Catégories
Guerre

Le Rojava menacé par l’invasion turque

Les Kurdes se retrouvent de nouveau seuls.

La guerre civile en Syrie commencée en 2011 a été le prétexte de la formation d’une zone sous contrôle kurde, le Rojava. Les anarchistes français en ont beaucoup parlé, certains allant même là-bas, en raison d’un romantisme idéaliste. Le Rojava serait un modèle de fédéralisme, de décentralisation, etc.

En réalité, à la suite de l’arrestation d’Abdullah Öcallan en 1999, le PKK (Partiya Karkerên Kurdistanê – Parti des Travailleurs du Kurdistan) a mis en avant un « confédéralisme démocratique », qui lui permettait d’ajuster de manière très pragmatique ses positions.

Ainsi, la mise en place du Rojava dans le cadre de la guerre civile en Syrie a profité d’un soutien américain et français, dans le cadre de la lutte contre l’Etat islamique, ainsi que d’une certaine neutralité de l’Etat syrien. Le tout sans avoir une idéologie faisant peur aux Etats occidentaux et permettant des campagnes de soutien en Europe occidentale.

Le souci est que désormais la Turquie est à l’offensive et que le Rojava est lourdement menacé. Voici la carte actuelle pour comprendre ce qu’il en est.

La partie en rose, la plus grande, montre ce que contrôle l’Etat syrien, avec l’appui russe. En blanc, il s’agit des « rebelles », à savoir les islamistes issus d’Al Qaïda. En vert tout en bas, c’est une zone sous contrôle américain avec des « rebelles » pro-américains servant de justification.

En vert pomme tout en haut, ce sont les zones du pseudo gouvernement intérimaire syrien, avec l’armée turque. En jaune, c’est le Rojava, et en orange, une zone contrôlée par les forces du Rojava ainsi que l’Etat syrien.

Comme le Rojava est dirigé par le Partiya Yekîtiya Demokrat (Parti de l’union démocratique), la version syrienne du PKK, la Turquie compte faire d’une pierre deux coups : liquider les forces kurdes et pratiquer une expansion.

Cela est également nécessaire afin d’avoir le champ libre pour la Grèce et de ne pas avoir à se préoccuper de cette question à moyen terme. Aussi, la Turquie a accusé les Kurdes de Syrie d’être responsables de l’attentat dans une rue piétonne d’Istanbul le 13 novembre 2022.

Pour cette raison, elle bombarde depuis le 20 novembre jusqu’à aujourd’hui la zone frontalière, en visant les forces kurdes. Cela a fait une soixantaine de morts déjà. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a également annoncé une opération sur le terrain. Sont clairement visées les villes de Tel Rifat et Manbidj, pour une pénétration terrestre sur 30 km, devant on le devine par la suite aboutir à une annexion.

La superpuissance américaine et la France sont vent debout contre cette décision. Les États-Unis ont envoyé un émissaire, alors que le ministre américain de la Défense Lloyd Austin affirmé sa « forte opposition » à une telle initiative.

Le ministre français des Armées Sébastien Lecornu a de son côté directement appelé son homologue turc Hulusi Akar le 29 novembre 2022. Voici le compte-rendu officiel :

« Paris, le 30 novembre 2022
Entretien de Sébastien Lecornu, ministre des Armées, avec Hulusi Akar ministre de la Défense de la Turquie le 29 novembre 2022

Sébastien Lecornu, ministre des Armées, s’est entretenu par téléphone avec son homologue turc, Hulusi Akar. Au cours de cette conversation, les ministres ont échangé leurs appréciations de la situation sécuritaire en Syrie et en Irak. Sébatien Lecornu a exprimé sa vive préoccupation à propos des frappes menées par la Turquie en Syrie et en Irak. Elles conduisent à une escalade des tensions qui menace la stabilité de la région et les progrès réalisés depuis plusieurs années par la Coalition internationale dans la lutte contre Daech.

Il a prévenu qu’une intervention, en particulier à l’Est de l’Euphrate, risquait de mettre en danger la sécurité des personnels de la Coalition opérant dans le Nord-Est syrien et de favoriser l’évasion de combattants de l’état islamique compromettant ainsi la sécurité de nos concitoyens en France. Il a enfin rappelé l’attachement de la France à la mission de lutte contre le terrorisme. »

Dans les faits, les forces kurdes ont dit avoir cessé leurs opérations contre l’État islamique, et les troupes américaines ont cessé leurs patrouilles dans la région.

Surtout, la Russie reste bien silencieuse… Car, on l’aura compris, elle a fait un deal avec la Turquie. Il y a ici un échange de bons procédés, avec la guerre en Ukraine à l’arrière-plan. La Russie pousse d’ailleurs la Syrie à renouer avec la Turquie, alors que ce pays a été un des principaux soutiens et organisateurs des rebelles islamistes.

Preuve de cela, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a affirmé qu’il était prêt à rencontrer le président syrien Bachar al-Assad. Une telle chose était encore inconcevable il y a quelques mois, voire quelques semaines.

C’est qu’on est en pleine bataille de repartage du monde. Et ici les Kurdes se retrouvent de nouveau trahis, comme il y a cent ans, lorsque le Traité de Lausanne de 1923 remplaçait le Traité de Sèvre de 1920. La Turquie de Mustafa Kemal obtenait alors des grandes puissances l’assurance que les Kurdes ne soient plus reconnus.

Catégories
Politique

Interview d’un Français parti au Rojava

Très utile pour connaître une vision du monde irriguant l’ultra-gauche.

L’idéologie du Rojava – la petite région autonome de Syrie à majorité kurde – irrigue très largement l’ultra-gauche. Cette idéologie est façonnée par le PKK agissant en Turquie et son dirigeant emprisonné Abdullah Öcallan (surnommé Apo).

Le PKK est pourtant né sur une base marxiste-léniniste, mais il l’a rapidement abandonné pour une démarche patriotique (ou nationaliste de gauche) se tournant finalement vers le principe confédéral / décentralisé (du moins officiellement), considérant qu’Abdullah Öcallan a formulé la solution à toutes les questions révolutionnaires du monde, au moyen du « municipalisme libertaire » et du « confédéralisme démocratique ».

L’ennemi, c’est très clairement ici la Gauche historique et en général c’est comme si tout ce qui a existé avant les années 1990 aurait été invalidé et ne serait même pas à prendre en compte. Une large partie de l’ultra-gauche post-anarchiste et post-trotskiste s’est d’ailleurs, depuis quelques années, d’une manière ou d’une autre reconnue dans cette approche (c’est par exemple une référence pour la « Jeune Garde »).

De nombreux Français ont de ce fait rejoint le Rojava pour combattre aux côté des Kurdes dans les YPG (Unités de protection du peuple), afin de combattre Daech, mais également par sympathie pour le projet au Rojava (mis concrètement en place par le PYD – Parti de l’union démocratique, lié au PKK). Ils sont intervenus das un contexte régional de guerre et pour cette raison la situation a été complexe, teinté parfois de pragmatisme de la part des forces kurdes, les États-Unis couvrant le Rojava depuis quelques années (il y a pratiquement mille soldats américains dans la région), des experts militaires français ayant également aidé à la formation des YPG, etc.

Voici justement une interview d’un Français parti là-bas, réalisé par le média d’ultra-gauche Lundi matin (qui consiste en la « suite » de la mouvance de « l’insurrection qui vient » de Julien Coupat).

Catégories
Politique

L’échec de la mobilisation de soutien aux Kurdes de Syrie

Les rassemblements en soutien aux Kurdes de Syrie samedi 2 novembre 2019 n’ont réunis que très peu de monde. C’est un échec directement politique.

Rien n’y fait. Il a été parlé des Kurdes de Syrie de manière ininterrompue dans les médias, il y a même eu un appel en leur faveur de 44 rescapés du Bataclan. Emmanuel Macron et de très nombreux politiciens affirment les soutenir. Pratiquement toute la scène anarchiste se mobilise également en leur faveur, ainsi qu’une bonne partie de l’extrême-Gauche. Libération a d’ailleurs publié la tribune d’un Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava.

Et pourtant il n’y a eu au rassemblement de solidarité hier que quelques milliers de personnes à Paris, quelques centaines à Strasbourg. Même la ville allemande de Cologne n’a vu se rassembler qu’environ 2 000 personnes. Pareil pour Berlin et Bâle en Suisse.

Pourquoi ce paradoxe ? Tout simplement parce que la spontanéité n’existe pas. Il n’y a plus de Gauche organisée à une échelle de masses, alors si les anarchistes ont décidé de faire confiance au PKK et de voir en Abdullah Öcallan un théoricien du municipalisme libertaire, cela ne parle pas du tout aux gens en France. C’est aussi simple que cela.

Il y a pourtant environ 800 000 personnes relevant, au sens très large, de la communauté turque en France. Pourquoi ne se sont-ils pas mobilisées ? Là encore, la raison en est simple. La Gauche turque est très présente en France historiquement, mais le PKK a tout fait pour avoir l’hégémonie et l’asphyxier. Cela a très bien marché. Le résultat en est une hégémonie réactionnaire et une déliquescence de la Gauche turque.

La situation n’a donc strictement rien d’étonnant et c’est bien cela qui est dramatique. Les Kurdes de Syrie se retrouvent dans une situation intenable – et ceux qui leur ont vendu du rêve en s’imaginant que le « Rojava » allait dégommer les puissances turque et syrienne ont leur part de responsabilité. Il leur aurait suffi de regarder l’histoire des Kurdes pour comprendre comment ceux-ci ont toujours été trahis, utilisés comme forces supplétives pour les conflits, par exemple lors du génocide arménien.

Cela montre aussi la vanité des gens pensant qu’une « minorité agissante » peut changer le cours des choses. Les anarchistes français se sont appropriés le thème du « Rojava » pour exprimer leurs fantasmes et leurs illusions et ce ne sont pas eux qui vont en payer le prix. Qui y aura-t-il alors demain pour maintenir le drapeau des droits des Kurdes ?