Catégories
Politique

Michel Le Bris ou le succès du renégat

Le parcours de Michel Le Bris correspond à toute une époque, celle où ceux qui ont tourné le dos à mai 1968 ont obtenu une immense reconnaissance.

Né en 1944, Michel Le Bris est décédé à la fin janvier 2021 et ses obsèques viennent de se tenir. Peu connu du grand public, son parcours est pourtant représentatif de tout un état d’esprit historique : celui des renégats de mai 1968 se fondant dans un capitalisme qu’ils dénonçaient pourtant.

Initialement, Michel Le Bris est diplômé de la meilleure école de commerce française HEC et devient rédacteur en chef de la revue Jazz Hot. Il fait donc partie des gens les plus élevés culturellement à une époque terriblement élitiste dans les possibilités d’accès à la culture.

Il est alors attiré – comme beaucoup de jeunes de la toute petite minorité étudiante – par le maoïsme. Pour en saisir l’esprit, il faut regarder le film La Chinoise de Jean-Luc Godard.

Michel Le Bris est donc un cadre de la Gauche Prolétarienne, il prend à ce titre la direction de la Cause du peuple, le journal de la Gauche Prolétarienne, alors que le précédent directeur est allé en prison pour cette activité. Il lui arrive la même chose et ses huit mois de prison lui valent un immense prestige en France, où il est considéré comme un prisonnier politique.

Il participe ensuite au journal J’accuse, qui est une Cause du peuple en totalement populiste de la Gauche Prolétarienne qui s’est auto-dissoute et abandonne tout du genre au lendemain afin de ne pas suivre une voie qui sera justement celle de ses stricts homologues allemands et italiens (la RAF et les Brigades Rouges).

Michel Le Bris, fort de l’expérience acquise, participe alors aux côtés des restes post-maoïstes à une nouvelle aventure, celle d’une rébellion intellectuelle dans le système. Il est là lors du lancement du quotidien Libération, qui vient également de la mouvance maoïste historique. Il se place même au cœur de cette mouvance post-maoïste avec ses ouvrages (Occitanie : Volem Viure !, Les Fous du Larzac, La Révolte du Midi) et sa direction, avec le philosophe Jean-Paul Sartre (lui-même un soutien de la Gauche Prolétarienne), de la collection « La France sauvage » (éditions Gallimard puis presses d’aujourd’hui).

Il est alors un intellectuel devenu post-marxiste, anti « totalitaire » et tourné vers les vrais gens se révoltant, etc. Il est à ce titre très apprécié par la seconde Gauche (celle qui ne vient pas du mouvement ouvrier), tout à fait contente d’être renforcée par ces gens ayant fait défection du maoïsme. Michel Le Bris est ainsi collaborateur du Nouvel Observateur de 1978 à 1986, l’organe de la seconde gauche.

C’est alors l’intégration complète dans le capitalisme, où Michel Le Bris agit dans le domaine culturel en faisant la promotion de l’esprit individualiste. Il est conseiller littéraire chez les éditions Grasset, directeur de programme des programmes de FR3 Ouest de 1982 à 1985, romancier (une cinquantaine de romans, d’essais, de biographies), organisateur d’un festival de littérature à Saint-Malo (Étonnants Voyageurs),  directeur du centre culturel de l’abbaye de Daoulas dans le Finistère de 2000 à 2006, etc.

Il a dans ce cadre beaucoup valorisé le romancier écossais du 19e siècle Robert Louis Stevenson (L’Île au trésor), les histoires de flibustiers, bref il a joué sur les poncifs du rebelle poète et d’une Bretagne s’imaginant, à part, encore authentique, etc. Il y a à ce titre une avalanche de salutations « bretonnes » en mémoire de Michel Le Bris, dont voici un exemple avec Anne Le Gagne, conseillère municipale de Saint-Malo et conseillère départementale : 

« Michel Le Bris, c’était l’âme bretonne, l’amour fou de la littérature, le goût de la liberté, de la fraternité, de la poésie, des autres, l’homme aux semelles de vent. »

Tout cela n’a aucun contenu à part le nombrilisme et cela en dit long sur comment la cause de la lutte de classes a été tronqué contre un narcissisme poétique à prétention existentialiste. Le capitalisme ne pouvait que saluer une telle position de renégat.

Catégories
Politique

Benoit Hamon lance SensTV

Benoit Hamon a annoncé le lancement d’une plateforme streaming nommée SensTv, avec comme slogan « mettons-nous d’accord sur nos désaccords ! ». L’accès est payant, avec un abonnement « sans engagement » à 4€99 par mois.

Voici la lettre de présentation :

« Cher.e.s toutes et tous,

Au croisement d’une année éprouvante et d’une année nouvelle que nous voulons fabriquer plus juste, écologique et bienveillante, je vous annonce que je me lance dans une aventure inédite avec ma chaîne SensTV.

À travers un média qui donne une grande place à l’intelligence collective, à l’argumentation, à la science, à la rigueur intellectuelle, j’ai choisi de poursuivre différemment et compléter une vie d’engagements. SensTV est l’antidote aux chaînes infos et aux réseaux sociaux qui rugissent du tumulte des polémiques et des préjugés.

Témoigner des injustices, montrer des solutions, changer la perspective, ouvrir des débats pour infléchir la trajectoire au désastre vers laquelle glissent nos sociétés productivistes et liberticides, voilà la raison d’être de SensTV.

SensTV est surtout une chaîne qui propose de ralentir le temps, de nous asseoir pour réfléchir, de nous arracher à la tyrannie de l’urgence et de voir si nous pouvons nous mettre d’accord sur nos désaccords.

Joyeuses fêtes de fin d’année à chacun.e d’entre vous.

Fidèlement.

Benoît Hamon »

La plateforme est disponible ici : senstv.fr

Sont déjà mis en avant des « grands entretiens » vidéos, ce qui donne une idée du contenu et de l’orientation du projet :

« 1er Grand Entretien avec Nora Lakheal

Je reçois Nora Lakheal pour le premier entretien sur le thème « La police et la République ». Cette officière est la première femme à avoir rejoint les renseignements généraux, au sein du « groupe islam radical » de la Section Opérationnelle et Recherche Spécialisée (SORS).

2ème Grand Entretien avec Mgr. Matthieu Rougé

Pour le second entretien, j’ai choisi d’échanger sur « Le travail et le christianisme ». J’ai reçu pour cela Mgr. Matthieu Rougé, Évêque de Nanterre et membre du conseil permanent de la conférence des Évêques de France.

Prochains invités pour les Grands Entretiens de janvier :

Lilian THURAM

Alice COFFIN

Michel-Edouard LECLERC »

Catégories
Politique

Décès de Gisèle Halimi, figure du libéralisme progressiste

Gisèle Halimi a été l’avocate de la cause des femmes, sauf que cette cause ne passe pas par l’éloquence, mais par le changement réel des mœurs, des mentalités, des structures mêmes de la société.

Dans son article au sujet du décès de Gisèle Halimi, le journal Libération commence de la manière suivante :

« Avocate, femme politique et écrivaine, Gisèle Halimi, décédée mardi à 93 ans, a fait de sa vie un combat pour le droit des femmes, marqué par le procès de Bobigny en 1972, qui a ouvert la voie à la légalisation de l’avortement.

Née Gisèle Taïeb le 27 juillet 1927 dans une famille modeste à La Goulette, en Tunisie, elle est très bonne élève et ne manque pas de caractère. »

On a ici une image d’Épinal assez caractéristique, qui correspond à celle de la personne qui s’est faite « toute seule » et a contribué à faire avancer les choses. En pratique, elle a tout de même son bac à 17 ans, à une époque où l’a environ 15 % d’une tranche d’âge. Cela ne colle pas vraiment. Elle part ensuite faire des études à la Sorbonne, vivant des « cours particuliers » qu’elle a donné à Tunis auparavant et d’une bourse. Tout cela est magnifiquement romancé et France Culture en raffole bien sûr.

Ses études l’amènent à être avocate. Elle le devient à un moment où le Droit en France est chamboulé, pour une raison très simple : le FLN algérien pratique des attentats meurtriers contre les civils et l’armée française réagit par la torture, ou même le viol. Gisèle Halimi devient dans ce cadre l’avocate de Djamila Boupacha, une activiste FLN torturée et violée pour avouer avoir l’intention de déposer une bombe dans un restaurant universitaire.

Ce fut un contexte où la Gauche historique, celle du mouvement ouvrier, fut totalement dépassée en France par d’un côté un nationalisme agressif et de l’autre une « seconde gauche » littéralement pro-FLN, préfigurant celle pro-migrants et pro-LGBT aujourd’hui. Cela amena le Parti socialiste à prendre l’ascendant.

Gisèle Halimi relève de ce courant. Lors de l’affaire Djamila Boupacha elle mena une intense campagne avec Simone de Beauvoir notamment ; elle devint ensuite une figure pour le droit à l’avortement. Ce thème est également particulièrement clivant et la Gauche historique n’a jamais été pour un droit unilatéral à l’avortement, qui est le point de vue du libéralisme pour qui l’individu a des prérogatives au-delà de toute réalité naturelle.

Gisèle Halimi fut ici un outil majeur du libéralisme, en contribuant à fournir un masque démocratique aux lois françaises. Ses interventions politiques sont passées par l’intermédiaire de son activité d’avocate.

Il y eut d’abord l’affaire Marie-Claire, du prénom d’une jeune femme ayant avorté illégalement à la suite d’un viol et qui heureusement, grâce à Gisèle Halimi, obtint une relaxe en 1972. Cependant, l’affaire fut en réalité employée pour généraliser le droit à l’avortement, ce que Gisèle Halimi exigeait déjà depuis 1971.

C’est pour cela qu’elle est saluée de manière unanime : pour les limites qu’elle a posé à son engagement purement institutionnel et symbolique. Les messages présidentiels en font l’aspect principal. Emmanuel Macron dit ainsi :

« Pour Gisèle Halimi, le féminisme était un humanisme. La France perd une républicaine passionnée qui, comme avocate, militante et élue, fut une grande combattante de l’émancipation des femmes. »

François Hollande, de son côté, a affirmé que :

« Gisèle Halimi a inlassablement servi la cause des femmes donc celle de la République. Elle ajoutait le courage au talent, le génie du verbe à la science du droit, l’engagement pour la dignité des peuples à la bataille pour l’égalité. Elle restera pour toutes et tous un exemple. »

C’est la théorie à la Victor Hugo de l’éloquence pour changer le monde. Gisèle Halimi a été cohérente dans sa démarche, d’ailleurs, puisqu’elle participe à la fondation du mouvement altermondialiste ATTAC.

Elle avait soutenu François Mitterrand en 1965, elle est députée apparentée socialiste de 1981 à 1984, ambassadrice de la France auprès de l’Unesco en 1985-1986, numéro deux pour les élections européennes de 1994 sur la liste du la liste du Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement.

En 1949 elle s’était mariée à un administrateur civil au ministère français de l’Agriculture ; un de ses fils deviendra le chef du Monde Diplomatique, ce qui est ici une double référence à son parcours : institutionnel et altermondialiste. Elle s’est ensuite remarié à un secrétaire de Jean-Paul Sartre et est la marraine de Nicolas Bedos !

Toute la démarche de Gisèle Halimi, tout son milieu, absolument tout relève de la seconde gauche, celle qui rejette le mouvement ouvrier et naturellement les valeurs de la Gauche historique. Le message de Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, apparaît ainsi comme incompréhensible :

« Nous perdons aujourd’hui une grande avocate, celle des militant.es du FLN et des droits des femmes. Puisse son histoire, sa hauteur de vue et son intelligence accompagner encore et toujours nos combats pour l’égalité des droits humains #GiseleHalimi »

Incompréhensible, sauf si on comprend que la seconde gauche a pris le dessus à tous les niveaux. Mais voir un responsable du PCF saluer unilatéralement le FLN et quelqu’un qui est toujours restée entièrement extérieur au mouvement ouvrier, à tous les niveaux, est toujours choquant.

Catégories
Politique

La polémique Valeurs Actuelles / Benjamin Stora

La revue réactionnaire Valeurs Actuelles a publié un hors-série sur l’Algérie française au mois d’octobre. L’historien Benjamin Stora y subit un portrait assassin. Il vient de rétorquer en dénonçant l’article à son sujet et une campagne « antisémite ». Le souci, c’est que l’article ne dit que des vérités : Benjamin Stora est bien « l’historien officiel » de l’Algérie française, passant savamment sous silence tout ce qui déplaît tant aux institutions qu’à la « seconde gauche ».

 

Benjamin Stora a dû être profondément vexé par les premières lignes de l’article de Valeurs Actuelles. C’est un assassinat politique :

« On a beau se promettre « pas le physique ! », la comparaison est édifiante. Sur la photo prise à l’université de Nanterre en 1970, le jeune militant d’extrême-gauche Benjamin Stora, âgé de vingt ans, ressemble aux innombrables Che Guevara peuplant alors les facultés : visage émacié, regard déterminé allure féline.

Près d’un demi-siècle plus tard, c’est un tout autre Stora, affichant désormais des allures de gros chat, et n’aimant rien tant que de poser pour la postérité dans une époque faite pour lui, et pour cause : il est de ceux qui l’ont façonnée. »

Il est en effet difficile de mentionner toutes les institutions auxquelles participent Benjamin Stora, il faudrait des pages. Lui-même en a beaucoup écrit : 50 ouvrages (et une dizaine de films). Cet enseignant universitaire est Officier de l’ordre national du Mérite, Officier de l’ordre des Arts et des Lettres, Chevalier de la Légion d’honneur, membre du jury du Prix du livre d’Histoire décerné par le Sénat, membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, président du Conseil d’orientation de l’Établissement public du Palais de la Porte dorée qui inclut la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (il va en démissionner pour se focaliser sur ses recherches), etc. etc.

Tout cela est bien éloigné de son engagement révolutionnaire comme membre de l’Organisation Communiste Internationaliste, dont il fut l’un des hauts dirigeants. Pas étonnant que Valeurs Actuelles se focalise dessus pour utiliser la figure du style de la prétérition (amenant à parler de quelque chose après avoir dit qu’on allait pas le faire) :

« Depuis, l’homme n’a pas seulement fait du gras, il a enflé. Un poussah pontifiant. Gonflé, au risque d’exploser, de cette mauvaise graisse ayant prospéré à la proportion de vanité qui n’a cessé de croître en lui à mesure que s’élevait son statut social. »

Tout cela est agressif – c’est du Valeurs Actuelles, tout simplement. La revue est célèbre pour son ton voltairien de droite utilisant des informations bien trouvées, ce qui en fait somme toute un Canard enchaîné inversé (et tout aussi vaniteux).

Benjamin Stora s’est donc fendu d’un long message, intitulé « A propos d’un article paru dans le hors-série de « Valeurs actuelles », octobre 2019 ». Il accuse l’article d’antisémitisme, ce qui est absolument ridicule.

Mais il en avait besoin pour tenter de parer à la critique de Valeurs Actuelles. Cette revue sait très bien que Benjamin Stora est au cœur du dispositif idéologique de la « seconde gauche », née justement en soutien unilatéral à l’indépendance algérienne et totalement opposée au PCF comme à la Gauche historique en général.

Benjamin Stora, lui-même juif pied-noir, a été un haut cadre de l’OCI, courant trotskiste ayant fourni un appui significatif au Mouvement national algérien de Messali Hadj. Benjamin Stora a fait justement sa thèse sur celui-ci, avant de travailler en collaboration Mohammed Harbi, un historien algérien qui était un des hauts cadres du FLN et justement proche du trotskisme.

D’où l’idéologie qui en ressort, croisement des idéologies des États français et algérien, avec comme accord tacite la main-mise de la « seconde gauche » sur le plan intellectuel quant à cette question :

  • la colonisation a été un processus meurtrier ;
  • il faut une repentance, mais également un esprit de réconciliation, dont les immigrés algériens en France sont une expression ;
  • on ne parle pas des massacres et des attentats réguliers contre les civils commis par le FLN ;
  • on ne parle surtout pas des questions démocratiques (femmes, place de la religion, forme gouvernementale) ayant avant l’indépendance algérienne fait que la Gauche historique n’a pas soutenu le FLN ;
  • au sujet des colons français on ne parle pas de la toute petite minorité de grands propriétaires terriens et on fait passer la grande masse, petite-bourgeoise et populaire, pour des arriérés finalement racistes.

Il ne faut pas s’étonner qu’avec tout ça, la Droite a un boulevard – et cela depuis 1962 d’ailleurs. C’est d’ailleurs clairement une année fatidique – car, à partir de cette année-là, la Gauche historique a pratiquement totalement perdu pied sous les coups de boutoir de la seconde gauche. Jamais la Gauche historique n’aurait vu en l’Algérie des colonels la « nouvelle Mecque de la révolution ».

> Lire également : Benjamin Stora et ses ridicules accusations contre Valeurs Actuelles

Et depuis cette défaite de la Gauche historique, on a un activisme massif de l’ultra-gauche, avec un anticommunisme et un anti-socialisme virulents.