On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels : c’est une vérité qu’on sait bien vraie, lorsqu’on est loin des nationalismes et de l’aveuglement causé par le sang versé. L’affrontement entre le Hamas et Israël le montre bien ; plus on est loin de tout ça, plus on se dit que c’est de la folie, de la folie furieuse, de la folie sanglante.
Oui mais, diront avec justesse les soutiens d’Israël, le Hamas a causé des massacres dont le caractère ignoble dépasse l’entendement. Impossible de ne pas vouloir venger des femmes et des enfants coupés en morceaux et assassinés, et encore est-ce là un euphémisme pour ne pas décrire les horreurs commises.
Oui mais, diront en étant dans le vrai les amis des Palestiniens, en quoi la population de Gaza bombardée serait-elle responsable des agissements du Hamas ? En quoi les enfants, qui forment une bonne proportion des 10 000 morts (au moins) à Gaza, sont-ils coupables ? En quoi la destruction de Gaza rattrape-t-elle les 1300 morts israéliens et ramène-t-elle les 300 otages pris par le Hamas ?
Eh oui, tout cela est vrai, et les Russes et les Ukrainiens pourraient dire des choses tout à fait similaires. Et tout cela est irrattrapable, car c’est l’engrenage, un engrenage qui dépasse bien les Palestiniens et les Israéliens, les Ukrainiens et les Russes.
Car les Palestiniens sont sous la coupe du Hamas, le Hamas est financé par le Qatar et armé par l’Iran, deux pays en pleine logique expansionniste et en phase avec la Chine qui veut remettre en cause l’ordre mondial, à son profit bien sûr. Quant aux Israéliens, ils servent de jouet à la politique américaine dans la région, d’où viendraient sinon tout cet argent et cet armement fournis ?
L’Ukraine est de son côté devenue une colonie américaine pour mener la guerre à la Russie, et cette dernière est passée sous la coupe chinoise. Même si l’Ukraine et la Russie voulaient s’arrêter, ils ne le pourraient pas, pris dans l’élan d’une mécanique inexorable happant les pays les uns après les autres. Il faut d’ailleurs s’attendre à ce que le Venezuela soit le prochain foyer de tension ?
En vérité, l’affrontement Hamas-Israël, celui Ukraine-Russie, et tous ceux à venir, ne sont rien d’autre, dans leur substance, qu’un aspect du grand affrontement mondial entre la superpuissance américaine et son challenger, la superpuissance chinoise.
Croire qu’on défend les Palestiniens en parlant de la Palestine ou qu’on défend les Israéliens en parlant d’Israël est une fiction : dans les faits, on rentre dans un agenda, celui des superpuissances.
Il n’est bien entendu pas facile de se séparer d’un tel agenda, d’agir en toute indépendance. Mais c’est un préalable, qui doit être conscient, assumé, affirmé. Sans cela, on meurt pour bien autre chose que ce pour quoi on croit mourir. Comme les paroles d’Anatole France, écrites dans L’Humanité en 1922, sonnent justes un siècle après !
« Ceux qui moururent dans cette guerre [de 1914-1918] ne surent pas pourquoi ils mouraient.
Il en est de même dans toutes les guerres. Mais non pas au même degré.
Ceux qui tombèrent à Jemmapes [dans les rangs de la République française en 1792 contre l’invasion de la monarchie autrichienne] ne se trompaient pas à ce point sur la cause à laquelle ils se dévouaient. Cette fois, l’ignorance des victimes est tragique. On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. »
Heureusement, on peut être certain que la majorité des Français a compris cela et voit d’un très mauvais œil les agitations des uns et des autres afin d’embrigader dans une démarche nihiliste. On reproche souvent aux Français d’être passifs, avec raison, mais cette passivité fondé sur le scepticisme rationaliste à la française a parfois son bon.
Il ne faut pas se laisser piéger par les romantismes irrationalistes faisant qu’on se retrouve à la traîne d’aventures nationalistes dont la seule issue est la catastrophe. Le nationalisme, c’est la guerre.
Et il faut lui opposer le romantisme du Socialisme, le romantisme de la paix correspondant avec le progrès, le collectivisme avec l’épanouissement personnel… L’objectif véritable, c’est la République socialiste mondiale, c’est le phare qui doit guider toute action et tout ce qui ne s’accorde pas avec ça doit être rejeté !
La musique classique russe a-t-elle été « effacée » en France ?
« Cadences » est une petite revue gratuite, d’une trentaine de pages. En voici sa définition :
« CADENCES est le magazine sur l’actualité des concerts de musique classique, opéra, musique baroque, musique contemporaine à Paris et en Ile-de-France.
Il est aujourd’hui l’outil préféré des mélomanes parisiens avec son agenda des concerts, ses dossiers musicologiques et ses interviews d’artistes. »
Tirant à 50 000 exemplaires, on peut trouver cette revue dans les lieux concernés. Elle est très sérieuse, de haut niveau. C’est tout à fait parfait pour voir si la propagande de guerre a réussi à pénétrer la Culture ou non.
Regardons le numéro 361-362 de février mars 2023 (disponible ici en pdf), afin de voir comment la culture russe y a été effacée, ou non.
Sur la couverture est annoncé un article intitulé « Rachmaninov L’oeuvre pour piano ». Pages 4 et 5, on trouve un article au sujet de la Symphonie n°5 de Prokofiev, qualifiée de « grandiose ». Les premières lignes soulignent qu’il l’a composée en Union Soviétique, en 1944. Et on lit :
« Sans doute a-t-il été sensible aux sirènes du régime soviétique qui lui offre les conditions lui permettant de se consacrer pleinement à la composition. De fait, son activité créatrice reste intense après son retour et son inspiration ne faiblit pas.
Si son style s’est quelque peu assagi par rapport aux audaces des années 1910 et 1920, il produit plusieurs chefs-d’œuvre : le Second Concerto pour violon, le ballet Roméo et Juliette, le célèbre conte Pierre et le Loup, la musique pour le film d’Eisenstein Alexandre Nevski. »
Rien de plus objectif.
Page 6 est présenté un concert d’un pianiste russo-lituanien, Lukas Geniusas, jouant Schubert et Rachmaninov. Page 9 est annoncé un concert du grand pianiste ukrainien Vadym Kholodenko jouant Schubert et Prokofiev.
Page 28 est présenté la sortie d’œuvres pour piano d’Alexandre Scriabine, par Vincent Lardenet, « le plus grand des scriabiniens actuels ».
Constatons quelques autres choses : le lac des cygnes de Tchaïkovski est joué à l’opéra royal du château de Versailles, la pianiste russe Olga Pashchenko (dont le nom est ukrainien par ailleurs) joue à la Cité de la musique, Prokofiev est joué à la Philarmonie, le pianiste russe Mikhaïl Pletnev joue à la Philarmonique de Radio France, l’illustre pianiste Ievgueni Kissine (d’origine russe et devenu israélien) joue notamment du Rachmaninov au Théâtre des Champs-Élysées…
Rien n’a donc été abîmé. La propagande de guerre, le bourrage de crâne… n’ont pas fonctionné. L’effacement d’une partie de la culture mondiale au nom d’intérêts impérialistes n’a pas eu lieu.
C’est une joie. Et une preuve que la défense de la culture est toujours le véritable fondement de la civilisation. La préservation de ce qui a de la valeur transcende les préjugés et met à l’écart le nationalisme, les sordides manipulations.
Ce non-effacement de la musique russe est une contribution réelle au refus de l’auto-destruction du monde et une haute expression du besoin existentiel de la paix universelle, de l’unité du monde pour la Culture.
Quand on admire la danse des chevaliers au Bolchoï, on fait partie de l’humanité toute entière – comme avec toute œuvre culturelle de grande valeur de chaque pays du monde.
L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm vient de publier son nouveau rapport, bien évidemment catastrophique.
Les importations d’armes à l’échelle mondiale ont augmenté de 47% de 2018 à 2022 ; pour les pays de l’Otan, le pourcentage est même de 65%. Sur tous les continents, les importations ont en fait chuté, sauf en Europe.
Et il y a deux exceptions majeures en Asie : la Corée du Sud et le Japon, qui ont acheté massivement des armes à la superpuissance américaine, avec respectivement une augmentation de 61% et de 171%.
Les Philippines, qui sont entre les superpuissances américaine et chinoise, ont augmenté de 64% leurs dépenses militaires.
Et on notera que les exportations d’armes américaines vers la Turquie se sont effondrées depuis 2007.
La part de la France dans ce commerce criminel est passé dans la même période de 7,1% à 11%. Un tiers des armes vendus par la France est parti en Inde, ce qui est notable : cela montre bien que ces ventes relève d’un redécoupage de l’influence des puissances, de la bataille pour le repartage du monde.
L’Union des Etudiants Communistes et le Mouvement Jeunes Communistes de France ont signé une tribune commune par l’intermédiaire de leurs dirigeants. En tant qu’organes de mouvement de jeunesse, les deux structures appellent à la paix en Ukraine.
C’est très hypocrite. Les raisons, flagrantes, sont les suivantes. Tout d’abord, tous les torts reviendraient à Vladimir Poutine. C’est là une personnalisation de l’Histoire tout à fait ridicule.
C’est cependant bien pratique pour ces deux mouvements qui ainsi « oublient » de nommer les réelles raison de la guerre : le capitalisme, la crise, la bataille pour le repartage du monde.
Ensuite, il n’est pas appelé à saboter l’effort de guerre français. Il n’est pas considéré que la France est en guerre contre la Russie, seulement qu’elle contribue à une escalade et qu’elle peut mieux faire.
Non seulement ce n’est là pas correct, car il faut combattre le militarisme de son pays avant tout, mais en plus c’est « oublier » au passage que la France est devenue une marionette de la superpuissance américaine.
Si l’on veut aller encore plus loin, on peut voir également que ni l’UEC ni le MJCF n’ont compris quoique ce soit à la question de l’effondrement de l’occident – ou plutôt qu’ils expriment le souhait que surtout tout reste comme avant.
Sous l’aspect de pacifisme, sous la forme positive du refus de l’engrenage, l’UEC et la MJCF ne font en réalité que proposer de « faire autre chose » tout en accompagnant les initiatives militaires de l’Etat français qui contribue matériellement, idéologiquement, économiquement à la guerre américaine contre la Russie.
Un an de guerre en Ukraine : la jeunesse aspire à la paix !
LÉON DEFFONTAINES Secrétaire général du MJCF LÉNA RAUD Secrétaire nationale de l’UEC
Voilà un an que la Russie a envahi l’Ukraine. Il y a un an, Vladimir Poutine a bafoué l’intégrité territoriale d’un pays et, depuis, il fait peser le risque d’un conflit mondial aux conséquences dramatiques pour l’avenir de la planète.
Grâce à sa possession de l’arme nucléaire, qu’aucune grande puissance ne remet en cause, il a pu commettre les pires exactions tout en menaçant plus ou moins explicitement d’en faire usage.
Derrière cette guerre, c’est autant de jeunes dont l’avenir est brisé : assassinats, enfermements, chômage, déscolarisation, enrôlement forcé dans les conflits… C’est alors l’avenir entier d’une nation qui est hypothéqué.
Aujourd’hui, plus personne ne semble avoir la paix comme boussole. Les deux belligérants comme les puissances occidentales disent vouloir la paix, mais n’envisagent qu’une seule et même logique : la guerre, toujours la guerre.
L’aide militaire apportée ces derniers mois n’a pas montré son efficacité. En toute logique, avec cette stratégie, nous assistons au concours du pays qui enverra le plus d’armes possible en Ukraine. Cette surenchère guerrière ne fait qu’ajouter de la guerre à la guerre.
Qu’allons-nous faire lorsque nous constaterons que les armes lourdes ne suffiront plus ? Faudra-t-il envoyer directement des militaires sur le sol ukrainien et plonger le monde dans une guerre contre la Russie ?
Nous le disons clairement, les armes n’ont jamais fait cesser le feu. La paix doit redevenir notre horizon.
Notre génération aspire à la paix et à faire taire les armes. La jeunesse refuse la banalisation de la guerre. Nous ne voulons pas de la militarisation des relations diplomatiques et aspirons à un monde basé sur la coopération entre les peuples.
La France doit devenir un promoteur de la paix. Pour ce faire, l’envoi d’armes de plus en plus lourdes doit prendre fin et l’ONU doit être réaffirmée comme l’organisation centrale pour obtenir un cessez-le-feu et engager des pourparlers pour la paix avec l’Ukraine et la Russie.
Seule une issue pouvant assurer à l’Ukraine sa souveraineté et le contrôle de ses frontières pourra aboutir à une paix juste et durable.
Enfin, nous savons qu’aucun horizon de paix sera possible tant que la menace nucléaire persistera. Nous demandons à la France de cesser toute modernisation de son arsenal nucléaire, de ratifier le traité pour l’interdiction des armes nucléaires (Tian) et d’en faire la promotion.
Nous refusons la guerre et appelons les dirigeants français à agir concrètement pour la paix.
Promouvoir la paix est une chose, assumer le pacifisme en est une autre.
Le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a marqué l’entrée dans une nouvelle époque. Une nouvelle époque démarrée bien avant cela pour quiconque scrute les tensions entre grandes puissances, mais qui a été saisie comme telle par beaucoup de gens à ce moment là.
Mais comme il ne reste plus que très peu de positions de l’expérience du mouvement ouvrier dans le peuple, le retour de la Guerre dite conventionnelle, chars contre chars si on veut, est surtout vue de manière unilatérale par les gens, mais aussi par les organisations de gauche.
Grosso modo, tout serait de la faute de Vladimir Poutine, de son cerveau malade, de sa volonté impériale vue comme volonté d’un autocrate isolé dans sa Tour d’ivoire…
Le problème évident d’une telle analyse, c’est qu’elle néglige les tendances historiques de fond, et par là-même elle n’aide pas à faire émerger une large mobilisation précisément contre la Guerre. Pourtant, on l’aura compris, cette guerre ne relève pas d’une anomalie régionale, ni même d’un passé mal digéré, mais d’une tendance de fond qui doit être le support à une prise de conscience pacifiste.
Ainsi lorsque l’on a vu fleurir à la fin février, des appels à la paix, ils se sont quasi immédiatement transformés en des discours alignés sur l’OTAN et la superpuissance américaine.
Ces prises de position ne servaient qu’à acculer la Russie, pour mieux servir les intérêts de la puissance américaine, et cela est d’autant plus flagrant qu’il n’en reste plus rien aujourd’hui. C’est au contraire la course à qui livrera le plus d’armes à l’armée ukrainienne, pour que ses soldats se fassent massacrer au nom de « l’occident ».
On peut même remarquer que les appels à la paix d’il y a peu de temps ne servaient qu’à masquer une volonté de figer les choses, comme si la guerre d’une grande puissance en Europe relevait d’une erreur et qu’il faudrait conquérir la paix pour mieux revenir au « monde d’avant ». D’ailleurs, l’élection présidentielle avec la réélection d’Emmanuel Macron a bien confirmé cet espoir qui n’est rien d’autre qu’un mirage inatteignable.
Avec le recul, on peut même dire qu’en appeler à la paix dans le contexte actuel de la Guerre en Ukraine sonne comme une perspective momentanée, conjoncturelle, et ne faisant que servir un camp contre un autre. En fait, en appeler à la paix ne vaudrait que si cela était porté concrètement par le peuple ukrainien à la base et en antagonisme avec son propre régime, devenu un vassal des États-Unis. Et qu’il y avait également en Russie une base populaire forte pour dénoncer le militarisme de son pays. Et qu’il y avait dans les pays de l’OTAN une opposition forte et franche à l’armée de chaque pays.
Mais de manière générale, se référer simplement à la paix, et non pas au pacifisme, ce n’est pas aujourd’hui s’opposer à la Guerre, cette tendance qui emporte tout dans le cadre du capitalisme en crise cherchant à se relancer.
Car la Guerre en Ukraine relève bel et bien d’une tendance de fond qui emporte le monder entier. C’est bien ce à quoi s’évertue à expliquer en long et en large agauche.org depuis avril 2021, fidèle aux enseignements historiques du mouvement ouvrier, notamment à sa pointe avancée au début du XXe siècle, la social-démocratie allemande.
Si la social-démocratie historique s’est opposée à l’impérialisme, au militarisme, c’est justement parce qu’elle avait saisi que ces aspects du capitalisme contemporain, n’étaient pas des adjectifs supplémentaires à ajouter à une liste de « revendications ».
Par opposition à l’impérialisme et au militarisme, forcément il fallait non pas opposer un slogan conjoncturel, mais une perspective de fond, puisant dans les entrailles de la société humaine, ce qui aboutissait à la défense du pacifisme, à la mise en avant de l’internationalisme prolétarien. Valeurs contre valeurs en somme.
Le fait même qu’il soit parlé de « pacifisme », ajoutant donc le suffixe isme au mot paix, c’est bien pour souligner que cela relève d’un regard général sur les choses, en opposition à un monde capitaliste qui cherche à se relancer en exacerbant ses caractéristiques mortifères, transformant l’exploitation de l’homme par l’homme en tuerie de masses d’hommes par d’autres masses d’hommes.
Mettre en avant, défendre le pacifisme, c’est avoir compris que la guerre n’est pas une affaire momentanée, conjoncturelle, liée à des enjeux ici ou là, locaux ou régionaux, mais bien un aspect à part entière du capitalisme en crise, à part entière car visant à le relancer par sa base même.
En appeler à la paix ne suffit donc pas. Ce dont on a besoin pour aujourd’hui, et plus encore demain, c’est d’un grand mouvement pacifiste internationale, pour faire face à la lame de fond qui s’empare des sociétés capitalistes et du monde entier.
Voici une pétition lancée le 21 janvier 2022 par l’ICAN France, le relais national de la Campagne Internationale pour Abolir les Armes Nucléaires (ICAN). C’est une requête de grande importance, surtout en raison de la crise et de la tendance à la guerre. Il n’est pas normal que cette pétition atteigne à peine les 2000 signatures, malgré l’importance du sujet, malgré la reconnaissance internationale de l’organisme la portant, malgré le soutien affiché de nombreuses structures (Greenpeace, EELV, PCF, Réseau sortir du nucléaire, etc.) Un tel déni en dis long sur la situation en France, sur le fait que personne ne croit concrètement en la guerre, ni en la dangerosité du fait que l’armée française (ainsi que n’importe quelle autre armée) ait la bombe atomique…
« La France doit participer à la première réunion du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires
Monsieur le Président de la République,
Le 7 février 2020, vous avez déclaré que la France « prendra ses responsabilités, en particulier en matière de désarmement nucléaire, comme elle l’a toujours fait ». Or, le 22 janvier 2021 est entré en vigueur le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Cette nouvelle norme juridique internationale a été adoptée le 7 juillet 2017 par une majorité des États, à l’Assemblée générale des Nations Unies, mais sans la participation de notre pays. Pourtant ce traité est une avancée pour assurer notre sécurité collective, pour protéger notre environnement des conséquences humanitaires catastrophiques de toute utilisation d’armes nucléaires et pour faire progresser le désarmement nucléaire.
Du 22 au 24 mars 2022, l’ONU va accueillir à Vienne la première réunion des États Parties au traité avec notamment des partenaires européens comme l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, l’Irlande, Malte, la Norvège, la Suisse, la Suède… ; certains prenant part à ce processus en qualité d’observateur. L’avis positif des Françaises et des Français pour ce traité s’est manifesté à différentes reprises entre une majorité (67 %, en 2018) qui souhaite que la France s’engage dans la ratification de ce traité ou encore par la multiplication du nombre de parlementaires et de villes (Paris, Lyon, Saint-Étienne, Grigny, etc.) qui soutiennent le TIAN.
La Campagne ICAN France, conduite par de très nombreuses organisations, vous demande, Monsieur le Président, de ne pas isoler notre pays d’un processus multilatéral porté par l’ONU, en acceptant de faire participer notre État, en qualité d’observateur, à la première réunion des États Parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
Aidez-nous à atteindre les 3000 premières signatures«
Ces derniers temps sont marqués par de vives tensions militaires dans le monde, allant même jusqu’à des conflits ouverts. Porteuse de la tradition pacifiste et antimilitariste, la Gauche est pourtant incapable de produire une opposition organisée.
Depuis la fin du premier confinement, les accrochages militaires n’en finissent pas de secouer le monde. Avant même l’arrivée de la crise sanitaire, les conflits, ouverts ou larvés, étaient déjà bien réels, comme, entre autres pays, en Syrie, en Libye, au Mali, à la frontière entre l’Inde et la Chine, au Cachemire, etc.
Mais il est évident que la crise sanitaire fait passer un cap nouveau dans le renforcement des tendances à la Guerre, avec de manière principale la tension stratégique entre la Chine et les États-Unis formant l’arrière-plan indirect de chaque tension régionale. C’est le cas autant des tensions entre la France et la Turquie depuis l’été 2020, comme de la guerre au Haut-Karabagh à l’automne 2020, sans même parler des terribles tensions actuelles entre la Russie et l’Ukraine.
Et pourtant cette tendance à la guerre, ces déchaînements nationalistes chauvins ne provoquent aucune mobilisation de la part des forces de gauche, et même très peu de prises de position au regard des enjeux. Cela est le reflet d’une situation historique de paralysie populaire, de tétanie face aux enjeux politiques. Et cela est d’autant plus frappant lorsqu’on regarde les décennies 1990-2000… Sans même parler des années 1960-1970 avec sa vaste vague hippie pacifiste, puis l’opposition disparate mais armée dans les années 1980, contre l’OTAN.
Un exemple historique sur lequel on peut se fonder, c’est le déclenchement de la première guerre du golfe en 1991 et la vaste mobilisation anti-guerre qui en a découlé.
À la suite de la guerre avec l’Iran entre 1980 et 1988, l’Irak de Saddam Hussein envahit au début du mois d’août 1990 le Koweït, menaçant ensuite d’intervenir en Arabie-Saoudite. Cela produit une réaction immédiate des États-Unis, et par conséquent de l’OTAN.
En France, en septembre 1990, fut lancé « l’Appel des 75 contre la guerre du Golfe », avec la perspective d’une campagne de mobilisation. Celle-ci se réalisera avec près de sept manifestations ou rassemblements, parfois interdits. Le 20 octobre 1990 vit plusieurs milliers de personnes se mobiliser à travers les réseaux de la Gauche, contre les menaces d’interventions occidentales en Irak.
Le 7 décembre 1990, à Paris eut lieu un meeting international contre la guerre à l’initiative du Collectif de l’Appel contre la guerre du Golfe, unissant de nombreuses organisation de gauche, comme le PCF, les trotskistes du PCI et de la LCR, des Verts comme René Dumont, des libertaires et des maoïstes, etc. Dans le sillage de ces mobilisations a éclos toute une agitation culturelle, avec des brochures et des fanzines pacifistes, voire révolutionnaires.
L’apogée de la contestation fut la grande manifestation nationale du 12 janvier 1991, avec près de 500 000 personnes dans tout le pays pour dire « Non à la guerre », et pour les franges de l’extrême gauche « Guerre à la guerre ». Cela n’a pas empêché le déclenchement de l’opération « Tempête du Désert » le 17 janvier 1991, mais l’honneur de la Gauche était sauvée.
D’ailleurs, tout cette agitation a pu se maintenir alors que la chute de l’URSS relançait les guerres intestines dans les Balkans. Les attentats du 11 septembre 2001, et les menaces d’intervention en Afghanistan et en Irak, ont fait se continuer cette culture pacifiste. Ainsi, le 16 février 2003, ce sont 100 à 200 000 personnes qui manifestent contre l’intervention de l’OTAN en Irak, avec notamment un mot d’ordre resté populaire « Non à la Busherie ».
Alors où est passée tout cette culture anti-guerre, pacifiste en France alors que les tensions entre grandes puissances, et surtout entre les États-Unis et la Chine, semblent de plus en plus menacer le monde d’un conflit généralisé ?
Il n’a bien évidemment pas disparu dans le peuple, mais le basculement des restes de la Gauche historique dans le postmodernisme libéral-libertaire fait que ces problématiques ne font plus vraiment partie du paysage politique.
D’où la nécessité de relancer la Gauche historique. Pour avoir une opposition anti-guerre constituée, organisée, il faut avoir conscience d’une leçon historique du mouvement ouvrier : le capitalisme comporte une tendance vers la guerre, et la crise économique en est l’accélérateur incompressible.
Mais quand ont été jetés aux oubliettes les principes de lutte des classes, de capitalisme, de crise, pour être remplacés par les principes d’individus, d’identité, de relativisme, d’anti-universalisme… alors, forcément, on ne peut pas comprendre la guerre pour le repartage du monde.
La ligne juste est ainsi de reconstruire la Gauche sur ses bases historiques pour porter les valeurs démocratiques et populaires pour faire face aux conséquences sociales, économiques et politiques de la crise… et s’opposer à la guerre. Chaque jour compte. Sans quoi on se retrouvera comme en 1914.
Une playlist pour introduire à la culture… qui va avec la paix et l’amitié entre les peuples.
Voici une playlist qui pour beaucoup de gens en France apparaîtra pittoresque, mais en même temps, incroyablement inspirante. Chaque chanson est d’une incroyable charge. Et pour faire les choses bien, loin des valeurs des va-t-en guerre, la playlist, avec uniquement des œuvres récentes, s’appuie uniquement sur des femmes, qui témoignent de leur haut niveau artistique, de leur haut niveau de culture, de synthèse.
C’est autre chose que la guerre. Et pour faire les choses encore mieux, il ne sera pas précisé qui est russe, qui est ukrainienne.
La dernière chanson est une exception relative puisqu’un éloge des sœurs, magnifique, avec un ton qui correspond bien à la tristesse des menaces de guerre entre deux d’entre elles.
Voici la playlist en lecture automatique sur YouTube, suivis de la tracklist :
Voici une tribune initialement publiée dans La Croix mercredi 20 janvier 2021 par 19 associations et organisations françaises s’opposant aux armes nucléaires.
« Le 22 janvier 2021 restera une date historique : un traité multilatéral, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté par les deux tiers des pays membres de l’ONU en 2017, entre en vigueur et rend les armes nucléaires illégales, que ce soit leur possession, leur fabrication, ou la menace de leur utilisation, c’est-à-dire la stratégie de dissuasion nucléaire. Le TIAN comble un vide juridique et complète l’interdiction des autres armes de destruction massive, biologiques et chimiques, ainsi que de certaines armes classiques condamnées pour leur impact sur les civils.
Il aura des effets même sur les pays qui le rejettent. La France, qui s’est toujours voulue le pays porteur des valeurs de respect du droit international, ne doit pas tourner le dos à ce processus de démocratie internationale et doit adhérer au TIAN.
Cet accord est le résultat de dizaines d’années d’efforts persévérants de la société civile, à travers des organisations dont de nombreuses ont été regroupées au sein de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), lauréate du prix Nobel de la paix 2017, et le Comité international de la Croix-Rouge, en convergence avec plusieurs États, dont le Saint-Siège, l’Afrique du Sud (ancienne puissance nucléaire) et la Nouvelle-Zélande.
Les organisations, gouvernements, Églises, syndicats qui soutiennent l’interdiction des armes nucléaires n’ont pas agi seulement par frustration à l’égard des détenteurs d’arsenaux qui n’ont pas tenu leurs engagements, pris notamment dans le cadre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).
Le TIAN concrétise le rejet d’un système verrouillé par le veto de ces quelques pays et d’un système de sécurité fondé sur la capacité de perpétrer des massacres de masse de civils.
Les puissances nucléaires, dont la France, ont beau déclarer que le TIAN ne leur imposera aucune obligation, elles ne pourront plus désormais affirmer que leurs armes nucléaires sont légitimes. Elles se comportent comme si le TNP leur accordait indéfiniment un droit de possession et de recours à l’arme nucléaire, en contradiction avec l’esprit et le texte de ce traité. Ainsi tentent-elles de justifier l’injustifiable, à savoir les programmes de modernisation et de renouvellement de leurs arsenaux nucléaires, étalés encore sur plusieurs décennies à coups de centaines de milliards d’euros.
Pourtant, l’article VI du TNP leur fait bien – depuis un demi-siècle – obligation de négocier en vue de « la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée » et d’un « traité de désarmement général et complet » !
Les autorités françaises, comme celles des autres puissances nucléaires, affirment de manière contradictoire que la dissuasion nucléaire exclut tout recours à l’arme nucléaire, alors même qu’elles incluent dans leur doctrine des scénarios d’emploi de l’arme atomique (le « dernier avertissement ») et investissent dans de nouveaux types d’armes nucléaires plus « utilisables », qui abaissent dangereusement le seuil de la guerre nucléaire.
Les puissances nucléaires affirment que la seule solution réaliste vers le désarmement consiste à cheminer « étape par étape », et fixent comme objectif prioritaire la non-prolifération. En fait, toutes les mesures en discussion (interdiction des essais nucléaires ou de la production de matières fissiles militaires, réduction des arsenaux, non-emploi en premier, etc.) sont actuellement bloquées par ces mêmes puissances. De plus, en continuant d’affirmer que l’arme nucléaire est la garantie ultime de leur sécurité, elles la rendent encore plus attrayante et elles favorisent la prolifération qu’elles prétendent combattre.
Le Président de la République doit sortir de trois contradictions dans lesquelles il s’est enfermé : il a fustigé le « désarmement unilatéral », tout en s’enorgueillissant des mesures de réduction que la France avait prises unilatéralement depuis la fin de la Guerre froide ; il prône le multilatéralisme, tout en rejetant les aspirations d’une majorité d’États, dont des membres de l‘Union européenne ; il entend inscrire la protection de l’environnement dans la Constitution alors qu’une guerre nucléaire, même limitée, serait un crime d’écocide compte tenu de ses conséquences catastrophiques sur la planète, ses habitants et les générations futures, ainsi que l’ont démontré plus de 2000 essais nucléaires dont les effets sanitaires et environnementaux se font aujourd’hui encore ressentir sur les populations concernées.
Il est donc grand temps, trois quarts de siècle après l’horreur d’Hiroshima et de Nagasaki, que la France se joigne au mouvement mondial pour l’élimination progressive et multilatérale des armes nucléaires en adhérant au TIAN. La France contribuera ainsi, comme elle l’a déjà fait pour les autres armes de destruction massive, à l’élimination de l’arme la plus destructrice inventée par l’être humain.
Déclaration du 22 janvier 2021- Liste des signataires
Abolition des armes nucléaires – Maison de Vigilance, ADN (Collectif Arrêt du nucléaire)
AFCDRP (Association française des communes, départements et régions pour la paix) – Maires pour la Paix, AMFPGN (Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire, affiliée à IPPNW, Prix Nobel de la paix 1987), Amnesty International France (affilié à Amnesty International, Prix Nobel de la Paix 1977), Artistes pour la paix EPP (Enseignants pour la paix, membre de l’Association internationale des éducateurs à la paix – AIEP), ICAN France (affiliée à ICAN, Prix Nobel de la paix 2017), IDN (Initiatives pour le désarmement nucléaire), IPSE (Institut Prospective et Sécurité en Europe), LIFPL France (Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté), Ligue des droits de l’Homme (affiliée à ICAN France), Mouvement de la paix (affilié à ICAN et au Bureau international de la paix, Prix Nobel de la paix 1910), MIR-France (Mouvement international de la réconciliation, affilié à ICAN France), Mouvement national de lutte pour l’environnement
Observatoire des armements, PAX Christi France, PNNDFrance (Parlementaires pour la non-prolifération et le désarmement nucléaire), Pugwash-France (affilié au Mouvement Pugwash, Prix Nobel de la paix 1995). »
La Gauche française sait qu’il faut observer l’Orient avec attention. Et ceux et celles qui sont dans la perspective de la Gauche historique constatent depuis le début du conflit qui a ravagé le Karabagh arménien que le nationalisme turc comme le nationalisme arménien, en dépit d’une évidente dissymétrie, sont néanmoins les deux faces de la même pièce.
Si le nationalisme turc du régime d’Aliev et celui du régime d’Erdogan portent au premier rang la responsabilité de l’épuration ethnique en cours au Karabagh arménien, le nationalisme arménien a aussi une lourde responsabilité dans ce processus, qu’il est impossible, et criminel, de contourner. Prenons le temps ici de développer cette affirmation en s’adressant aux Arméniens de France.
La communauté arménienne de France est concrètement divisée en deux ensembles relativement différents. D’abord, il y a un bloc issu des réfugiés ottomans ayant fuit le Génocide, les persécutions de la Première Guerre mondiale et de ses suites, parlant formellement, quand ils le connaissent, l’arménien ottoman (dit « occidental » ou Արեւմտահայերէն).
Ceux-là sont le plus souvent très intégrés au reste de la société française et actif essentiellement sur le plan associatif en matière culturelle ou par l’organisation d’œuvres caritatives et solidaires, avec un goût prononcé pour l’expression intellectuelle de leur appartenance nationale. Mais en raison de leur histoire comme du cadre national français dans lequel ils se sont construit comme minorité nationale, ils cèdent trop souvent à l’essentialisme et au romantisme idéalisé.
Il y a ensuite, un ensemble plus récent composé de migrants venus de la République d’Arménie depuis 1991 et parlant la variante dite « orientale » de l’arménien ou Արևելահայերեն. Cette seconde population est souvent plus communautaire, exprimant aussi plus volontiers un nationalisme chauvin visible, parfois outrancier et formellement militarisé. Toutefois, c’est souvent pour fuir justement le régime corrompu et militarisé de Yerevan, ainsi que les dangers du service militaire pour leurs jeunes garçons, qu’ils ont décidé de quitter l’Arménie.
Si ces deux composantes sont différentes sur bien des plans, elles ont logiquement communié dans leur réaction face à la tragédie du Karabagh. Notons qu’elles appellent souvent à utiliser le terme Artsakh a toutes les sauces – depuis que les séparatistes arméniens du Karabagh ont décidé de proclamer sous ce nom l’indépendance de leur territoire – comme solution romantique à l’impasse dans laquelle le séparatisme a jeté le Karabagh arménien depuis 1994. Il y a une idéalisation de l’Arménie d’un passé lointain.
Leur détresse commune face à l’effondrement de celui-ci vient d’abord de l’écho épouvantable du Génocide de 1915 et des persécutions qui ont encore suivies la Première Guerre mondiale. Forcément la brutalité de ce drame actuel renvoie au Génocide : encore une fois il est question d’une volonté d’exterminer la nation arménienne sur son sol, encore une fois c’est un nationalisme turc qui accomplit cette extermination.
On pourrait toujours dire que les destructions et les victimes sont sans commune mesure avec l’ampleur du Génocide de 1915 (que les Arméniens appellent la « Grande Catastrophe »). Mais les effets qualitatifs sont exactement les mêmes et prolongent en effet l’effondrement de l’Empire ottoman, dont ne sont sortis ni les Arméniens, ni les Turcs, ni même l’ensemble des peuples orientaux en réalité.
La brutalité des nationalistes turcs, leur racisme forcené à l’égard des Arméniens et le fait surtout qu’ils nient obstinément et jusqu’à l’absurde tous les crimes des régimes génocidaires les ayant précédés (et pire encore qu’ils entendent poursuivre sans relâche) constituent un mur de haine sur lequel la douleur arménienne se fracasse. Ainsi sont bloquées les perspectives de réconciliation, l’élan de la culture et de la démocratie, que recherchent pourtant très largement l’immense majorité des Arméniens avec une grande dignité. C’est la dignité de cette quête qui vaut en grande partie la sympathie très largement partagée au sein des masses françaises pour cette composante de sa population.
Les Français apprécient énormément les Arméniens, ils respectent leur douleur. C’est un fait indéniable.
Cependant, face au nationalisme turc outrancier, les Arméniens ont raté leur rendez-vous avec l’universel. Et particulièrement en France ! Ce qui est un échec terrible qu’il faut analyser pour le corriger. Face au nationalisme turc et au traumatisme non réparé du Génocide, les Arméniens, même en France, ne sont pas parvenus à aller à la Démocratie, à la réconciliation et à développer un processus de rencontre avec les Turcs. La question du Karabagh en particulier a ici profondément pesé dans ce processus.
Face au nationalisme turc, les Arméniens, même en France, ont symétriquement développé pour eux-mêmes un nationalisme similaire, recyclant à leur manière l’Ancien Régime ottoman par lequel les Arméniens se sont constitués historiquement en tant que nationalité, se piégeant dans un face à face dissymétrique et sans issue, qui alimente l’épouvantable processus qui mène à leur propre destruction au bout du compte.
Sans qu’il soit ici question de développer la question du nationalisme arménien en tant que tel, il s’agit de voir quels ont été ses effets sur les Arméniens de France. Dans les grandes lignes, il a abouti à développer deux postulats aussi erronés l’un que l’autre qui ont progressivement mais implacablement piégé les Arméniens pour les conduire au gouffre dans lequel les Arméniens du Karabagh ont été précipités, et qui pourrait entraîner ensuite l’État arménien lui-même si rien n’est fait pour enrayer cette sinistre spirale.
Le premier de ces postulats, est la nécessité pseudo-existentielle d’une « Grande Arménie » sur le plan géographique, comme reflet d’une « Arménie éternelle » sur le plan historique.
À proprement parler, il est tenu pour évident que des choses historiquement aussi différentes que le royaume persan hellénisé des Artaxiades comme Tigrane le Grand, ceux des Parthes Aracides d’Arménie, des Bagratuni et de leurs successeurs, y compris en Géorgie d’ailleurs ou dans les émirats kurdes voisins, ou encore le royaume arménien de Cilicie relèveraient d’une seule et même chose : tout cela ce serait l’Arménie.
Plus exactement, cela est posé comme base de la légitimité territoriale à constituer une « Grande Arménie » à notre époque. Ce qui est nié par contre, c’est toute la période ottomane, à l’exception du Génocide, et toute la période soviétique, entre la courte indépendance de l’Arménie nationale autour de Yerevan, et l’indépendance de la RSS d’Arménie en 1991.
Il y a ici toute une vue dominée par la géopolitique, prolongeant l’agression impérialiste sur l’Orient menée par les puissances capitalistes d’Europe occidentale à partir du XIXe siècle.
La France pour ce qui nous concerne, avec ses institutions comme l’INALCO notamment, a conduit une vaste offensive culturelle appuyant le développement du nationalisme arménien, en lui donnant une base scientifique et formellement pseudo-rationnelle de grande envergure. Par exemple, le rôle de la Revue des Études Arméniennes fondé par les linguistiques Frédéric Macler et Antoine Meillet en 1920 à Paris, est significatif de ce romantisme idéalisant l’Arménie. Quand on sait aussi que le fanatique des indo-européens Georges Dumézil en a aussi été le directeur, on aura en réalité tout dit.
Cela ne veut pas dire que cet effort savant n’a pas produit des avancées de grande valeur, mais il a alimenté depuis le début sur le plan culturel le nationalisme arménien dans ce qu’il avait de plus chauvin. Ni plus ni moins.
Le Traité de Sèvres de 1920 justement est la traduction politique de cette vue française sur l’Arménie. Le tracé de celle-ci sur la dépouille de l’Empire ottoman vaincu, dont le refus sera à la base du nationalisme revanchard de Mustafa Kemal, le futur Atatürk, est ce qui a entraîné ensuite la fondation en 1924 de la République de Turquie, à la fois comme liquidation de l’Empire ottoman et comme refus du Traité de Sèvres. Et donc aussi forcément de la « Grande Arménie ».
Le face à face du nationalisme turc et du nationalisme arménien part en réalité de ce point, qui conditionne toute la relecture ensuite du passé, y compris du Génocide, qui devrait tout légitimer pour les uns et qui doit totalement être nié pour les autres.
Seule la Révolution soviétique a permis de rompre avec cet engrenage destructeur, mais de manière incomplète. La Guerre Froide a permis de poursuivre le développement de ces nationalismes orientaux, soutenus par les impérialismes selon les intérêts du moment. Cela d’autant mieux qu’en URSS même, une fois devenue expansionniste dans les années 1950-1960, a entraîné le développement d’expressions nationalistes chauvines dans tout le pays, autant appuyées par des organisations dissidentes que par des oligarques corrompus. Mais toute cette dynamique décadente a été vu en Occident comme un « réveil » national et démocratique.
À l’indépendance en 1991, la question du Karabagh était devenue brûlante. Le fait que des Arméniens y faisaient face à des Turcs avait aussi tout pour galvaniser les Arméniens français dans leur nationalisme. La focalisation sur le territoire a aussi entraîné des effets terribles pour les Arméniens soviétiques, dont un tiers vivaient hors de la RSS d’Arménie, comme le montre le tableau suivant.
Mais ce qui comptait plus que tout, c’était l’orgueil territorial. Le développement des Arméniens hors de la République soviétique n’a jamais eu aucune importance pour les Arméniens de France, et rien n’a donc été fait pour sauver les Arméniens d’Azerbaïdjan ! Il y a eu simplement un appui romantique au séparatisme du Karabagh, comme seule solution aux pogroms et au nationalisme exterminateur qui se développait à Bakou. À partir de là, en dépit de la victoire arménienne, la polarisation n’a fait que se renforcer, jusqu’à l’effondrement actuel du Karabagh arménien.
On en est revenu donc aux années 1920 dans le Caucase sur le plan politique. Mais en pire, forcément. Seule la Géorgie a pu, bien difficilement, conserver la tentative démocratique d’unir les nationalités caucasiennes dans une nation commune qu’avait construit l’Union soviétique. Y compris d’ailleurs avec une communauté arménienne forte, majoritaire même au Javakh, région à la frontière de l’Arménie.
Mais la tentative démocratique soviétique a été vue toute entière par les Arméniens de France comme une « colonisation » impériale. Une lecture que les courants post-modernes depuis les années 1970 n’ont bien sûr pas manqué d’appuyer. Et la remise en cause de ces « frontières » a été comprise comme une émancipation. Il était donc convenu qu’Arméniens et Turcs ne pouvaient cohabiter, sinon à titre exceptionnel, et que la séparation territoriale devait être la règle.
Et comme corollaire à la chimérique « Grande Arménie » à reconquérir, le séparatisme territorial s’est doublé de la certitude de l’impossibilité, malheureuse mais « pragmatique », à construire une vie commune avec les Turcs. Là aussi, le passé soviétique en particulier met en défaut cette évidence nationaliste. Cela est si vrai que l’on peut entendre les arméniens nationalistes de France à la fois dénoncer les « frontières machiavéliques de Staline » tout en soulignant la nostalgie, incontournable pour qui connaît l’Arménie post-soviétique, de la vie commune et pacifique permise aussi longtemps que l’URSS a porté la ligne d’unité démocratique des peuples caucasiens.
On ne voit pour ainsi dire jamais les Arméniens de France mettre en avant dans leur presse ou dans leurs productions l’existence des Turcs d’Arménie, qui constituaient une composante de l’Arménie soviétique, tout comme les Arméniens en constituaient une de l’Azerbaïdjan ou de la Géorgie soviétique… Sinon pour dire que ces composantes aurait du être séparées territorialement et que cette ségrégation aurait évité les guerres actuelles !
Mais en fait, l’existence du peuple arménien comme nationalité ne se résume pas à une question territoriale, tout comme l’auto-détermination ne se résume à l’indépendance d’un État arménien qui rassemblerait tous les Arméniens. S’il faut défendre l’État arménien, il faut aussi penser la situation des Arméniens hors de cet État. Et cela il faut le penser sur le plan territorial comme sur le plan culturel, dans le cadre des nations voisines dont les Arméniens ne sont pas séparés, mais dont ils sont une composante indiscutable. Tout comme les autres minorités nationales, particulièrement les Azéris, auraient du être des composantes de l’État arménien.
Sur ce point, si on peut reprocher une chose aux « frontières » soviétiques, qui n’en étaient d’ailleurs pas fondamentalement, ce n’est pas d’avoir « disperser » les Arméniens, mais de ne pas avoir réussi à dépasser définitivement les chauvinismes des uns et des autres.
On entend aussi jamais parler des liens culturels justement des Arméniens et de leurs voisins, en particulier Azéris, visibles dans la musique, ou encore la cuisine par exemple. Mais si on ne met jamais en avant cette base, cet héritage commun, et en particulier la valeur démocratique du passé soviétique, alors que reste-t-il ?
Il reste très exactement la situation actuelle qui en est la conséquence : il faudrait la Grande Arménie, séparée de la Turquie et de ses satellites, mais il ne faudrait pas la guerre. Il faudrait effacer l’héritage et les liens nationaux entre Arméniens et Turcs, mais il ne faudrait pas le racisme. Il faudrait le Karabagh, mais il le faudrait sans les Turcs. Il faudrait l’Arménie libre, sans le joug de la Russie, mais il faudrait que les Occidentaux s’en mêlent. Il faudrait se battre à mort pour la patrie, mais sans que la jeunesse n’en paie le prix.
A vrai dire, ce dernier point a été même sans doute le plus grand désaveu du nationalisme arménien. Malgré les appels aux volontaires face à l’agression du régime d’Aliev, il n’y a pas eu de « levée en masse » ou de milliers de volontaires prêts à faire barrage à l’Azerbaïdjan. Les illusions romantiques du nationalisme arménien se sont ici heurtées à une dure réalité : il n’y a pas eu de guerre populaire, la jeunesse arménienne n’a pas voulu mourir pour le Karabagh. Le nationalisme arménien était un tigre de papier, il a oublié que seules les masses comptent. Il leur a tourné le dos pour s’élancer dans ses chimères à toute force, pensant que les masses suivraient. Cela n’a pas été le cas. Impossible de contourner ce fait.
À la vérité, ce qui réparera le Génocide des Arméniens, ce n’est pas le projet impérialiste de dessiner des frontières injustes pour s’appuyer sur les uns contre les autres, jouant artistiquement des flatteries et des ressentiments comme savent si bien le faire les géopolitologues bourgeois. Ce qui libérera les Arméniens ce n’est pas le séparatisme territorial niant la vie commune et bloquant toutes perspectives d’avenir en offrant à la jeunesse qu’une vie en enclos, au milieu du militarisme et de la corruption, en attendant la prochaine apocalypse.
Ce qui permettra l’auto-détermination des Arméniens ce n’est pas le chauvinisme national et ses délires démagogiques précipitant le peuple arménien dans l’abîme par un face à face orgueilleux et suicidaire avec le nationalisme turc.
Ce qu’il faut en défense des Arméniens et de l’Arménie, c’est produire une Nouvelle Démocratie, rompant avec le séparatisme forcené, rompant avec les illusions impériales de la Grande Arménie, rompant donc aussi avec le romantisme appuyée par l’orientalisme français. C’est aussi défendre l’État arménien et les minorités nationales arméniennes qui composent les autres États d’Orient dans le cadre d’une affirmation de l’universel et de la fraternité entre les peuples.
Il est impossible d’oublier l’Orient pour qui veut défendre la Démocratie et le droit des peuples. Face aux exigences de notre époque, les Arméniens de France doivent être à la hauteur et rejoindre l’avant-garde qui combat pour affirmer ce futur. Il en va du sort des Arméniens, de l’Arménie, comme du sort du monde !
La guerre au Karabagh, l’effondrement de l’organisation de la population arménienne de celui-ci lors du conflit ainsi que la victoire de l’Azerbaïdjan, largement appuyé par la Turquie, constitue une nouvelle étape de la désagrégation de l’Orient.
Celui-ci qui se fracture toujours plus en bloc aux contours de plus en plus nets. La crise capitaliste qui se généralise et que traversent les puissances impérialistes accélère la décomposition des sociétés orientales.
Celles-ci, déjà très fragiles, sont déstabilisés toujours plus, précipitant toujours plus loin les régimes corrompus et militarisés de ces pays dans la fuite en avant nationaliste et guerrière. En observant les conséquences et les réactions internationales à la fin de ce conflit, on voit ainsi se dessiner les tendances contre lesquelles la Gauche doit lutter sur le plan international.
En Arménie et en Azerbaïdjan : le renforcement du nationalisme chauvin
La guerre a eu d’abord pour double effet de sidérer et de galvaniser les masses populaires en Arménie. La capitulation, qui était de toute façon inévitable au vue du rapport de force et de la situation militaire, ainsi que la lourde défaite, ont sidéré les populations arméniennes du Karabagh qui ont dû se réfugier en Arménie au cours de la guerre. La détresse est particulièrement vive bien sûr concernant les habitants des villages ravagés par l’armée azerbaïdjanaise et désormais annexés, et en particulier pour les habitants de Shushi, qui ont absolument tout perdu.
Mais d’une manière générale, l’ensemble des Arméniens du Karabagh sont effondrés. La brutalité de la conquête, tout comme les perspectives totalement bloquées, alors que la situation antérieure était déjà particulièrement difficile, ne laissent pas de place à l’espoir. La cohabitation avec les futurs colons azéris ou turcs et les exactions redoutées à juste titre, comme les pressions et le progressif étranglement du territoire que redoutent les réfugiés, les poussent à se résigner à ne pas revenir dans leur foyer ou à planifier un exode définitif.
Le mur implacable de ces blocages est cependant totalement nié par une partie de la société arménienne, galvanisée et aveuglée par tout le socle des mensonges et des prétentions nationalistes grandiloquentes entretenues depuis des années et des années. L’opposition pro-russe, appuyée par les oligarques que le soulèvement de 2018 avait bousculés, se montre particulièrement offensive, et cherche à mettre toute la défaite sur le compte de Nikol Pashniyan, le dirigeant actuel, qui avait incarné le rejet du régime militariste pro-russe et corrompu, sur une ligne libéral-nationale. Les dirigeants des partis d’opposition appellent désormais ouvertement au renversement de Pashinyan et au coup d’État.
Symétriquement, la société azerbaïdjanaise est elle aussi galvanisée par son propre chauvinisme. La victoire de son armée et notamment la prise hautement symbolique de Shushi a été fêté avec une grande ferveur nationaliste dans les grandes villes. Il est certain que là aussi c’est l’aile la plus chauvine qui se renforce, au sein d’un régime déjà particulièrement nationaliste et raciste à l’égard des Arméniens.
Le discours du Président Ilham Aliev annonçant la victoire est bien entendu complètement allé dans ce sens, appuyant autant qu’il l’a pu l’humiliation des Arméniens et renforçant le sentiment chauvin flattant les préjugés suprématistes les plus caricaturaux, y compris en un sens religieux. Rien bien entendu n’a été dit de ce côté des réfugiés arméniens, des mines antipersonnel, des destructions et des morts, ni du devenir du patrimoine culturel. La perspective d’une réconciliation est ici tout simplement évacuée au profit de la rhétorique martiale de l’écrasement génocidaire. Il n’est pas question d’autre chose que de « faire payer » les Arméniens, de les chasser « comme des chiens » du territoire reconquis.
Cependant, il faut dire aussi que la propagande de guerre azerbaïdjanaise a joué aussi sur un autre ressort, celui de la nostalgie du passé soviétique. Le député Tural Ganjaliyev, représentant au Parlement azerbaïdjanais le territoire séparatiste du Karabagh, a lancé un appel à la réconciliation nationale et a voulu assurer aux Arméniens du Karabagh que la reconquête n’avait pas de perspective d’épuration ethnique, que les biens, le patrimoine culturel tout comme les personnes seraient protégés et que la vie commune reprendrait comme lors des temps les plus pacifiques de l’époque soviétique. Il a mobilisé pour cela des images très concrètes :
« Nous n’avons pas oublié nos anciens jouant au nardik [très similaire au backgammon] sous les arbres ou autour d’un thé.
Nous n’avons pas oublié les gens se promenant ensembles dans les parcs, flânant dans les cafés, les restaurants, dans le bon air de nos montagnes.
Nous n’avons pas oublié la participation commune des athlètes arméniens et azeris dans les compétitions sportives. Nous n’avons pas oublié les jours où nous partagions ensemble les joies et les peines des uns et des autres ».
Un tel discours qui tranche avec les provocations outrancière du Président Ilham Aliev et avec la réalité du terrain, s’explique par la profonde empreinte démocratique de l’époque soviétique sur l’Azerbaïdjan, et d’ailleurs aussi sur l’Arménie, qui n’existe plus que comme nostalgie, mais qui constitue néanmoins une base très concrète pour faire pièce au chauvine racial ou nationaliste qui se développe avec l’appui du régime.
Sur ce point, il faut aussi avoir à l’esprit que contrairement à l’Arménie, l’Azerbaïdjan n’est pas un État ethnique, et que le chauvinisme turc porté par Ilham Aliev, et plus encore par la faction pan-touranienne de son épouse, n’a pas une prise totale sur la société azerbaïdjanaise, qui sans forcément se sentir concernée par les offenses racistes visant les Arméniens, par exemple l’interdiction depuis 2002 de porter un nom en –yan pour les citoyens nationaux, ne voit pas pour autant d’un bon oeil les manifestations trop ouvertes de chauvinisme turc.
Les réactions internationales à la fin du conflit : vers une logique de bloc contre bloc
À l’étranger, la victoire azerbaïdjanaise a aussi été saluée bien entendu par le gouvernement de la République de Turquie. Mais malgré l’engagement très clair au côté de l’Azerbaïdjan, cela n’a eu aucun effet populaire significatif, malgré les accents là aussi ultra-chauvins de l’exécutif turc. Il est à remarquer toutefois que pratiquement tous les ministres du gouvernement turc y sont allés de leur déclaration, saluant une victoire qui rendrait « sa fierté aux Turcs du monde entier » selon le Ministre des Affaires Étrangères Mevlut Cavusoglu. Pas moins.
Le Président Recep Tayyip Erdogan, a lancé concrètement tout un programme devant appuyer la colonisation des terres conquises et l’épuration ethnique et culturelle appelé : « Souffle pour l’avenir, souffle pour la Terre », que chaque ministre du gouvernement est appelé à décliner selon son domaine de compétence, y compris dans le domaine des services de sécurité… D’abord dans ce domaine même à n’en pas douter! Ainsi le 10 novembre étaient déjà en visite en Azerbaïdjan plusieurs figures étatiques turques : le ministre des affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu, le ministre de la défense Hulusi Akar, le chef des services secrets Hakan Fidan.
Sur ce point néanmoins, la Russie opère un retour offensif particulièrement marqué. L’armée russe avait déjà le contrôle de la frontière entre l’Arménie et la Turquie et une énorme base militaire dans le nord de l’Arménie, à Gyumri, historiquement le point d’appui de l’occupation russe au Sud-Caucase, qui avait doublé ses capacités déjà en 2019.
Elle obtient désormais le contrôle des frontières avec l’Azerbaïdjan, et le déploiement pour 5 ans renouvelable d’un contingent de plusieurs milliers de soldats au Karabagh, dans la partie restée arménienne et sur les principaux points d’accès restants. En outre, le régime russe ne peut que se satisfaire des effets de la capitulation arménienne sur la politique intérieure arménienne, puisque les velléités portées par le régime de Pashinyan, bousculé déjà depuis le début de l’année par l’opposition, ont perdu leur crédibilité au profit des nationalistes pro-russes. La satellisation de l’Arménie n’a jamais était aussi complète depuis son indépendance.
En Azerbaïdjan aussi la Russie consolide ses positions, puisqu’elle apparaît comme le meilleur pendant à une influence trop prononcée de la Turquie qui n’est pas du goût de toute la société, y compris dans l’encadrement militaire. Sur le plan militaire, la Turquie compte néanmoins accroître son influence et sa présence au Nakhitchevan, dans les parties reconquises du Karabagh et sur le corridor d’accès devant traversé le Zanguézour arménien.
En Iran, si le régime a pris position durant la guerre plutôt en faveur de l’Azerbaïdjan, dans le sens de la reconnaissance de ses frontières légitimes, aucun soutien militaire ou diplomatique significatif n’a pour autant été apporté au régime de Bakou. Le ministère des Affaires étrangères iranien a apporté sont total soutien à la solution russe et au déploiement de soldats russes au Karabagh.
Il a mollement appuyé la nécessité de voir les réfugiés arméniens revenir sur les terres conquises et appelé au respect de leurs droits, rappelant au passage ses liens avec l’Arménie et le fait que des Azéris et de Arméniens cohabitaient pacifiquement en Iran (les premiers formant au moins 15% de la population, les seconds moins de 1%). La principale source d’inquiétude de l’Iran vient de l’influence turque et de l’envoi de mercenaires jihadistes, Téhéran ayant appelé fermement au renvoi de ces milices. La presse iranienne a sobrement rendu compte de l’accord de paix, soulignant davantage le désarroi arménien, avec une sympathie manifeste, que la victoire azerbaïdjanaise et ses élans outranciers.
En Orient, seul le Qatar s’est réjouit à la victoire de l’Azerbaïdjan, mais cela ne constitue pas une surprise au vue des liens stratégiques entre ce pays et la Turquie. Au contraire, l’Égypte s’inquiète et condamne l’expansionnisme d’Ankara et son influence au Sud-Caucase, comme ailleurs en Orient. Malgré leur rhétorique islamique, les nationalistes turcs et leurs alliés azéris voit donc se consolider face à eux au moins deux blocs parmi leurs voisins : l’un emmené par l’Iran, derrière lequel se trouve aussi la Russie et la Chine au-delà, et l’autre autour de l’Égypte, de l’Arabie Saoudite et des Émirats, dans lequel Israël s’intègre de plus en plus, compliquant son soutien jusque-là constant à Ankara et à Bakou.
Les puissances occidentales semblent être pour le moment hors jeu. L’expansionnisme agressif de la Turquie s’est élancé de manière unilatérale, et entame partout la solidité des liens du régime avec ses alliés occidentaux. Le soutien militaire, notamment de la France, se tourne de plus en plus vers le bloc autour de l’Égypte et de ses alliés du Golfe. Dans cette perspective, le conflit du Karabagh n’est pas une menace prioritaire, d’autant qu’il fragilise aussi l’Iran indirectement. Mais l’accroissement de l’influence turque et son agressivité démultipliée pose forcément problème. Il est aussi à voir quelle orientation prendra la diplomatie américaine dans cette région.
Ce qui est clair, c’est que des blocs se dessinent toujours plus nettement, et ce conflit marque une étape inquiétante dans ce sens, dans celui de la marche à la guerre.
Avec la crise, et cela partout, les régimes nationalistes et chauvins, le militarisme et sa rhétorique, apparaissent comme renforcés, au détriment des peuples, de leur existence, et d’abord ici bien sûr au détriment des Arméniens du Karabagh. Mais plus généralement, c’est le piège du nationalisme agressif, c’est la mâchoire terrifiante de la guerre qui avance dans toutes les directions. L’échec des « printemps arabes » (poussé par le Qatar) et en particulier la guerre civile en Syrie avait ouvert un terrible brèche en ce sens. Mais il faut avoir conscience qu’une étape est ici franchie, impliquant des invasions, l’expansionnisme en mode « impérial » dont la Turquie est ici un exemple particulièrement agressif, et la constitution de blocs. C’est la tendance marquante sortant naturellement de la crise.
La Gauche a maintenant une responsabilité historique : elle doit déjouer cet engrenage, affirmer le droit à l’auto-détermination des peuples dans une perspective démocratique et pacifique, dénoncer tous les nationalismes, démonter tous les chauvinismes et refuser la fuite en avant criminelle et suicidaire dans la guerre, bloquer les jeux des puissances impérialistes ou expansionnistes et leur géopolitique militaire et tyrannique, qui partout bloque la paix, dresse des murs et des barbelés entre les peuples, jette les uns sur les routes, détruit, pille, conquiert et galvanise les autres dans des « victoires » dans lesquelles toutes les valeurs de notre commune Humanité s’effondrent.
En un mot, la Gauche se doit de réaffirmer l’Internationale et la Démocratie Populaire, comme seul et unique rempart à la barbarie qui avance !
L’offensive turco-azérie sur le Nagorny-Karabagh était entrée dans une nouvelle phase avec la conquête de la ville de Chouchi, ancienne citadelle verrouillant la région de la capitale du territoire, Stepanakert. La prise de ce verrou et les conséquences de l’exode de masse provoqué par la guerre ont ouvert la voie à cette tragique évidence : le Karabagh arménien vit sans doute ses derniers joursen tant que tel, alors que le président arménien est parvenu à trouver un accord in extremis, satellisant l’Arménie.
Le premier ministre arménien Nikol Pashinyan, après avoir martelé pendant des semaines un discours martial et triomphaliste, a annoncé qu’un accord de cessation de la guerre avait été réalisé avec l’Azerbaïdjan, par l’intermédiaire de la Russie. C’est une double défaite pour celui qui prétendait émanciper l’Arménie de la tutelle russe et réaliser en pratique les objectifs d’une grande Arménie. C’est le contraire qui se réalise : l’Arménie devient encore plus un satellite russe, alors que le Nagorny-Karabagh rentre dans un processus de désagrégation aux dépens des Arméniens y vivant.
Le message du président est très clair sur le sens de cette défaite, même s’il prétend qu’il n’y a ni vainqueur, ni vaincu.
« Chers Compatriotes, sœurs et frères,
J’ai pris une décision personnelle grave, extrêmement grave pour moi et pour nous tous. J’ai signé avec les présidents de Russie et d’Azerbaïdjan une déclaration mettant fin à la guerre du Karabagh à une heure. Le texte de la déclaration, qui a déjà été publié, est indescriptiblement douloureux pour moi et pour notre peuple.
J’ai pris cette décision après avoir analysé en profondeur la situation militaire et sur la base de l’avis des personnes qui maîtrisent le mieux cette situation. Également en me fondant sur la conviction que vue la situation, c’est la meilleure solution possible. »
L’accord prévoit en effet un retrait des troupes arméniennes de nombreux secteurs, avec obligation d’un libre passage par l’Arménie entre la République d’Azerbaïdjan et la République autonome du Nakhitchevan. Le tout est supervisé par l’armée russe qui sera présente dans ces zones comme en Arménie !
C’est la conséquence d’une défaite militaire. Les deux principales routes du Karabagh étaient pratiquement coupées, il y avait une offensive azérie depuis le nord (la plaine de Martuni, qui permet ensuite de rejoindre le lac Sevan) et depuis le sud vers Chouchi, cette position donnant un net avantage pour assiéger Stepanekert, déjà vulnérable à l’Est. Si de plus la route de Latchine était coupée, c’était la catastrophe complète.
Maintenant, que va-t-il se passer? En théorie le coeur du Karabagh ne connaît pas de changement et il y aura un petit corridor de connexion avec l’Arménie. Sauf que l’Arménie est affaiblie, encore plus satellisée et que l’Azerbaïdjan va étrangler le Karabagh, lentement, sûrement et discrètement. La population civile a dû fuir, la situation sur place est désastreuse, et surtout les perspectives sont bloquées.
Car s’il y a une constance dans la communication du Président de la République d’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, outre la conviction de son bon droit unilatéral sur le Karabagh, c’est que les habitants arméniens qui y vivent n’y ont pas leur place, n’ayant rien à voir avec la population de son pays. C’est tout de même une drôle de conception que de vouloir reconquérir ce territoire au nom de la légitimité des frontières soviétiques… alors qu’il est explicitement connu de tous que le Karabagh était dans la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan un oblast, un district, autonome, majoritairement et culturellement arménien. Cela sans parler bien sûr du reste des Arméniens d’Azerbaïdjan.
Ilham Aliev comme les nationalistes turcs, plus ou moins possédé par la mystique pantouranienne, veut donc le Karabagh, mais ne veut pas des Arméniens qui y vivent. L’épuration ethnique en cours selon sa perspective est une opération conforme à la base même de son chauvinisme national. Peu lui importe donc les écoles écrasées sous les bombes, peu lui importe l’héritage monumental et les sites archéologiques dévastés, peu lui importe de jeter sur les routes des femmes, parfois enceintes, et des enfants, des vieillards quand ils le peuvent, qui s’entassent désormais par milliers dans la capitale de la République d’Arménie, Yerevan.
Il faut savoir que le gouvernement arménien et les associations qui l’appuient avaient en réalité planifié la possibilité de cette attaque et d’une catastrophe humanitaire de cette ampleur. Même si l’épidémie du Covid complique ici aussi les choses, la situation est chaotique, mais néanmoins en voie d’être contrôlée, pour ce qui est des urgences les plus élémentaires du moins.
Cette conception jusqu’auboutiste reflète les préjugés terribles et lamentables dans lesquels se sont vautrés les dirigeants arméniens, et il faut le dire, avec eux les Arméniens de l’étranger et notamment en France. Depuis la fin de la guerre en 1994, rien n’a été sérieusement fait, rien n’a même été sérieusement pensé pour chercher une solution démocratique et pacifique avec l’Azerbaïdjan. Et sur ce point, le nationalisme possédé et raciste du gouvernement Aliev n’excuse rien et n’explique pas tout.
Comme si la société azerbaïdjanaise, ou comme si la société turque n’existait pas ! Combien d’Arméniens ont migré vers Istanbul durant ces années ? Combien d’occasions se sont présentées pour se rapprocher de Bakou ?
Mais tout a été bloqué en raison de la force des préjugés chauvins et d’une lamentable mentalité semi féodale semi coloniale à l’égard de la Russie, dont la défense de l’Arménie n’a jamais constituée en rien une priorité. Ce même aveuglement a permis un développement des superstitions religieuses au point où l’on voit aujourd’hui le clergé de l’Église arménienne brandir une soit-disant « relique de la Vraie Croix du Christ » comme une sorte de talisman devant protéger le Karabagh et l’armée arménienne. De même on ne compte plus sur les réseaux sociaux les images et les chansons mêlant nationalisme outrancier et militarisme débridé avec une symbolique religieuse frisant l’irrationalité la plus complète.
La vérité est que l’Arménie a cherché depuis 1991, et même avant, une base d’existence là où il n’y avait rien : dans une alliance militaire avec la Russie, dans sa religion et surtout dans ses propres préjugés nationaux. Il faut regarder cela en face aujourd’hui, car avant de basculer dans le gouffre tragique où s’effondre aujourd’hui la population arménienne du Karabagh, l’Arménie s’est précipitée dans une impasse et le sol s’est immanquablement dérobé sous ses pieds. Que pouvait-il arriver d’autre en fait ?
Il aurait fallu se tourner vers le peuple, non pas de manière mystique, mais sur une base démocratique. Même aujourd’hui, pour qui connaît l’Arménie et le Karabagh, il est impossible de discuter du passé, de l’histoire du Karabagh ou de l’Arménie sans entendre d’innombrables anecdotes sur les liens, sur les moments et les lieux communs, sur la culture qui unit Turcs et Arméniens, et plus largement les peuples du Caucase et de la Perse. Ce sont ces liens, c’est ce commun qu’il faut appuyer, c’est sur cette base qu’il faut construire.
Les Turcs n’ont pas plus une « essence » identitaire qui les pousseraient au nationalisme que les Arméniens. C’est de la pure haine ethnique que d’entretenir les préjugés qui vont dans ce sens. Quelques timides avancées avaient commencées à germer au sein du peuple arménien suite au soulèvement populaire de la jeunesse et des ouvriers en 2018, dont Nikol Pashinyan, l’actuel dirigeant de la République d’Arménie avait été l’incarnation, dans un sens libéral-national. Mais cela a été trop tard et trop peu, même si cet effondrement du régime nationaliste et militaire pro-russe à Yerevan et l’exemple de ce timide élan démocratique a certainement aussi joué dans la décision d’Aliev de lancer l’assaut.
Un Karabagh arménien séparé de l’Azerbaïdjan est une chose qui n’avait pas de sens, pas plus qu’une Arménie coupée de ses voisins turcs. La haine furieuse des uns est le reflet de la haine méprisante des autres. Ce sont les deux faces de la même pièce. Il y a bien sûr une montagne de préjugés à franchir de part et d’autre, mais gravir cette montagne, pour la dépasser, pour élever Arméniens et Turcs, est le sens même du combat de toute personne authentiquement à Gauche. Voilà la voie qui rassemblera pas à pas, mais avec détermination, les peuples, voilà le sentier lumineux vers la paix qu’il faut emprunter, qu’il faut affirmer.
Cette situation est d’autant plus significative qu’elle a un écho dans tout l’Orient, de la Syrie aux Balkans, de la Palestine au Caucase, partout en fait où s’étend encore l’ombre pesante de l’Ancien Régime ottoman. Cet Ancien Régime n’a pas encore été complètement surmonté par ces peuples, il s’est transformé en une mosaïque atomisée d’Etats ou de prétentions semi-féodales semi-coloniales qui biaisent les revendications nationales et dévient puis ruinent l’élan de la démocratie. Le problème se pose partout ici dans des termes similaires.
Le drame terrifiant du Karabagh a aussi un écho sur la société française. N’est-il pas incroyable de ne pas voir en France de manifestations populaires appelant à la Paix et à la Démocratie dans un pays aussi avancé ? Et ce alors même que la France compte en son sein près de 600 000 Arméniens et 700 000 Turcs ? Comment est-il possible qu’aucune organisation de Gauche ne soit en mesure de proposer ou même de relayer des appels à l’unité entre Arméniens et Turcs pour affirmer ensemble, ensemble et avec le reste de la population de notre pays, ces idées qui sont le fondement même de ce qui fait la Gauche ?
Au lieu de cela, on a les articles possédés des médias arméniens et les communiqués parfois délirants de personnalités ou d’associations arméniennes, appuyés de manifestations chauvines incompréhensibles au reste de la population, même si elle les regarde néanmoins avec sympathie, mais aussi avec un sentiment de distance, de superficialité. Et bien sûr on a aussi les agressions et les tentatives brutales d’intimidation de bandes littéralement fascistes agissant sous drapeau turc et la propagande bien entendue des islamistes de type « Frères Musulmans » du bloc qataro-turc.
Sur cela aussi, il faut être à la hauteur de notre époque. L’amitié entre les peuples, la défense de la Paix, l’Internationale en un mot, n’est pas un vain mot pour la Gauche de notre pays, qui doit se mobiliser sur la bases de ses valeurs et de son héritage. L’Orient aussi a besoin d’une France socialiste.
« LE TRAITÉ SUR L’INTERDICTION DES ARMES NUCLÉAIRES ENTRE EN VIGUEUR !
Ce 24 octobre 2020, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) vient de franchir une nouvelle étape permettant son entrée en vigueur en 2021. Désormais, selon le droit international, les armes nucléaires sont illégales.
Enfin les armes les plus inhumaines et destructrices — soixante quinze années après leur première utilisation sur des populations civiles et après plus de deux milles détonations dans le cadre d’expériences (dont 210 par la France) — sont totalement interdites par un traité créé à l’initiative d’une vaste majorité d’États dans l’enceinte des Nations unies ; preuve que le multilatéralisme fonctionne.
Les dernières ratifications (Nauru, Jamaïque) hier 23 octobre et ce jour 24 octobre (Honduras) déposées ce jouraux Nations unies ont permis au TIAN d’obtenir le minimum de 50 États membres pour assurer son entrée en vigueur, comme le stipule son article XV dans « 90 jours ». À noter que 37 États signataires préparent également leur procédure de ratification du traité.
Ainsi, en 2021, nous débuterons une nouvelle décennie ou les armes nucléaires seront illégales au regard du droit international. Il était anormal que les armes nucléaires soient les seules armes de destruction massive non-interdites, alors que c’est le cas pour les armes chimiques et biologiques. Ce traité corrige cette anomalie et va montrer le véritable visage de cette arme.
Malgré les dernières tentatives de pression des Etats nucléaires, de la France notamment, ce traité va fonctionner pour engager le désarmement nucléaire, renforcer la lutte contre la prolifération nucléaire, prendre en compte l’environnement pollué par les essais nucléaires et assurer aux populations victimes de ces essais une assistance sanitaire.
Des centaines de villes, à travers le monde, soutiennent cette interdiction, les armes nucléaires étant par leur nature destinées à frapper des centres urbains. En France une trentaine de villes, dont Paris, Grenoble ou Lyon ont aussi signé l’Appel des Villes initié par notre Campagne.
Ainsi pour Gregory Doucet, Maire de Lyon « La ratification par 50 États-membres de l’ONU du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) va permettre son entrée en vigueur. Ces armes, conçues pour cibler prioritairement les zones fortement peuplées que sont les villes, sont enfin interdites : c’est un progrès à la fois humanitaire et écologique, ainsi qu’une étape majeure vers un monde plus sûr. Et je tiens à féliciter l’association ICAN dont l’inlassable travail d’information a permis d’obtenir cette belle victoire ».
RÉACTIONS
Jean-Marie Collin, expert sur le désarmement nucléaire et co-porte-parole de ICAN France :
« La France est à contre courant de l’histoire. Non seulement elle a pratiqué la politique de la chaise vide durant toute ces années de négociations à l’ONU, mais en plus elle a exercé une pression sur des États contre l’instauration d’une norme qui soutient le droit humanitaire et va renforcer la sécurité internationale ».
« Nous sommes devant un vide terrible de prise de conscience des parlementaires sur les enjeux liés au désarmement nucléaire. C’est extrêmement regrettable de voir, que le budget atomique passe la barre des 5 milliards d’euros sans aucun débat de fond. Rien sur l’impact de l’arrivée du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires sur les années à venir, aucune interrogation sur cette politique de dissuasion nucléaire et une absence de réflexion sur la nécessité, à l’heure du « Jour d’après », d’engager une politique de sécurité humaine ou les enjeux sécuritaires, sanitaires et environnementaux sont croisées et non pas opposés. Nous les appelons dès lundi à constituer une délégation permanente à la dissuasion nucléaire, à la non-prolifération, à la maitrise de l’armement et au désarmement sur ce sujet comme il s’y était engagé le 11 juillet 2018.»
Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements, co-porte-parole de ICAN France :
« Le président Macron a parlé de réalisme dans son discours sur la dissuasion (7 février 2020) assurant qu’il fallait avec les Européens développer une culture stratégique et pratiquer des exercices de frappes nucléaires. Le réalisme imposerait de voir que cette politique va diviser les États européens, empêcher la création d’une politique de sécurité commune et faire le lit de la prolifération nucléaire ».
« Ceux qui pensent que le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires n’aura aucun impact sur la France ne tiennent aucun compte de la réalité du monde de ce XXIe siècle et de ses interdépendances. Les effets de l’entrée en vigueur du TIAN vont être politiques, diplomatiques, juridiques, stratégiques, éthique et financier. Déjà d’importantes institutions financières se refusent à investir dans le secteur de l’armement nucléaire suite à l’adoption du traité par l’ONU… Le déni d’ouvrir le débat sur la dissuasion nucléaire ne peut que renforcer l’instabilité et l’insécurité. » »
L’Arménie et l’Azerbaïdjan continuent de s’affronter malgré des cessez-le-feu non suivis ; ils sont lancés dans un jusqu’auboutisme nationaliste forcené.
La situation militaire est toujours aussi tendue et sanglante au Nagorny-Karabagh, malgré des appels plus ou moins hypocrites de la Russie et des accords de cessez-le-feu non suivis d’effets. C’est que les protagonistes se sont auto-intoxiqués dans un nationalisme ultra catastrophique ; les appels à la mobilisation totale sont de rigueur, avec la haine nationaliste la plus farouche largement diffusée, avec toute la force que peuvent avoir des États.
Cela fait très peur du côté arménien. Car l’Arménie a tout à perdre et pourtant ceux aux commandes sont des fous furieux. Ainsi, à Etchmiadzin, à la périphérie d’Erevan (la capitale arménienne), on trouve le catholicossat de tous les Arméniens. Une église abrite la croix de l’armée arménienne, avec prétendument un morceau de la croix sur laquelle fut crucifié Jésus Christ… Et cette croix vient d’être amené au Nagorny-Karabakh !
C’est là une expression du délire nationaliste-religieux quant à une Arménie existant depuis la nuit du temps, avec un fanatisme anti-« turc » où par turc on entend turc, tatar, azéri, musulman, etc.
Tant en Arménie qu’en France on a de ce fait une intense activité de la Droite la plus réactionnaire et religieuse, dont Nouvelles d’Arménie Magazine se fait l’écho notamment, comme avec cette tribune ultra-réactionnaire de Mooshegh Abrahamian, se résumant aux propos suivants :
« L’avant-poste arménien de ce combat millénaire pour la civilisation chrétienne tiendra-t-il jusqu’à la prise de conscience des nations occidentales seules capables de stopper ce rouleau compresseur qui atteint désormais leurs rives ? »
Ces propos relèvent de la guerre de civilisation et sont tout à fait conformes à l’idéologie de Jean-Marie Le Pen des années 1980 ; on est d’ailleurs dans un contexte d’une Droite « populaire », beauf, brutale et anti-communiste à l’offensive. C’est tellement vrai que début octobre Libération a été obligé de retirer face à la pression un de ses articles, « Face à l’Azerbaïdjan, l’extrême droite française défend l’Arménie », qu’on peut retrouver sur un site de Gauche l’ayant republié en étant passé à côté d’une polémique hallucinante et malheureusement symptomatique.
Cette « sainte-alliance » des réactionnaires « occidentalistes » a évidemment son pendant du côté azerbaïdjanais. Les victoires militaires azerbaïdjanaises, avec la conquête de quelques villages, ont amené une propagande nationaliste sans limite, parlant de victoire totale à l’horizon, sans évidemment un seul mot pour la population arménienne. Ici, il n’est pas parlé d’épuration ethnique mais c’est très clairement sous-entendu. Il n’y a aucun appel envers la population arménienne du Nagorny-Karabagh et il est évident que l’État azerbaïdjanais fera tout pour qu’elle s’enfuit.
Le président du parlement turc, Mustafa Sentop, est également en visite officielle en Azerbaïdjan, ajoutant de l’huile sur le feu ; sa visite témoigne du rôle de la Turquie pour accentuer les violences, l’offensive, la démarche anti-démocratique.
À l’arrière-plan, on a aussi l’Azerbaïdjan qui a balisé le terrain avec de multiples contacts, voire des contrats directs comme celui de l’ambassade d’Azerbaïdjan en France signé en 2018 avec Albera conseil, une agence de communication dirigée par Patricia Chapelott.
La situation est vraiment celle d’une guerre dont on voit mal la sortie et il est d’ailleurs intéressant de voir à ce sujet le positionnement de la Gauche relevant de la tradition communiste.
Le PCRF souligne quant à lui que la guerre est l’expression du démantèlement de l’URSS et des visées géopolitiques des uns et des autres ; du côté du PCF(mlm) on a une longue présentation du rapport arméno-azerbaïdjanais avec une valorisation de l’esprit du bolchevisme caucasien, tenant d’une unité transcaucasienne visant à assécher toute expression de nationalisme.
C’est que la question est finalement simple : la solution au conflit passe-t-elle par un retour en arrière à la ligne communiste des années 1920, avec une unité caucasienne opposée aux nationalismes, ou à la scission radicale des deux pays, avec un encadrement international ?
Les nationalistes sont un peu comme le Don Quichotte de Cervantès : ils luttent contre des moulins à vent. Mais ils luttent par le sang et les larmes des peuples.
Il est important d’avoir ceci en tête pour comprendre la situation au Karabagh. Cet exemple est significatif de la façon dont précisément le nationalisme s’oppose à la paix et écrase les peuples. Même si la situation est dissymétrique, dans un camp comme dans l’autre, à rebours des expériences du passé, celui de l’Union soviétique mais même un passé encore plus lointain, les nationalistes de deux bords se déchirent autour d’une certitude commune : pour les Arméniens nationalistes, le Karabagh, qu’ils appellent l’Artsakh, ne peut revenir ou rester en Azerbaïdjan, car c’est une « terre arménienne ». Pour les Azeri nationalistes, le Karabagh ne peut rester ou être arménien, car c’est une « terre turque ».
Mais la terre de ceci ou la terre de cela, ça n’existe pas. Il existe des Arméniens et il existe des Turcs azéri, voilà ce qui doit occuper les gens qui ont une perspective démocratique. La vie sur un territoire n’impose pas la purification ethnique. Cela devrait être une évidence. Et l’élan de la culture, élan collectif et universel, pousse à chercher les communs, et non cultiver jusqu’à la fin des temps, c’est-à-dire jusqu’au génocide, les différences formelles.
Prenons un exemple parlant de cela : la cuisine. Quoi de plus quotidien, de plus banal et donc de plus déterminant que la cuisine pour saisir un peuple ? Toutes les personnes amenées à voyager constatent avec le plaisir de la découverte, ce qui fait justement l’exotisme d’une rencontre à l’étranger : goûter une cuisine différente, de nouveaux aliments, de nouveaux condiments, de nouvelles façon de les transformer, de les fondre. Et cette différence s’abolit immanquablement dans le processus même de la rencontre.
Par exemple, il n’y pas un supermarché de France qui n’offre pas des plats « mexicains », « italiens » etc, qui font désormais entièrement partie de notre gastronomie. Le stade, l’étape de la rencontre a été dépassé depuis longtemps sur ce plan. L’aspect « mexicain » ou « italien » demeure, mais il a été fondu, incorporé, dans l’aspect principal « français » qui reste le nôtre. Mais une étape plus complexe a été atteint, puis franchie. Et cela continue ainsi dans cette perspective, parce qu’il en va du mouvement même de la vie.
Mais que dire alors de peuples que la cuisine ne sépare pas ? Sinon que le processus de fusion y est déjà considérablement avancé. La cuisine arménienne, la cuisine turque, la cuisine arabe syrienne ou la cuisine kurde par exemple ne différent pas fondamentalement, au point qu’il convient souvent plus justement d’en parler comme étant de la cuisine « orientale ». Les déclinaisons tiennent dans les condiments, les épices, les herbes aromatiques plus que dans la composition même de la recette.
L’exemple des Cig Köfte (ou Vospov Köfte), un terme turc dérivé du persan, est très exemplaire de cela. Le plat est aussi populaire chez tous les peuples concernés, et son origine tourne autour de la même région, peuplée de tous ces peuples. À la base, il s’agit de boulettes de viandes mêlées de blé boulgour et aromatisé à l’avenant selon les goûts de chacun. Mais toute les variétés vont dans le même sens et d’ailleurs, la version végétale de la recette s’impose de plus en plus.
Les Cig Köfte actuelles sont préparées de lentilles corail et de blé boulgour, légèrement pimentées. Elles se dégustent tièdes, volontiers arrosées de citron, ou assaisonnées de grain de grenade dont la saveur est là aussi commune aux goûts des peuples orientaux.
L’idée de farcir une galette de blé avec des herbes aromatiques et des légumes verts est aussi une pratique culinaire absolument commune, sous la forme du börek turc, ou pour en revenir au Karabagh, du Jingalov Hats (Ժենգյալով հաց), spécialité de Stepanakert et des campagnes arméniennes du Karabagh. Cette dernière recette a la particularité d’être un mélange d’herbes aromatiques, le Jengyal, dont la récolte est en soi le reflet d’une immense connaissance des ressources naturelles du territoire par la population. On dit que certaines recettes de ce plat sont composées de plus de 20 plantes différentes !
Les Dolma, ou farcis, sont encore un autre exemple emblématique de cette cuisine partagée. On en trouve de tout type, poivrons, aubergines, tomates ou encore bien sûr les fameuses feuilles de vignes.
Et sans conclure, les conserves marinées en vinaigre et saumures, appelés en turc Tursu sont forcément dans les armoires et les habitudes culinaires des Orientaux, en particulier des Arméniens de France qui poursuivent sur ce plan le développement de leurs goûts. Et ceci tout en fusionnant toujours davantage les saveurs, les associations.
Cette imagination sans limite des peuples pour améliorer leur cuisine, illustre toute la force créatrice du peuple, illustre la dynamique allant à la fusion, à l’harmonie. Un proverbe arménien plein de sagesse affirme qu’on ne peut séparer ceux qui ont bu la même eau.
Les nations, les peuples, ne sont pas des planètes différentes qui se partagent notre monde. Leur mouvement tend à les rapprocher, c’est pourquoi les nationalistes font tout pour les figer. Le nationalisme a ceci de particulier qu’il cherche à affirmer la dignité d’un peuple en le coupant des autres.
En cela, le nationalisme n’a rien à voir avec la définition classique de la nation pour la Gauche, qui repose sur une détermination fondamentalement matérialiste : une langue commune, un territoire historique, une tournure d’esprit identifiable, un folklore distinctif. Voilà autant d’éléments concrets, vérifiables, tangibles. Mais ce sont des éléments mouvants, allant vers la transformation et la fusion avec d’autres éléments.
Le nationalisme a ceci de commun avec le libéralisme post-moderne qu’il cultive tout comme lui le narcissisme de la différence, le goût de la fragmentation séparée. C’est en raison de cette conception fondamentalement différentialiste que les nationalistes ne peuvent pas reconnaître des pans entier de ce qui constitue l’existence des peuples.
La musique, la cuisine, le folklore sont en la matière autant de réalités qui ne peuvent être assumées jusqu’au bout, sinon en les biaisant, en les « gelant » dans des supposées « traditions » immobiles, quasi-structurelles. Les nationalistes ont donc une vision forcément tronquée, séparatiste de l’Histoire, une vision chauvine et mensongère.
Ce qui manque au nationalisme, c’est qu’il ne peut pas, qu’il refuse même d’ailleurs de porter l’élan de la culture. Non pas des cultures au sens justement différentialiste et identitaire qu’il essaye de donner à ce mot, et sur ce point il y a une bataille idéologique déterminante à mener, mais au sens de la culture comme élan universel poussant l’Humanité à la fusion, à l’élévation de ses capacités collectives et de sa compréhension de la matière, de l’univers, de manière toujours plus complexe et avancée.
La charge de ce mouvement est précisément ce contre quoi pensent devoir lutter les nationalistes. Lutte vaine et irrationnelle, qui autorise toutes les brutalités, toutes les contorsions machiavéliques. Lutte dans laquelle les nationalistes abandonnent le peuple au profit d’abstractions de plus en plus sophistiquées. C’est ce que font les nationalistes turcs qui parlent du Karabagh comme si aucun être humain n’y vivait, comme d’un territoire à reconquérir purement et simplement et à « purifier » de sa population arménienne.
Mais c’est parce que la vie l’emporte sur tout que les nationalistes seront forcément vaincus et que les peuples arméniens et turcs renverseront les divisions qui entravent leur existence en commun, et leur fusion à venir dans une forme plus complexe. Les Arméniens de France devraient, doivent être à l’avant-garde de cet engagement. C’est une responsabilité historique.
S’il est une question où la Droite et la Gauche sont totalement séparés, c’est bien sur celle de la guerre. La Droite justifie celle-ci quand ça l’arrange ; la Gauche veut la justice et déteste le militarisme, l’expansionnisme.
Aussi ne doit-on pas être étonné de voir, dans la tribune de « soutien » à l’Arménie signée par 176 élus et publiée dans le Journal du Dimanche, des figures de la Droite et non des moindres. On a ainsi Laurent Wauquiez (président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes), Christien Estrosi (maire de Nice), Damien Abad (président du Groupe LR à l’Assemblée nationale), François-Xavier Bellamy (président de la délégation française du Groupe PPE), Valérie Pecresse (présidente de la Région Ile-de-France), etc.
La tribune exige en effet que la France intervienne, qu’elle prenne partie, bref qu’elle assume une politique néo-coloniale franche, ouverte. La France fait partie du groupe de Minsk qui depuis 25 ans cherche sans succès à réaliser un dialogue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan : la tribune appelle à ce que cela cesse.
« Face à l’ensemble de ces événements, force est de constater que l’espace de neutralité dans lequel la France s’efforçait depuis plusieurs décennies de créer un chemin vers la paix n’existe plus (…).
Nous considérons que la diplomatie française doit réexaminer sa stratégie dans le conflit du Haut-Karabakh : dénoncer avec force l’agression azerbaïdjanaise et exiger l’arrêt immédiat des violences de la part de l’Azerbaïdjan sous peine d’un soutien massif aux autorités du Haut-Karabakh qui passera par la reconnaissance de leur légitimité pleine et entière. »
Cette dernière phrase implique naturellement un soutien militaire à l’Arménie ; le soutien « passera par la reconnaissance », mais évidemment il ne saurait se contenter de cela puisqu’il doit être « massif ».
On est là dans une prise de partie unilatérale tout à fait classique de la Droite, mais de nombreuses figures se revendiquant de la Gauche ont également signé cette tribune où on cherchera en vain une dimension démocratique. C’est comme si ne comptaient que les Etats et en rien les peuples.
On a ainsi les signatures d’Eliane Assassi (présidente du Groupe communiste républicain citoyen et écologiste au Sénat), de Clémentine Autain, de Raphael Glucksmann, de Benoît Hamon, d’Anne Hidalgo, de Yannick Jadot d’EELV, de Pierre Laurent du PCF, de Marie-Noëlle Lienemann, etc.
Il suffira de faire remarquer à ces gens une simple chose. Il est dit dans la tribune, au sujet du Haut-Karabakh :
« Ce territoire, berceau de la civilisation arménienne et dont la population fut de manière ininterrompue au cours de l’histoire composée essentiellement d’Arméniens »
C’est tout à fait vrai. Alors posons la question aux signataires de gauche : puisqu’il y a ce mot « essentiellement », il y a donc des gens qui ne sont pas arméniens. Ils sont azéris, kurdes, etc. Où sont-ils alors ?
Eh bien ils ne sont plus là, car ils sont été expulsés. La conquête du Haut-Karabakh par l’Arménie s’est accompagnée d’une politique d’expulsion massive. Il y a 800 000 réfugiés azerbaïdjanais, qui ont été éjectés de leurs foyers au nom de la pureté ethnique arménienne valable « depuis trois mille ans ». Car c’est de cela qu’il s’agit également.
Bien entendu, les fauteurs de guerre sont aujourd’hui l’Azerbaïdjan et à l’arrière-plan les va-t-en-guerre turcs. Il faut les dénoncer et c’est le principal. Il faut toutefois pour être authentiquement démocratique ne pas se mettre à la remorque d’un État arménien corrompu, bureaucratique, militariste, qui a unilatéralement décidé d’annexer une partie du territoire azerbaïdjanais.
L’ONU a par de nombreuses résolutions insisté là-dessus. Les signataires de gauche ont-ils conscient que leur tribune foule aux pieds le principe d’intégrité territoriale et que n’importe quel envahisseur peut pareillement justifier une intervention « libératrice » ? Ont-ils compris qu’ils démolissent le principe même de droit international et qu’ils contribuent au principe de poussée expansionniste ?
La vérité est que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont dirigés par des nationalistes, qui poussent au crime, qui veulent l’épuration ethnique, parce que pour eux l’autre peuple est constitué de monstres. Alors, oui il faut stopper l’Azerbaïdjan, mais cela ne peut être qu’au profit du peuple et ce peuple est constitué du peuple arménien et du peuple azerbaïdjanais.
Quelle idée de se remettre à la remorque tant de la Droite qui veut renforcer les positions stratégiques françaises que des fantasmagories annexionnistes des nationalistes d’Arménie !
Le pire de tout cela est que c’est fait au nom de l’Arménie. Et ce pays se retrouve maintenant le dos au mur, à jouer son existence, parce que des fanatiques ont ouvert la boîte de Pandore de la haine entre les peuples, la haine implacable, celle de l’épuration ethnique, de la liquidation.
La haine historique et réciproque entre la Grèce et la Turquie est bien connue. Les hydrocarbures méditerranéens l’alimentent ces dernières semaines de manière dramatique et inquiétante.
Ce qui est inquiétant, outre la faiblesse d’une Gauche capable de s’opposer au conflit annoncé (encore qu’en Grèce, elle puisse s’exprimer de manière plus grande qu’en Turquie), c’est le profond racisme qui gangrène les deux pays et qui sert naturellement les intérêts guerriers.
Ce phénomène est particulièrement visible en Turquie ou chez les gens d’origine turque installés à l’étranger. En Turquie, mais également sur les réseaux sociaux, on voit fleurir les appels au meurtre et les insultes visant les peuples que le nationalisme turc a souvent massacré : les Arméniens, les Kurdes et, surtout en ce moment, les Grecs. Ceux-ci sont qualifiés de « bâtards », de « résidus de Byzance », ou même de « bâtards pontiques », en référence à cette population grecque qui a subi un véritable génocide. À ce propos, il est ironiquement ignoble que les mêmes qui nient le caractère génocidaire de ces massacres (dont l’odieux génocide arménien) insinuent quand même que « c’était bien fait pour eux », et appellent parfois même à renouveler l’horreur.
En 2019, le rapport de la fondation Hrant Dink étudiant les discours haineux notait que dans les médias turcs, la haine visant les Grecs (de Grèce, de Chypre et de Turquie) était bien plus fréquente que la haine des Syriens (premières victimes de la haine raciste, si on compte séparément Grecs de Grèce et Grecs de Chypre et Turquie séparément), des Juifs et des Arméniens. On constate une véritable focalisation sur les Grecs, entretenue par les médias dont on sait à quel point leur dépendance par rapport au pouvoir est grande.
Ce racisme sert évidemment les projets expansionnistes et agressifs du régime qui joue sur la corde néo-ottomane pour attiser la haine et le soutien à ses projets. La reconversion de Hagía Sophía en mosquée en a été une marque importante, mais on doit noter également que le régime laisse détruire des monuments historiques liés à la Grèce et au christianisme dans cette même optique.
Face à cela, la haine anti-turque en Grèce est, pour ainsi dire, tout aussi culturellement ancrée. Comme en Turquie d’ailleurs, cette haine est associée à la haine d’autres peuples, notamment les Roms ou les Macédoniens, auxquels beaucoup nient même le droit de se dire macédoniens, sans parler des Juifs, au centre de tous les fantasmes conspirationnistes, que ce soit par antisémitisme chrétien ou par « anticapitalisme » (au sens de « socialisme des imbéciles », comme disait August Bebel). À ce titre, on ne rappellera jamais assez que les amis grecs de Jean-Luc Mélenchon, après avoir participé aux manifestations nationalistes contre le droit pour les Macédoniens de se dire Macédoniens, font désormais campagne contre « l’israélisation » de l’État grec, soi-disant sous contrôle.
Ainsi, dans le langage courant, de nombreuses insultes sont forgées à partir de termes désignant ces nationalités. Beaucoup même les emploient naturellement, sans forcément avoir des arrières-pensées racistes, tellement elles sont courantes. On peut citer le terme de « τουρκόγυφτος », littéralement le « turco-gitan ». Le mot « γυφτος », cousin étymologique de « gypsy » et de notre « gitan », a déjà en grec une connotation souvent péjorative (on lui préférera d’autres mots, comme « τσιγγάνος », tsigane, par exemple). En lui ajoutant le préfixe « turco », on renforce le côté péjoratif et le sens premier de « Rom venu de Turquie » s’efface derrière une insulte adressée à quelqu’un de mauvais, malhonnête, sale, malpropre, etc.
Après quatre cents ans d’occupation, puis deux siècles de tensions, les Grecs ne sont pas davantage prêts que leurs voisins à faire la paix et à tourner le dos au nationalisme que leurs dirigeants et les classes dirigeantes instillent entre eux. D’autant que, si Recep Tayyip Erdoğan exprime un néo-ottomanisme islamo-turc, la Grèce reste également encadrée par ses deux piliers institutionnels : l’Église hortodoxe toute-puissante et réactionnaire, et l’Armée, bastion du fascisme, voire même du nazisme.
La situation est alarmante et le pire est à craindre si la Gauche de ces deux pays ne parvient pas à mener le combat pacifiste et à rassembler largement les masses autour du refus de la guerre, de la défense de la démocratie et du recul des monopoles. Là-bas comme ici, il faut le Front populaire. D’urgence.
L’Armée française a annoncé mercredi 26 août 2020 mener des exercices militaires en Méditerranée orientale pendant trois jours. Les manœuvres visent ouvertement la Turquie dont le conflit avec la Grèce prend chaque jour une tournure plus guerrière, avec la France parmi les belligérants.
La ministre des Armées Florence Parly a annoncé que trois avions Rafale, la frégate La Fayette et un hélicoptère français prennent part à un exercice commun avec l’armée de Grèce en Méditerranée orientale, du mercredi 26 août au vendredi 28 août 2020. Les armées italienne et chypriote sont également concernées par l’opération dans les eaux situées entre la Crète et Chypre, précisément là où la Turquie a un navire prospectant des hydrocarbures.
Quelques jours plus tôt, la Grèce émettait un télex de navigation (Navtex) annonçant des manœuvres dans cette zone. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan y a répondu de manière très hostile :
« L’émission d’un Navtex par la Grèce n’est autre qu’un acte irresponsable menaçant la sécurité de tous les navires présents dans la région ».
La Turquie considère que la Grèce n’avait pas le droit de l’émettre et s’est faite très menaçante, expliquant que ceux à qui elle sera confrontée devront « en assumer les conséquences ». La France est visée, sans la nommer ouvertement, en dénonçant le fait qu’elle pousse la Grèce à la guerre :
« Il serait bon pour la Grèce de prendre en considération que ceux qui la poussent devant la flotte turque, ne se montreront pas si un problème survient ».
C’est ainsi qu’on assiste à une escalade guerrière où la France répond à la Turquie en déployant sa force, assumant par là son appui militaire à l’armée grecque dans le cadre d’une « Initiative quadripartite de coopération (SQAD) ». Les manœuvres sont appelées « Eunomia », en référence à une déesse grecque dont le nom renvoie aux notions de justice, d’équité, de bon ordre.
Si la France prétend agir au nom du « droit international » comme l’a affirmé Florence Parly, il faut bien voir que le régime turc dit exactement pareil de son côté. La Turquie considère que ses provocations récurrentes contre la Grèce sont légitimes, sans par ailleurs que ni l’Allemagne, ni les États-Unis, ne le lui reprochent vraiment.
Mardi 25 août, le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas était à Ankara (après s’être rendu à Athènes) pour y prôner le dialogue, mais aussi pour réaffirmer la question de l’OTAN et donc de la superpuissance américaine dont dépend encore la Turquie. À ses côtés, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a expliqué que ce n’est pas son pays qui fait monter les tensions.
Il a affirmé que la Grèce devait renoncer à « jouer les gâtés » et que :
« Il ne faut pas que la Grèce se laisse entraîner par les pays [sous entendu la France principalement] qui souhaitent la jeter devant la flotte turque. Nous sommes voisins. Nous souhaitons un partage juste ».
Il suffit pour mieux comprendre la situation de regarder cette carte montrant les frontières maritimes (ZEE) selon la convention de Montego Bay de l’ONU en 1982 :
Comme on le voit, les eaux territoriales grecques couvrent toute la zone, notamment en raison de la petite île de Kastellorizo. La Turquie n’a jamais reconnu cette convention (à l’image de nombreux pays dont les États-Unis) et maintenant qu’elle sait qu’il y a d’importants gisements gaziers dans la région, elle y revendique activement ses frontières.
C’est la raison pour laquelle le navire Oruç Reis prospecte depuis plusieurs jours dans ces eaux, escorté par une flotte militaire. La France avait immédiatement réagi à cela en déployant de premiers exercices militaires communs avec la Grèce, comme avertissement à la Turquie.
On a depuis un embrasement continu. Il y a là une situation inextricable, avec des intérêts capitalistes qui se font face et sont prêts à toutes les escalades, comme l’histoire en a tant connu.
L’Armée française agit ici au nom du capitalisme français, qui a besoin d’une grande puissance militaire à défaut d’être encore une grande puissance économique et diplomatique, et alors que le groupe Total est potentiellement concerné par les ressources de la région.
Inversement, la Turquie agit de manière particulièrement provocatrice, poussée par les intérêts expansionnistes de son économie, elle-même portée par un nationalisme néo-ottoman très agressif depuis plusieurs années.
Le discours du régime turc est particulièrement virulent, comme ces propos ultra-provocateurs de Recep Tayyip Erdoğan ce mercredi 26 août 2020, à propos des tensions avec la Grèce :
« Ceux qui ne méritent même pas d’être les héritiers de Byzance aujourd’hui, se cachent derrière les Européens pour agir comme des pirates qui ignorent le droit. Il est évident qu’ils n’ont pas retenu les leçons du passé ».
Ces propos étaient tenus lors d’une célébration de la bataille de Manzikert en 1071, une défaite byzantine consacrant la montée en puissance de ce qui deviendra l’empire Ottoman et utilisée de manière nationaliste aujourd’hui par le régime turc.
De manière particulièrement martiale, il a également lancé lors de son discours (en direct à la télévision) :
« Si nous n’avons aucune visée sur les terres, la souveraineté et intérêts des autres, cela ne veut pas dire que nous allons abandonner ce qui nous appartient. Ceux qui se dressent contre nous et qui sont prêt en en payer le prix, nous les attendons. Sinon qu’ils se retirent de notre chemin.
Il faut désormais que tout le monde voit que la Turquie n’est plus un pays dont on peut tester la patience, la détermination, les moyens et le courage ».
C’est terrifiant. Pour autant, il ne faut pas être dupe de la communication de la ministre des Armées Florence Parly qui explique, en s’imaginant que le la France est une grande puissance :
« Notre message est simple : priorité au dialogue, à la coopération et à la diplomatie pour que la Méditerranée orientale soit un espace de stabilité et de respect du droit international. Elle ne doit pas être un terrain de jeu des ambitions de certains ; c’est un bien commun. »
La France n’est pas l’ONU, elle n’est qu’une grande puissance en déclin s’imaginant retrouver de sa superbe grâce à une confrontation avec la Turquie.
La situation est extrêmement explosive et nécessite plus que jamais d’affirmer le pacifisme, c’est-à-dire l’opposition active à la guerre. La Gauche française doit dénoncer ici avec une grande vigueur les opérations militaires françaises en Méditerranée orientale, car elles mènent tout droit à la guerre. Une guerre qui relève de la course à la guerre générale avec en toile de fond l’affrontement sino-américain.
Dans le contexte de tension extrême entre la Grèce et la Turquie, il est important de se pencher sur la gauche grecque, historiquement très puissante.
La Gauche de Grèce est historiquement une composante très importante du mouvement ouvrier ; la résistance victorieuse à l’occupation nazie puis l’affrontement avec la Grande-Bretagne et les États-Unis après 1945 ont manqué de faire basculer le pays. Si par la suite il y a un écrasement du mouvement ouvrier par une répression sanglante, il y a un redémarrage régulier dans la formation de courants se revendiquant de la Gauche. Quelle sont leurs positions dans la situation actuelle ?
Déjà, ont signé une déclaration commune contre la guerre le KKE (Parti communiste de Grèce) et son équivalent turc le TKP (Parti communiste de Turquie), qui sont liés au PCF en France historiquement (le KKE étant toutefois désormais proche du Parti Communiste Révolutionnaire de France). Cela tranche résolument avec le nationalisme exacerbé caractérisant les deux pays. Ce sont leurs bourgeoisies respectives qui sont visées par le texte, de même que l’OTAN, l’Union européenne et les États-Unis. Il y a une dénonciation de la transformation de la Hagia Sophia en mosquée comme étant une manœuvre fanatique destinée à alimenter la haine et à mobiliser les masses turques dans un affrontement avec la Grèce.
Plus généralement, il est considéré que le cœur du problème est une « concurrence inter-capitaliste » pour le contrôle des hydrocarbures de la méditerranée orientale. En appelant à la classe ouvrière, les deux partis affirment qu’au-delà du pacifisme, c’est pour le socialisme qu’il faut lutter. Ils rappellent en effet que « la seule garantie de coopération et de fraternité entre les peuples » est liée à la prise du pouvoir des travailleurs et à l’établissement de relations sincères, solidaires et internationalistes.
On retrouve le même genre de position du côté des organisations issues du maoïsme que sont le KKE-ML (Parti communiste de Grèce – marxiste-léniniste) et le ML-KKE (Parti communiste marxiste-léniniste de Grèce). Elles dénoncent des intérêts « impérialistes » et « capitalistes » dans la région, ainsi qu’une tendance à la guerre et au nationalisme dans les deux pays. L’agression turque est dénoncée, mais il est considéré qu’il ne faut pas être dupe à propos du « capitalisme » et de « l’État grec » dans cette affaire.
L’organisation ANTARSYA, assez proche de notre NPA en France, dénonce également les « intérêts capitalistes » et le conflit opposant « les bourgeoisies grecque et turque », tout en rejetant le « droit international » comme étant bourgeois.
En apparence, il y a un peu la même logique avec les organisations SYRIZA en Grèce et son équivalant en Turquie, le HDP (Parti démocratique des peuples). Ils ont produit une courte déclaration commune dénonçant « la transformation de musée en mosquée de la Hagia Sophia, haut lieu du patrimoine de toute l’humanité et de toutes les religions ». Dénonçant le nationalisme, les deux organisations parlent de « culture partagée » entre les peuples grecs et turcs, en promouvant une « coexistence ».
Cependant, ces deux organisations ne relèvent pas de la Gauche historique et n’ont aucune base idéologique solide pour assumer réellement l’opposition à la guerre. Mardi 25 août, le président de SYRIZA Alexis Tsipras s’est entretenu directement avec le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas pour lui demander d’intervenir pour « la défense des droits souverains de la Grèce et de Chypre », réclamant même une « perspective de sanctions fortes » contre la Turquie. C’est là faire le jeu du nationalisme grec, avec l’option d’une soumission à l’Allemagne comme grande puissance « protectrice ».
D’ailleurs, SYRIZA gouvernait encore récemment en alliance avec un parti d’extrême-droite ouvertement nationaliste, militariste et raciste, ayant une perspective d’affrontement avec la Turquie.
On retrouvera le même genre de position avec le groupe « Unité populaire », issue de l’aile anti-Union européenne au sein de SYRIZA. Il est appelé pour la Grèce à se séparer de l’OTAN, des États-Unis et de l’Union européenne (un trio décrit comme étant « l’impérialisme ») et à se défendre de manière indépendante face à la Turquie. C’est du nationalisme, mais avec l’objectif affiché d’assurer la paix.
Du côté de « Cap vers la liberté », l’autre scission de SYRIZA, fondé par Zoé Konstantopoulou qui est très proche de Jean-Luc Mélenchon en France, il est prétendu que le responsable des tensions actuelles avec la Turquie serait… Israël ! En conséquence, ce parti ouvertement nationaliste (qui a soutenu des manifestations anti-Macédoine) veut libérer le pays de « l’israélisation de sa politique » et lui redonner les moyens « de se défendre face à la Turquie ». C’est la même logique nationaliste que « Unité populaire », avec un arrière-plan franchement antisémite (l’antisémitisme étant très répandu en Grèce).
Pour finir, il faut parler du KINAL, le « mouvement pour le changement », qui est le successeur du PASOK (Mouvement socialiste panhellénique), équivalent et allié du Parti socialiste en France. Ce mouvement, devenu très faible en Grèce, a demandé à plusieurs reprises au gouvernement de droite de Kyriakos Mitsotakis de « se montrer ferme » face à la Turquie, tout en appelant l’Union européenne à appuyer la Grèce dans cet affrontement.
Le KINAL échoue ici honteusement à s’allier avec le CHP en Turquie (le Parti républicain du peuple), alors qu’ils sont censés appartenir à la même « internationale socialiste » (la même que celle du PS en France), ainsi qu’au Parti socialiste européen (le CHP en est un « membre associé »). Il faut dire que de son côté le CHP, qui dirige la municipalité d’Istanbul, est tout autant nationaliste et aussi peu de gauche que le KINAL. Dans la plus pure tradition kémaliste, il s’affiche moderniste, mais prône un nationalisme très agressif, menaçant régulièrement de faire « respecter » la Turquie en mer Egée face à la Grèce.
Les prises de positions anti-nationalistes de la véritable Gauche en Grèce et en Turquie sont très importantes dans un tel contexte. Elles ne préjugent pas forcément du meilleur : on se rappelle comment à la veille de la guerre de 1914 toute la Gauche d’Europe était contre la guerre, avant de passer en majorité dans l’autre camp à la suite de la déclaration de guerre. Néanmoins, elles sont une contribution importante à la tâche essentielle qui est l’opposition à toute guerre, dans un contexte de crise renforçant d’autant plus la bataille pour le repartage du monde.
Emmanuel Macron se fait chef de guerre en déployant des arguments et des moyens militaires contre la Turquie et ses visées expansionnistes. En face, Recep Tayyip Erdoğan explique que la France agit comme un « caïd » et mobilise de manière nationaliste au nom des « droits de la Turquie ». C’est une escalade militariste typique et le rôle de la Gauche est de s’y opposer fermement, au nom de la paix, au nom de l’amitié entre les peuples, au nom de la lutte des classes.
Après la pénétration turque au large de l’île grecque de Kastellorizo, Emmanuel Macron a décidé de renforcer la présence militaire française dans la zone. Jeudi 13 août, ce sont deux avions Rafale B, le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre (en route vers Beyrouth) ainsi que la frégate La Fayette, qui ont participé à un exercice avec la marine grecque dans le sud est de la mer Égée, précisément là où sont les navires turcs.
Le ministère français des armées a expliqué :
« [La] présence militaire [française] a pour but de renforcer l’appréciation autonome de la situation et d’affirmer l’attachement de la France à la libre circulation, à la sécurité de la navigation maritime en Méditerranée et au respect du droit international ».
Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu a réagi de manière virulente, en répondant que :
« La France, en particulier, devrait cesser de prendre des mesures qui accentuent les tensions. Ils n’obtiendront rien en se comportant comme des caïds ».
Il faut bien voir ici que la Turquie ne considère pas avoir une visée agressive. Elle n’a jamais reconnu les accords internationaux faisant de la zone en question un territoire grecque et considère être légitime.
Recep Tayyip Erdoğan présente ainsi les choses à la télévision turque :
« Revendiquer une souveraineté maritime en se servant de l’île de kasteloriso située à 2 kilomètres des côtes turcs ne peut s’expliquer rationnellement ou avec bon sens.
Vous savez à quelle distance se situe la Grèce ? 580 kilomètres ! J’invite à nouveau la Grèce à respecter les droits de la Turquie. »
Un accrochage avec un navire grec a déjà eu lieu jeudi 13 août et la Turquie en parle de manière ultra-offensive, menaçant de faire payer « au prix fort » toute attaque contre son navire de prospection l’Oruç Reis.
Pour la France, il y a bien sûr en jeu les intérêts du groupe Total, à qui entre autre la Grèce a promis des accès aux gisements gaziers de la mer Égée convoités par la Turquie. Mais cela n’est qu’un aspect de la situation, qui n’est pas simplement « géopolitique », mais concerne le capitalisme dans son fonctionnement même.
La France est une puissance en perdition qui s’enfonce économiquement, mais aussi socialement et culturellement. Pour compenser, elle s’imagine pouvoir peser militairement, en étant en quelque sorte le bras armé de l’Union européenne. C’est le principe du nationalisme pour qui la guerre est une voie de sortie à la crise, comme une étape obligée pour maintenir l’ordre capitaliste qui a besoin d’expansion.
Dans cette perspective, et alors qu’Emmanuel Macron met régulièrement sur la table la question d’une alliance militaire européenne, les tensions entre la Grèce et la Turquie sont considérées comme une occasion à ne pas manquer.
En arrière plan, il y a la question libyenne où le gouvernement officiellement reconnu par l’ONU est allié à la Turquie et reconnaît l’espace maritime revendiqué par la Turquie, alors que la France soutient ouvertement une fraction adverse.
Il y a aussi le Liban où la France aimerait profiter de la catastrophe de Beyrouth pour retrouver de son influence dans le cadre de sa politique arabe, alors que la Turquie accuse le président français de vouloir « rétablir l’ordre colonial ». Le président turc se voit pour sa part en leader du monde sunnite, avec une ligne ultra-réactionnaire s’appuyant directement sur le féodalisme pour servir son expansionnisme néo-ottoman.
On a là tous les ingrédients pour un embrasement guerrier très dangereux, que la Gauche doit absolument dénoncer et refuser. La pandémie de covid-19, qui n’en finit plus de commencer, nous montre à quel point l’humanité a une destinée commune ; les peuples du monde ont bien mieux à faire que perdre du temps, de l’énergie et des vies dans la guerre.
La Gauche en France, en Grèce et en Turquie, doit se lier d’une puissante fraternité pour dénoncer ses gouvernements respectifs et les intérêts du capitalisme qui mènent à une escalade guerrière dévastatrice. Il faut de toute urgence construire le camp de la paix, en renouant avec l’internationalisme fondateur de la Gauche historique.