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Culture & esthétique

« Barnyard deck », le skateboard des années 1990

Le skateboard n’est pas simplement une approche, mais une culture, un life style. Il fait partie d’une vague née dans le milieu des années 1980 et ayant pris son véritable envol moderne dans les années 1990.

Dans les années 1990-2000, aller vers la culture skateboard, ou même devenir carrément un skateur, était une perspective qui se voulait à la marge de la société. Non pas tant contestataire ou rebelle, qu’alternatif, à la marge, en dehors du monde, désengagé du cours normal des choses.

On se mettait au skateboard pour s’échapper d’une vie quotidienne marquée par la routine et la morosité, pour se connecter avec toute une contre-culture urbaine allant des vêtements à la musique en passant par la vision du monde faite de désintérêt envers l’école et de refus du travail.

Dans tout cela, il est intéressant de noter que le véganisme et l’amour des animaux n’a pas été intégré au « pack ». Et pourtant, cela n’a pas été sans tentative… Comme en atteste la très connue « barnyard deck », littéralement « planche de la basse-cour », qui a été une planche de skateboard sortie en 1989 qui a marqué son époque.

A cette époque, on est au tournant du skateboard : on passe progressivement de l’approche dite « freestyle » consistant à réaliser des figures sans ne jamais décoller du sol, comme une sorte de gymnastique, à ce qu’est le skateboard moderne avec ses « ollies » et autres variantes infinies de figures, notamment au-dessus de divers obstacles que présente la ville.

Si le « ollie », soit la capacité à passer par-dessus un obstacle grâce à un mouvement coordonné des pieds sur la planche elle-même, est réalisé dès 1976 par Allan Gelfand à l’aide de la rampe d’une piscine, il faut attendre le milieu des années 1980 pour que Rodney Mullen réalise la figure directement dans la rue. Il ouvre alors la boite de pandore avec la réalisation de variantes tels que les « flip », « heelflip », « 3-6 flip », etc.

C’est ce même Rodney Mullen qui fonde en mars 1989 avec Steve Rocco et Mike Vallely la marque « World Industries » qui sera tout un symbole au cours des années 1990-2000. Et les trois skateurs sentent qu’un tournant va s’effectuer qu’il s’agit d’accompagner, voir de révéler.

C’est dans ce contexte qu’est pensé la « barnyard deck » qui n’est autre que le pro-modèle de Mike Vallely chez World Industries. Alors âgé de 29 ans, Mike Vallely est végétarien puis vegan depuis ses 17 ans . Il influencera un autre grand nom du skateboard moderne connu pour la défense du veganisme, Ed Templeton, fondateur en 1993 de la marque « Toy Machine ».

Mike Vallely et une version de la « barnyard deck »

La « Barnyard » est alors un bijou tant sur le plan esthétique que sur le plan technique. Elle offre une forme novatrice pour l’époque, permettant de faire des ollie dans tous les sens possibles, notamment avec l’avant avec le pied inversé (« nollie ») ou en avant avec le pied normal (« fakie ») alors qu’auparavant l’avant d’une planche était plate.

Sur le plan esthétique, le travail graphique de Marc Mckee est avant-gardiste car on parle de planches à l’époque qui sont souvent sans motif élaboré, voir totalement nues.

Surtout on y trouve la mise en avant du véganisme dans la variante fun propre au skateboard. Le graphisme de la planche se lit telle une bande-dessinée, de haut en bas, avec côté roues une scène typique de la vie (capitaliste) à la campagne avec son exploitation animale, son agrobusiness destructeur en haut. En bas les poules et poussins apparaissent en amateurs de hip-hop avec leurs platines vinyles et autre ghetto-blaster. Sur le dessus de la planche, on a le slogan qui sonne comme un credo « Don’t eat my friends ! », le fermier étant écrasé sous une enclume, le poussin enfin libre sur un skateboard.

Réédition en 2015 par la marque de Mike Vallely « Street Plant » de la Barnyard Deck

Mais il n’était pas si curieux de voir le véganisme mis en avant à cette époque. D’une mode à la fin des années 1970, le skateboard était passé à la marginalité dans les années 1980, l’amenant tout naturellement à se connecter au punk hardcore. Mike Vallely sera ainsi le chanteur de « Black Flag » puis de « Revolution Mother ». On a eu de grands noms du skateboard qui sous cette influence passèrent au véganisme, tel que Jamie Thomas, Nyjah Huston, Geoff Rowley, ayant tous abandonné depuis lors.

Même Mike Valley avait cessé d’être vegan à partir de 1999 avant de le redevenir en 2015 après une tournée dans le Kentucky pour le groupe Black Flag où il revit la réalité sordide des abattoirs du coin… Un choix qu’il ne vit plus comme une simple réaction en opposition, mais comme une célébration.

C’est la raison pour la quelle l’esthétique végan de la « barnyard deck » sonne aujourd’hui totalement décalée. Non pas parce qu’elle assume le véganisme mais parce qu’elle exprime une contre-culture presque activiste. Or, dorénavant, il y a de nombreux skateurs végétariens mais aussi vegan sans pour autant que cela passe par un activisme.

Sur le plan particulier, une connexion a été loupée car il aurait pu être possible qu’en 2023 être vegan soit une partie-intégrante de la culture skateboard. Mais sur le plan général, cela signifie la dilution dans un grand ensemble !

Comme tant d’autre contre-culture, comme l’a été pratiquement le véganisme des années 1990-2000, le skateboard ne peut plus être ce qu’il a été dans les années 1990 : une volonté d’affirmer une contre-tendance séparée du reste de la société.

D’ailleurs, si Geoff Rowley, ce skateur emblématique de chez Vans dans les années 2000, a cessé d’être vegan pour devenir un promoteur du mode de vie chasseur c’est bien parce qu’il a refusé la dilution. Au fond, pour lui, comme pour d’autres, le véganisme n’était qu’une promotion existentielle liée à la marginalité et non pas une cause universelle portée par des subversifs.

Un retour sur la « barnyard deck » montre qu’il en est fini des scènes s’affirmant contre ou à la marge du monde car le XXIe siècle porte en lui la synthèse générale !

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Vie quotidienne

La place du skateboard dans la ville

Le skateboard est né au cœur de l’urbanité. On peut se dire que le skateboard suit, finalement, la bétonisation de la ville. C’est vrai et cela constitue forcément un problème si l’on se place du point de vue écologique.

Mais en rester là serait formel car en réalité le skateboard ne suit pas tellement l’extension urbanistique de la ville à travers l’agglomération périurbaine, mais plutôt son renouvellement incessant.

Si l’on prend une zone périurbaine résidentielle, l’architecture y est finalement très pauvre et routinière. Il n’y a que peu de place pour des formes urbaines originales, ouvrant la voix à une exploration dense par le skateboard.

Rassemblement de skateurs au « LOVE park », une place de Philadelphie (États-Unis) détruite en 2016 pour stopper la pratique.

Mais voilà, une place urbaine, un escalier d’immeuble, une succession de trottoirs ou de bancs, etc., sont partagés avec d’autres usagers. Des usagers de toutes sortes, donnant lieu à des conflits et des nuisances tels le bruit et la dégradation du mobilier urbain.

Les mairies ont cru trouver une solution clef en main avec la multiplication des skateparks dans le but de pouvoir limiter la pratique dans la ville elle-même. A cela s’ajoute parfois des éléments anti-skate posés sur les mobiliers urbains, à l’instar des installations anti-SDF.

Le problème c’est qu’un skatepark reste un endroit limité par nature et bien qu’on puisse sans cesse renouveler son approche, il n’en reste pas moins vrai que les espaces sont les mêmes, avec les mêmes formes, les mêmes prises d’élan, etc., etc. Fondamentalement, un skatepark vise plutôt la performance et l’entraînement et c’est pourquoi en parallèle à l’inflation de ces structures, toujours plus élaborées ces dernières années, se sont montés en parallèle des clubs de skate dispensant un « enseignement ».

Mais la pratique du skateboard n’est pas un sport : plus qu’une discipline d’effort physique, il exige un déploiement de sa subjectivité à travers les formes sans cesse mouvantes de l’urbanité. Ce n’est pas pour rien qu’il y a une règle informelle, le ABD pour « Already Been Done » (déjà fait), qui veut qu’il ne faille pas réaliser un tricks (une figure) déjà réalisée sur un spot. Ou bien que s’est développé ces dernières années la mode de relever des grilles et/ou les plaques d’égout pour sauter un obstacle ou atteindre une surface, normalement inatteignable.

Une place urbaine va changer au fil des années et skater un park cloisonné et placé entre un gymnase et un terrain de football ne remplacera jamais le plaisir d’évoluer sur une place urbaine avec ses aléas, sa vie, ses contacts sociaux fluctuants… Une place s’est aussi un point central pour partir ensuite dans la ville, à la différence du skatepark qui en est le plus souvent éloigné.

Un skateur est donc une sorte d’artiste qui sculpte la ville et c’est pourquoi la scène est si connectée au monde des arts, pour le meilleur et pour le pire. Le skate, c’est l’art de combiner à la fois l’exploration et l’exploitation des possibilités de la ville.

La team « GX1000 » à San Francisco (États-Unis) est parvenue a marquer son empreinte par le fait qu’elle skate les nombreuses descentes très abruptes de la ville (down hill dans le jargon skate) d’une manière ultra-engagée, à la limite du suicide (Pablo Ramirez, un des membres du team, est décédé le 23 avril 2019 à la suite d’une percussion à grande vitesse avec un bus).

C’est à la fois le bon et le mauvais exemple : le bon car il traduit l’appropriation de la ville, le mauvais car il montre le côté anti-social du skate avec des comportements pleins de danger pour soi et pour autrui.

Les choses sont donc entendues : le skateboard est une démarche semi-artistique qui prend corps dans la ville mais se heurte à d’autres usages tout aussi légitimes.

Or voilà, étant donné que le skateboard est finalement quelque chose de récent dans sa forme moderne, il ya un tâtonnement pour résoudre ces questionnements.

Faut-il accepter de se transformer en un sport avec ses règles et son encadrement pour mieux négocier sa place au soleil ou maintenir la fidélité avec l’art urbain au risque de se heurter aux politiques de la ville et à sa police ?

Landhaus plaza à Innsbruck (Autriche). Une place urbaine qui a été refaçonnée en 2011 en acceptant le skateboard, après une interdiction en 1991-1992.

Dès qu’on pose cette question, il émerge deux options bien connues de la contre-culture : il y a ceux qui optent pour l’intégration aux institutions et voient donc la démarche vidée de son contenu, et les autres qui gardent la substance alternative mais se retrouvent marginalisés.

Ces deux options sont deux écueils qui pêchent par leur unilatéralisme. Car la clef, ce n’est pas « contre-culture » versus « institution » mais la mobilisation des pratiquants sur une base démocratique. De ce point de vue, si un débat et une mobilisation démocratique avait lieu, l’intégration du skateboard aux Jeux olympiques serait apparue pour ce qu’elle est : une simple tentative de relancer par en haut une institution qui n’attire plus les spectateurs.

Ce qui est intéressant, toujours, c’est la mobilisation des esprits à la base. Il existe depuis plusieurs années une démarche qui vise à se mobiliser pour peser auprès des mairies dans le but de sauver des places destinées à être détruites.

En 2016, à l’annonce de la destruction du « LOVE Park », une place très réputée à Philadelphie (États-Unis), les skateurs se sont rassemblés pour témoigner de leur attachement à un lieu, par ailleurs marqué par des conflits. La police municipale y menait régulièrement des raids anti-skateurs sur la base d’arrêtés d’interdiction, assimilant les skateurs aux dealers qui squattaient le même endroit.

Il y a également la très mythique « Stalin Square », son marbre et son point de vue à couper le souffle, à Prague (République Tchèque) qui a été sauvée de la destruction par ce type de mobilisation.

En France aussi, à Lyon, les skateurs se sont mobilisés pour sauver en 2016-2017 la place Louis Pradel (renommée en Hôtel de ville ou plus simplement « HDV ») qui était menacée de destruction alors qu’elle fait partie d’un des endroits les plus populaires pour le skateboard mondial.

Parmi l’architecture, il a été conservé les bancs en pierre qui bordent la place et dont la pierre offre un matériau tout particulier pour le skate, ainsi que les dalles de la place eux-mêmes en carreaux de pierre lisse.

Ici une vidéo tournée juste avant que la place soit rénovée, par la marque de skate Venture qui avait spécialement sorti un tee-shirt ainsi que des trucks avec la statue de Louise Labé et Maurice Scève, deux célèbres poètes français du 16e siècle, qui trône au milieu de la place et en est devenue l’emblème du fait de sa forme pyramidale :

L’enjeu c’est donc bien de générer une mobilisation à la base des skateurs dans le but de mieux faire cohabiter le skate avec les autres usages et usagers de la ville.

Il a d’ailleurs été suffisamment démontré que la présence de skateurs sur une place régulièrement minée par des incivilités contribue en fait à en réduire l’impact du fait de la présence prolongée faisant office de médiation.

Le skateur et co-fondateur de la marque Magenta skateboard Léo Valls, a impulsé une nouvelle approche dans le rapport aux mairies. A Bordeaux où il est installé, le skateboard s’est fait une place dans la ville en négociant tout à la fois l’installation de modules urbains adaptés à la pratique dans tel ou tel endroit et l’encadrement de la pratique sur les places par le biais d’horaires légales. Cet encadrement, respecté, devrait être généralisé à toutes les villes, avec une sorte de passeport interne délivré à chaque pratiquant pour évoluer en connaissance de cause.

On peut apprécier toute la démarche dans ce documentaire :

Mais voilà, si la mobilisation à la base est une clef pour entretenir un rapport avec la ville, il n’en reste pas moins vrai que les villes sont le plus souvent dirigées par une conception marchande de l’espace public, limitant aussi les autres usagers à des circuits de consommation et vis-à-vis desquels le skateboard peut apparaître comme un obstacle.

Le rapport du skateboard à la ville exige donc tout à la fois la prise en main de la scène skate pour assumer l’encadrement par rapport à la collectivité et une révolution des esprits pour liquider la perpétuelle tentation des villes à aseptiser ses rues dans l’objectif de satisfaire la société de consommation.

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Société

Le skateboard aux Jeux Olympiques, autre escroquerie de l’époque

Lancés ce 23 juillet 2021 à Tokyo au Japon, les Jeux Olympiques voient pour la première fois le skateboard comme discipline olympique. Un véritable tour de force qui transforme l’âme du skateboard.

Les 25-26 juillet ont eu les premières épreuves de skateboard, celle de « street », avec un skate park construit à l’image du mobilier urbain normalement utilisé par les skateurs pour réaliser leurs figures, leurs « tricks ».

Suivront début août celles de « park », ou plutôt de « bowl » qui signifie une sorte de piscine en béton.

Parmi les 8 skateurs « olympiques », deux français ont été sélectionnés pour représenter la France, Aurélien Giraud et Vincent Milou. Coachés, suivis par des médecins attitrés, habillés par la grande marque française Lacoste, le skateboard voit là une bien triste page de son histoire s’écrire. Sans lui ou malgré lui, cela l’histoire le dira.

Combien d’autres cultures ou éthiques dites « alternatives » se sont-elles fait prendre au jeu de l’intégration facile au système dominant ? Car les esprits les plus constructifs tentent bien de trouver un aspect positif à la présence du skateboard aux JO, celles-ci aidant à une certaine forme de reconnaissance officielle. Une reconnaissance qui aiderait les projets en tout genre…

Certes, mais c’est là se leurrer quant à la finalité d’une reconnaissance de la société capitaliste. Qui ne voit pas d’ailleurs fleurir des skate parks partout en France ? Voilà maintenant que s’ajoutent à la Fédération française de roller et de skateboard des tas de « clubs » pilotés par des « professeurs ».

Les municipalités qui financent ces organisations et ces lieux de pratique ont en tête l’idée de faire rayonner, de peser et pourquoi pas de « créer des champions ». Aurélien Giraud, qui a terminé sixième le premier jour, est l’incarnation même de ce type de figure-athlète.

Et cette tendance va en s’accentuant avec l’hyper-médiatisation liés aux réseaux sociaux, où certains parlent de « carrière » ou de « mercato », quand d’autres obtiennent des sponsors de Louis Vuitton, avec même des skateuses hyper-sexualisées qui acceptent des publicités…pour des préservatifs.

Rien n’est bon dans une telle direction. Car le skateboard ce n’est pas le football. Non pas que le football soit quelque chose à fustiger, tout au contraire : c’est un sport qui s’assume comme tel et c’est là faire preuve d’une démarche sincère. A l’inverse, le skateboard n’est pas un sport et tenter de l’intégrer dans ce sens, c’est le vider de sa substance historique.

Et le grand critère pour juger qu’une chose va dans le bon sens, c’est la sincérité et l’authenticité. Un sport est un sport, et un état d’esprit alternatif est un état d’esprit alternatif.

Il est vrai qu’il existe des compétitions de skateboard depuis toujours. Mais entre participer à des compétitions mondiales, organisées sur le mode du show à l’américaine telle que la « Street League » ou les « X Games », ce qui est déjà en soi critiquable, et intégrer les Jeux Olympiques, il y a un gouffre.

Car il y a une différence de fond entre participer à un circuit qui vise une reconnaissance à l’intérieur d’une scène aux codes bien déterminés, et une reconnaissance grand public, ou du moins de type médiatique. On peut dire que c’est là être mauvais esprit, mais si l’on est authentique et vrai, on sait bien que le skateboard n’est pas un sport, et encore moins une discipline olympique.

Preuve en est la déclaration de Vincent Milou, un « sélectionné » de l’équipe de France de skateboard, à propos des contrôles anti-dopages qui nécessitent aux « athlètes » de voir leur planning être régulièrement contrôlé pendant trois mois avant la compétition. Voici ce qu’il dit dans un reportage de Canal + sur le « dilemme olympique » du skateboard :

« C’est un planning sur trois mois. Tu dis trois mois à l’avance ce que tu fais, je sais pas quelqu’un qui fait de l’athlé [athéltisme] c’est facile pour lui : de 8h à 10h il va au stade à l’entrainement. Enfin, nous on a pas ça, c’est impossible, on va skater à la dernière minute, tu vas à droite, à gauche, tu vas à un spot c’est mouillé, tu vas à un autre spot »

Et Vincent Milou a raison : il est impossible de codifier le skateboard, car ce n’est pas là son essence. A moins de vendre son âme au diable, il est impossible de dire oui à l’origine, et oui à l’intégration-codification. Le skateboard c’est un style de vie qui prend tout entier une personnalité, à telle point qu’elle est entièrement façonnée par l’état d’esprit « skate ».

Il suffit de voir comment un skater analyse une ville pour se rendre compte que c’est une démarche totale, qui porte en elle une sorte de critique d’un monde urbain aseptisé et formalisé par des tas de règlements qui cloisonnent et enferment. Le mot d’ordre du skate, c’est justement de dire : libère toi des codes urbains qui enferment, dessines-toi ta subjectivité urbaine.

Le skateboard c’est une réaction à l’urbanisation, une tentative de se libérer du carcan de monde bétonisé en se l’appropriant pour mieux le détourner. Ce n’est pas mesurable par une note, pas plus que l’on s’entraine pour se réaliser. Il y a bien un effort physique, une dépense d’énergie, mais c’est là secondaire car ce qui compte ce n’est pas tant la performance physique que la réalisation subjective.

Quelle hypocrisie de voir que ce soit Yuto Horigome qui termine médaillé d’or pour les hommes et Momiji Nishiya pour les femmes alors même que le centre-ville de Tokyo est interdit au skateboard, les skateurs nippons étant obligés de skater la nuit pour éviter les restrictions et les mentalités hostiles…

Le skateboard deviendrait-il un loisir comme les autres ? Tout cela est à l’image d’un Geoff Rowley, figure historique du skateboard des origines et qui, végétalien pendant plus de 10 ans, a décidé de tout arrêter…pour devenir chasseur ! Mais l’on pourrait citer l’arrivée si facile de Nike dans le milieu cette dernière décennie, ou plus récemment de New Balance, ou encore l’inflation de la posture d’égo-trip sur Instagram.

Il n’y a qu’à voir comment la personnalité de Rayssa Leal, une jeune skateuse brésilienne (née en 2008 !), est utilisée par la compétition de type capitaliste.

Rayssa Leal

De deux choses l’une : ou bien le skateboard est à tournant de son histoire, avec la tendance à s’intégrer dans le « game », ou bien l’arrivée du skateboard aux Jeux Olympiques de 2021 n’aura été qu’une parenthèse d’une anomalie historique de la décennie 2010.

Car heureusement, l’identité historique de l’esprit skate est toujours là, belle et bien vivante, formant toujours le coeur même de la démarche… mais quel sera à terme l’impact de cette tendance qui n’en finit pas d’enfler et que l’on peut qualifier, malencontreusement, de « skate business » ?

Le souffle des années 1990, celui qui a forgé cet état d’esprit particulier doit-il s’évaporer dans le business ? Peut-être, et les plus avisés remarqueront que la vague vegan et straight edge, si connectée dans ces années-là au skateboard, ne s’est d’ailleurs finalement pas vraiment cristallisé dans ce même milieu.

Car les skateurs sont au fond des personnalités à l’esprit alternatif et décontracté pour sûr, mais avant tout individuel voire individualiste : tolérons les choses et vivons notre « truc » à la marge… sauf que la marge reste justement peu de temps une marge, car la pression sociale et sociétale est toujours intense.

Et à un moment il faut dessiner des lignes rouges à ne pas franchir. Peut être est-ce là le drame actuel du skateboard confronté à son « tournant olympique » ?

Décidément, les années 2020 vont être la décennie du tri sélectif entre ce qui est authentique et ce qui s’est fait corrompre par la facilité capitaliste.

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Société

Magenta skateboard, la touche à la française

Fondée en 2010 par deux skateurs français, la marque Magenta skateboard a fêté ses dix années d’existence en 2020. Elle fait aujourd’hui partie du paysage incontournable du skateboard, et participe d’une « french touch » en assumant une démarche auparavant mise de côté.

Courant 2010, Vivien Feil et Soy Panday, deux piliers de la scène skate en France présents depuis les années 1990, sont confrontés à l’épuisement de leur démarche. Vivien Feil ne se retrouve plus dans le skate « à l’américaine » et Soy Panday pense avoir fait le tour : il faut aller de l’avant, chercher un nouveau souffle.

C’est de là que vient l’idée de fonder une marque de skateboard, Magenta, en référence à l’appartement parisien localisé au boulevard du même nom ayant été un repère important pour la scène des années 2000. Et le lancement de la marque atteste déjà de son ADN, avec plusieurs séries de board (le plateau seul du skateboard) sorties comme un feuilleton d’une bande-dessinée, présentant tour à tour, tel ou tel aspect de la team et de la philosophie de la marque.

Entre le clip qui a « lancé » la marque il y a dix ans, et le clip anniversaire, il y a le reflet de ce qu’est à la base et en général l’état d’esprit « skate », et en particulier celui véhiculé par « Magenta ». Comme le dit le clip de 2010, avec le skateboard « c’est la rue qui commande », mêlant ainsi culture alternative avec pour horizon le dépassement de la morosité de la ville par son appropriation ludique, émancipatrice…

Être un skateur, c’est avant tout un état d’esprit et c’est pour cela que quiconque a un skate ou fait du skate, n’est pas forcément un skateur, ou ne le reste pas ! Avec « Magenta skateboard », on comprend tout à fait cela : être un skateur, c’est avoir un certain regard sur le monde, urbain forcément mais pas seulement. La sensation de skater, le style vestimentaire particulier, l’insistance sur les playlist, la mise à distance du travail et d’une « vie rangée » sont les révélateurs de tout un life style, d’une culture alternative.

Dans son interview en 2004 pour le magazine français Sugar, Soy Panday exprime à merveille cette mentalité alternative, un poil juvénile, lui-même ayant fuit du business world pour se lancer à fond dans le skateboard :

Le skate pour moi, c’est du rêve qui permet d’échapper à la réalité, je suis censé chercher un travail, être sérieux et responsable et ça me fait chier… Dans la mesure où je fais du skate tous les jours et lorsque j’en ai envie, j’ai un peu réalisé mon rêve…

Le clip d’introduction de la première vidéo en 2010 :

Le clip anniversaire en 2020 :

Mais si Magenta reflète bien l’esprit skate, il en va de même, et à leurs façons, des marques comme Polar, Helas, Rave, Sour, Isle, Palace, Primitive, Wknd, Antiz, etc. En réalité, Magenta apporte dans la scène une touche bien française, quand Baker skateboard a finalement cristallisé l’approche américaine agressive.

A sa naissance, Magenta Skateboard a suscité la curiosité mais aussi la controverse. Car dans un monde de plus en plus aseptisé et pourrie par le business, le skateboard n’échappe pas à la règle.

Non pas que l’origine du skateboard, située dans les Etats-Unis des années 1970-1980, soit à jeter, mais qu’il y manque une « touche », un « esprit », une « philosophie » au sens esthétique, romantique même. Cela tient à la naissance du skateboard.

Être un skateur dans les années 1980-1990 aux Etats-Unis, c’était se confronter aux vigiles privés, aux policiers, aux voisins des quartiers pavillonnaires ghettoisés, etc. C’était se réfugier dans la cour d’une école, avec son « set » de marches (escalier) et son « handrail » (rampes d’escalier). Tout cela a fait du skateboard quelque chose de très « hardcore », et il est nullement étonnant que le punk hardcore et l’ancêtre de la phonk aient influencé, à ses débuts, la scène.

Avec Magenta, c’est une perspective différente qui a été mise en avant, venant bousculer les codes anciens. Magenta a mis l’accent non plus sur la performance du tricks (figure) en tant que tel mais sur la globalité de la démarche en insistant sur le côté exploration totale, esthétique et amusante de la ville. Jusque dans les années 2010, pour parvenir à « percer » dans le skateboard, il fallait être en mesure d’aligner une batterie de figures, et notamment de « se jeter » sur un escalier impressionnant, une pente ultra-raide, avec tous les risques physiques pris.

Qui d’autres que des français, portés justement sur l’ « état d’esprit », pouvait mettre en valeur une autre approche ? Non pas d’ailleurs que faire du skate sans viser le sempiternel « hammer » (littéralement « marteau » pour désigner le fait de faire de grosses figures impressionnantes) était inexistant avant, mais avec Magenta il y a eu la mise en forme générale d’une démarche assumée. La scènes skate de la east coast américaine, notamment new-yorkaise, développait cette tendance à l’exploration fun de la rue, mais c’était relativement isolée, peu assumée et valorisée en tant que tel.

A noter que Magenta a pu façonner son monde en rapport avec la culture japonaise, notamment certaines astuces pour filmer, et dans le fait de se focaliser sur ou tel ou tel aspect du lieu, tel ou tel aspect du tricks. Le Japon est un pays marqué par une forte répression du skateboard, ce qui fait que les sessions se font uniquement la nuit, avec tout le relief esthétique que cela fournit en conjugaison avec l’esprit japonais en général.

La team Magenta entretien depuis ses débuts des liens solides avec la scène japonaise, à tel point que l’on peut dire que c’est une approche franco-japonaise du skateboard. Une synthèse franco-japonaise visible dans le projet vidéo Minuit sort en 2012, ou dans Soleil levant, une compilation vidéos comprenant notamment des images de nombreux road trip au Japon.

A ses débuts, Magenta ne pouvait que susciter la critique car s’il y a forcément un aspect positif, il y a aussi, quoi qu’on en dise, un aspect négatif. Produire des clips à base de powerslide, de ollies par ci, par là, sur fond de jazz et le tout en pleine nuit, a dénoté une forme de prétention, une mentalité hautaine si typiquement française.

Mais d’un autre côté, quel souffle novateur apporté au skateboard ! D’ailleurs, les fondateurs de la marque sont tous issus de la scène des années 1990, ayant connu les débuts où le skate se pratiquait le plus souvent sur une place urbaine, où se côtoyaient marginaux et alternatifs, dans un esprit « hardcore ».

Mais il fallait pouvoir assumer le fait qu’on pouvait dorénavant filmer et rendre stylé un simple ollie, un power slide (dérapage sur les roues), un boneless ou no comply, le fait de cruiser (rouler-glisser dans la rue), à condition qu’il y ait une démarche réflexive qui l’accompagne, en tenant compte du style du skateur, du spot choisi (ses couleurs, son revêtement, etc.), de la manière de filmer, de la luminosité, etc. D’ailleurs, il serait erroné de dire que la simplicité du tricks relève d’un simplisme, d’un approche débutante.

En fait, il y a une insistance sur l’approche qualitative plus que quantitative, encore que cela soit réducteur puisque pouvoir faire une « ligne » (enchainement de figures) à très vive allure sur un endroit rugueux demande un certain niveau de pratique… C’est n’est donc finalement pas tant la difficulté du skateboard que Magenta a révolutionné, mais plutôt l’idée qu’on peut faire du skateboard, sans pour autant être obligé de se mettre son corps à l’épreuve du danger…

Magenta, c’est le skate branché, artistique, sans pour autant sortir de l’esprit générale skate. Est-il d’ailleurs bien étonnant que le Q.G de la marque, tout autant que de la team, soit à Bordeaux, cette ville aujourd’hui marquée par la culture bobo-branchée, mais qui a longtemps été la « belle endormie », lieu florissant de la scène punk se confrontant à la crispation d’une bourgeoisie traditionnelle. D’ailleurs la gamme vestimentaire de Magenta est à ce titre très stylée, du fait de ses détails subtiles et modernes.

Pendant très longtemps, et cela est encore vrai aujourd’hui, le skateboard était sévèrement sanctionnée par la police bordelaise, étant même un sujet d’actualité du fait des plaintes déposés par les bourgeois retraités en recherche de tranquillité. Tout comme au Japon, et dans une moindre mesure à New-York, les sessions de skate à Bordeaux se faisaient la nui, là aussi pour éviter la répression. Entre la pratique de nuit et l’architecture florissante de la ville, il y avait là tout le terreau favorable pour que Magenta skateboard s’exprime se développe.

Léo Valls, le skateur bordelais sponsorisé par la marque qui a largement contribué à faire accepter le skateboard dans la ville, comme en juin 2019 avec le projet Play!, représente admirablement bien l’approche « Magenta ».

La photo de ce « simple » backslide powerslide, photographié par David Manau, sur l’une des pyramides du Louvre, grâce à un accès plus libre lors du chantier 2014-2016, est un chef d’oeuvre qui marquera surement l’histoire du skateboard.

Avec Magenta, on a enfin trouvé la touche française du skateboard, et non plus un mimétisme forcément bancal de l’approche américaine. Une touche qui conjugue l’exploration approfondie de la ville, l’esthétisme général de la démarche et la « touche » subjective du skateur autant que du filmeur.

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Culture

L’essor de la «phonk» dans le milieu des années 2010

La « Phonk » ou « vaportrap » est un courant musical lié à la Trap, elle-même sous-genre musical du Hip-Hop, qui a explosé au milieu des années 2010. Il puise ses racines dans le rap des années 1990 de la côte Est américaine, notamment de Memphis, Houston ou Miami. Une vague musicale qui marque de son empreinte la jeunesse des années 2010.

L’essor de la « phonk » date véritablement de 2010 avec le morceau « Bringing Da Phonk » de SpaceGhostPurpp, rappeur et producteur de Miami, dont le clip est basé sur des vidéos type VHS. La « phonk » c’est ce style de trap vaporeux très axé sur l’instrumental, réalisé sur de long mix inventifs entre jazz, funk et hip-hop.

Le genre s’est rapidement répandu grâce à DJ Smokey, un jeune artiste d’Hamilton, une ville de l’Ontario au Canada très impactée par la pollution de l’air générée par l’industrie sidérurgique. Influencé par les mix de « SpaceGhostPurpp », il sort son premier volume en 2013, « Evil Wayz Vol.1 ».

Portée par une génération née à la fin des années 1990, la «phonk » est tournée vers cette décennie, jusqu’à la nostalgie. Evidemment, être entièrement tourné vers le passé ne peut rien vraiment produire de nouveau, de populaire. Il serait donc faux de croire qu’il n’y ait là qu’une nostalgie.

Le style puise ses origines dans le style trap de la côte Est américaine, propulsé dans les années 1990 entre autres par « Three Six Mafia » de Memphis ou par DJ Screw de Houston à l’origine de la technique « Chopped & Screwed » (ralentir et répéter un passage en boucle).

Pour l’anecdote, pas si anecdotique que cela d’ailleurs, George Floyd, homme noir tué par un policier à Minneapolis le 25 mai 2020, avait participé sous le nom de « Big Floyd » à une compil’ de Dj Screw.

Mais, la nouvelle génération « phonk » parvient à dépasser ses origines, ne serait-ce par les sonorités et le style qui tournent en dérision justement l’aspect « gangsta » des débuts du sous-genre hip-hop. On le voit avec les images de cartoon ou les pochettes d’album qui se moque du fameux « parental advisory explicit lyrics ».

Avec la « phonk », on a une approche plus posée avec des mix aux basses saturées, des sonorités déformées jusqu’à l’extrême dans une ambiance trap temporisée. A ce titre, il est à l’opposé d’un autre genre de trap qu’est la Drill, assumant le style violent, grave et agressif du gangsta rap.

Depuis le milieu des années 2010, le genre connaît un élan jusqu’à devenir la première référence sur la plateforme SoundCloud en 2016 avec le mot clef #phonk. Cela n’est pas pour rien que c’est sur cette plateforme que ce genre s’est imposé : au-delà de mieux conserver la qualité musicale, elle est aussi un véritable espace tourné vers l’échange et le partage strictement musical.

En France, Soudière est un des artistes de renommée mondiale le plus en vue du genre. Originaire de Nancy, il a découvert le genre en tant que skater après avoir visionné la très fameuse « part » de Beagle dans la « Baker 3 » (2005).

Avec un style de skate original, le morceau « Smoke A Sack » de « DJ Paul & Juicy J » a indéniablement marqué tout skater de ces années là, valorisant un esprit amusant, fun et 100 % décontracté, tranchant avec l’esprit « piss drunk ».

Avec la « phonk », on a une jeunesse cherchant l’esprit de synthèse. C’est une génération qui profite des avancées technologiques de l’informatique et d’internet pour produire de la « phonk » à la fois liée à ses origines des 90’s, tout en la complexifiant musicalement et en assumant une critique des aspects culturels jugés dérisoires de cette époque.

Et en même temps, la critique, la synthèse ne parvient pas à pleine maturité. Elle est une jeunesse encore prisonnière des vicissitudes de son époque, tourmentée par le désir de paix, le « chill » agissant comme une véritable anti-dépresseur et la dépendance aux drogues comme fuite en avant.

La « vaportrape » est indéniablement liée à la codéine et au cannabis, dont certains albums et certaines sonorités font explicitement la référence. Est-ce étonnant de ce point de vue que le genre ait été notamment propulsé par DJ Smokey, originaire d’Hamilton, la ville canadienne la plus ravagée par la récente crise de opioïdes ?

La « phonk » exprime bien l’expérience de la jeunesse des années 2010 qui cherche inévitablement à progresser vers l’avenir, sans arriver à se départir complètement de son époque.

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Société

De la fraîcheur, avec un skateboard

De la fraîcheur urbaine avec une musique entraînante. Tout simplement contagieux.
 

La vidéo très sympathique avec la skateuse d’Anvers Maité Steenhoudt est une bombe de fraîcheur. Produit par la marque Element, on y retrouve l’esprit traditionnellement fun et urbain du skate, avec toujours une grande attention accordée au style, évidemment. La bande-son, très bien choisie avec son côté rétro-electro, est la chanson Starry Night de la DJ coréenne Peggy Gou, déjà récupérée massivement par la hype capitaliste… Ce qui rappelle l’importance de la bataille culturelle.