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Culture Culture & esthétique

Playlist punk anti-guerre 1980’s

La guerre est aussi le prolongement de toute une société.

Les années 1980 ont été des années terrifiantes en raison du risque d’affrontement militaire et nucléaire entre les deux superpuissances d’alors, les États-Unis et l’URSS. En France, cette angoisse a été moins forte qu’en Allemagne et en Grande-Bretagne, de par l’orientation « géopolitique » en retrait de la France. Mais en Grande-Bretagne, il y avait la hantise de se faire vitrifier en cas de conflit et le mouvement punk, tout au long de la décennie, n’a cessé de faire de la guerre un thème essentiel.

En Allemagne, il y avait bien entendu la considération que si une guerre se déroulait, ce serait avant tout sur son territoire… Et il n’en resterait pas grand chose. La chanson de Nena, 99 Luftbalons, est ici la plus connue des chansons anti-guerre. Elle raconte comment 99 ballons dans le ciel sont compris comme une attaque par les furieux militaristes qui alors se précipitent dans la guerre.

Le mouvement punk anglais a cependant ceci de différent par rapport à Nena qu’il a toujours relié le militarisme au mode de fonctionnement d’une société capitaliste précipitant les gens dans l’aliénation. D’où le fait que cette musique punk était justement écouté dans les innombrables squats berlinois de la même époque avec les autonomes. La guerre n’était pas considérée comme quelque chose tombant du ciel, mais comme dans la nature même d’un capitalisme agressif.

D’où l’adoption d’un son agressif, un sens de l’urgence, une volonté de confrontation. Le punk n’a pas été dans les années 1980 qu’un nihilisme, il a été aussi une philosophie de refus d’une société acceptant et produisant la guerre.

Voici la playlist en lecture automatique, suivie de la tracklist :

  1. The Exploited – War (1982)
  2. Camera Silens – Est/Ouest (1985)
  3. The Clash – London calling (1979)
  4. Chaos UK – 4 Minute Warning (1984)
  5. The Stranglers – Nuclear device (1979)
  6. UK Subs – Warhead (1980)
  7. Bad Religion – World War III (1981)
  8. Discharge – Visions of War (1981)
  9. Disorder – Provocated War (1985)
  10. M.D.C. – Missile Destroyed Civilization (1986)
  11. The Proletariat – Splendid Wars (1983)
  12. Subhumans – Who’s Gonna Fight in the Third World War ? (1984)
  13. The Exploited – Let’s Start a War [said Maggie one day] (1983)
  14. Discharge – Never again (1981)
  15. Anti cimex – Victims of a bombraid (1984)
  16. Doom – War crimes (1988)
  17. Crucifix – Annihilation (1982)
  18. Axegrinder – Damnation of the living (1987)
  19. Dirt – Anti-war (1985)
  20. Conflict – One Nation Under The Bomb (1983)
  21. Icons of filth – Onward Christian Soldiers (1984)
  22. Lost cherrees – No fighting no war (1983)
  23. Flux of pink indians – Tapioca sunrise (1982)
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Culture

L’agréable douceur mélancolique du dernier album de Peremotka

Le groupe de soviet wave Peremotka ( Перемотка en russe) a sorti un nouvel album en octobre 2020. Un album qui nous fait nous échapper dans une atmosphère de douceur, de tendresse, et de mélancolie très fine.

Fondé en 2015, au coeur donc de l’immense vague de post-punk rétro-soviétique, Peremotka exprime toute la vie quotidienne d’une jeunesse russe prisonnière d’une grande métropole. Le groupe est originaire d’Yekaterinburg (Sverdlovsk  de 1924 à 1991), qui regroupe plus d’un million d’habitants dans la très froide région de l’Oural. Cet ancien pôle industriel s’est enfoncé dans une guerre des gangs pendant les années 1990 sur fond de libéralisme exacerbé, avant de se stabiliser autour des réseaux mafieux.

Avec déjà 5 albums à son actif, Peremotka signe avec ce dernier album, dont certains morceaux ont été publiés au cours de l’année, une très agréable oeuvre musicale.

Le groupe touche de manière enfantine, et plein de mélancolie à des tas d’aspects de la vie quotidienne, et le titre de l’album, « le début d’une merveilleuse amitié » (Nachalo Prekrasnoy Druzhby – Начало прекрасной дружбы), est un hommage à cette candeur d’une jeunesse russe, coincée entre un passé idéalisée et un futur sans horizon palpable.

Dans le premier morceau de l’album, « Супермарио » qui signifie « Super Mario », on retrouve cette ambiance, admirablement bien reflétée par les accords et les tonalités rythmiques. C’est là toute une référence à la bonne humeur, insouciante, d’une partie entre amis de ce jeu vidéo si populaire…

Dans toutes ces chansons, il y a à l’arrière-plan l’atmosphère d’une enfance passée dans un village oubliée, dimension culturelle qui marque entièrement cette génération d’artistes portant de la « soviet wave ». On voit là toute la subtilité de l’approche, « Peremotka » signifiant lui-même « Rembobiner », ce qui renvoie à cet état d’esprit mélancolique.

Littéralement bloqué dans le présent, idéalisant de manière naïve le passé, tout en cherchant à se saisir d’un horizon futur… en vain. Alors on tourne en rond, la cassette est rembobinée sur le quotidien, et ses quelques instances gracieux, plein de tendresses qui le parcourt. Comme avec le huitième morceau, Tvoevo balkona svet / « votre éclairage de balcon », où la voix brumeuse d’Olga Lopayev se découvre sur fond de nappes de synthétiseurs sombres et en même temps enivrante.

On a aussi le morceau Krasiva qui parle de la beauté, Staroe Kino qui fait référence aux vieux cinéma, « V letnem pole » témoignant du plaisir de flâner dans un champ de blé l’été. Et comment ne pas être touché à l’écoute et à la vue du clip de la musique « Première neige » (« Perviy Sneg »), si simple dira t-on, mais finalement tellement illustratif du rapport sensible universel que tout le monde a pu avoir à la nature d’hiver…

La musique Kak tebya pkovit (« Comment te conquérir ? ») témoigne d’une grande sensibilité en ce qui concerne la question de la romance amoureuse. On est bien loin de la violence à la fois sociale, et misogyne qui touche bon nombre de femmes russes, sur fond d’une grande pauvreté. Ici on a plutôt une délicatesse, une gêne même toute attendrissante :

Comment te conquérir ?
De quoi parler, par où commencer ?
Je ne sais pas quoi te dire.
Et c’est encore gênant

Pour écouter l’album en entier sur le bandcamp du groupe :

https://peremotka.bandcamp.com/album/nachalo-prekrasnoy-druzhby

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Culture

«Acts of rebellion» d’Ela Minus, punk du futur

Ela Minus est une artiste colombienne vivant aux États-Unis depuis une dizaine d’années. Elle réalise avec « Acts of rebellion » un album électro-pop (analogique) très marquant, grâce à un esprit néo-punk particulièrement novateur et une touche très en phase avec les tourments de la société américaine (et sud-américaine).

Avec le somptueux « They told us it was hard, but they were wrong » (Ils nous ont dit que c’était dur, mais ils avaient tort), Ela Minus avait marqué le printemps 2020 sur un mode électro-pop atmosphérique très envoûtant.

Son album « Acts of rebellion » sorti le 23 octobre 2020 est largement à la hauteur des attentes, avec 10 titres d’une grande qualité très cohérents dans leur enchaînement. On y trouve notamment « El cielo no es de nadie » (le ciel n’est à personne), un morceau indiscutablement techno, mais dans un style soft et pop aussi novateur que réussi. Elle le présente comme « un appel pour nous tous à chercher et à donner le vrai amour. »

Le titre « Dominique », dont le clip a été dévoilé quelques jours avant l’album, est peut-être celui sur lequel l’artiste native de Bogotá imprime le plus franchement sa touche.

C’est toutefois par le morceau « Megapunk » que l’album acquiert toute sa dimension et prend tout son sens. Le clip, sur le mode collage punk version 2020, illustre parfaitement le « you won’t make us stop » (ils ne nous feront jamais stopper) asséné tout au long du morceau comme un slogan ! Elle explique d’ailleurs qu’il a été composé pour être un hymne motivant pour que les gens « se mobilisent, s’organisent et défilent », avec à l’esprit l’image d’un groupe de femmes marchant pour le féminisme.

L’album est d’autant plus marquant qu’il est composé et joué tout en analogique, comme sur ce live :

Enfin, on ne sera pas vraiment étonné d’apprendre qu’Ela Minus (Gabriela Jimeno de son vrai nom) vient à l’origine de la scène punk hardcore ; très jeune, elle jouait à la batterie et chantait dans le groupe Ratón Pérez :

>> L’album « Acts of rebellion » d’Ela Minus est sorti sous le label anglais Domino Records. Un concert est prévu à Paris à la Boule Noire le 19 février 2021, mais rien n’est moins sûr vue le contexte sanitaire… 

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Working Men’s club sort son premier album

Working Men’s club est un groupe de musique « indé » anglais. Au mois d’août, le groupe a réalisé un clip de la dernière chanson de son nouvel album au titre éponyme du groupe sortie officiellement ce vendredi 2 octobre 2020, après quelques productions notables déjà.

On sait ce que l’Angleterre a apporté à la musique alternative, allant du rock au post-punk en passant par le punk tout court. La vague des « sixties » a été d’une très grande profondeur culturelle, produisant des artistes d’une très haute valeur artistique, tout en étant marquée par la culture populaire, voir carrément ouvrière. L’apport géniale de la classe ouvrière anglaise, c’est bien sa production culturelle.

« Working Men’s Club » est un pur produit de cet héritage, synthétisant ce qu’il y a meilleur tout en composant de manière admirable avec la techno américaine de Détroit. Le groupe est issu du nord-ouest de l’Angleterre, et plus précisément de Todmorden, une petite ville de 15 000 habitants qui s’est bâtie au XIXe siècle sur l’industrie textile cotonnière. Il est nullement étonnant que le nom du groupe tire son origine des clubs de la classe ouvrière nés au même moment dans le nord du pays pour apporter sociabilité et culture aux travailleurs.

Il suffit d’apprécier le morceau « Valleys » (vallée) pour se convaincre de l’énième contribution musicale de la classe ouvrière la culture universelle mondiale. Au magazine « Dork », Syd, membre du groupe décrit :

« Valleys’ is probably the most honest song on the record and I guess sets a premise for the rest of the album, growing up in a small town and trying to escape »

(«  »Valleys » est probablement la chanson la plus honnête du disque et je suppose qu’elle pose un postulat pour le reste de l’album, celui de grandir dans une petite ville et d’essayer de s’échapper »)

On a là résumé toute la tourmente existentielle de la jeunesse ouvrière des campagnes dans les pays capitalistes développés. Il suffit de lire les paroles pour se convaincre de la très juste description de ce sentiment psychologique. D’ailleurs, le clip a été tourné juste après le confinement du printemps, ce qui ajoute à la fraîcheur de l’oeuvre.

Voici le clip :

En voici les paroles, avec la traduction :

Trapped inside a town / Piégé dans une ville
Inside my mind / Dans mon esprit
Stuck with no ideas / Coincés sans idées
I’m running out of time / Je n’ai plus de temps à perdre
There’s no quick escape / Il n’y a pas d’échappatoire rapide
So many mistakes / Tant d’erreurs

I’ll play the long game / Je vais jouer le jeu de la longueur
Winter is a curse / L’hiver est une malédiction
And this valley is my hearse / Et cette vallée est mon corbillard
When will it take me to the grave? / Quand me conduira-t-elle à la tombe ?

Why is the night just so strong? / Pourquoi la nuit est-elle si forte ?
I’m feeling broken again / Je me sens à nouveau brisé
So many voices fight / Tant de voix se battent
The fusion is right as the sense / La fusion est aussi juste que le sens

Why is the night just so strong? / Pourquoi la nuit est-elle si forte ?
I’m feeling broken again / Je me sens à nouveau brisé
So many voices fight / Tant de voix se battent
The fusion is right as the sense / La fusion est aussi juste que le sens
There’s a reason for this life / Il y a une raison à cette vie

The soul just a light / L’âme n’est qu’une lumière
Have you ever thought about it? / Y avez-vous déjà pensé ?
There’s no reason for this life / Il n’y a aucune raison à cette vie
The soul just a lie / L’âme n’est qu’un mensonge
You need to think about it / Vous devez y réfléchir

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Décès de Gabi Delgado Lopez (DAF) et de Genesis P-Orridge

Ce sont deux figures de la musique industrielle qui viennent de décéder. Un bon prétexte pour voir l’intérêt de DAF et de Throbbing Gristle, et finalement leurs immenses limites.

Nous sommes à la fin des années 1970, en Angleterre et en Allemagne, et une poignée de jeunes cherchent à exprimer l’horreur sociale, le poids du conformisme, à travers une révolte punk. Il y a toutefois une volonté d’esthétisation provocatrice et l’utilisation de la musique électronique, alors à ses débuts.

Occultisme, pornographie, nazisme, fascisme, militarisme, tueurs en série, fascination pour la marge, le morbide, tout cela est recyclé pour un collage musical agressif néo-punk en 1980-1981.

Gabi Delgado Lopez, le chanteur de Deutsch Amerikanische Freundschaft (DAF), est mort ce 22 mars, Genesis P-Orridge de Throbbing Gristle le 14 mars. Ce dernier anticipe d’ailleurs l’idéologie transgenre actuelle, avec la fascination pour le changement d’identité (il change de nom dès 1971), la modification corporelle par la chirurgie plastique, la quête identitaire permanente, etc.

On est ici dans la tentative de mettre mal à l’aise, de troubler, de perturber. Mais à l’opposé du punk, nihiliste ou bien engagé politiquement (le véganisme apparaît ainsi dans la foulée post-punk), on est ici dans une esthétique se présentant comme une fin en soi.

Musicalement, il y a l’ouverture d’un horizon musical, comme la chanson de DAF « Der Mussolini » en est un excellent exemple. Mais il n’y aura pas de suite. C’est juste une contribution énorme, mais temporaire, s’auto-détruisant immédiatement, de par la provocation comme fin en soi (« Applaudit des mains et danse le Adolf Hitler et danse le Mussolini et maintenant le Jésus-Christ et maintenant le Jésus-Christ applaudis des mains et danse le communisme et maintenant le Mussolini »)..

Il y a l’émergence de l’horizon musicale électronique – chez Throbbing Gristle dès 1976 – mais cela s’enlise dans l’esthétisme, comme ici avec « United ». Ce single de 1978, sorti sur le propre label du groupe, Industrial Records, reprend le symbole nazi de la SS mais plus directement le logo de la British Union of Fascists des années 1930, la face B s’intitulant « Zyklon B Zombie ».

Ce problème de l’avant-gardisme décadent en fin en soi est très connu dans les scènes expérimentales ; on connaît bien le problème avec la première vague de black metal, avec la dark folk et notamment le groupe Death in June, etc.

On a en fait des gens tellement réellement des fascistes, c’est-à-dire des petits-bourgeois expérimentateurs et en rébellion complète, qu’ils ne comprennent absolument pas qu’on les considère comme fascistes, car pour eux tout est révolte existentielle, l’esthétique une inspiration seulement et un vecteur de provocation pour arracher un sens au réel.

S’ils sont sincères, alors la seule critique qu’ils sont capables de saisir, c’est que la fascination pour le malsain les empêche de produire. DAF et Throbbing Gristle, c’est un album consistant en une contribution musicale chacun au mieux et il en va de même pour tous ces avant-gardistes. Ensuite, il y a la répétition ad nauseam de cet album, en toujours pire, en toujours plus caricatural pour compenser la vanité de l’entreprise.

L’incapacité à produire se conjugue avec la dimension anti-populaire, avec le mépris pour le côté accessible, qui n’est pourtant pas du tout un compromis, même s’il y a bien entendu ce risque, sur lequel s’est effondré Nirvana, né de l’expérimentation avant-gardiste justement pour passer dans le camp d’une accessibilité commerciale (d’où le suicide de son chanteur face à un dilemme lui semblant cornélien).

https://www.youtube.com/watch?v=27ipC6FvCdw

On a ici une problématique compliquée, aux enjeux culturels importants. Et cela d’autant plus que le capitalisme bloque tous les horizons et pousse les révoltés à se précipiter dans le nihilisme, en leur faisant croire que c’est leur choix. C’est le capitalisme qui pousse vers le fascisme, l’islamisme, toute cette auto-destruction totalement étrangère aux principes de la vie.

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Playlist «pop intelligente»

La disco a été un mouvement populaire, avec une forte participation à la base. Le punk a critiqué la dimension passive des gens et le tournant post-punk a consisté en une approche esthétisante, relativement élitiste, mais parfois orienté pop au sens strict. Cette contradiction a, au début des années 1980, pu être très productive.

Au sens strict, on est chez les hipsters à l’origine même du phénomène, avant que cela ne devienne un snobisme. On a en effet des petits-bourgeois cultivés chez les prolétaires, la rencontre entre la culture et le punk. L’idée est simple : conserver la rage populaire, sa dureté, voire ses utopies politiques. Et y ajouter un certain raffinement, une qualité musicale d’un vrai niveau.

La chanson Making Plans For Nigel de XTC est emblématique de cette démarche, fragile mais pas précieuse, mélodique mais s’appuyant sur un fond post-punk.

C’est une aventure personnelle de la part d’artistes se baladant dans le punk, qui va produire une culture de haute qualité. Une aventure, car il faut avoir ici en tête qu’au début des années 1980, les instruments de musique coûtaient plus chers qu’aujourd’hui, l’accès à la musique plus compliqué. Et l’idée de partir du dissonant pour aller à la pop était une exigence très difficile à mettre en œuvre. L’une des grandes références, ce fut les Talking Head, passé de la scène pré-punk à la scène post-punk.

On a pareillement les Stranglers, passé d’un punk hargneux à une sorte de pop somptueusement sculptée, l’album Feline étant un bijou. Voici une chanson de 1977 liée à l’esprit punk, et une autre de 1982, très connue, Golden Brown.

Les groupes les plus fameux – des références absolues pour les esthètes de la musique en quête de pop intelligente – ce sont XTC et Wire d’un côté, Talk Talk de l’autre. Les premiers sont issus du punk au sens strict, Talk Talk étant passé par l’intermédiaire de la new wave. L’album Spirit of Eden de Talk Talk, sorti en 1988, est désormais considéré comme un classique.

Et les premiers albums de XTC et de Wire sont considérés comme incontournables, Wire étant d’autant plus apprécié pour son côté assez cryptique.

La dimension expérimentale est également parfois très présente, notamment chez Public Image Limited, avec au chant l’ancien chanteur des Sex Pistols. On oscille ici entre pop et une orientation intellectuelle et expérimentale.

Il va de soi que les groupes les plus connus ayant pris cette orientation sont U2 et The Police, ou bien, dans une certaine mesure, Téléphone en France. Mais leurs perspectives sont très différentes, car ils n’ont pas voulu conserver une ligne de rupture culturelle, U2 surfant justement sur une fausse ligne de rupture, malgré ses qualités indéniables.

Il y a beaucoup à réfléchir sur la rencontre d’une énergie prolétaire et de petits-bourgeois cultivés se reconnaissant – la rencontre étant capable du meilleur en renforçant l’authenticité comme du pire par l’esthétisation outrancière jusqu’au commercial.

Comme d’habitude, la playlist est disponible pendant plusieurs semaines dans la colonne de droite (version web) ou en bas de page (version mobile) ainsi que sur la page des playlists.

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Playlist cross over, fusion: oui à l’appropriation culturelle!

La rencontre du punk, du hardcore, du métal… avec le hip hop, le reggae, le jazz, le ska, la funk… et inversement, fut un processus des années 1980 et 1990 à rebours des problématiques identitaires actuelles. Le mélange des genres musicaux, le dédain complet pour la couleur de peau… tout cela était et est encore considéré comme normal par qui sait que le peuple, c’est la fusion.

Il existe en France une obsession pour la couleur de peau et cela depuis une vingtaine d’années. C’est une véritable catastrophe identitaire, qui place les gens dans des cases racistes. Rien de tel qu’une bonne playlist témoignant de l’absurdité de tout cela, avec une rencontre du métal, du hardcore, du rap et du Hiphop, de la funk, du jazz, tout cela dans un mélange de musiciens noirs, blancs, arabes ou on ne sait quoi, et cela ne compte pas.

> La playlist « Cross over » est disponible sur la colonne de droite (version web) ou sous l’article (version mobile), ainsi que sur la page des playlists.

Les années 1990 ont été marquées par ce puissant esprit positif, contestataire, constructif, parfois appelé Cross over, fusion. Le groupe Fishbone est une figure majeure de cette tendance, aux côtés des Bad Brains ; leur admiration est immense dans le milieu des musiciens.

Deux groupes strictement parallèles, les Beastie Boys et les red Hot Chili Pepper auront un succès immense. La vidéo de la chanson Hump de Bump des Red Hot Chili Peppers, tournée par Chris Rock en 2009, témoigne de cet esprit joyeux et plein d’unité populaire.

Tout « postmoderne » considérera par contre forcément cette vidéo comme raciste, « appropriation culturelle », pleine de « clichés », etc.

La chanson Sabotage des Beastie Boys – à la base un groupe de punk hardcore – avec sa vidéo décalée et également très bon esprit, est un autre exemple brillant de tendance cross-over, fusion.

Un groupe classique de Hiphop comme Public Enemy s’appuie parfois ouvertement sur une base rock, chose inconcevable aujourd’hui pour beaucoup d’esprits rétifs, enfermés sur eux-mêmes. Un autre groupe ayant eu un immense succès est Rage against the machine.

La France connut également toute une vague très proche, bien que différente tout de même, avec Lofofora, Silmarils, No one is innocent… au coeur de toute une véritable scène, qui malheureusement fut incapable d’avancer par manque de socle culturel alternatif assez solide.

La vague néo-métal de la fin des années 1990 profite dans une très large mesure de cet esprit « cross over », avec Linkin Park, Korn, Limp Bizkit ou encore dans un esprit différent Papa Roach.

Impossible de ne pas mentionner la chanson Last resort de Papa Roach, éloge de l’esprit contestataire de la jeunesse qui suffoque dans l’impossibilité de s’épanouir. C’était avant que les identitaires et les postmodernes ne torpillent les exigences alternatives avec leur repli identitaire individualiste délirant et fanatique…

Impossible non plus de parler de rencontres culturelles productives sans évoquer la chanson Planet Rock d’Afrika Bambaataa & The Soul Sonic Force qui, en samplant le groupe électronique allemand Kraftwerk, a apporté une contribution énorme à l’émergence de la musique techno.

Le son n’a rien à voir avec le « cross over » ou la fusion, mais l’esprit est le même : le mélange, la rencontre. Pas d’ethno-différentialisme, pas de soupe commerciale « mondialisée » pour autant.

Au milieu des années 2000, le groupe Death Grips est l’un des exemples significatifs de rencontre d’un son abrasif, dans un certain esprit de collage punk, et du Hiphop. Car le processus de rencontre est sans fin et lui seul est productif. Les rencontres ne sont pas productives en soi… mais sans elles, il n’y a rien.

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Décès de Gilles Bertin, chanteur de Camera Silens et braqueur

Il existe en France une profonde passion pour le crime dans certaines franges de la population. Déclassés et anarchistes, éléments antisociaux et lumpens célèbrent le crime comme acte libérateur, pratiquement transcendant. Le parcours de Gilles Bertin, qui vient de décéder, est ici exemplaire d’une fascination pour la figure du criminel refaisant sa vie.

Il y a des virages qu’il ne faut pas rater. En 1982 avait lieu un tremplin rock et il y eut deux ex-aequo : Camera Silence et Noir Désir. Les musiciens de ce dernier groupe refuseront le prix et assument un esprit qui va leur permettre par la suite une carrière fulgurante, avec une haute qualité, mais avec une base finalement douteuse comme le révélera l’affaire Bertrand Cantat par la suite.

Camera Silens gagna alors le droit d’enregistrer un album, mais cela n’empêchera pas l’autodestruction. Car Camera Silens relève de toute une mouvance mêlant punk, skinheads, autonomes, réseaux favorables à la lutte armée en Allemagne ou en Italie (dont Action Directe n’est qu’un aspect), ainsi que branchés fréquentant le Palace.

On se tournera avec fascination vers une bande dessinée méconnue et fondamentalement mésestimée, alors que c’est un portrait exemplaire de toute un esprit : Z craignos (notamment le passage chez les punks et les skins, les autonomes étant liés à tout cela par la dimension squat).

Gilles Bertin est l’un de ceux-là et le chanteur d’un groupe mythique de la scène, Camera Silens, version latine allégorique (« cellule silencieuse ») désignant la dépravation sensorielle des cellules où sont enfermés les militants emprisonnés de la Fraction Armée Rouge en Allemagne de l’Ouest.

Une chanson comme « Est/Ouest » reprend d’ailleurs exactement le discours anti-guerre et anti-blocs des guérillas urbaines alors, tandis qu’une chanson comme « Pour la gloire » est typique d’un esprit punk skinhead d’esprit antisocial. Cela et d’autres chansons reflétant toute une angoisse sociale extrême, dans l’esprit des punks et des autonomes alors, font de l’album Réalité un classique du genre (avec notamment la chanson éponyme), qui a profondément marqué les esprits pour qui l’a découvert.

Seulement cette mouvance dans sa version française a deux fascinations : la drogue (surtout l’héroïne) et le crime. Alors qu’à Berlin les autonomes et les punks ont une démarche très hippie, ouvrent une centaine de squats à Berlin-Ouest et sont totalement culturels et politiques, en France on est dans l’autodestruction.

Il y a des fascinations pour les esthétiques fascistes, il y a des liaisons ouvertes avec les milieux criminels, les histoires sordides sont légion. Pour n’en citer qu’une – le faut-il vraiment ? – il y a un groupe d’une dizaines d’autonomes vivant dans un squat parisien et pratiquant des braquages, mais un couple veut arrêter. Ils sont exécutés, la femme connaissant un viol collectif auparavant.

Gilles Bertin se drogue donc, commet des vols, se fait condamner à neuf mois de prison et en fait six en pratique, il a une compagne qui attend un enfant, mais il décide de participer à un braquage et s’enfuit sans jamais revoir sa femme et son enfant littéralement abandonnés. Il apprendra bien plus tard en appelant son père que sa mère est morte.

Le braquage en question, qui s’est déroulé en 1988, au moyen d’une prise d’otages de deux salariés ayant les clefs de l’entrepôt de la Brinks et de leurs épouses – une action typiquement criminelle, donc – a amené un butin de 11,7 millions de francs (l’équivalent à l’époque de 2,9 millions d’euros). Gilles Bertin a un très beau pactole malgré le partage entre militants indépendantistes basques, punks et toxicomanes. Il se dore la pilule en Espagne sur la côte en ayant donc abandonné femme et enfant, refait sa vie en Espagne et au Portugal.

Malade du sida, il profite de l’absence de surveillance pour les papiers au Portugal pour se soigner, tout en tenant un magasin de disques. Il vit ensuite en Espagne mais a des soucis pour se faire soigner. Qu’à cela ne tienne, il revient en France en 2016 pour se faire soigner puisqu’il n’a pas le choix, jouant les repentis, ce qui marche puisqu’il obtient cinq ans avec sursis, tout en publiant Trente ans de cavale Ma vie de punk.

La boucle est bouclée et il y a tous les ingrédients pour faire de ce parcours quelque chose de romantique, alors que c’est totalement vide de sens. Pas étonnant que les médias parlent avec fascination de tout cela, comme d’ailleurs « l’anniversaire » de la mort de Jacques Mesrine, le 2 novembre 1979, a eu beaucoup d’échos.

Cette fascination pour le crime est odieuse, mais comment s’étonner à une époque où ce qu’on doit qualifier de cannibalisme social est si valorisé par des films, des séries, des chansons ?

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Velvet underground – White Light/White Heat (1968)

La décadence du Velvet underground était avant tout esthétisée et il s’agissait surtout, en réalité, d’un groupe de hippie. Son second album joua un rôle historique pour les années 1970.

Après un premier album marqué par l’influence d’Andy Warhol et avec Nico comme chanteuse, et également sans réel succès, le Velvet underground assuma une tournure qui devait être particulièrement marquante : White Light/White Heat est, en 1968, une avalanche sonique d’une rare modernité alors. C’est un album de référence, le groupe se repliant dans son orientation hippie initiale après le départ de John Cale, Lou Reed se cantonnant dans un rôle désormais bien établi de poète post-beatnik ayant une vie entre bas-fonds et bohème mêlée à la jet set.

Cet album de simplement six chansons aurait pu d’ailleurs, voire aurait dû être une sorte de caricature bruitiste, abrasive, partant dans tous les sens avec une absence revendiquée de cohérence. Les paroles de Lou Reed se complaisent dans les thèmes des drogues et de la sexualité débridée et sans lendemain, entre amphétamines et héroïne, violences urbaines des rues d’une grande métropole, psychoses et hallucinations liées aux drogues, fascination sexualo-morbide pour les travestis, le tout étant raconté sur un ton mi-poétique mi-compte-rendu romancé pétri d’humour noir.

La pochette de l’album est elle-même totalement ratée, consistant en une photographie noire sur noire d’un tatouage de crâne que l’on voit sur un acteur du film Bike boy d’Andy Warhol, avec une histoire de gang à motos. L’album est même enregistré en deux jours seulement, la dernière chanson formant un déluge sonore qui fait 17 minutes, prise en deux fois, avec l’ingénieur du son refusant même d’y assister :

« Je n’ai pas à écouter cela. Je le met dans l’enregistrement, et je pars. Quand vous avez fini, venez me chercher. »

Une autre version de ses propos donne :

« Écoutez, je me casse. Vous ne pouvez pas me payer assez pour écouter cette daube. Je suis en bas me chercher un café. Quand vous avez fini, appuyez sur ce bouton et venez me chercher. »

Cette chanson, Sister ray, devait avoir un impact révolutionnaire sur l’histoire de la musique. Car la décadence du Velvet underground était avant tout esthétisée et il s’agissait surtout, en réalité, d’un groupe de hippie qui, avec son second album, ouvrait un formidable horizon.

Le groupe punk Buzzcocks fut fondé en partant de l’idée d’une reprise de Sister ray, que les Velvet jouaient parfois en 40 minutes à leurs concerts. La chanson fut reprise en live par Joy Division, dont le son provient directement de White Light/White Heat, par l’intermédiaire des Stooges. L’album fut également acheté par le musicien tchécoslovaque Václav Havel et joua un rôle marquant dans la genèse de son groupe d’opposition Charte 77.

Il joua un rôle évidemment important dans la construction de leur identité musicale pour des groupes industriels comme Throbbing gristle, electro-industriels comme Suicide et Cabaret Voltaire ou bien gothic-rock comme les Sisters of mercy, mais cela va de toutes façons de David Bowie à Nirvana (qui reprit une chanson de l’album dans un split de 1991 avec les Melvins, qui reprirent également le Velvet underground).

Tout cela fut rendu possible parce que les musiciens du Velvet underground étaient brillants et ont parfaitement agencé toutes les parties des chansons sur l’album, chacun rentrant parfaitement en phase avec l’autre, toutes les mélodies se conjuguant sur la base blues. Expérimentateurs, ils ont puissamment travaillé en amont un son abrasif, dépassant le son de type garage et l’orientation psychédélique pour aboutir à une forme proto-punk.

L’esprit est d’ailleurs totalement décadent en apparence et en réalité d’une veine expressionniste punk, dans le sens d’une provocation, d’une volonté de rupture, d’arrachement à des formes neutralisées dans leur esthétique. C’est que l’album est précisément le produit direct d’une aversion pour la tournure « summer of love » du mouvement hippie ; c’est en fait un parallèle culturel strict avec le passage d’une partie de la scène hippie dans un renversement de leur pacifisme (le Weather undergound aux Etats-Unis, la fraction armée rouge en Allemagne, tous deux directement liés à la scène hippie).

Lou Reed résume très bien cette question dans une interview de 1987 à Rolling Stone :

« C’était [le mouvement Summer of love des hippies] très marrant, jusqu’à ce qu’il y ait toutes ces pertes humaines. Alors ce n’était plus marrant. Je ne pense pas que grand monde ait alors réalisé ce avec quoi ils jouaient. Ce truc flower-power s’est finalement effondré à la suite des victimes des drogues, et le fait est que c’était une idée sympa, mais pas très réaliste.

Ce dont nous, les Velvets, parlions, bien que cela semblait comme un recul, était simplement un portrait réaliste de certains types de choses. »

White Light/White Heat est, de par cet arrière-plan, une œuvre très particulière, avec laquelle il faut savoir s’affronter pour connaître le tournant menant aux années 1970, mais également la démarche expressionniste de toute une scène des années 1980 d’expression post-punk, cold wave, gothique, industrielle, electro-industrielle.

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L’album « Scum » de Napalm Death

Napalm death, liveEn 1987, plusieurs années après leur formation et après plusieurs changements dans les membres du groupe, Napalm death sort un album qui deviendra un incontournable du genre : Scum. Le groupe est né dans la scène punk anglaise et fait partie de ceux qui ont opté pour un son beaucoup plus agressif : basse lourde et saturée, chant hurlé et surtout… des blast beats (rythme de batterie basique joués vraiment très rapidement). On parle alors de grindcore.

Culturellement, le groupe se situe dans cette tradition punk de rejet en bloc de la société, de ses valeurs et sa culture dominante. Les textes sont parfois courts, souvent simples, mais la rupture avec la société est nette.

Prenons pour exemple la toute première chanson qui est faite de bruits de fonds d’instruments sur lesquels le chanteur vient déclamer cette phrase en boucle : « Multinational corporations, genocide of the starving nations » (Entreprises multinationales, responsables du génocide des nations affamées).

Ou encore la chanson Point of no return (Point de non retour) :

They not only pollute the air

They pollute our minds

They’re destroying the earth

And destroying mankind

Polluted minds

Kill mankind

They don’t give a shit

Long as profits are high

They don’t give a shit

If people die

Polluted minds

Kill mankind

Que l’on pourrait traduire par :

Ils ne polluent pas seulement l’air,

Ils polluent aussi nos esprits.

Ils détruisent la planète

Et ils détruisent l’humanité.

Esprits pollués.

Tuer l’humanité.

Ils s’en fichent

Tant que les profits sont élevés.

Ils s’en fichent

Si des personnes meurent.

Esprits pollués.

Tuer l’humanité.

Napalm death, earacheSi le nihilisme punk se ressent encore, c’est bien la vie quotidienne qui est prise pour cible : multinationales, aliénation, mensonges, écologie. La rupture avec la société capitaliste est là et c’est qui permet de passer outre certaines faiblesses et certaines limites.

Car il y a bien plus de dignité à crier sa rage et son dégoût dans une chanson de grindcore de trente secondes que dans n’importe quelle tribune pompeuse signée par des universitaires carriéristes, ou n’importe quel tract syndical creux et vide de perspective.

Cette évolution du punk était inévitable mais arrive vite à une impasse : on ne peut augmenter le tempo indéfiniment. Passé un certain stade, la dimension explosive devient une fin en soi et l’on n’arrive plus à se sortir de cet état d’esprit. La rapidité et la brutalité deviennent des fétiches et les albums perdent, aussi paradoxal que cela paraisse, toute intensité tellement les chansons deviennent prévisibles.

Les débuts du grindcore avec Scum ont cette authenticité et cette spontanéité qui sont à la fois une force et un défaut. La difficulté est de maintenir cette rage brute et de la travailler, de chercher à faire de la musique sans se transformer en machine à « blast beats ». Napalm Death aura cherché cet équilibre durant ses trente années de carrière, mêlant critique sociale à leur musique de plus en plus teintée de (death) metal.

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XXXTentacion, un punk moderne et dépressif mort très jeune

Le rappeur américain XXXTentacion a été retrouvé tué par balle dans sa voiture ce lundi 18 juin 2018 . Figure d’une nouvelle scène de rappeurs américains au style décalé, son succès était grandissant, en raison de son talent. Il n’avait que 20 ans.

XXXTentacion était une personne particulièrement violente et ses concerts étaient toujours l’occasion de bagarres hystériques. Ayant connus la pauvreté et l’abandon social-culturel des quartiers populaires américains, sa jeune vie a été faite d’altercations, d’exclusions d’établissements scolaires, d’arrestations, et même de prison pour détention illégale d’une arme à feu ou cambriolage.

Bien qu’il récuse ces accusations, son ex-compagnes a également porté plainte contre lui pour des faits de violences qui, s’ils sont avérés, sont particulièrement glauques.

Une grande sensibilité

« X » était en même temps doté d’une grande sensibilité, avec la volonté d’être utile socialement, tout en étant rongé par la dépression.

Somme toute, il apparaissait comme un personnage sympathique, se livrant facilement dans de longues émissions radios. Il s’exprimait aussi régulièrement dans des vidéos intimes en direct depuis son portable. Il y était très calme et posé, prônant la paix, l’altruisme, refusant de glorifier sa vie de délinquant, ne mettant pas en avant la drogue qu’il consommait malgré tout, refusant la décadence et les errements sentimentaux, ne parlant jamais de religions.

Sa mort, comme le reste de sa courte vie, illustre de manière intense et tragique les maux qui rongent la société américaine. C’est un pays à la pointe de modernité, avec un peuple doté de grandes capacités, particulièrement sur le plan artistique, d’exigences morales très hautes, mais qui sombre à sa base, rongé par la violence physique et le désemparement social.

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Un éclectisme partant dans tous les sens

Sur le plan musical, XXXTentacion exprimait un spleen très brutal et intense, dans un style particulièrement tourmenté, mais avec un sens du rythme et de la mélodie très élaboré. Sa courte œuvre donne l’impression de partir dans tous les sens, avec des morceaux trap rap classiques, d’autres plus underground et dans un style propre à la scène musicale de Floride active sur Soundcloud, certains autres morceaux puisant dans le rock alternatif, le reggaeton, le R’n’B des années 1990 ou encore des titres carrément métal hardcore.

Le jeune artiste était une sorte de punk moderne, multipliant les inspirations pour une expression élaborée, qui n’est resté finalement qu’un expressionnisme ne parvenant à trouver le « positif » qu’il semblait chercher. Il pouvait même donner l’impression de se complaire dans la dépression, à la manière de la culture « emo » dont il est directement le produit, comme 21 Savage, Post Malone, Lil Pump ou encore Lil Uzi Vert, autre figures « emo rap ».

En phase avec son époque et la jeunesse de son époque, la base de son public s’agrandissait sans cesse, y compris en France. Sa mort prématurée a mis fin à ce qui aurait pu être une brillante carrière.

3 titres et 1 album qui illustrent sa courte œuvre

Vice city – Sortie en 2014, ce morceau est le premier signé sous son nom de scène. Le sample de Sing To The Moon par la britannique Laura Mvula est magistrale et le texte est d’une maturité déconcertante pour un garçon de 16 ans. Il déroule un discours pessimiste et dépressif qui fait froid dans le dos. La production est basique et le titre s’est fait connaître à l’écart des circuits commerciaux majeurs.

Look at Me – D’abord sortie en 2015, c’est ensuite grâce au clip éponyme sortie plus tard en septembre 2017 qu’il s’est fait un nom aux États-Unis. Avec un sample de Change de Mala, c’est de la trap puissante, dégageant une violence particulièrement bien exprimée, avec des paroles très vulgaires. L’arrangement du morceau est très sale, très punk. Le clip ne reprend pas l’entièreté du morceau d’origine et semble l’orienter vers autre chose. Il se finit par un manifeste antiraciste optimiste (“Vous faite votre choix, mais votre enfant ne défendra pas la haine / Cette génération sera aimée, nourrie, entendue et comprise”)

Save me – Sortie en 2017, ce morceau illustre très bien la couleur de son excellent première album « 17 ». Une guitare électrique, une batterie lourde et lente, accompagnant une voix langoureuse et dépressive parlant de suicide : on croirait un morceau de grunge des années 1990 !

? – Sortie en mars 2018, malgré la grande qualité de chacun des morceaux, cet album a quelque chose de dérangeant dans sa façon de passer d’un style à l’autre sans aucune transition. Difficile de ressentir un lien entre Floor 555 et NUMB. Il y a bien plus qu’un grand écart entre Hope et schizophrenia, etc.

On notera cependant l’enchaînement très pertinent entre SAD!, qui est une complainte amoureuse pessimiste, et the remedy for a broken heart (why am I so in love), beaucoup plus positif et intéressant, tant dans la forme que dans le fond (« I’am find a perfect balance, it’s gon’ take time », / « Je vais trouver un équilibre parfait, ça va prendre du temps »).

Moonlight est quand a lui un morceau d’une grande modernité, contribuant indéniablement à définir ce qu’est la musique en 2018.

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Winter d’Amebix (1983)

Amebix est un groupe culte de punk anglais de la toute fin des années 1970 et qui se sépara en 1987, avant de se reformer pour quelques années en 2008. Le groupe produira deux albums (Arise ! et Monolith), et trois EPs (Who’s the Ennemy, Winter et No Sanctuary) – nous ne comptons pas ici leurs productions pendant la reformation.

Amebix émerge d’une partie de la scène punk anglaise tournée vers le metal et les courants post-punk et gothique. Leurs débuts seront plus post-punk tandis qu’à partir de l’album Arise ! le groupe se tournera vers le metal et sera d’ailleurs une influence notable pour de nombreux groupes de thrash et de black metal comme Sepultura, Bathory ou Celtic Frost.

A ce moment la scène punk anglaise est en plein foisonnement : à côté des groupes plus « No future » comme The Exploited, se trouve tout un mouvement de punk pacifiste qui ira explorer de nouveaux horizons tant musicalement qu’esthétiquement : parfois expérimental comme Crass ou Dirt (qui aura aussi un son plus pop), ou plus novateur et brutal comme Discharge, ou encore plus teinté de metal avec des groupes que l’on qualifiera de « stenchcore » ou plus généralement de crust. Amebix se situe dans cette dernière catégorie.

Si Arise ! aura marqué beaucoup plus de groupes que Winter, ce dernier restera le summum du groupe en terme de synthèse. Le EP est composé de deux chansons : Winter et Beginning of the end. Deux chansons de punk glacial et post-apocalyptique.

Cet EP est comme hors du temps : à l’écart dans le mouvement des premiers groupes punk au son de plus en plus metal, à part dans l’histoire du groupe.

Ce qui frappe en premier lieu est la place centrale de la basse. La batterie n’est là que pour la soutenir, l’appuyer. Tandis que la guitare vient davantage pour créer une atmosphère glaciale que pour donner une mélodie.

A cela s’ajoute un chant lointain, comme un écho qui parviendrait difficilement jusqu’à nous. Cette combinaison créée une atmosphère dense et envoûtante à la fois. Comme si cet hiver sera le dernier, comme si le monde était au bord de l’implosion et que personne ne voulait voir la vérité en face.

La dignité d’Amebix est de ne pas avoir sombré dans le nihilisme décadent d’une partie de la scène punk. Le monde tel qu’il avançait, tel qu’il était (et qu’il est encore aujourd’hui) est rejeté en bloc. Il n’y a pas de perspective, mais le rejet est complet.

«The machine has grown to crush the world, the walls are getting higher
The youth will be the first to throw themselves upon the pyre
The reason for living seems so fruitless in the aftermath
When we’ve finally walked to the end of the path

Looks like the beginning of the end »

Ce qui peut se traduire par :

« La machinerie est lancée et prête pour briser le mode, les murs se dressent toujours plus hauts
La jeunesse sera la première à se jeter au bûcher
Les raisons de vivre semblent si minces à présent
Lorsque nous avons finalement marché jusqu’au bout du chemin

Cela ressemble au début de la fin »

A ce moment-là, Amebix est une sorte de Joy Division de toute une frange de la scène punk anglaise : moins gothique, moins romantique, mais avec une esthétique et un son si particuliers et uniques.

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Joy Division : « Unknown Pleasures » (1979)

Avec sa pochette représentant les ondes captées par un pulsar – une étoile encore très peu définie du point de vue astronomique – le premier album de Joy Division, en 1979, reflète bien un son très froid, un démarche très tendue, une aura mystérieuse portée par le chanteur, Ian Curtis, qui se suicidera dès 1980, à 23 ans.

Cet album, un très grand classique unanimement acclamé par la suite sera d’ailleurs le seul sorti de son vivant, Closer sortant peu après sa mort. Sa particularité est de synthétiser, après une période initiale punk sous le nom de Warsaw, tout une vaste culture musicale assemblant The Doors et le Velvet Underground, Iggy Pop et David Bowie, ainsi que Can, Neu et Kraftwerk.

Cela donnera ce qu’on appelle la cold wave, une musique froide ; Unknown Pleasures est ainsi dérangeant et sépulcral, mais l’énergie punk qui s’en dégage fait qu’on s’arrache à la tristesse qui est pourtant présentée et maintenue à travers tout une atmosphère musicale à la fois oppressante et engageante.

On a quelque chose de sérieux et de haut niveau, mais de parfaitement accessible et sans complaisance, reflétant parfaitement la capacité d’implication culturelle dans un groupe entièrement composé de lads anglais, avec les attitudes de voyous et le refus de l’école allant avec.

Ian Curtis sera d’ailleurs marié et aura un enfant à moins de 20 ans, son couple habitant à plusieurs reprises chez ses grands-parents.

Si l’on ajoute à ce panorama ouvrier de Manchester les crises d’épilepsie de Ian Curtis et la qualité des autres musiciens (qui par la suite formeront New Order), on obtient une musique aussi puissante qu’elle est sombre, aux paroles profondément romantiques et désabusés.

Ces paroles, d’un excellent niveau poétique et faisant de chaque chanson un bijou de psychologie s’accordant avec l’atmosphère musicale très froide, témoignant à la foi d’un grand désordre interne, d’un désarroi personnel, d’un regard psychologique acéré, donnent une dimension particulière à Joy Division et en particulier à Unknown Pleasures, comme lorsque sont chantées les paroles « C’était moi, m’attendant / Espérant quelque chose de plus / Moi, me voyant cette fois / Espérant quelque chose d’autre ».

Selon qu’on se tourne davantage vers l’esthétisation du spleen ou la rage subjective s’y arrachant en l’exprimant, on trouvera Joy Divison de toutes façons romantique, mais plutôt sordide et fascinant, ou bien puissant et formant une critique froide d’une vie quotidienne terriblement bornée.

Le nom du groupe reflète cette nature contradictoire, ou ambiguë, selon, puisqu’il s’agit des femmes juives prostituées de force par les nazis telles que raconté dans le roman The House of Dolls de Ka-Tsetnik 135633, soit prisonnier du camp de concentration (KZ) 135633, pseudonyme du survivant de la Shoah Yehiel De-Nur.

D’autres références littéraires de l’album sont J. G. Ballard, William S. Burroughs, témoignant d’une fascinant certaine pour l’enivrement dans le morbide de la part de Ian Curtis, les chansons témoignant cependant d’une grande tentative de sortie de la torpeur, de l’angoisse, avec une grande agressivité expressionniste.