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Refus de l’hégémonie

Premier élargissement des BRICS

Le groupe Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (Brics) s’est élargi à l’occasion de son 15e sommet en Afrique du Sud, à Johannesburg, du 22 au 24 août 2023. Un tel événement, une année et demie après le début du conflit armé entre la Russie et l’Ukraine, reflète la vague de fond qui est l’affirmation historique du tiers-monde contre l’hégémonie de la superpuissance américaine. Non seulement il n’y a pas d’alignement sur cette dernière, mais il y a même un soutien appuyé à son concurrent, la superpuissance chinoise.

La raison de cela, c’est que l’incroyable croissance du capitalisme dans la période 1989-2020, désormais brisée par la crise, a produit un développement massif de trop de pays pour que l’équilibre des forces ne soit pas remis en cause. L’affrontement sino-américain ne concerne pas que les États-Unis et la Chine. Tous les pays du monde participent, à leur échelle, à la grande bataille pour le repartage du monde.

Les BRICS forment le camp des outsiders les plus affirmés. Et les pays membres vont être rejoints en 2024 par l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Argentine, l’Iran et l’Éthiopie.

L’exemple de l’Arabie Saoudite est très parlant. Son État a été construit littéralement artificiellement par les États-Unis en raison du pétrole. C’est tellement un satellite néo-colonial que lorsque Ben Laden avec Al-Qaïda tente une révolte justement néo-coloniale contre les États-Unis, cela n’a aucun impact véritable. Et vingt ans après les attentats du 11 septembre 2001, l’Arabie Saoudite s’émancipe de la tutelle américaine pour partir à l’aventure.

Autrement dit, des pays à moitié féodaux, largement soumis économiquement aux pays « riches », deviennent tout de même assez riches pour chercher à tirer leur épingle du jeu. En Argentine, le peuple est dans la misère, mais le pays a atteint une masse suffisamment grande pour tenter de rentrer dans le grand jeu.

Tel est l’appel d’air fourni par en priorité la Chine, mais également la Russie (à travers sa taille et ses ressources), à quoi s’ajoutent l’Inde qui est concurrente de la Chine mais a besoin d’espace face aux États-Unis, le Brésil qui se verrait bien dominer l’Amérique du Sud, l’Afrique du Sud qui aimerait bien devenir la puissance dominante dans la partie Sud de l’Afrique.

Les dirigeants des pays des BRICS dans sa version 2023

Toute une série de pays est d’ailleurs à la porte des BRICS. On parle ici des pays suivants en première ligne, même si la liste n’est pas précisément fixe : Afghanistan, Algérie, Angola, Bahreïn, Bangladesh, Biélorussie, Gabon, Indonésie, Kazakhstan, Mexique, Nicaragua, Nigeria, Pakistan, République démocratique du Congo, Sénégal, Soudan, Syrie, Thaïlande, Tunisie, Turquie, Uruguay, Venezuela, Zimbabwe. Les prochains adhérents seront certainement l’Algérie et le Nigeria, l’Indonésie et la Thaïlande.

Il va de soi que l’intégration des prochains pays est déjà programmé. Le fait d’avoir intégré un pays latino-américain, deux pays africains, trois pays moyen-orientaux, est un signal fort. Il s’agissait de souligner un peu l’interventionnisme sur le continent américain (chasse gardée des États-Unis selon la doctrine Monroe en 1823), beaucoup la perspective africaine, à la folie la mise à la disposition des ressources en pétrole et en gaz.

Ce qui est dit, c’est : « nous avons la masse en termes d’habitants, nous avons le grand poids lourd économique chinois et le grand poids lourds en ressources russe, le moyen-orient se moque de qui dominera du moment qu’il est de la partie, vous avez tout à gagner à nous suivre. »

Le conflit armé en Ukraine a fourni la première étape de la grande remise en cause, la question de Taïwan en fournira la seconde. C’est la fin de l’occident qui se joue.

Le président français Emmanuel Macron a tenté de rendre visite au sommet des BRICS : il s’est fait recaler. La France est désormais clairement considérée comme un simple satellite américain. Elle est en première ligne pour l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’Otan. Ce qui est tenté, c’est un partenariat France-Ukraine pour remplacer l’Allemagne comme force principale en Europe. Pour cette raison d’ailleurs, la droite allemande rage totalement du soutien « trop faible » du gouvernement socialiste allemand au régime ukrainien. L’extrême-Droite exige par contre une alliance avec la Russie.

Le président russe Vladimir Poutine n’a pas pu venir au sommet des BRICS non plus, en raison des poursuites pénales promues par l’occident, par l’intermédiaire de la Cour pénale internationale. C’est le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui l’a remplacé, afin d’éviter à l’Afrique du Sud de se retrouver dans un imbroglio juridique international.

Les pays membres ou futurs membres des BRICS ne veulent que prendre la place des pays riches. Cependant, ils affaiblissent historiquement l’ordre mondial, ils contribuent à la remise en cause de l’occident. Et ils portent une pierre bien trop lourde pour eux. La remise en cause totale de l’hégémonie américaine n’impliquera pas l’affirmation de la Chine (ou bien de manière très temporaire), mais bien du Socialisme, car c’est l’ensemble du système capitaliste mondial qui sera totalement ébranlé.

C’est la fin de l’occident et cette fin implique la fin du capitalisme. Et si l’occident croit dans sa quasi intégralité que tout restera tel quel, c’est en raison de l’aveuglement propre à une force en décadence. Le monde a totalement changé depuis 2020, il continue de changer et il ne s’arrêtera plus de changer jusqu’à l’effondrement général du capitalisme !

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Guerre

Manœuvres militaires iraniennes à la frontière avec l’Azerbaïdjan

L’Iran fait directement face à l’Azerbaïdjan, le Pakistan et la Turquie.

C’est un nouveau front qui s’ouvre, et qui vient s’ajouter au conflit Russie/Ukraine et à la zone de conflit indo-pacifique. Les pays les plus directement concernés sont l’Iran, l’Azerbaïdjan, la Turquie et le Pakistan, mais en fait tout le Caucase est impliqué, ainsi que la Russie.

Comme on le sait, l’Azerbaïdjan a récupéré le Nagorny-Karabakh, dans le cadre d’une guerre rapide ayant affaibli une Arménie déjà dans une situation particulièrement tourmentée. Or, à cette occasion, le président turc Recep Tayyip Erdogan est venu à Bakou pour le défilé militaire célébrant la victoire, le 10 décembre 2020.

Il a, à cette occasion, récité un poème célébrant le panturquisme – contenant des vers exprimant le regret que le peuple azéri soit coupé en deux. L’auteur est le célèbre poète Bahtiyar Vahabzade (1925-2009), bien que cela ne soit pas certain.

Il faut comprendre ici cet aspect de l’Orient compliqué. Les Azéris sont de culture turque, au point que la Turquie souligne le mot d’ordre Iki devlet, Tek millet, c’est-à-dire deux Etats, une nation. Mais l’Azerbaïdjan est un pays en grande partie musulman chiite, comme l’Iran, et non pas comme la Turquie. Par contre, c’est un Etat très tourné vers la laïcité, comme la Turquie avant ces dernières décennies. Il suffit de voir la candidate de l’Azerbaïdjan à l’Eurovision 2020 pour comprendre que l’Islam n’a pas un poids majeur dans les mœurs.

Et, pour compliquer le panorama, il y a davantage d’Azéris en Iran qu’en Azerbaïdjan. La plus grande erreur qu’on puisse faire sur l’Iran est de l’assimiler d’ailleurs aux Perses (une erreur qu’avait fait le Shah d’Iran par ailleurs). Pour encore plus compliquer les choses, il y a d’ailleurs en Iran une Azerbaïdjan occidentale, mais elle est peuplée surtout… de Kurdes.

L’Iran, historiquement, est très ennuyée par les possibilités de troubles que l’Azerbaïdjan pourrait fomenter, même si elle se sent proche de l’Azerbaïdjan chiite, surtout face à la Turquie. Mais en août 2021 des camionneurs iraniens ont été maltraités par des militaires d’Azerbaïdjan alors qu’ils se rendaient Arménie. L’Azerbaïdjan compte en fait faire cesser le passage clandestin de camions vers l’Arménie et la Russie.

Et, surtout, il vient d’y avoir des manœuvres militaires communes de l’Azerbaïdjan, de la Turquie et du Pakistan, trois pays frontaliers de l’Iran. Elles ont été même nommées « les trois frères ».

Pire encore, la veille du début des manœuvre, le quotidien Yeni Safak qui exprime le point de vue du gouvernement a interviewé un membre du parlement d’Azerbaïdjan qui a sobrement expliqué… que bientôt l’Iran n’existerait plus !

L’Iran a donc subitement activé elle-même des manœuvres, le premier octobre 2021, à la frontière avec l’Azerbaïdjan. C’est la première fois qu’une telle chose est réalisée depuis la fin de l’URSS.

C’est que l’Iran a compris qu’elle risquait d’être prise à la gorge, d’autant plus que l’Azerbaïdjan a de très bons rapports avec l’État israélien qui fait tout pour faire tomber le régime iranien, jusqu’aux opérations de sabotage. L’État israélien vise notamment des navires, ainsi que du personnel technique contribuant au projet nucléaire iranien.

L’Iran considère d’ailleurs même que l’Azerbaïdjan converge avec l’État israélien dans son opération de déstabilisation. Et conformément à une démarche amenant la confusion entre antisionisme et antisémitisme ou antijudaïsme, les manœuvres, d’ampleur significative (tanks, hélicoptères, drones, etc.), s’appellent Fatehan-e Khaybar, les conquérants de Khaybar.

C’est le nom d’une zone de population juive pillée et soumise par Mahomet à la suite d’une bataille, marquant l’instauration d’un statut de « dhimmi ».

C’est assez exemplaire de la fuite identitaire dans la zone. La Turquie se veut l’héritière de l’empire ottoman, l’Azerbaïdjan nie sa fraternité historique avec l’Arménie, le Pakistan s’invente une origine turque pour justifier sa séparation de l’Inde.

Toutes ces petites puissantes délirent d’autant plus qu’elles deviennent expansionnistes, et leur militarisme converge avec les grandes puissances en compétition pour le repartage du monde.

On notera d’ailleurs, pour encore plus compliquer les choses, que l’Iran est allié à la Russie et que, pourtant, le président turc Recep Tayyip Erdogan vient de se rendre en Russie, avec à la clef l’annonce d’une possible coopération militaire pour la construction de navires, de sous-marins, d’avions de combat. Cela, alors que la Turquie est membre de l’OTAN et un soutien de l’Ukraine…

On l’aura compris : cela part dans tous les sens, comme avant 1914. Il n’y a pas de cohérence, juste une fuite en avant, une compétition, une pression militariste… C’est l’escalade.

D’ailleurs le 30 août 2021, pour la fête nationale turque (marquant la victoire sur l’offensive grecque), le président turc Recep Tayyip Erdogan a posé la première pierre du futur « pentagone » turc…

Il n’aura pas la forme d’un pentagone, mais d’un croissant islamique ; la surface totale sera de 12,6 millions de m², avec 900 000 de surface pour les bâtiments (soit un tiers de plus que le Pentagone américain).

La tendance à la guerre est très claire et c’est le principal aspect de l’évolution du monde.

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Guerre

Montée des tensions entre la mer Noire et le Golfe Persique en passant par la Transcaucasie

La ligne de front des conflits est immense géographiquement parlant.

Cela barde de plus en plus dans tout un arc de confrontations allant de la mer Noire au Golfe persique, en passant par la Transcaucasie. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, après avoir changé de ministre de l’Intérieur (qui trustait cette position depuis de longues années), a remplacé le ministre de la défense, le chef d’Etat-major, le commandant des forces aériennes d’assaut et celui des forces opérant dans le Donbass.

Et un opposant biélorusse, Vitali Chychov, a été retrouvé pendu en Ukraine, laissant planer bien sûr l’intervention des services secrets biélorusses, alors qu’inversement une opération de propagande est menée avec une athlète biélorusse « fuyant » le Japon pour éviter d’avoir à retourner dans son pays, où des problèmes l’attendraient en raison de sa critique de l’équipe technique des Jeux Olympiques.

Autrement dit, cela n’arrête pas. Et, désormais, il semble que l’Iran soit arrivé de manière directe dans la ligne de mire occidentale. Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni accusent en effet ce pays d’avoir mené une attaque faisant deux morts, au moyen de drones contre le pétrolier japonais Mercer Street, battant pavillon libérien, géré par une société britannique, appartenant à un milliardaire israélien.

Le ton israélien et britannique est particulièrement violent concernant l’exige d’une réplique occidentale collective. En réalité, cela fait des mois que l’Iran et Israël mènent des attaques contre des navires, au moyen de drones, de mines, de saboteurs, etc.

Mais vu avec attention, la montée des tensions s’explique aisément. Comme en Ukraine, il s’agit de cibler un régime favorable à la Chine, là-bas la Russie de Poutine, ici l’Iran islamique chi’ite. À chaque fois, il s’agit de puissance moyenne en terme industriel et militaire, avec un régime fragile, voire bancal concernant l’Iran.

En Ukraine, la pression était retombée du fait de l’échec, relatif, du bloc britannico-américain à entraîner les pays capitalistes de l’Union européenne dans un conflit ouvert contre la Russie. En particulier, l’Allemagne s’était opposée à un tel conflit du fait de ses intérêts propres et de sa stratégie allant dans le même sens que « l’Eurasianisme » promeut par le régime de Moscou.

Concernant Iran, le bloc britannico-américain peut compter sur le ralliement de l’Arabie saoudite et des Émirats, ainsi que sur celui d’Israël, qui sont chauffés à blanc face à l’Iran, sur lequel sont projetés toutes les difficultés internes. Dans ces pays, une large propagande entretient depuis des années une hostilité ouverte contre l’Iran avec des accents militaristes et chauvins toujours plus poussés.

Pour autant, le ralliement des pays de l’Union européenne n’est pas là non plus garanti, avec la France notamment, qui entretient d’importantes forces navales et aériennes dans le secteur, aux Émirats et à Djibouti en particulier, ne se montre pas favorable à un conflit ouvert et reste pour le moment alignée sur l’Allemagne.

C’est cet arrière-plan général qui aide à comprendre la pression qui s’exerce sur les pays de la Transcaucasie, en particulier l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et dans une moindre mesure la Géorgie.

Parce que, effectivement, toute cette partie du monde a été transformé en poudrière.

C’est vrai en particulier pour une Transcaucasie qui participe avec engouement à cette vaste confrontation, dont les intérêts la dépasse, mais qui appuie localement les régimes ou les tendances militaristes et nationalistes chauvines, constituant plus largement des factions ralliées à tel ou tel bloc impérialiste, et pensant ainsi en profiter pour « tirer les marrons du feu ».

L’Azerbaïdjan est ici le pivôt de ces enjeux tragiques. Son régime corrompu, tenu par le clan Aliev, l’entraîne à toutes les compromissions et toutes les aventures.

De fait, l’Azerbaïdjan est poussé à la fuite en avant nationaliste. Le pays a bien tenté ces derniers mois d’exister sur la scène internationale par les compétitions sportives en mode démagogique : grand prix de F1 à Bakou, tenue de matchs de la coupe d’Europe de football, participation aux championnats d’échecs, etc… mais aucune de ces tentatives n’a suscité d’entrain populaire.

Les réseaux sociaux azéris, plus libres que les médias en termes de contrôle de la parole, ont vu fleurir ces derniers mois les critiques acerbes contre la corruption du régime et son caractère cosmopolite décadent, au point même que la presse arménienne a pu largement contribuer à diffuser toutes les nouvelles permettant de discréditer le régime.

Bien sûr, cela se heurte au fait que le plus grand titre de gloire d’Ilham Aliev est l’écrasante victoire obtenue sur l’Arménie, en particulier la reconquête symbolique de Chouchi/Shusha.

Bloqué sur toutes les autres voies, le régime ne cesse ainsi de radicaliser sa position face à l’Arménie et multiplie les provocations et les tentatives d’intimidation contre son voisin. Malgré la position officielle, qui voudrait que la question du Karabagh serait réglée pour Bakou, la propagande chauvine et raciste anti-arménienne ne cesse ainsi de gagner en ampleur.

Et les accrochages meurtriers à la frontière Arménie-Azerbaïdjan ont été nombreux.

De l’autre côté, en Arménie, Nikol Pashinyan est parvenu à se maintenir au pouvoir malgré la défaite, sur la même ligne nationale-libérale. Il faut voir que l’ancien régime militariste pro-russe est très largement déconsidérée dans la population, notamment la jeunesse, mais aussi que Nikol Pashinyan a révisé ses positions en partie.

D’un côté, il s’est aligné officiellement sur Moscou, réclamant même que les frontières avec l’Azerbaïdjan soient désormais gardées par l’armée russe, comme le sont déjà les frontières avec la Turquie. C’est là quelque chose de très clair.

La position militaire de la Russie dans le secteur n’a pour cette raison jamais été aussi forte.

Mais de l’autre, il poursuit néanmoins sa politique pro-européenne : multipliant les accords avec l’Allemagne, notamment en terme de liaison aérienne, et avec la France, en terme de coopération militaire. L’immense ambassade des États-Unis à Yerevan se fait aussi plus active.

En résumé, on a donc un Azerbaïdjan puissant, grand acheteur d’armements et où s’ouvre d’immenses chantiers délirants en terme de BTP financés à coup de pétrodollars, avec tout un projet devant faire de Chouchi/Shusha une ville moderne à l’équipement complet en terme d’infrastructures.

La Turquie notamment cherche à s’y faire une place, voire à satelliser l’Azerbaïdjan, mais elle est dépassée en terme de capitaux par les moyens de l’Allemagne et de ses alliés, notamment la Suisse et l’Autriche, soucieux de renforcer leurs positions dans ce pays.

La Suisse est de fait un élément clef de toutes les finances d’Azerbaïdjan, qui vient d’ailleurs d’ouvrir un bureau commercial en Israël.

L’Arménie de son côté n’est qu’une bonne affaire que chacun soutient en vue de faire pression sur Bakou afin de pousser le régime à toujours plus de dépendance, de militairisme et de corruption, entraînant l’Arménie sur la même pente.

Mais avec la confrontation ouverte qui se dessine entre le bloc britannico-américain et les pays favorables à Pékin, Russie et Iran notamment, la situation risque bien de virer du tragique à l’apocalyptique.

L’Iran a annoncé la semaine passée sa volonté d’intervenir au Karabagh pour assurer la paix, afin d’éviter que l’Azerbaïdjan ne bascule trop nettement dans le camp occidental, ou du moins afin de verrouiller la situation, là aussi en instrumentalisant l’Arménie contre Bakou.

Il faut voir que pour Téhéran il y a là une question essentielle : tout le nord du pays autour de Tabriz consiste en une zone turcophone traditionnellement instable, voire hostile, qui est d’ailleurs l’Azerbaïdjan historique, le pays nommé aujourd’hui « Azerbaïdjan » n’en étant que le prolongement Transcaucasien.

Il faut également souligner que l’Afghanistan, en proie à un désastre depuis sa conquête par la superpuissance soviétique en 1979, est en train de tomber de nouveau aux mains des Talibans, avec pour le coup cette fois un appui chinois.

Toute offensive ouverte dans le Golfe persique contre l’Iran aura donc nécessairement des répercussions dramatiques en Transcaucasie d’un côté, vers l’Afghanistan de l’autre, et dans tous les cas notamment sur l’Arménie, dont l’existence ne tient de plus en plus qu’aux intérêts instables et aux manœuvres machiavéliques des puissances engagées dans ces conflits.

Il n’y a là pourtant aucun « plan » justement, c’est littéralement le sac de nœuds et l’issue, c’est la guerre et le déchirement de la région, tout cela pour satisfaire les intérêts des grandes puissances.

Et la clef, ce qui décide de la tendance générale, c’est l’affrontement entre la superpuissance américaine et son challenger chinois.

Les autres affrontements sont ce même affrontement, indirect et oblique, avec comme objectif de « bloquer » l’influence de la Chine et de ses soutiens plus ou moins alignés sur un front coupant le Proche-Orient sur cet axe mer Noire-Golfe Persique d’une part et d’autre part dans le Pacifique.

Le long de ces « fronts » la superpuissance américaine et ses alliés allument des foyers de tensions visant à multiplier les crises et à fragiliser toujours plus Pékin, alors que la Mer de Chine devient un point névralgique. L’Allemagne vient d’ailleurs d’y envoyer une frégate d’attaque et l’Inde envoie elle quatre navires de guerre de première ligne.

Le dispositif de guerre, avec des visées impériales, s’installe de manière plus forte, plus complexe, et comme avant 1914, les masses sont aveugles encore… d’où la nécessité, comme à l’époque, d’assumer les fondements de la Gauche historique et de présenter cette actualité, de la dénoncer, de la combattre!

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Guerre

Vers la guerre: l’opération américaine en Irak de janvier 2020

Il n’y a pas que les grandes puissances qui veulent la guerre parce qu’elles en ont besoin. C’est également vrai des pays cherchant une forme d’hégémonie : l’Inde, le Pakistan, la Turquie… et bien entendu l’Iran. Les États-Unis s’approprieraient bien l’Iran et l’Iran s’approprierait bien l’Irak. Dans un contexte de repartage du monde, c’est une poudrière.

Lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak de Saddam Hussein, dans ce qui fut appelé la guerre du golfe en 1990-1991, la Gauche s’est lourdement trompée en dénonçant simplement les États-Unis, alors que le conflit avait deux aspects. Les gens comme l’Irakien Saddam Hussein ou le Serbe Slobodan Milošević, il y en a encore aujourd’hui et ils s’appellent Recep Tayyip Erdoğan en Turquie ou Hassan Rohani en Iran.

On est ici dans une tendance à la guerre – c’est Saddam Hussein qui envahit le Koweït initialement – qui s’oppose à la paix et à la démocratie. Des puissances grandes, moyennes, petites… oppriment leur peuple et cherchent l’hégémonie aux dépens d’autres pays, ou bien carrément la prise de contrôle complète. Les petites puissances sont en partie aux mains des moyennes, les moyennes aux mains des grandes.

Mais aucune de ces puissances n’a besoin de quelqu’un d’autre pour être antidémocratique et pour chercher la guerre comme échappatoire à la crise. L’Iran, une théocratie horrible, opprimant les peuples de ce pays de manière terroriste, pratique ainsi la fuite en avant et le militarisme généralisé, et n’a besoin de personne pour cela. Les manifestations de novembre dernier ont d’ailleurs été réprimées dans le sang avec des centaines de morts.

L’un des moyens de ce terrorisme d’État, ce sont les Pasdaran ou Gardiens de la révolution, une force à côté de l’État disposant d’un armement massif et qui contrôle 30% de l’économie iranienne. Qassem Soleimani en a été un de ses principaux commandants historiques, dirigeant ensuite sa section « non-conventionnelles » avec notamment des opérations « extérieures », dénommées Force Al-Qods (nom arabe de Jérusalem), en Syrie lors de la guerre civile.

Il a été dans ce cadre le stratège de la très forte pénétration iranienne au Liban, ainsi qu’en Irak, et c’est dans ce dernier pays, à Bagdad, qu’il est mort dans un bombardement américain.

Les États-Unis montrent ainsi qu’ils veulent reprendre la main sur l’Irak, passé pour beaucoup sous hégémonie iranienne, alors qu’une révolte contre le régime en décembre 2019 a déjà fait 460 morts et 25 000 blessés, notamment sous les coups des milices pro-iraniennes appelées Hachd al-Chaabi (Unités de mobilisation populaire).

Les bases américaines étaient régulièrement harcelées militairement, avec un contractant américain tué par la milice Kataëb Hezbollah récemment. Le 29 décembre, les États-Unis avaient alors visé une faction armée pro-iranienne en Irak, juste à la frontière avec la Syrie, faisant 25 morts.

En réponse, une manifestation était allée jusqu’à l’ambassade américaine à Bagdad, cherchant à y pénétrer et n’étant repoussé que par les forces américaines armées, le 31 décembre. Donald Trump avait alors publié un tweet, où il disait notamment :

« Ils paieront LE PRIX FORT ! Ceci n’est pas une mise en garde, c’est une menace. Bonne année ! »

Qassem Soleimani est alors victime du bombardement américain, le 3 janvier 2020.

Pour comprendre l’affront à l’État iranien, il suffit de voir que ce dernier a rétabli en mars 2019 la décoration de l’Ordre de Zulfikar, aboli lors de la « révolution iranienne » de 1979 et auparavant mise en place par le régime monarchique. C’est alors Qassem Soleimani qui l’a obtenu. La revue de politique extérieure Global Thinkers avait également placé Qassem Soleimani numéro un à son classement de 2019 des gens les plus influents dans le domaine de la défense et de la sécurité.

On est donc déjà dans une guerre, une guerre larvée, mais qui annonce la guerre ouverte. Et derrière l’Iran, il y a aussi la Russie et la Chine, l’aspect principal du conflit mondial, c’est l’affrontement sino-américain. Ce qui ne signifie pas que les pays européens, y compris la France, ne contribuent pas puissamment à cette tendance à la guerre.

On en est revenu à la veille de 1914 – et on a besoin d’une Gauche capable de l’emporter pour stopper la guerre.

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Vers la Guerre: les tensions militaires dans le détroit d’Ormuz

Depuis ce vendredi 27 décembre, un vaste exercice militaire conjoint entre l’Iran, la Russie et la Chine a lieu en mer d’Oman. L’exercice doit durer plus de quatre jours et sonne comme un nouveau avertissement quant aux jeux d’alliances entre puissances qui tendent à faire basculer le monde dans un conflit généralisé.

C’est une nouvelle épreuve de force que l’exercice de coopération navale militaire entre l’Iran, la Chine et la Russie qui se déroule entre le 27 et le 30 décembre dans le détroit d’Ormuz.

La Russie a dépêché trois de ses navires, dont une frégate, un pétrolier et remorqueur. La Chine en a, quant à elle, profité pour renouveler les tests sur l’un de ses redoutables destroyer, le Xining 052D mis en route en janvier 2017 et composé de missiles guidés.

Cela n’est pas anodin puisque ce type de destroyer, considéré comme l’un des meilleurs au monde et le plus moderne de l’armée chinoise, a été lancé à la construction en 2012 avec l’objectif d’en détenir à l’horizon 2030 une douzaine, le Xining 052D étant le cinquième mis en service.

Le partenariat militaire de la Chine dans cette zone est capitale pour s’assurer d’une totale souveraineté commerciale vis-à-vis des États-Unis, stratégie consolidée par la militarisation des îles en mer de Chine orientale et l’ouverture d’une « nouvelle route de la soie » à l’ouest du pays.

Cet exercice militaire a ainsi été salué par l’Iran, y voyant là la constitution d’un « nouveau triangle de pouvoir maritime », taclant les États-Unis sur le fait que le pays ne pouvait « être isolé ».

C’est une question essentielle pour l’Iran, rongé par une contestation intérieure contre le régime à la suite de l’élévation du prix du carburant (notamment à cause de l’embargo américain).

Tirant sa position de la rente pétrolière, la fraction au pouvoir en République islamique d’Iran vacille. Il lui faut assurer son pouvoir, en assurant un leadership militaire régional et cela passe par l’unité militaire et nationale pour contre-carrer les pressions populaires intérieures.

Il faut dire que depuis 2018, la tension est des plus fortes dans le détroit d’Ormuz, véritable poudrière en tant que carrefour stratégique pour le transit d’un cinquième du pétrole mondial.

Après la sortie unilatérale des États-Unis en 2018 de l’accord de Vienne signé en 2015 afin d’encadrer le programme nucléaire Iranien, de nouvelles sanctions économiques contre l’Iran ont mis en difficulté le pays.

À cela s’est ajoutée l’attaque de pétroliers par des mines flottantes au large de l’Iran le 13 juin 2019, suspectée par les États-Unis d’être commanditée par l’Iran. Les États-Unis avaient ainsi renforcé leur présence locale en débarquant mille nouveaux soldats.

Bref, avec cette opération de coopération navale en mer d’Oman, on assiste à la constitution d’un bloc militaire supervisé par la Chine opposé au bloc militaire de l’OTAN supervisé par les États-Unis.

Ce nouveau bloc militaire s’était déjà rendu visible avec l’opération Vostok en septembre 2018, un immense exercice entre Extrême-Orient russe rassemblant la Russie, la Chine et la Turquie. Ce furent plus de 30 000 soldats, un millier d’engins aériens, 36 000 véhicules terrestre, et 8 navires qui participèrent à cette manœuvre.

Ces deux blocs sont bien évidemment traversés par des contradictions, comme lorsque les États-Unis ne parviennent pas à convaincre le Japon ou l’Allemagne de constituer une coopération navale dans la zone du moyen-orient.

La guerre générale prend une tournure toujours plus réelle, toujours plus concrète, alimentée par des poudrières régionales et dont les contours relèvent de plus en plus d’un affrontement entre ces deux blocs.

Ce qui se joue, c’est la mécanique infernale des jeux d’alliance entre puissances sur fond d’aiguisement de la concurrence économique et de tensions sociales. Cette mécanique est terriblement connue comme celle ayant fait basculer le monde dans d’atroces guerres mondiales au siècle dernier.

Il est temps que la Gauche et l’ensemble des forces démocratiques se ressaisissent pour construire une mobilisation populaire contre cette nouvelle guerre qui vient.

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Non à l’intervention militaire, aux bombardements en Syrie!

La guerre, la guerre et toujours la guerre ! A force de se tourner vers le protectionnisme et le nationalisme comme seules solutions « accessibles », les pays les plus développés assument la compétition « géopolitique », avec l’assentiment d’une partie significative de la population.

Ce que cela signifie, c’est simplement la guerre, il faut bien le dire. Et on est tellement dans un jeu malsain que c’est par un message Twitter que Donald Trump l’escalade, disant à la Russie de se tenir prête face à l’intervention américaine en Syrie.

« La Russie jure d’abattre n’importe quel missile tiré sur la Syrie. Que la Russie se tienne prête, car ils arrivent, beaux, nouveaux et “intelligents” ! Vous ne devriez pas vous associer à un Animal qui Tue avec du Gaz, qui tue son peuple et aime cela. »

Il n’a pas hésité à écrire, pour en rajouter :

« Notre relation avec la Russie est pire maintenant qu’elle ne l’a jamais été, et cela inclut la Guerre froide. »

C’est là préparer l’opinion publique à la guerre, avec des cibles désignées : la Syrie tout d’abord, mais également l’Iran, ainsi que la Russie elle-même.

La visite du prince héritier saoudien,  Son Altesse Royale le prince Mohammed ben Salman ben Abdulaziz al-Saoud, à Paris ces derniers jours – il a pu manger son repas avec Emmanuel Macron devant le tableau « La liberté guidant le peuple », quelle honte – participe à ce mécano militariste, puisque l’Arabie Saoudite prône la guerre contre l’Iran.

L’Arabie Saoudite a même reconnu que les Israéliens avaient droit à un territoire, rompant avec sa position officielle traditionnelle, montrant qu’on est désormais dans le dur, dans le concret, dans la « realpolitik ».

La Grande-Bretagne l’a bien compris et Theresa May a ordonné l’envoi de sous-marins à proximité de la Syrie, alors qu’un autre sous-marin fait des manœuvres avec deux navires américains dans la zone arctique, pour la première fois depuis dix ans.

Cela va cogner et il faut avoir suffisamment de réseaux, d’alliances, de participations ici et là pour tenir. Ne pas comprendre que cela va cogner ou pire le nier est une faillite intellectuelle et morale – la guerre est inévitable, à moins de changements de régimes dans les pays concernés.

C’est bien pour cela, justement, que l’Europe comme projet politique a eu tellement de succès chez les peuples. L’Europe permet, en théorie, de dépasser les nationalismes, les patriotismes étriqués, et il y a 25 ans tous les Français pensaient qu’il y aurait à moyen terme un passeport européen, et bientôt un gouvernement européen, des États-Unis d’Europe.

C’est pour cela que beaucoup de gens croient encore en l’Union Européenne comme moyen d’éviter les conflits, tout en espérant souvent, en même temps, de manière directement impérialiste, que cela soit un empire face aux États-Unis et à la Chine.

Naturellement, c’est au nom des droits de l’homme encore une fois que les missiles sont présentés comme essentiels. L’hypothèse d’une attaque chimique en Syrie à Douma du 7 avril sert ici de prétexte à une immense campagne en faveur de la guerre, tout comme la question kurde pour l’intervention française annoncée il y a quelques jours.

Il ne s’agit pas ici, naturellement, de dédouaner la Syrie, l’Iran et la Russie. Ces régimes sont odieux. Cependant, l’ennemi c’est toujours notre propre nationalisme, notre propre chauvinisme, notre propre impérialisme. Les prétextes pour refuser cela ont permis la guerre de 1914-1918, alors qu’une révolte dans un pays aurait produit des révoltes dans les autres.

Il ne faut jamais accepter les initiatives militaires, militaristes, de la part de son propre pays !