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Le goût du Kebab, c’est la marinade

Et seulement la marinade.

L’anecdote racontée par Le Parisien est la suivante : deux membres de l’équipe du « Meilleur kebab de Paris » ont ouvert un kebab juste à côté, « Les frères des Batignolles », provoquant naturellement un procès dans la foulée pour concurrence déloyale. L’histoire fait du bruit, car le premier kebab connaissait un très grand succès, avec jusqu’à trois-quart d’heure de queue. Le cuisinier explique cela ainsi :

« Un kebab, on y retourne pour le goût. Et le goût, c’est moi. J’ai inventé notre marinade au gramme près. »

Et il a raison, car contrairement à ce que pensent les gens le plus souvent, ce n’est pas du tout la viande qui donne le goût au kebab, mais la marinade. La viande du kebab, en fait du Döner kebab, n’a en effet aucun goût, et pour cause : c’est un produit de l’industrialisation systématisée de l’alimentation d’origine animale. C’est ce qu’on appelle la « malbouffe », un terme inapproprié ou plutôt insuffisant puisqu’il ne prend pas en compte la question animale.

Ce qui s’est déroule est assez simple. Historiquement, les viandes grillées et assaisonnées ont été utilisées dans ce qui relève, pour schématiser, de la Perse et de l’empire ottoman. Au 19e siècle, dans la ville de Bursa en Turquie actuelle, un cuisinier met en place un rôtissoire vertical, en enlevant les os et les nerfs, coupant des tranches longues.

Puis au 20e siècle, l’idée est récupérée et modifiée. Le principe est de récupérer tous les restes de viande de l’agro-industrie, les morceaux les moins chers possibles, souvent invendables. Comme l’agro-industrie commence à employer de manière toujours plus massive les animaux, ces morceaux sont de plus en plus nombreux et forment le cœur même du bénéfice des commerçants de kebabs, toujours plus nombreux.

Ces morceaux, de viandes issues d’animaux différents, sont découpés et pétris jusqu’à former un grand ensemble. Et c’est là que le marinade intervient. Ces morceaux de viande rassemblés dans un tas informe sont en effet horribles à tous les niveaux : de par ce qu’elles induisent dans le rapport aux animaux, sur le plan de la santé, du point de vue nutritif… Mais pour les commerçants c’est un moyen de rembourrer le consommateur et pour faire passer cela, ils font longuement tremper la viande dans la marinade.

D’où les tranches fines des kebabs. On ne mange pas de la viande, mais de la viande assaisonnée, l’assaisonnement donnant le goût, la viande n’étant que là pour étouffer l’estomac.

En quoi consiste la marinade ? Voici un exemple tiré d’un site de recettes :

2 cuillères à soupe de paprika, 1 cuillère à soupe d’ail moulu, 1 cuillère à soupe de sel (ou moins selon les goûts), 1 cuillère à soupe de poivre (ou moins selon les goûts), 1 cuillère à soupe de gingembre, 1 cuillère à soupe d’herbes de Provence, 2 cuillère à soupe de curry, ajouter une cuillère à soupe de vinaigre de vin et deux trois cuillères à soupe d’huile d’olive.

Un article sur Slate propose la marinade suivante :

Jus de 2 oignons, 1 gousse d’ail, du jus de citron, 1 cuillère à café de thym[1], une pincée de piment, sel, poivre, une cuillère à soupe d’huile d’olive, une cuillère à soupe de lait. 500 g de yaourt à la grecque.

Il va de soi que les commerçants utilisent des quantités bien plus nombreuses à quoi s’ajoutent des additifs alimentaires pour conserver la viande. En fait les commerçants ne préparent pas cela non plus, ils se la procurent auprès de producteurs industriels (il y en a 600 en Allemagne, pays où l’on trouve 16 000 commerces de kebabs). On est ici au même niveau que McDonalds et les petits commerçants de kebabs en sont un équivalent à petite échelle.

Et ce qui est marquant, c’est qu’il n’y a jusqu’à présent aucune critique du kebab, au contraire même : le kebab serait populaire, artisanal, authentique, accessible. C’est là une terrible escroquerie. Les kebabs sont le simple produit d’une industrie utilisant massivement les animaux et dont les restes sont bricolés pour être vendus à un public se nourrissant sur le tas et cherchant un sentiment de satiété.

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Non, Benoît Hamon, le kebab n’est certainement pas un apport culturel

Voulant combattre le racisme à Béziers, Benoît Hamon a mangé un kebab et l’a revendiqué. Cela représente pourtant le degré le plus haut de souffrance animale, d’exploitation des travailleurs, d’alimentation anti-diététique, de produit ultra vite fait et ultra mal fait mais appétant, de petit commerce agressif et prêt à tout.

Benoît Hamon est, parmi toutes les figures actuelles de la Gauche, sans doute celle qui est la plus ouverte à l’esprit alternatif sur le plan du mode de vie. Il a très certainement de la sympathie pour l’esprit authentique des rastas, du respect pour les vegans, un intérêt pour les hippies, et si on lui parle du skate punk californien, il dira très certainement que c’est fort intéressant et nettement positif. Malheureusement, cela reste indéniablement extérieur à lui. Et de nos jours, le capitalisme est tellement puissant qu’on ne peut pas être alternatif à moitié.

Ainsi, Benoît Hamon a succombé à son manque de rigueur, à son formatage bourgeois. Cela part d’un bon sentiment, il est vrai : il est à Béziers, une ville dont le maire Robert Ménard joue sur la corde identitaire et nationaliste autant qu’il peut, dans une région fortement marquée par un racisme revendiqué. Il est également accompagné de Naïma Charaï, élue bordelaise à qui Robert Ménard intente un procès en diffamation.

Elle avait dit dans la presse l’an passé que celui-ci a été condamné pour incitation à la haine raciale. Le jugement avait en fait été réformé en appel (et non « cassé » comme le dit Benoît Hamon, qui confond avec un pourvoi en cassation). Dans ce cas, l’arrêt rendu par la cours d’appel rend caduque le jugement initial – c’est comme s’il n’avait jamais existé, puisqu’il est considéré que l’affaire a été mal jugée. Au sens strict, Naïma Charaï ne peut donc pas dire que Robert Ménard a été condamné pour incitation à la haine raciale.

Tout cela pour dire que, donc, jeudi 16 mai 2019, Benoît Hamon s’est filmé en train de manger un kebab, envoyant une « dédicace » à Robert Ménard, Marine Le Pen et Jordan Bardella. La publication a même été « épinglée » sur son compte Twitter de manière à ce qu’elle reste visible un long moment, dans le but d’en faire une actualité politique anti-raciste. Peut-on être pourtant plus incohérent ?

Il est invraisemblable qu’en 2019, il y ait des gens à Gauche pour valoriser le kebab. Pourquoi le kebab est-il si peu cher ? Parce que les animaux qui ont servi pour la viande ont connu le pire des enfers, dans le cadre d’un capitalisme ultra-agressif. Il ne s’agit pas seulement d’animaux par définition dans les abattoirs, il s’agit d’animaux connaissant le pire des abattoirs, car il s’agit ici de fournir la viande la moins chère de toutes. Les gens qui ont servi dans les abattoirs et pour les livraisons font partie des prolétaires les plus pressurisés, les plus exploités, en plus du caractère démolisseur psychologiquement de leur travail pour les premiers.

 

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Spéciale dédicace à Robert Menard, @marine_lepen, @jordanbardella, en direct du meilleur kebab de #Beziers 📸 @teofaure

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Le kebab est également ultra appétant, à coups de sauces grasses mélangées aux viandes, à la fois pour masquer le goût ignoble (les viandes étant les pires restes des secteurs déjà les plus agressifs de cette industrie) et pour contribuer à l’empiffrage, qui est le principal « plaisir » du kebab, comme pour la pizza, le hamburger ou le tacos. C’est le principe de la malbouffe et cela a un succès gigantesque dans notre pays.

C’est donc une catastrophe. Et il est tout aussi catastrophique de parler du couscous en le plaçant au même degré que le kebab, comme le fait Benoît Hamon par anti-racisme. Le kebab est une invention très récente, faite par des commerçants turcs à Berlin. Sa nature est industrielle, commerciale, un équivalent du hamburger ou du hot-dog.

Le couscous est quant à lui un plat relevant de la culture populaire, avec un profond équilibre nutritif, une recherche gustative au moyen d’une grande finesse dans le choix des éléments. Ce n’est pas une accumulation des pires viandes mélangée à de la sauce, coupée en petits morceaux et mélangés avec le fameux triptyque salade – tomates – oignons, dans un pain dont rien que la digestion coûte plus d’énergie au corps qu’il n’en apporte, avec des frites surgelées !

Si on conclut en plus en disant que les kebabs sont des repères patriarcaux, on aura tout dit. Benoît Hamon aurait dû comprendre le piège tendu par Robert Ménard qui ne cesse de dénoncer les kebabs depuis plusieurs années. Il aurait dû comprendre qu’il l’a fait pour se donner une image anticapitaliste romantique auprès des masses, qui ne sont pas dupes de ce que représente le kebab. Quant aux jeunes qui vont au kebab (surtout des jeunes hommes), ils le font passivement et s’en moqueront que Benoît Hamon le fasse également.

Les gens qui prennent des kebabs sont autant passifs que ceux qui vont au McDonald’s, et sont d’ailleurs souvent les mêmes. Quand on est à Gauche, on le voit bien et on comprend qu’il y a un problème. Benoît Hamon ferait mieux d’aller chercher l’adolescente qui se met à l’écart de ces lieux de commerce où règne l’attitude beauf par rapport au monde tel qu’il est, et qui bataille contre ses parents pour pouvoir assumer son véganisme. S’il y a quelque part de la dignité, l’avenir de la Gauche et même du monde, c’est bien là, et pas dans un kebab.