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Réflexions

Les Français s’ennuient

Les Français s’ennuient. Mais ils ont trop le sens de l’envergure pour ne pas le savoir. Ils sont corrompus et donc l’acceptent. Jusqu’à une génération en rupture, qui en a simplement assez, qui sature.

Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde. Le réchauffement climatique les émeut, certes, mais elle ne les touche pas vraiment. Sur le plan de la vie quotidienne, ils restent fidèles à eux-mêmes et donc à leurs habitudes. L’élection de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil a bien troublé les esprits, provoquant des sentiments violents et des opinions tranchés, puis on est vite passé à autre chose.

L’explosion récente de la pauvreté la plus sombre en Argentine, frappant désormais le tiers de la population, n’a pas été remarqué. Il en va de même pour les très violentes manifestations au Chili à la suite de l’augmentation du ticket de transport dans la capitale de 30 pesos (1 euro fait 848 pesos), faisant au moins 26 morts et pratiquement 3000 blessés. Ni même les mobilisations massives en Colombie, en Iran, en Irak, en Algérie… Seul le mouvement à Hong Kong a été remarqué, parce que les médias en ont parlé comme c’est une mobilisation pro-occidentale.

C’est que l’Europe est en paix et les dirigeants, Emmanuel Macron en tête, ne cessent de dire que c’est fait pour durer. De toutes façons, on n’est plus concerné : les États-Unis et la Chine décident de tout de par leur poids, alors pourquoi changer, ou même faire des efforts ? Tout peut continuer comme avant et rien n’atteint le train train de la vie quotidienne.

Mais la jeunesse s’ennuie. Nés après 2000, les jeunes n’ont pas les préjugés des anciens et ils profitent de la modernité sous la forme d’accès à ce qui forme le goût le plus immédiat : les habits, la musique, le style. Ils sont individualistes et tête en l’air, mais savent en même temps qu’ils sont en rupture complète avec le passé. On les méprise : eux répondent en ignorant ce qu’il y avait avant.

Ils sont une force tranquille, à rebours des gilets jaunes, ces mis de côté qui refusent la modernité au lieu de s’en saisir. Les gilets jaunes veulent geler la France, la faire retourner dans le passé, et les syndicats sont la même posture culturelle avec leur ligne purement défensive, nostalgique des droits acquis hier. Cela ne parle pas à la jeunesse. Comment pourrait-il en être autrement ?

Dans son article du Monde du 15 mars 1968, Quand la France s’ennuie, Pierre Viansson-Ponté constatait la même ambiance étrange où la France semblait en décalage avec tout, même avec elle-même. Et il notait :

« Cet état de mélancolie devrait normalement servir l’opposition. Les Français ont souvent montré qu’ils aimaient le changement pour le changement, quoi qu’il puisse leur en coûter. »

Cela ne semblait alors pas le cas, puisqu’il ne se passait rien. Alors vint mai 1968 juste après, comme expression de la contradiction massive entre une France enkystée dans les vieilles habitudes et une jeunesse en total décalage dans sa manière de concevoir les choses. Il va en être de même pour la France d’aujourd’hui.

Car les Français sont trop éduqués, trop conscients des rapports d’oppression, d’exploitation, trop culturels, trop fiers de leur héritage contestataire, pour ne rien faire. Et s’ils consomment jusqu’au bout, s’ils pratiquent l’individualisme jusqu’au bout, c’est pour bien être certain d’avoir essayé jusqu’au bout de rien faire. Cela aussi, c’est très français. La certitude de l’impossibilité de continuer comme avant acquise, de manière cartésienne à leurs yeux, ils vont alors rentrer dans le jeu historique.

Et cela n’aura, bien sûr, rien à voir avec la tragi-comédie des gilets jaunes. Lorsque se mettent en mouvement les jeunes et les ouvriers – car ils seront là – tout change. Le contenu sera alors ce qui compte. Car c’est toujours ce qui compte, tels les fleurs, les animaux, le bleu du ciel, le bruit de la musique, tout quoi !

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Société

Le nivellement par le bas imposé par le capitalisme

La Gauche s’est faite engloutir par les « progressistes » qui ont renouvelé les thèses du positivisme : on irait forcément vers quelque chose de mieux, inéluctablement. Elle ne se rétablira qu’en reprenant sa propre thèse de la décadence de la société liée à la chute du capitalisme.

Sleep and his Half-brother Death (John William Waterhouse, 1874)

Le nivellement par le bas est une chose très discutée au sein des couches intellectuelles. Certains voient le niveau s’effondrer au lycée, par exemple en mathématiques ou en français, tandis que d’autres considèrent que somme toute il n’y a pas de grand changement. Et comme grosso modo le système éducatif tourne, fabriquant encore et toujours des cadres passés par Sciences Po, Polytechnique, HEC, les mines, etc., il est établi par les experts qu’il y a peut-être un changement mais qu’il ne touche pas la substance des choses.

Les deux ont tort et raison. Car c’est là un des grands paradoxes du capitalisme, qu’il y ait d’un côté il y ait une grande accumulation de connaissances, et que de l’autre tout soit particulièrement chaotique, bureaucratique, coulé par les opportunistes et les magouilleurs, récupéré dans des directions mercantiles.

On a beaucoup plus de moyens scientifiques qu’auparavant, grâce au développement des moyens productifs. Le matériel est incomparablement plus performant qu’avant, bien plus aisément accessible. En France, chaque personne peut disposer d’un ordinateur, d’internet, sauf à être profondément désocialisé. Mais en même temps les connaissances sont dispersées, incompréhensibles au grand nombre, gérées de manière inorganisée par un capitalisme qui se saisit de ce qu’il peut comme il peut.

Le capitalisme impose le nivellement par le bas en exigeant que lui soit soumis dès qu’il y a complexité. Les choses simples n’ont pas besoin de se soumettre : elles répondent simplement, automatiquement, aux lois du marché. Le capitalisme n’est donc pas inquiet de ce côté là. Ce qui l’inquiète, c’est plus des tendances le contrecarrant, qui porterait à la fois un haut niveau intellectuel et technique, combiné à la formulation d’une socialisation universelle.

Dans l’ordre des choses par exemple, les vétérinaires devraient se révolter contre la condition faite aux animaux, et exiger une compassion universelle. Ce serait un danger formidable pour le capitalisme. Mais cela n’arrive pas, pas plus qu’une révolte générale des médecins contre ce qui nuit à la santé dans le mode de vie propre au capitalisme. En fait, si on vivait dans un monde rationnel, même les policiers devraient devenir fondamentalement de Gauche et dire que le capitalisme laisse sciemment vivre les mafias.

Seul le prolétariat peut cependant porter cette dimension universelle, et malheureusement pour l’instant il est très loin d’avoir un haut niveau intellectuel et technique, même si en fait c’est déjà en partie le cas de par son expérience, de par sa réalité. C’est le nivellement par en bas qui le gangrène, le capitalisme l’entraîne dans sa chute, ce qui est normal, car le prolétariat appartient au capitalisme dans sa nature même. C’est ce qu’il porte en lui qui est intéressant et cela ne ressort pas encore de manière authentique, parce que le mauvais côté l’emporte.

Dans tous les moments historiques où le prolétariat a pris les choses en main, il a combattu pour élever son niveau de conscience, d’organisation ; ses comportements et attitudes étaient entièrement différents de ce qu’il fait en ce moment en France. Aujourd’hui, il dort encore, mais hier il s’organisait de manière très solide, tout à fait consciente, après la tentative de coup d’État de février 1934. Il en va de même pour la période 1943-1947, un moment très important de confrontation avec les couches dominantes.

Les mois de mai et juin 1968 ont également été marqués par un degré d’organisation relativement important. Cela n’a rien à voir avec des marches syndicales où des cortèges traînent leurs savates avec des slogans fatigués et une morale usée, avec à l’arrivée l’odeur de graillon des merguez et alors qu’il a déjà été trinqué. Les prolétaires ne sont eux-mêmes que lorsqu’ils sont carrés ; toute autre attitude n’est qu’une dégradation, le fruit d’un nivellement par le bas.

Il va falloir qu’ils s’arrachent, qu’intellectuellement ils se lancent dans un travail de grande envergure, que sur le plan pratique ils se déconnectent de comportements beaufs. Quiconque ne souligne pas cela n’est qu’un vain populiste, qui se rabaisse au niveau des gilets jaunes.

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Politique

Gilets Jaunes et Mai 68

Depuis le début du mouvement dit des « Gilets Jaunes », les références à Mai 68 se multiplient. Ces références ont quelque chose de juste : elles témoignent de l’ancrage profond de ce grand bouleversement historique dans le cœur des masses populaires. La grande masse des gens sait que la rupture se réalise dans la confrontation avec le centre des institutions, en dehors des cadres pacifiés de la contestation. C’est là le sens du « retour » de la « centralité ouvrière ».

Gilets jaunes Mai 1968

Mais en rester à ce simple constat, ce serait faire preuve d’un formalisme qui enferme la Gauche depuis bien trop longtemps dans la passivité idéologique. Les comparaisons à Mai 68 illustrent aussi un autre aspect qui est la détérioration terrible de la conscience de classe.

Mai 68 fut une contestation autonome de tout l’ordre social établi. Ce ne fut pas une simple « protestation », un « coup de gueule » réductible à une juxtaposition de « colères ». L’autonomie de est essentielle à Mai 68, puisqu’il émerge d’organismes à la gauche du PCF/CGT et généralise le principe de l’assemblée (ouvrière et étudiante) avec le principe de l’extra-parlementarisme.

Il y a une remise en cause profonde de l’ordre social avec une « subversion » de la société (les étudiants d’origine petite-bourgeoise qui vont à l’usine, les artistes qui se mettent « au service du peuple »). Il y a une critique de la société de consommation, des rapports sexuels, de la vie individuelle. Les courants gauchistes structurent des milliers de personnes et le marxisme a l’hégémonie culturelle. Tout se reflète dans un style militant, une agitation typique de cette époque. Ce style, cette culture se traduisent par exemple par la création d’affiches aux slogans originales.

Dans le même temps, les forces de droite s’unissent et c’est un million de personnes qui manifestent le 30 mai 1968 ; la gauche et la droite s’affrontant, jusqu’à ce que certains y voient le prélude à une « guerre civile ».

Lorsque l’on sait un minimum tout cela, est-il bien sérieux de prendre pour « argent comptant » la comparaison des Gilets jaunes avec Mai 68 ? Comme le dit le dicton populaire, « comparaison n’est pas raison » et cela est vrai pour notre cas actuel.

Plusieurs caractéristiques devraient alerter la Gauche : où est l’activisme des Gilets jaunes, en dehors d’une occupation stérile d’un rond-point ? Où sont les affiches exprimant une critique concrète de la vie quotidienne ? Sans grève interprofessionnelle, où est la rupture réelle avec les institutions ?

De ce point de vue, la révolte de novembre 2005 a bien plus un rapport avec Mai 68. Le font culturel, de la musique « Qu’est-ce-qu’on attend ? » de NTM au film « Ma cité va craquer », exprimait une critique profonde avec la vie quotidienne (par exemple l’enfermement dans les tours bétonnées). Alors que Mai 68, la faculté et l’usine sont occupées grâce à la grève, c’est le lieu de vie direct qui est attaqué par les émeutiers de 2005. Dans les gilets jaunes, on peut tout voir sauf Mai 68 : c’est la marseillaise qui chantée, c’est le drapeau tricolore qui est brandi, c’est le refus des taxes qui cimente, c’est l’antiparlementarisme qui oriente. L’occupation des rond-points, bien que stratégique dans le capitalisme avancé, relève ici bien plus de l’enfermement objectif dans un mode de vie plutôt que de son émancipation.

Le recours à Mai est ainsi révélateur du pillage historique qu’effectue la petite-bourgeoisie radicalisée par le fascisme. Elle se prétend être à l’avant-garde de l’Histoire, alors que son héritage se situe en réalité bien plus dans le poujadisme et le boulangisme que dans Mai 68.

Il ne faut pas se laisser embrumer par l’apparence sociale de la contestation : déjà le boulangisme à la fin du XIXe siècle prétendait à l’action sociale et revendiquait l’héritage de la Commune de Paris, favorisant le ralliement de nombreux ex-communards (blanquistes surtout) au mouvement.

Au fond, lorsque l’amnésie idéologique règne sur un grand mouvement d’émancipation, le fascisme s’engouffre dans la brèche pour tout désorienter, tout paralyser. C’est le cas pour l’actuelle mouvement des gilets jaunes.

Mais alors qu’en est-il de la composante ouvrière qui développe ses références à Mai 68 ? Est-elle simplement déformée par la petite-bourgeoise ?Il y a, sans aucun doute, un parasite idéologique effectué par l’attitude colérique de la petite-bourgeoisie mais cela n’est qu’un aspect du problème car la classe ouvrière développe ses propres références. Celles-ci sont cependant d’ordre purement économiques ; Mai 68 n’ayant été qu’un gros mouvement syndical qui obtenu des « avancées sociales ». Tout le contenu idéologique et politique, notamment incarnée par la jeunesse ouvrière, est mis à la poubelle : il y a une amnésie ouvrière.

Alors, à qui la faute ? Les principaux responsables sont à rechercher du côté des anciens activistes de Mai 68 eux-mêmes qui se sont réfugiés au cours des années 1990 dans le syndicalisme et l’altermondialisme – qui est fut un relais à l’objectif au populisme avec sa critique de l’ « oligarchie financière ».

La stabilisation d’un héritage ouvrière de Mai 68 a été rendu impossible du fait que les ouvriers ont été « déplacés » vers la péri-urbanité lorsque les « ex » dirigeants soixante-huitards se sont rapprochés de la ville par la poursuite de carrières universitaires. Les « ex » restés au plus près des ouvriers ont fini par se décomposer dans le syndicalisme, effaçant toujours plus le contenu culturel des années 68.

On se retrouve alors cinquante ans plus tard avec une classe ouvrière qui a maintenu un héritage, mais en l’absence d’une continuité dans les cadres politiques, en a liquidé les principes fondateurs. Les références à Mai 68 par les gilets jaunes expriment ainsi un double aspect : d’un côté, il y a le maintien d’une mémoire de classe, et d’une autre côté il y a le dévoiement de cette mémoire de classe. Il y a le forme et il y a le fond.

La forme, c’est Mai 68 vu à travers l’émeute, les voitures brûlées et les confrontations avec la police. Le fond, c’est l’hégémonie culturelle de cette époque, marquée par la prégnance du socialisme et de ses symboles. Lorsqu’un mouvement social dynamite le fond d’un événement pour en garder seulement la forme, c’est ce qu’on appelle du « révisionnisme ». C’est l’attitude typique des couches sociales petites-bourgeoises qui, empêtrées dans leur irrationalité et se pensant au centre de l’Histoire, sont obligées de travestir la réalité.

Or, le fond est toujours l’aspect principal et cela doit amener la Gauche à se positionner en faveur d’un véritable travail de formation des cadres politiques au cœur de la classe ouvrière. L’abandon de toute dynamique idéologique, de toute formation de cadres ouvriers renforcent la voie du populisme et du fascisme car lorsqu’il y a une faille ouverte pour le pillage historique, les luttes de classe sont désorientées. C’est le sens de la comparaison des Gilets jaunes avec Mai 68.

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Politique

Mai 2018 a été une farce

On peut reprendre le principe. Mai 2018 a été une farce, tant de la part du gouvernement que de celle de la gauche velléitaire qui a cru pouvoir rejouer la pièce, alors qu’elle n’a même pas réalisé un travail d’analyse digne de ce nom sur Mai 68. .

On peut penser au bon mot connu de Karl Marx, dans son ouvrage sur Napoléon III faisant un coup d’État. Il s’agissait de montrer qu’un événement important peut se rejouer, mais il n’est alors que l’ombre de lui-même.

« Hegel fait remarquer quelque part que, dans l’histoire universelle, les grands faits et les grands personnages se produisent, pour ainsi dire, deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. »

Ce qui reste, c’est Emmanuel Macron, c’est le post-modernisme de Mai 68 sans l’élan des masses, sans leur esprit positif tourné vers la démocratie et la vie.

Mai 68 fut le symbole d’une crise de croissance du capitalisme et celle de la pleine entrée dans la consommation de masse. Voilà ce qu’on semble en retenir aujourd’hui. Le compromis social d’après-guerre a été à cette occasion bousculé par ses contradictions internes par un puissant mouvement de masse qui a ouvert un réel espace à la lutte de classe. C’est là toute son importance historique indéniable.

Mais pour autant, et malgré le contexte externe très agité, avec tout le développement d’un véritable esprit anti-impérialiste, notamment autour du conflit au Vietnam, et malgré le foisonnement des utopies exprimant une authentique soif existentielle, l’événement ne déboucha pas sur une révolution ou même un changement de régime.

Non, 50 ans après, on peut dire que malheureusement Mai 68 se résume en fait à un pur et simple « état d’esprit » qui a ouvert ce que l’on a appelé la « post-modernité », soit au final une capitulation des idées de gauche, au motif de la libéralisation de l’individu et de la lutte contre les oppressions comme refus des « totalitarismes ».

Cette crise du capitalisme, a en effet trouvé partiellement sa réponse dans la poursuite « post-moderne » de celui-ci, dont l’horizon apparaît alors comme étant la Californie : une société « post-industrielle » ouverte à la consommation de masse, l’entertainment, les alternatives stylistiques en matière alimentaire, de mode de vie ou artistique pour une minorité confortable de 35% à 45% de la population, reléguant les « losers » et autres « déclassés » dans les ghetto urbains ou les zones rurales effondrées.

50 ans après, on comprend comment Emmanuel Macron a pu parvenir au pouvoir, en ce qu’il représente encore cet « esprit » post-moderne, mais sous une forme maintenant attardée.

Il y a 50 ans en effet, le post-modernisme capitaliste pouvait réussir à s’appuyer sur l’élan populaire de Mai 68 et proposer son monde. Aujourd’hui, il règne sur une société au bord de l’assèchement qui se résigne sans élan et sans enthousiasme a accepter le « monde nouveau », toujours le même d’il y a 50 ans.

L’esprit d’utopie a été tué par le post-modernisme bourgeois. Pire même, la société civile elle-même semble se ratatiner et verse dans l’irrationnel, cédant aux populismes ou à la réaction voire au nihilisme, quand il ne s’agit pas même simplement d’une dépolitisation totale.

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Politique

L’École émancipée en juin 1968

L’École émancipée est une tendance historique du syndicalisme français, remontant à 1910 ; en 1968, c’est la troisième tendance de la Fédération de l’éducation nationale, avec une ligne de gauche, mais non communiste. Voici sa position en juin.

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Politique

Marion Maréchal contre « mai 68 »

 

« Mai 68 » a profondément marqué la société française et sa critique est toujours un thème majeur pour la Droite conservatrice. Impossible donc de ne pas parler de mai 68 sans porter son attention également sur le camp des ennemis de la Gauche.

Ainsi, dans l’esprit réactionnaire d’une jeune femme comme Marion Maréchal (anciennement Le Pen), la vague de contestation de mai et juin 1968 représente quelque-chose d’important, même cinquante ans après en 2018. C’est le cœur même de l’idéologie de son école de sciences politiques qui doit ouvrir dans quelques jours à Lyon.

L’ancienne députée du Front National était ainsi l’invitée d’honneur d’une soirée-débat le 31 mai 2018 qui avait pour thème « Débranchons Mai-68 ». Organisée par le magasine « L’incorrect » et l’association « les Éveilleurs d’Espérance », issue du mouvement catholique traditionaliste « la Manifs pour tous », le discours y était assez classique : références à la spiritualité chrétienne, défense de valeurs « traditionnelles », critique des Lumières et caricature des éventements de mai 1968 comme étant simplement une aventure individuelle petite-bourgeoise.

Il n’est pas nouveau que « Mai 68 » soit un thème pour Marion Maréchal. C’est une sorte de symbole qui lui permet de synthétiser sa pensée, en le critiquant.  Dans un texte qu’elle avait publié en mai 2017, qualifié de manière grandiloquente de « testament politique », elle expliquait que la jeunesse d’aujourd’hui doit :

« payer les abus de la génération 68, qui a joué la cigale tout l’été et nous laisse des déficits incommensurables, des privilèges de classe intenables et irréformables… ».

Elle affirmait également que :

« Macron accomplit Mai 68. Avec lui, c’est l’idéologie du progrès, le culte du renouveau, qui implique nécessairement de faire table rase du passé. C’est l’idée soixante-huitarde selon laquelle l’homme ne peut s’émanciper que s’il se délie de tout héritage, de toute autorité, de tout cadre culturel. Je pense que c’est une erreur fondamentale. »

L’inverse de « mai 68 »

Marion Maréchal représente en quelque sorte l’inverse de « mai 68 ». Il s’agissait d’une jeunesse remettant en cause l’ordre établit en voulant avancer à grands pas vers le futur, cherchant le progrès partout, bien que de manière trop idéaliste souvent et dénaturée parfois.

Elle reflète pour sa part une jeunesse assumant un conservatisme des plus outranciers, un conformisme terrible et une soumission totales aux valeurs dominantes. La religion, le patriarcat, le nationalisme, la division de la société en classes et l’entreprenariat capitaliste sont pour elle des horizons indépassables.

C’est précisément avec ces valeurs qu’elle entends former de « futures élites », de Droite, via son École de science politique, l’ISSEP, qui ouvre dans quelques jours à Lyon.

La subtilité, si l’on peut le dire ainsi, est que Marion Maréchal pense pouvoir faire passer la critique des valeurs dominantes comme étant justement la norme, la valeur dominante. Elle tente de renverser le problème.

C’est ainsi qu’elle disait dans un entretien à Valeurs Actuelles paru en février 2018, critiquant en filigrane l’héritage de « mai 68 » :

« Depuis le début de la Ve République, l’ensemble des vecteurs de pensée est détenu par la gauche. Elle infuse sa domination culturelle quasi hégémonique à travers la presse, l’éducation et la culture. Il est temps, pour nous aussi, d’appliquer les leçons d’Antonio Gramsci. »

Son point de vue est bien sûr absurde puisqu’il est évident que la société française est largement marquée en 2018 par la pensée religieuse et l’esprit catholique, par le patriarcat et le sexisme, par le nationalisme béat, par la pression économique des plus riches sur les classes populaires.

La Gauche existe, mais son champ est limité, et d’ailleurs se dégrade. Ce que ne supporte pas l’esprit étriqué de Marion Maréchal, c’est qu’il y a malgré tout des progrès, que la société avance et ne se fige pas, que certaines valeurs ou exigences démocratiques s’affirment ou tendent à s’affirmer.

« C’était mieux avant »

Plutôt que de remettre en cause les obstacles sociaux et culturels qui empêchent la société de devenir meilleure, elle prétend que le salut se trouve dans le passé. Que « c’était mieux avant ». Son conservatisme est un idéalisme, une vision romantique du passé. C’est le contraire de « mai 68 » qui était surtout une vision romantique de l’avenir.

En fait, Marion Maréchal profite pour sa critique réactionnaire des limites de la contestation de mai et juin 1968. Si elle a été démocratique et populaire, cette vague de contestation n’a pas été dirigée par la classe ouvrière mais confisquée par une partie de la bourgeoisie voulant moderniser le pays, sans parler des intellectuels des classes moyennes prétendant s’approprier voire représenter les idées de mai.

Marion Maréchal n’a pas tord quand elle critique l’ultra-libéralisme et qu’elle le lie à « mai 68 ». Son mensonge est cependant de prétendre qu’une autre partie de la bourgeoisie, celle qui est plus traditionnelle et conservatrice, porterait un horizon meilleur pour les classes populaires et la société tout entière.

Les errements de la Gauche

Les conservateurs comme Marion Maréchal profitent des errements de la Gauche qui sombre dans l’ultra-libéralisme, le post-modernisme et la décadence culturelle, pour apparaître au contraire comme représentants la morale populaire.

Ses propos devant les conservateurs américains en février 2018 en était une parfaite illustration avec sa critique du libéralisme-libertaire à partir du point de vue de la Droite conservatrice :

« Sans nation et sans famille, le bien commun, la loi naturelle et la morale collective disparaissent cependant que perdure le règne de l’égoïsme.

Même les enfants sont devenus une marchandise ! Nous entendons dans le débat public « nous avons le droit de commander un enfant sur catalogue ». « Nous avons le droit de louer le ventre d’une femme ». « Nous avons le droit de priver un enfant de mère ou de père ».

Non, vous ne l’avez pas ! Un enfant n’est pas un droit.

Est-ce cela, la liberté que nous désirons ? Non, nous ne voulons pas de ce monde atomisé de l’individu sans genre, sans père, sans mère et sans nation.
[…]

Je suis venu vous dire qu’il y a aujourd’hui une jeunesse prête pour cette bataille en Europe : une jeunesse qui croit au dur labeur, qui croit que ses drapeaux signifient quelque-chose, qui veut défendre les libertés individuelles et la propriété privée.

Une jeunesse conservatrice qui veut protéger ses enfants de l’eugénisme et des délires de la théorie du genre. Une jeunesse qui veut protéger ses parents de l’euthanasie et l’humanité du transhumanisme. »

Marion Maréchal est la figure de proue d’une tentative de révolution conservatrice, concept formé dans les milieux allemands nationaliste dans les années 1920-1930. Il faut savoir porter son attention sur ce phénomène dangereux, relevant du fascisme, et cela d’autant plus que la Gauche est torpillée de l’intérieur par les partisans de la post-modernité.

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Le journal Action en juin 1968

Après le numéro du 10 juin 1968, Action a été publié plusieurs fois au mois de juin 1968 ; voici les exemples suivant au format pdf :

numéro 7 du 11 juin 1968 ;

numéro 8 du 12 juin 1968 ;

numéro 9 du 13 juin 1968 ;

numéro 10 du 14 juin 1968 ;

numéro 11 du 17 juin 1968 ;

numéro 12 du 18 juin 1968 ;

numéro 13 du 19 juin 1968 ;

numéro 14 du 20 juin 1968.

La publication de ce journal lancé comme organe du syndicat étudiant l’UNEF, des CAL (comités d’action lycées) et du mouvement du 22 mars cessera au mois de juillet, une tentative de quotidien étant faite à partir de mai 1969 jusque début juin.

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Décret du 12 juin 1968 portant dissolution d’organismes et de groupements

Le 12 juin 1968, l’État procède à la dissolution des organisations ayant joué un rôle significatif durant mai 1968. En voici le décret.

Il est à noter qu’à ce moment-là, l’UJCML (maoïste) a déjà implosé, une partie donnant par la suite la Gauche Prolétarienne, et que les trotskistes du courant dit lambertiste (Organisation communiste internationaliste, Fédération des étudiants révolutionnaires, comité de liaison des étudiants révolutionnaires) demanderont l’annulation du décret par le conseil d’Etat pour ce qui les concerne, ce qui sera obtenu le 21 juillet 1970 : en voici le texte.

Texte intégral

1° REQUETE DU SIEUR BOUSSEL PIERRE Y… A… PIERRE TENDANT A L’ANNULATION POUR EXCES DE POUVOIR D’UN DECRET DU 12 JUIN 1968 EN TANT QU’IL A PRONONCE LA DISSOLUTION DU GROUPEMENT DIT L' »ORGANISATION COMMUNISTE INTERNATIONALISTE » ;
2° REQUETE DU SIEUR Z… TENDANT A L’ANNULATION POUR EXCES DE POUVOIR D’UN DECRET DU 12 JUIN 1968 EN TANT QUE LEDIT DECRET A DISSOUS LE GROUPE « REVOLTES » ;
3° REQUETE DU SIEUR STOBNICER DIT BERG CHARLES TENDANT A L’ANNULATION POUR EXCES DE POUVOIR D’UN DECRET DU 12 JUIN 1968 EN TANT QUE LEDIT DECRET A DISSOUS LA « FEDERATION DES ETUDIANTS REVOLUTIONNAIRES » ;
VU LA LOI DU 10 JANVIER 1936 ; L’ORDONNANCE DU 31 JUILLET 1945 ET LE DECRET DU 30 SEPTEMBRE 1953 ; LE CODE GENERAL DES IMPOTS ; LA LOI DU 26 DECEMBRE 1969 ;
CONSIDERANT QU’IL RESULTE DES INDICATIONS FOURNIES PAR LE MINISTRE DE L’INTERIEUR DANS SES OBSERVATIONS SUR LES REQUETES DES SIEURS X…, Z… ET B… ET QUI SONT CORROBOREES PAR LES PIECES DES DOSSIERS QUE L’ « ORGANISATION COMMUNISTE INTERNATIONALISTE », LE GROUPE « REVOLTES » ET LA « FEDERATION DES ETUDIANTS REVOLUTIONNAIRES » ETAIENT ANIMES PAR LES MEMES DIRIGEANTS ET ONT MENE UNE ACTION COMMUNE LORS DES MANIFESTATIONS QUI SE SONT PRODUITES EN MAI ET JUIN 1968 ; QUE CES REQUETES PRESENTENT A JUGER DES QUESTIONS SEMBLABLES ; QU’IL Y A LIEU DE LES JOINDRE POUR Y ETRE STATUE PAR UNE SEULE DECISION ;
SUR LA RECEVABILITE DES REQUETES : – CONS. QUE, SI LE MINISTRE DE L’INTERIEUR CONTESTE L’INTERET DES SIEURS X…, Z… ET B… A DEMANDER L’ANNULATION DU DECRET DU 12 JUIN 1968 PORTANT DISSOLUTION D’ORGANISMES ET DE GROUPEMENTS, IL RECONNAIT QUE LES REQUERANTS ETAIENT MEMBRES DES ASSOCIATIONS OU GROUPEMENTS DE FAIT DISSOUS PAR LEDIT DECRET ; QU’AINSI, LES REQUERANTS ONT INTERET ET, PAR SUITE, QUALITE POUR DEMANDER AU CONSEIL D’ETAT L’ANNULATION DUDIT DECRET EN TANT QU’IL A DISSOUS LES ASSOCIATIONS OU GROUPEMENTS SUSMENTIONNES ;
SUR LA LEGALITE DE LA DISSOLUTION DE L’ « ORGANISATION COMMUNISTE INTERNATIONALISTE », DU GROUPE « REVOLTES » ET DE LA FEDERATION DES ETUDIANTS REVOLUTIONNAIRES » ; SANS QU’IL SOIT BESOIN D’EXAMINER LES AUTRES MOYENS DES REQUETES : – CONS. QU’IL RESSORT DES OBSERVATIONS PRESENTEES PAR LE MINISTRE DE L’INTERIEUR EN REPONSE A LA COMMUNICATION QUI LUI A ETE DONNEE DES POURVOIS QUE, POUR PRONONCER LA DISSOLUTION DE L’ « ORGANISATION COMMUNISTE INTERNATIONALISTE », DU GROUPE « REVOLTES » ET DE LA « FEDERATION DES ETUDIANTS REVOLUTIONNAIRES », LE GOUVERNEMENT S’EST FONDE SUR LES DISPOSITIONS DES ALINEAS 1 ET 3 DE L’ARTICLE 1ER DE LA LOI DU 10 JANVIER 1936, EN VERTU DESQUELLES : « SERONT DISSOUS PAR DECRET … TOUTES LES ASSOCIATIONS OU GROUPEMENTS DE FAIT … 1° QUI PROVOQUERAIENT A DES MANIFESTATIONS ARMEES DANS LA RUE … 3° OU QUI AURAIENT POUR BUT … D’ATTENTER PAR LA FORCE A LA FORME REPUBLICAINE DU GOUVERNEMENT » ;
CONS. QU’IL NE RESSORT PAS DES PIECES DU DOSSIER PRODUIT DEVANT LE CONSEIL D’ETAT QUE LES ASSOCIATIONS OU GROUPEMENTS DE FAIT SURENUMERES AIENT PROVOQUE A DES MANIFESTATIONS ARMEES DANS LA RUE OU AIENT EU POUR BUT D’ATTENTER PAR LA FORCE A LA FORME REPUBLICAINE DU GOUVERNEMENT ; QU’AINSI LE DECRET DU 12 JUIN 1968, EN TANT QU’IL A PRONONCE LEUR DISSOLUTION, MANQUE DE BASE LEGALE ET SE TROUVE, PAR SUITE, ENTACHE D’EXCES DE POUVOIR ;
ANNULATION DU DECRET DU 12 JUIN 1968 PORTANT DISSOLUTION D’ORGANISMES ET DE GROUPEMENTS EN TANT QU’IL A DISSOUS L’ « ORGANISATION COMMUNISTE INTERNATIONALISTE », LE GROUPE « REVOLTES » ET LA « FEDERATION DES ETUDIANTS REVOLUTIONNAIRES » DEPENS MIS A LA CHARGE DE L’ETAT ; L’EXPEDITION DE LA PRESENTE DECISION SERA TRANSMISE AU PREMIER MINISTRE ET AU MINISTRE DE L’INTERIEUR.

Analyse

Abstrats : 01-05-02 ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS – VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS – MOTIFS – ERREUR DE FAIT – Existence – Dissolution d’une association.
10-01-04-01 ASSOCIATIONS ET FONDATIONS – QUESTIONS COMMUNES – DISSOLUTION – ASSOCIATIONS ET GROUPEMENTS DE FAIT – LOI DU 10-01-1936 – Conditions non remplies.
26-03-01-01 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS – LIBERTES PUBLIQUES – LIBERTE D’ASSOCIATION – DISSOLUTION D’ASSOCIATION OU DE GROUPEMENT DE FAIT – Loi du 10 janvier 1936 – Conditions non remplies.
49-05-05 POLICE ADMINISTRATIVE – POLICES SPECIALES – POLICE DES ASSOCIATIONS ET GROUPEMENTS DE FAIT [LOI DU 10-01-1936] – Dissolution – Conditions non remplies.
54-01-04-02 PROCEDURE – INTRODUCTION DE L’INSTANCE – INTERET – EXISTENCE D’UN INTERET – Membres d’associations ou groupements de fait dissous en application de la loi du 10 janvier 1936.

Résumé : 01-05-02, 10-01-04-01, 26-03-01-01, 49-05-05 Pour prononcer la dissolution de l' »Organisation communiste internationaliste », du groupe « Révoltes » et de la « Fédération des étudiants révolutionnaires » le gouvernement s’est fondé sur les dispositions des alinéas 1 et 3 de l’article 1er de la loi du 10 janvier 1936. Il n’est pas établi que ces organisations aient provoqué à des manifestations armées dans la rue ou aient eu pour but d’attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement. Illégalité du décret prononçant leur dissolution.
54-01-04-02 Les personnes, dont il n’est pas contesté qu’elles aient été des membres d’associations ou groupements dissous par un décret pris en application de la loi du 10 janvier 1936, ont intérêt et, par suite qualité pour demander l’annulation de cet acte.

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UJCML : Un camarade est mort (Gilles Tautin)

L’annonce de la mort de Gilles Tautin, membre de l’Union de la Jeunesse Communiste Marxiste-Léniniste, fut l’un des événéments marquants du soulèvement de mai 1968.

Un camarade est mort. Un jeune lycéen, Gilles TAUTIN du lycée Mallarmé. Un militant du mouvement de soutien aux luttes du Peuple. Un militant de l’Union des Jeunesses Communistes (marxiste- léniniste).

Il est mort à FLINS. Il est mort matraqué par les flics, noyé. D’autres camarades ne sont pas encore revenus. Des centaines de jeunes toute la journée ont été pourchassés, traqués, arrêtés.

Et le prolétaire de FLINS, oui ou non a-t-il été tué? Nous le saurons. Des centaines de prolétaires blessés. Gilles témoigne pour tous.

Qui a tué notre camarade ?

Les flics, la dictature Gaulliste. Ce gouvernement d’assassins fait horreur a peuple. Fondé de pouvoir des exploiteurs, ce gouvernement est honni par les ouvriers, les paysans, les intellectuels, par toute la population laborieuse.

Notre Peuple s’est soulevé contre ce gouvernement. La force des millions de prolétaires se rendant maîtres des usines a ébranlé le pouvoir des exploiteurs : les capitalistes ont tremblé.

Aujourd’hui leur gouvernement voudrait faire payer le peuple, lui faire oublier qu’il est une force invincible, il voudrait le diviser, le réprimer. Il ne le pourra pas.

Le gouvernement gaulliste espérait que tout rentrerait dans « l’ordre », N’avait-il pas promis des élections législatives ? Oui, des élections pour que la travail reprenne. Pour que le travail reprenne avant LA SATISFACTION DES REVENDICATIONS OUVRIERES.

Des élections pour que les ouvriers rentrant dans leurs usines sous la pression des jaunes, des flics, des C.D.R.

Des élections pour vaincre le peuple. Et quand les ouvriers résistent comme à CITROEN, à RENAULT, le gouvernement d’assassins envoie ses C.R.S..

Mais comme tous les réactionnaires, le gouvernement gaulliste sous- estime la force du peuple : la classe ouvrière résiste et le jeunesse, la population, soutiennent les bastions de la résistance prolétarienne.

A FLINS, ouvriers, étudiants, et toute la population sont unis, unis pour la victoire d’une même cause, le cause du peuple. Qui a aidé le gouvernement dans sa besogne de division et de répression? Les politiciens anti-ouvriers et anti-populaires.

Les larges masses de notre pays les ont vus à l’oeuvre : la direction de FO, léchant les bottes des ministres, la direction de le CFDT., qui signait tous les accords de capitulation et trouvait le moyen, quand la classe ouvrière se battait pour la satisfaction de toutes ses revendications et pour un gouvernement populaire, de présenter SON candidat, un politicien anti-communiste à la retraite, MENDES-FRANCE.

Enfin, la DIRECTION CONFEDERALE de le CGT, et la clique de politiciens du PCF. L’attitude de le direction confédérale de la CGT a été IGNOBLE.

Elle a appelé è la reprise du travail à coups de votes à bulletins secrets et de mensonges.

Elle a saboté l’auto-défense des usines.

Elle a ouvert les portes de FLINS aux CRS POUR QUE LES ELECTIONS se DEROULENT, ELLE A DESARME LA CLASSE OUVRIERE. ET ELLE A ARME LES BRAS DES ASSASSINS à FLINS.

Que disait le bureau confédéral de la CGT et l’HUMANITE, le 7 Juin 1968 ? « Le gouvernement a omis de désigner les véritables fauteurs de troubles et de provocations dont les agissements, y compris contre la reprise du traveil, sont couverts par une singulière complaisance du pouvoir ».

Le gouvernement a répondu à cet appel il a tué notre camarade. Notre camarade est mort.

Les responsables de son assassinat sont le gouvernement gaulliste et SES COMPLICES DU BUREAU CONFEDERAL de la CGT et de le DIRECTION du PCF.

Notre camarade est mort pour SERVIR LE PEUPLE.

Pour l’Union du Mouvement de le Jeunesse et du Mouvement Ouvrier. Il est allé à FLINS se mettre sous l’autorité des travailleurs et des syndicalistes prolétariens de la CGT.

Perce qu’il faisait partie d’une organisation politique qui naît au coeur des masses ouvrières.

L’organisation est fière de compter parmi ses membres les défenseurs de la CGT des prolétaires.

C’était un jeune militant qui défendait la cause ouvrière et la cause de la grande CGT de lutte de classes, indissolublement liées.

Il ne confondait pas les traîtres du bureau confédéral et les centaines de milliers de militants cégétistes ardents défenseurs de la cause ouvrière.

Il faut savoir POUR QUOI, POUR QUI, il est mort : POUR LA CLASSE OUVRIERE, POUR LA C.G.T. de LUTTE DE CLASSES, POUR LE PARTI des REVOLUTIONNAIRES PROLETARIENS qu’il aidait à édifier, POUR LE PEUPLE.

Dans son esprit il avait gravé l’instruction du grand guide de le Révolution mondiale, le camarade Mao Tsé-toung : SERVIR LE PEUPLE.

CAMARADE, ton nom est désarmais inséparable de la révolution populaire, du printemps de notre peuple !

Nous te faisons le serment de suivre la voie que tu as tracée de ton sang.

Le sang des prolétaires, le sang de notre camarade lycéen, de ceux qui sont morts SANS QUE LE PEUPLE LE SACHE, est pour nous tous LE SANG des MARTYRS.

Des martyrs de la REVOLUTION POPULAIRE. Il soulève notre haine qui est immense, à la mesure des souffrances infligées au peuple par ses exploiteurs.

Camarades, autour du drapeau rouge de le résistance prolétarienne, de le Révolution Populaire, du communisme, UNIS JUSOU’A LA VICTOIRE!

– Syndicalistes prolétariens C.G.T.
– Mouvement de Soutien aux Luttes du Peuple.
– Union des Jeunesses Communistes (marxiste-léniniste) et Organisations sur la ligne de SERVIR LE PEUPLE.

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Le sixième numéro d’Action

Le sixième numéro d’Action, au format pdf (cliquer sur l’image pour l’obtenir) ; rappelons qu’il a été lancé comme organe du syndicat étudiant l’UNEF, des CAL (comités d’action lycées) et du mouvement du 22 mars.

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Jeunesse Communiste Révolutionnaire : « J’ai déjà voté sur les barricades »

Le 10 juin 1968, alors que des élections sont annoncées, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire annonce une ligne combattive.

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Le canard enchaîné et mai 1968

Voici deux articles du Canard enchainé datant de mai 1968. Avec les grèves, la diffusion des numéros du 22 mai et du 6 juin avaient été toutefois très problématiques et celui du 29 mai n’est carrément pas sorti.

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Cinéma, cafés… l’orgie de tabassage policier en mai 1968

Mai 1968 a-t-il donc pu être un détonateur parce que le régime s’est posé comme intransigeant, alors qu’il aurait pu tenter de pacifier et d’endormir les étudiants, empêchant qu’ils servent de vecteur contestataire?

Il faut croire que oui puisque la cinquième république s’est maintenue. En même temps, le régime n’a pas réprimé mai 1968 dans le sang, avec l’armée, il s’est appuyé sur la police et les forces para-militaires comme les CRS.

Dans tous les cas, cela a marqué ceux et celles ayant une conscience sociale.

Il faut vraiment souligner que ce qui a permis aux étudiants de se galvaniser, c’est le haut-le-coeur de la population face à la répression brutale ayant eu lieu dès le début.

C’est à ce moment-là que le discours révolutionnaire de la gauche contestataire, auparavant marginale, conquière dans la nouvelle situation un écho significatif.

La tension était immense. Voici des témoignage du terrible 6 mai, point de départ de la tentative d’écrasement immédiate des protestations suite au 3 mai ayant été marqué par l’évacuation policière de la Sorbonne.

Cela doit permettre une réflexion sur la nature des événements de début comme détonateur. D’ailleurs, un fétiche existera à partir de ce moment-là, avec l’idée qu’un mouvement cherchant à s’affirmer doit justement provoquer la répression pour exister en tant que tel.

Une démarche ridicule qui deviendra cependant le fond de commerce d’une certaine extrême-gauche en France.

La répression, en effet, est toujours un choix tactique et stratégique de la part d’un régime. Si les cinémas, cafés… sont des cibles et les policiers sont pris dans une orgie de tabassage, c’est que le régime voulait régler les choses vite. Il a échoué, mais par la suite il a su pacifier, preuve qu’il pouvait faire l’un ou l’autre.

« Le lundi 6 mai, vers 23 h 30, rue Monsieur Le Prince, cherchant à regagner mon domicile après avoir dîné dans un restaurant du quartier Saint-Michel, les C.R.S. qui bloquaient le haut du boulevard Saint-Michel n’ont pas voulu me laisser passer; bien au contraire, ils ont chargé rue Monsieur-le-Prince des passants qui n’étaient manifestement pas des manifestants, d’autres C.R.S. qui se trouvaient à l’intersection de la rue Vaugirard et de la rue Monsieur-le-Prince les ont pris à revers; j’ai vu des C.R.S. marteler de coups des passants qui étaient tombés.

D’autres comme moi ont dû se réfugier dans un cinéma, ce qui n’a pas empêché les C.R.S. de casser à coups de crosse les vitres du cinéma, et d’assommer quelques innocents, repliés à côté du guichet en les traitant de « fumiers », « on aura ta peau », « vous êtes tous des salopes », « on s’en fout que vous ayez manifesté ou pas ».

Dans les salles mêmes du cinéma les spectateurs terrorisés suffoquaient, asphyxiés par les gaz lacrymogènes qui étaient entrés par les trous d’aération; des femmes pleuraient, une vieille dame, la tête dans les bras, disait : « Non, ce n’est pas possible, ce n’est pas possible. »

Il était impossible de sortir des salles : on entendait derrière les coups de crosse des C.R.S.

Ce témoignage ne traite pas d’un fait isolé. Habitant au coeur du quartier où se sont déroulées la plupart des manifestations, j’ai dû me rendre compte qu’il était absolument impossible de me rendre chez moi sans êtres systématiquement poursuivi par des corps de C.R.S. censés disperser les manifestants et qui ont fait de moi un manifestant, faute de pouvoir rentrer chez moi.

Des représentants de l’ordre guettant rue Monsieur- le-Prince un petit groupe d’étudiants et de civils qui débouchait de la place Edmond-Rostand, attaquèrent ces derniers qui s’enfuyaient par cette même rue.

Ils les matraquèrent en s’acharnant à plusieurs sur la même victime. Une de celles-ci, allongée sur le pare-brise d’une voiture en stationnement fut matraquée jusqu’à ce que le pare-brise cède.

Puis les représentants de l’ordre policier s’acharnèrent sur des civils qui soit sortaient du cinéma « le Luxembourg », soit s’enfuyaient dans la rue Monsieur-le-Prince. Ils brisèrent de plus les vitrines de l’hôtel Médicis et du cinéma « le Luxembourg » pour empêcher la population soit d’aider les blessés, soit de se réfugier.

Lundi 6 mai, vers 21 heures, alors qu’il n’y avait aucun trouble ni attroupement important, j’ai vu les forces de l’ordre lancer une grenade lacrymogène sans sommation ni raisons apparentes, contre une jeune fille qui fut atteinte à la face. »

A Saint-Sulpice également, incident grave dans un café :

« Soudain le café fut cerné par un groupe de C.R.S.et un civil frappa sur la porte de verre du café.

Le patron s’empressa d’aller ouvrir. Le civil, une longue matraque à la main, entra suivi d’un autre policier. Celui-ci, C.R.S., avait son casque à la main.

Le civil donna l’ordre d’évacuer le café en tapant sur les tables avec son bâton et sur certaines personnes peu pressées d’exécuter son ordre. Quand certaines passaient devant lui, il les désignait de son bâton, c’était essentiellement des jeunes.

Je me retrouvai derrière un homme assez jeune qui déclara en sortant avec un fort accent : « Je suis étranger et… » il fut coupé par un C.R.S. qui le frappa en lui répondant : « Ouais, et tu viens nous faire chier en France. »

Puis je fus happé par plusieurs mains et je fus frappé sur la tête et le corps par des matraques. Je tombai à genoux et un C.R.S. me donna un coup dans le ventre et je tombai donc sur le dos et fus frappé à la face. Je me relève tant bien que mal toujours sous une pluie de coups et réussis à m’enfuir dans la rue Notre-Dame-des-Champs.

Après une dizaine mètres, saignant énormément, je m’arrêtai et demandai aux gens se trouvant devant leur porte si personne ne pouvait m’aider. Deux jeunes filles nie firent entrer chez elles et m’allongèrent sur un lit, puis allèrent prévenir le secours de la Croix-Rouge qui vint me chercher et je fus emmené en ambulance.

L’ambulance m’emporta à l’Hôtel-Dieu. Là je fus reçu par le chef de service des urgences qui m’examina et m’envoya au service des radios. On me fit plusieurs radios de la face. Je remontai au service des urgences et le médecin de service, après avoir regardé les radios, déclara que j’avais une fracture du nez et sans doute une fracture du maxillaire. »

Voici deux autres témoignages, datant quant à eux du 7 juin. La situation est la même. Cela se passe ici dans le quartier de Montparnasse :

« J’ai assisté mercredi 8 mai à 1 h 30 du matin, boulevard du Montparnasse, à l’assaut donné contre « Le Select ». Ils ont chargé droit sur le café dont les grilles étaient fermées, et dont les consommateurs étaient de paisibles noctambules.

Après avoir demandé au directeur de faire sortir tous les clients, celui-ci s’y est opposé en disant qu’il n’y avait aucun manifestant. Ils ont alors cassé les glaces et ont envoyé des grenades lacrymogènes. Ensuite, ils sont partis sur les manifestants et ont forcé un autre café où d’autres personnes ont été blessées. »

Et, un autre, plus tard dans la soirée :

« Il est deux heures du matin, mercredi 8 mai je viens d’entrer avec un ami dans le café « le Rond- Point» boulevard Montparnasse. Nous sommes sur le point de nous asseoir quand un homme entre en courant; il est pourchassé par les C.R.S.

Presque immédiatement le gérant du café éteint les lumières et ferme la porte à clé; un ou plusieurs policiers brisent une partie du vitrage et lancent des grenades.

La première des grenades est tombée tout près de mon ami : c’était une grenade lacrymogène en verre. Je ne sais pas combien de grenades ont été lancées mais l’atmosphère est devenue irrespirable au point que l’on était près de perdre conscience.

Le gérant du café a évité la panique en criant de se masser au fond du café; pendant cinq à dix minutes nous sommes restés accroupis dans le silence car personne n’avait la force de bouger. Ce silence était ponctué par des toux incessantes. Certaines personnes vomissaient…

Le gérant du café a surveillé la situation à l’extérieur et quand il a vu que la densité des C.R.S. diminuait il a conseillé aux gens de sortir par un ou par deux. Nous étions encore en état de bouger et nous sommes partis ainsi. Un C.R.S. nous a poursuivis à coups de matraque. »

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Politique

Le cinquième numéro d’Action

Le cinquième numéro d’Action, au format pdf (cliquer sur l’image pour l’obtenir) ; rappelons qu’il a été lancé comme organe du syndicat étudiant l’UNEF, des CAL (comités d’action lycées) et du mouvement du 22 mars.

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Politique

Le quatrième numéro d’Action

Le quatrième numéro d’Action, au format pdf (cliquer sur l’image pour l’obtenir) ; rappelons qu’il a été lancé comme organe du syndicat étudiant l’UNEF, des CAL (comités d’action lycées) et du mouvement du 22 mars.

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Culture

Le film « La chinoise » de Jean-Luc Godard (1967)

La fraîcheur du film La chinoise de Jean-Luc Godard ne tient pas seulement à la candeur des acteurs et actrices représentant des jeunes engagés dans les rangs « marxistes-léninistes » en mars 1967, ni à leur discours sur le blocage de l’université pour remettre en cause le régime annonçant directement mai 1968.

Il y a aussi une sorte de pureté graphique qui ressort de chaque image et de l’association de l’ensemble des petites saynètes, qui sont à la fois irrévérencieuses et surprenantes, authentiques dans la dignité de la révolte et en même temps ouvertement critiques quant à l’origine sociale des révoltés.

Car, et c’est un phénomène tout à fait français ou plus précisément parisien, une partie significative des meilleurs étudiants parisiens, issus alors des familles les plus aisées, ont fait le choix dans la période 1967-1969 de s’identifier avec la révolution culturelle en Chine, avec le style de travail « marxiste-léniniste ».

D’où les innombrables citations de Mao Zedong dans le film, associées à la représentation parfois très humoristique et jamais prétentieuse des principales valeurs partagées, allant du refus catégorique de l’Union Soviétique à la volonté d’ouvrir la voie au soulèvement armé.

Jean-Luc Godard, avec ce collage, ce patchwork de moments où l’on discute et l’on fume, où l’on pose sa fragilité sentimentale et sa volonté d’aller de l’avant dans la révolution, où l’on revendique son besoin d’art, où l’on pose véritablement une identité en rupture tout en se sachant souvent soi-même d’origine bourgeoise, fait une véritable capture graphique d’un moment historique de grande signification.

En un certain sens, on ne peut pas comprendre mai 1968 sans voir La chinoise, à moins de réduire cet épisode historique à une logique iconoclaste anarchiste – situationniste. Ce qui caractérise en effet les marxistes-léninistes, c’est-à-dire les maoïstes de l’Union de la Jeunesse Communiste (marxiste-léniniste), c’est le souci profond de la question esthétique, au sens d’une vision du monde cohérente et allant dans le sens d’une beauté totale.

C’est, bien entendu, l’esprit de la révolution culturelle sur le modèle chinois; cela se fait dans le film de manière revendicative, assumée, au moyen de grandes tirades sous forme de sentences :

« Ce que j’ai à vous dire, c’est que c’est pareil dans l’enseignement aussi bien littéraire que scientifique. Le colloque de Caen a proposé des réformes, la gauche propose des réformes.

Mais tant que Racine peindra les hommes tels qu’ils sont, tant que Sade sera interdit à l’affichage, tant qu’on n’enseignera pas les mathématiques élémentaires dès le jardin d’enfants, tant qu’on subventionnera dix fois plus les homosexuels de la Comédie-Française que Roger Planchon ou Antoine Bourseiller, ces réformes resteront lettre morte, parce qu’elles appartiennent à un langage mort, à une culture qui est une culture de classe, qui est un enseignement de classe, une culture qui appartient à une classe déterminée et qui suit une politique déterminée. »

La beauté, vivante et productive, est ici au cœur des exigences, mais on sait comment après mai 1968 le système profitera d’une vaste logique modernisatrice, où d’ailleurs Sade, Roger Planchon et Antoine Bourseiller auront plus que leur place !

C’est ce qui fait d’ailleurs la grande faiblesse du film que de se tourner vers tout ce qui est moderne, expérimental, quitte à ne pas voir que le contenu visé – un éloge du marxisme-léninisme et de l’engagement – est inévitablement en opposition finalement frontale avec ce goût incongru et fétichiste du montage rythmé allant jusqu’à la mise en abîme, selon le principe de la nouvelle vague entendant toujours rappeler que ce n’est qu’un film, d’où les moments où l’on voit les cameramans par exemple.

Et pourquoi avoir intégré dans La chinoise une sorte de scénario, qui plus est emprunté au roman Les Démons de Fiodor Dostoïevski qui va à l’opposé du sens de l’engagement révolutionnaire ? Tout le film se focalise d’ailleurs sur un appartement bourgeois récupéré par des bourgeois.

C’est là encore l’un de ces mystères des raisonnements tortueux de Jean-Luc Godard; heureusement, La chinoise reste comme intouchable par rapport à ces erreurs significatives. On est dans un souffle continu, un chemin long et fastidieux, mais apparaissant finalement comme lumineux pour paraphraser Mao Zedong. Comme il est dit à la fin, « Je croyais avoir fait un grand bond en avant, je n’ai fait que les premiers pas d’une longue marche. »

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Politique

Parler de mai 1968 aurait été parler des brutalités policières systématiques

"Désolation au quartier latin"Le traumatisme des affrontements du lundi 6 mai 1968 sont forcément la cause du fait que les médias, pour les 50 ans de mai 1968, ne pouvaient pas en parler librement. Si aujourd’hui une petite ultra-gauche délirante parle de violence policière, cela n’est rien du tout comparé au déchaînement de violence policier de mai 1968.

C’est qu’aujourd’hui le régime est tout sauf en crise, alors qu’à l’époque il vacillait littéralement. Les forces de police étaient mobilisés pour écraser la formation d’une contestation ; quelques centaines d’étudiants proposaient quelque chose d’autre concrètement, une alternative de gauche, révolutionnaire, un changement de mise en perspective, de mentalité.

La rudesse des affrontements du 6 mai reflètent cette confrontation, avec au moins 345 policiers atteints par des projectiles divers, plus de 500 blessés chez les étudiants, et de simples passants tabassés par la police également.

Voici un témoignage montrant bien l’ambiance régnante :

« Nous marchions tranquillement place Saint-Sulpice (déserte) lorsque trente C.R.S. et Brigades spéciales nous ont matraqués et laissés pour morts. »

Si jamais on se demande pourquoi – à tort ou à raison – l’élection de François Mitterrand en 1981 a été autant apprécié à gauche, c’est simplement aussi beaucoup pour cela. Le régime était brutal, très brutal, ne laissant aucun espace.

Parler trop de mai 1968 du côté médiatique ou institutionnel, cela aurait été raconté tout cela…

Voici un autre témoignage du même type :

« Ainsi, vers 21 heures, rue de l’Ancienne-Comédie, j’ai aperçu des forces de police. Un Policier court vers le milieu de la place de Buci et lance une bombe ; je recule à l’angle de la rue Grégoire-de-Tours.

Quelques secondes plus tard, des policiers débouchent dans cette rue et se jettent sur moi : aucun étudiant n’était à ma connaissance dans cette rue. Je hurle que je ne suis qu’une passante. A cinq, ils me jettent par terre et me matraquent. Il en est résulté une fracture du bras gauche, un traumatisme crânien avec plaies ouvertes. »

Ou encore :

« Je passais vers 23 heures place de l’Odéon, le 6 mai, quand un cordon de C.R.S. nous arrêta (nous étions en voiture).

Demandant poliment (quand même) de pouvoir passer pour rentrer chez nous, nous avons reçu pour toute réponse un coup de poing par la portière, puis sans plus d’explications nous fûmes éjectés de la voiture par une dizaine de « vrais enragés », je veux dire les C.R.S. et fûmes alors savamment matraqués ; recevant entre autres des coups de matraques sur le nez, etc.

Bilan de l’affaire : un nez cassé, visage tuméfié, cuir chevelu décollé sans compter les insultes à l’égard de nous-mêmes et des jeunes filles qui nous accompagnaient. »

France Soir donne des indications de cette violence systématique :

« Parmi les blessés, une jeune femme serrant dans ses bras un bébé de trois mois (…) Incommodé par des gaz lacrymogènes à la station Odéon, l’enfant avait été pris de vomissements et avait dû être soigné d’urgence.

mai 1968« A minuit, l’hôpital était complet et il fallut faire appel au stock de couvertures pour compléter tous les lits.

« Pas de blessés graves, explique le chef de service ; mais beaucoup de plaies dues aux coups de matraque et par les pavés, quelques fractures, et surtout beaucoup de jeunes gens aveuglés par les grenades lacrymogènes. Quelques-uns, une dizaine environ, qui avaient perdu connaissance, ont été gardés à l’hôpital en observation.

« II entrait un blessé toutes les deux minutes environ dans la salle où j’étais hospitalisé, raconte X., à sa sortie de l’Hôtel-Dieu. Rien que dans ma salle une quinzaine ont été gardés pour la nuit… »

Les gens furent particulièrement marqués par la violence acharnée de la police. Voici un témoignage :

 « Le lundi 6 mai 1968, à 6 heures de l’après-midi, de l’intérieur d’un magasin situé rue Saint-Jacques j’ai été le témoin horrifié de la brutalité avec laquelle deux policiers se sont acharnés à matraquer un étudiant depuis longtemps déjà hors d’état de se défendre, sur le trottoir d’en face, juste devant le jardin de l’église Saint-Séverin. Quelques minutes après, l’étudiant s’est relevé avec difficulté ; il avait la tête en sang ! »

En voici un autre :

« Une charge de C.R.S. se dirigeait vers des étudiants se trouvant rue Monge et place Maubert. Certains étudiants ont été rattrapés, dont deux qui ont été coincés près d’une porte cochère donnant sur le boulevard Saint-Germain (près station Maubert-Mutualité).

Ces deux jeunes gens se sont fait matraquer par la première charge de C.R.S. Ils sont tombés par terre. Par la suite tous les C.R.S. qui arrivaient leur tapaient dessus alors qu’ils étaient par terre et qu’ils ne bougeaient plus. »

C’est une politique de terreur, visant à briser. Un médecin raconte ce qu’il a vu :

« Avoir été témoin, le 6 mai 1968, vers 18 heures, boulevard Saint-Michel, à quelques mètres de la rue Saint-Séverin, des sauvages matraquages sans raison apparente, et après bousculade délibérée ayant eu pour effet de le jeter à terre, d’un jeune homme par des policiers habillés en toile kaki.

mai 1968Je vaquais à mes occupations dans cette zone alors entièrement libre, les affrontements et barrages étant au boulevard Saint-Germain. Le jeune homme, très chevelu, ne faisait rien de mal.

Il déambulait du côté des numéros impairs. Il s’est mis instinctivement à hâter le pas quand il a vu les susdits policiers, qui n’étaient pas en bleu marine mais d’aspect militaire (et que, pour ma part, je voyais pour la première fois en cette tenue insolite) traverser le boulevard en se portant dans sa direction d’un air menaçant. Ils sortaient d’un car de police qui venait de s’arrêter devant le café qui fait le coin, du côté opposé, de la rue et du boulevard.

Ils l’ont rattrapé, jeté à terre et ensuite lui ont porté des coups de matraque sur le crâne. Ces coups résonnaient de façon épouvantable sur la boîte crânienne.

Leur oeuvre faite, ils ont regagné le car sans s’occuper des réactions des passants, parmi lesquels j’étais et avec qui j’ai contribué à relever la victime qui geignait. Une touffe de ses longs cheveux était détachée. »

Un phénomène connu fut les interventions jusque dans les lieux privés. Ainsi :

« Je vous informe que on mari a été brûlé par l’éclatement d’une grenade, le lundi 6 mai vers 16 heures alors qu’il se trouvait à l’intérieur des locaux de son travail, rue Jean-Beauvais.

Des étudiants pourchassés par la police s’y étaient réfugiés. Actuellement il est toujours hospitalisé. »

Voici comment une concierge raconte comment elle s’est prise une grenade lacrymogène :

« Lundi 6 mai environ 20 h 30 – 21 heures. J’étais allée fermer la porte d’entrée. Dans le couloir il y avait un groupe de gens parmi lesquels cinq ou six locataires de l’immeuble. J’ai reçu comme un bloc de glace sur la tête, la tête s’est mise à me brûler, j’ai senti un liquide couler sur tout mon corps et une sensation d’étouffement. J’avais très mal surtout au visage, principalement aux yeux.

Le couloir s’est rempli d’une odeur épouvantable et l’évaporation du liquide remplissait l’air. Mon mari et les gens qui étaient dans le couloir pleuraient. Quelques personnes, parmi lesquelles ces locataires de la maison ont eu aussi des petites brûlures, trois locataires. »

C’est que la violence policière devait frapper vite, fort et à tout prix. Un étudiant non manifestant vit la scène suivante du haut de son balcon rue Monsieur-le-Prince :

« Le lundi 6 mai, les violences ont redoublé, nous étions suffoqués et aveuglés par les gaz lacrymogènes que la police lançait sur les manifestants et dans les vitrines.

Forces de l'ordreCe jour-là un enfant de douze ans environ qui revenait de l’école avec son cartable a été bousculé et renversé par les C.R.S. qui l’ont laissé sur place sans prendre la peine de voir s’il était blessé.

Lorsqu’un C.R.S. parvenait à s’emparer d’un manifestant, aussitôt cinq ou six autres policiers au moins venaient à la rescousse pour, s’acharner sur leur victime qu’ils laissaient ensuite au milieu de la rue dans un état plus ou moins grave.

Entre 19 heures et 19 h 30, des manifestants et des passants poursuivis par la police ont essayé de se réfugier sous le porche du 63 du boulevard Saint-Michel. La porte ne s’est pas ouverte assez vite, les C.R.S. sont arrivés, deux jeunes filles matraquées sont tombées à terre et ont été blessées.

Mais les plus gravement atteints ont été deux étudiants qui, assommés et roués de coups, ont été emmenés sans connaissance quelques instants plus tard par une ambulance. »

Parler de mai 1968 cinquante ans après aurait été parler des brutalités policières systématiques. Cela aurait été remettre en cause la cinquième République, la nature du régime. Comme la Gauche a capitulé à ce sujet, malheureusement, le patrimoine de mai 1968 n’est pas correctement défendu.

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Jeunesse Communiste Révolutionnaire : « Aujourd’hui »

A partir de la fin du mois de mai 1968 et jusque la mi-juin, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire a produit un bulletin pratiquement quotidien : aujourd’hui.

Voici les bulletins regroupés au sein d’un fichier au format pdf.

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Le retour de de Gaulle le 30 mai 1968

La dernière semaine de mai 1968 est marquée par le retour en force du régime. En une semaine, tout est retourné, au point que même si les accords de Grenelle ne sont pas signés en raison de la protestation d’une part significative de la base populaire, les CRS et la police peuvent reprendre le contrôle de l’ensemble.

Voici comment cela s’est déroulé. Le 24 mai, de Gaulle annonçait, sans aucun impact, un référendum sur la participation. Il essayait en effet de s’en sortir de manière technocratique, cherchant en quelque sorte à profiter de l’impulsion de mai 1968 pour moderniser le régime né du coup d’Etat de 1958.

Il n’avait pas saisi à quel point tout avait vacillé.

En voici le texte.

Tout le monde comprend, évidemment, quelle est la portée des actuels évènements, universitaires, puis sociaux. On y voit tous les signes qui démontrent la nécessité d’une mutation de notre société. Mutation qui doit comporter la participation plus effective de chacun à la marche et au résultat de l’activité qui le concerne directement.

Certes, dans la situation bouleversée d’aujourd’hui, le premier devoir de l’Etat, c’est d’assurer en dépit de tout, la vie élémentaire du pays, ainsi que l’ordre public. Il le fait. C’est aussi d’aider à la remise en marche, en prenant les contacts qui pourraient la faciliter.

Il y est prêt. Voilà pour l’immédiat. Mais ensuite, il y a sans nul doute des structures à modifier. Autrement dit : il y a à réformer.

Car dans l’immense transformation politique, économique, sociale, que la France accomplit en notre temps, si beaucoup d’obstacles, intérieur et extérieur, ont déjà été franchis, d’autres s’opposent encore au progrès. De là, les troubles profonds. Avant tout dans la jeunesse qui est soucieuse de son propre rôle, et que l’avenir inquiète trop souvent.

C’est pourquoi, la crise de l’université, crise provoquée par l’impuissance de ce grand corps, à s’adapter aux nécessités modernes de la Nation, ainsi qu’au rôle et à l’emploi des jeunes, a déclenché dans beaucoup d’autres milieux, une marée de désordre, d’abandon ou d’arrêt du travail. Il en résulte que notre pays est au bord de la paralysie.

Devant nous-mêmes, et devant le monde, nous, Français, devons régler un problème essentiel que nous pose notre époque. A moins que nous nous roulions à travers la guerre civile, aux aventures et aux usurpations les plus odieuses et les plus ruineuses.

Depuis bientôt 30 ans, les évènements m’ont imposé en plusieurs graves occasions, le devoir d’amener notre pays à assumer son propre destin, afin d’empêcher que certains ne s’en chargent malgré lui. J’y suis prêt, cette fois encore. Mais cette fois encore, cette fois surtout, j’ai besoin.

Oui, j’ai besoin que le peuple français dise qu’il le veut. Or, notre Constitution prévoit justement par quelle voie il peut le faire. C’est la voie la plus directe et la plus démocratique possible, celle du référendum.

Compte tenue de la situation tout à fait exceptionnelle où nous sommes, et sur la proposition du gouvernement, j’ai décidé de soumettre au suffrage de la Nation, un projet de loi, par lequel je lui demande de donner à l’Etat, et d’abord à son chef, un mandat pour la rénovation. Reconstruire l’université, en fonction, non pas de ses habitudes séculaires, mais des besoins réels de l’évolution du pays, et des débouchés effectifs de la jeunesse étudiante dans la société moderne.

Adapter notre économie, non pas aux catégories diverses, des intérêts, des intérêts particuliers, mais aux nécessités nationales et internationales, en améliorant les conditions de vie et de travail du personnel, des services publics et des entreprises, en organisant sa participation aux responsabilités professionnelles, en étendant la formation des jeunes, en assurant leur emploi, en mettant en oeuvre les activités industrielles et agricoles dans le cadre de nos régions. Tel est le but que la Nation doit se fixer elle-même.

Françaises, français, au mois de juin, vous vous prononcerez par un vote. Au cas où votre réponse serait non, il va de soi que je n’assumerai pas plus longtemps ma fonction. Si par un oui massif, vous m’exprimez votre confiance, j’entreprendrais avec les pouvoirs publics, et je l’espère, le concours de tous ceux qui veulent servir l’intérêt commun, de faire changer partout où il le faut, les structures étroites et périmées, et ouvrir plus largement la route au sang nouveau de la France. Vive la République, vive la France !

Comprenant la gravité de la situation pour le régime, Charles de Gaulle laissa Georges Pompidou organiser les accords de Grenelle. Puis le 29 mai, il ajourne le conseil des ministres pour aller voir le général Massu à à Baden-Baden en Allemagne, où il y avait une base militaire française.

Assuré du soutien de l’armée, il revient dans la journée et tient alors une allocution à la radio, dont voici le texte. De Gaulle tint le discours à 16h30, pour appuyer le rassemblement de la droite organisé pour 18h à Paris, qui va rassembler entre 300 000 et un million de personnes, selon les sources.

Il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale, et de nouvelles élections.

« Françaises, Français, Étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j’ai envisagé, depuis vingt-quatre heures, toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir. J’ai pris mes résolutions.

Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J’ai un mandat du peuple, je le remplirai.

Je ne changerai pas le Premier ministre dont la valeur, la solidité, la capacité, méritent l’hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du Gouvernement.

Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale.

J’ai proposé au pays un référendum qui donnait aux citoyens l’occasion de prescrire une réforme profonde de notre économie et de notre Université et, en même temps, de dire s’ils me gardaient leur confiance, ou non, par la seule voie acceptable, celle de la démocratie. Je constate que la situation actuelle empêche matériellement qu’il y soit procédé.

C’est pourquoi j’en diffère la date.

Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout entier en l’empêchant de s’exprimer, en même temps qu’on l’empêche de vivre, par les mêmes moyens qu’on empêche les étudiants d’étudier, les enseignants d’enseigner, les travailleurs de travailler.

Ces moyens, ce sont l’intimidation, l’intoxication et la tyrannie exercées par des groupes de longue main en conséquence, et par un parti qui est une entreprise totalitaire, même s’il a déjà des rivaux à cet égard.

Si donc cette situation de force se maintient, je devrai pour maintenir la République, prendre, conformément à la Constitution, d’autres voies que le scrutin immédiat du peuple. En tout cas, partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civique.

Cela doit se faire pour aider le Gouvernement d’abord puis, localement, les préfets devenus ou redevenus Commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer autant que possible l’existence de la population et à empêcher la subversion à tout moment et en tous lieux.

La France, en effet, est menacée de dictature.

On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s’imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait évidemment et essentiellement celui du vainqueur, c’est-à-dire celui du communisme totalitaire.

Naturellement, on le colorerait, pour commencer, d’une apparence trompeuse en utilisant l’ambition et la haine de politiciens au rancart. Après quoi, ces personnages ne pèseraient plus que leur poids qui ne serait pas lourd.

Eh bien ! Non ! La République n’abdiquera pas. Le peuple se ressaisira. Le progrès, l’indépendance et la paix l’emporteront avec la liberté. Vive la République ! Vive la France ! »

Aux  élections législatives françaises de 1968, les 23 et 30 juin 1968, c’est le raz-de-marée de la droite.

Le régime avait triomphé en s’appuyant sur la France profonde et en intégrant les syndicats. Mai 1968 avait échoué.

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Mai 1968 : de la grève générale aux accords de Grenelle par les syndicats

Le même jour que le meeting de Charléty, le régime sauvait sa tête au moyen des accords de Grenelle. Face à l’agitation « gauchiste » et à la seconde gauche, tant le PCF que le gouvernement et le patronat se retrouvaient être des alliés objectifs.

C’est que depuis le 13 mai, il y a une grève générale, qui finit par toucher huit millions de personnes, soit la moitié des salariés. On est à un point où tout peut changer : les mentalités, les conceptions politiques, les pratiques, les valeurs culturelles.

Le patronat préférait la stabilité, le gouvernement ne pas se faire déborder, le PCF conservait sa position relativement forte, satisfaisant tout à fait l’URSS : l’idée de changement, de socialisme, de révolution, etc. avait disparu.

C’est pourquoi la CGT mit tout son poids pour trouver un accord. Le 25 mai, le premier ministre Georges Pompidou organise une première discussion entre gouvernement, patronat et syndicats.

Les 25 heures de discussion aboutissent le 27 mai aux accords dits de Grenelle, car signés rue de Grenelle au ministère des affaires sociales. Ils ne seront pas signés, ce qui n’empêchera pas le régime de revenir en force quelques jours après.

La contestation de mai 1968 allait bien plus loin, en effet, que la question sociale ou économique. Mais il s’agissait pour le PCF, avec la CGT, d’empêcher une nouvelle situation à tout prix. Le régime intégrait donc ouvertement la CGT, en échange cette dernière venait s’intégrer au dispositif de la cinquième république.

En stoppant toute participation à la contestation par ailleurs rejetée au départ, la CGT permettait au régime de se réaffirmer trois jours après. En fait, la CGT s’est faite entièrement acheté fin mai 1968.

Le point central du dispositif fut la mise en place d’une section syndicale d’entreprise et du délégué syndical dans les entreprises de 50 salariés et plus. C’était là un cadeau en or pour la CGT.

Et ce cadeau fut donné par la droite gaulliste qui triompha entièrement lors des élections de juin 1968, au moyen de la loi du 27 décembre 68.

C’est un compromis historique, en quelque sorte.

Cela avait évidemment un coût pour satisfaire la base : les accords de Grenelle accordent 35 % d’augmentation au salaire minimum, 10 % d’augmentation des salaires, le temps de travail devant passer à 40 heures (et 48 au maximum au lieu de 50 heures).

Mais ce qui comptait surtout, c’était la mobilisation des syndicats de manière franche dans un sens institutionnel. Et cela marcha, puisque les syndicats participèrent entièrement aux différents projets étatiques, de manière décisive, pour cinquante ans.

Voici le document des accords de Grenelle.

Le « Constat » ou les « Accords » de Grenelle Projet de protocole d’accord

Des réunions tenues les 25,26 et 27 mai au Ministère des Affaires sociales sous la présidence du Premier Ministre (Ce texte ne sera pas signé)

Les organisations professionnelles et syndicales, Confédération Générale du Travail, confédération Générale du Travail Force Ouvrière, Confédération Française Démocratique du Travail, Confédération Française des Travailleurs Chrétiens, Confédération Générale des Cadres, Fédération de l’Education Nationale, Confédération Nationale des Petites et Moyennes Entreprises, Conseil Nationale du Patronat Français se sont réunies sous la présidence du Premier Ministre, en présence du ministre des Affaires sociales et du secrétaire d’Etat aux Affaires sociales chargé des problèmes de l’emploi les 25, 26 et 27 mai 1968.

1. Taux horaires du SMIG Le taux horaires du SMIG sera porté à 3 francs au 1er juin 1968.

Le salaire minimum garanti applicable à l’agriculture ne sera fixé qu’après consultation des organisations professionnelles et syndicales d’exploitants et de salariés agricoles et des confédérations syndicales nationales.

Il a été précisé que la majoration du salaire minimum garanti n’entraînerait aucun effet automatique sur les dispositions réglementaires ou contractuelles qui s’y réfèrent actuellement. Le problème posé par ces répercussions fera l’objet d’un examen ultérieur.

La question des abattements opérés en raison de l’âge et applicables aux jeunes travailleurs fera l’objet de discussions conventionnelles.

Le Gouvernement a, par ailleurs, fait connaître son intention de supprimer complètement les zones d’abattement applicables au SMIG.

2. Evolution des rémunérations des secteurs publics et nationalisés Les discussions relatives aux salaires des entreprises nationalisées se sont ouvertes dans l’après-midi du 26 mai, secteur par secteur, et sous la présidence des ministres de tutelle compétents ; la modification des procédures de discussion sera examinée ultérieurement.

En ce qui concerne les traitements des fonctionnaires, une réunion a été organisée le 26 mai après-midi à la Direction de la Fonction Publique pour préparer celle à laquelle participeront le 28 mai à 15 heures, sous la présidence du Premier ministre, les organisations syndicales intéressées.

3. Salaire du secteur privé Les salaires réels seront augmentés au 1er juin 1968 de 7%, ce pourcentage comprenant les hausses déjà intervenues depuis le 1er janvier 1968 inclusivement. Cette augmentation sera portée de 7 à 10% à compter du 1er octobre 1968.

4. Réduction de la durée du travail Le CNPF et les confédérations syndicales ont décidé de conclure un accord-cadre dont le but est de mettre en œuvre une politique de réduction progressive de la durée hebdomadaire du travail en vue d’aboutir à la semaine des 40 heures. Elles considèrent également comme souhaitable que la durée maximum légale soit progressivement abaissée.

Cette réduction progressive sera déterminée dans chaque branche d’industrie par voie d’accord national contractuel définissant les modalités et les taux de réduction d’horaires et de compensations de ressources.

En tout état de cause, et comme mesure d’ordre général, une réduction de 2 heures des horaires hebdomadaires supérieures à 48 heures et une réduction d’une heure des horaires hebdomadaires compris entre 45 et 48 heures interviendra avant le terme du Vème Plan. Une première mesure dans ce sens prendra effet en 1968.

Le principe de mesures appropriées à la situation particulière des cadres est également retenu.

Dans le secteur nationalisé le principe d’une réduction progressive de la durée du travail est admis par le Premier ministre, les discussions devant être menées au sein de chaque entreprise pour en déterminer le montant et les modalités, celles-ci pouvant prendre d’autres formes que la réduction de la durée hebdomadaire du travail.

En ce qui concerne la Fonction publique, les discussions qui auront lieu le mardi 28 mai sous la présidence du Premier ministre, comporteront l’examen du problème, compte tenu des caractères particuliers des différents services.

Le problème d’un assouplissement de l’âge de la retraite, en particulier dans la cas de privation d’emploi et d’inaptitude au travail, a été posé par plusieurs syndicats. Le CNPF a accepté l’examen de la question ainsi posée.

5. Révision des conventions collectives

1° Les représentants des employeurs se sont engagés à réunir dès la fin de la présente négociation les commissions paritaires pour :

– la mise à jour des conventions collectives en fonction des résultats de la présente négociation ;

– la révision des barèmes de salaire minima afin de les rapprocher des salaires réels ;

– la réduction de la part des primes dans les rémunérations par leur intégration dans les salaires ;

– l’étude de la suppression des discriminations d’âge et de sexe ;

– la révision des classifications professionnelles et leur simplification.

2° Les organisations de salariés et d’employeurs se réuniront à bref délai pour déterminer les structures des branches et des secteurs en vue d’assurer l’application de l’accord-cadre sur la durée du travail.

3° Le Gouvernement s’engage à réunir aussitôt après la fin de la présente négociation la commission supérieure des Conventions collectives en vue d’examiner les conditions d’application de l’ordonnance du 27 septembre 1967 concernant le champ d’extension géographique des conventions collectives et de procéder à une étude approfondie du champ d’application des conventions collectives.

6. Emploi et formation Le CNPF et les confédérations syndicales ont décidé de se réunir avant le 1er octobre en vue de rechercher un accord en matière de sécurité de l’emploi et portant notamment sur :

– les mesures de nature à assurer les reclassements nécessaires en particulier en cas de fusion et de concentration d’entreprises ;

– l’institution de commissions paritaires de l’emploi par branches professionnelles et les missions qu’il convient de donner à ces commissions devant fonctionner en principe au niveau national et le cas échéant aux niveaux territoriaux. Ils ont convenu également d’étudier les moyens permettant d’assurer, avec le concours de l’Etat, la formation et le perfectionnement professionnels.

En ce qui concerne les cadres il a été convenu que la recherche d’un accord particulier sera menée par le CNPF et les organisations syndicales.

Le Secrétaire d’Etat à l’Emploi suivra les travaux des réunions prévues et mettra à la disposition des participants l’ensemble des documents nécessaires. Par ailleurs, le Premier ministre s’engage :

– à développer les crédits affectés aux services de l’emploi ;

– à mettre en place de manière prioritaire les moyens d’un développement d’une formation adaptée des jeunes.

7. Droit syndical Le document annexé ci-après, relatif à l’exercice du droit syndical dans les entreprises, sera examiné au cours de réunions avec les organisations professionnelles et syndicales, en présence du ministre des Affaires sociales, en vue d’éliminer les points de désaccord qui subsistent. Sur la base dudit document, éventuellement amendé, le Gouvernement élaborera un projet de loi relatif à l’exercice du droit syndical dans les entreprises.

Le Gouvernement, favorable à la liberté d’exercice de ce droit, entend que ce projet en règle concrètement les modalités. Il est prêt à favoriser, pour sa part, dans le même esprit, le libre exercice du droit syndical dans les entreprises publiques et la Fonction publique, sous réserve d’apporter au projet de loi les précisions et les compléments permettant son adaptation aux nécessités de ces services.

ANNEXE Droit syndical dans l’entreprise

1° La garantie de la liberté collective de constitution de syndicats ou de sections syndicales dans l’entreprise à partir des organisations syndicales représentatives à l’échelon national (les organisations syndicales demandent protection spéciale ; le CNPF estime que le droit commun suffit).

2° la protection des délégués syndicaux sera assurée dans des conditions analogues à celle des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise.

3° Les prérogatives de l’organisation syndicale dans l’entreprise et des délégués syndicaux : ses missions sont celles du syndicat dans l’organisation sociale, notamment la discussion et la conclusion d’avenant d’entreprise (addition proposée par les syndicats : et le droit de déterminer par accord les règles concernant la structure et le montant des salaires, primes et gratifications).

4° Des moyens d’expression de l’organisation syndicale et des délégués syndicaux :

a. Collecte des cotisations à l’intérieur de l’entreprise (pendant le temps de travail – syndicats) ;

b. Liberté de diffusion de la presse syndicale et des tracts syndicaux dans l’entreprise ;

c. Libre affichage des communications syndicales dans des conditions permettant une information effective des travailleurs, avec communication simultanée à la direction (réserve de la CFDT et de la CGT sur les mots soulignés).

d. Mise à la disposition des organisations syndicales d’un local approprié ;

e. Réunion : – un crédit est attribué :

o aux délégués syndicaux (CNPF),

o aux sections syndicales d’entreprise, pour répartition aux délégués syndicaux (syndicats) ;

– droit de réunir les adhérents de la section syndicale une fois par mois (pendant le temps de travail : syndicats ; en dehors des heures de travail : CNPF) ;

– droit de réunir tous les membres du personnel de l’entreprise à des assemblées générales du personnel, ce droit doit s’exercer pendant les heures de travail, une fois par mois (syndicats). 5° Bénéfice du congé éducation payé pour les délégués syndicaux (demande d’examen plus approfondi par CNPF). 6° Interdiction, en cas d’exercice du droit de grève, de tout abattement sur un élément quelconque de rémunération : prime, gratification ou autre avantage au-delà du prorata directe du temps d’absence (syndicats).

8. Sécurité sociale

Le Premier ministre a pris l’engagement d’accepter qu’un débat de ratification des ordonnances relatives à la Sécurité sociale ait lieu avant la fin de la session parlementaire en cours. Par ailleurs, il a décidé de ramener le ticket modérateur applicable aux dépenses médicales de visite et de consultation de 30 à 25%.

Le Gouvernement ne s’opposera pas à une initiative tendant à ce qu’il soit fait référence dans un texte de loi au décret du 29 août 1962 relatif aux règles d’évolution du plafond de cotisation. Le Premier ministre déclare qu’il n’est pas dans ses intentions d’augmenter le nombre de points de cotisations de Sécurité sociale portant sur la totalité des rémunérations.

Le Premier ministre a également indiqué que l’intervention des textes d’application des dispositions législatives réglementant d’une part le versement direct des prestations à des tiers et la participation obligatoirement laissée à la charge de l’assuré était suspendue, compte tenue des discussions en cours entre la Caisse nationale d’assurance-maladie et la Fédération française de la Mutualité. Le Gouvernement souhaite qu’un accord de ces deux organisations règle conventionnellement leurs rapports et rende inutile les dispositions envisagées.

9. Allocations familiales Le Gouvernement étudie un projet d’aménagement des allocations familiales en faveur des familles de trois enfants au moins et prévoyant la réforme des allocations de salaire unique et de la mère au foyer Ces textes seront mis au point à l’occasion de l’établissement du prochain budget.

10. Mesures en faveur de la vieillesse Le Gouvernement augmentera au 1er octobre prochain l’allocation minimum versée aux personnes âgées et aux grands infirmes.

11. Fiscalité Le projet de réforme de l’impôt sur le revenu, qui sera déposé à l’automne par le Gouvernement, contiendra des dispositions tendant à alléger les conditions d’imposition des revenus salariaux. Les principes de la réforme feront l’objet d’une consultation du Conseil économique et sociale, qui permettra aux représentants des organisations syndicales et professionnelles d’exprimer leurs vues avant le dépôt du projet.

Ces organisations seront à nouveau consultées par le Gouvernement sur l’avis rendu par le Conseil économique et social. Il ne sera pas proposé d’assujettir les salariés au régime de la retenue à la source.

12. Le Gouvernement réunira, au mois de mars 1969, les représentants des organisations professionnelles et syndicales, afin d’examiner avec eux, dans le cadre de l’évolution 6 économique et financière générale, l’évolution du pouvoir d’achat des salariés au cours de l’année 1968.

13. Le CNPF a demandé au Gouvernement qu’à compter du 1er juillet 1968, les entreprises françaises , ne soient pas assujetties, en ce qui concerne la détermination de leurs prix, à des contraintes plus strictes que les entreprises concurrentes établies dans les autres pays du Marché commun.

14. Journées de grève Les journées d’arrêt de travail seront en principe récupérées. Une avance de 50% de leur salaire sera versée aux salariés ayant subi une perte de salaire. Cette avance sera remboursée par imputation sur ses heures de récupération. Dans le cas où la récupération n’aurait pas été matériellement possible avant le 31 décembre 1968, l’avance ou son solde sera définitivement acquise au salarié. Ces mesures trouveront leurs répercussions dans le secteur nationalisé et la Fonction publique.