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Culture & esthétique

Nescafé et le métissage avec la Cumbia

Nous sommes en 1981 et la multinationale Nestlé lance une campagne internationale pour son café soluble, Nescafé (dont le nom mixe Nestlé et Café). La chanson à l’arrière-plan atteint une formidable popularité, avec son air entraînant.

Voici la chanson utilisée pour la publicité, qui a atteint une grande renommée alors, tant en France (et d’autres pays européens) qu’en Amérique latine.

Par la suite, Nestlé a dû sacrément mettre à la poche et payer les ayant-droits. La chanson était en effet une reprise. C’est bien de la Cumbia, une musique colombienne d’esclaves africains passée au prisme des influences des Caraïbes et amérindiennes, tant au niveau des innombrables instruments que du tempo, du refrain, etc.

Cependant, la chanson originale de 1977 relevait de la Cumbia du Pérou, qui a eu une influence du rock psychédélique notamment. On est dans le métissage le plus complet, la synthèse en pleine action (les post-modernes diraient que c’est de la « réappropriation culturelle »).

Si la chanson originale n’est pas extraordinaire, la Cumbia péruvienne, ou Chicha, ou Cumbia tropicale andine, dispose d’un patrimoine exceptionnel, dont voici deux exemples résolument bluffants.

La chicha est née du départ de paysans andins pour la banlieue de Lima ; on est ici à une époque où ces zones, tant les Andes que les banlieues de Lima, vont justement former le bastion des maoïstes du Parti Communiste du Pérou (le fameux « Sentier lumineux » des médias).

La Cumbia dans sa version moderne est pour ainsi dire une musique typique de ces paysans débarquant dans l’urbanisation, avec la rencontre de la musique traditionnelle et de son souci populaire d’un côté, des instruments modernes et de l’approfondissement musical expérimental de l’autre.

On retrouve la Cumbia dans la plupart des pays d’Amérique latine suivant ce modèle. Voici un exemple d’Argentine, avec un sous-genre populaire-vulgaire qui eut son succès.

Chaque pays latino-américain a même repris la Cumbia à sa manière, ou emprunté un style d’un autre pays pour l’adapter à sa manière, pour le meilleur et le pire, car ce sont des musiques populaires et on tombe malheureusement aisément dans le côté facile, commercial.

Si on ajoute à cela que chaque région est très riche musicalement, cela donne une multitude sans fin de genres et de sous-genres de Cumbia, avec à chaque fois – en raison de l’esprit latino – une codification extrême du style dans l’apparence et la danse. C’est enjoué, mais cadencé, libéré mais très cadré, dans ce paradoxe typiquement latino-américain.

Rien que pour les variantes mexicaines cela donne comme liste de genre : Cumbia norteña, Cumbia Texmex, Tecnocumbia, Cumbia sonidera, Cumbia del sureste, Cumbia Sureña mexicana, Cumbia Andina Mexicana, Cumbia Banda, Cumbia saxofonera, Cumbia rock, Cumbia mariachi, Cumbia poblana, Cumbia peñonera, Cumbia texana, Cumbia ranchera, Cumbia grupera ou tecnocumbia, Cumbia estadounidense, Cumbia ska, Cumbia Tribalera, Electro Cumbia, Cumbia huapango/Cumbia huapanguera o de la huasteca y michoacana.

Voici un exemple avec la représentante de son propre style, la « Anarcumbia » à l’esprit féministe assumé, attention hypnose musicale garantie.

Pour finir, voici un mix de la nouvelle vague Cumbia chilienne, encore un témoignage du côté circulaire et entraînant de la Cumbia.

La publicité de Nescafé relevait classiquement de la « mondialisation » et on cerne ici bien les deux aspects. D’un côté, c’est du capitalisme, de l’autre il y a l’inexorable avancée dans la rencontre – fusion des masses mondiales.

Et ce on devine comment, même quand l’humanité sera unifiée, il y aura fusion et refusion dans un mouvement infini !

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Culture Culture & esthétique

Playlist cross over, fusion: oui à l’appropriation culturelle!

La rencontre du punk, du hardcore, du métal… avec le hip hop, le reggae, le jazz, le ska, la funk… et inversement, fut un processus des années 1980 et 1990 à rebours des problématiques identitaires actuelles. Le mélange des genres musicaux, le dédain complet pour la couleur de peau… tout cela était et est encore considéré comme normal par qui sait que le peuple, c’est la fusion.

Il existe en France une obsession pour la couleur de peau et cela depuis une vingtaine d’années. C’est une véritable catastrophe identitaire, qui place les gens dans des cases racistes. Rien de tel qu’une bonne playlist témoignant de l’absurdité de tout cela, avec une rencontre du métal, du hardcore, du rap et du Hiphop, de la funk, du jazz, tout cela dans un mélange de musiciens noirs, blancs, arabes ou on ne sait quoi, et cela ne compte pas.

> La playlist « Cross over » est disponible sur la colonne de droite (version web) ou sous l’article (version mobile), ainsi que sur la page des playlists.

Les années 1990 ont été marquées par ce puissant esprit positif, contestataire, constructif, parfois appelé Cross over, fusion. Le groupe Fishbone est une figure majeure de cette tendance, aux côtés des Bad Brains ; leur admiration est immense dans le milieu des musiciens.

Deux groupes strictement parallèles, les Beastie Boys et les red Hot Chili Pepper auront un succès immense. La vidéo de la chanson Hump de Bump des Red Hot Chili Peppers, tournée par Chris Rock en 2009, témoigne de cet esprit joyeux et plein d’unité populaire.

Tout « postmoderne » considérera par contre forcément cette vidéo comme raciste, « appropriation culturelle », pleine de « clichés », etc.

La chanson Sabotage des Beastie Boys – à la base un groupe de punk hardcore – avec sa vidéo décalée et également très bon esprit, est un autre exemple brillant de tendance cross-over, fusion.

Un groupe classique de Hiphop comme Public Enemy s’appuie parfois ouvertement sur une base rock, chose inconcevable aujourd’hui pour beaucoup d’esprits rétifs, enfermés sur eux-mêmes. Un autre groupe ayant eu un immense succès est Rage against the machine.

La France connut également toute une vague très proche, bien que différente tout de même, avec Lofofora, Silmarils, No one is innocent… au coeur de toute une véritable scène, qui malheureusement fut incapable d’avancer par manque de socle culturel alternatif assez solide.

La vague néo-métal de la fin des années 1990 profite dans une très large mesure de cet esprit « cross over », avec Linkin Park, Korn, Limp Bizkit ou encore dans un esprit différent Papa Roach.

Impossible de ne pas mentionner la chanson Last resort de Papa Roach, éloge de l’esprit contestataire de la jeunesse qui suffoque dans l’impossibilité de s’épanouir. C’était avant que les identitaires et les postmodernes ne torpillent les exigences alternatives avec leur repli identitaire individualiste délirant et fanatique…

Impossible non plus de parler de rencontres culturelles productives sans évoquer la chanson Planet Rock d’Afrika Bambaataa & The Soul Sonic Force qui, en samplant le groupe électronique allemand Kraftwerk, a apporté une contribution énorme à l’émergence de la musique techno.

Le son n’a rien à voir avec le « cross over » ou la fusion, mais l’esprit est le même : le mélange, la rencontre. Pas d’ethno-différentialisme, pas de soupe commerciale « mondialisée » pour autant.

Au milieu des années 2000, le groupe Death Grips est l’un des exemples significatifs de rencontre d’un son abrasif, dans un certain esprit de collage punk, et du Hiphop. Car le processus de rencontre est sans fin et lui seul est productif. Les rencontres ne sont pas productives en soi… mais sans elles, il n’y a rien.

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Société

Tel un tango finlandais (l’absurde concept d’«appropriation culturelle»)

La « gauche » post-moderne a fait de l’ « appropriation culturelle » un thème important à ses yeux. Mais l’appropriation n’existe pas : le sens de la vie, ce sont les échanges ininterrompus. Qui en a peur vit dans le passé.

L’humanité est composée de nombreux peuples, qui n’ont cessé d’échanger des objets et des idées. Il est vrai que parfois cela s’est déroulé dans des conditions qui ne sont pas idéales, mais l’Histoire n’a que faire des idées, elle vit dans le concret. Certaines étapes étaient malheureusement inévitables et la « découverte » de l’Amérique en fait partie. S’il s’agit bien sûr de prendre en compte les peuples amérindiens restant, cela ne veut pas dire qu’il faut faire de la « colonisation » une mauvaise « idée » alors que cela relève de tout un processus historique inévitable.

Mais on sait justement que ce terme d’inévitable n’existe pas pour ceux qui raisonnent en termes de libre-arbitre, de choix, d’individus… bref, qui emploient les concepts libéraux en faisant passer cela pour du progressisme. Le colonialisme est pour eux un crime « conscient », commis par des personnes « conscientes » de ce qu’elles faisaient ; le concept d’ « appropriation culturelle » est directement liée à une telle vision des choses.

Chaque communauté aurait ses valeurs propres, qu’elle a produit elles-mêmes et qui ne devraient pas être récupérés, ce qui n’est ni plus ni moins que le même discours ethno-différentialiste que les racistes de la fin du 19e siècle. Et voilà donc la « gauche » post-moderne dénoncer les blancs en dreadlocks ou l’utilisation de jeux de couleurs, de symboles, de musique par tel ou tel artiste. Ce serait du racisme, ce serait de la récupération culturelle visant à effacer telle ou telle communauté.

En cela ils ont raison, il s’agit bien d’effacer telle ou telle communauté, sauf qu’ils se trompent, car c’est une bonne chose. Être réellement de gauche, ce n’est pas seulement dire qu’il ne faut pas de racisme contre telle ou telle communauté, mais également qu’à terme, ces communautés se seront fondues dans un peuple uni. Voilà ce que réfute catégoriquement la « gauche » post-moderne qui ne fait que reproduire les valeurs idéalisés de la salade de macédoine américaine. Rappelons que l’expression provient directement de la Macédoine du 19e siècle, avec sa mosaïque de communautés non unies.

À écouter la « gauche » postmoderne, les Finlandais seraient ainsi des criminels, car ils ont adopté le tango comme rythme et mélodie, « volant » ainsi les Argentins pour développer toute une vaste musique populaire. Avec une telle vision, tout un pan de la culture finlandaise serait ni plus ni moins que faux, les Finlandais vivraient dans une abstraction complète. C’est là ne rien comprendre à ce qu’est la culture populaire.

Il n’y a en effet pas de création, que de la production. Tout vient toujours de quelque chose, à l’infini. La culture est toujours récupération, modification, amélioration, ouverture de nouvelles perspectives. Cela est vrai entre les gens, mais également entre les peuples. C’est comme cela d’ailleurs qu’on arrive finalement à une culture nationale, qui est le fruit de mélange de différents regroupements fusionnant à un niveau de culture supérieur. La culture puise toujours dans la culture, s’identifiant avec ce qu’elle peut trouver de meilleur, lui imprimant sa propre expérience.

C’est pour cela que les Français ont apprécié la polka, les Finlandais le tango, certains peuples arabes la musique andalouse, les Anglais le blues rock, etc. Croire qu’il y aurait des cultures séparées, comme des communautés séparées, quelle erreur ! Le métissage est un processus inévitable et juste quand il est spontané. Il ne s’agit pas de cohabitation, de « mêmes droits » à donner à tout le monde, mais bien que tout le monde soit pareil, formant un seul peuple, une seule culture, si riche qu’elle sera capable d’avancer en ouvrant toujours de nouvelles perspectives.

Si jamais on se demande ainsi à quoi ressemblera la culture d’un pays devenu socialiste, alors on peut répondre simplement qu’elle sera tel un tango finlandais. Elle puise dans le meilleur pour donner le meilleur, elle sait reconnaître ce qui est universel dans le particulier et le développer toujours plus.

Le tango finlandais n’est pas un mauvais tango, il n’est pas la négation du tango argentin, il n’est pas non plus une variante ou un sous-produit. Il est le prolongement universel de la vie du tango né sous une forme particulière. Il n’y a pas de culture sans vie et donc sans échange, sans universalité. Comment sinon apprécierait-on les œuvres du passé, les œuvres d’ailleurs ? On peut les apprécier, car il y a quelque chose en elle qui nous parle malgré toutes les différences, qui nous parle au-delà de nos différences. Il y a quelque chose de vrai pour tous.

Mais cela implique qu’il y a des choses vraies pour tous, et que c’est même ce qu’on appelle la vérité. Or, une société de consommation ne veut pas de vérités pour tous, seulement des vérités pour chacun. La « gauche » postmoderne ne fait que refléter cela en rejetant l’ « appropriation culturelle » qui est en fait un moyen inévitable d’avancer pour la culture… Ce qui ne veut pas dire qu’il suffit de faire de la récupération pour faire de la culture.

Tout cela apparaîtra bien évident à qui sait qu’il y a une culture populaire, à qui ne fait pas vivre ses idées à partir d’écrits d’universitaires coupés de toute réalité, vivant dans une tour d’ivoire et exerçant une véritable fascination pour une poignée de petits-bourgeois qui seraient bien les nouveaux Jean-Paul Sartre, les nouvelles Simone de Beauvoir. Qui travaille, qui sait ce qu’est la culture populaire, sait comment cela marche : on prend, on reprend, on échange, on apprend à soi, on apprend aux autres, on se tourne vers les autres et inversement, tout se combine, se recombine… Tel un tango finlandais.