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 » Usul, mon violeur avait le même discours que toi »

Usul est un homme se disant de gauche qui doit sa popularité à ses activités sur internet. Après avoir été chroniqueur de jeux vidéos sur youtube, il a décidé de se lancer dans l’analyse politique, tout en se présentant comme marxiste.

En février 2018, avec sa compagne Olly Plum (« hardeuse » et « camgirl »), il diffuse une vidéo de leurs ébats sexuels, en accord avec sa partenaire. Usul se dit féministe et dans plusieurs de ses vidéos parle du consentement avec l’intervention de Olly Plum.

C’est sur ces points qu’un collectif de cinq femmes : Barbara, Hélène, Léa, Marie et Lucia, qui se décrivent comme « survivantes de la prostitution, du porno et du BDSM (le sado-masochisme) et victimes du discours  »sexe-positif » », interpellent Usul.

Sur leur blog de médiapart « Elles aiment ça », ces féministes de gauches », comme elles se qualifient, accusent Usul de relever d’une démarche inacceptable.

Elles tirent des conclusions en partant de leurs expériences et en viennent à faire une critique du féminisme néo-libéral. Elles considèrent qu’Usul s’appuie sur le féminisme néo-libéral pour justifier son comportement tout à fait représentatif de ceux qui attaquent les femmes en prétendant établir une « libération sexuelle ».

C’est là que réside la polémique entre elles et Usul. Voici le document, qui réaffirme enfin certaines choses élémentaires.

En participant récemment à une vidéo porno tournée par sa compagne camgirl OllyPlum, le youtubeur Usul s’est prononcé en faveur de l’industrie du sexe. L’idée est de nous présenter la “libération sexuelle” comme vecteur d’émancipation des femmes. Le sentiment de trahison est intense pour nous, féministes de gauche, survivantes de la prostitution, du porno et du BDSM.

Une “libération sexuelle”, vraiment ?

Depuis quelques dizaines d’années, l’expression “libération sexuelle” est liée à l’affranchissement du tabou : c’est l’idée qu’une personne pourrait avoir n’importe quelles pratiques sexuelles, notamment sans éprouver d’amour pour son/sa partenaire, l’idée qu’on peut dissocier la sexualité des sentiments et qu’elle n’est pas sacrée, et qu’il n’y a pas à avoir de jugements moraux sur les pratiques sexuelles.

Ces idées sont séduisantes pour les femmes : elles nous évoquent l’espoir de ne plus être traitées de salopes si on aime tel ou tel truc, de ne plus être cantonnées à la sentimentalité et enfermées dans le mythe amoureux, d’être suffisamment à l’aise avec la sexualité pour qu’elle devienne une activité comme une autre, à laquelle ne serait plus rattaché de préjugé social.

Pourtant, dans notre expérience, la réalité que cache la “libération sexuelle” est toute autre :
Là où en tant que femme nous voyions une dissociation libératrice du sexe et des sentiments, nous avons fait face à des hommes qui dissocient sexe et respect de l’Autre.

Là où nous espérions enlever le stigma de la sexualité comme un service, nous avons eu affaire à des hommes qui voyaient l’argent comme une manière de compenser la violence et la dégradation.

Là où nous espérions que l’absence de jugement moral nous protégerait du slut-shaming, il nous a surtout empêché d’avoir un jugement moral sur la violence criminelle qui nous a été infligée.

Si tu veux bien, nous allons te parler un peu de nous

Nous sommes 5 femmes qui avons été victimes des discours du féminisme néolibéral. Quand nous avions 25 ans, chacune d’entre nous tenait publiquement les propos “sexe-positifs” qu’OllyPlum et toi tenez à l’heure actuelle.

On se sent tellement cool à 25 ans à avoir lu Despentes, à lire les discours du STRASS, et à se dire qu’on réussira, nous, à sortir du piège de la sainte et de la pute, qu’on a le droit au plaisir, qu’on est assez forte pour surpasser tout ça.

Aujourd’hui, nous avons la trentaine. Nous souffrons de syndromes post-traumatiques après avoir été violentées, dégradées, frappées, et violées par des mecs de gauche qui défendent ces théories. Et nous prenons soin de femmes qui ont été frappées et violées, sans arriver à se défendre, à cause de ces théories.

Pour nous toutes, les discours que tu défends à l’heure actuelle ont été un piège tendu par les prédateurs, et le bouclier qui leur sert à se défendre.

Pour Marie, Hélène et Léa, le discours sexe-positive a été la tentative inconsciente de “transformer” la violence et le viol conjugaux, en se disant “puisque ce qui excite les hommes c’est la violence et la domination, autant le faire dans un cadre où j’aurais du contrôle dessus” :

“Je m’appelle Léa et j’ai bientôt 25 ans, et jusqu’à il y a quelques mois, je tenais le même discours qu’OllyPlum. Je me suis toujours considérée féministe.

Pourtant, de mes 16 à mes 23 ans, je vivais des actes de violence sexuelle de la part de mon conjoint. J’ai subi des coups, des pressions, des chantages, des pratiques très extrêmes. Il est allé jusqu’à m’“offrir” à ses amis. Le tout sous prétexte de liberté sexuelle.

Pour encaisser tout ça, je me suis réfugiée derrière le discours “ sexe-positif ”, en me disant que j’étais libre parce que j’expérimentais beaucoup de choses sexuellement. Je disais publiquement que j’aimais ça.
A certains moments où nous avions des difficultés financières, j’avais pensé à devenir call girl, ou à faire de la cam. Il avait dit que ça l’exciterait.

Aujourd’hui j’ai pris conscience de ce que j’ai vécu et je me rends compte tous les jours de l’impact néfaste que cela a dans ma vie amoureuse et sexuelle. Je pleure beaucoup, je culpabilise beaucoup, et ma vie sexuelle est une réflexion permanente pour essayer de ne pas reproduire ce schéma de violence auquel j’ai été conditionnée.”

“Je m’appelle Marie et j’ai 28 ans. A 21 ans, alors que je sortais d’une relation violente, marquée par le viol conjugal, je suis tombée amoureuse d’un homme “féministe”. Pourtant, au quotidien, il me rabaissait intellectuellement. Au lit, il m’insultait et me dévalorisait en permanence. Il fait des conférences sur le consentement : il présente le BDSM comme une sexualité libérée et épanouie.

Comme beaucoup, je pensais que j’étais un être totalement libre, et voulais me croire entièrement responsable de mes désirs et de mes choix : j’ai adopté le discours “ sexe-positif ” en clamant que je me soumettais par choix.

Marquée par ces deux relations violentes, aujourd’hui, je peine à avoir des rapports sexuels. J’éprouve du dégoût et de l’angoisse, je pleure presqu’à chaque fois.”

Pour Lucia et Barbara, le discours “sexe-positif” traduisait la volonté d’être “plus fortes” que les blessures laissées par l’inceste et les viols, et la volonté de se sortir de la précarité:

“ Je m’appelle Barbara et j’ai 36 ans. Quand j’avais 24 ans et que je n’arrivais pas à payer mes factures, j’ai décidé de me prostituer. Je clamais que c’était mon choix. Que j’en avais le droit. Je savais que ce n’allait pas me faire plaisir mais je me disais que mieux valait être payée pour être violée vu que de toute façon j’étais sans cesse violentée en soirées alcoolisées… A cette époque je ne compte même plus le nombre de viols subis…

Bref, après deux clients, je me dégoûtais tellement que j’ai vomi deux jours sans arrêter. Non ça n’est pas un job comme un autre. Est-ce que j’aurais pensé à faire ce ”métier » si depuis enfant je ne servais pas de trou à bite ? J’en doute.

Evidemment, quand depuis vos six ans vous vivez l’inceste, vous avez intégré que votre corps appartient aux hommes et pas à vous. J’ai fini en grave dépression avec tentative de suicide. Et j’ai arrêté de faire ça. Je préfère être pauvre que finir le travail de destruction entamé par mes agresseurs.”

Était-ce une libération sexuelle lorsque Hélène s’est prit des coups de poings dans le ventre et que Marie s’est fait traiter de chienne par leurs conjoints sous prétexte de BDSM ? Que Léa a été “prêtée” à des hommes et qu’elle s’est fait uriner dessus sous prétexte de jeux ?

Qu’ Hélène s’est entendu dire par un client cynique – riche PDG parisien qui payait tout son “personnel domestique” pour qu’elles travaillent nues et subissent des actes sexuels quand il lui en prenait l’envie – “tu ne peux pas te plaindre des tarifs ! En tant que blanche, je te paye déjà bien mieux que les asiatiques, les noires et les filles de l’est… que veux-tu, c’est la loi de l’offre et de la demande !” ?

Certaines d’entre nous ont mis plus ou moins de temps à sortir de la maltraitance. Toutes, nous avons acquis lors de violences sexuelles cette capacité – dont parlent Catherine Millet1, et OllyPlum2 – à dissocier nos corps et nos esprits. Un état bien particulier, nécessaire à monnayer le sexe. Sais-tu que cet état porte un nom ?Ça s’appelle la dissociation traumatique.

C’est une “capacité” que l’on acquiert lorsqu’on est victime de violences.Nous t’encourageons à lire les travaux de la docteure Muriel Salmona3 : elle explique très bien comment les femmes qui ont été victimes de violence cherchent à reproduire cette état de dissociation, par le biais de conduites à risque, notamment la prise de drogue, l’automutilation et … la reproduction d’actes sexuels dégradants ou violents (rémunérés ou pas).Le problème avec cette dissociation, c’est que si elle permet de se protéger (et même parfois de donner l’impression de “bien vivre” les choses4) sur le moment, elle a en général des conséquences extrêmement graves sur le corps et l’esprit des femmes, par le biais de symptômes traumatiques.

Plusieurs d’entre nous en souffrons, et nous pouvons t’assurer que ce n’est pas une partie de rigolade : insomnies, cauchemars, flash-backs, somatisations de toutes sortes (vertiges, migraines, maux de ventre ou de dos), sentiments de déréalisation et/ou de mort imminente, psychopathophobie5, pulsions d’autodestruction, hypervigilance, palpitations, crises d’angoisse, attaques de panique, épisodes dépressifs, etc.

Tu vas dire que nous ne sommes que 5 individues à te parler aujourd’hui. Mais sais-tu que 70% 6 des travailleuses du sexe souffrent de syndrome de stress post-traumatique ?


Un “féminisme néolibéral”, au service des prédateurs

Voilà nos réalités, bien sagement cachées derrière le discours du féminisme néolibéral dont tu te fais porte-parole. Cela paraît bien loin des licornes et des paillettes, du discours glamour et libertaire ? C’est vrai qu’il y a de quoi être déçu quand on voit à quel point le féminisme néolibéral est un pro du marketing.

Pour commencer il se fait appeler “pro-sexe”, ou “sexe-positif”. Comme s’il existait un féminisme anti-sexe ou sexe-négatif !

De la même manière que les entreprises font le rebranding du travail (pensons à Emmanuel Macron qui vend la casse des droits sociaux sous le terme de “flexibilité du travail”!), le féminisme néolibéral est devenu expert du rebranding de la soumission et de la maltraitance des femmes :
Un prédateur veut attacher une femme ? Bondage et shibari !
L’insulter et l’humilier ? Jeu de domination !
La battre ? BDSM
La forcer ou la violer ? Jeu de non consentement !
La dissociation traumatique est rebrandée en “subspace”, et tout roule pour les violeurs.

Comme son nom l’indique, le discours sexe-positif tend à rendre positive toute pratique sexuelle, à la rendre valable et acceptable, quel qu’en soit le degré de violence ou de perversion. Pour la justifier, ça ne coûte pas grand-chose aux agresseurs : “ Il y a des pratiques qui peuvent être un peu dures, mais avec un baiser avant ou après, ce n’est pas pareil.7

C’est vrai : avec un baiser avant ou après, on a plus de mal à identifier la violence et à s’en sortir. Léa pourrait te raconter comment l’homme qui a abusé d’elle pendant des années l’embrassait et lui disait “je t’aime” après l’avoir humiliée, étranglée et violentée.


Stratégie de l’agresseur

As-tu déjà entendu parler de “la stratégie de l’agresseur”, cette méthode mise au jour par le Collectif Féministe Contre le Viol8 ?
Grâce à 40 ans d’écoute et d’expertise sur la question des violences sexuelles, les militantes du CFCV ont pu déterminer 5 éléments stratégiques permettant aux agresseurs d’enfermer leurs victimes dans une emprise, afin de les empêcher de se défendre : isoler, dévaloriser, inverser la culpabilité, instaurer la peur, et garantir son impunité.
Si tu veux bien, examinons cette stratégie de l’agresseur à la lumière du féminisme néolibéral :

  1. Isoler : le féminisme néolibéral laisse à chacune la responsabilité de déterminer ce qui est une violence sexuelle et individualise la problématique de la domination
  2. Dévaloriser : il permet aux prédateurs de frapper, humilier, forcer les femmes + les monnayer de manière précaire
  3. Inverser la culpabilité : il dit que ce sont les femmes qui “aiment ça” (les coups, l’humiliation, le travail du sexe), en se gardant de parler de l’excitation traumatique9, ceci donnant aux femmes un profond sentiment de complicité aux violences qui leur sont infligées
  4. Instaurer la peur : outre la peur instaurée par les violences sexuelles, les personnes posant des limites ou des critiques sont par ailleurs mises dans la position d’oppresseurs puritains. Le jugement, dont on pourrait se servir pour se protéger, est présenté comme une pratique dangereuse et réactionnaire.
  5. Garantir son impunité : quoi de mieux pour un prédateur que de pouvoir se dire “féministe” ? Il peut même se positionner en progressiste libertaire (“ je suis si féministe que je pense qu’une femme peut être dégradée sans que cela l’atteigne ! ”)

En fin de compte, le marketing du féminisme néolibéral fournit sans doute le meilleur mode d’emploi jamais créé pour permettre aux prédateurs sexuels d’abuser des femmes sans aller en prison.


Comprendre le consentement à l’oppression, grâce… à tes propres arguments

Dans ta vidéo “L’économiste (Frédéric Lordon)” tu fais une démonstration plutôt développée, que nous avions grandement appréciée, de la pensée matérialiste.

Tu y analyses le prétendu « consentement » au travail salarié, et le mythe du salarié épanoui de sa propre exploitation capitaliste. Tu démontes assez brillamment l’idée de « libre arbitre » promue par les exploiteurs, dans un monde en réalité déterminé par un conditionnement inconscient extrême, par tout un tas de facteurs socio-économiques et par la propagande.

Tu évoques entre autres la notion d’“Angle Alpha”, et le concept marxiste d’aliénation, qui expliquent bien comment nos désirs sont “toujours produits par l’extérieur”, c’est à dire par nos structures sociales10. Enfin, tu cites Lordon disant


Usul, comment se fait-il que tu n’arrives pas à appliquer tes propres développements philosophiques à la question de la sexualité et de l’oppression masculine ?Pourtant, l’exploitation des femmes par les hommes fonctionne de la même manière que l’exploitation des pauvres par les riches : elle se fait passer pour naturelle, méritée et, lorsqu’elle est critiquée, se couvre des apparats du choix personnel et du fun.

Ou pour reprendre encore une fois littéralement tes propres arguments : les femmes deviendront dociles et les hommes pourront régner par “l’amour” plutôt que par la crainte, l’ordre patriarcal a réenchanté l’exploitation des femmes en l’enrichissant d’affects joyeux, et le néolibéralisme patriarcal a réussi à insuffler aux femmes “l’amour” de la situation de travail sexuel et de la soumission.11

Les femmes – comme n’importe quel groupe opprimé – peuvent consentir à leur propre oppression. Et, en fin sociologue, tu le sais très bien : en ne cherchant pas les raisons du consentement, en ramenant la lutte à la question du choix individuel, on dépolitise, et on prive une classe opprimée de sa capacité de lutte. Mettre l’accent sur le consentement (une femme “consent” à être frappée) et jamais sur les nuisances (une femme a reçu des coups) est un pain béni pour les prédateurs.

Ou comme l’explique Catharine MacKinnon “Quand vous dites qu’un homme qui frappe, gifle, étouffe, et blesse une femme a tort seulement parce qu’elle n’a pas « consenti », vous dites que le seul problème de la violence masculine est que les femmes n’ont pas encore appris à l’apprécier.”


Le consentement des victimes est l’ultime bouclier de l’oppresseur

A droite, cela fait des centaines d’années que les prédateurs font porter leurs voix par leurs femmes : elles ont d’abord défilé contre le droit de vote, puis contre le droit à l’IVG, puis contre le mariage pour tous. Elles déclarent à grands cris qu’elles ont choisi, libres de toute contrainte, de penser que c’est à leur mari d’être « chef de famille ».

A gauche, il y a aussi désormais les prédateurs qui font porter leurs voix par leurs femmes : partout, nous allons dire que nous nous “libérons” en couchant sans désir, en nous faisant fouetter, attacher et taper dessus, et en vendant nos culs.

Partout nous propageons le même discours : “libération”, “violence consentie”, “empowerment par la soumission”, « plus je m’approprie et revendique ma soumission au désir des hommes, plus cela fait de moi une femme empowerée libre et forte »12.

Quelle stratégie brillante de la domination masculine ! Depuis des millénaires, diviser les femmes en deux catégories – femmes respectables d’un côté, putes de l’autre – et les laisser servir l’une à l’autre d’épouvantails.

Et nous, toutes occupées à se détester les unes les autres – celles de gauche terrorisées à l’idée de finir murées dans une cuisine et un mariage violent, et celles de droite terrorisées par l’idée de se faire abuser par toutes une série d’hommes objectifiants – nous continuons bien sagement à défendre vos intérêts à nous traiter comme de la merde13.

Le féminisme ”sexe-positif” est vraiment très fort dans son utilisation des femmes pour la défense de leur propre oppression : il a même adopté comme discours officiel « on doit écouter les concernées ». En réalité, ce que nous y avons constaté est qu’on y « écoute les concernées » uniquement quand elles valident la domination.

Dès qu’elles la dénoncent, on les renvoie soudain à des problèmes personnels ou interpersonnels. Pourtant, face au nombre de femmes ayant vécu des traumas et abus sous cette couverture, il est évident qu’on fait face à un schéma systémique et qu’on ne peut pas parler d’exceptions.

La vérité, c’est qu’en quelques années seulement, les arguments du féminisme « sexe-positif » sont devenus une des principales armes des “porcs” : ils ont fait de la rhétorique de l’empowerment un terrible outil au détriment des femmes.


Check ton privilège

Face à Hélène, qui – après avoir été dégradée, violée et battue par des hommes se disant féministes, sous prétexte de travail du sexe, de liberté sexuelle et de soumission BDSM – ne supporte plus qu’un homme la touche, et se réveille en sueur la nuit après avoir cauchemardé de viols et de tortures ; face à Léa et Marie qui explosent en sanglots pendant leurs rapports sexuels et dont les pratiques qu’elles ont subies pourrissent encore aujourd’hui leurs vies sexuelles ; face à Lucia qui nous confie comment la reconstruction d’une sexualité saine avec son petit ami lui est difficile ; face à notre lutte de classe pour sortir de la soumission et de l’exploitation, sous quels termes viens-tu nous parler de sexe ?

“Je suis habituellement dans la polémique permanente, dans le militantisme, les revendications, c’est assez épuisant. J’aime bien avoir cette oasis à côté, c’est du plaisir, du laisser-aller, on n’est pas dans le conflit, c’est juste de l’amour, du partage. Des choses positives. Normalement, le cul, ça ne devrait pas être un terrain sur lequel on s’envoie des fions, de mauvaises ondes. C’était ma petite oasis avec Plum et on va continuer à la cultiver, même dans l’adversité. Je pense que l’agitation va retomber. Ça me fait du bien.14

“oasis”, “amour”, “laisser-aller”, “se faire du bien”, “mauvaises ondes”… MAIS MEC, DANS QUEL MONDE TU VIS ? Faire du travail du sexe, pour toi, c’est juste “du plaisir, du laisser-aller, de l’amour, du partage” ?

À quel point es-tu inconscient de ton immense privilège masculin pour prononcer des phrases pareilles ? Pour ne pas réaliser que là où le sexe et le porno sont pour toi un espace de paix boostant ton estime de toi et ton ego, un “repos du guerrier”, ils sont pour nous un champ de bataille ?

Le privé est politique. Ne plus vivre de violences sexistes et sexuelles est un enjeu politique de la classe des femmes. Marketer cette violence et cette exploitation pour les vendre comme acceptables ou épanouissantes est une stratégie au service des hommes, classe dominante dont tu fais partie.

Toi qui passes ton temps à analyser les schémas de domination, quels degrés de naïveté, de déni, ou d’hypocrisie te sont-ils nécessaires pour ne pas appliquer tes propres raisonnements politiques dans un domaine où tu n’es pas directement en statut d’opprimé15?


Fuck ta libéralisation sexuelle et ta fausse “subversion” : nous voulons une vraie libération

À une heure où, depuis les femmes de chambre jusqu’aux actrices les plus célébrées, il est encore si difficile pour une femme de ne pas vendre son cul et/ou sa dignité (à un mari, un patron, un collègue, une audience) pour réussir, ou juste s’en sortir, Usul, sache-le, qu’un homme vienne nous parler de “subversion” par le travail du sexe, c’est dégueulasse.

Ce que tu défends, Usul, ce n’est pas une “libération sexuelle”, mais une “libéralisation sexuelle” au profit de la classe masculine.

Avec le mouvement #Metoo et #Balancetonporc, nous avons dénoncé les viols et les agressions sexuelles qui se basent sur l’absence de consentement. Mais, si le consentement est un préalable indiscutable, on ne peut aborder les questions du consentement et du désir sans prendre en compte les conditionnements forgés par des siècles de domination et de traumatismes vécus par les femmes, et qui jouent un rôle crucial dans leur soit disant consentement/désir/choix de la violence.

Nous ne condamnons pas les stratégies de survie des femmes, ni leurs désirs : nous dénonçons ceux des hommes.

Quelle que soit la forme qu’elle prend (mariage ou prostitution ; enjolivée par un discours “sexe-positif” ou non), toute forme de sexualité basée sur la dissociation traumatique nous révolte.

Des hommes vraiment intéressés par la défense de nos droits ne se baseraient pas sur notre vulnérabilité, créée par des traumas, pour obtenir des actes sexuels.

Des hommes respectueux de leurs partenaires ne banderaient pas à l’idée de les frapper, de les insulter, ou à l’idée d’une interaction sexuelle consentie contre de l’argent. Nous voulons mettre les hommes face à la violence qu’ils continuent d’exercer, sous le bouclier du marketing “sexe-positif”.

De notre côté, nous rêvons d’une véritable “libération sexuelle” des femmes. Une libération sexuelle qui nous délivrerait du trauma et de la violence. Où le sexe ne serait plus pour les femmes une monnaie d’échange, que ce soit contre de l’argent, de la sécurité, de la visibilité, de l’affection ou même de la gentillesse.

 

Barbara, Hélène, Léa, Marie et Lucia,
survivantes de la prostitution, du porno et du BDSM,
victimes du discours « sexe-positif »

 

(1) https://twitter.com/anti_sexism/status/964179483136806913
(2) Dans sa vidéo “Peut-on monnayer son cul et être féministe ?”, disponible sur Youtube, OllyPlum s’exprime en ces termes : “C’est toute cette violence, notamment sexuelle, qui m’a amenée à travailler dans les milieux du sexe (….). Le viol il est là, quand on s’est fait violée, on peut pas se faire dévioler. Alors oui forcément ça provoque une dissociation entre le corps et l’esprit et après on va investir son corps différemment émotionnellement et du coup, tout un tas d’utilisations du corps qui n’étaient pas disponibles avant, quand le corps était un temple, deviennent envisageables.”
(3) https://www.memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/mecanismes.html  

(4) https://www.mumsnet.com/Talk/guest_posts/2799410-Guest-post-I-didnt-think-of-my-prostitution-as-traumatic-but-it-left-me-with-PTSD
(5) Peur de devenir fou/folle
(6) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9698636 et https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2615337/“68% des 827 prostitué.e.s interrogé.e.s dans 9 pays remplissaient les critères du diagnostic de Syndrome de Stress Post-Traumatique (SSPT). La sévérité des symptômes de SSPT des participant.e.s à l’étude était équivalente à celle de vétérans de guerre cherchant un traitement, des résidentes de refuges pour femmes battues, et des réfugié.e.s. Une étude faite en Corée trouva que 81% des femmes ayant un passif de prostitution avaient des symptômes de SSPT.”

(7) “Ollyplum et Usul, l’interview décomplexée ”, le Tag Parfait
(8) 0800 05 95 95

(9) L’excitation traumatique désigne la confusion entre violence et sexualité qui imprègne l’imaginaire sexuel des anciennes victimes de violences. Leurs réactions corporelles d’excitation, d’origine traumatique, peuvent les amener à croire que les fantasmes de violence de leurs agresseurs sont en réalité les leurs. Lire le chapitre “La sexualité n’est-elle pas violente par nature?” dans “Les violences sexuelles : 40 questions-réponses incontournables”, de Muriel Salmona
(10) Sur le désir comme construit social et pas uniquement psychologique, voir les travaux de Mélanie Gourarier
(11) Nous avons ici repris les citations que tu as choisies dans ta vidéo sur le consentement, en nous contentant de remplacer “hommes” par “femmes”, et “capitalisme”, par “patriarcat”
(12) Toutes les femmes ne se sont pas laissées berner par un tel discours marketing. Cela est particulièrement vrai pour certaines travailleuses du sexe, qui n’ont pas recours à la rhétorique de la “pute heureuse”, se contentant de mettre en avant la précarité économique qui les amène à se prostituer. D’autres reviennent de ce discours, comme Ovidie, qui a pourtant été longtemps une figure de proue du féminisme pro-sexe : http://brain-page-q.fr/article/page-q/35922-Le-POV-d-Ovidie-le-feminisme-pro-sexe-est-il-mort
(13) Sur le continuum de la violence faite aux femmes et de la monétarisation du sexe que ce soit par le biais du mariage ou de la prostitution, voir le travail de l’anthropologue italienne Paola Tabet

(14) Ollyplum et Usul, l’interview décomplexée ”, le Tag Parfait
(15) Et non seulement tu défends ton privilège de classe masculine mais tu défends ton privilège de classe sociale : en critiquant les techniques oppressives des “pick-up artists”, tu ne faisais en réalité que revaloriser ta propre masculinité ! Voir les travaux de Mélanie Gourarier sur les compétitions entre modèles de masculinité

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Culture

Virginie Despentes : Baise-moi (1993)

En 1946, Boris Vian obtenait un véritable succès d’édition avec ses 120 000 exemplaires vendus de J’irai cracher sur vos tombes. Un roman ignoble, qui raconte des viols et des meurtres. Au début des années 1990, Virginie Despentes a repris le principe.

Mais, afin de choque davantage, elle raconte le parcours de femmes, qui apprécient de se prostituer, de coucher avec n’importe qui même des hommes leur déplaisant. Qui apprécient la zoophilie, ou le fait de se faire frapper. Qui aiment tuer, en le revendiquant comme une forme d’esthétisme.

Jusqu’au meurtre d’enfant. Car, tant qu’à choquer, Virginie Despentes est allé jusqu’au bout de l’ignominie. Avec succès : plus de 40 000 exemplaires de vendus et un grand prestige dans les milieux « branchés ». En ayant été épaulé alors par les journalistes Patrick Eudeline et Thierry Ardisson, deux figures adeptes de la transgression, du côté sombre, etc.

Ainsi, en 2012, Mohammed Merah tuait de sang-froid des enfants à Toulouse, parce que Juif. En 1993, Virginie Despentes raconte comment des femmes complètement détraquées assassinent sans raison, tuant notamment un enfant.

On aurait tort de ne pas voir ici la théorie, là la pratique. Quand on raconte avec froideur le meurtre d’un enfant, avec toute la satisfaction de l’assassin, sa joie, sa « dignité » de « rebelle », on a des responsabilités.

Et quant on écrit des lignes qui banalisent la zoophilie, la prostitution, le meurtre gratuit, la consommation permanente d’alcool fort et de drogues, on contribue à quelque chose, à une mentalité.

Surtout quand l’écriture se réduit à raconter en jouant sur les affects. Le roman n’a aucune recherche technique sur le plan littéraire. Ce sont des mots dits à l’oral mis à l’écrit, avec des insultes pour le pittoresque, de la sexualité morbide pour fasciner dans un mode racoleur, appelant aux plus bas instincts.

C’est ce qu’on appelle tout simplement de la pornographie. Et pourtant cela a été considéré comme un roman. A lire Baise-moi, on a donc l’impression que, finalement, pour écrire un roman il n’est pas besoin de savoir écrire. Ni même d’avoir quelque chose à dire. Il suffit d’exprimer un scepticisme complet, de considérer son propre corps comme un objet, de se situer en-dehors du monde.
On dira que ce n’est alors pas un roman et on aura raison. La noirceur de Baise-moi n’a comme équivalent que la barbarie de l’État islamique. C’est vide, sans contenu.

Et le fait que Virginie Despentes n’ait cessé de mettre en avant ses prétendues valeurs de « gauche » en rapport avec ce vide est un véritable problème historique. La page wikipedia sur le roman présente celui-ci comme étant « progressiste » :

« Ce livre fait partie d’une nouvelle littérature (tel le roman La Vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet) qui affirme un « néo-féminisme revendicatif » en montrant une sexualité agressive et la désacralisation du corps féminin. »

Le féminisme serait donc quand les femmes voient leur corps de l’extérieur, comme un objet qu’elles pourraient prostituer « librement ». Quelle folie. Et des femmes meurtrières, ce serait une « affirmation ». Quelle absurdité.

Et quelle conséquence catastrophique. Car, si l’on y regarde bien, malheureusement les seuls écrivains qui ont tenté d’exprimer une critique de la société qui ait du sens et qui soit avec une écriture de qualité sont de droite.

Balzac, Barbey d’Aurevilly, Drieu La Rochelle, pour n’en citer que trois dont le romantisme peut être très noir – formant ainsi le modèle à l’arrière-plan de la prétention pathétique de Virginie Despentes – étaient très profondément réactionnaires, dans le sens où ils idéalisaient le passé.

C’était une erreur, mais au moins il y avait un projet de société. Avec la « gauche » de l’alcool et des drogues, de la prostitution et du libéralisme culturel – dont Virginie Despentes est un exemple – il n’y a aucun projet, à part une fuite en avant permanente.

Comment s’étonner après que la gauche ne soit présentée comme l’appendice d’un capitalisme sans coeur, sans âme ?

Balzac, Barbey d’Aurevilly, Drieu La Rochelle auraient dû être de gauche et, de fait, dans leur description de la réalité, ils auraient pu l’être s’ils avaient suffisamment de connaissances. Mais comment les auraient-ils eu si la gauche elle-même ne les a pas ?