Le film Joker rencontre un large succès, aussi bien critique puisqu’il a décroché le Lion d’or à la Mostra de Venise, que public avec déjà plus de trois millions d’entrées en France. Il n’en est pas moins problématique, aussi bien sur la forme que sur le fond.
En à peine plus de dix ans, nous en sommes à la troisième interprétation du personnage du Joker après Heath Ledger dans The Dark Knight en 2008, Jared Leto dans Suicide Squad en 2016 et à présent Joaquin Phoenix. Une belle preuve d’originalité et de capacité créative de la part d’Hollywood…
Ceci étant dit, si ce film s’inscrit lui aussi comme une production dans l’univers super-héroïque de DC Entertainment et Warner Bros, il a l’ambition de s’en distinguer par son approche, bien plus proche du drame que du film d’action et sa mise en scène « auteurisante ».
On ne peut nier qu’on est dans un registre cinématographique bien différent des Avengers, Justice League, ou Suicide Squad. On n’en reste pas moins loin du chef d’œuvre décrit ici et là.
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Sur la forme tout d’abord. L’ambition ne fait pas un film et la prétention de Todd Phillips se fait trop voyante. L’ensemble apparaît forcé, les effets de mise en scène plaqués et même la performance de Joaquin Phoenix, certes de qualité, semble être configurée pour les Oscars.
Il est d’ailleurs regrettable que les performances d’acteurs se trouvent bien plus largement acclamées (et récompensées) dans ce genre de rôle grandiloquent, plutôt que pour des interprétations plus en subtilité, comme ce fut le cas de Joaquin Phoenix dans ses collaborations avec James Gray par exemple.
Et malgré ce ton oscillant entre poseur et suffisant, certaines séquences tombent dans le classique travers de prendre le spectateur par la main pour souligner lourdement certains éléments scénaristiques.
Que cela soit imputable au réalisateur ou à la production n’enlève rien au fait que cela en fait un film assez bancal dans sa forme, entre volonté de faire autre chose, sans trop avoir le savoir faire pour, ni la possibilité de se détacher d’un système de production et de création cinématographique. Nous restons bien loin sur le plan formel des références ouvertes de Todd Philipps que sont Taxi Driver ou La Valse des Pantins de Martin Scorsese, dont il reprend d’ailleurs l’acteur principal de ces deux films, Robert De Niro.
Mais la plus grosse critique qui est imputable à ce film concerne son propos plus ou moins sous-jacent. Il y a deux manières de le voir, qui se rejoignent finalement : soit comme un film terriblement réactionnaire, soit comme un film profondément nihiliste.
Toujours est-il qu’il sera compliqué d’y trouver une once de valeur de gauche, ou ne serait-ce que positive. Le film exprime la folie générée par les grandes métropoles où l’absence de nature est criante, ce qui favorise une société abandonnant ceux qui ont besoin d’aide, ainsi que les services publics de santé. Mais sans parvenir à le comprendre.
Le problème est que le peuple y apparaît presque toujours malveillant, par de la violence gratuite, des moqueries, de l’indifférence, de l’individualisme.
Cette misanthropie se mélange avec un haut degré de populisme, notamment lorsque les classes populaires vont prendre parti pour le meurtrier employé de Wayne Enterprise, avec pour seul base une haine des plus riches. Une haine qui nous est présentée dans sa dimension la plus nihiliste et populiste : sans politique, culture, valeur, sans but ni idéologie. Mais capable de tourner en un rien de temps au lynchage.
Et si le film se veut léger en termes d’action, le dernier quart montre une violence assez crue et brut. Là où celle-ci était problématique dans le dernier film de Quentin Tarantino pour son aspect fun, cool et décomplexée, ici le plus dérangeant est le manque de recul, voir la complaisance vis-à-vis de celle-ci et du personnage du Joker, qui termine tel un héros.
Le thème du « fou » qui le devient sous la pression et la violence de la société aurait pu être intéressant si la société mise en scène ne représentait pas un tout, presque organique, où la barbarie est partout (voir surtout chez le peuple) et l’espoir, nulle part. Et si la folie du personnage ne se résumait pas quasiment à un simple TOC de fou rire.
Difficile de ne pas penser au violent nihilisme et à l’anticapitalisme romantique de Fight Club, film à juste titre utilisé dans la propagande de groupuscule s’assumant ouvertement fasciste à l’époque.
Ou au dernier volet réactionnaire de la trilogie Batman de Christopher Nolan, The Dark Knight Rises, d’où le peuple de Gotham était totalement absent et les rues occupées uniquement par la police pour combattre le mal et des terroristes d’extrême-gauche anti-finance.
Certains auront beau argumenter que ce qui nous est présenté n’est pas notre monde, mais Gotham et un univers fantastique, ou que Joker est quand même un super-vilain, que Fight Club prend une autre tournure dans son final (alors que le dernier plan est le plus romantique du film), etc. Mais il faudrait être sacrément de mauvaise foi pour nier l’aspect principal qui se dégage de ces films, ce qu’on en retient.
C’est ici globalement la même recette nauséabonde qui peut vite passer pour subversive sans certaines bases culturelles, politiques et idéologiques, c’est-à-dire tout ce que la Gauche postmoderne tend à liquider.