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Société

Dans quelle mesure le confinement a-t-il changé les mentalités?

C’est une question d’une importance extrême pour saisir notre pays et son évolution. Dans quelle mesure le confinement a-t-il déboussolé, cassé le rythme du capitalisme, produit l’envie d’une autre vie ?

Emmanuel Macron a affirmé son mouvement politique comme étant celui des gagnants contre celui des perdants. Toute sa vision du monde est résumée dans ce propos donné à des entrepreneurs réunis dans la Halle Freyssinet à Paris en 2017 :

« Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage. »

Mais qui sont les gagnants et les perdants du confinement ? Le peuple a très bien vu que la partie privilégiée de la société a profité de ses maisons de campagne et du télétravail, alors que les travailleurs manuels, prisonniers de l’appareil productif, ont eux été clairement enserrés encore plus dans le capitalisme dans une situation sanitaire critique.

Pourtant, quelle que soit la situation, les gens se sont tous aperçus que, finalement, les règles du jeu social pouvaient réellement changer du jour au lendemain. Le confinement a été une mesure qui a révolutionné la vie quotidienne, tout comme le masque obligatoire, la distanciation sociale, etc. Ce n’est pas révolutionnaire au sens d’un progrès historique, aussi serait-il plus juste de parler de bouleversement.

Cela n’enlève toutefois rien au fait que tout le monde a compris que les choses pouvaient changer. Et beaucoup de monde ayant profité du confinement, d’une manière ou d’une autre, pour faire autre chose, pour vivre autrement, a changé son point de vue.

Certains seront irrattrapables pour le capitalisme, d’autres chercheront à vivre encore plus comme des capitalistes, au sens où certains voudront quitter le système de la course au profit à tout prix, cesser le rythme effréné du capitalisme avec sa compétition, sa concurrence… Alors que d’autres voudront beaucoup de richesses pour être en mesure de s’isoler.

Pour d’autres encore, et ils sont évidemment nombreux, vouloir ceci ou cela ne change rien puisque tout est bloqué. Un loyer ou un crédit, une situation non modifiable en raison de telle ou telle responsabilité familiale ou sociale, et on peut rêver ce qu’on veut, on ne l’aura pas. Cela frustre d’autant plus, cela provoque du ressentiment, cela peut également amener à une conscience sociale que le capitalisme impose une division sociale inacceptable.

Reste que tout cela est flou encore. Dans quelle mesure le confinement a-t-il changé les mentalités ? On ne peut pas le dire, encore. Cependant, c’est bien le cas et c’est d’autant plus vrai que tout le monde fait semblant que tout a repris comme avant. L’aspiration est niée, réprimée, intériorisée, tant parce que les gens n’osent pas que parce que le capitalisme ôte toute perspective concrète en ce sens.

Il y a alors deux possibilités. Soit il y a un exil intérieur, avec une sécession culturelle, sous la forme d’une contre-culture, d’une affirmation d’un mode de vie alternatif. Soit cela s’extériorise sous la formes d’incendies sociaux sur la base d’une révolte contre les cadences, la pression au travail, les exigences patronales, etc.

Il y a deux contre-arguments qu’on trouvera ici : culturellement, les Français sont des fainéants sur le plan des alternatives. Ils veulent tous le changement, mais aucun ne veut changer. Le véganisme a mis trente ans à arriver en France, l’idéologie des beaufs est omniprésente, il n’y a jamais eu de mouvement hippie de masse, ni une Gauche alternative à gauche du PCF (et non à sa droite comme le PSU). Socialement, les incendies sociaux ont disparu depuis belle lurette, remplacée par le substitutisme cégétiste.

Seulement voilà, le confinement a changé les mentalités. Donc, plus rien n’est pareil. Mais dans quelle mesure plus rien n’est-il pareil ?

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Culture

Roky Erickson, figure hippie marquante

La mort de Roky Erickson a été annoncé et cela a marqué les personnes aimant la musique et particulièrement celle produite par la scène hippie. C’est que l’histoire est connue et terrible : ce musicien formidable est devenu très rapidement totalement fou en raison des drogues. La carrière du groupe The 13th Floor Elevators, une grande référence, s’effondra ici dès le départ, ce qui marqua fortement les esprits.

La sortie de l’album The Psychedelic Sounds of the 13th Floor Elevators en octobre 1966 fut un tournant sur le plan musical. Il y avait un esprit d’expérimentation, de découverte de nouveaux sons, sans jamais pour autant perdre de vue la mélodie ni le haut niveau de musicalité. La musique psychédélique, c’est pour résumer comme le grunge, mais avec l’enthousiasme et la volonté d’affirmer une culture nouvelle, de faire des mélodies accrocheuses et populaires.

La chanson You’re Gonna Miss Me est un classique du genre.

Seulement voilà, les hippies combinaient esprit de révolte, mise en avant de la culture, et un comportement anti-social expérimentateur typiquement classes moyennes. Les expérimentations avec les drogues étaient censées apporter un « plus » pour l’ouverture d’esprit.

Il y a ici deux interprétations, justement. Pour l’une, reflétant le libéralisme culturel, c’est bien par les drogues qu’un haut niveau culturel a été atteint. Ce sont les individus créatifs qui apportent des choses. Pour l’autre, c’est malgré les drogues que le haut niveau culturel a été atteint.

On remarquera bien entendu que la première interprétation est partagée par la « Gauche » post-moderne, post-industrielle, la seconde par la Gauche historique.

Il y a ainsi la légende comme quoi Roky Erickson ne serait devenu fou qu’après un passage en hôpital psychiatrique, qu’il a choisi pour éviter la prison pour possession de marijuana. Il aurait été maltraité au point de succomber mentalement. Et il a indubitablement été torturé, puisqu’il a subi des électro-chocs.

Mais en réalité il avait craqué déjà à la base, ce qui l’amena donc à se considérer comme un extraterrestre. Roky Erickson n’a par la suite été plus que l’ombre de lui-même, produisant quelques disques sans valeur, finissant sa vie dans un taudis avec sa mère, tout en consommant du LSD de manière hebdomadaire.

Son apport a marqué et en 1990, une compilation de reprises (When the pyramid meet the eye-tribute to Roky Erickson) avait été faite pour l’aider financièrement. Mais si l’idée est sympathique, c’est se focaliser sur un individu, alors qu’il s’agissait d’une personne membre d’une large scène en 1965-1968, dont le grand témoignage sont les fameuses compilations Nuggets, incontournables.

Quant à l’album des 13th Floor Elevators, il est vraiment incontournable et fait partie des plus grandes œuvres musicales de la seconde moitié du XXe siècle.

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Culture

Velvet underground – White Light/White Heat (1968)

La décadence du Velvet underground était avant tout esthétisée et il s’agissait surtout, en réalité, d’un groupe de hippie. Son second album joua un rôle historique pour les années 1970.

Après un premier album marqué par l’influence d’Andy Warhol et avec Nico comme chanteuse, et également sans réel succès, le Velvet underground assuma une tournure qui devait être particulièrement marquante : White Light/White Heat est, en 1968, une avalanche sonique d’une rare modernité alors. C’est un album de référence, le groupe se repliant dans son orientation hippie initiale après le départ de John Cale, Lou Reed se cantonnant dans un rôle désormais bien établi de poète post-beatnik ayant une vie entre bas-fonds et bohème mêlée à la jet set.

Cet album de simplement six chansons aurait pu d’ailleurs, voire aurait dû être une sorte de caricature bruitiste, abrasive, partant dans tous les sens avec une absence revendiquée de cohérence. Les paroles de Lou Reed se complaisent dans les thèmes des drogues et de la sexualité débridée et sans lendemain, entre amphétamines et héroïne, violences urbaines des rues d’une grande métropole, psychoses et hallucinations liées aux drogues, fascination sexualo-morbide pour les travestis, le tout étant raconté sur un ton mi-poétique mi-compte-rendu romancé pétri d’humour noir.

La pochette de l’album est elle-même totalement ratée, consistant en une photographie noire sur noire d’un tatouage de crâne que l’on voit sur un acteur du film Bike boy d’Andy Warhol, avec une histoire de gang à motos. L’album est même enregistré en deux jours seulement, la dernière chanson formant un déluge sonore qui fait 17 minutes, prise en deux fois, avec l’ingénieur du son refusant même d’y assister :

« Je n’ai pas à écouter cela. Je le met dans l’enregistrement, et je pars. Quand vous avez fini, venez me chercher. »

Une autre version de ses propos donne :

« Écoutez, je me casse. Vous ne pouvez pas me payer assez pour écouter cette daube. Je suis en bas me chercher un café. Quand vous avez fini, appuyez sur ce bouton et venez me chercher. »

Cette chanson, Sister ray, devait avoir un impact révolutionnaire sur l’histoire de la musique. Car la décadence du Velvet underground était avant tout esthétisée et il s’agissait surtout, en réalité, d’un groupe de hippie qui, avec son second album, ouvrait un formidable horizon.

Le groupe punk Buzzcocks fut fondé en partant de l’idée d’une reprise de Sister ray, que les Velvet jouaient parfois en 40 minutes à leurs concerts. La chanson fut reprise en live par Joy Division, dont le son provient directement de White Light/White Heat, par l’intermédiaire des Stooges. L’album fut également acheté par le musicien tchécoslovaque Václav Havel et joua un rôle marquant dans la genèse de son groupe d’opposition Charte 77.

Il joua un rôle évidemment important dans la construction de leur identité musicale pour des groupes industriels comme Throbbing gristle, electro-industriels comme Suicide et Cabaret Voltaire ou bien gothic-rock comme les Sisters of mercy, mais cela va de toutes façons de David Bowie à Nirvana (qui reprit une chanson de l’album dans un split de 1991 avec les Melvins, qui reprirent également le Velvet underground).

Tout cela fut rendu possible parce que les musiciens du Velvet underground étaient brillants et ont parfaitement agencé toutes les parties des chansons sur l’album, chacun rentrant parfaitement en phase avec l’autre, toutes les mélodies se conjuguant sur la base blues. Expérimentateurs, ils ont puissamment travaillé en amont un son abrasif, dépassant le son de type garage et l’orientation psychédélique pour aboutir à une forme proto-punk.

L’esprit est d’ailleurs totalement décadent en apparence et en réalité d’une veine expressionniste punk, dans le sens d’une provocation, d’une volonté de rupture, d’arrachement à des formes neutralisées dans leur esthétique. C’est que l’album est précisément le produit direct d’une aversion pour la tournure « summer of love » du mouvement hippie ; c’est en fait un parallèle culturel strict avec le passage d’une partie de la scène hippie dans un renversement de leur pacifisme (le Weather undergound aux Etats-Unis, la fraction armée rouge en Allemagne, tous deux directement liés à la scène hippie).

Lou Reed résume très bien cette question dans une interview de 1987 à Rolling Stone :

« C’était [le mouvement Summer of love des hippies] très marrant, jusqu’à ce qu’il y ait toutes ces pertes humaines. Alors ce n’était plus marrant. Je ne pense pas que grand monde ait alors réalisé ce avec quoi ils jouaient. Ce truc flower-power s’est finalement effondré à la suite des victimes des drogues, et le fait est que c’était une idée sympa, mais pas très réaliste.

Ce dont nous, les Velvets, parlions, bien que cela semblait comme un recul, était simplement un portrait réaliste de certains types de choses. »

White Light/White Heat est, de par cet arrière-plan, une œuvre très particulière, avec laquelle il faut savoir s’affronter pour connaître le tournant menant aux années 1970, mais également la démarche expressionniste de toute une scène des années 1980 d’expression post-punk, cold wave, gothique, industrielle, electro-industrielle.