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La polémique Valeurs Actuelles / Benjamin Stora

La revue réactionnaire Valeurs Actuelles a publié un hors-série sur l’Algérie française au mois d’octobre. L’historien Benjamin Stora y subit un portrait assassin. Il vient de rétorquer en dénonçant l’article à son sujet et une campagne « antisémite ». Le souci, c’est que l’article ne dit que des vérités : Benjamin Stora est bien « l’historien officiel » de l’Algérie française, passant savamment sous silence tout ce qui déplaît tant aux institutions qu’à la « seconde gauche ».

 

Benjamin Stora a dû être profondément vexé par les premières lignes de l’article de Valeurs Actuelles. C’est un assassinat politique :

« On a beau se promettre « pas le physique ! », la comparaison est édifiante. Sur la photo prise à l’université de Nanterre en 1970, le jeune militant d’extrême-gauche Benjamin Stora, âgé de vingt ans, ressemble aux innombrables Che Guevara peuplant alors les facultés : visage émacié, regard déterminé allure féline.

Près d’un demi-siècle plus tard, c’est un tout autre Stora, affichant désormais des allures de gros chat, et n’aimant rien tant que de poser pour la postérité dans une époque faite pour lui, et pour cause : il est de ceux qui l’ont façonnée. »

Il est en effet difficile de mentionner toutes les institutions auxquelles participent Benjamin Stora, il faudrait des pages. Lui-même en a beaucoup écrit : 50 ouvrages (et une dizaine de films). Cet enseignant universitaire est Officier de l’ordre national du Mérite, Officier de l’ordre des Arts et des Lettres, Chevalier de la Légion d’honneur, membre du jury du Prix du livre d’Histoire décerné par le Sénat, membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, président du Conseil d’orientation de l’Établissement public du Palais de la Porte dorée qui inclut la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (il va en démissionner pour se focaliser sur ses recherches), etc. etc.

Tout cela est bien éloigné de son engagement révolutionnaire comme membre de l’Organisation Communiste Internationaliste, dont il fut l’un des hauts dirigeants. Pas étonnant que Valeurs Actuelles se focalise dessus pour utiliser la figure du style de la prétérition (amenant à parler de quelque chose après avoir dit qu’on allait pas le faire) :

« Depuis, l’homme n’a pas seulement fait du gras, il a enflé. Un poussah pontifiant. Gonflé, au risque d’exploser, de cette mauvaise graisse ayant prospéré à la proportion de vanité qui n’a cessé de croître en lui à mesure que s’élevait son statut social. »

Tout cela est agressif – c’est du Valeurs Actuelles, tout simplement. La revue est célèbre pour son ton voltairien de droite utilisant des informations bien trouvées, ce qui en fait somme toute un Canard enchaîné inversé (et tout aussi vaniteux).

Benjamin Stora s’est donc fendu d’un long message, intitulé « A propos d’un article paru dans le hors-série de « Valeurs actuelles », octobre 2019 ». Il accuse l’article d’antisémitisme, ce qui est absolument ridicule.

Mais il en avait besoin pour tenter de parer à la critique de Valeurs Actuelles. Cette revue sait très bien que Benjamin Stora est au cœur du dispositif idéologique de la « seconde gauche », née justement en soutien unilatéral à l’indépendance algérienne et totalement opposée au PCF comme à la Gauche historique en général.

Benjamin Stora, lui-même juif pied-noir, a été un haut cadre de l’OCI, courant trotskiste ayant fourni un appui significatif au Mouvement national algérien de Messali Hadj. Benjamin Stora a fait justement sa thèse sur celui-ci, avant de travailler en collaboration Mohammed Harbi, un historien algérien qui était un des hauts cadres du FLN et justement proche du trotskisme.

D’où l’idéologie qui en ressort, croisement des idéologies des États français et algérien, avec comme accord tacite la main-mise de la « seconde gauche » sur le plan intellectuel quant à cette question :

  • la colonisation a été un processus meurtrier ;
  • il faut une repentance, mais également un esprit de réconciliation, dont les immigrés algériens en France sont une expression ;
  • on ne parle pas des massacres et des attentats réguliers contre les civils commis par le FLN ;
  • on ne parle surtout pas des questions démocratiques (femmes, place de la religion, forme gouvernementale) ayant avant l’indépendance algérienne fait que la Gauche historique n’a pas soutenu le FLN ;
  • au sujet des colons français on ne parle pas de la toute petite minorité de grands propriétaires terriens et on fait passer la grande masse, petite-bourgeoise et populaire, pour des arriérés finalement racistes.

Il ne faut pas s’étonner qu’avec tout ça, la Droite a un boulevard – et cela depuis 1962 d’ailleurs. C’est d’ailleurs clairement une année fatidique – car, à partir de cette année-là, la Gauche historique a pratiquement totalement perdu pied sous les coups de boutoir de la seconde gauche. Jamais la Gauche historique n’aurait vu en l’Algérie des colonels la « nouvelle Mecque de la révolution ».

> Lire également : Benjamin Stora et ses ridicules accusations contre Valeurs Actuelles

Et depuis cette défaite de la Gauche historique, on a un activisme massif de l’ultra-gauche, avec un anticommunisme et un anti-socialisme virulents.

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Société

Les incidents « algériens » à Paris, Marseille et Lyon

La question des Algériens – ou plutôt des personnes d’origine algérienne – qui ont provoqué de nombreux incidents à Marseille, Lyon et sur les Champs-Élysées a beaucoup attiré l’attention. L’arrière-plan est à la fois très difficile à saisir et terriblement simple.

Beaucoup de réactions sont apparues avec les incidents « algériens » de ces derniers jours et il est vrai que dans certains cas, il y a eu de véritables drames. Ce sont en fait surtout des caillassages de forces de l’ordre et des dégradations de mobilier ou véhicules qui ont eu lieu de la part de jeunes hommes, conduisant selon la presse à 282 interpellations et 249 gardes à vue.

En plus de cela, 202 véhicules ont fait l’objet de vidéo-verbalisation en raison de conduites dangereuses. Le fait que des supporters repassent sur les lieux mêmes où une mère et un enfant ont été tués à Montpellier a aussi quelque chose de morbide. Cependant, c’est justement qu’il n’y a rien de rationnel à tout cela.

Pourquoi tout cela, en effet ? La victoire de l’équipe de football d’Algérie en demi-finale de la Coupe d’Afrique des nations n’a été qu’un prétexte à deux choses. Tout d’abord, il faut savoir qu’en Algérie, les stades de football sont historiquement pratiquement les seuls lieux où une opposition au pouvoir peut s’exprimer. La récente contestation populaire contre Abdelaziz Bouteflika a par exemple commencé dans les stades avec un chant repris par les supporters de plusieurs équipes.

Il y a donc une tradition de rébellion par rapport au football. Cependant, pour les événements en France, il y a un autre aspect qui compte bien plus : c’est qu’il n’y a jamais eu de véritable indépendance algérienne.

Il y a trois raisons pour cela :

  •  la nation algérienne était un melting-pot de multiples origines, dont qui plus est une partie importante a été forcée de partir (les Juifs) ;
  • l’Algérie « indépendante » a immédiatement été sous une chape de plomb militaire, empêchant toute expression démocratique ;
  • l’Algérie n’a jamais su depuis 1962 se donner une identité : est-elle arabe, arabe et kabyle, un mélange de peuples ?

Par ailleurs, le régime a toujours utilisé l’Islam comme levier unificateur réactionnaire. L’islamisme fanatique et meurtrier des années 1990 n’est que le reflet déformé des attentats aveugles du FLN des années 1950-1960. L’influence algérienne dans les débuts d’Al-Qaeda, et dans l’émergence du courant de l’État islamique, est significative. Il est étonnant d’ailleurs qu’aucun commentateur « spécialisé » n’ait dressé le parallèle strict entre les attentats contre les civils de l’État islamique et les pratiques tout à fait similaires du FLN un demi-siècle auparavant.

On ne sera donc pas étonné si dans un tel contexte, le peuple algérien est particulièrement tourmenté, surtout que la part de la jeunesse dans la population est immense. Il n’y a pas de travail, pas de logements, pas de perspective, à part traverser éventuellement la Méditerranée.

Cette identité tourmentée a elle-même traversé la Méditerranée et même pour des jeunes ne connaissant pratiquement rien du pays de leurs parents ou grands-parents, il y a une quête de fierté positive. On peut dire qu’en réalité, c’est toute la nation algérienne qui attend le moment de sa véritable affirmation.

C’est l’indépendance de 1962 qui n’est pas terminée et tout le problème de la question démocratique est justement que personne n’est encore capable de formuler cela de manière juste. Les islamistes des années 1990 ont tenté ni plus ni moins que de détourner tout cela dans leur pulsion de mort.

Le résultat est que l’Algérie est une poudrière, la hantise des États algérien et français. La question démocratique algérienne a un potentiel énorme ! Toutefois, à voir les expressions actuelles – tant en France dans les personnes liées à l’Algérie qu’en Algérie même, malgré le renversement d’Abdelaziz Bouteflika – on est loin du compte. Cela viendra forcément pourtant !