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Le référendum et le positivisme bourgeois

La critique du RIC (référendum d’initiative citoyenne) doit être comprise depuis le cadre même de ce que sont les institutions de la bourgeoisie dans notre pays.

De l’expérience de la Première République jusqu’aux juristes positivistes de la IIIe République, la bourgeoisie a fortement marqué la culture politique française en cherchant à affirmer une dimension faussement démocratique, bornée et restreinte, aux différents régimes républicains, jusqu’à notre propre époque. Loin d’être une mesure subversive ou même avant-gardiste, la question du référendum est précisément et ni plus ni moins qu’un des éléments de ce dispositif.

Une fois élancé le mouvement révolutionnaire de 1789, les différentes factions de la bourgeoisie ont passé l’essentiel de leur histoire à affronter d’une part la réaction et d’autre part à s’affronter les unes les autres pour le contrôle de l’État bourgeois en réprimant, souvent dans le sang de la classe ouvrière, les revendications démocratiques trop poussées qui les mettent dangereusement face à leurs contradictions. Cette lutte se poursuit jusqu’à nos jours, mais elle s’est organisée et institutionnalisée dans les formes que nous lui connaissons à partir de la IIIe République.

La volonté et la nécessité de maintenir l’élan populaire qui avait initialement appuyé la bourgeoisie dans ce cadre a donc poussé celle-ci à tenter de trouver des formes institutionnelles permettant d’aller vers la démocratie sans pouvoir en être capable au bout du compte. C’est en ce sens que les différents projets de Constitution suivant la déclaration de la République en 1792 prévoient tous en quelque sorte un prolongement du régime parlementaire de l’Assemblée (appelée dans un premier temps « Convention ») par différentes solutions permettant plus ou moins l’expression politique et la participation populaire : censure des actes législatifs de l’Assemblée par les citoyens, droit de pétition, ébauche de référendum… L’idée commune est de refuser les organisations collectives et durables du peuple en-dehors de l’Assemblée nationale. Les autres assemblées instituées à l’échelle des départements et des communes sont étroitement contrôlées et fortement limitées dans leurs prérogatives et leur composition. L’expérience des cahiers de doléances est donc purement et simplement balayée, l’engagement politique est renvoyé à la capacité individuelle de s’organiser dans une logique d’entreprise et de mobiliser un réseau plus ou moins volatile autour de quelque chose.

Ainsi s’est formée la double perception du peuple que la bourgeoisie entend mettre en avant et qui est aujourd’hui même, celle des populistes : un agrégats de citoyens reflétant la diversité de la nation en tant qu’individus d’une part. Et de l’autre, une entité politique collective mais abstraite unie par un sentiment national tel que défini par le régime qui ne peut se rassembler comme force qu’autour d’un « projet » précis et borné.

C’est précisément cette conception du peuple qu’il faut bien comprendre pour saisir concrètement en quoi le populisme n’est pas la démocratie : à l’idée d’un peuple abstrait et réduit à une somme d’individus particuliers tenus par la seule capacité de l’État bourgeois à incarner la nation, il faut opposer celle où le peuple en lui-même est la nation hors de toute incarnation institutionnelle.

A l’idée que la participation politique est pilotée par les fractions de la bourgeoisie et de ses agents, de ses figures, que le peuple par sa force collective doit appuyer à la demande, il faut opposer celle que c’est le peuple lui-même qui fait l’histoire et que celle-ci s’inscrit pleinement dans le cadre de la lutte des classes, dont la bourgeoisie est désormais la cible, le problème.

A l’idée d’une participation collective additionnant des individus « libres » et divers autour d’une question avant de s’évaporer, il faut opposer la nécessité de se rassembler collectivement et durablement, d’organiser des Assemblées populaires à la base pour mettre sur le tapis les contradictions et affirmer le bien commun, chercher des solutions.

Ce cadre étant posé, il est évident que ce que l’on appelle « référendum » relève entièrement de la conception historiquement bourgeoise de la démocratie. Dans notre pays, la bourgeoisie a notamment produit tout un arsenal juridique et idéologique poussé ayant particulièrement marqué notre culture politique. De la Première République de 1792 et ses tentatives jusqu’au triomphe de la domination bourgeoise avec la IIIe République notamment, la bourgeoisie libérale a imprimé fortement toute la conception de l’État et de la souveraineté, notamment par son positivisme.

Au bout du compte, il a été produit une distinction entre d’une part « souveraineté nationale » qui relève de la légitimité de l’Assemblée Nationale et du parlementarisme, ce que la bourgeoisie considère comme la « démocratie représentative ». Et d’autre part, la « souveraineté populaire » qui produirait donc une « démocratie directe » s’appuyant sur les citoyens sous la forme d’une participation pétitionnaire à la vie politique. L’une comme l’autre néanmoins relevant entièrement de l’État bourgeois et de son cadre.

Cette distinction et la question de leur articulation constitue pour la bourgeoisie française un débat prolongé sur ce qu’elle pense être la « démocratie », qui précisément représente pour la Gauche une borne culturelle à dépasser. Depuis la IIIe République (1870-1940), toute la question se résume à savoir comment tempérer le régime parlementaire, considéré comme un acquis indépassable et irrécusable par la bourgeoisie, en y admettant une forme de participation collective et populaire sans aller « trop loin » vers la démocratie, considérée au mieux comme impossible techniquement et au pire comme une menace anarchique.

Ce débat est en soi un des éléments constituants la vie politique de la « démocratie » libérale de notre pays de manière fondamentale et permanente. D’où son éternel retour à chaque contestation populaire, sous la forme d’une soupape de sécurité en quelque sorte qui permet de proposer faussement une perspective populaire et démocratique en réactivant la question de la « souveraineté populaire » et de toute sa cohorte de référendums et autres pétitions.

La figure essentielle à connaître ici est celle de Raymond Carré de Malberg (1861-1935), un juriste positiviste strasbourgeois ayant contribué à établir cette distinction des souverainetés dans le cadre de l’État bourgeois. Par « positivisme », il est question ici d’une conception du droit qui considère de manière libérale qu’il n’est pas un héritage figé pour toujours mais qu’il est le reflet du « contrat social » à un moment donné entre tous les individus composant l’État, qui en tant que personnalité juridique suprême est à la fois le garant et l’expression politique de toute la société.

Raymond Carré de Malberg n’est pas une figure populaire en France, mais il est un juriste de grande envergure à connaître pour saisir la nature de l’État bourgeois en France et la culture politique qu’il a produit. Raymond Carré de Malberg en particulier a réfléchi au seuil des années 1930 aux insuffisances du parlementarisme de la IIIe République. On lui doit une longue affirmation de l’État comme un genre d’arbitre au-dessus de la société en dehors duquel le droit ne peut être énoncé.

Cette idée d’un État au-dessus de la lutte des classes est en soi un marqueur justement du populisme actuel. Plus concrètement, il a formulé l’idée que le parlementarisme affaiblit l’État et donc par conséquence, endommage l’ordre social. Face à cela, il prône un renforcement de l’exécutif sur le pouvoir législatif qui sera précisément à la base des réformes de Vichy puis plus tard de la Ve République, renforçant cette idée d’un État fort incarnant la « souveraineté nationale » et son bon fonctionnement.

Enfin, Raymond Carré de Malberg réfléchit aussi sur la question de la participation populaire. Depuis les travaux de Maurice Hauriou (1856-1929), la bourgeoisie voit au mieux la « souveraineté populaire » comme accomplie dans la simple expression du suffrage universel acquis depuis 1848 pour les hommes en France. En particulier s’il permet d’élire le président de la République, qui incarne l’institution par excellence qu’est l’État, donc en pratique le « peuple » lui-même.

La bourgeoisie dispose donc dès lors de tout un arsenal idéologique et juridique en mesure d’imposer une définition bornée de la démocratie. Raymond Carré de Malberg vient le compléter en 1931 en proposant d’y ménager une place pour le référendum susceptible d’affirmer une dimension plus « démocratique » au parlementarisme républicain dans son ouvrage : Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme.

De l’expérience de la Révolution bourgeoise de 1789 jusqu’aux juristes de la IIIe République, on peut donc mesurer toute la profondeur de ce cadre républicain constitué progressivement autour de l’État bourgeois pour tenter de le faire incarner la « souveraineté nationale » ou dans une moindre mesure la « souveraineté populaire », c’est-à-dire de lui donner une dimension faussement démocratique.

Dans ce dispositif, le référendum ne peut donc pas rationnellement être saisi comme un moyen « neutre » ou pire comme une sorte de mesure en capacité d’imposer une évolution démocratique. Ce serait méconnaître la profondeur historique de la réflexion et des capacités de la bourgeoisie sur ce sujet et de toute façon s’inscrire d’emblée dans le cadre maîtrisé des institutions.

En raison d’une absence de conscience développée sur ce qu’est concrètement la lutte des classes dans notre pays, la revendication du RIC aujourd’hui illustre toutes ces illusions, toute la complète servitude à la culture bourgeoise, de ceux qui s’en réclament en imaginant proposer là une chose quasiment révolutionnaire.

La tâche culturelle de la Gauche est justement de replacer cette question dans sa juste dimension historique afin de pousser à chercher des solutions en réelle rupture avec les institutions et avec la culture politique de la bourgeoisie.

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Les cahiers de doléances de 1789, une expérience démocratique française marquante

A chaque crise politique, il ressort d’une manière ou d’une autre dans notre pays la référence historique aux « cahiers de doléances » et plus largement à l’expérience historique qu’a constitué la convocation des États Généraux entre le mois de janvier et de mars 1789.

Il y a dans cette épisode une réelle dimension populaire et même partiellement démocratique. Mais cette expérience a été située historiquement, et s’y référer aujourd’hui ne peut-être autre chose qu’une flatterie démagogique servant la dérive populiste contre toutes les exigences populaires à la véritable démocratie.

Le 21 janvier 1789, le roi de France Louis XVI lançait donc depuis Versailles la convocation des États Généraux du Royaume, sur la base d’une vieille institution féodale abandonnée depuis 1614. Les États Généraux étaient en effet jusque-là une assemblée à vocation fiscale censée représenter tout le Royaume organisé par « États » ou Ordres : le Clergé et la Noblesse d’un côté, en charge de l’appareil d’État, et de l’autre, le « Tiers État » regroupant l’ensemble des habitants en charge de la production et de la circulation des marchandises, largement dominé par les couches bourgeoises de la société française. Le vieil adage féodal concernant la levée de l’impôt était que « ce qui concerne tout le monde, doit être décidé par tous ».

La crise générale que traversait en 1789 le Royaume de France poussait justement à la réforme, il fallait définitivement casser l’ordre féodal et ses privilèges. C’était là l’idée du ministre des Finances de Louis XVI, Jacques Necker, le père de l’auteur Mme de Staël : s’appuyer sur le Tiers État pour obtenir une nouvelle levée d’impôts générale qui concernerait tous les Ordres de manière plus juste. C’est la raison pour laquelle tous les débats, qui mèneront finalement à la dissidence des députés du Tiers État notamment, porteront précisément sur l’organisation des votes au sein de l’Assemblée. Au traditionnel vote par Ordre, défavorisant le Tiers État, il était préféré un vote par tête, avec un doublement des députés du Tiers État, ce qui revenait donc à donner le pouvoir à cet Ordre contre les deux autres.

La convocation des États Généraux sous cette forme est donc déjà une nouveauté qui s’inscrit dans le processus révolutionnaire centré sur l’affirmation de la bourgeoisie, qui porte alors un véritable élan démocratique, tel que concevable dans le cadre d’alors.

Mais surtout, cette convocation est le premier véritable exercice de participation populaire à l’échelle de tout le Royaume, dessinant et affirmant comme jamais auparavant le cadre national français.

D’abord, l’organisation de l’assemblée est minutieusement décidée par le roi et son Conseil. Les ordres sont envoyés depuis le centre vers les masses, en suivant une organisation administrative encore très imparfaite, que la Révolution bourgeoise viendra justement réformer avec les départements et les préfets, jusqu’aux assemblées locales. Il n’existe pas encore de Commune à ce moment, ce découpage sera lui aussi une autre réalisation de la Révolution bourgeoise. Mais la base est déjà là, demandant simplement sa rationalisation. C’est bien d’ailleurs ce qu’exprime l’État royal dans sa lettre de convocation :

« Cependant le respect pour les anciens usages et la nécessité de les concilier avec les circonstances présentes, sans blesser les principes de la justice, ont rendu l’ensemble de l’organisation des prochains États généraux, et toutes les dispositions préalables, très-difficiles et souvent imparfaites. Cet inconvénient n’eût pas existé si l’on eût suivi une marche entièrement libre, et tracée seulement par la raison et par l’équité ; mais Sa Majesté a cru mieux répondre aux vœux de ses peuples, en réservant à l’assemblée des États généraux le soin de remédier aux inégalités qu’on n’a pu éviter, et de préparer pour l’avenir un système plus parfait. »

Il est décidé l’organisation de débats au sein de chaque Ordre dans absolument tout le territoire soumis au roi de France, y compris dans les colonies. Ces débats seront organisés au sein des assemblées régulières de ces Ordres : les assemblées et conseils pour la Noblesse, les différentes institutions religieuses pour le Clergé, à l’exception notable des Hôpitaux et des écoles pourtant sous son contrôle, mais déjà considérées par l’État royal comme des institutions relevant non du Clergé, mais de de facto de l’administration publique.

Concernant le Tiers État en particulier, l’organisation de ces espaces de débats s’est naturellement coulée dans les nombreuses assemblées régulièrement tenues au sein des corporations des arts et métiers ou des arts libéraux dans les villes et dans le cadre des paroisses dans les villages. Mais déjà se sent l’étroitesse de ce cadre issu de la période féodale : les habitants non incorporés dans une profession sont convoqués à titre individuel à l’Hôtel de ville, et les communautés paroissiales rurales sont explicitement placées dans l’orbite d’une ville proche où leurs doléances exprimées au sein de ces assemblées seront synthétisées avec celle de la ville dont elles dépendent. Seule la ville de Paris dispose toutefois d’un cadre municipal institutionnalisé, les autres agglomérations doivent donc développer, sur la base de l’expérience et de l’adaptation, des formes hybrides, qui poussent à briser celui des corporations au profit d’une unité territoriale de la ville basée sur l’Hôtel de ville. Au bout du compte, c’est d’ailleurs à l’Hôtel de ville que tous les cahiers de doléances de la ville et des campagnes alentours seront synthétisés.

Les personnes amenées à participer aux débats sont aussi précisées par l’ordre royal :

« A laquelle assemblée auront droit d’assister tous les habitants composant le tiers-état, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions, pour concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés. »

La participation des femmes est possible, mais elle n’est exprimée que dans le cas des communautés religieuses féminines dans l’Ordre du Clergé et dans celui de femmes tenant un bénéfice, c’est-à-dire une charge publique ou une seigneurie, dans l’Ordre de la Noblesse.

Si la participation populaire est générale, elle est bornée par les formes même de cette organisation décidée par la monarchie, s’appuyant largement sur la bourgeoisie. Partout, y compris dans les villages par le rôle des notaires notamment, c’est elle qui tiendra le premier rôle, assumant la charge de greffier et celle de porter les doléances aux échelons supérieurs. L’écrasante majorité des députés ainsi désignés seront directement issus de la bourgeoisie, qui ne représente qu’une minorité de tout le Tiers État.

L’idée d’exprimer un compte-rendu de chaque assemblée sous la forme d’un cahier de doléance, mettant à l’écrit les décisions ou les voeux de ces assemblées est en soi un témoignage précieux de la culture politique de notre pays à ce moment de son histoire. Pour la première fois, d’une manière aussi généralisée, le peuple s’exprime.

Le délai pour réunir ces assemblées était relativement court : en 94 jours, tout devait être fait et prêt à être remonté à Versailles. Mais leur succès est fulgurant, on en conserve aujourd’hui encore plus de 500, provenant de toute la France. Certains témoignent certes d’une obséquiosité totale à l’égard des traditions et de l’ordre féodal, mais d’autres sont extrêmement revendicatifs, sortent même complètement de l’idée initiale et servile de « doléances » c’est-à-dire d’une demande faite à un supérieur « naturel » avec humilité.

On y trouve des demandes reflétant l’exigence de prendre en main le quotidien, de décider collectivement ce qui est bon pour tous : l’accès à la forêt, la restriction des droits de chasse de la Noblesse, l’inquiétude par rapport à la pollution de telle rivière, la volonté de faire durer ces assemblées, d’étendre encore leurs pouvoirs bien au-delà des seules questions fiscales.

Mais toutes ces revendications populaires n’ont pu trouver leur chemin, car l’élan révolutionnaire était alors tout entier appuyé sur la bourgeoisie, qui était seule en mesure de se dresser contre l’Ordre féodal à bout de souffle et de conquérir l’État, mais non de satisfaire pleinement toutes ces attentes démocratiques. Ce sera là tout le grand succès contradictoire de la Révolution bourgeoise de 1789 et de ses suites, jusqu’à la fin définitive des illusions en 1848.

On a donc là une expérience ayant marqué l’Histoire de notre pays de manière significative, en particulier bien entendu la bourgeoisie. Il y a dans cette référence l’idée d’une participation sous contrôle réussie du peuple, d’une mobilisation bornée. L’idée du gouvernement de réactiver cette expérience en réponse au mouvement des Gilets Jaunes relève donc de la répétition historique forcée, c’est-à-dire de la farce sinistre, qui ne pourra que dégoûter encore davantage les masses de la participation politique dans les formes des institutions officielles.

Tenir aujourd’hui dans les mairies des « cahiers de doléances », organiser de-ci de-là quelques assemblées à la va vite ne produira pas d’effets démocratiques majeurs si les choses en restent dans ce cadre, c’est l’évidence même. Mais cela rassure la petite-bourgeoisie et flatte la culture réactionnaire de la bourgeoisie qui y voit la réitération de ses propres succès, de sa capacité à mobiliser le peuple, que ce soit d’ailleurs en faveur du gouvernement ou non. Toute l’idée du RIC et des débats annoncés s’inscrit dans ce cadre qui relève donc de la pure mobilisation populiste : il s’agit de s’appuyer sur les masses, pas de leur donner le pouvoir. Soit pour confirmer le gouvernement, voire le régime, soit au contraire pour tenter de le renverser au profit d’une autre fraction de la bourgeoisie, en l’occurrence son aile la plus réactionnaire.

Toutes les illusions d’une personne comme Jean-Luc Mélenchon et plus largement même de son mouvement de la France Insoumise tiennent aussi à leur idéalisation complète de ce que fut la Révolution de 1789, qu’ils perçoivent comme un genre de « mouvement citoyen » avant la lettre. C’est-à-dire comme celui qu’ils pensent incarner. Alors même qu’il s’agit désormais d’une pure flatterie démagogique de la bourgeoisie, qui au-delà des luttes entre ses propres fractions, partage entièrement cette idée que le peuple n’est là finalement que pour servir de point d’appui à l’arbitrage d’un conflit borné dans le cadre de ses institutions ou du moins de ses intérêts.

Pour la Gauche, les cahiers de doléances témoignent en revanche tout à la fois de la profonde vitalité, des idées inépuisables et des capacités d’organisation collectives gigantesques de notre peuple, des masses populaires. Mais ils sont aussi un marqueur politique, une étape historique qu’il faut nécessairement dépasser. Ils sont pour le dire clairement, la borne de ce qui relève aujourd’hui de la simple démagogie populiste qui ne mène à rien sinon au fascisme, contre la réelle mobilisation démocratique et populaire, qui pousse avec raison à sortir du cadre, à se réunir collectivement en assemblée et de plus en plus régulièrement, autour de soi, dans son quartier ou au travail.

S’assembler pour discuter de ce qui doit changer, trouver la voie collective pour poser les problèmes et exprimer les solutions, sans plus se mettre à la remorque de la bourgeoisie et de son populisme, ni du cadre de ses institutions, voilà une tâche pratique à laquelle la Gauche toute entière de notre pays doit s’atteler.

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Le « référendum d’initiative populaire » contre la démocratie

La généralisation du référendum n’est pas une démarche démocratique servant les intérêts des classes populaires. Il relève du populisme le plus élémentaire, en niant la complexité des choses, en dépolitisant les sujets, ce qui mène tout droit au fascisme en contribuant à tuer la société civile.

Le « RIC », référendum d’initiative citoyenne, est la grande revendication du mouvement des gilets jaunes depuis le début de son effondrement. Dépouillé de ce qu’il pouvait avoir de populaire, quand il portait une révolte contre la vie chère et le mode de vie dépendant à l’automobile, le mouvement affirme maintenant pleinement sa nature populiste.

Il y a en effet quelque-chose de profondément idéaliste, pour ne pas dire irrationnel, à s’imaginer que la démocratie puisse s’incarner en des réponses « oui » ou « non » à quelques grandes questions.

La démocratie n’est pas un formalisme consistant en la somme des « points-de-vue » des individus. C’est quelque-chose de bien plus grand, un mouvement devant pénétrer chaque moment de la vie, avec un pouvoir populaire s’animant de manière concrète sur chaque aspect de la vie. C’est ce qu’on appelle la société civile, avec des gens s’organisant dans des moments particulier de la vie quotidienne et du monde qui nous entoure, débattant et façonnant des points de vue élaborés, en rapport avec des choses concrètes qu’ils connaissent et pratiquent vraiment.

Résumer cela en des questions posées aux électeurs, même régulièrement, et trouvant leur issue par « oui » ou « non », est une insulte à l’idée même de pouvoir populaire. La motivation du « RIC » n’est de toutes façons pas démocratique, mais se veut seulement une réponse rapide et facile à l’indignation de petit-bourgeois pris de rage face à leur propre situation.

Les gilets jaunes ne veulent pas faire de politique, ils ne veulent pas saisir la complexité du monde et des rapports sociaux, ils veulent simplement pouvoir dire « non ». Le « RIC » est la quintessence du consumérisme petit-bourgeois, complètement aliéné par le capitalisme, où tout est question de choix individuel, de défendre les intérêts de sa petite personne, sans aucune considération plus élaborée ni pour la planète, ni pour la communauté.

On imagine d’ailleurs très bien les dégâts si la société fonctionnait ainsi, car évidemment il ne serait plus possible d’avancer collectivement, plus personne ne voudrait plus rien mettre en commun ni se plier à l’exigence collective.

Le problème de notre société n’est pas que les hommes politiques soient incompétents ou qu’ils aient « trahi », comme le résument les populistes, mais qu’ils servent des intérêts de classe. Il ne s’agit donc pas de pouvoir simplement dire « oui » ou « non », mais de renverser le pouvoir de la bourgeoisie qui accapare la culture et les richesses, pour au contraire défendre les intérêts culturels et matériels des classes populaires.

Cela est bien plus complexe que des « RIC », car il faut s’organiser sur le long terme, connaître et défendre le long cheminement de la civilisation, avoir une opinion élaborée et aboutie conformément à la complexité de chaque phénomène particulier et des rapports sociaux et naturels en général.

Le référendum n’est bien sûr pas un outil qui serait mauvais en lui-même, car il ne s’agit que d’un vote et il est utile en démocratie que les débats et les réflexions puissent être tranchés à un moment donné. Mais le « RIC » ne consiste pas en cela. Il s’agit juste du prolongement du mouvement des gilets jaunes opposés aux taxes sur le carburant, qui veulent pouvoir lancer leurs pétitions à grandes échelles et faire voter tout le monde sur la fin d’une taxe, puis certainement d’autres taxes, etc.

Il ne faut pas s’étonner ici de voir une figure populiste comme François Ruffin de La France Insoumise soutenir pleinement le « RIC », qui figurait au programme en 2017 tant de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen. Il y a eu cette polémique récemment car, lors d’une conférence à l’Assemblée Nationale, François Ruffin a félicité le fasciste Étienne Chouard qui est un initiateur reconnu du « RIC ».

Cela est logique, et tous ceux à Gauche qui ont refusé le populisme savent très bien qu’il existe depuis le référendum sur la constitution européenne en 2005 une grande convergence entre les nationalismes. Étienne Chouard n’est ici qu’un pont parmi d’autre entre la France Insoumise et le Rassemblement National, par l’intermédiaire d’Alain Soral notamment.

Ce qui est ironique par contre, c’est que la France Insoumise ne bénéficie pas du mouvement des gilets jaunes, malgré le fait qu’elle dise la même chose, car finalement les gilets jaunes préfèrent le Rassemblement National, la version originale, plutôt que sa pâle copie insoumise teintée de bons sentiments dépassés. C’est que la France Insoumise est encore trop « politique », et on imagine d’ailleurs que le Rassemblement National, qui a pourtant poussé très loin le populisme et le refus de la « politique-politicienne », des clivages politiques, est encore de trop pour certains gilets jaunes.

Leur « RIC », en tant qu’objet antipolitique et antidémocratique, en tant que fausse promesse démocratique et populaire, en tant qu’illusion populiste, en tant que négation de la lutte des classes, mène alors tout droit au fascisme.