On ‘accuse couramment les socialistes de vouloir tout remettre entre les nuits de l’État. La vérité est que, en rendant à la collectivité, surtout dans le domaine économique, certaines choses qui doivent loi appartenir, ils veulent aussi restituer à l’individu, dans le domaine politique, religieux, civil, beaucoup de prérogatives que l’État leur pare détenir indûment.
Ainsi, beaucoup d’entre eux estiment que l’État non plus que l’Église n’a point â intervenir dans le mariage, du moment qu’il cesse erre l’association de deux fortunes ou de deux positions, afin de redevenir, ce qu’il devrait toujours être pour le bien de l’espèce et des époux, l’union de deux êtres humains qui se, sont choisis en pleine liberté.
Sans empêcher ceux qui le désirent de chercher une consécration officielle, légale ou ecclésiastique, ils réclament le droit de s’en passer, et cela non point dans le désir de diminuer la valeur morale ou de rabaisser l’importance de l’acte accomplir mais, au contraire, en vue d’accroître l’une et de rehausser l’autre.
En fondant la famille sur l’amour, sur la confiance mutuelle, sur un engagement, solennel sans doute, mais affranchi de toute sanction extérieure, ils dégagent la création d’un nouveau foyer domestique des bas calculs d’intérêt et des vilaines idées de chalut qui s’y trouvent trop souvent associés.
On peut, si l’on veut, taxer d’imprudence les parents et les fiancés qui ont une foi aussi profonde dans la parole jurée, bien qu’il faille peu compter pour empêcher la désunion possible sur le lien fragile établi par la loi; mais on ne saurait sans injustice méconnaître ce qu’a de noble et de généreux l’appel exclusif fait en pareille matière à l’honnêteté et à l’affection réciproque.
Tel est le sens de la fête intime qui a eu lieu, le 10 janvier dernier, dans les bureaux de la Revue Socialiste.
Mademoiselle Héna Mink, la plus jeune fille de notre amie Madame Paule Mink, et filleule de notre vénéré maître Benoît Malon, épousait en union libre un jeune et vaillant militant du parti socialiste, Monsieur Henri Jullien.
Devant une assemblée de parents et d’amis, qui remplit la salle décorée de fleurs et de plantes vertes, M. Rodolphe Simon, administrateur de la Revue Socialiste (en l’absence de M. Georges Renard, directeur) reçoit le jeune couple.
La mère de la mariée, Madame Paule Agnis, très impressionnée, dit quelques mots :
« Mes amis, je vous ai priés de vous réunir ici pour vous présenter ma fille et le jeune homme qu’elle aime, le citoyen Henri Jullien, qui désirent se marier en union libre et ont tenu à vous faire part de leur résolution.
Si j’ai consenti à une telle union, qui sera celle de l’avenir, c’est que je connais bien le jeune homme auquel ma fille va s’unir et que je le sais loyal et fier, incapable d’une tacheté et d’une vilenie.
L’union libre est la plus sérieuse de toutes ; car elle n’a pour consécration que la conscience des deux époux, pour sanction que le respect de leur propre dignité. »
Le citoyen Rodolphe Sinton, en quelques paroles émues, félicite les jeunes gens de l’exemple qu’ils donnent et du courage qu’ils montrent en contractant une union libre, « la plus belle et la plus noble de toutes » dit-il.
Il rappelle le souvenir de Benoît Malon et souhaite tout le bonheur possible aux deux jeunes conjoints.
Le docteur Blatin, ancien député, grand-maître de la franc-maçonnerie l’année dernière, se lève alors et fait un discours tout empreint d’une noble et douce philosophie, que nous regrettons bien de ne pouvoir reproduire tel qu’il a été prononcé :
« Jeunes gens, dit-il, en commençant, vous inaugurez une ère nouvelle ; dans le monde social nouveau nous n’aurons besoin ni de maire, ni de curé, ni de notaire pour nous unir, nous ne prendrons conseil que de notre coeur ; la sanction, nous la trouverons dans notre honneur, et le bonheur nous sera donné, parce que nous serons loyaux et bons, sincères et honnêtes en notre amour comme en toutes choses. »
Tous les assistants serrent les mains des jeunes époux et les félicitent. Un lunch est ensuite offert aux mariés, à la famille, aux amis et invités, par M. Rodolphe Simon, et la journée se termine à Auteuil, par un dîner intime chez M. Argyriadès, directeur de la Question sociale.