeurs dans un établissement que des établissements eux-mêmes par l’État, est considéré comme une nécessité concurrentielle.

Naturellement, tout cela est présenté comme une « amélioration », pas une mise en concurrence ; néanmoins, l’idée de compétition est souvent soulignée, même si masquée (comme ici avec les « innovations pédagogiques »).

Et s’il n’est pas parlé de privatisation, c’est parce que la décentralisation est une privatisation masquée : formellement, il n’y aura pas privatisation, mais davantage d’autonomie. La privatisation aura lieu tout de même, mais parallèlement à la décentralisation, comme effet secondaire si on veut.

Tout cela apparaît comme inéluctable non seulement de par la force du capitalisme, mais également de par le caractère réactionnaire des enseignants. Si depuis 1981 on nous vend que les enseignants sont de gauche, en réalité ils sont culturellement de droite. Avec leurs démarches engagées mais bornées et toujours agressivement hiérarchiques, du moins clairement anti-démocratiques, les enseignants ont dégoûté les élèves ou les ont écrasés.

Il faut ajouter à ça les contenus totalement anti-classe ouvrière, anti-Gauche historique qu’on trouve dans toutes les matières. Et par là il ne faut pas seulement entendre les cours d’Histoire : il faut aussi entendre la géographie, qui est vu par un prisme mercantile capitaliste. Il y a le français où toutes les valeurs post-modernes sont portées au firmament. Il y a la physique qui professe l’idéalisme et le hasard, il y a les mathématiques qui sont présentées comme une vérité en soi.

Tout cela est invisible bien entendu pour qui ne voit que la forme et ne cherche pas la signification du contenu des cours… et inversement. L’école, en France, c’est l’ennui et le par cœur, ou bien du temps qui passe de manière chaotique et qui est perdu.

Cela fait que la mise en compétition passe comme un lettre à la poste, comme le montre l’instauration sans opposition aucune de Parcoursup, la plateforme de sélection pour l’inscription aux études supérieures lorsque les élèves sont en terminale.

Il faut également mentionner l’effondrement général du niveau, dans toutes les matières… Mais naturellement, de manière beaucoup plus relative dans les bons lycées, le plus souvent privés, alors que l’ensemble des couches supérieures de la bourgeoisie française envoie ses enfants faire des études post-bac en Angleterre ou aux États-Unis (soit une dépense de 40-100 000 euros par an par enfant).

Il y a lieu de prendre conscience de cette réalité, c’est important pour cesser de croire les fictions syndicales et réformistes sur « l’école de la République ». Celle-ci est en décomposition complète, en comptant qu’elle ait jamais existé en tant que tel.

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Société

Appel du 2 avril 2021 pour une FCPE laïque et sociale

La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) est l’une des principales fédérations de parents d’élèves des écoles publiques, c’est un organisme généré par la Gauche. Mais en raison d’une ligne considérée comme populiste, une opposition pro-républicaine se forme.

Voici l’appel, qu’on peut signer ici :

« Nous, adhérents et sympathisants de la FCPE, citoyens attachés à l’enseignement public, lançons un appel pour que la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves retrouve son rôle de soutien de l’École publique et de ses enseignants à l’heure où ils sont confrontés à de graves menaces.

De l’affaire Mila à l’assassinat de Samuel Paty, l’offensive de l’islam politique et les remises en cause de la laïcité par les intégrismes religieux conduisent chaque jour les enseignants à perdre du terrain, dans une institution déjà affaiblie par la montée du consumérisme parental. Ainsi, selon une étude de la Fondation Jean Jaurès, la moitié des enseignants affirment avoir été confrontés à une « forme de contestation au nom de la religion dans leur classe » et « s’être déjà autocensurés dans leur enseignement ».

A Lyon ou Trappes, quelle tristesse de voir des enseignants abandonner leur métier parce qu’ils ne peuvent plus l’exercer sereinement, et des élèves déscolarisés pour avoir exprimé une opinion contraire aux dogmes religieux ! 

Nous aurions aimé entendre la FCPE manifester sa solidarité à l’égard de Mila, de Didier Lemaire ou de Fatiha Agag-Boudjahlat, et de toutes ces premières lignes de la République. Il n’en a rien été, à croire qu’elle ignore ses propres statuts, par lesquels elle s’engage, dès 1947, à « propager l’idéal laïque » et « resserrer les liens indispensables entre les parents et les enseignants » . Ces principes s’enracinent pourtant dans l’histoire de la gauche et de la République, dont une étape essentielle fut, il y a 150 ans, le 2 avril 1871, le décret de la Commune proclamant la séparation de l’Eglise et de l’Etat et l’enseignement gratuit et obligatoire pour les filles et les garçons. 

Tournant le dos à cette histoire, la direction de la FCPE n’hésite pas à poursuivre en justice les plus ardents défenseurs de l’Ecole publique et de la laïcité, comme en témoigne le procès intenté – et perdu – à l’ancien inspecteur général de l’Education nationale Jean-Pierre Obin. 

Cette offensive judiciaire vise également les élus FCPE qui, en son sein, osent interroger cette dérive. Mises en demeure judiciaires, suspensions des mandats : nous faisons face à ce qu’il faut bien appeler une tentative d’étouffement de la démocratie interne.

Depuis deux ans et particulièrement la campagne clivante sur les accompagnatrices voilées des sorties scolaires, cette focalisation sur les questions identitaires, au détriment d’enjeux fédérateurs comme la qualité de l’enseignement ou la mixité scolaire et sociale, nous éloigne du mouvement de masse ouvert sur la société qu’a été et que devrait être la principale fédération de parents d’élèves.

Devant le risque d’une hémorragie des adhérents, nous ne nous résignons pas à ce que la FCPE devienne, à l’image d’autres organisations progressistes, un groupuscule s’épuisant dans d’inutiles querelles politiciennes et d’absurdes procédures judiciaires. Au risque de sacrifier ce qui devrait être sa mission première : favoriser l’émancipation de chaque élève, qu’il ait grandi dans une famille croyante ou athée, de gauche ou de droite, riche ou modeste.

Seule l’école publique et laïque permet cette émancipation. C’est pour cela que nous la chérissons, que nous y avons inscrit nos enfants, c’est pour cela que certains d’entre nous ont choisi d’adhérer à la FCPE. Et c’est pour cela que nous invitons tous les défenseurs de l’École publique à signer cet appel sur ce site, et les adhérents de la FCPE à nous rejoindre pour participer à cette refondation interne dans la perspective du prochain congrès

Premiers signataires : 

Les adhérents FCPE membres du “Collectif du 2 avril”

Et

Gilbert Abergel, président du Comité laïcité République

Fatiha Agag-Boudjahlat, enseignante

Jean-Louis Auduc, ancien directeur des études de l’IUFM de Créteil, ex-secrétaire général adjoint du Snes

Sandrine Bernard, présidente du Conseil local FCPE Rosa Parks à Ivry

Aurélia Bloch, journaliste et auteure-réalisatrice

Laure Caille, présidente de Libres MarianneS, ancienne responsable SNES-FSU

Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du Parti socialiste

Martine Cerf, présidente d’Egale

Gilles Clavreul, délégué général de l’Aurore, cofondateur du Printemps républicain 

Jacqueline Costa-Lascoux, ancienne présidente de la Ligue de l’enseignement

Didier Daeninckx, écrivain 

Aurélien Demangeat, ex-président du Conseil départemental FCPE du Puy-de-Dôme

Raphaël Enthoven, essayiste

Michel Fouillet, haut fonctionnaire, administrateur d’Egale

Philippe Foussier, journaliste

Caroline Fourest, essayiste

Christian Gaudray, militant laïque

Sarah Gheeraert, ex-présidente du Conseil départemental FCPE du Puy-de-Dôme

Xavier Gorce, dessinateur

Danièle Guillot, ancienne adhérente FCPE et psychologue

Jean Glavany, ancien Ministre

Françoise Kayser, ancienne adhérente FCPE, fondatrice de Femmes contre les intégrismes

Catherine Kintzler, philosophe

Françoise Laborde, ancienne sénatrice, présidente d’Egale

Didier Lemaire, enseignant

Guy Lengagne, ancien ministre

Samuel Mayol, maître de conférences

Anne Mayol, formatrice en CFA

Philippe Noury, élu FCPE à Paris 

Henri Pena-Ruiz, philosophe 

Joël Potier, ex-président FCPE de l’EREA de Berck, Délégué départemental de l’Education nationale

Nicole Raffin, ex-directrice d’école et adhérente FCPE Paris

Bernard Ravet, président de la commission éducation de la Licra

Iannis Roder, enseignant

Vincent Ruprich-Robert, président du Conseil Local FCPE Buffault à Paris

Jean-Pierre Sakoun, ancien président du Comité laïcité république

Xavier Schneider, président du Conseil départemental FCPE du Bas-Rhin

Claude Secroun, ancien président du Conseil Local FCPE à Gueux, représentant de la LICRA auprès du Collectif Laïque National

Alain Seksig, ancien adhérent FCPE Paris 20e, inspecteur d’académie

Georges Sérignac, Grand Maître du Grand Orient de France

Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit International des Femmes

Claudine Tiercelin, Professeur au Collège de France

Corinne Zelman, ancienne présidente FCPE Paris 8e et DDEN « 

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Société

La lettre de Jean Jaurès aux instituteurs et institutrices

Voici la lettre de Jean Jaurès, publiée dans La Dépêche, journal de la démocratie du midi, le 15 janvier 1888 :

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« Aux Instituteurs et Institutrices

Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire et à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur: la fierté unie à la tendresse.

Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort.

Eh quoi ! Tout cela à des enfants ! —Oui, tout cela, si vous ne voulez pas fabriquer simplement des machines à épeler. Je sais quelles sont les difficultés de la tâche. Vous gardez vos écoliers peu d’années et ils ne sont point toujours assidus, surtout à la campagne. Ils oublient l’été le peu qu’ils ont appris l’hiver. Ils font souvent, au sortir de l’école, des rechutes profondes d’ignorance et de paresse d’esprit, et je plaindrais ceux d’entre vous qui ont pour l’éducation des enfants du peuple une grande ambition, si cette grande ambition ne supposait un grand courage. […]

Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale, il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. De ce que l’on sait de l’homme primitif à l’homme d’aujourd’hui, quelle prodigieuse transformation ! et comme il est aisé à l’instituteur, en quelques traits, de faire sentir à l’enfant l’effort inouï de la pensée humaine ! […]

Je dis donc aux maîtres, pour me résumer : lorsque d’une part vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque d’autre part, en quelques causeries familières et graves, vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d’éducateurs. Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront. »

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Société

Le délitement de la discipline dans les établissements scolaires est de moins en moins supporté

La vidéo d’un lycéen menaçant sa professeure avec un pistolet de type « airsoft » en plein cour a largement choqué l’opinion publique. Cette scène, insupportable, cristallise un sentiment général de délitement de la discipline dans les établissements scolaires.

Le gouvernement devait présenter ce mardi 30 septembre un plan d’action contre les violences scolaires suite à l’émoi qu’a provoqué cet épisode du Lycée Édouard Branly de Créteil. Le Ministre avait d’ailleurs réagi vivement, faisant savoir qu’il comptait rapidement faire quelque-chose.

Ces mesures ont finalement été repoussées et on aura bien compris que c’est parce que le mécontentement est très profond. Des annonces mal choisies auraient l’effet inverse de celui escompté.

« Pas de vague »

La situation en est en effet à un point où le sentiment d’exaspération est immense, avec cette impression pour beaucoup qu’il n’y a aucune perspective positive. L’ensemble des personnels des établissements scolaires subissent de plein fouet l’exacerbation des tensions de la société avec le délitement d’un certain nombre de règles de savoir-vivre, et se sentent souvent abandonnés.

Le mot-clef #pasdevagues dont se sont emparés un grand nombre d’enseignants pour raconter leurs propres expériences durant ces vingt dernières années décrit précisément ce sentiment que rien n’est fait pour remédier à une situation générale très tendue. Les problèmes sont comme mis sous le tapis et la suggestion de Jean-Michel Blanquer d’interdire les téléphones portables dans les Lycées n’a fait qu’exalter ce sentiment que les institutions ne veulent surtout « pas de vagues ».

Ce qu’il y a de plus terrible lorsqu’on regarde le film en question, c’est qu’on comprend tout de suite à quel point la situation est banale, tellement les protagonistes n’ont manifestement pas conscience de la portée de leur acte. Pas plus que la professeure, qui n’avait pas porté plainte avant la diffusion de la vidéo. Nullement étonnantes ne sont d’ailleurs les affirmations de parents d’élèves de cet établissement, résumées par l’un d’entre eux :

« Je ne sais pas si on peut parler de laxisme mais quand j’ai vu cette scène, je me suis dit que c’était du théâtre. Les enfants étaient en délire, en train de s’amuser, la prof regardait les élèves, presque amusée. Je me suis dit pourquoi personne ne réagit. Je dirais qu’il n’y a pas eu de cadre dans cette classe. Certains vont dire, elle a eu peur, ça été trop violent pour elle mais moi j’ai aussi entendu les élèves. Ils m’ont dit que c’était tous les jours comme ça avec cette enseignante ».

On est pas ici dans une violence à l’Américaine ou à la Brésilienne, mais dans une sorte de situation intermédiaire, où il s’agit plutôt d’indiscipline généralisée qui dégénère. Car, il faut bien voire que l’élève, d’une part est au Lycée, ce qui signifie qu’il a un parcours scolaire au moins un minimum satisfaisant, et d’autre part, s’enquiert de ne pas être noté absent.

Ce n’est pas une situation de décrochage scolaire avec l’immersion d’une autre société, celle des gangs par exemple, au sein de l’institution scolaire, mais une scène propre à la vie de l’institution scolaire elle-même.

C’est donc à la fois moins grave que ce qu’on pourrait craindre, et en même temps bien plus grave, tellement la situation semble dégénérer de l’intérieur, avec une menace de l’écroulement de la société sur elle-même.

Il ne s’agit pas de dédouaner la professeure en disant qu’elle n’est pas responsable du comportement de ses élèves – il y a en France beaucoup trop d’enseignants qui n’ont pas cette qualité de savoir tenir un groupe d’adolescents, et c’est inacceptable.

Il serait pour autant trop facile de l’accabler personnellement, comme il serait trop facile de résumer les choses en disant que le jeune en question n’est qu’un délinquant ayant frappé un policier quelques semaines plus tôt.

La France et la discipline

Ce que signifie cette scène, et ce que signifient les nombreux témoignages #pasdevague, c’est qu’il y a en France un grand problème avec la discipline et que ce problème devient explosif dans les établissements scolaires.

La bourgeoisie est relativement épargnée car elle place ses enfants dans des établissements privés ou publics qui lui sont quasiment réservés, qui se débarrassent des élèves au moindre problème. La grande majorité des autres établissements, publics mais aussi privés-catholiques dans certaines campagnes, se retrouvent par contre de plus en plus dépassés.

Ils n’ont pas les moyens humains et pratiques, mais surtout culturels, de mettre en place et de faire respecter une discipline convenable. Les enseignants déplorent donc le manque de soutien de leur hiérarchie qui ne veut « pas de vague », ce qui est vrai. Cela n’est cependant qu’un aspect partiel du problème, qui est bien plus profond.

Il y a en partie ici un trait culturel franco-français, où les élèves ne sont que les enfants de leurs parents qui n’aiment pas quand la police leur demande de rouler moins vite ou bien qui ne disent pas bonjour à la caissière au supermarché.

Il y a aussi en partie des raisons propres à la pauvreté et aux arriérations culturelles des personnes issues de l’immigration, qui n’ont pas toujours les codes sociaux-culturels de la France, ce qui engendre des situations conflictuelles.

Mais le problème est surtout que l’institution scolaire n’est pas en adéquation avec les aspirations profondes des classes populaires. L’École en France est surtout une vieillerie républicaine issue d’une époque où la bourgeoisie voyait un intérêt à éduquer le peuple par en haut, selon ses propres codes, dans un cadre très restreint.

Abstraction et pensée concrète

Dans bien des cas, l’éducation n’est plus l’aspect principal des établissements scolaires, dont la fonction est surtout de garder les jeunes quelque part la journée tout en triant ceux pour qui un avenir professionnel particulier est envisageable. Ce schéma, pas du tout caricatural, propre aux quartiers les plus difficiles des grandes métropoles, n’est en substance pas différent de celui qui existe partout ailleurs pour les classes populaires.

La séparation quasi-unilatérale de l’enseignement jusqu’au collège d’avec le monde du travail et le reste de la société est quelque-chose de très difficilement supportable pour un certain nombres de jeunes, surtout ceux issus de la classe ouvrière. Cela est la source de beaucoup de conflits scolaires, dont l’indiscipline n’est que le produit, ou la conséquence culturelle logique, à défaut de pouvoir exprimer les choses autrement.

L’institution scolaire française favorise l’abstraction et refuse la pensée concrète. La séparation entre la théorie et la pratique est la norme et même les travaux « pratiques » qui sont proposés dans certains cours sont présentés et organisés très abstraitement. La situation change à partir du Lycée pour les enseignements professionnels et technologiques, mais l’arrière-plan reste présent.

Si on ajoute à cela le fait que les enseignants ne sont pas recrutés ni formés pour leurs capacités à enseigner, on se retrouve justement dans cette situation où les établissements scolaires sont dépassés par l’indiscipline.

Bricolage au jour le jour

Les « vies scolaires », c’est-à-dire les surveillants (« assistants d’éducation ») et leurs chefs de service (« CPE »), gèrent quant à elles du mieux qu’elles peuvent des situations extrêmement compliquées, avec peux de moyens et absolument aucune formation ni aucune méthode de travail autre que le bricolage au jour le jour. L’Éducation Nationale compte sur le fait que les surveillants sont des personnes jeunes (on ne peut être surveillant plus de six années) et sensibles aux questions éducatives pour faire tampon entre les élèves et l’institution.

Cela n’a fait que repousser les problèmes pendant au moins les vingt dernières années, sauf que l’indiscipline devient maintenant de moins en moins supportable et gérable.

Le Gouvernement et son ministre de l’Éducation se retrouvent en ce moment dans une position délicate face à la manifestation d’une indignation profonde, alors qu’ils ont annoncé récemment des suppressions de postes et qu’une grande grève était déjà prévue pour le 12 novembre prochain.

L’annonce d’effectifs de Police dans les établissements, en plus d’être une absurdité rien que parce que la Police est déjà débordée et en sous-effectifs, relève surtout du « cafouillage » et illustre une grande panique sur la question.

La Gauche en France a une grande responsabilité sur ce sujet car elle a trop souvent minimisé les questions de discipline au profit d’une approche plus conciliantes se voulant non-réactionnaire, alors qu’il ne s’agit en fait que de savoir-vivre.

Cependant, la discipline, bien qu’étant quelque-chose de fondamental et réclamé par les classes populaires, ne doit pas être une chose abstraite, existant en dehors et par-dessus les rapports sociaux en général, et l’institution scolaire en particulier.

Tant que l’éducation générale et pratique de la jeunesse ne sera pas l’unique objet de l’École, populaire et démocratique, rien ne sera réglé. Les tensions qui existent dans les établissements scolaires ne feront qu’empirer à mesure de la généralisation de la crise dans la société toute entière.

Il ne suffira pas de réclamer plus de moyens et plus de postes – bien qu’il faille dénoncer la suppression de ceux-ci – mais il faudra considérer les choses à plus long terme, dans une perspective bien plus grande. Le système scolaire français n’est pas du tout satisfaisant pour les classes populaires, et d’ailleurs il se révèle efficace pour de moins en moins de monde, comme le montrent les grandes enquêtes internationales sur l’éducation.

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La remise en cause du principe d’un baccalauréat universel

C’est une ironie comme l’histoire les connaît qu’Alain Devaquet soit décédé quelques jours avant la remise hier d’un dossier au ministre de l’Éducation nationale afin de réformer le baccalauréat. Car le projet d’Alain Devaquet en tant justement que ministre de l’Éducation nationale en 1986 avait provoqué une mobilisation énorme de la part des étudiants et des lycéens.

Ceux-ci avaient compris que le projet d’Alain Devaquet était la sélection, un parcours universitaire à multiple vitesses. Ils ont été d’une grande combativité par conséquent, la répression étant elle brutale, comme en témoigne la mort de l’étudiant Malik Oussekine.

Celui-ci avait été tué par des policiers du peloton de voltigeurs motoportés, c’est-à-dire deux policiers à moto, l’un conduisant, l’autre frappant avec sa matraque. Malik Oussekine a été tué peu après minuit, alors qu’il sortait d’un club de jazz et que la police traquait des « casseurs ». Ils l’ont massacré dans un hall d’immeuble.

Cet événement, combiné à la vague contestataire contre le projet d’Alain Devaquet, a marqué toute une génération. Cela a été un marqueur de la contestation du capitalisme.

Mais en trente années, le libéralisme a largement conquis les masses. La fausse gauche célèbre le libéralisme de mœurs sans voir – ou plutôt sans prétendre voir – qu’il va de pair avec le libéralisme économique.

Aussi, cette fois, le projet de sélection passe comme une lettre à la poste chez les lycéens et les étudiants. Pire encore, il va commencer au lycée.

On connaît ici le principe : l’État laisse pourrir une situation, pour après reconnaître la nécessité d’un changement. La plupart des privatisations ont connu ce justificatif de « l’efficacité ».

Et en l’absence de connaissances politiques, de traditions de gauche, les lycéens et les étudiants tombent dans le panneau. Chacun s’imagine « sortir du lot » pour les plus carriéristes, quant aux autres, ils voient juste avec plaisir le principe d’un « bac à la carte ».

Car le baccalauréat, pour ce qui ressort du rapport remis hier au ministre concerné, supprime les séries L, ES et S. Il y aura un tronc commun et des options à choisir.

Dans le tronc commun, on trouve l’histoire-géographie, les mathématiques, deux langues vivantes, l’EPS, le français et de philosophie. Puis, en option, il y aura les mathématiques-sciences de la vie et de la Terre, lettres-langue vivante, sciences économiques et sociales / mathématiques.

En apparence, aucune différence. En pratique, pour les classes de seconde, de première, de terminale, il faudra à chaque fois re-sélectionner une de ces options. C’est la fin d’un bac universel.

De plus, les notes seront en continu, ce qui va renforcer la valeur très différente des lycées. Un bac dans tel lycée n’aura clairement pas la même valeur qu’un autre bac dans un autre lycée.

Évidemment, les options à choisir dépendront du « marché du travail ». A la soumission aux professeurs pour avoir les bonnes notes – on connaît la dimension subjective dans les matières littéraires ou les langues – s’ajoute celle aux entreprises.

Pour préserver la fiction du « bac », le projet prévoit également que la moitié de la note finale dépende de quatre examens de fin d’année, avec deux majeures au printemps, la philosophie et un oral en juin.

Enfin, pour clouer la dépendance, il n’y aura plus d’oral de rattrapage, mais l’étude du livret scolaire de première et de terminale.

C’est la négation de l’épreuve universelle et le renforcement de la soumission à la concurrence, à la compétition, aux intérêts des entreprises, et cela de manière totalement unilatérale.

Cela ne veut pas dire que le baccalauréat ait été idéal dans sa forme passée. Tous les gens de gauche savent ce que signifie l’épreuve comme mise sous pression, bachotage sans contenu, illusion sur la vie adulte qu’il y a après, etc.

Cependant, l’idée d’une épreuve universelle, pour une société reconnaissant être une collectivité transcendant les individus, ne peut être que l’exigence de base de toute personne de gauche.