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Société

Communiqué de la librairie Meura après le scandale des livres déchirés à la Faculté de droit de Lille

Voici le communiqué publié par la librairie Meura juste après le scandale des livres déchirés à la Faculté de droit de Lille. Ce communiqué est d’une grande dignité face à cet acte consternant, de la part de certains étudiants assumant un nihilisme insupportable tellement il est rétrograde, pour ne pas dire fascisant.

« Le 12 novembre, François Hollande était invité à la Faculté de droit de Lille, à l’occasion de la parution de son dernier livre.

La librairie Meura a été sollicitée pour vendre ce livre dans l’amphithéâtre. Nous avons préparé la rencontre avec la librairie L’Affranchie. L’ampleur des réservations annonçait un événement que nous n’aurions pu supporter seule. Alors nous avons allié nos forces.

Avant l’arrivée de l’auteur, l’amphithéâtre a été envahi par des manifestants. Certains se sont immédiatement saisis des livres disposés sur la table et ont commencé à les déchiqueter. L’espace dédié aux libraires a été saccagé.

Lorsque je me suis approchée des manifestants, dans l’espoir de sauver les 3 cartons restants, rangés sous le stand, j’ai expliqué que ces livres étaient fournis par des libraires, qui plus est indépendants et petites.

On m’a répondu avec un grand sourire et un haussement d’épaule : « elle se fera rembourser! ».

Je me suis éloignée quand j’ai constaté qu’en quelques secondes, ces cartons ont été aspergés de café.

J’ai assisté à la destruction méthodique de tous les exemplaires disponibles, au piétinement et à la disparition de notre matériel.

Parmi les manifestants, plusieurs se sont ensuite désolidarisés de leurs camarades et sont venus s’excuser ou manifester leur soutien. Je les en remercie.

Mais je n’oublierai pas que certains ont trouvé normal de détruire des livres. En justifiant le geste de déchiqueter chaque livre par la situation dramatique de ce jeune homme à Lyon.

Comment faire entendre notre parole dans ce cas, sans apparaître comme un petit boutiquier plus occupé à pleurer un bien matériel qu’à se battre pour une vie humaine?

En justifiant le geste d’arracher les pages des livres une à une par le refus de discuter avec un auteur honni.

Comment continuer à travailler dans une librairie, indépendante, spécialisée, s’il n’est plus envisageable de parler avec ceux qu’on abhorre? La démocratie exige l’échange. La vie en communauté passe par la coexistence avec ceux que tout nous oppose.

Notre métier n’a pas de sens s’il ne permet pas la discussion des contraires et la formation d’esprits libres.

Pour une librairie de sciences humaines, c’est même son essence. La discussion des idées, la contradiction dans la discussion.

En justifiant enfin le geste de faire disparaître des livres par notre participation au système capitaliste. Nous sommes des commerçants, certes. Des libraires. Le commerce le moins rentable de France. Des libraires indépendants. Qui savent travailler ensemble si nécessaire. Parce que nous sommes des économies fragiles, nous savons l’importance du collectif.

Nous savons qu’à plusieurs, nous unissons des forces et pallions nos faiblesses. Des libraires qui défendent des fonds difficiles, exigeants. Pour qui la rentabilité n’est qu’un outil au service d’une belle idée: la liberté de penser. Qui faisons vivre nos lieux à bout de bras, à bout de doigts. À bout de souffle.

Les assurances ne prendront pas en charge le dommage. En revanche, l’Université a immédiatement fait savoir qu’elle nous soutiendrait. Cela semblera peut être normal pour le grand révolutionnaire en peau de lapin qui m’a répondu avec ce grand sourire. Il pourra s’acheter ainsi une bonne conscience à peu de frais pour lui.

Les faits sont là. Des livres ont été détruits.

En toute conscience. Par des personnes qui ont été à l’école et qui n’ignorent donc pas l’histoire.

Nous ne souhaitons ni amalgame, ni généralisation. Nombreux ont été ceux, sur le moment, à nous manifester leur soutien.

Mais je ne pensais pas vivre en France en 2019 la destruction de livres.

Évidemment que la perte de livres n’est rien en comparaison des situations difficiles que traversent beaucoup de personnes.

Mais je suis heureuse que Soazic Courbet, de la librairie l’Affranchie, ni aucun autre libraire n’ait assisté à ce qui s’est passé. Les violences symboliques sont, ils me semblent, tout aussi insupportables.

Il est tout aussi insupportable de penser à tous ceux qui vont allègrement récupérer cet événement.

Nous remercions tous ceux qui nous ont apporté leur soutien. Y compris ceux qui mettent en place des actions de collectes ou incitent à venir dans nos librairies (vraiment, n’oubliez pas l’Affranchie, notre partenaire d’infortune).

Sincèrement.

Mais nous rappelons que l’essentiel, hier, ne pourra pas être racheté avec des espèces sonnantes et trébuchantes.

Une plainte va être déposée prochainement. »

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Réflexions

Les livres, les médicaments et les produits ménagers, une apparence trompeuse

Une réflexion sur les objets pratiques du quotidien est tout à fait nécessaire à qui ne veut pas perdre le sens des choses. Le capitalisme veut qu’on accumule des marchandises pour en faire des fétiches : faire réapparaître l’utilité est une tâche tout à fait nécessaire.

salon bibliothèque

Dans les logements, il y a notamment trois choses qui s’accumulent. En trois endroits différents des objets s’amoncellent, regroupés selon leur nature similaire et devant donner une certaine image de l’habitation.

La bibliothèque est de rigueur ; elle est plus ou moins grande, recherchant plus ou moins de prestige. Les ouvrages qui y sont disposés n’en sont pas moins pas lus, ils servent au prestige. Une tradition bourgeoise veut d’ailleurs que les ouvrages sur l’art, épais et haut, soient disposés de manière bien visible, pour former un bloc imposant.

Les médicaments, achetés au fur et à mesure, sont eux masqués dans une armoire ou sur une étagère ; ils forment un tas grotesque, les paquets ouverts ne se distinguant pas de ceux fermés, alors que de toute façon les dates de péremption ne sont plus vraiment pris en compte. Ils sont là au cas où, sans par ailleurs on sache vraiment ce qu’il y a et ce qu’il n’y a pas.

Les produits ménagers sont quant à eux un peu comme les outils dans leur caisse, cependant on s’en sert plus souvent, aussi leur dignité pratique est elle plus forte. Souvent rangés sous l’évier, ils consistent en des bouteilles en plastique assez solides et en des bidon plus ou moins pleins. Leurs fonctions sont très diverses et souvent seule la ménagère sait vraiment ce qu’il y a là, tout comme le ménager – le terme n’existe pas – sait ce qu’il y a comme outils.

Tout cela ne va pas, ne va pas du tout. Ce phénomène des livres, des médicaments, des produits ménagers, témoignent à la fois du chaos des achats individuels, d’une accumulation sans réflexion, de la reproduction des comportements de la génération d’avant.

Ces choses qui n’ont l’air de rien jouent un vrai rôle culturel dans la vie quotidienne, dans l’impression d’avoir une vie sérieuse, puisqu’on fait comme ses parents, puisqu’on a tout ce qu’il faut comme il faut, puisqu’on a des choses qu’il est nécessaire d’avoir comme preuve que c’est bien son logement, son habitation à soi, sa propre vie.

Encore que les livres ne sont pas une obligation, les couches populaires se voyant souvent exclus à ce niveau. On aurait tort ici de ne pas voir l’intérêt pour elles de la religion. Cette dernière exige des livres et les couches populaires apprécient de se voir trouver un accès à eux. Malheureusement, ce sont des livres aliénants, faisant perdre la raison, donnant de faux espoirs. Mais, donc, ces livres représentent aussi une dignité retrouvée, d’autant plus s’il y a une petite bibliothèque les amassant.

Il faut donc prendre en considération que les choses devront être différentes. Qu’est-ce que le Socialisme peut proposer ici ?

L’idée de base tombe sous le sens : il faut considérer les choses selon l’angle collectif. Si l’on prend par exemple un petit immeuble, imaginons de 15 habitations, il faudrait obligatoirement des endroits où retrouver ce qui n’est pas utilisé quotidiennement et qui n’est pas personnel en soi :

– un local servant de bibliothèque, avec un minimum d’espace, idéalement même au dernier étage, avec une verrière, pouvant servir comme atelier artistique ;

– un local pour ranger les outils partagés collectivement, idéalement un petit atelier ;

– un local pour ranger les produits ménagers ;

– un local pour ranger les médicaments.

Ce dernier point est en apparence le plus délicat, car les prescriptions sont personnelles. En réalité, cela forcera les gens à bien distinguer les médicaments généralistes de ceux vraiment personnels. Qui plus est cela permettra à des instances hospitalières de passer voir de temps en temps ces médicaments pour voir ce qu’il en est. C’est une supervision sociale nécessaire pour une question aussi importante sur le plan de la santé et le chaos individuel de la société capitaliste amène beaucoup de dangers.

Pour les produits ménagers, il faut également arrêter son fétichisme : on ne débouche pas son éviter avec une pompe tous les jours, on n’utilise pas un furet tous les deux jours non plus, pas plus qu’on ne lave le sol chaque semaine. Ranger cela collectivement permettra inversement d’avoir un meilleur aperçu de ce qu’on fait ou pas, et par conséquent de planifier réellement son activité. Le problème bien connu ici étant que les gens ne font soit rien, soit beaucoup trop par aliénation.

Pour poursuivre dans l’idée, chaque bloc d’habitation devrait disposer également d’un local à vélos et d’une laverie collective, permettant de disposer de meilleures machines de lavage, avec des horaires de partage bien délimités. Mais cela est une autre question, même si le principe est le même : la révolutionnarisation de la vie quotidienne, par et pour le Socialisme.