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Bishkek: du post-punk russe de Berlin

Voici l’album БЕЗУСЛОВНОСТЬ de l’artiste Bishkek, suivi de son interview !

Pourrais-tu te présenter toi et ta musique ?

Bonjour, je m’appelle Jan, j’ai 25 ans et je vis en Allemagne. Il y a 6 mois, j’ai déménagé depuis la petite ville de Würzburg vers Berlin. Merci de m’avoir invité, je suis très heureux de l’interview, c’est ma toute première !

Je joue du post-punk russe très classique, c’est-à-dire de la batterie synthétique, une ligne de basse accrocheuse, des synthétiseurs et une voix assez monotone. Mes plus grandes inspirations musicales sont bien sûr des groupes comme Molchat Doma, Ploho et Lebanon Hanover mais aussi des artistes post-punk/darkwave allemands modernes comme Edwin Rosen.


Pourquoi voulais-tu écrire des chansons et faire de la musique ?

Je viens à l’origine d’un milieu hardcore/metalcore et j’ai toujours voulu jouer ce genre de musique quand j’étais adolescent. Au fil du temps, j’ai commencé à écouter beaucoup de post-punk, de shoegaze, d’indie et de pop en plus du hardcore. En raison de ma socialisation en Allemagne, j’ai toujours eu peu de contacts avec la musique russe et j’ai été totalement flashé lorsque les groupes post-punk russes ont connu un énorme battage médiatique en occident. J’étais très impressionné par les thèmes sombres et mélancoliques et je voulais vraiment jouer ce genre de musique. Faire de la musique en russe en particulier était spécial pour moi car ici c’est une langue que je parle presque exclusivement avec ma famille. Malheureusement, cela n’a jamais fonctionné pour trouver des gens pour un groupe, alors j’ai commencé à écrire et enregistrer des chansons moi-même dans ma chambre.

Tu chantes en russe et tu t’appelles Bichkek en tant que capitale kirghize, as-tu des racines russes ou kirghizes ?

Oui, je suis né en 1996 à Bichkek. Mes parents ont émigré en Allemagne avec moi et la moitié de ma famille en 1998. Nous sommes venus en tant que réfugiés du contingent juif de l’union soviétique brisée dans le but de trouver une vie meilleure.

Ton dernier projet « БЕЗУСЛОВНОСТЬ » est sorti ce mois-ci, de quoi s’agit-il ?

Traduit, l’EP signifie « inconditionnalité » et il s’agit principalement d’amour, d’inadaptation du logement et de folie des loyers et de la peur du changement. J’ai choisi ce nom parce que de nombreux domaines de la vie sont souvent liés à une sorte d’inconditionnalité. Par exemple, l’amour pour les personnes importantes peut être inconditionnel. Mais je comprends aussi certains droits fondamentaux, comme le droit à un toit au-dessus de la tête, comme des choses qui ne devraient pas être liées à des conditions telles que le revenu.


Avant cet EP, tu as sorti « скоро », ce nouvel EP est-il la suite du précédent ?

Oui, lyriquement en partie. Le premier EP était plus sur mes problèmes personnels. L’émigration de mes parents et moi en Allemagne et les questions qui l’accompagnent sur l’identité, l’adaptation et la peur sont des thèmes centraux à la fois dans le premier et le nouveau EP.

Musicalement, j’ai essayé de trouver un meilleur son cette fois. En plus de meilleurs samples de batterie, j’ai aussi essayé de trouver de plus beaux sons de synthé. Mon pote Felix, qui a fait le mix/master, a aussi beaucoup contribué au son.

Ton album БЕЗУСЛОВНОСТЬ est fortement expressif sur la vie quotidienne, les difficultés à vivre dans un monde où il y a un individualisme si fort, où l’amour n’a pas de place. Était-ce une critique du quotidien ?

Oui, cela peut être compris comme une critique de mon quotidien personnel. En fait, je ne suis pas un grand fan de musique explicitement politique, c’est souvent assez brutal et peut vite devenir embarrassant. Néanmoins, la deuxième chanson крыша (dach) [toit en français] est quelque part une chanson politique, car elle traite des problèmes du marché du logement. Mais je ne ferais jamais une chanson avec des slogans de manif dedans.

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Daft Punk 1993 – 2021

Le duo electro-house iconique en France a décidé de mettre un terme à son existence.

En France, Daft Punk est intouchable. On dit d’ailleurs les Daft Punk, comme s’il s’agissait de cousins, de gens à la fois proches et loin. La musique des Daft Punk a réussi le tour de force d’être puissamment développée et tout à fait accessible. On est dans la quintessence de la French Touch, avec une musique cérébrale et entraînante.

L’annonce de la dissolution des Daft Punk a donc provoqué une avalanche de réactions, même des Sapeurs Pompiers de Paris, d’autant plus qu’une vidéo (tirée de leur film Electroma) a été utilisée comme « épilogue ».

Les Daft Punk ont-ils réellement eu tant de valeur que cela ? C’est à vrai dire discutable et on peut comprendre par exemple l’avis disant que les Daft Punk n’ont fait que décliner un son electro et house émergeant à l’époque, faisant tout comme Johnny Hallyday pour le rock. Si Around the world est brillant avec d’ailleurs une vidéo formidable, One more time est une prostitution régressive de la culture club.

Pareillement, si Da Funk reflète un haut niveau, tout comme bien entendu Revolution 909, avec une vraie culture club, Harder Better Faster Stronger est un variant commercial, où toute âme est écrasée au profit d’un filtrage du son aseptisé. C’est ce qui a été appelé la « House filtrée », un euphémisme pour décrire de la House dégradée pour passer commercialement. Il ne faut pas oublier que l’ignoble Music Sounds Better With You vient du groupe Stardust, un éphémère groupe de la mouvance des Daft Punk avec d’ailleurs un de leurs membres.

Il n’est pas difficile de voir que Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ne sont jamais sortis de cette contradiction entre une tendance ouverte à aller dans le sens de la pop commerciale et facile, et une culture club très développée. D’un côté, ils élargissaient le son des clubs fondés sur la House music, de l’autre ils la démolissaient comme le fit à la même époque la radio parisienne FG.

Les fans de la première heure regretteront ainsi inlassablement le premier album Homework (1997) alors que les succès commerciaux s’alignaient avec un second album Discovery qui a été un succès commercial gigantesque en 2001.

Human after All en 2005 n’a ensuite aucun impact avec son minimalisme répétitif sans orientation : les Daft Punk ont cru se préserver de la corruption avec leurs casques les préservant de la notoriété, mais ce n’est pas en section VIP à Ibiza qu’on progresse artistiquement parlant. D’où une tentative de redresser la barre avec la très réussie bande originale du film Tron Legacy en 2010 et un album s’orientant vers une néo-disco, Random Access Memories, en 2013.

Il est étonnant que depuis 2013 les Daft Punk aient été comme paralysés, alors que le meilleur était clairement devant eux. Il y avait un nouvel horizon.

Mais c’est que Daft Punk sont avant tout le produit de leur époque. Ce sont des gens de milieux bourgeois disposant de matériel et profitant de l’émergence de la techno, apportant leur contribution mais n’ayant jamais été capable de se dépasser et de prendre le parti des gens. Le succès commercial a été trop grand, la conscience politique et culturelle trop faible. Ils ont préféré faire des remix, des collaborations. Ils ont été incapables de produire le chef d’œuvre attendu.

Leur dissolution est d’ailleurs une capitulation. Le son électro a tellement évolué, que ce soit par le Hip Hop ou l’alternative R’n’b, sans parler de la musique électro en général, que les Daft Punk se sont retrouvés hors sol et hors jeu. Quand on voit qu’en 2017 la fanfare militaire du défilé du 14 juillet a repris Daft Punk devant Emmanuel Macron et Donald Trump…

Les Daft Punk restent donc emblématiques, mais ils reflètent surtout un énorme ratage. Ils accompagnent l’intégration – désintégration de la culture House Music en France. Avec donc, des morceaux populaires indéniables, mais une simplicité devenant simplisme. C’est une sacrée défaite culturellement parlant et une preuve de la capacité de corruption du capitalisme.

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«Acts of rebellion» d’Ela Minus, punk du futur

Ela Minus est une artiste colombienne vivant aux États-Unis depuis une dizaine d’années. Elle réalise avec « Acts of rebellion » un album électro-pop (analogique) très marquant, grâce à un esprit néo-punk particulièrement novateur et une touche très en phase avec les tourments de la société américaine (et sud-américaine).

Avec le somptueux « They told us it was hard, but they were wrong » (Ils nous ont dit que c’était dur, mais ils avaient tort), Ela Minus avait marqué le printemps 2020 sur un mode électro-pop atmosphérique très envoûtant.

Son album « Acts of rebellion » sorti le 23 octobre 2020 est largement à la hauteur des attentes, avec 10 titres d’une grande qualité très cohérents dans leur enchaînement. On y trouve notamment « El cielo no es de nadie » (le ciel n’est à personne), un morceau indiscutablement techno, mais dans un style soft et pop aussi novateur que réussi. Elle le présente comme « un appel pour nous tous à chercher et à donner le vrai amour. »

Le titre « Dominique », dont le clip a été dévoilé quelques jours avant l’album, est peut-être celui sur lequel l’artiste native de Bogotá imprime le plus franchement sa touche.

C’est toutefois par le morceau « Megapunk » que l’album acquiert toute sa dimension et prend tout son sens. Le clip, sur le mode collage punk version 2020, illustre parfaitement le « you won’t make us stop » (ils ne nous feront jamais stopper) asséné tout au long du morceau comme un slogan ! Elle explique d’ailleurs qu’il a été composé pour être un hymne motivant pour que les gens « se mobilisent, s’organisent et défilent », avec à l’esprit l’image d’un groupe de femmes marchant pour le féminisme.

L’album est d’autant plus marquant qu’il est composé et joué tout en analogique, comme sur ce live :

Enfin, on ne sera pas vraiment étonné d’apprendre qu’Ela Minus (Gabriela Jimeno de son vrai nom) vient à l’origine de la scène punk hardcore ; très jeune, elle jouait à la batterie et chantait dans le groupe Ratón Pérez :

>> L’album « Acts of rebellion » d’Ela Minus est sorti sous le label anglais Domino Records. Un concert est prévu à Paris à la Boule Noire le 19 février 2021, mais rien n’est moins sûr vue le contexte sanitaire… 

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Le DJ Dave Clarke ou comment la crise sanitaire révèle les contradictions de la scène techno

Dans une lettre ouverte acerbe, le DJ/producteur techno Dave Clarke fait part de sa déception vis-à-vis de la scène techno, pointant particulièrement du doigt la participation à des événements illégaux sans considération pour les mesures sanitaires. Anglais, il joue et produit cette musique depuis la fin des années 1980 ; il connaît ainsi tout à fait l’esprit alternatif d’une partie de la scène et se retrouve maintenant en colère face aux dérives.

Si la musique électro, en général, a facilement pris le chemin de l’industrie musicale, du commercial à outrance, tel n’a pas été le cas d’une partie de la techno qui est restée en dehors de cela. Et ce malgré parfois une base immense de plusieurs millions de personnes et des événements de grande ampleur ainsi que tout un réseau de clubs très connus.

Un exemple typique pour illustrer cette différence : dans une boîte de nuit classique, électro ou variété, l’entrée est contrôlée par des « physio », qui empêcheront de rentrer un groupe d’hommes « non accompagnés » de femmes, ou alors parce qu’ils portent des baskets, etc. Cela n’existe pas dans les clubs technos où l’on peut venir aussi bien en jean et casquette qu’avec un survêtement et un sac banane, en jupe de sport avec une visière fluo sur la tête ou en Converses avec un kway sur les épaules, etc.

La drogue, très présente dans la scène techno, est également considérée, selon ce point de vue, comme relevant de la « liberté » (sans comprendre qu’il s’agit en fait d’un piège tendue par le capitalisme).

Toujours est-il qu’on a ainsi une scène avec une culture « underground », dans des clubs souvent volontairement rudimentaires dans l’architecture intérieur ou la déco, mais qui tend en même temps inévitablement vers la pop, dans le sens le sens positif d’une musique populaire.

Cela fait que ce sont multipliés depuis les années 1990 (voir la fin des années 1980 en Angleterre) des grands événements techno, parfois immenses avec plusieurs milliers de personnes… Le corollaire est bien sûr une starification de certains DJ/producteur, ainsi que beaucoup d’argent allant avec… beaucoup, beaucoup d’argent.

Cela prête forcément le flan à tout un tas de récupérations de la part d’organisateurs cupides, ainsi qu’à des opportunismes de la part des DJ/producteurs de techno. La pire illustration de cela étant sans doute l’île d’Ibiza qui d’ancien « paradis » hippie est devenue un lieu de débauche bourgeoise et de fortune pour les DJ stars.

Tout cela n’a rien de nouveau évidemment, mais avec la crise du Covid-19, cette dérive de la techno a littéralement sauté aux yeux de beaucoup, mettant au grand jour la décadence d’une immense partie de la scène, y compris celle censée relever de sa frange alternative.

Ce qui s’est passé est très simple : les tenants d’une scène techno alternative, des DJ historiques, mais aussi des DJ ou des organisateurs de soirée bien plus jeunes, nés dans les années 1990, ont été terrassés par la crise sanitaire, en raison de l’impossibilité d’organiser leurs soirées et éventements.

À côté de cela se sont développées tout un tas de soirées illégales depuis le printemps et tout cet été, sur le mode semi-privé pour contourner les interdictions, voir parfois en assumant totalement l’illégalité. Et beaucoup de DJ se sont engouffrés dans la brèche, montrant par là leur grande décadence et leur irresponsabilité.

C’est ce que dénonce avec beaucoup de vigueur et une grande justesse le DJ/producteur Dave Clarke dans une lettre publique publiée le 17 août 2020  :

« Très déçu par « La Scène »…. Pour être clair, je ne parle pas d’un DJ qui aurait de véritables soucis financiers et qui doit travailler, cette décision lui appartient, mais il y a quelques DJ de haut vol qui n’ont PAS besoin d’argent mais qui développent un syndrome FOMO [une anxiété sociale exprimant la peur de louper quelque-chose, NDLR] (poussé par leurs managers sans aucun doute) et mixent dans des environnements qui sont loin d’être légaux.

La «Scène» donne vraiment un excellent argument pour retirer le mot « Culture » de tous ces clubs et événements légitimes qui ont fermé leurs portes et qui font face à des difficultés en mettant en avant leur propre éthique avide des affaires avant tout le reste.

Ces DJ internationaux qui participent à ces fêtes ont littéralement craché sur ces industries légitimes, ils ont craché sur les gens à l’arrière-plan qui ont fait d’eux comme des héros, et pourquoi ?

Un statut sponsorisé publié avec succès sur les réseaux sociaux, parlant de la façon dont les live set leur manque, putains d’idiots, ce n’est pas fini et ils ont probablement aggravé la situation [sanitaire] en toute connaissance de cause, mais : « hey quel bon live set c’était »

Je les respecterais davantage s’ils étaient en fait des complotistes (je crois que dans l’état actuel des choses, ce virus est réel et que la 5G ne cuit pas les moineaux) et prenaient une position stupide, mais il ne s’agit que de leur ego et de leurs honoraires.

J’ai observé (comme beaucoup dans notre industrie) ce qui se passait, tant de « coïncidences »… En Belgique il y avait une fête près d’Anvers qui a envoyé un email disant : « Het goede is dat we geen rekening moeten houden met social distancing en mondmaskers zijn niet verplicht. » (les mesures de distanciation sociale de base et les masques ne sont pas obligatoires), puis quelques semaines plus tard, Anvers a décrété un couvre-feu.

À Paris, il y a eu aussi des fêtes étranges, maintenant Paris a également vu une augmentation du virus et oui bien sûr l’Italie connaît maintenant une grande augmentation du virus.

Cela nous manque à tous de jouer, mais jouer dans ces événements en tant que DJ internationaux de renom a donné des arguments à ceux qui cherchent pour une raison quelconque à ne pas rendre les choses faciles pour notre industrie.


Faire ces événements sans les faire correctement (j’ai vu un événement ici à Amsterdam, c’était étrange mais bien fait, d’autres clubs comme Fuse et Kompass ont fait de leur mieux en ces temps étranges et apportent de la joie dans des circonstances pas idéales) est égoïste.
Et s’il vous plaît ne vous considérez pas comme des rebelles légitimes, pour citer Mike Ziemer :


«Les raves 
underground des années 90 étaient une réponse pour mettre en avant la techno et la house music parce que les salles ne voulaient pas les jouer, ce n’était pas une façon détournée de lancer des événements pendant une crise sanitaire mondiale. Arrêtez de faire référence au passé pour justifier la destruction de notre avenir »… Vous le faites juste pour l’ego et le profit.

Bien sûr, il y a des incohérences dans tout cela [les restrictions sanitaires] et cela ne semble pas juste, mais en faisant ces concerts, vous donnez des munitions aux autorités pour retarder davantage le retour des événements. Et maintenant, malgré un sentiment pragmatique que, peut-être, de petits événements pourraient avoir lieu cette année, je doute sérieusement que le mondre festival majeur ait lieu en Europe, l’année prochaine non plus. »

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Décès de Gabi Delgado Lopez (DAF) et de Genesis P-Orridge

Ce sont deux figures de la musique industrielle qui viennent de décéder. Un bon prétexte pour voir l’intérêt de DAF et de Throbbing Gristle, et finalement leurs immenses limites.

Nous sommes à la fin des années 1970, en Angleterre et en Allemagne, et une poignée de jeunes cherchent à exprimer l’horreur sociale, le poids du conformisme, à travers une révolte punk. Il y a toutefois une volonté d’esthétisation provocatrice et l’utilisation de la musique électronique, alors à ses débuts.

Occultisme, pornographie, nazisme, fascisme, militarisme, tueurs en série, fascination pour la marge, le morbide, tout cela est recyclé pour un collage musical agressif néo-punk en 1980-1981.

https://www.youtube.com/watch?v=e4fiukLnJ_I&list=RDe4fiukLnJ_I&start_radio=1&t=389

Gabi Delgado Lopez, le chanteur de Deutsch Amerikanische Freundschaft (DAF), est mort ce 22 mars, Genesis P-Orridge de Throbbing Gristle le 14 mars. Ce dernier anticipe d’ailleurs l’idéologie transgenre actuelle, avec la fascination pour le changement d’identité (il change de nom dès 1971), la modification corporelle par la chirurgie plastique, la quête identitaire permanente, etc.

On est ici dans la tentative de mettre mal à l’aise, de troubler, de perturber. Mais à l’opposé du punk, nihiliste ou bien engagé politiquement (le véganisme apparaît ainsi dans la foulée post-punk), on est ici dans une esthétique se présentant comme une fin en soi.

Musicalement, il y a l’ouverture d’un horizon musical, comme la chanson de DAF « Der Mussolini » en est un excellent exemple. Mais il n’y aura pas de suite. C’est juste une contribution énorme, mais temporaire, s’auto-détruisant immédiatement, de par la provocation comme fin en soi (« Applaudit des mains et danse le Adolf Hitler et danse le Mussolini et maintenant le Jésus-Christ et maintenant le Jésus-Christ applaudis des mains et danse le communisme et maintenant le Mussolini »)..

Il y a l’émergence de l’horizon musicale électronique – chez Throbbing Gristle dès 1976 – mais cela s’enlise dans l’esthétisme, comme ici avec « United ». Ce single de 1978, sorti sur le propre label du groupe, Industrial Records, reprend le symbole nazi de la SS mais plus directement le logo de la British Union of Fascists des années 1930, la face B s’intitulant « Zyklon B Zombie ».

Ce problème de l’avant-gardisme décadent en fin en soi est très connu dans les scènes expérimentales ; on connaît bien le problème avec la première vague de black metal, avec la dark folk et notamment le groupe Death in June, etc.

On a en fait des gens tellement réellement des fascistes, c’est-à-dire des petits-bourgeois expérimentateurs et en rébellion complète, qu’ils ne comprennent absolument pas qu’on les considère comme fascistes, car pour eux tout est révolte existentielle, l’esthétique une inspiration seulement et un vecteur de provocation pour arracher un sens au réel.

S’ils sont sincères, alors la seule critique qu’ils sont capables de saisir, c’est que la fascination pour le malsain les empêche de produire. DAF et Throbbing Gristle, c’est un album consistant en une contribution musicale chacun au mieux et il en va de même pour tous ces avant-gardistes. Ensuite, il y a la répétition ad nauseam de cet album, en toujours pire, en toujours plus caricatural pour compenser la vanité de l’entreprise.

L’incapacité à produire se conjugue avec la dimension anti-populaire, avec le mépris pour le côté accessible, qui n’est pourtant pas du tout un compromis, même s’il y a bien entendu ce risque, sur lequel s’est effondré Nirvana, né de l’expérimentation avant-gardiste justement pour passer dans le camp d’une accessibilité commerciale (d’où le suicide de son chanteur face à un dilemme lui semblant cornélien).

https://www.youtube.com/watch?v=27ipC6FvCdw

On a ici une problématique compliquée, aux enjeux culturels importants. Et cela d’autant plus que le capitalisme bloque tous les horizons et pousse les révoltés à se précipiter dans le nihilisme, en leur faisant croire que c’est leur choix. C’est le capitalisme qui pousse vers le fascisme, l’islamisme, toute cette auto-destruction totalement étrangère aux principes de la vie.

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Société

De la fraîcheur, avec un skateboard

De la fraîcheur urbaine avec une musique entraînante. Tout simplement contagieux.
 

La vidéo très sympathique avec la skateuse d’Anvers Maité Steenhoudt est une bombe de fraîcheur. Produit par la marque Element, on y retrouve l’esprit traditionnellement fun et urbain du skate, avec toujours une grande attention accordée au style, évidemment. La bande-son, très bien choisie avec son côté rétro-electro, est la chanson Starry Night de la DJ coréenne Peggy Gou, déjà récupérée massivement par la hype capitaliste… Ce qui rappelle l’importance de la bataille culturelle.

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Culture

La nouvelle scène électro-pop à la française (la “french touch”)

Il existe depuis quelques années toute une vague électro-pop qui s’affirme avec une touche très française. Cette scène est d’une grande fraîcheur et propose une musique de qualité. Voici une sélection de morceaux récents (2016 à 2018) sous la forme d’une playlist multisupport.

Cette « french-touch” ne consiste pas seulement en des paroles en français. Il y a un ton léger et mélodique très spécifique avec des voix délicates et sophistiquées. Cela relève d’une certaine façon d’appréhender la vie, d’un « art de vivre » à la française, très ouvert sur le monde.

Notre sélection, qui est volontairement orientée sur une thématique estivale, illustre tout à fait ce propos.

La voix est comme murmurée

Un titre comme Vacances de L’impératrice transporte complètement l’auditeur. On se croirait plongé dans une affiche de la grande époque d’Air-France. La voix qui est comme murmurée, précieuse, est là pour préciser le style. Ce n’est pas à proprement parler du luxe, qui serait quelque chose de bourgeois seulement, mais plutôt de la sophistication, du raffinement.

Hier à Paris, avec vous ❤️

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Dans la forme, cela a été tout à fait compris et exprimé par le groupe Poom (qui introduit la sélection avec le morceau Adagio) :

«On ne chante jamais fort, car en français, les voix doivent être calmes, reposées, et un peu détachées, entre la parole et le murmure, pour que la mélodie et le texte aient toute leur place».

Cette insistance sur la mélodie, sous forme de boucles langoureuses, est caractéristique de la “french touch” dans la scène électro au sens large. La spécificité de l’électro-pop à la française est donc le chant.

Élaborer une ambiance

On a systématiquement une tonalité aérienne avec des mélodies élaborées mais qui ne s’égarent pas dans les frasques de l’électro. Le chant a donc toute sa place pour raconter une histoire, ou plutôt élaborer une ambiance.

Le titre Garde Le Pour Toi de Paradis est ici très parlant. Le chant n’arrive que tardivement, mais il est indispensable pour mettre en valeur de manière encore plus aboutie l’ambiance qui est posée par le morceau.

Les groupes relevants de cette scène électro-pop à la française sont en général très branchés, très tendances. Les sonorités sont conformes à ce qui fait actuellement en matière de musique électronique avec des sonorités “synthé”, comme ce qui s’est fait avec le style synth-wave ces dernières années.

Un véritable héritage

L’inspiration est ici clairement celle des années 1980, voire 1990, ce qui est d’ailleurs à la mode de manière générale dans la jeunesse (vêtements, design, séries, jeux-vidéo, etc.) La filiation n’est pas qu’esthétique : il y a un véritable héritage par rapport à la pop française de ces années 1980, voire 1990.

Le groupe The Pirouettes, avec ici le titre Baisers volés, est peut-être celui qui exprime le plus cela. On y reconnaît clairement du France Galle, du Daniel Balavoine, du Michel Berger, du Gilles Simon, etc.

Cependant, cette “french touch” est très aboutie musicalement, et bien plus proche de la scène électro que de la variété, comme a pu l’être la pop française des années 1980, 1990. Mis à part un titre comme Il fait chaud de Corinne, qui est très « variété » pour le coup, on peut dire que musicalement il y a quelque chose de supérieure, une synthèse qui a abouti à quelque chose de meilleurs que la pop française originale bien plus simpliste.

D’une certaine manière, un album comme Histoire de Melody Neslon de Serge Gainsbourg correspond bien plus à cette scène en termes de qualité et de style. On y retrouve la même tonalité dans le chant, avec des boucles mélodiques de qualité, sophistiquées et pas simplement racoleuses ou édulcorées.

Le groupe allemand Kraftwerk avait tenté de manière brillante quelque chose de similaire en 1983 avec Tour de France. C’est de l’électro travaillée et chantée en français, parlant de quelque chose de français. Seulement, musicalement cela est très froid et il n’y a pas cette capacité à raconter une histoire pour restituer une ambiance française.

Un nouvel élan

L’électro-pop à la française propose donc quelque chose d’assez brillant culturellement. Cela est possible car c’est de la musique moderne mais ayant un héritage.

Cette vague du français dans l’électro-pop est très puissante. Un groupe comme Elephanz qui normalement ne propose que du chant en anglais a déjà cédé à cette vague en faisant chanter en français sur son titre phare, Maryland, que nous proposons pour conclure notre sélection musicale.

Cela était inconcevable il y a encore quelques années pour des groupes électro, ou alors de manière anecdotique. La « french-touch » apporte une grande fraîcheur dans un panorama musical bien trop standardisé et cosmopolite. Elle affirme le style français, l’art de vivre à la française, comme contribution française à la communauté mondiale.

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Columbine : « Enfants terribles » (2017)

Le collectif musical Columbine a connu un immense succès dans la jeunesse française en 2017 avec plusieurs millions de vues pour chacun de leurs clips sur YouTube. Cela prolonge le grand succès qu’ils avaient rencontré en 2016, presque uniquement via internet et le bouche-à-oreille dans les lycées.

Leur premier album Clubbing for Columbine était un patchwork rap/electro protéiforme, une sorte de grand jet plein de bonnes choses, mais partant dans tous les sens.

Leur second album Enfants terribles sortie en avril 2017 affirme pour sa part une véritable identité, avec une grande unité musicale et une production de haute qualité.

Columbine est un collectif de jeunes artistes ayant un grand sens de l’esthétique. Les principaux membres se sont d’ailleurs rencontré au lycée dans une section « Cinéma-Audiovisuel ».

Cela produit une musique très moderne, avec des textes de qualité, bien posés sur des instrumentales efficaces. Autrement dit, ce sont de jeunes musiciens qui savent faire de la musique. Et qu’en font-ils ? En bons artistes, ils expriment leur époque.

Le terme « Enfants terribles » est récurent dans l’album. C’est le fil conducteur qui exprime en quelque sorte le mal-être de la jeunesse, de l’adolescence au début de l’âge adulte.

La vulgarité, très présentes et difficilement supportable par moment, est une volonté d’authenticité, de réalisme. C’est aussi, on l’imagine, un moyen d’affirmer le refus du conformisme, des rapports sociaux faux et dénaturés, superficiels, trop simples. Le titre éponyme de l’album est à ce sujet très parlant.

La vulgarité semble être ici un moyen de garder de la distance avec le sujet, comme s’il était trop difficile d’exprimer ses sentiments autrement sans tomber dans la niaiserie ou dans quelque chose de faux.

Le titre Rémi est quant à lui certainement le plus abouti de l’album. L’univers du groupe, son message, son ambiance, est excellemment délivré. Le couplet de Fauda (le deuxième) est particulièrement impressionnant. Il dégage une véritable puissance, de part la vitesse d’élocution et la qualité du texte.

On est toujours dans la thématique du mal-être de la jeunesse et le refrain « Qu’est-ce qu’on s’emmerde » est là encore plein de sens.

Le titre Été triste est peut-être le plus classique de tout l’album, le plus accessible. La thématique est simple et populaire, abordées plus légèrement que dans les autres morceaux. Et c’est très réussi.

Le titre Talkie-Walkie, avec son clip, est le plus travaillé, le plus professionnel. Il est aussi le plus « radio-edit », c’est-à-dire qui pourrait tout à fait passer en radio, et le clip à la télévision.

C’est un morceau de grande qualité, sans lissage ni formatage insipide. Cependant, Talkie-Walkie exprime toute la contradiction du groupe. On ne sait jamais si on est dans la dérision simplement divertissante ou bien dans la critique sociale plus profonde.

Faut-il comprendre ce titre comme le récit humoristique de la vie d’un dealer ou bien est-ce une métaphore ? Que faut-il penser de la drogue d’ailleurs ? Columbine la critique dans certaines paroles, mais relativise ailleurs en l’assumant.

Cette ambiguïté, à propos de la drogue mais pas seulement, est omniprésente dans leur démarche. Elle est typique de l’époque, à l’image d’une jeunesse qui se cherche, qui a des exigences culturelles et sociales élevées, mais qui est incapable de faire des choix tranchés.

La jeunesse française a choisi la dérision et le détachement comme moyen d’éviter la réalité. Mais à ne rien assumer, on ne fait que subir la réalité.

Columbine en est certainement là. Le titre Château de Sable qui conclue brillamment l’album montre d’ailleurs qu’ils se posent des questions, sur leur avenir, sur leur démarche, etc.

Vont-ils continuer dans le détachement et l’attitude « d’enfants terribles », ou bien vont-ils prendre leur métier d’artistes au sérieux ? Vont-ils contribuer à transformer toujours plus le rap français en de la simple variété française ou bien vont-ils participer en tant qu’artistes à changer le monde ?

Pour l’instant, ils ont du recul par rapport à leur succès et ne semblent pas vouloir sombrer dans la célébrité, l’argent facile. Leur volonté de rester simple et accessible est tout à fait louable. Mais ils marchent sur un fil car cela n’est pas évident.

Autant ils s’affirment comme populaires et ancrés dans la réalité populaire quand ils assument de supporter le Stade Rennais, leur club de football local. Autant ils frôlent le populisme quand ils assument d’écouter Jul « comme tout le monde », alors que ce dernier produit une musique d’une nullité affligeante et d’un niveau culturel déplorable.