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La photographie : accessible mais pour quoi faire

La photographie s’est incroyablement démocratisée ces dernières années, notamment depuis l’arrivée de la photographie numérique et l’avènement des smartphones dans le milieu de la décennie 2000-2010.

Cette démocratisation est bien entendu le fruit du développement des forces productives, si bien qu’aujourd’hui il y a une saturation de photographies, de par la facilité de l’acte de la prise de vue.

C’est évidemment une bonne chose , tout le monde est capable de prendre une photo aujourd’hui, de la partager, de l’imprimer si besoin, en bref de la diffuser. Mais cette démocratisation s’accompagne également d’une perte en exigence artistique, la quantité de photographes potentiels noyant la qualité photographique, si bien que la plupart des oeuvres d’arts photographiques se ressemblent. 

Le fameux selfie, exemple type du fétichisme photographique

En fait, plus que de la saturation de potentiels photographes, c’est la saturation de potentiels photographies qui est le principal problème, car alors le sujet de cette photographie est résolument tourné vers l’individu.

Instagram est l’exemple parfait de cela ; d’une part le réseau social a accompagné le processus de démocratisation de la photographie, permettant à tout un chacun de partager ses oeuvres photographiques, d’autre part et dans une seconde phase il a tourné la photographie vers le subjectivisme, où le « moi je » devient sujet principal de la photographie. On se met en scène dans une « story », on partage des photos de soi, etc. Le petit moi égocentré serait l’être supérieur et le sujet artistique principal, même le seul possible.

Instagram est ici l’anti-Tumblr : avant son effondrement, Tumblr permettait d’établir une page où l’on reprenait des photos qui nous plaisaient. Il y avait une dimension personnelle et prolongée, on présentait son profil culturel. Instagram ne permet que la mise en avant d’images individualisées prises par soi-même sur le tas ou de manière artificielle.

C’est quoi ton insta ?

Bien évidemment Instagram n’est pas le seul réseau social où le « moi » photographié constitue l’être suprême du sujet ; on peut également citer le réseau « bereal » (être-réel) qui invite ses utilisateurs  à partager une photo d’eux et de l’action qu’ils sont en train de faire, à un moment précis de la journée. C’est à dire que l’ensemble des utilisateurs reçoivent une notification les invitant à prendre une photo de l’instant présent pour « être réel » ; en somme de l’auto-voyeurisme diffusé à son cercle de proches.

Pour les bobos du média Vice, Bereal est très bien car une sorte d’anti-Instagram en raison de l’absence de mise en scène

Instagram, Bereal ou quoi que ce soit d’autre, de toutes façons les fondements sont les mêmes. On peut qualifier la démarche photographique actuelle de libérale-subjective, et elle constitue la majeure partie de la photographie publiée en ligne, ou des photos « souvenirs » prises par les gens.

Car quoi qu’on en pense, même la photographie publiée de manière calculée sur Instagram n’est que le prolongement de la photographie spontanée prise par quelqu’un en 1980 au moyen d’un appareil photo jetable. C’est juste l’angle d’attaque qui change : à cinquante ans on prenait une photo souvenir d’une fête de famille, désormais à vingt ans on prend une photo de soi-même pour s’illustrer en ligne. Mais le côté particulier, « unique », l’emporte de toutes façons.

Il manque la connexion à l’universel, à ce qui dépasse le particulier, à ce qui a un côté vrai. Autrement dit, les gens se précipitent dans la quantité de photographies qu’ils ne regarderont souvent même pas…

On vit quelque chose de fort ? On photographie, pour s’en « souvenir »… alors que c’est de toutes façons gravé en nous.

Les gens ont fait un fétiche du côté instantané ; en réalité, il faut sortir bien plus rarement l’appareil pour photographier, mais au bon moment.

Nicolaï Matorin, Le rythme du travail, 1960

Il faut moins, beaucoup moins mais mieux. Il ne faut ni la photographie d’un réalité fausse, artificielle, ni la complaisance avec le réel individuel. Il y a besoin de mêler ce qui est personnel et collectif, ce qui est à soi et ce qui est au monde. Chacun doit agir en artiste, dans son rapport à la photographie !

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La signification historique d’Utopia de Travis Scott

Le 28 juillet 2023, l’artiste américain Travis Scott a sorti son album Utopia, un marqueur très important dans le domaine de la musique et sur le plan historique.

Comme on le sait en effet, les forces productives se sont particulièrement développées depuis 1990, avec notamment l’accessibilité de la technologie et de l’informatique. Si auparavant il était particulièrement ardu de se procurer du matériel avancé dans le domaine musical, tout s’est ainsi renversé et deux artistes ont émergé dans le premier quart du 21e siècle : Kanye West et Travis Scott.

On parle ici de deux artistes issus du rap, mais transcendant totalement le genre, au moyen d’une connaissance extrêmement pointue du son, et d’ouvertures aux genres musicaux soul, psychédélique, electronica, rock, trap, trip hop, r’n’b, electro, industriel, etc.

Kanye West et Travis Scott ont une immense oreille musicale, un talent énorme pour agencer les sons de manière expansive, une culture musicale phénoménale dans laquelle ils puisent pour partir dans de nombreuses directions en même temps.

Autrement dit, ce sont les purs produits des immenses possibilités offertes par le développement des forces productives. On peut écouter une quantité gigantesque de musiques variées à l’infini, on peut utiliser du matériel pour tout mélanger comme on le veut, notamment avec les samples, pour donner naissance à du son, un phénomène typique du premier quart du 21e siècle.

Ces deux artistes ont la particularité également d’être totalement égocentriques. Kanye West est passé d’un rapport farfelu à Jésus à une sorte d’antisémitisme délirant, en étalant sa vie privée par tous les moyens. Alors que Travis Scott joue les mystérieux en passant inaperçu au possible sur le plan personnel, tout en réalisant des opérations marketing hyper ciblés (jeu Fortnite, McDonald’s, Nike, abandon de ses chaussures à un fan lors d’un concert, etc.).

L’album de Travis Scott était ainsi grandement attendu, cinq années après le dernier. La barre était très haut et il était considéré que Travis Scott allait encore passer un cap.

En réalité, l’album a été survendu par l’artiste, qui devait faire un concert (finalement annulé) devant les pyramides de Gizeh pour l’introduire, et a sorti un petit film dans une centaine de salles aux Etats-Unis en parallèle.

Le résultat est en effet correct, sans plus. L’album Utopia n’apporte rien du tout et fait irrémédiablement penser à l’album Yeezus de Kanye West sorti en 2013. C’est là où cela devient extrêmement intéressant et où la question de l’intelligence artificielle apparaît de la manière la plus crue.

Pour tout comprendre, il faut regarder la chose suivante. Il s’agit de chansons de l’album Utopia ; la première colonne indique le titre, la deuxième les compositeurs, la troisième les producteurs.

Comme on le voit, il y a plein de compositeurs et de producteurs!

Modern JamWebster (c’est-à-dire-Travis Scott), Aaron Thomas, Guy-Manuel de Homem-Christo, DeanTravis Scott, Guy-Manuel de Homem-Christo, Dean
My EyesWebster, Justin Vernon, Sampha Sisay, Wesley Glass, Josiah Sherman, Joseph Thornalley, Oshunrinde, DuaTravis Scott, Vernon, Wheezy, Buddy Ross, Vegyn, WondaGurl
God’s CountryWebster, West, Samuel Gloade, Dylan Cleary-KrellTravis Scott, 30 Roc, Dez Wright
SirensWebster, Jahaan Sweet, Keith Kabwe, Isaac Mpofu, John Fannon, Goldstein, ShermanTravis Scott, Goldstein, Ross, WondaGurl, E*vax
MeltdownWebster, Aubrey Graham, Matthew Samuels, Anderson Hernandez, Nick Kobe Cobey, Brytavious Chambers, Benjamin Saint-Fort, Scotty ColemanBoi-1da, Vinylz, Tay Keith, BNYX, Coleman, Skeleton Cartier

C’est en fait la règle pour le « son » qui a émergé dans le premier quart du 21e siècle. Voici la même chose pour des chansons de l’album Astroworld de Travis Scott.

StargazingJacques Webster II, Sonny Uwaezuoke, Brandon Korn, Brandon Whitfield, Samuel Gloade, Cydel Young, Jamie Lepe, Michael Dean, Lamont PorterSonny Digital, B Wheezy, Bkorn, 30 Roc, Travis Scott, Mike Dean, Allen Ritter,
CarouselWebster, Christopher Breaux (c’est-à-dire Frank Ocean), Chauncey Hollis, Rick Rubin, Adam Horovitz, Adam Yauch, Michael DiamondHit-Boy, Rogét Chahayed, Dean,
Sicko ModeWebster Aubrey Graham, Khalif Brown, John Hawkins, Hollis, Ozan Yildirim, Brytavious Chambers, Tim Gomringer, Kevin Gomringer, Chahayed, Young, Mirsad Dervić, Dean, Luther Campbell, Harry Wayne Casey, Richard Finch, Christopher Wallace, Osten Harvey, Bryan Higgins, Trevor Smith, James Jackson, Malik Taylor, Keith Elam, Chris E. Martin, Kamaal Fareed, Ali Jones-Muhammad, Tyrone Taylor, Fred Scruggs, Kirk Jones, Chylow ParkerHit-Boy, Oz, Tay Keith, Cubeatz, Chahayed, Dean

Regardons du côté de Kany West avec son album Yeezus. On remarquera la présence des membres du groupe Daft punk (on en retrouve un chez Travis Scott).

On SightKanye West, Guy-Manuel de Homem-Christo, Thomas Bangalter, Malik Jones, Che Smith, Elon Rutberg, Cydel Young, Derek Watkins, Mike DeanWest, Daft Punk, Dean, Benji B
Black SkinheadWest, de Homem-Christo, Bangalter, Jones, Young, Rutberg, Wasalu Jaco, Sakiya Sandifer, Dean, WatkinsWest Daft Punk, Gesaffelstein, Brodinski, Dean, Lupe Fiasco, Jack Donoghue, Noah Goldstein
I Am a GodWest, de Homem-Christo, Bangalter, Ross Birchard, Justin Vernon, Jones, Smith, Rutberg, Young, Dean, Watkins, Clifton Bailey, Harvel Hart, Anand Bakshi, Rahul BurmanWest, Dean, Daft Punk, Hudson Mohawke

Voici encore la même chose pour Kanye West, pour My beautiful dark twisted fantasy, de 2010.

All of the LightsWest, Bhasker, Mescudi, Jones, Warren Trotter, Stacy FergusonWest, Bhasker,
Monster (featuring Jay-Z, Rick Ross, Nicki Minaj and Bon Iver)West, Shawn Carter, Patrick Reynolds, M. Dean, William Roberts II, Maraj, Vernon, Jones, Ben Bronfman, Daniel Lynas, Harley WertheimerWest, M. Dean, Plain Pat
So Appalled (featuring Swizz Beatz, Jay-Z, Pusha T, Cyhi the Prynce and RZA)West, Wilson, M. Dean, Carter, Terrence Thornton, Cydel Young, Kasseem Dean, Diggs, Manfred MannWest, No I.D., M. Dean
Devil in a New Dress (featuring Rick Ross)West, Roosevelt Harrell, M. Dean, Roberts II, Jones, Carole King, Gerry GoffinBink, M. Dean

On s’aperçoit que ces « sons » ont besoin d’une armada de compositeurs et de producteurs. Mais pas seulement! La grande particularité de ces « sons » tient aux « featuring ». D’innombrables artistes sont invités à participer à une chanson.

Pour Utopia, Travis Scott a invité au chant : KayCyy, Teezo Touchdown, Bon Iver, Sampha, Drake, Playboi Carti, Sheck Wes, Beyoncé, Rob49, 21 Savage, the Weeknd, Yung Lean, Young Thug, James Blake, Westside Gunn, Kid Cudi, Bad Bunny, Future, SZA. 

A sa sortie, les médias ont tous mentionnés ces « featuring » comme quelque chose d’exceptionnel. C’est en réalité la norme. Pour l’album Rodeo, Travis Scott avait invité Quavo, Future, 2 Chainz, Juicy J, Kacy Hill, The Weeknd, Swae Lee, Chief Keef, Kanye West, Justin Bieber, Young Thug, Toro y Moi, Schoolboy Q.

Pour l’album Astroworld, on avait notamment Frank Ocean, Drake, Swae Lee, Kid Cudi, James Blake, Philip Bailey, Juice Wrld, Sheck Wes, the Weeknd, 21 Savage, Gunna, Nav, Don Toliver, Quavo, Takeoff.

Ces featuring ont la même fonction que les repostages de publication sur les réseaux sociaux. C’est un faux mélange, une valorisation rassurante artificielle, visant à « coincer » les masses dans une direction.

Autrement dit, la dimension créative, productive de ces « sons » disparaît pour s’effacer devant une industrie du son au kilomètre.

C’est en ce sens que l’album Utopia, de par son échec, termine un cycle. Il termine la période qui a duré une vingtaine d’années où il y a eu une appropriation massive de la culture musicale, pour un mélange. Le mélange a été productif, mais il a eu une dynamique subjectiviste et éclectique, aboutissant à un cul-de-sac.

Et ce qui est flagrant, c’est que c’est très exactement là la méthode de l’intelligence artificielle dans le domaine musical. Le super calculateur mélange ce qu’il y a, suivant des indications subjectivistes (des « clichés » musiciaux). Il ne synthétise pas – il produit des sons, pas de la musique.

Kanye West et Travis Scott sont les meilleurs exemples d’une conséquence mécanique du développement des forces productives – il leur manque la cohérence, la dimension classique, qu’ils n’ont pas et qu’ils cherchent à compenser par l’extravagance baroque.

Cela marche pour des masses fanatisées par la consommation et adorant l’éclectique comme fétichisme du passage d’une chose à une autre. Cela ne fait pas entrer dans l’Histoire.

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Classique ou avants-gardes dans l’art?

« Relativisme, mercantilisme, subjectivisme, individualisme, mépris du travail et nihilisme : telles sont les valeurs véhiculées par l’art contemporain. » Ces propos sont indéniablement justes et sont, mot pour mot, ce qu’on peut lire sur agauche.org depuis longtemps à ce sujet.

L’intérêt de la citation est toutefois qu’il vient du blog des « Jeunes pour la Renaissance Communiste en France », d’un article en trois parties intitulées Classiques ou avant-gardistes, quelles formes pour un art populaire et révolutionnaire au XXIe siècle? (ici, et ). C’est une très bonne chose qu’enfin, il n’y ait pas qu’agauche.org pour combattre l’art contemporain.

Si jusqu’à présent, c’est le cas, c’est pour une raison de classe. L’art contemporain, c’est une forme qui est tout à fait adaptée à la société de consommation. Partant de là, quiconque admet la société de consommation est obligé d’être ouvert à l’art contemporain. Du moment qu’on dit que tout le monde choisit ce qu’il veut comme il veut, alors forcément les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas.

Tout ce qui passe par la tête et on aurait une peinture.

Malheureusement, c’est ce qui pose problème dans l’article mentionné. S’il rejette l’art contemporain, il lui laisse la porte ouverte. Il fait ici une erreur traditionnelle. Se doutant que l’art contemporain va « trop loin », il lui ferme la porte. Pour autant, il accorde tous les droits à tous genres d’art délirant qui s’éloignent du réalisme. Or, tous ces arts mènent directement à l’art contemporain! L’image suivante, excellente, exprime très bien comment, une fois qu’on a rejeté le réel, on passe du côté du subjectivisme le plus fou.

L’article en question dit que tout ce qu’on trouve (ici sur l’image) entre le réalisme du début et le post-moderne à la fin, ce serait bien, ce serait de « l’avant-garde ». Sauf qu’à partir de l’impressionnisme, ce premier art bourgeois, tout mène à l’individualisme de plus en plus étalé. On ne peut pas dire : il existe une tradition artistique et il faut la préserver, même quand on la renouvelle il faut la préserver… et en même temps dire qu’il faut s’éloigner des codes, les rejeter.

Paradoxalement, c’est ce que fait l’article. Il pose une contradiction entre classique et avant-garde, et prétend qu’il serait marxiste d’unifier les deux contraires. L’avant-garde permettrait le renouvellement du classique.

C’est là le contraire du marxisme pourtant : une contradiction est un affrontement des contraires. Tout comme on ne peut pas faire un mix du capitalisme et du socialisme, on ne peut pas mélanger le réel (collectif et personnel) à la fantasmagorie (individuelle). Et d’ailleurs les « avant-gardes » artistiques ont toujours assumé d’entièrement rejeter le classique.

Impression, soleil levant, de Claude Monet, 1872 : le début de la négation du réel par la bourgeoisie

L’article dit qu’il a une preuve. Cette preuve, ce serait l’échec du réalisme socialiste en URSS. On lit ainsi :

« Si celui-ci [le réalisme socialiste] a permis une rationalisation salutaire de la production artistique soviétique, certaines orientations, impulsées notamment par Jdanov, ont pu conduire celui-ci dans les écueils du normativisme et de l’académisme, en fermant la porte à toute forme d’innovation et d’influence étrangère.

Ainsi, faute d’avoir su penser la relation dialectique qui unit le classique et l’avant-garde, le jdanovisme a en partie stérilisé, dans les quelques années qui suivent la Seconde guerre mondiale, la création artistique soviétique. »

Est-ce vrai ? Pas du tout. Voici quelques œuvres soviétiques de l’après-guerre. Car on peut facilement mentionner des œuvres dans différents domaines, comme l’architecture ou la sculpture, la musique ou la danse. Et c’est vrai dans les démocraties populaires de l’Est de l’Europe, par exemple avec le sculpteur hongrois Kisfaludi Strobl ou l’architecture est-allemande.

Tatiana Yablonskaya, Le grain, 1949
Alexander Lakionov, Déménagement dans un nouvel appartement, 1952
L’une des « sept sœurs » construites après la guerre

Mais il ne s’agit pas seulement d’un préjugé sur l’URSS de l’après-guerre. Il s’agit d’une incompréhension de la théorie du reflet, qui expose que l’art est une synthèse artistique de la réalité, et rien d’autre.

L’idée qu’il faudrait chercher quelque chose d’individuel en plus du réel… relève de la bourgeoisie. D’ailleurs, l’article sur les « classiques et les avant-gardistes » ne fait que reprendre la conception de Roger Garaudy. Celui-ci avait parlé d’un « réalisme sans rivage ».

Cela n’a abouti à rien, bien sûr. Mais Roger Garaudy était le grand philosophe français du PCF de l’après-guerre. Lui et l’écrivain Aragon, avec Picasso aussi, ont poussé le PCF à suivre cette voie improductive, qui fut d’ailleurs le premier prétexte à la révolte maoïste chez les étudiants communistes.

Déjà, à l’époque, la petite-bourgeoise artistique tentait de sauver les « avant-gardes ». Là, on a la même chose. Voici ce que dit l’article dans sa tentative d’unir classique et avant-garde:

« La forme classique, c’est celle qu’on emprunte à la tradition, celle qui est codifiée et régulée d’une telle manière qu’elle doit garantir la juste mesure indispensable à la cohérence de l’œuvre, autrement dit de son harmonie (qu’on assimile à la perfection). Elle a vocation à mettre en valeur l’héritage culturel des anciennes générations afin de le transmettre aux nouvelles.

[Faux. Une forme classique n’a pas vocation à mettre en valeur l’héritage culturel, elle est cet héritage culturel.]

A l’inverse, la forme avant-gardiste est précisément celle qui rompt avec la tradition, celle qui s’affranchit des codes et des règles héritées du passé. Elle cherche la beauté non pas dans ce qui est permanent et intemporel (harmonieux), mais au contraire dans ce qui est moderne, éphémère et inconstant, dans ce qui est sujet à la vitesse et au mouvement. Celle-ci se conçoit comme une expérimentation qui vise à dépasser les contradictions de notre héritage culturel face à l’évolution du monde.

[Faux. L’avant-gardisme n’a jamais prétendu rechercher la beauté, mais toujours une « vérité » individuelle. Pour l’avant-gardisme, le « beau » est toujours un obstacle à l’individu s’exprimant dans sa dimension « unique ».]

Maintenant que nous avons clarifié les termes de notre problématique, comment y répondre de la façon la plus juste ? Nous sommes ici face à une contradiction apparemment insoluble. Et lorsqu’on se retrouve confronté à une contradiction, il est un écueil dans lequel on peut très facilement se laisser prendre au piège : celui de l’attitude métaphysique.

En effet, face à une telle contradiction, il peut être tentant d’opérer une opposition dualiste du type « le classique c’est le classique et l’avant-garde c’est l’avant-garde ».

Alors certains jugeront qu’un art populaire et révolutionnaire doit être purement classique car il devrait être le digne représentant de l’héritage culturel de notre patrie et de toute l’humanité, ce qui exclurait d’avance toute fantaisie novatrice qui porterait atteinte à la pureté de cet héritage.

[Faux. L’art n’est pas « populaire et révolutionnaire ». Il est un produit historique.]

D’autres encore jugeront que celui-ci doit être strictement avant-gardiste car il devrait se faire l’écho superstructurel des grands bouleversements de la révolution sociale, ce qui exclurait d’avance toute forme de rationalisation harmonieuse qui entraverait la spontanéité artistique de la révolution.

[Faux. L’avant-gardisme ne prétend pas que l’art doit se faire « l’écho superstructurel », mais que l’art est en soi la révolution.]

Il faut le dire : cette façon de poser le problème est étrangère au marxisme.

[Faux. Le marxisme n’unifie pas les deux aspects de la contradiction.]

Et comme en tout domaine, ce qui nous permettra de résoudre au mieux ce problème, c’est précisément d’adopter une attitude marxiste, c’est-à-dire de penser la contradiction de façon dialectique. En effet, nous verrons d’une part qu’une œuvre ne peut devenir classique sans rompre avec la tradition, et que d’autre part un art d’expérimentation ne peut jouer pleinement son rôle d’avant-garde s’il exclut toute régulation et toute référence à la tradition.

[Faux. Le classique ne rompt avec la tradition, sans quoi il y aurait plusieurs types de classique, ce qui n’a pas de sens. Quant à l’art d’expérimentation, c’est une fantasmagorie petite-bourgeoise.]

Par conséquent, un art populaire et révolutionnaire, dialectique aussi bien quant à la forme et au contenu, ne saurait considérer le classique et l’avant-garde comme deux ennemis irréconciliables.

A l’inverse il ne peut les concevoir autrement que comme deux forces complémentaires qui, combinées intelligemment, forment le moteur de la créativité artistique d’un peuple qui s’éveille à la souveraineté. »

Quelles horreurs on peut dire au moyen de ces concepts absurdes de « dialectique » de la forme et du contenu, du sujet et de l’objet ! Il suffit pourtant de lire les classiques de la gauche historique pour voir qu’il n’est jamais parlé de « forme et de contenu », « de sujet et d’objet ». C’est de l’idéalisme que tout cela.

Le même idéalisme qui a été celui des « avant-gardistes » mexicains, dont la peintre Frida Kahlo. Communistes, ces peintres ont offert de nombreuses œuvres à l’URSS après la guerre. Sauf qu’on était là dans le pseudo « art » avant-gardiste à l’opposé du réalisme socialiste ! L’URSS a dit merci, merci et s’est empressé de mettre les œuvres dans une cave : hors de question d’exposer ça.

Ne nous laissons pas piéger par les valorisations intellectuelles et journalistiques d’obscurs « avant-gardistes », furent-ils soviétiques. Les petits-bourgeois radicaux survendent des expérimentations « ultras » qui ne sont que des anecdotes historiques.

Ce qui compte c’est l’héritage culturel historique, c’est le vrai point de repère. Et en France, on parle ici de Molière, de Racine, de Balzac, de Bernanos, car la culture de notre pays c’est avant tout le fin portrait psychologique. Voilà ce qui est français et fusionnera avec la culture mondiale, dans le socialisme où il n’y aura plus nations, ni langues différentes, ni couleurs de peau différentes, mais une humanité unifiée !

Ahmed Kitaev, Nous allons à une nouvelle vie, 1953
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Le jeu de paume, « roi des jeux et jeu des rois » 

Le jeu de paume était extrêmement populaire dans la France des 15e et 16e siècles. Il s’agit d’un jeu de balle autour d’un filet. On l’appelle le jeu de paume car la balle était à l’origine frappée avec la paume de la main. Les raquettes avec un cordage en chanvre ou en boyau se sont développées dans les années 1510. 

Le jeu existait bien avant cette époque. On recensait à Paris en 1292 treize artisans paumiers, c’est-à-dire des personnes vivant de la fabrication des balles. 

Une ordonnance du Prévôt de Paris du 22 janvier 1397 constate que « plusieurs gens de métier et autres du petit peuple quittent leur ouvrage et leurs familles pendant les jours ouvrables pour aller jouer à la paume », à tel point qu’il est prévu d’en interdire la pratique sauf le dimanche, sous peine d’amende, voir de prison.

« Le Jeu Royal de la Paulme », Paris, 1632.

Dans The view of Fraunce : Un aperçu de la France telle qu’elle était vers l’an 1598, l’écrivain anglais Robert Dallington décrit l’importance de ce phénomène au 16e siècle. Ce passage est très intéressant :

« Quant à l’exercice du jeu de paume dont j’ai déjà parlé, il est plus en usage ici [en France] que dans toute la chrétienté réunie ; ce dont peut témoigner le nombre de places de paume dans tout le pays, en si grande quantité que vous ne pouvez trouver la plus petite bourgade ou ville en France, qui n’en ait une ou plusieurs. 

Il y en a, comme vous voyez, soixante dans Orléans, et je ne sais combien de centaines dans Paris ; mais ce dont je suis sûr, c’est que s’il y en avait la même proportion dans les autres villes, nous aurions deux places de paume pour une église en toute la France. 

Il me semble étrange qu’ils [les Français] soient tellement aptes à bien jouer que vous pourriez penser qu’ils sont nés avec une raquette à la main ; les enfants eux-mêmes et quelques-unes de leurs femmes jouent très bien, ainsi que vous l’avez observé à Blois. 

[…]

Et chez cette sorte de pauvre peuple [chez les pauvres], je puis vous assurer qu’il y a plus de joueurs de paume en France, que de buveurs d’ale ou d’ivrognes (comme on les appelle) chez nous [en Angleterre]. » 

Nombreux sont les rois de France à avoir tant joué que légiféré sur le jeu de paume, d’où le surnom « roi des jeux et jeu des rois ».

Louis X est connu pour être mort après une partie de paume au bois de Vincennes en 1316. Louis XI a édicté des règles de sécurité précises quant à la fabrication des balles (esteufs). François Ier, lui-même joueur régulier, a en quelque sorte instauré le professionnalisme autorisant à ce que « tout ce qui se jouera au jeu de paume sera payé à celui qui gagnera, comme une dette raisonnable et acquise par son travail. »

Henri II a fait construire au Louvre une salle pour le jeu de paume et était aussi connu comme un joueur régulier, tout comme Charles IX ou Henri IV.

Dans un long article historique consacré à ce jeu, l’historien Jean-Jules Jusserand (que l’on retrouvera aux côtés de Pierre de Coubertin en 1892, et qui fut plus tard ambassadeur de France à Whashington de 1902 à 1925) raconte à propos d’Henri IV :

« Dès le lendemain de son entrée dans Paris, on le trouve au jeu de la Sphère. L’entrée eut lieu, rapporte Lestoile, le 15 septembre 1594 ; le roi, fort riant… avait presque toujours son chapeau au poing, principalement pour saluer les dames et demoiselles qui étaient aux fenêtres.

Le vendredi 16, le roi joua à la paume tout du long de l’après-dînée, dans le jeu de paume de la Sphère.

Le samedi 24, le roi joua à la paume dans le jeu de la Sphère. Il était tout en chemise, encore était-elle déchirée sur le dos, et avait des chausses grises, à jambes de chien, qu’on appelle.

Le 27 octobre, le roi ayant gagné, ce jour, quatre cents écus à la paume, qui étaient sous la corde, les fit ramasser par des naquets et mettre dans un chapeau, puis dit tout haut: — Je tiens bien ceux-ci; on ne me les dérobera pas, car ils ne passeront point par les mains de mes trésoriers.

En 1597, au milieu des affaires les plus graves, il passait son temps à jouer à la paume et c’était d’ordinaire à la Sphère, où les dames venaient le voir et en particulier madame de Monsseaux, autrement dit Gabrielle d’Estrées. Et ne laissait pour cela Sa Majesté de veiller et donner ordre à tout ce qui était nécessaire au siège d’Amiens pour le mois suivant; lequel étant venu, il donna congé au jeu et à l’amour, et y marcha en personne, faisant office de roi, de capitaine et de soldat, tout ensemble, et reprit la ville aux Espagnols. »

Louis XIV était également un joueur. Il avait un paumier-raquetier en titre et les princes, un maître de paume qui leur donnait des leçons ; il était « porte-raquette du roi ».

Joueurs de paume parisiens au 16e siècle.

Le jeu de paume se pratiquait soit dehors, la longue paume, plus populaire, soit en salles couvertes (les tripots), la courte paume.

Dans son article, Jean-Jules Jusserand explique l’immense influence que ce jeu a pu avoir sur la vie culturelle française de par ses salles couvertes. Molière n’aurait pas été Molière sans les salles de jeu de paume partout en France !

« L’existence de ces salles quadrangulaires, offrant un espace libre et couvert, eut, dans notre pays, une influence considérable, non pas seulement au point de vue du développement physique de la nation, mais, ce qui était imprévu, au point de vue littéraire.

Par toute la France, en province comme dans la capitale, elles servirent de théâtre. Les troupes errantes, que ce fussent celle du Roman comique ou celle de Molière, sûres de savoir où jouer, pouvaient multiplier leurs tournées.

Le nombre de ces édifices contribua à répandre chez nous le goût de l’art dramatique, si bien que, par là, le jeu rendit avec usure aux belles-lettres ce que les battoirs de parchemin lui avaient fait perdre.

Le seul inconvénient fut qu’on s’habitua tellement à voir théâtres et jeux de paume se confondre, que très tard, par habitude, on conserva aux premiers la forme des seconds, et Mercier, au dix-huitième siècle, poussait des cris d’indignation en voyant encore telle scène, bâtie de son temps, conserver la «précieuse» forme d’un jeu de paume.

Il est certain que, partout ailleurs, dès le seizième siècle, en Italie avec les théâtres de Vicence et de Sabbioneta, en Angleterre avec la série des théâtres de Southwark, la forme semi-circulaire avait prévalu. Nous fîmes exception: effet inattendu de l’extraordinaire popularité d’un jeu d’exercice en France. »

Plusieurs expressions imagées du langage courant français sont issues du jeu de paume.

  • « Jeu de main, jeu de vilain » : à l’origine, seules les personnes les plus aisées possédaient une raquette, les personnes les plus pauvres, les vilains, jouaient encore à main-nue. 
  • « Qui va à la chasse perd sa place » : le système des chasses définissait le changement de côté, donc le changement de place.
  • « Tomber à pic » : cela désignait une sorte de chasse, lorsque la balle tombait au pied du mur du fond. Elle n’était valable qu’à certain moment du jeu, d’où le sens de l’expression aujourd’hui qui désigne quelque chose intervenant au bon moment. 
  • « Prendre la balle au bond » : frapper la balle à la volée, avant le rebond.
  • « Rester sur le carreau » : désignant le fait de perdre, le carreau étant le sol du jeu. 
  • « Épater la galerie » : Les spectateurs assistaient au jeu depuis la galerie, un couloir fermé situé le long d’un terrain.
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Culture & esthétique

Comprendre la civilisation pour mieux la porter

La civilisation est un long processus qui se situe au niveau de l’être humain lui-même. On peut la résumer en la prise de conscience de l’interdépendance sociale, donnant lieu à une intériorisation par l’individu qu’il vit et évolue dans un ensemble plus vaste qui se nomme « société ».

Cette intériorisation s’exprime à travers des codes et des mœurs qui se résument dans le fait d’être civilisé dans ses rapports sociaux : la civilisation est le processus d’auto-éducation de l’Humanité à travers son développement.

Dans l’Empire romain d’Occident, on parle de civilisation du fait que la vie était plus douce, plus pacifiée, non pas en raison immédiate d’une « psychologie » ou d’une « culture » mais parce qu’il existait des capacités productives fondées sur une interdépendance.

Y compris jusque dans les fermes de paysans isolés des campagnes, on bénéficiait d’une poterie ornée, en nombre, et on vivait dans des maisons avec les toits en tuile (le moyen-âge connaîtra un recul avec la chaume). Les marchés utilisait des pièces de monnaie intermédiaire en cuivre, disparues dans les débuts du moyen-âge. Bref, la vie s’était sophistiquée, se reflétant en des mœurs pacifiés, car ayant conscience de l’interdépendance collective générale.

Si les invasions dites barbares ont été un choc, c’est bien parce que les peuples en question n’avaient pas acquis un tel niveau de développement matériel, donnant lieu à une nouvelle « civilité ». Un exemple frappant est le fait que pour combattre les « barbares », les Romains ont dû recruter dans les esclaves – issus majoritairement des peuples « barbares » – mais aussi dans les peuples barbares eux-mêmes moyennant contrats. La raison est simple : les romains s’étaient adoucis, pacifiés et la guerre n’était plus pour eux un horizon envisageable.

A strictement parler, il est pourtant erroné de parler de la « civilisation romaine », car en fait ce processus est universel et interne à l’Humanité elle-même. Il n’y a pas « des civilisations », il y a un processus général de civilisation qui toutefois se décline en des ères culturelles et géographiques variées. La substance reste toutefois similaire : une pacification-sophistication des relations sociales en lien avec un mode de vie plus sûr, mieux garanti.

Par conséquent, le processus de civilisation commence avec l’agriculture, puis se prolonge avec l’écriture jusqu’à aboutir à des modes de vie toujours plus complexes d’où sont exclus la précarité, l’insécurité avec pour conséquence des mœurs plus raffinés. Mais aussi une culture qui prend ensuite la forme du classicisme en ce que le raffinement du quotidien s’exprime à travers l’harmonie de l’utile et de l’agréable.

C’est pourquoi la chute de Rome n’exprime pas une fin de la civilisation, car la civilisation a trouvé comment continuer et s’enrichir avec les dynasties abbassides et Omeyyades entre les VIIe et XIIIe siècles.

Puis le processus reprend en Occident avec l’avènement de la bourgeoisie à travers les entrailles de l’ordre féodal. La bourgeoisie, née au cœur des villes et de l’échange commercial, a de suite porté des mœurs nouvelles face à une noblesse encastrée dans le code de l’honneur de la chevalerie. Un code faisant de la violence physique et de la guerre des valeurs cardinales, où l’individu n’existe que parce qu’il s’inscrit dans une communauté où autrui est vu comme un rival à dominer.

La civilisation est donc un processus de long terme qui repose sur une complexification des mœurs en lien avec la sophistication d’un mode de vie. Mais qui dit complexification et sophistication dit appareil d’État édictant des règles et des lois venant sanctuariser les manières de vivre et de faire en rapport avec le mode de vie.

Lorsqu’il est parlé de « décivilisation », c’est donc au recul du raffinement des comportements civils qu’il est fait référence. Cela s’exprime par des relations sociales marquées par plus d’agressivité, de pulsions individuelles et d’égocentrisme corrosifs, mais également dans l’effritement de ce qu’on nomme la « bienséance ».

Les drames tels que l’horrible torture et meurtre de Shaïna entre le 31 août 2017 et le 25 octobre 2019 et dont le procès s’est terminé le 9 juin 2023, l’attaque immonde au couteau à Annecy le 8 juin 2023 ou bien encore le suicide de la jeune Lindsay le 12 mai 2023 ne sont qu’une (très petite) partie émergée de l’iceberg. Il faudrait plutôt parlé de l’aspérité de la vie quotidienne.

Il y a dans les pays capitalistes un recul de civilisation qui se joue dans les interstices du quotidien, sans pour autant que cela ne bascule forcément dans une brutalité directe – comme cela l’est plus régulièrement dans les sociétés encore marquées par une culture féodale.

Cela s’exprime à travers l’irrespect du code de la route, les harcèlements en tous genres, les micro-tensions dans l’espace public, les agressions aux accueils dans les hôpitaux, les banques, les centres administratifs, etc. Mais on peut parler aussi de la généralisation de la pornographie, de la prostitution adolescente, ainsi que du désengagement au travail, etc.

Et si l’on parle de règles de bienséance, on pourrait tout à fait inclure également la généralisation du « fast-food » dans la décivilisation, alors qu’inversement le processus de civilisation est précisément passé par l’art de raffiner l’alimentation avec des poteries ornées !

En creux de la décivilisation, il y a à l’absence de conscience d’autrui ou pire la conscience qu’autrui est un obstacle à enjamber, et le refus de soumettre son individualité à des codes et des règles collectives permettant des rapports sociaux pacifiés et raffinés.

Les survenues d’épisodes de brutalité absolue vont d’autant plus choquer que la civilisation n’est pas un phénomène statique, mais un processus de long terme qui s’enrichit à mesure que le mode de vie se sophistique. On est gravement heurté par un meurtre gratuit au couteau dans l’espace public dans une époque où l’on bénéficie d’un mode de vie apaisé et fondé sur un haut niveau de sophistication.

Il restera ensuite à déterminer comment la civilisation, ce processus d’auto-éducation de l’être humain, se réalise et s’enrichit concrètement à travers un antagonisme qu’est la lutte des classes. C’est naturellement un processus dialectique, où l’auto-éducation de l’humanité se conjugue avec la nécessité historique du socialisme, du communisme.

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Le classicisme contre le capitalisme

Le capitalisme transforme tout selon ses besoins et, pour cette raison, il n’est pas conservateur. En même temps, le capitalisme profite de ce qu’il a mis en place et en ce sens, il est conservateur. Si l’on reste prisonnier de cette opposition, alors on s’imagine qu’être de droite c’est être conservateur, être de gauche progressiste, ou inversement qu’être de droite c’est être libéral, et être de gauche pour le « maintien des acquis ».

Si on dépasse cette opposition, on est alors amené à valoriser le classicisme. Le classicisme, c’est en effet le maintien de certaines valeurs à travers les changements. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’évolution, mais celle-ci se déroule dans un cadre de valeurs bien déterminées. C’est la civilisation, au contraire du capitalisme qui lui est hyper corrosif et abîme tout.

La civilisation humaine exige la hauteur d’esprit, l’harmonie de la construction, l’envergure mentale et psychologique, la profondeur des émotions, la beauté du goût. Les 16 fondements de l’urbanisme établis en République Démocratique Allemande au début des années 1950 forment un excellent exemple d’une telle exigence.

Maison de la culture à Magdebourg 
en République Démocratique Allemande en 1951

Le classicisme, c’est ce qui se maintient malgré tout. Il y a des classiques en littérature comme en musique, en sculpture comme en peinture. Dans tous les domaines, il y a des classiques, qui ne sont pas des modèles, mais les meilleures productions du passé. On ne peut qu’être en continuité avec elle.

Le capitalisme implique inversement le renouvellement absolu des marchandises, il ne laisse donc aucun espace possible au classicisme. Il fait la promotion du subjectivisme. La fantasmagorie de « changer de sexe » est le paroxysme du culte absolu de l’ego consumériste qui « façonne » sa réalité au moyen de choix consommateurs.

Le capitalisme désormais tout à fait développé supprime donc l’idée même de classicisme. Il n’y a plus aucun domaine où le capitalisme fait semblant d’assumer une continuité culturelle. Tout est renouvelable, tout est renouvelé, de manière ininterrompue. Même les Beatles ou Mozart apparaissent comme des fantômes du passé, des reliquats d’une époque de toute façon lointaine et obscure.

Ce qui compte, pour le capitalisme, c’est le présent de la consommation. Pour les plus souffrants de cela, il y a la religion pour apporter de la transcendance. La consommation se maintient cependant, toujours victorieuse, toujours hyperactive. Il ne saurait y avoir de classiques à l’époque de Facebook, Instagram, Tiktok et Twitter.

Il n’y a pas de place pour la peinture de Léon Lhermitte, admirable peintre réaliste du 20e siècle, à une époque où ce qui compte c’est la nature consommée d’un produit. Rien ne doit pouvoir se maintenir et devenir culture, rien ne doit dépasser le cadre du marché.

Léon Lhermitte, Le repas de Midi

Dans les années 1960, il y a eu en France des révolutionnaires. Ils n’avaient aucune chance de réussir : quelle crédibilité avaient-ils face à des bourgeois maîtrisant un haut niveau de culture, d’intellect, de mœurs ? Désormais totalement décadente, la bourgeoisie ne fait même plus semblant. Elle a jeté toute prétention de continuité culturelle par-dessus bord.

La bourgeoisie française se conçoit comme un simple appendice de la bourgeoisie américaine, au point que tous les enfants des classes supérieures vont faire des études aux États-Unis, ou bien en Angleterre ou dans un autre pays, suivant les moyens. La bourgeoisie française est devenue cosmopolite ; que ce soit le bobo de l’Est parisien ou le bourgeois « old money » de l’ouest parisien, tous ont presque la même mentalité, pratiquement les mêmes approches, au fond la même sensibilité.

Libéralisme et relativisme ont des poids différents chez les uns et chez les autres, mais tous sont d’accord pour procéder à la grande liquidation. Tout se vend, tout s’achète, on peut discuter à quel prix et dans quelle mesure, mais c’est la tendance de fond.

Il n’est plus de place pour l’harmonie, pour le sens classique. C’est tellement vrai que le réalisme socialiste est absolument incompréhensible pour les bourgeois. Ils n’ont jamais su ne serait-ce que comprendre le concept. Quiconque a compris le classicisme saisit inversement tout de suite le réalisme socialiste soviétique dans l’architecture par exemple : rien qu’à voir, on comprend directement.

Pont Bolchoï Krasnokholmski, Moscou

Le capitalisme a supprimé en pratique les catégories de beau, de laid, d’harmonieux, de constructif… car ce qui l’intéresse, c’est une mentalité maladive de consommation sans cesse renouvelée. C’est la tentative de supprimer l’Histoire, la continuité de la culture, tout ce qui aboutit à des sauts dans le domaine de la civilisation. Le capitalisme enserre tous les domaines de la vie, afin d’empêcher qu’on le remettre en cause.

Le classicisme est à ce titre révolutionnaire. Il représente la possibilité d’une continuité de l’Histoire, d’une transformation de l’Histoire vers le meilleur. Qui se place en-dehors du classicisme se place en-dehors de l’Histoire, en-dehors de la vie elle-même… et se retrouve condamné à errer dans une consommation permanente, sans signification ni sens.

Le drapeau rouge porte en ce sens le classicisme, comme vecteur de la civilisation harmonieuse !

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Les origines humanistes du sport

« S’exerçant élégamment le corps comme ils s’étaient auparavant exercé l’esprit. »

L’histoire de France est riche de centaines de jeux et d’activités d’adresse, de boules, de quilles, de crosse, de mail, de billard, de sarbacane, etc. Mais de manière générale, ces jeux et activités ne sont pas « physiques » en ce sens où ils n’induisent pas une grande dépense énergétique, contrairement au sport. 

Le terme sport est diffusé depuis l’Angleterre au 19e siècle et est d’origine française : c’est le desport ou déport, qui est communément traduit par « divertissement ». Issu du latin deporto, qui signifie emporter, rapporter, transporter, ce terme induit la notion de mouvement.

Il y a là forcément un rapport au corps en tant que matière vivante en mouvement et il est tout à fait logique de retrouver ce mot dans la littérature humaniste française. Celle ci s’est intéressé à l’activité physique, en opposition à la religion qui focalisait sur l’esprit. 

Plus précisément, les humanistes voulaient allier le corps et l’esprit. Ils ont développé une combinaison des deux avec le sport, comme cela est présenté dans l’article « Le matérialisme dialectique et le sport » par le site Matérialisme dialectique.

« Les aristocrates représentent le corps développé, le peuple le jeu ; les humanistes, qui veulent allier le corps et l’esprit, les épanouir, cherchent ici une combinaison. »

On peut ainsi lire dans la version originale de Gargantua de François Rabelais :

« Ce faict, yssoient hors, tousjours conferens des propoz de la lecture, et se desportoient en Bracque ou es prez, et jouoient à la balle, à la paulme, à la pile trigone, galentement se exercens les corps comme ilz avoient les ames auparavant exercé. »

Le Grand Braque était une salle parisienne de jeu de paume. Ce passage est traduit en français moderne de la façon suivante :

« Cela fait, ils sortaient, toujours en discutant du sujet de la lecture, et allaient se divertir au Grand Braque ou dans les prés, et jouaient à la balle, à la paume, à la pile en triangle, s’exerçant élégamment le corps comme ils s’étaient auparavant exercé l’esprit. »

Dans le chapitre 23 intitulé « Comment Gargantua fut éduqué par Ponocrates de telle façon qu’il ne perdait pas une heure de la journée », François Rabelais insiste longuement sur l’importance de l’activité physique en plus du travail intellectuel :

« Tous leurs jeux se faisaient librement, car ils abandonnaient la partie quand cela leur plaisait, et ils cessaient d’ordinaire lorsque la sueur leur coulait par le corps ou qu’ils étaient las. Ils étaient alors très bien essuyés et frottés. Ils changeaient de chemise et, en se promenant doucement, allaient voir si le dîner était prêt. »

L’activité physique par le jeu est considérée de grande valeur et tout à fait bénéfique pour l’humanité. Sont listées dans cette œuvre de 1534 un certain nombre d’activités ressemblant à des sports actuels (sans qu’il n’y ait forcément de filiation historique par ailleurs). Ce passage, relativement long, est passionnant à lire.

« Il courait le cerf, le chevreuil, l’ours, le daim, le sanglier, le lièvre, la perdrix, le faisan, l’outarde. Il jouait au ballon et le faisait rebondir en l’air, autant du pied que du poing. Il luttait, courait, sautait non avec trois pas d’élan, non à cloche-pied, non à l’Allemande car, disait Gymnaste, de tels sauts sont inutiles et ne servent à rien à la guerre, mais d’un saut, il franchissait un fossé, volait par-dessus d’une haie, montait six pas contre une muraille et parvenait de cette façon à une fenêtre de la hauteur d’une lance.

Il nageait en eau profonde, à l’endroit, à l’envers, sur le côté, de tout le corps, des seuls pieds, une main en l’air, laquelle tenant un livre, traversait toute la Seine sans le mouiller, et tirant son manteau par les dents, comme faisait Jules César. Puis, à la seule force du poignet, il montait dans un bateau. 

De celui-ci, il se jetait derechef à l’eau, la tête la première, sondait le fond, creusait les rochers, plongeait dans les abîmes et les gouffres. Puis il manœuvrait le bateau, le dirigeait, le menait rapidement, lentement, au fil de l’eau, à contre-courant, le retenait en pleine écluse, le guidait d’une main, de l’autre s’escrimant avec un grand aviron, hissait la voile, montait au mât par les cordages, courait sur les vergues, ajustait la boussole, tendait l’écoute, tenait ferme le gouvernail.

Sortant de l’eau, il gravissait la montagne et la dévalait aussitôt. Il grimpait aux arbres comme un chat, sautait de l’un à l’autre comme un écureuil, abattait les grosses branches comme un autre Milon. Avec deux poignards acérés et deux poinçons à toute épreuve, il montait en haut d’une maison comme un rat, puis en descendait de telle façon que ses membres ne souffraient aucunement de la chute.

Il lançait le dard, la barre, la pierre, la javeline, l’épieu, la hallebarde, bandait l’arc, tendait à coups de reins les fortes arbalètes de siège, visait de l’arquebuse à l’œil, affûtait le canon, tirait à la butte, au perroquet, de bas en haut, de haut en bas, devant, de côté, en arrière comme les Parthes. On lui attachait à quelque haute tour un câble pendant à terre. Il y montait avec deux mains, puis dévalait si rapidement et avec tant d’assurance que vous ne feriez pas mieux dans un pré bien plat.

On lui mettait une grosse perche soutenue par deux arbres ; il s’y pendait par les mains, allait et venait sans rien toucher des pieds, si bien qu’à grande vitesse, on n’eût pu l’attraper.

Et, pour s’exercer le thorax et les poumons, il criait comme tous les diables. Une fois, je l’ai entendu appelant Eudémon, depuis la porte Saint-Victor jusqu’à Montmartre. Stentor n’eut jamais une telle voix à la bataille de Troie.

Et, pour fortifier ses nerfs, on lui avait fait deux gros saumons de plomb, pesant chacun huit mille sept cents quintaux, lesquels il appelait haltères. Il les soulevait de chaque main, les élevait en l’air au-dessus de la tête, et les tenait ainsi, sans bouger trois quarts d’heure et davantage, ce qui révélait une force sans pareille.

Il jouait aux barres avec les plus forts, et, quand le point arrivait, il se tenait sur les pieds si solidement qu’il s’abandonnait aux plus aventureux parvenant à le faire bouger de sa place, comme faisait jadis Milon, à l’imitation duquel il tenait aussi une pomme de grenade dans sa main et la donnait à qui pourrait la lui ôter. »

Dans le même état d’esprit, il y a Montaigne, cette immense figure du 16e siècle, qui explique dans ses Essais : 

« Je veux que la bienséance extérieure, et l’entre-gent et la disposition de la personne se façonne quant et quant [en même temps que] l’âme ».

Ou plus précisément :

« Les jeux mesmes [même] et les exercices seront une bonne partie de l’estude : la course, la luicte [lutte], la musique, la danse, la chasse, le maniement des chevaux et des armes. » 

Essais, Livre 1 Chapitre 25

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La naissance de la gastronomie française

« Quel plaisir d’avoir de l’appétit, quand on a la certitude de faire bientôt un excellent repas. »

Esprit français oblige, c’est à travers la littérature qu’est née la gastronomie française. On doit cela à Jean Anthelme Brillat-Savarin avec sa Physiologie du goût (1825), qui est une œuvre incontournable du patrimoine culturel français.

Le succès fût immense lors de la parution et il y eu plusieurs rééditions, notamment une en 1838 contenant un appendice brillant écrit par Honoré de Balzac.

La première édition, datée de 1826 mais parue en décembre 1825, porte le sous-titre « méditations de gastronomie transcendante ». C’est que, sur la forme, le texte semble extravagant. L’auteur est un magistrat âgé (il meurt en février 1826), conseiller à la Cour de cassation, chevalier de la Légion d’honneur (1804), chevalier de l’Empire (1808), ayant connu l’exil (il fût premier violon au théâtre de New-York) ; son récit est celui d’un Parisien flânant dans les dîners mondains.

Sentant qu’il se produisait dans ces dîners et autour de ces dîners quelque-chose de significatif historiquement et culturellement, il se mît à prendre des notes. De là, il produisit une grande réflexion sur la gastronomie, dont son livre en est la première définition.

« Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible. »

Par « meilleure », il faut entendre tant la qualité gustative que la qualité nutritive. L’auteur est clairement épicurien, il relève du matérialisme philosophique et considère la gastronomie comme une science naturelle.

« Le goût, qui a pour excitateurs l’appétit, la faim et la soif, est la base de plusieurs opérations dont le résultat est que l’individu croît, se développe, se conserve et répare les pertes causées par les évaporations vitales. »

Il dit également, ce qui résume probablement le mieux l’idée de son ouvrage :

« Le goût paraît avoir deux usages principaux :

1° Il nous invite, par le plaisir, à réparer les pertes continuelles que nous faisons par l’action de la vie.
2° Il nous aide à choisir, parmi les diverses substances que la nature nous présente, celles qui sont propres à nous servir d’aliments. »

On comprendra qu’on est bien loin de la cuisine pseudo-gastronomique du 21e siècle, qui est un formalisme décadent et élitiste, loin de toutes considérations naturelles.

De la même manière, Jean Anthelme Brillat-Savarin critiquait vigoureusement la tendance à faire des festins décadents, coupés de la nécessité naturelle.

Il annonce cela dans ses aphorismes dès l’introduction.

« Ceux qui s’indigèrent ou qui s’enivrent ne savent ni boire ni manger. »

Ni gueuleton indigeste, ni cuisine conceptuelle et prétentieuse, la gastronomie est au contraire un art de vivre. C’est le développement historique des Arts de la table à la française, se démocratisant à l’ère des restaurants bourgeois au début du 19e siècle.

Cela reflète un arrière plan historique. L’homme moderne ne craignant plus la faim, il peut cultiver son appétit : telle est l’idée de la gastronomie. Pour le dire autrement, c’est la façon française de se nourrir ; la gastronomie est un raffinement à la française.

Jean Anthelme Brillat-Savarin imaginait le développement de la gastronomie avec une Académie :

« Heureux le dépositaire au pouvoir qui attachera son nom à cette institution si nécessaire ! »

Cela arrivera forcément, tant il y a une nécessité française à réfléchir au bien mangé, par la combinaison du bon et du nourrissant. La lecture de la Physiologie du goût, aussi daté que puisse-être l’ouvrage, est une contribution très inspirante en ce sens.

Ce passage très sympathique reflète très bien l’esprit du livre !

« Le potage est une nourriture saine, légère, nourrissante, et qui convient à tout le monde ; il réjouit l’estomac, et le dispose à recevoir et à digérer. Les personnes menacées d’obésité n’en doivent prendre que le bouillon.

On convient généralement qu’on ne mange nulle part d’aussi bon potage qu’en France ; et j’ai trouvé, dans mes voyages, la confirmation de cette vérité. Ce résultat ne doit pas étonner ; car le potage est la base de la diète nationale française, et l’expérience des siècles a dû le porter à sa perfection. »

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Pas de personnalité sans classiques littéraires

Pourquoi lire un roman ? Certains disent : pour se divertir. D’autres pensent que c’est pour découvrir un jeu de l’esprit. Ce sont là des points de vue qui nient la réciprocité qui existe entre un lecteur et le roman. Il n’y a pas d’un côté un lecteur tout puissant, qui déciderait de ce qu’il veut prendre, ou pas. Il n’y pas d’un autre côté un auteur qui jetterait à la tête du lecteur ce qu’il veut, comme bon lui semble.

Il y a, lorsque les romans sont de vrais romans, une interaction entre l’œuvre et le lecteur. Lorsque le lecteur lit un roman, il découvre la réalité, il est saisi par l’esprit de cette réalité. Il intègre dans son cerveau la nature de cette réalité. Voilà pourquoi la littérature focalisée sur les crimes, les délires, les perversions… sont des poisons. Ils habituent les pensées à de telles choses.

Le véritable rôle des romans est d’éveiller les personnalités, de leur permettre de s’approfondir, de connaître les gammes de sentiments, d’émotions, de sensations. Sans cet éveil, les êtres humains ne saisissent que de manière brute, brutale, ce qui se déroule en eux.

Les grands auteurs sont ceux qui proposent la réalité, du moins une partie de celle-ci, dans toute sa complexité, ou du moins avec une très grande complexité. On voit le réel, on saisit les nuances (infinies), on découvre comment découvrir la vie. C’est ce qu’on retrouve chez les grands auteurs, les seuls vrais auteurs d’ailleurs, car la culture doit être la plus exigeante.

On ne peut pas dire qu’on est un être humain accompli si l’on ne se tourne pas vers Balzac et Tolstoï, Kafka et Lu Xun, Tchekhov et Cervantès, Hamsun et Dante, Goethe et Gorki. Et il ne s’agit pas ici de faire un catalogue d’auteurs, car tel n’est pas le sens de la littérature romanesque.

Il ne s’agit pas de dresser une liste, avec chaque ouvrage ayant un numéro de 1 à 100, en se disant qu’il s’agit de les lire un par un. La littérature, ce n’est pas la science. La littérature, c’est un appui à l’âme. Et comme l’âme affronte des situations différentes, on se tourne vers certaines oeuvres aux dépens d’autres, par affinités, besoins, exigences.

En raison justement de cela, on peut considérer qu’il est possible de jeter directement à la poubelle la quasi totalité des romans du 20e siècle, alors qu’on trouvera dans ceux du 19e, même les moins valables, toujours quelque chose. Car le 20e siècle a été marqué par le triomphe du subjectivisme, de l’égocentrisme, du culte du moi. L’élan fasciste et le nombrilisme capitaliste ont assassiné la littérature romanesque.

Il s’agirait soit de célébrer un ego soit de manière boursouflée, soit de manière désincarnée, dans tous les cas avec un « existentialisme » résumant la vie à des existences pessimistes ou nihilistes, quand ce n’est pas les deux. Comment s’étonner que la France soit ce qu’elle est au début du 21e siècle quand on a célébré par exemple Albert Camus ?

Il n’y a pas de style littéraire à part un langage parlé, les personnages se baladent dans l’existence sans s’attacher à rien ni être personne, le monde n’est qu’une vaste abstraction. Le personnage de L’étranger, c’est désormais absolument tout le monde à l’heure des réseaux sociaux. On se balade partout sans trop y croire, jusqu’à quelque chose se passe, et là alors on est débordé !

Mais qu’est-ce que la littérature romanesque, en définitive ? C’est celle qui expose une vie dans une vie, en exposant les différents aspects, en indiquant les tendances de fond, en présentant les sensibilités, les émotions. C’est celle qui empêche au lecteur de devenir un dégénéré.

Car une vie où on ne cultive pas sa sensibilité devient une démarche de mort-vivant, et on sait à quel point la vie dans le capitalisme est rempli d’insensibilités, jusque dans les détails. C’est très exactement ça, l’enfer du 24 heures sur 24 de la vie quotidienne dans le capitalisme.

Les classiques littéraires sont des supports inévitables, tant dans la vie en général, que dans la vie particulière qu’est celle dans le capitalisme. Ce ne sont pas des « outils », mais des prolongements de soi, car ils montrent comment nous sommes, tout comme nous sommes produits par eux.

Car, oui, il faut être produit par les classiques littéraires ! Il faut s’aligner sur le meilleur de l’humanité, sur le meilleur de la sensibilité, la plus grande profondeur de l’âme, l’immense gamme des émotions.

C’est ça, le sens réel du principe de civilisation.

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Iriedaily X Union Berlin, la fraîcheur et les valeurs

« Nebeneinander, miteinander, füreinander ».

Iriedaily, la marque de vêtement berlinoise à l’esprit alternatif, produit une collaboration avec l’Union Berlin, le club de football populaire de l’Est de la ville. Plus précisément, c’est une collaboration entre Iriedaily, le 1.FC Union Berlin et Adidas, l’équipementier du club, pour soutenir le projet Mellowpark.

Voici la présentation du projet.

« Bonjour les amis,

Lors du match à domicile contre le Bayer Leverkusen lors de la 30e journée, les Unioners joueront dans un maillot destiné à aider les enfants de Berlin à faire du skateboard.

Pour cette raison, le Mellowpark, un centre culturel pour les jeunes à proximité immédiate du stade « An der Alten Försterei », orne la poitrine du maillot spécial pour un jour de match.

Adidas et ses partenaires utilisent une partie du produit de la vente du maillot limité pour financer la construction d’une nouvelle skate plaza à Mellowpark.

Celle-ci sera inaugurée le dimanche 30 avril 2023, avec un événement pour tout Köpenick [le quartier de Berlin où est situé le stade].

À l’avenir, les nouveaux espaces offriront un espace pour des ateliers et des projets liés au skateboard, en particulier aux initiatives sociales du sud-est de Berlin – fidèle à la devise :

« Les uns à côté des autres, les uns avec les autres, les uns pour les autres [Soit en allemand : Nebeneinander, miteinander, füreinander] ».

Voici la vidéo, où l’on reconnaît immédiatement la touche apportée par la marque Iridaily, dans un esprit qui colle tout à fait avec celui de l’Union.

Nebeneinander, miteinander, füreinander !

Tout cela est d’une grande fraîcheur, indéniablement populaire, et surtout fortement assumé comme relavant de la Gauche historique. Il y a des usines en fond sur le maillot ! Ce n’est clairement pas à Paris que l’on verrait cela, ni même à Marseille, Saint-Étienne, Lens, Nantes, ou Saint-Ouen.

L’Union Berlin d’ailleurs lui-même un club très populaire avec une identité ouvrière et alternative entièrement assumée.

C’est clairement le feu quand cela fusionne avec le style urbain et moderne d’Iriedaily.

C’est le genre de choses que l’on veut en France ! Et agauche.org paye très cher par l’isolement le fait de promouvoir ce genre de valeurs et de style, bien loin du ronflement syndicaliste et des errements de la fausse gauche française !

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Un film ne se décide pas au montage

L’abstraction n’est jamais l’aspect principal d’une oeuvre.

Il est bien connu qu’une des principales tendances erronées chez les artistes, c’est de chercher des recettes miracles. Le problème est que dans le cinéma capitaliste, cette tendance erronée est valorisée et même survalorisée.

Il y a tellement une surproduction de marchandises dans ce secteur capitaliste qu’on a droit à une machinerie reproduisant des recettes à n’en plus pouvoir.

Cela se voit tant avec les suites des films et avec la généralisation des séries. Une fois qu’une base est trouvée, et celle-ci a toujours sa dignité, on décline non stop, jusqu’à ce que le public cesse de consommer, écœuré.

Le capitalisme recommence alors avec autre chose. Et rien de cela ne serait possible sans des cinéastes qui vendent leur âme, acceptant de manière volontaire de produire et surtout de re-produire.

Il est flagrant ici comment le capitalisme produit, et reproduit, comment le capital ce n’est pas que la production, mais la reproduction de capital, la reproduction de marchandises.

Et la clef ici, c’est la question du montage : c’est toujours le capitalisme qui formate les choses, décide des marchandises, et il le fait au montage, dans la délimitation finale du produit.

Voici inversement comment il faut concevoir les choses. Andreï Tarkovski nous parle du montage, dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014). Il ne critique pas le montage dans le capitalisme, mais une approche convergeant avec le principe général du montage comme « décision finale », détermination finale d’un film.

« Aucun élément d’un film ne peut trouver de sens pris isolément: l’œuvre d’art est le film considéré dans son ensemble.

Ses composantes ne peuvent être séparées artificiellement que pour quelque discussion théorique.

Je ne peux être d’accord avec ceux qui prétendent que le montage est l’élément déterminant du film. Autrement dit, que le film serait créé sur une table de montage, comme l’affirmaient dans les années 1920 les partisans du « cinéma de montage », Koulechov et Eisenstein.

On dit souvent, à juste titre, que tout plan nécessite un montage, c’est-à-dire une sélection, un assemblage et un ajustement d’éléments.

Mais l’image cinématographique naît pendant le tournage et elle n’existe qu’à l’intérieur du plan. C’est pourquoi en tournant je suis si attentif à l’écoulement du temps dans le plan, pour essayer de le fixer et de le reproduire avec précision.

Le montage articule ainsi des plans déjà remplis par le temps, pour assembler le film en un organisme vivant et unifié, dont les artères contiennent ce temps aux rythmes divers qui lui donne la vie.

L’idée des partisans du « cinéma de montage » (le montage assemble deux concepts pour en engendrer un troisième, un nouveau) me semble totalement contraire à la nature même du cinéma.

Car un jeu de concepts ne peut être le but ultime de l’art, tout comme son essence ne se trouve pas dans un assemblage arbitraire.

L’image est liée au concret, au matériel, pour atteindre, par des voies mystérieuses, à l’au-delà de l’esprit. Et c’est peut-être à cela que pensait Pouchkine quand il disait :  »la poésie doit être un peu bête ». »

Tarkovski oppose, à une pseudo-dialectique en réalité vrai formalisme, une reconnaissance de la complexité du réel, complexité déterminant en dernier ressort ce que doit être le montage.

Les plans tournés ne sont pas des éléments bruts au service d’une mécanique raffinée que serait le montage. Bien au contraire, le montage n’est que le support des plans tournés.

C’est comme lorsqu’on écrit un roman ou qu’on peint un tableau. Il n’y a pas un plan de montage et des applications tentées dans la pratique pour aboutir au montage. Aucune production artistique ne se réalise ainsi, de manière mécanique, froide, suivant un plan linéaire établi bien à l’avance.

Il y a au contraire un rapport interne entre ce qu’on porte lors de la production artistique, en tant qu’être sensible, dans une activité artistique directe, et l’agencement final concluant l’œuvre pour qu’elle forme un tout cohérent et complet.

Dans ce rapport interne, ce n’est jamais la dimension formelle qui prime, mais la reconnaissance du réel dans sa dimension inépuisable.

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Le cinéma montre le concret particulier à travers l’universel

Et inversement.

Toute situation a beau être particulière, on sait qu’elle repose sur une nombre très importants d’aspects, tous reliés les uns aux autres et à plein d’autres choses plus ou moins éloignés de la situation.

Un film peut montrer des enfants en train de jouer dans un parc : ils sont reliés à un parent regardant la scène, à un autre au travail et non présent, et donc non montré. Pour le cinéma c’est dès lors secondaire si l’on présente la scène en tant que tel ; dans un roman, cela eut pu être mentionné.

Il n’en reste pas moins que la scène particulière contient en fait elle-même une quantité inépuisable d’aspects, sans quoi elle ne porterait pas l’universel et serait « unique », c’est-à-dire une abstraction, une idée « pure » comme Platon en concevait (dans son imaginaire).

En fait, le cinéma doit d’un savoir aller au plus proche du concret, avec sa particularité, son intériorité personnelle.

Andreï Tarkovski nous dit, dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014) :

« Le cinéma exige du réalisateur et du scénariste de vastes connaissances, adaptées à chaque cas particulier.

En ce sens, l’auteur du film doit avoir quelque chose en commun avec le scénariste – psychologue et le psychiatre.

Car la plasticité d’un film dépend d’une façon décisive de l’état concret d’un personnage mis en rapport avec une situation tout aussi concrète.

C’est par cette connaissance de la vérité de l’état intérieur qu’un scénariste peut et doit influencer un réalisateur dans sa mise en scène. »

Et Andreï Tarkovski de présenter comme suit ce qui s’associe à ce mouvement vers le concret : le rapport intrinsèque entre le particulier, par définition délimité, et l’universel, par définition inépuisable.

Après avoir présenté une scène d’un film, il évalue comme suit la réussite de l’entreprise :

« La mise en scène est ici déterminée par l’état psychologique des personnages à cet instant précis, et révèle la complexité de leurs relations.

Le réalisateur, dans sa mise en scène, doit aussi tenir compte de cet état psychologique, de la dynamique intérieure de la situation, et tout rapporter à la vérité, au fait observé dans ce qu’il a d’unique.

La mise en scène réussit à unir l’aspect concret au sens multiple propre à la vérité authentique. »

Une scène est donc unique mais porte le caractère multiple du réel, c’est ce qui fait qu’on peut l’admettre, la reconnaître. Qui échoue à cela échoue dans le cinéma à sortir de l’apparence formelle. Il y a échec à accorder un simple supplément d’âme qui devient, de manière qualitative, l’apport de la vie elle-même, dans toute sa richesse.

Une vraie scène de cinéma porte toute la vie, tout en ne montrant qu’un simple détail, même banal. Il ne s’agit pas ici de forcer les choses et de réaliser une sorte de poésie cinématographique, ou de cinéma poétique. Andreï Tarkovski en critique avec des mots très justes le côté forcé, cryptique :

« C’est un cinéma [le « cinéma poétique »] qui, dans ses images, s’éloigne des faits concrets dont la vie réelle offre le tableau, et qui revendique pourtant une cohérence dans la construction.

Il y a là un risque pour le cinéma de s’éloigner de sa vraie nature.

Le « cinéma poétique » appelle le symbole, l’allégorie et d’autres figures qui n’ont rien à voir avec la richesse d’images propres au cinéma. »

Parvenir à la richesse inépuisable d’une situation particulière, la montrer en la découvrant sans tricher avec les faits, tel est un défi du cinéaste.

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Playlist son et mélodie

Le 21e siècle est lancé.

Si on porte son attention sur l’évolution de la musique depuis 20 ans, on peut voir un phénomène qui se produit en deux temps : l’alliance du son et de la mélodie.

Les progrès technologiques ont permis une démocratisation de l’accès à la musique. Jusqu’au MP3, c’était le temps des vinyls et des cassettes audio. Si on ne voulait ou pouvait pas acheter, il fallait trouver quelqu’un qui avait ce qu’on cherchait pour procéder à une fastidieuse copie.

Encore fallait-il trouver une telle personne, et encore fallait-il vouloir chercher. Et comment découvrir les choses qui plus est, dans un tel parcours semé d’embûches?

Cela forçait à chercher, d’où une petite minorité très pointue musicalement, même s’il faut relativiser car les productions musicales n’étaient pas encore complètement formatées par les majors.

Par la suite les majors ont dominé et le MP3 a amené un goinfrage de musique sans précédent, débouchant sur le culte du « son » qui caractérise largement la jeunesse des années 2010. On n’écoute plus de la musique, mais du son. C’est un arrière-plan écouté en bruit de fond.

Ce qui est intéressant en ce début des années 2000, c’est de voir comment la démocratisation technologique a fait émergé des talents qui, élevant le niveau, réaffirment la mélodie, la combinant à un son travaillé.

La mélodie gagne en envergure avec le son, le son y gagne une âme. Le processus est loin d’être terminé, mais il a déjà des marqueurs, dont la playlist suivante se veut une tentative de témoignage.

On notera que les femmes sont à la pointe, souvent dans une tonalité jazzy de la recherche de complexité ; cependant, ce sont des figures tourmentées – décadentes – consommatrices comme Travis Scott et la formation Migos qui ont joué un incontournable rôle historique (particulièrement contradictoire) en élevant puissamment la qualité et la complexité sonique.

Pour l’instant, c’est en effet le côté électro qui est le vecteur de la combinaison son et mélodie.

Voici la playlist en lecture automatique, suivie de la tracklist :

1. Fazerdaze – Winter (2022)
2. Kilo Kish – Obsessed (2017)
3. Yaya Bey – Keisha (2022)
4. KeiyaA – I! Gits! Weary! (2020)
5. SZA – Babylon (2014)
6. Amber Mark – Conexão (2018)
7. Yaya Bey – Reprise (2022)
8. Robert Glasper Experiment – « Fever » featuring Hindi Zahra (2022)
9. Bruno Mars, Anderson .Paak, Silk Sonic – Leave the Door Open (2021)
10. Amber Mark – Love me right (2018)
11. Pharrell Williams, Travis Scott – Down In Atlanta (2022)
12. M.I.A. – Bad Girls (2012)
13. Travis Scott – SICKO MODE ft. Drake (2018)
14. Migos – Roadrunner (2021)
15. Travis Scott – Skyfall ft. Young Thug (2014)

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Sans mémoire, une existence toute en illusions: le rôle de l’art

C’est la question de la vie intérieure qui doit primer.

Ce qui est très intéressant lorsqu’on s’intéresse à la question des arts et des lettres, c’est qu’on peut voir que la Russie a apporté une immense contribution, dans absolument tous les domaines. Que ce soit en peinture, en musique, en danse, en architecture, en sculpture, en littérature… on retrouve d’importantes figures.

Et ce qui est significatif, c’est qu’il existe dans ce pays, historiquement, une profonde continuité dans cette expression artistique. C’est-à-dire que l’irruption de la modernité telle qu’elle a eu lieu plus à l’ouest – avec l’impressionnisme, l’expressionnisme, etc. – n’y a pas eu lieu, à part avec une cubisme et un futurisme qui n’ont pas duré et qui, de toutes façons, étaient eux-même très « russe ».

Pourquoi? Parce que lorsque Kazimir Malevitch fait son carré blanc sur fond blanc, il est en quête d’absolu, d’une vie intérieure puissante. Lorsque les constructivistes, avec à leur tête Alexandre Rodtschenko par la suite photographe renommé, parlent d’organiser le monde, ils le font au nom d’une vie intérieure consciente.

Il y a, dans tous les cas, une obsession russe pour la vie intérieure. En France, deux noms reviennent souvent ici : Tolstoï et Dostoïevski. Mais il suffit de regarder la définition de l’écrivain chez Staline (aidé comme on le sait de Maxime Gorki) pour voir la même préoccupation fondamentale :

« L’écrivain est un ingénieur des âmes. »

Et cette définition est en fait même rapporté à l’artiste en général. Il y a le mot âme, c’est flagrant ; on sait pourtant que les communistes sont athées, alors quel est le sens de ce mot? C’est un équivalent de « vie intérieure ». Et qu’est-ce que la vie intérieure? C’est la reconnaissance de ce qu’on a vécu, comme un assemblage d’expériences, de sensations, de considérations, de réflexions.

Il s’agit alors d’accorder un sens à cela, d’y mettre de l’ordre. Seulement, comment peut-on le faire s’il n’y a pas la mémoire de son propre vécu?

Que peut faire une personne vivant de manière ininterrompue dans un présent sans cesse renouvelé? Et c’est précisément ce que propose ou plutôt impose le capitalisme. Présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il interdit toute pause, toute introspection. On est dans un egotrip permanent et toujours remis en avant par une consommation ou une autre. Un nouvel habit, une nouvel épisode d’une série, une nouvelle relation sexuelle, un « nouveau » corps, etc.

Andreï Tarkovski a raison quand il dit que :

« Privé de mémoire, l’être humain devient le prisonnier d’une existence toute en illusions. Il est alors incapable de faire un lien entre lui et le monde, et il est condamné à la folie. »

Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014)

L’artiste ne saurait donc échapper à une considération approfondie sur la question de ce qui va être tiré de son œuvre, en termes de mémoire. Il doit être capable de produire une œuvre qui s’inscrive dans la vie de tout un chacun, qui possède ainsi une nature particulière s’adressant à chacun en particulier, et en même temps dispose d’une portée universelle pour s’adresser à tous.

Autrement dit, l’artiste doit inscrire son œuvre dans l’Histoire, pour être capable de toucher chaque histoire personnelle des gens confrontés à son œuvre. Il doit établir un lien authentique avec la réalité, celle que tout le monde vit, sans quoi son œuvre ne serait qu’un fantasme.

La capacité du capitalisme est de proposer un nombre immense d’œuvres fantasmés à des gens fantasmant, multipliant les marchés. Ce faisant, le capitalisme tue la possibilité d’une œuvre universelle, d’une œuvre classique, d’un chef d’œuvre. Le relativisme tue l’universel et démolit le temps en le fragmentant en autant de « durées » perçues individuellement.

La course à la subjectivité massacre le monde objectif. L’artiste doit s’y opposer, pour exister en tant qu’artiste, pour s’arracher à la négation du réel, pour porter une œuvre dans un cadre historique. Réfléchir à ce qu’on retenir de son œuvre, à ce qui sera naturellement retenu, est donc essentiel.

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Une oeuvre d’art, c’est une idée et son expression imagée

A condition de correspondre au réel.

L’oeuvre d’art est portée par un artiste, qui sait qu’il transporte quelque chose de particulier, qu’il a besoin de fournir une activité véhiculant quelque chose lui échappant. Or, tout le monde est artiste, car tout le monde est sensible et peut s’exprimer de manière approfondie dans un domaine artistique, grâce à la richesse matérielle acquise par l’humanité.

Cette richesse cependant est fournie dans un cadre capitaliste et les gens se perdent dans des nombrilismes cryptiques ou des réalisations commerciales insipides, oscillant entre ces deux pôles par incapacité de faire des efforts vers une réelle émotion esthétique.

L’art a ce privilège en effet de combiner l’esthétique, au sens de quelque chose de très développé intellectuellement, culturellement, avec l’émotion. C’est unique dans l’humanité avec peut-être l’amour, lorsqu’il est authentique, car alors il découle quelque chose de l’amour : pas seulement des enfants, mais tout une atmosphère, un environnement, un milieu, quelque chose de vraiment artistique… Aucun amour réel n’est statique, improductif ; tout amour réel irradie, donne naissance, et ce de manière naturelle.

Dans l’art toutefois, rien ne découle jamais naturellement, à part bien sûr chez les produits capitalistes s’imaginant que dessiner un trait blanc sur un fond blanc et y ajouter des tâches serait une véritable expression d’une vie intérieure en réalité asséchée, pervertie, démolie. Car l’artiste doit faire des efforts de composition pour agencer sa production, alors que dans l’amour cette composition est naturelle. Et lui vise directement l’esthétique car il sait que son oeuvre doit allier ce qu’il porte, comme idée, avec une capacité à se concrétiser dans une image parlante à tous.

Dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014), Andreï Tarkovski dit à juste titre que :

« ‘Le politique exclut l’artistique, car pour convaincre il a besoin d’être unilatéral!’ (Tolstoï)

En effet, l’image artistique, pour être crédible, ne peut être unilatérale, car pour prétendre à la vérité, elle doit pouvoir unir en elle les contradictions dialectiques inhérentes à la réalité.

Il n’est donc guère étonnant que même des critiques d’art professionnels ne parviennent pas à déceler une différence entre l’idée d’une oeuvre et son essence poétique.

C’est qu’une idée n’existe pas en art en de hors de son expression imagée. Et l’image existe comme une appréhension volontaire de la réalité, mêlée aux tendances et à la vision du monde qui sont celles de l’artiste. »

Et comme il est difficile de parvenir à une expression imagée ! Quels efforts intérieurs déchirants cela exige, car il faut relier sa vie intérieure à la réalité, les faire interagir, tenir le choc de cette confrontation entre son moi et la société, la nature… C’est ce parcours qui permet de donner naissance à une véritable oeuvre d’art, et pas à un simple prolongement d’un point de vue ou d’une émotion fugace et purement individuelle.

C’est pour cela que le capitalisme c’est forcément des montagnes de pseudos créations artistiques d’egos boursouflés étalant sans efforts leurs nombrilismes et d’autres montagnes de productions capitalistes ultra-léchées et totalement commerciales. Et le véritable artiste, s’il sait éviter ces deux montagnes, vit exilé dans la vallée de la production artistique, sachant qu’en y marchant, en la traversant, il est dans le réel, et que s’il y reste, il est même dans l’Histoire.

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L’image, capteur d’absolu

La destruction de l’image est le symptôme de la décadence.

Si le manque de moyens rendait impossible ou du moins très difficile l’accès à la culture, il y a désormais une puissante surcharge pseudo-culturelle fournie par le capitalisme. Et ce qui caractérise cette surcharge, c’est qu’elle a de moins en moins de contenu, qu’elle porte de moins en moins de vérité.

Plus il y a des choses, plus il y a d’individus, moins il y a de personnalité. Faut-il alors tomber dans l’élitisme fasciste ou bien l’existentialisme chrétien? Pas du tout. Ce serait une régression. Il faut porter l’exigence au cœur des masses, en affirmant l’existence de classiques, d’une part, et en posant la nécessité du réalisme, d’autre part.

Car le capitalisme impose une consommation individuelle amenant les gens à toujours plus s’éloigner de la réalité. Les gens décrochent du réel, ils rêvent leur vie et ils le font d’autant plus que leur propre vie est morne, répétitive, fade. Alors qu’ils pourraient être artiste, qu’ils devraient être artiste.

Tout un chacun doit en effet épanouir ses facultés et, selon ses dispositions, développer sa sensibilité pour être capable de voir l’universel dans le réel, le sensible dans le réel. Qui est capable de vivre cela vit deux fois plus, dix fois plus, cent fois plus. Qui ne le fait pas le découvre à la veille de mourir et le regrette.

Il faut savoir s’écouter, non pas dans un sens égocentrique, nombriliste, mais bien dans le sens de la vie elle-même, c’est-à-dire à la fois personnel au sens d’intime et universel. Dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014), Andreï Tarkovski dit avec raison que :

« L’art nous fait appréhender le réel à travers une expérience subjective.

Avec la science, la connaissance de l’univers évolue d’étape en étape, comme si elle gravissait les degrés d’un escalier sans fin, chacune réfutant souvent celle qu l’a précédée, au nom de vérités particulières objectives.

En art, la connaissance est toujours une vision nouvelle et unique de l’univers, un hiéroglyphe de la vérité absolue.

Elle est reçue comme une révélation, ou un désir spontané et brûlant d’appréhender intuitivement toutes les lois qui régissent le monde: sa beauté et sa laideur, sa douceur et sa cruauté, son infinité et ses limites.

L’artiste les exprime par l’image, capteur d’absolu. »

La grande peur de notre époque, c’est finalement d’être authentiquement personnel, d’assumer de l’être, de produire des œuvres reflétant cette réalité. C’est ainsi que l’on passe du particulier à l’universel, qu’on se relie d’un aspect de la réalité à l’ensemble, dans un grand mouvement historique, car les choses se transforment.

En ce sens, c’est d’images dont nous avons besoin, d’images comme capteurs d’absolu. Nous avons besoin d’une génération d’artistes, qui soient à l’avant-garde d’un mouvement général vers l’art, qui soit une partie du vaste mouvement de transformation nécessaire à notre époque. Être un artiste à notre époque est l’une des choses les plus difficiles qui soient, néanmoins c’est également exactement ce qu’il faut pour se transcender et parvenir à se réaliser malgré le capitalisme, parmi, au milieu et avec les plus larges masses!

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Playlist punk anti-guerre 1980’s

La guerre est aussi le prolongement de toute une société.

Les années 1980 ont été des années terrifiantes en raison du risque d’affrontement militaire et nucléaire entre les deux superpuissances d’alors, les États-Unis et l’URSS. En France, cette angoisse a été moins forte qu’en Allemagne et en Grande-Bretagne, de par l’orientation « géopolitique » en retrait de la France. Mais en Grande-Bretagne, il y avait la hantise de se faire vitrifier en cas de conflit et le mouvement punk, tout au long de la décennie, n’a cessé de faire de la guerre un thème essentiel.

En Allemagne, il y avait bien entendu la considération que si une guerre se déroulait, ce serait avant tout sur son territoire… Et il n’en resterait pas grand chose. La chanson de Nena, 99 Luftbalons, est ici la plus connue des chansons anti-guerre. Elle raconte comment 99 ballons dans le ciel sont compris comme une attaque par les furieux militaristes qui alors se précipitent dans la guerre.

Le mouvement punk anglais a cependant ceci de différent par rapport à Nena qu’il a toujours relié le militarisme au mode de fonctionnement d’une société capitaliste précipitant les gens dans l’aliénation. D’où le fait que cette musique punk était justement écouté dans les innombrables squats berlinois de la même époque avec les autonomes. La guerre n’était pas considérée comme quelque chose tombant du ciel, mais comme dans la nature même d’un capitalisme agressif.

D’où l’adoption d’un son agressif, un sens de l’urgence, une volonté de confrontation. Le punk n’a pas été dans les années 1980 qu’un nihilisme, il a été aussi une philosophie de refus d’une société acceptant et produisant la guerre.

Voici la playlist en lecture automatique, suivie de la tracklist :

  1. The Exploited – War (1982)
  2. Camera Silens – Est/Ouest (1985)
  3. The Clash – London calling (1979)
  4. Chaos UK – 4 Minute Warning (1984)
  5. The Stranglers – Nuclear device (1979)
  6. UK Subs – Warhead (1980)
  7. Bad Religion – World War III (1981)
  8. Discharge – Visions of War (1981)
  9. Disorder – Provocated War (1985)
  10. M.D.C. – Missile Destroyed Civilization (1986)
  11. The Proletariat – Splendid Wars (1983)
  12. Subhumans – Who’s Gonna Fight in the Third World War ? (1984)
  13. The Exploited – Let’s Start a War [said Maggie one day] (1983)
  14. Discharge – Never again (1981)
  15. Anti cimex – Victims of a bombraid (1984)
  16. Doom – War crimes (1988)
  17. Crucifix – Annihilation (1982)
  18. Axegrinder – Damnation of the living (1987)
  19. Dirt – Anti-war (1985)
  20. Conflict – One Nation Under The Bomb (1983)
  21. Icons of filth – Onward Christian Soldiers (1984)
  22. Lost cherrees – No fighting no war (1983)
  23. Flux of pink indians – Tapioca sunrise (1982)
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Le cinéma authentique ne repose pas sur la dramaturgie

La vie doit être montrée en elle-même.

Le cinéma tel qu’il est apparu a largement profité du théâtre, dont il a été finalement surtout un prolongement. C’était rendu inévitable par le fait qu’initialement le cinéma était muet et qu’il fallait donc une certaine expressivité forcée, ainsi qu’un scénario qui soit parfaitement accompagnateur du spectateur.

L’irruption du son a modifié la situation, tout comme l’apparition des pellicules en couleur. Cela a permis l’émergence de véritables cinéastes, avant que le capitalisme ne donne la parole à une marée d’opportunistes tournant en masse pour la télévision et les salles de cinéma devenus d’importants centres de consommation. Ce sont les années 1960-1980, avec Ingmar Bergman, Andreï Tarkovski, Akira Kurosowa, Jean-Luc Godard, Satyajit Ray, Im Kwon-taek, Stanley Kubrick, et quelques autres encore.

On parle ici de peu de personnes, car la difficulté était de parvenir à une composition esthétique. Le cinéma est ici vu comme la musique, il faut composer, il ne s’agit pas d’en rester à des principes techniques abstraits, d’autant plus que ceux-ci prolongent le théâtre.

Andreï Tarkovski souligne ici cet important aspect dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014):

« La naissance et le développement d’une pensée obéissent à des lois particulières. Celle-ci requiert parfois pour s’exprimer des formes distinctes de celles de la logique abstraite.

Et je crois la démarche poétique plus proche de cette pensée, donc de la vie elle-même, que ne le sont les règles de la dramaturgie traditionnelle. Pourtant, celles-ci ont été longtemps considérées comme constituant l’unique modèle pour exprimer le conflit dramatique.

Les liaisons poétiques apportent davantage d’émotion et rendent le spectateur plus actif.

Il peut alors participer à une authentique découverte de la vie, car il ne s’en remet plus à des conclusions toutes faites imposées par l’auteur.

Il ne lui est proposé que ce qui peut lui permettre de découvrir l’essence de ce qu’il voit. »

On a ici l’essence du cinéma, à rebours du cinéma capitaliste proposant la passivité comme norme et conduisant tout droit aux séries pour les télévisions ou les ordinateurs.

Une caractéristique insupportable de ce capitalisme télévisuel est la nature stéréotypée des acteurs. Tom Hanks est forcément un homme décent, Bruce Willis un désabusé rentre-dedans, Johnny Depp une personnalité étrange à deux faces, Tom Cruise un malin dans une situation inappropriée, etc. On sait forcément à quoi s’attendre. Et c’est d’autant plus vrai que le scénario est théâtralisé.

C’est particulièrement vrai en France, où la véracité s’efface systématiquement derrière un style surfait, forcé, psychologisant. Ce n’est pas pour rien que les films français, ce sont Taxi, Astérix et OSS 117, c’est-à-dire des constructions, en fait des abstractions, dénuées de vie. C’est bon pour passer le temps ou plus exactement pour le brûler. Le temps perdu dans le capitalisme est gigantesque en effet et toute cette production télévisuelle / cinématographique est l’équivalent d’Instagram ou de TikTok.

Le capitalisme prétend affirmer l’individu : c’est vrai, et c’est aux dépens de la personnalité. Le capitalisme, c’est une avalanche de « créations », mais une absence complète d’auteurs, et donc de productions. Il n’y a pas d’émotion esthétique permise dans le capitalisme, car cela impliquerait une personnalité réelle, alors que le capitalisme ne veut que des fantômes ne laissant rien sur leur personnage, la consommation devant être permanente.

D’où la négation des classiques, d’où la remise en cause permanente de tout et n’importe quoi, au nom de n’importe quoi. Tout doit être fait pour réimpulser la consommation.

Le vrai cinéma peut être une puissante contribution à contrarier cela, à relever le niveau. Pour cela, il doit viser des spectateurs actifs – et peu importe qu’il soit marginal, à l’écart, du moment qu’il ne bascule pas dans le travers d’être cryptique, élitiste, nombriliste. C’est un devoir culturel de notre temps.

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Playlist « Breakbeat du XXIe siècle »

Le terme breakbeat qualifie une caractéristique musicale des genres où le motif habituel du kick est brisé, avec un beat particulier, presque arythmique, qui s’illustre principalement dans la Drum & Bass (ou DnB).

Mais les premiers breakbeats c’étaient les breaks de batterie, les parties non-chantées dans les morceaux de funk qui, une fois isolés et joués en boucle, ont servi de matière première pour le Hip-Hop des origines des années 1970.
C’était la partie qui faisait danser les breakers, qui permettaient aux rappers de poser leurs mots.

Le morceau comportant le break le plus célèbre est « Amen Brothers » par The Winstons et un solo de batterie exécuté par le fameux G.C. Coleman, ci-dessous à 1’26.

Ce fameux contretemps est aussi présent dans la musique caraïbéenne où on l’appelle skank et aboutira dans le dub. Il réapparaît sous forme électronique dans le milieu hardcore anglais avec la Jungle puis la fameuse Drum & Bass.

La Drum & Bass a succédé à la « Jungle » aux alentours de 1996 dans la région de Bristol au Royaume-Uni. C’est une rupture relative avec les ambiances « traditionnelles » de la techno, car la notion rythme est tout à fait centrale dans le développement d’une mentalité et d’une attitude, d’une manière de danser principalement. On passe du rythme binaire régulier, lancinant hérité de la techno de Detroit à des breaks endiablés, sans fin, augmentés grâce à l’informatique. On a ainsi un style qui s’éloigne des « traditionnelles » amphétamines qui innondent la scène techno, préférant une approche plus passive avec la consommation de weed et, plus tard, d’anti-dépresseurs.

Malgré ces différences, la Drum & Bass fait partie du milieu rave, cela agrandit encore les perspectives au sein des musiques électroniques, en terme de choix de soirée, d’ouverture culturelles etc.

Il y a eu moins d’écho en France par rapport à l’ère anglo-saxonne ou l’Allemagne par exemple, mais dans les années 2000 jusqu’au début des années 2010 il était tout à fait possible et facile d’aller uniquement dans des soirées D&B. Les freeparty ont participé également à la diffusion de ce genre, les grosses lignes de basses et le rythme particulier permettant de reposer les corps dans les matinées ensoleillées suivant les nuits blanches.

On trouve des morceaux récents de DnB, à la fois très modernes du point de vue des sonorités, au mastering très propre, et à la fois « old school » dans l’esprit.

C’est un peu le son de la crise, avec un style particulier, avec une énergie comme contenue, enserrée dans des nappes de basses, comme ne parvenant pas à s’exprimer totalement.
Forcément, les breakbeats sont basés sur les breaks, des cassures littéralement plutôt que des transitions, donc sur une rupture musicale : la fin d’une séquence, le début d’une nouvelle, différente, plus complexe, plus intense.

Pour accéder à la playlist >cliquez ici<

Voici la tracklist :

1) Molecular, Bouncer

2) Thread, When I Feel

3) Philth & Bredren – Butterfunk

4) Molecular, Rolling Ride

5) Ground, Regain

6) Telekinesis, Sensor

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Playlist Cabaret Voltaire

Du post-punk à l’aventure industriel-techno.

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Lorsque Ian Curtis de Joy Division se suicida, les membres de Cabaret Voltaire furent les seuls présents à l’enterrement avec le groupe et la famille de celui-ci. Les premiers enregistrements de New Order se feront dans les studios de Cabaret Voltaire. C’est un rapprochement qui en dit long et qui est une référence pour ceux appréciant la contribution de ces deux groupes, New Order étant profondément marqués par l’approche électronique de Cabaret Voltaire et il faut ajouter aux groupes largement influencés Depeche Mode, Front Line Assembly, Ministry, Skinny puppy, ou encore Bauhaus.

Tous ces groupes ont en commun d’être composés de gens culturellement de gauche à la fois avant-gardistes et ancrés dans la protestation populaire de l’époque, de mêler un esprit contestataire et la musique électronique comme repli.

Il y a plusieurs périodes dans l’histoire de Cabaret Voltaire. Initialement, c’est un groupe de post-punk utilisant les bases de ce qui va être la musique industrielle.

C’est rentre-dedans puis rapidement construit de manière expérimentale abrasive, avec un profond sens du collage qui va être la marque du groupe. Le groupe tire son nom d’ailleurs d’un café de Zurich où est né le mouvement Dada, le « Cabaret Voltaire ». On est ici en 1979 et c’est une sorte de punk electro-sonore.

Au tout début des années 1980, Cabaret Voltaire passe alors à la musique industrielle en tant que telle, avec un profond sens de la répétition. Les albums « Red Mecca » et « Three Mantras » sont ici de grande valeur.

Puis dès 1982, on passe comme avec New Order dans la musique dansante mais froide, dans l’esprit Funk industriel. Il y a ici quelque chose d’incroyablement en avance, mais il va manquer quelque chose. L’esprit reste trop expérimental, il y a un fétichisme du collage dans les vidéos rendant l’ensemble très vite suranné, il y a trop d’inégalités dans les productions. L’ensemble est néanmoins clairement marquant et ouvrant une voie, ni plus ni moins que celle de la House music, avec le côté funk dansant mais froid et répétitif sur la durée.

Le virage étant raté, Cabaret Voltaire va alors connaître deux périodes. La première c’est celle d’une electropop qui s’éteindra rapidement. La seconde, c’est le passage dans la techno ambient, l’expérimentation électronique, l’IDM (intelligent dance music), avec un arrière-plan en fait tech-house et la culture acid-house.

https://www.youtube.com/watch?v=_j7hCaWWU-s
https://www.youtube.com/watch?v=M_0FrZ3EO8s

Voici une vidéo d’un projet de Richard H. Kirk, Sweet Exorcist (avec DJ Parrot) ; elle a été réalisée par Jarvis Cocker de Pulp.

Voici une chanson tirée de Plasticity, un album techno de 1992 d’une grande valeur (et totalement inconnu); la vidéo consiste en ce qui était projeté en 1990-1991 lors de la tournée de Cabaret Voltaire. C’est que le groupe avait bien entendu en tête, dans l’esprit des années 1980, d’un projet « total ». Il était sur ce point bien trop en avance.

Cabaret Voltaire est en fait emblématique, avec New Order des tout débuts ou le premier ministry, d’une petite vague « funk industrial » qui, au tout début des années 1980, va servir de laboratoire à la confluence de la musique d’Europe et de celle des Etats-Unis, à l’image de la rencontre entre Kraftwerk et Afrika Bambaataa dans « Planet rock » en 1986.

Playlist

Voici la playlist en lecture automatique suivie de la tracklist !

Just fascination (1983)

I want you (1985)

Kino (1985)

Yashar (1982)

James Brown (1984)

Digital Rasta (1984)

Back to Brazilia (1992)

Colours (1991)

Landslide (1981)

Blue heat 12 mix (1984)

Here to go (1987)

Sensoria (1984)

Animation (1983)

Baader Meinhof (1979)

24-24 (1983)

Nag nag nag (1979)

Silent command (1979)