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Acte XIII des gilets jaunes : un 9 février 2019 au goût de 6 février 1934

Presque en phase avec le 85e anniversaire de la tentative de coup d’État fasciste du 6 février 1934, les gilets jaunes ont essayé pareillement de forcer l’entrée de l’Assemblée nationale. Est-il vraiment encore possible de dire que les gilets jaunes ne sont pas un mouvement de type pré-fasciste ou fasciste ?

L’acte XIII des gilets jaunes était un défi pour eux, puisque c’était la première mobilisation après que la CGT se soit lancé elle aussi dans un mouvement parallèle. Ce dernier n’a pas eu d’ampleur autre qu’habituelle ; quant aux gilets jaunes, ils restent fidèles à eux-mêmes, avec encore et toujours ces drames propres à un mouvement chaotique et velléitaire, jouant avec le feu de la révolte de manière désordonnée.

Un manifestant a ainsi eu la main arrachée devant l’Assemblée nationale : ce photographe « gilet jaune » prenait les photos des manifestants cherchant à forcer les palissades empêchant l’accès à l’Assemblée et a commis l’étonnante et très lourde erreur de repousser de la main une grenade de désencerclement tombé à ses pieds.

Forcer l’accès à l’Assemblée nationale ! Est-ce qu’on sait ce que cela signifie ? Que contrairement aux mensonges des populistes et de l’ultra-gauche, les gilets jaunes ne dépassent pas l’horizon pré-fasciste ou fasciste. Il ne se tournent pas vers la question sociale. Ils n’adoptent pas les traits relevant de la lutte des classes. Ils ne s’ouvrent pas aux questions d’idéologie, de politique, de culture, de projet social. Ils sont résolument extérieurs à la Gauche et ils comptent bien le rester. Ils sont un mouvement contestataire, mais de Droite.

Car il est des symboles en politique et peu importe même que les gilets jaunes sachent ou non que le 6 février 1934, l’extrême-droite ait cherché le coup de force en essayant de prendre l’assaut de l’Assemblée nationale. Ce moment critique a été suivi, comme on le sait, de l’unité immédiate des ouvriers communistes et socialistes afin de mobiliser sur une base antifasciste ; il en découlera le Front populaire, né de l’unité de toute la Gauche, à la base.

L’antiparlementarisme est une valeur étrangère à la Gauche et celle-ci a toujours su à quoi s’en tenir avec ceux qui dénonçaient les « voleurs », le « parlement », la « république », le « complot » des « élites », etc. Le mot d’ordre des gilets jaunes « On lâchera rien tant que Macron et la 5e république ne seront pas destitués ! » ne peut avoir aucun rapport avec la Gauche. On peut penser ce qu’on veut de l’Assemblée nationale et vouloir, si on le souhaite, un pays de Soviets. Mais jamais la Gauche n’a fait de l’antiparlementarisme le vecteur de son message. Qu’on soit pour le parlement ou qu’on pense que ce n’est qu’une marionnette du capitalisme, dans tous les cas l’antiparlementarisme est l’expression de forces anti-démocratiques.

L’attaque du Parlement ne peut avoir été menée que par des gens objectivement au service du populisme, de la Droite « révolutionnaire ». On notera également, non pas l’incendie d’une Porsche car cela n’est guère critiquable pour le fond symbolique de la chose, mais celui d’un véhicule de la mission Vigipirate sous la Tour Eiffel, ce qui pour le coup relève de la stupidité politique la plus totale.

Tout cela montre par ailleurs de la fuite en avant de la part de ceux qui cherchent à contourner la politique, la Gauche, le peuple. Plus le mouvement régresse numériquement, plus sa charge « ultra » est forte pour compenser. Les faits sont là : le nombre de manifestants s’estompe, contrairement aux prévisions fantasmagorique des populistes, de l’ultra-gauche et même de la CGT, qui s’imaginaient que le mouvement ayant « continué », il allait connaître un saut qualitatif.

Il y a eu 6 000 personnes à Toulouse, 4 000 personnes à Paris, Bordeaux et Lyon, 1 500 à Lille, Marseille et Montpellier ou encore 1 000 à Clermont-Ferrand.

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Les gilets jaunes et la question du fascisme

Peu de gens en France ont vraiment étudié le fascisme et savent qu’il consiste en un mouvement élémentaire d’une base populaire soucieuse de régénérer la société, poussé par une partie de la bourgeoisie. Les gilets jaunes ont tout à fait le profil social correspondant à cela.

Quand une révolte est portée par les couches sociales intermédiaires mais pas les ouvriers, de manière élémentaire et non rationnelle, sur des revendications à l’intérieur du cadre étatique, on sait déjà que la Gauche a perdu.

De manière instinctive, beaucoup de personnes ont à l’origine été très méfiantes du mouvement des gilets jaunes précisément pour cette raison. Les gens davantage conscients en comprennent les modalités, ils connaissent l’expérience du fascisme italien, du national-socialisme allemand, et n’oublions pas les Croix de Feu françaises.

Les violences ayant émaillé le quartier des Champs-Élysées à Paris ce samedi 24 novembre renvoient d’ailleurs directement à l’expérience historique de février 1934 dont les Croix de Feu furent la principale ligue menant l’agitation.

Cela ne tient pas seulement à la présence hier de nationalistes, de drapeaux bleu-blanc-rouge et de l’hymne nationale haranguée entre les appel à aller directement chercher le Président à L’Élysée, mais bien à la nature même de l’événement et du mouvement qui l’a porté.

Les Croix de Feu françaises avaient à l’époque acheté Le Figaro, une fois devenu le Parti Social Français, et il est assez intéressant historiquement de noter que Le Figaro soutient depuis le début le mouvement des gilets jaunes, et ce de manière véhémente.

Ces derniers sont présentés comme la vraie France contre les élites, ce qui est énorme intellectuellement quand on connaît le lectorat du Figaro Magazine et de Madame Figaro le week-end. Mais il est vrai que les élites sont divisées et qu’on reconnaît là le grand conflit entre les bourgeois nationaux-agressifs, et les bourgeois modernistes-cosmopolites représentés par Emmanuel Macron.

Une figure de Droite comme Bruno Retailleau, qui était un personnage de première importance lors de la campagne pour la Présidentielle de François Fillon, représente quant à lui les bourgeois nationaux-agressifs. Ce n’est pas pour rien qu’il justifie ouvertement les violences au Journal du Dimanche :

« Emmanuel Macron récolte ce qu’il a semé. À force de détruire méticuleusement les corps intermédiaires, il se retrouve seul face aux Français. Quand on se prend pour Louis XIV, on peut s’attendre à des frondes ».

De son côté, le gouvernement connaît ses classiques et fait par la voix de son Ministre de l’Intérieur le parallèle avec les affrontements fascistes de 1934, tout en insistant sur le rôle de Marine Le Pen qui représente elle aussi les nationaux-agressifs, tout comme Nicolas Dupont-Aignan.

Dans les années 1920 et 1930, les nationaux-agressifs étaient organisés dans des partis de droite qui se sont vus appuyer par une nouvelle formation, de droite mais populaire et communautaire, les fascistes.

Contrairement aux commentaires que l’on voit régulièrement sur le caractère « socialiste » des nazis, ceux-ci se sont toujours définis comme étant de droite et faisaient par conséquent des alliances à droite. Le fascisme de Mussolini s’est pareillement institutionnalisé avec la Droite.

Il s’agissait de mouvements de masse mais leur victoire a été leur intégration institutionnelle, par les élections, dans l’État. La Droite a été leur porte ouverte pour ce processus, dans le cadre de l’unité contre la Gauche.

Or, ces mouvements populaires fascistes avaient une base sociale surtout composée de petits-bourgeois, de commerçants, d’artisans. Il y avait des ouvriers aussi, mais ce n’était pas le cœur du sujet, très loin de là. Contrairement aux cadres de ces mouvements, très politisés, la base voulait juste un « rétablissement », un « redressement », une « remise en marche ».

Impossible de ne pas voir un parallèle au moins minime avec les gilets jaunes aujourd’hui.

Cela ne remet pas en cause le fait que ceux-ci relèvent de la lutte de classes. Pas du tout, et c’est bien là la question de l’antifascisme, qui a comme but d’unifier le peuple sur une base autre que celle du fascisme.

Il va de soi que l’antifascisme qui se contente de critiquer les « fachos » est représentatif d’un anarchisme en perdition qui n’est d’aucun intérêt ici, pour autant qu’il en ait jamais eu. Il faut parler aujourd’hui du véritable antifascisme, celui des années 1920 et 1930, celui où la Gauche savait s’unir pour être à même d’établir suffisamment d’amplitude pour contrer le fascisme sur son terrain.

Ce terrain, c’est celui de la lutte des classes, celui des luttes sociales et de la perspective d’une société où l’on peut vivre de manière bonne et juste. Pour nous, c’est le socialisme, pour le fascisme, c’est un capitalisme restructuré, avec une dynamique chauvine et militariste.

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« Les journées ouvrières des 9 et 12 Février 1934 »

Voici un extrait de l’ouvrage de Marc Bernard, Les journées ouvrières des 9 et 12 Février 1934 (« L’appauvrissement révolutionnaire de Paris »). Il fut publié dans la foulée de ces journées qui suivent la tentative de coup d’Etat par l’extrême-droite le 6 février 1934.

«  Depuis plusieurs années le centre de Paris, la ville proprement dite, est devenu réactionnaire. Le 6 février on vit ce phénomène curieux se manifester avec une force d’une puissance inouïe, d’un Paris entièrement soumis aux organisations de droite.

Cette brusque volte-face d’une capitale que l’on avait toujours connue à l’avant-garde des révolutions, de cette ville qui avait fait celles de 1793, de 1848, de la Commune, a étonné certains, qui n’ont pas très bien vu les causes de ce changement d’orientation politique.

Les réactionnaires ont triomphé, prétendant avoir conquis Paris à leurs méthodes ; les gens de gauche et d’extrême-gauche ont été navrés et inquiétés par ce reniement de tout un passé de lutte.

La vérité c’est que Paris, peu à peu, et plus particulièrement au cours de ces vingt dernières années, a vu émigrer vers la banlieue sa population ouvrière.

Ce qu’on appelle « la ceinture rouge » s’est formé au détriment des forces révolutionnaires de la capitale, de jour en jour envahie par l’élément bourgeois qui, débordant certains quartiers du centre de la ville, s’est répandu bien au-delà de ses premières frontières, et par la foule de petits-bourgeois : employés, boutiquiers, etc., dont le nombre n’a cessé de croître.

La population ouvrière, artisanale, des faubourgs Saint-Antoine et même dans un certaine mesure de Belleville, Ménilmontant, etc., est allée se grouper dans la banlieue autour des usines ; une partie de cette population, quoique travaillant aux portes de Paris, s’est exilée dans les innombrables lotissements qui entourent la ville, fort éloignés parfois du lieu de leur travail, les moyens de communications rapides ne faisant plus de cet éloignement un obstacle insurmontable.

Cette émigration, sans cesse croissante, explique le changement d’orientation politique de la capitale ; Paris tend, de jour en jour davantage, à devenir une ville d’intellectuels, de bourgeois, de commerçants et d’employés : et l’on sait bien que ce n’est jamais parmi ces gens-là que le socialisme a recruté de nombreux adeptes.

Il est remarquable que, malgré l’énorme avance du socialisme, qui dura jusqu’à ces dernières années dans le monde entier, et particulièrement en France où le nombre d’élus socialistes au Parlement, au Sénat, dans les conseils municipaux de la presque totalité des villes, Paris à peu près seul, ait vu réactionnaires augmenter avec une constante régularité.

En dehors même de la répartition des sièges – monstrueuse iniquité qui exige plus de dix mille votants dans certaines circonscriptions, alors que moins d’un millier suffisent dans d’autres pour élire un conseiller – il n’en reste pas moins vrai que cette émigration ouvrière dans Paris, avec le glissement vers la droite des étudiants, coupés entièrement aujourd’hui du prolétariat.

Les combats du 6 février furent menés par une foule – en dehors des quelques éléments communistes qui furent rapidement absorbés – où dominait une écrasante majorité bourgeoise. Il suffisait de jeter un regard sur elle pour s’en apercevoir.

Le 12 février devait voir à Vincennes le regroupement des forces prolétariennes et populaires. »

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1934, quand la Droite faisait rêver…

Lorsqu’on pense aux années 1930 et que l’on est de gauche on pense spontanément au fascisme et au front populaire de 1936. Mais, en France, l’Histoire s’apprend de manière découpée, en section altérant la compréhension des processus de moyen long terme.

En effet, c’est souvent sous l’angle d’un « moment », celui de mai-juin 1936 qu’on parle du Front Populaire, ce qui met dans l’ombre la dynamique interne globale qui a vu émerger cette expérience populaire de gauche.

Car l’arrière-plan de l’unité populaire en 1936, c’est évidemment le 6 février 1934 des ligues factieuses et plus généralement c’est la montée du fascisme en France alors que le pays a aux frontières deux pays fascistes, l’Allemagne (janvier 1933) et l’Italie (mars 1922). L’extrême droite française connaît alors un développement massif et populaire, tandis que que les forces de gauche sont affaiblies.

En 1933-1934, au plan des forces numéraires, alors que la S.F.I.C compte environ 60 000 membres et la S.F.I.O 120 000 adhérents, l’Action Française compte près de 60 000 membres, il y a 90 000 « Jeunes Patriotes » et 180 000 Croix De Feu. Il faudrait aussi mentionner les chemises vertes d’Hervé Dorgères, rassemblant près de 400 000 « fascistes ruraux » agissant dans les campagnes…

A la pointée de l’offensive fasciste en janvier-février 1934, ce sont 130 000 hebdomadaires de l’Action Française qui sont vendus avec une agitation de rue permanente dans Paris.

Pendant le Front Populaire, malgré le recul momentané des forces d’extrême droite, deux principaux partis se partagent le terrain réactionnaire : le Parti Populaire Français de Jacques Doriot et le Parti Social Français du Colonel de La Rocque. Avec Le PPF on a là une véritable machine fasciste, sur une ligne violemment anticommuniste et national-socialiste, rassemblant en 1937, 120 000 adhérents. Le PSF est quant à lui un véritable monument de la culture politique nationale, parti réactionnaire de masse avec plus 500 000 adhérents en 1938.

A ces deux principales forces parlementaires réactionnaires s’ajoute bientôt un groupuscule clandestin pratiquant une stratégie de la tension à coup d’assassinats et d’attentats, le Comité Secret d’Action Révolutionnaire ou dit « La Cagoule ». Ce groupuscule lié à certains secteurs de la haute bourgeoisie maintient des liens lointains avec des personnalités plus ou moins proches du Colonel De La Rocque.

La valse des intimidations violentes et des attentats menés par « La Cagoule » et la « dédiabolisation » du PSF issu des ligues Croix de Feu créé une tension sociale et politique profonde sur le peuple de gauche. Tout en noyautant l’armée, l’enjeu stratégique fut bien de favoriser une profonde tension à l’intérieur de la gauche (comme en 1937 à Clichy ) afin d’appeler à un retour militaire à l’ordre sous la direction des forces fascistes.

Dans cette ligne, à l’agitation militaire et politique s’ajoute le pilonnage idéologique de la société par des fascistes qui tissent des liens et développent une presse à scandale, basée sur des faits divers montés en épingle et analysés sous un angle raciste et antisémite, rappelant ce que l’on nomme aujourd’hui « fachosphère ».

L’hebdomadaire L’Ami du Peuple, fondé par le parfumeur François Coty et qui revendiquait plus de 3 millions de lecteurs est un bon exemple de cette presse populiste. François Coty fonde d’ailleurs en 1933 son propre mouvement appelé « Solidarité Française » , mouvement qui aura une forte implication dans les émeutes anti-parlementaires du 6 février 1934…

Il serait erroné de saisir cette montée du fascisme comme simple « caisse de résonance » des dynamiques étrangères, car c’est bien une dynamique interne au pays qui l’alimente. Un exemple de cela est l’échec des « chemises bleues » fondées en 1926 par Georges Valois, ancien syndicaliste révolutionnaire puis acquis au nationalisme de l’Action Française. Les « Chemises bleues » qui comptent alors 25 000 membres, disparaissent pourtant en 1927, preuve qu’un simple décalque du fascisme italien ne prend pas dans les mentalités et les valeurs françaises.

Ce qui marchera en France, c’est le national-catholicisme , comme le prouve ensuite la politique du régime de Vichy fondée sur un corporatisme maurassien : défendre le « pays réel » identifié aux villages ruraux cimentés par la morale du clergé et le conservatisme de « La Terre ». La prégnance des « chemises vertes » rurales dans les années 1930 a ainsi fourni l’armature politique et idéologique au pétainisme.

Aborder le Front Populaire de 1936-1938 c’est donc nécessairement prendre en compte la vitalité et l’importance des forces fascistes françaises développées sur une base nationale. Il est peu étonnant que la réaction antifasciste unitaire de 1934 se soit élancée essentiellement des campagnes , comme illustration de l’agitation profonde que connaît le cœur de la société française de l’époque.

Les années 1930 ont été l’histoire de la gauche autant que l’histoire de l’extrême droite, et c’est en cela d’ailleurs qu’elles constituent un puissant miroir de notre époque actuelle…