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Un général pour superviser les travaux de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Fleuron du patrimoine historique, la cathédrale Notre-Dame de Paris voit les travaux de « reconstruction » passer sous la coupe d’un général. Une logique nationale-catholique choisie par Emmanuel Macron en phase avec son soutien à la chasse à courre.

On ne peut pas reconstruire une œuvre médiévale et ce qu’il faudrait, c’est une réhabilitation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, pas une « reconstruction ». Cependant, le catholicisme et la bourgeoisie veulent une continuité du statu quo social, culturel, idéologique. Il faudrait faire comme si rien ne s’était passé, pour prouver que rien ne peut se passer.

Cela a été le sens de la réunion du conseil des ministres le 17 avril avec la mairie de Paris, les architectes des bâtiments de France et les responsables des monuments nationaux. C’est le sens de l’appui des grands monopoles au financement (LVMH et la famille Arnault 200 millions d’euros, les Bettencourt et L’Oréal 200 millions d’euros, la a famille Pinault 100 millions d’euros, Total 100 millions d’euros, Bouygues 10 millions d’euros, Marc Ladreit de Lacharrière 10 millions d’euros, etc.)

C’est le sens de la nomination par le conseil des ministres de Jean-Louis Georgelin à la tête de la supervision des travaux de reconstruction. On est là au cœur de la réaction, puisqu’il s’agit d’un général d’armée cinq étoiles qui a occupé les fonctions de chef d’État-Major des armées de 2006 à 2010.

Il est également Grand-croix de la Légion d’honneur, Grand-croix de l’ordre national du Mérite, Commandeur de l’ordre des Palmes académiques, Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres, Médaille commémorative française avec agrafe « Ex-Yougoslavie », Médaille de l’OTAN pour l’ex-Yougoslavie, Grand officier de l’ordre de Saint-Charles de Monaco, Commandeur de la Legion of Merit USA, Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique, Commandeur de l’ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne, Grand officier de l’ordre Abdul Aziz de l’Arabie Saoudite…

Commandeur de l’ordre du mérite de Centrafrique, Commandeur de l’ordre du mérite du Bénin, Commandeur de l’ordre national du Mali, Commandeur de l’ordre national du Niger, Commandeur de l’ordre national du Tchad, Commandeur de l’ordre du mérite de Pologne, Bande de l’Ordre de l’aigle aztèque du Mexique, etc.

Il a également été grand chancelier de la Légion d’honneur : c’est lui qui a remis le grand collier de l’ordre à François Hollande lors de son élection en mai 2012…

Et ce militaire a été le grand responsable des interventions militaires françaises en Côte d’Ivoire, Afghanistan, dans les Balkans, au Liban ! Quel symbole qu’un tel militariste, qu’un tel interventionniste, soit le responsable de la « reconstruction » de ce qui est censé n’être plus qu’un dispositif religieux !

Au lieu que cela soit un « civil » expert en patrimoine, on a un militaire. Au lieu d’avoir une œuvre médiévale appartenant à l’héritage culturel national, on a un appui ouvert à la France la plus réactionnaire.

C’est même tellement vrai que ce général n’a pas hésité à remettre en cause la soumission de l’armée au pouvoir civil. Reprenant la question du conflit sur le budget entre Emmanuel Macron et son chef d’état-major Pierre de Villiers en 2017, il a affirmé en 2018 sur France Culture que :

« Ce qui reste (de cet épisode) à mon sens dans les armées aujourd’hui, c’est cette agression verbale du président de la République sur le chef d’état-major. »

C’est là affirmer que l’armée serait intouchable, tout comme les notables considèrent la chasse à courre comme intouchable, tout comme la réaction en général considère que la religion catholique est intouchable.

Il est d’une gravité a absolue qu’un telle figure militaire soit à la tête de la « reconstruction ». Cela va conférer un prestige immense à l’Armée au moment de la fin de celle-ci. Cela renforce le bloc national-catholique en France, cela appuie les étroits rapports entre la direction de l’Armée et le Vatican.

La Gauche, assumant ses valeurs historiques, doit vigoureusement dénoncer ce dispositif réactionnaire.

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Notre-Dame de Paris : désacraliser le point zéro des routes de France

La cathédrale de Notre-Dame de Paris relève du passé, du patrimoine national, ce n’est pas une « actualité ». Elle ne peut pas être « reconstruite ». À moins de l’intégrer dans le dispositif idéologique religieux.

Emmanuel Macron, lors de son allocution à la télévision après la catastrophe du 15 avril 2019, a affirmé la chose suivante :

« Il nous revient de retrouver le fil de notre projet national, celui qui nous a faits, qui nous unit : un projet humain, passionnément français. »

C’est le fond philosophique justifiant sa position selon laquelle la cathédrale de Notre-Dame de Paris devra être reconstruite dans les cinq ans. Et c’est un double problème.

En effet, la cathédrale Notre-Dame ne relève pas de l’actualité nationale, mais de l’héritage culturel national. Ce sont deux choses fondamentalement différentes. Les catholiques font tout justement pour présenter la cathédrale comme une actualité, quelque chose de vivant, reliant le passé au présent et même au futur, dans une fusion du national et du religieux.

Cela ne peut pas être le point de vue de la Gauche. En fait, la seule position tenable pour la Gauche par rapport à la cathédrale Notre-Dame de Paris est que celle-ci devrait être un musée. Il faut radicalement désacraliser ce lieu au cœur de la capitale. D’ailleurs, il y a un point sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris qui est le centre symbolique des routes de France, la distance par rapport à Paris étant calculé par rapport à elle, et ce depuis 1739.

Le vrai centre de la ville devrait en fait être à la pointe de l’île de la Cité ; on aura compris qu’il s’agit de faire de Notre-Dame un symbole national-catholique, ce qui fut l’objectif de Victor Hugo. Ces derniers jours, on a eu beaucoup de commentaires comme quoi ce serait également le bâtiment représentatif de la France, ce qui n’a jamais été le cas, puisqu’on parlerait bien plutôt de la Tour Eiffel ou bien du château de Versailles.

Il faut briser tout cela, sans quoi on laisse le champ libre à la religion catholique. Ce qui amène au second problème : la reconstruction. Car tout en liant la cathédrale à l’actualité nationale (et non au passé), Emmanuel Macron entend poser une continuité nationale-religieuse, d’où son propos lyrique comme quoi :

« Nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore. »

Or, une œuvre architecturale médiévale ne peut pas être rebâti et rendue plus belle encore. On peut reproduire quelque chose à l’identique, mais la dimension historique en disparaît alors. Et ce serait une tromperie. Pas évidemment selon les catholiques, qui voient une continuité dans la cathédrale. D’où la grande importance qu’ils ont eu à souligner qu’avaient été sauvés des flammes « la sainte Couronne, la tunique de saint Louis, un morceau de la Croix et un clou de la Passion » (mettons entre guillemets ces folies). On est là en pleine superstition la plus délirante.

Il y a également la manière dont a été présenté le fait que Jacques Chanut, qui est président de la Fédération Française du bâtiment, a trouvé le coq de la flèche dans les décombres. Que ce soit le président qui le trouve, alors qu’on le pensait perdu, est présenté comme une sorte de miracle. Et ce n’est pas pour rien, car ce coq contient des reliques : une partie de la Sainte-Couronne d’épines, une de Saint-Denis et une de Sainte-Geneviève.

S’agit-il de contribuer à une telle superstition ? Absolument pas. Et comme toutes les cathédrales d’avant le XXe siècle appartiennent à l’État, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement. C’est comme pour l’École d’ailleurs : il est inacceptable que l’État rémunère les professeurs des écoles privées. Il faut même que toute l’École passe sous la supervision de l’État.

Le catholicisme, qui a été utile dans le passé, cherche à maintenir ses positions depuis longtemps caduques. Il faut finir le travail démocratique de liquidation des positions des religions dans la société.

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La responsabilité du capitalisme dans la destruction de Notre-Dame de Paris

La France est une grande puissance économique, avec un très haut niveau scientifique et technique. Si Notre-Dame de Paris a été partiellement détruite, c’est en raison d’une incapacité à mettre en œuvre des moyens pour la protéger.

La destruction par les flammes de la cathédrale Notre-Dame de Paris ne doit rien au hasard ou à une quelconque absence de chance. La France est en effet très développée, avec une très haute capacité technique. Sur le plan scientifique, il y a parmi les meilleurs ingénieurs du monde, les meilleurs spécialistes du monde.

Et des cathédrales historiques qui connaissent des travaux, il y en a eu de très nombreuses dans le monde et elles n’ont pas terminé livrées aux flammes. Le niveau d’expertise suffisant a pu être obtenu pour cela.

Il y a donc un problème fondamental dans ce qui s’est passé hier 15 avril 2019 et ce problème est très simple : c’est le refus d’investir dans la protection du patrimoine historique. Le capitalisme vise le profit et se moque de la mémoire.

Le Louvre et Versailles eux-mêmes sont pris d’assaut par des mécénats ayant en fait une réelle dimension publicitaire, alors que c’est le spectaculaire qui l’emporte toujours davantage.

C’est la raison pour laquelle la protection de Notre-Dame de Paris n’a pas été à la hauteur. Il n’y a pas eu l’engagement moral, subjectif, pour la protéger, avec des gens suffisamment motivés, déterminés, totalement engagés. Il n’y a pas eu non-plus les moyens matériels mis en place, les millions d’euros de financement pour assurer une sécurité totale.

C’est ainsi une faillite sur le plan de la civilisation. Une civilisation qui ne sait pas protéger ses monuments historiques est condamnée. La destruction des Bouddhas de Bamyan par les Talibans en Afghanistan a reflété une crise totale de ce pays, incapable d’assumer une histoire millénaire avec toutes ses facettes, toute sa richesse. De la même manière, la destruction par les islamistes des mausolées de Tombouctou a témoigné d’une incapacité historique du Mali à assumer et protéger son patrimoine.

Imagine-t-on l’Inde perdre le Taj Mahal, la Russie perdre les églises historiques des villes de son « anneau d’or », Prague perdre le pont Charles ? C’est rigoureusement impossible à moins de provoquer une secousse totale dans le pays, car cela refléterait une incapacité à assumer l’héritage culturel national. Et c’est exactement le problème en France.

La France ne se préoccupe pas de son patrimoine ; sur le plan subjectif, il lui importe peu que Air BnB colonise certains quartiers parisiens, que les jeunes ne sachent plus réellement qui sont Balzac, Zola, Flaubert, Bernanos, Maupassant, Racine, voire Molière. Il y a une image de la France et elle est considérée comme suffisante. Les vingt millions de badauds arpentant chaque année le parvis de Notre-Dame-de-Paris avec leurs appareils photos et leurs perches à selfies satisfont les édiles.

Le contenu n’intéresse plus personne quasiment ; au nom du capitalisme triomphant et du consommateur roi, l’héritage national est nié ou bien réduit à une image d’Épinal dont Stéphane Bern se fait le chantre ridicule.

Le capitalisme réduit l’héritage culturel national à un divertissement ou à quelque chose de figé et d’abstrait, d’inaccessible. Le résultat en est la négation de la culture, le dédain pour le patrimoine. Les seuls critères sont le profit et le cosmopolitisme touristique, ainsi que la valorisation de clichés pathétiques comme la tombe du soldat inconnu. C’est un nivellement par le bas provoqué par le consumérisme individualiste d’un côté, le repli identitaire de l’autre.

La Gauche historique doit ainsi lever le drapeau de l’Histoire, de l’héritage de la culture national. C’est une exigence fondamentale. Il est affolant par exemple qu’il n’y ait plus de Gauche en Italie, alors qu’il serait facile que celle-ci ressurgisse, en accusant le capitalisme d’être incapable de préserver l’immense richesse architecturale. L’effondrement de Venise est un crime et sa source est bien connue : le capitalisme structuré pour transformer la ville en une sorte de Disneyland.

Paris elle-même se transforme en Disneyland. Et avec cette négation subjective du patrimoine parisien, on a la négligence, le dédain pour sa réalité matérielle historique. C’est cela la cause de la destruction d’une partie de Notre-Dame de Paris.