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Culture Vie quotidienne

Les Nonnes Troppo: Le roi de la route

Une chanson classique contre les fous du volant.


Un bijou du tout début des années 1990, avec un esprit portraitiste particulièrement bien ficelé !

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Culture Vie quotidienne

« Ghost Town » des Specials, la chanson emblématique du déclin urbain

Le groupe britannique de Ska a réalisé une chanson emblématique en 1981.

Si dans les villes d’une certaine importance le capitalisme se développe puissamment en raison d’un marché « bobo », les villes moyennes de France se délabrent souvent, dans une atmosphère pesante. C’est un constat terrible marquant vraiment les esprits.

Il n’y a pourtant pas d’élan culturel ou plutôt contre-culturel qui en ressorte vraiment. C’est comme si la démarche nostalgique et nihiliste des gilets jaunes était la seule expression possible d’une « périphérie » forcément marginalisée. Cela reflète toute une passivité, toute une acception d’une sorte de destin forçant à la mise de côté de ceux qui ne sont pas dans les grands centres urbains et qui profitent, d’une manière ou d’une autre, d’une certaine vie culturelle.

C’est d’autant plus marquant si on regarde l’Angletere et l’Allemagne, deux pays où les villes moyennes parviennent à produire tout de même des cultures locales, voire de vraies contre-cultures. Si l’Allemagne n’a pas de réel centre urbain asphyxiant le reste du pays, l’Angleterre a Londres et malgré cela, les villes moyennes ont produit des choses marquantes, y compris lors d’un processus de déclin très avancé durant la fin des années 1970.

Il est vrai que cela s’est accompagné aussi d’une violence endémique localement, celle des skinheads, dans une perspective nihiliste. Mais ce n’était qu’un aspect de la question et justement, en 1981, le groupe de ska The Specials, de la ville de Coventry, parvint à refléter ce processus dans une chanson : Ghost Town, la ville fantôme.

La chanson eut un réel succès populaire, dans un contexte explosif: il y eut 35 émeutes urbaines en Angleterre cette année. Et en plus du succès, la chanson obtint une grande reconnaissance culturelle, devenant le symbole de l’effondrement de la vie culturelle des villes moyennes. Le groupe, relevant de la scène skinhead non raciste et engagée à gauche, dut d’ailleurs cesser son activité sous la pression du nihilisme ambiant et de la brutalité d’extrême-droite.

This town (town) is coming like a ghost town
All the clubs have been closed down
This place (town) is coming like a ghost town
Bands won’t play no more
Too much fighting on the dance floor

Cette ville (ville) devient comme une ville fantôme
Tous les clubs ont été fermés
Cet endroit (ville) devient comme une ville fantôme
Les groupes ne joueront plus
Trop de bagarres sur la piste de danse

Do you remember the good old days before the ghost town?
We danced and sang, and the music played in a de boomtown
This town (town) is coming like a ghost town
Why must the youth fight against themselves?

Vous souvenez-vous du bon vieux temps avant la ville fantôme ?
Nous avons dansé et chanté, et la musique était joué dans une ville en plein essor
Cette ville (ville) devient comme une ville fantôme
Pourquoi les jeunes doivent-ils lutter contre eux-mêmes ?

Government leaving the youth on the shelf
This place (town) is coming like a ghost town
No job to be found in this country
Can’t go on no more
The people getting angry
This town is coming like a ghost town

Le gouvernement laisse les jeunes de côté
et endroit (ville) devient comme une ville fantôme
Aucun emploi à trouver dans ce pays
Je ne peux plus continuer
Les gens deviennent en colère
Cette ville devient comme une ville fantôme

Voici également une expression moins positive de l’époque, expression justement d’une rage intériorisée, avec le classique skinhead « Coventry » de Business, de 1983. Si la démarche n’est pas raciste (une gageure dans la scène skinhead alors) et reste populaire, la chanson est comme l’ensemble des chansons de Business composée de lamentations : nous sommes incompris, la police nous en veut tout le temps, nous sommes toujours du mauvais côté quoi qu’il arrive, etc.

Il y a une réelle dignité des classes laborieuses, mais c’est enfermé sur soi-même.

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Culture

Demian Dorelli rend hommage à Nick Drake

Demian Dorelli est un remarquable pianiste anglais qui a récemment annoncé la réalisation d’un projet qui lui tenait à cœur : un album en hommage à Nick Drake, « Nick Drake’s Pink Moon, a journey on piano ». Deux morceaux ont été publiés, chacun accompagnés d’un clip : Pink Moon et Place to be.

Chacun de ces deux morceaux marque immédiatement par la justesse et la sensibilité tant du jeu que de la composition. Au fil de chaque chanson, la texture et l’atmosphère de l’hommage se confondent par moment avec ceux de 1971 avant de reprendre des chemins différents et d’explorer plus en détail l’univers ouvert par Nick Drake.

Toute la difficulté de l’exercice était de ne pas chercher à s’approprier ou réinterpréter une œuvre, mais de la prolonger et d’y apporter un autre regard. Dans ce sens, le résultat une réussite : ces deux compositions ne sont pas figées dans le passé et parviennent à défendre cet héritage et cette sensibilité.

Le clip vidéo de Pink Moon est, au vu des techniques et productions actuelles, relativement simple mais réussi. La vidéo est centrée sur la pièce d’enregistrement avec le piano au centre et intègre une imposante lune rose ainsi que quelques références à Nick Drake au fil des plans. Elle accompagne ainsi le morceau avec une certaine fébrilité mais le résultat reste très plaisant à regarder.

Le clip vidéo de Place to be est dans le même état d’esprit, avec un côté dessin animé plus prononcé. Cependant, une idée vient gâcher l’ensemble : les quelques plans avec de la danse classique, au début de la vidéo. Il est dommage de mélanger la finesse et la mélancolie et de morceau avec des séquences d’entraînements de danses si rudes pour le corps. On dira, à raison, que c’est du détail, mais à ce niveau-là ils sont très importants.

Défendre le meilleur de la culture, défendre la complexité et le raffinement dans l’expression de la sensibilité humaine : voilà ce que devrait défendre la Gauche, au lieu de s’enfoncer dans le populisme, à courir derrière des Gilets Jaunes et des anti-pass sanitaire toujours plus infects au fil des mois.

L’humanité a besoin de voir des projets comme celui de Demian Dorelli fleurir partout, pas de beaufs qui veulent continuer comme avant et s’enfoncer toujours plus dans la barbarie.

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Culture

Pale Swordsman, album black metal de Këkht Aräkh

Këkht Aräkh est un groupe de black metal ukrainien assez atypique et dont le dernier album, Pale Swordsman, a connu un certain succès. Le groupe est composé d’une seule personne et existe depuis peu : le premier enregistrement publié remonte à 2018, suivi du premier album quelques mois après.

Këkht Aräkh

Deux choses rendent Pale Swordsman remarquable : le piano et l’atmosphère romantique-médiéval / vampire.

L’album commence avec une langoureuse mélodie au piano en guise d’introduction. Avec son bruit de fond de vieux vinyl et ses quelques accords de guitares, saturés, l’ambiance est posée : une sensation d’être hors du temps et transporté dans un château médiéval, niché sur une colline, l’appel de la nuit… Arrive ensuite du black metal façon Norvège des années 1990, plus proche du réel hommage que de la fade copie, enveloppé dans cette atmosphère propre à Këkht Aräkh.

Le reste de l’album se compose de chansons de black metal brut et froid d’un côté, et de passages instrumentaux au piano – ou à la guitare. Côté black metal, les riffs sont simples sans être simplistes et les morceaux construits avec finesse. Tout se mélange à merveille et le chant, mélancolique, agonisant, colle parfaitement à l’ambiance générale.

De leur côté, les morceaux au piano comme l’introduction, Nocturne ou Swordsman permettent de poser cette ambiance et de nous replonger dedans avec force lorsque le black metal reprend, comme la transition prenante de Nocture à Amid the stars.

Sur le plan esthétique, Pale Swordsman se démarque par ses paroles : les tourments, les aspirations et les regrets d’un personnage, que l’on devine être un vampire. L’album n’est pas une succession de morceaux composés et alignés indifféremment : il s’agit d’un tout, avec une ambiance et un style qui lui sont propres. Dans une interview, l’artiste derrière Këkht Aräkh explique ainsi :

Je pense être romantique, dans une certaine mesure, oui. Mais ce n’est pas seulement une question d’amour et de romance dans le sens que nous lui donnons habituellement. Je pense souvent profondément aux choses dans le monde, au bien et au mal. A propos du mal fou auquel nous faisons face ici et là. Que ce soit au sujet de notre vie humaine, ou encore de choses plus fondamentales qui arrivent dans la Nature que nous considérons comme allant de soi.

Et l’amour et la joie pures qui ne peuvent être atteints dans ce monde, et qui doivent donc l’être uniquement dans notre imaginaire. Cette tragédie, que je ne peux supporter, est le moteur principal de ma créativité. Et l’ambiance particulière que ces anciens groupes norvégiens portaient correspond à cet état d’esprit.

En période de trouble, on se raccroche à ce qui exige authenticité et Pale Swordsman fait des œuvres artistiques auxquelles se raccrocher avec force : se plonger tout entier dans cet univers si particulier, le temps de ne plus être seul. C’est un romantisme qui a ses limites, mais il a la dignité de poser des sentiments et des émotions, dans un monde où c’est rejeté au profit de la superficialité et de l’égo.

Écouter l’album sur Bandcamp
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Culture Planète et animaux

Un suprême classique : Mercy Mercy Me (The Ecology)

Une chanson emblématique tirée d’un album référence.

Nous sommes en 1971 et le chanteur américain Marvin Gaye sort une album qui consiste en une sorte de vaste fresque, une sorte de grande histoire composée de chansons se reliant les unes les autres.

Cela parle d’amour, de paix, d’unité de l’humanité, de sentiment, de cette inquiétude face aux choses qui partent dans toutes les directions sans qu’on en saisisse le pourquoi ou même le contour… Mais que se passe-t-il?

Et au sein de cet album incontournable, qui change une vie comme ce qui est véritablement culturel, on trouve une chanson très connue, dont les paroles restent souvent méconnues en France de par le fait que cela soit en anglais.

Et ces paroles nous serrent la gorge en nous rappelant que nous avons au moins cinquante ans de retard sur les exigences de notre époque…

Oh, mercy mercy me
Oh, things ain’t what they used to be
No, no
Where did all the blue sky go?
Poison is the wind that blows
From the north, east, south, and east

Oh, pitié, aie pitié de moi
Oh, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient autrefois
Non, non
Où est passé tout le ciel bleu ?
Le poison est le vent qui souffle
Du nord, de l’est, du sud et de l’est

Oh, mercy mercy me
Oh, things ain’t what they used to be
No, no
Oil wasted on the oceans and upon our seas
Fish full of mercury

Oh, pitié, ai pitié de moi
Oh, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient autrefois
Non, non
Le pétrole a saccagé l’océan et dans nos mers,
des poissons plein de mercure

Oh, mercy mercy me
Oh, things ain’t what they used to be
No, no
Radiation in the ground and in the sky
Animals and birds who live nearby are dying

Oh, pitié, ai pitié de moi
Oh, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient autrefois
Non, non
La radiation dans le sol et dans le ciel
Les animaux et oiseaux qui vivent à proximité sont en train de mourir

Oh, mercy mercy me
Oh, things ain’t what they used to be
What about this overcrowded land?
How much more abuse from man can you stand?
My sweet Lord
My sweet Lord
My sweet Lord

Oh, pitié, ai pitié de moi
Oh, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient autrefois
Qu’en est-il de cette terre surpeuplée
Combien d’abus de l’Homme peut-elle encore supporter ?
Mon tendre Seigneur
Mon tendre Seigneur
Mon tendre Seigneur

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Culture Écologie Vie quotidienne

Un bijou incontournable de Moby et Steve Cutts

Une vidéo synthétisant une exigence du 21e siècle.

Un grand artiste de la musique rencontre un grand artiste du dessin et cela donne quelque chose de formidable. Pourquoi ? Parce que ces grands artistes, à rebours du subjectivisme, s’ancrent dans le réel. Une œuvre d’art, ce n’est pas un étalage émotionnel purement individualiste, mais une exposition de la réalité à travers la sensibilité.

On parle ici de Moby (qui assume d’être lié à l’esprit techno des années 1980) et de Steve Cutts (aux vidéos écologistes incontournables), le second ayant fait la vidéo de la reprise par le premier de sa chanson classique de 1999 Why Does My Heart Feel So Bad?.

La question animale, dont 99% des gens n’est toujours pas capable de parler en France en 2021, s’expose ici dans toute sa dignité… Et avec toute son exigence !

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Culture Culture & esthétique

Playlist Gothic rock (Bauhaus, Sisters of Mercy, Fields of the Nephilim)

Trois groupes avec un univers artistique très développé.

La notion de Gothic rock est paradoxalement très imprécise et extrêmement précise. Elle est précise, parce que c’est clairement un sous-genre du mouvement gothique du début des années 1980. On a la même perspective lugubre, de critique esthétisante de la société, d’exigence d’une affirmation personnelle romantique. La base musicale est très proche, avec une influence significative de Joy Division, des Cure et de Siouxsie & the Banshees, qui forment le socle initial de l’approche Gothic rock.

Elle est toutefois imprécise, car les groupes qui en relèvent ont une sensibilité différente, privilégiant leur propre esthétique, sombre mais largement teintée d’un esprit rock rebelle d’esprit post-punk et de références artistiques. Il ne s’agit pas d’un quelconque « snobisme », mais d’une mise en perspective réellement différente : Bauhaus, Sisters of Mercy, et les Fields of the Nephilim ont un univers extrêmement élaboré, reflétant un très haut niveau culturel.

Ce sont d’ailleurs les trois groupes qu’on cite communément comme Gothic rock, parce que ce sont eux qui ont réussi à faire acte d’indépendance. Si les gothiques considèrent que ces groupes font partie de leur patrimoine (ce qui est vrai), un public touché par un de ces trois groupes se considère comme à l’écart du gothique (ce qui est vrai aussi).

Pour essayer de faire un panorama ayant un sens, on peut voir les choses ainsi :

– Bauhaus est un groupe avec une grosse base intellectuelle ; issu du post-punk, il est très marqué par la dub, par le collage d’esprit cubiste, par l’expressionnisme, l’esprit avant-gardiste pointu voire expérimental, mais tout en cherchant à maintenir un cap accessible, même si esthétisant (c’est un dépassement de David Bowie) ;

– les Sisters of Mercy, qui ont connu un très grand succès commercial, privilégient la dimension accessible mais avec une perspective romantique ouverte (c’est un dépassement des Stooges) ;

– les Fields of the Nephilim sont un groupe rupturiste, avec des artistes en look de cow-boys poussiéreux allant toujours plus loin dans un son rock lugubre et raffiné, peuplé de références littéraires-religieuses mystico-délirantes, mais dans une perspective ouvertement romantique – sentimental.

On trouve souvent comme références, à côté de ces deux groupes, The Mission (qui est une scission des Sisters of Mercy), pratiquant un gothique rock « pur », ainsi que The Cult, dans une même perspective mais plus glam, ou encore les Damned, de la première vague punk. On a cependant pas affaire ici à la même exigence de formation d’un univers artistique en soi. On doit mentionner absolument également le projet du chanteur des Sisters of mercy, The Sisterhood, dont l’album « Gift » est une expression majeure de cette approche.

Voici la playlist en lecture automatique, suivie de la tracklist :

The Cure – Charlotte Sometimes (1981)
Joy Division – Atmosphere (1980)
Bauhaus – She’s In Parties (1983)
The Sisters of mercy – Marian (1985)
Fields of the Nephilim – Last Exit For The Lost (live 1988)
The Sisterhood – Colours (1986)
The Sisters Of Mercy – Walk Away (1985)
Fields Of The Nephilim – Moonchild (1988)
The Sisters of Mercy – Lucretia My Reflection (1987)
The Cure – Primary (1981)
Bauhaus – Lagartija Nick (1982)
Fields Of The Nephilim – Shroud / Straight to the Light (live 2008)
Bauhaus – Ziggy Stardust (1982)
The Mission – Deliverance (1990)
The Cult – Rain (1985)
The Damned – Shadow Of Love (1985)
The Sisters Of Mercy – Ribbons (1990)
Bauhaus – In The Flat Field (1982)

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Culture

«Asphalte Hurlante», la poésie métropolitaine de La Caution en mai 2001

Au mois de mai 2001 il y a 20 ans, le groupe La Caution sortait l’incroyable album « Asphalte Hurlante ». C’était un disque à part, avec son approche totalement pop et en même temps une sophistication musicale et lyrique extrêmement poussée, typiquement parisienne.

Autrement dit, La Caution avait réussi l’exploit d’une synthèse entre le rap « Versaillais » (qui mélangeait le fun à la sophistication instrumentale) et le récit de tranches de vie authentiquement populaires des HLM de Noisy-le-Sec en Seine-Saint-Denis.

Cela a donné des textes magnifiques, mais relativement difficiles à appréhender, ainsi que musicalement un style électro et « cassé » peu accessible de prime abord. C’était en fait l’apogée de pratiquement trente ans de musique « urbaine », depuis « The Revolution Will Not Be Televised » de Gil Scott-Heron en 1970.

Cela marquait en 2001 pour les amateurs de musique un véritable tournant vers le 21e siècle, avec une poésie métropolitaine d’une grande profondeur culturelle. Rien que la pochette de l’album est une grande réussite.

Voici la transcription du morceau « Souvent », poésie sombre exprimant à merveille la folie des grandes métropoles.

Souvent [La Caution]

[Nikkfurie & Hi-Tekk]
On associe les paramètres.
Les quartiers de France comme système métrique,
Se base sur l’arithmétique de masse et sa rime maîtrise.
Hélas, on a mis l’éthique en place et la rue s’excite.
On nage dans la prise de risque, face à ça : notre charisme d’équipe.
C’est tout con, vu l’style, de traces conductrices,
De haine combustible, en fait : on se duplique.
Une toux convulsive, toute pleine d’onces d’usine,
La peste ondule vite, Hi-tekk plombe une cible.
Je me dis : « nom d’une pipe », réflexe translucide,
De la merde : on butine, de la merde : on butine…

[Hi-Tekk]
Je m’arrête net, en parachute,
Dans les bars à neusks ou les bars à putes.
Dans ce cas, je l’assume et je cavale plus,
Loin des stars de l’anus et de leurs parades nulles.
Leurs carnavals, loin des bases navales, me rendent paranoïaque.
Les narvallos jactent,
Fais gaffe à nos actes, on se masque à l’occaz’,
On marche à l’orgasme paranormal…

[Refrain]
Souvent, on parle d’avant,
Parfois, on parle d’après,
Parfois, on parle d’argent,
Souvent, on parle de vrai.
Parfois, on est 40,
Souvent, on est tout seul,
Parfois, on r’monte la pente,
Souvent, on est sur le seuil.
Souvent, ça boit de l’alcool,
Souvent, ça fume du shit.
Parfois, ça parle de rap,
Tout le temps, on voit les flics.
Parfois ça s’entraide,
Parfois ça s’embrouille,
Souvent, ça galère sec,
Tout le temps : les rêves se rouillent !

[Nikkfurie]
Le flic : un dos d’âne anodin, doté du don d’abattre au teint,
Dompté d’un tonneau de vin d’antan, pendant qu’un badaud meurt d’OD.
La France d’auteur d’Alphonse Daudet, de Danton à Baudin,
Mentir de Sedan à Meudon, du bandit au mendiant, du lundi au lundi.
Du condé qui condamne à la place du juge et qui t’emmerde,
C’est bien au placard qu’il t’emmène, ça a une odeur de chrysanthème…

[Hi-Tekk]
Je représente l’injection létale,
Pour les pointeurs la peur se présente : inspectons les caves.
Pour eux : la peine capitale et maximale.
Après maintes questions légales,
On m’assimile à la peste en HLM habitacle.
Elle reflète la misère, après on se plaint que les cons s’éclatent…

[Nikkfurie]
Compte jusqu’à 10, on gravite au-dessus de notre maigre discographie.
Bon nombre d’africains trafiquent, arrivent en avion, en navire.
Regarde la poésie d’ici, car aucun pro n’hésite ici,
Ici personne n’est justicier et le choix des armes est judicieux…

[Refrain]
Souvent, on parle d’avant,
Parfois, on parle d’après,
Parfois, on parle d’argent,
Souvent, on parle de vrai.
Parfois, on est 40,
Souvent, on est tout seul,
Parfois, on r’monte la pente,
Souvent, on est sur le seuil.
Souvent, ça boit de l’alcool,
Souvent, ça fume du shit.
Parfois, ça parle de rap,
Tout le temps, on voit les flics.
Parfois ça s’entraide,
Parfois ça s’embrouille,
Souvent, ça galère sec,
Tout le temps : les rêves se rouillent !

[Nikkfurie]
On dépayse le racisme avec des armes dignes de Maciste.
On se fout de l’aristocratie : le rap, mon art dit trop crasseux.
Si la France était un poumon, nos tours en seraient les cancers !
Si la France était un sumo, nos tours en seraient les Pampers !
Si la France était un rouleau, nos tours seraient ce qu’il compresse !
Si la France, c’était les journaux, nous en serions les faits divers…

[Hi-Tekk]
Je suis complètement à côté de la plaque,
Un pote me casse les yeuks avec ses histoires de cunnilingus.
En face de moi le mur est sale, je vois que l’urine s’incruste.
L’odeur de bière est omniprésente.
Au final, avec la justice, ceux qui la subissent trinquent plus.
Je me dis que l’ultime insulte est celle qui vise mes ancêtres,
Quand on les traite en stupides incultes.
J’aimerais qu’à l’usine s’insurgent les prolétaires,
Qu’ils baisent la France patronale.
Quand je me défoule,
Plus je nique un truc, plus je me dis que dans ma vie,
Je suis l’unique intrus.
Je me prends un stop.
C’est anormal.
Sur les bancs publics s’incrustent,
Nos embrouilles sur la corde raide.
Ma haine : une forteresse munie d’instrus…

[Refrain]
Souvent, on parle d’avant,
Parfois, on parle d’après,
Parfois, on parle d’argent,
Souvent, on parle de vrai.
Parfois, on est 40,
Souvent, on est tout seul,
Parfois, on r’monte la pente,
Souvent, on est sur le seuil.
Souvent, ça boit de l’alcool,
Souvent, ça fume du shit.
Parfois, ça parle de rap,
Tout le temps, on voit les flics.
Parfois, ça s’entraide,
Parfois, ça s’embrouille,
Souvent ça galère sec,
Tout le temps : les rêves se rouillent !

Parfois c’est Hi-Tekk, souvent c’est du bon son
Parfois c’est Nikkfurie, tout le temps c’est La Caution
Parfois on parle de nos pères, parfois on parle de nos mères
Souvent de faits divers, jamais on ne sort de nos sphères
Parfois c’est Hi-Tekk, souvent c’est du bon son
Parfois c’est Nikkfurie, tout le temps c’est La Caution
Souvent, parfois, tout le temps, jamais en transe, maintenant, souvent

Parfois c’est Hi-Tekk, souvent c’est du bon son
Parfois c’est Nikkfurie, tout le temps c’est La Caution
Parfois c’est DJ FAB, souvent c’est du bon son
Parfois c’est KEROZEN, tout le temps c’est La Caution

L’album a été réédité en 2002 dans une « Ultime édition » avec quelques morceaux supplémentaire, dont le sublime Metropolis :

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Culture

Le goût du Kebab, c’est la marinade

Et seulement la marinade.

L’anecdote racontée par Le Parisien est la suivante : deux membres de l’équipe du « Meilleur kebab de Paris » ont ouvert un kebab juste à côté, « Les frères des Batignolles », provoquant naturellement un procès dans la foulée pour concurrence déloyale. L’histoire fait du bruit, car le premier kebab connaissait un très grand succès, avec jusqu’à trois-quart d’heure de queue. Le cuisinier explique cela ainsi :

« Un kebab, on y retourne pour le goût. Et le goût, c’est moi. J’ai inventé notre marinade au gramme près. »

Et il a raison, car contrairement à ce que pensent les gens le plus souvent, ce n’est pas du tout la viande qui donne le goût au kebab, mais la marinade. La viande du kebab, en fait du Döner kebab, n’a en effet aucun goût, et pour cause : c’est un produit de l’industrialisation systématisée de l’alimentation d’origine animale. C’est ce qu’on appelle la « malbouffe », un terme inapproprié ou plutôt insuffisant puisqu’il ne prend pas en compte la question animale.

Ce qui s’est déroule est assez simple. Historiquement, les viandes grillées et assaisonnées ont été utilisées dans ce qui relève, pour schématiser, de la Perse et de l’empire ottoman. Au 19e siècle, dans la ville de Bursa en Turquie actuelle, un cuisinier met en place un rôtissoire vertical, en enlevant les os et les nerfs, coupant des tranches longues.

Puis au 20e siècle, l’idée est récupérée et modifiée. Le principe est de récupérer tous les restes de viande de l’agro-industrie, les morceaux les moins chers possibles, souvent invendables. Comme l’agro-industrie commence à employer de manière toujours plus massive les animaux, ces morceaux sont de plus en plus nombreux et forment le cœur même du bénéfice des commerçants de kebabs, toujours plus nombreux.

Ces morceaux, de viandes issues d’animaux différents, sont découpés et pétris jusqu’à former un grand ensemble. Et c’est là que le marinade intervient. Ces morceaux de viande rassemblés dans un tas informe sont en effet horribles à tous les niveaux : de par ce qu’elles induisent dans le rapport aux animaux, sur le plan de la santé, du point de vue nutritif… Mais pour les commerçants c’est un moyen de rembourrer le consommateur et pour faire passer cela, ils font longuement tremper la viande dans la marinade.

D’où les tranches fines des kebabs. On ne mange pas de la viande, mais de la viande assaisonnée, l’assaisonnement donnant le goût, la viande n’étant que là pour étouffer l’estomac.

En quoi consiste la marinade ? Voici un exemple tiré d’un site de recettes :

2 cuillères à soupe de paprika, 1 cuillère à soupe d’ail moulu, 1 cuillère à soupe de sel (ou moins selon les goûts), 1 cuillère à soupe de poivre (ou moins selon les goûts), 1 cuillère à soupe de gingembre, 1 cuillère à soupe d’herbes de Provence, 2 cuillère à soupe de curry, ajouter une cuillère à soupe de vinaigre de vin et deux trois cuillères à soupe d’huile d’olive.

Un article sur Slate propose la marinade suivante :

Jus de 2 oignons, 1 gousse d’ail, du jus de citron, 1 cuillère à café de thym[1], une pincée de piment, sel, poivre, une cuillère à soupe d’huile d’olive, une cuillère à soupe de lait. 500 g de yaourt à la grecque.

Il va de soi que les commerçants utilisent des quantités bien plus nombreuses à quoi s’ajoutent des additifs alimentaires pour conserver la viande. En fait les commerçants ne préparent pas cela non plus, ils se la procurent auprès de producteurs industriels (il y en a 600 en Allemagne, pays où l’on trouve 16 000 commerces de kebabs). On est ici au même niveau que McDonalds et les petits commerçants de kebabs en sont un équivalent à petite échelle.

Et ce qui est marquant, c’est qu’il n’y a jusqu’à présent aucune critique du kebab, au contraire même : le kebab serait populaire, artisanal, authentique, accessible. C’est là une terrible escroquerie. Les kebabs sont le simple produit d’une industrie utilisant massivement les animaux et dont les restes sont bricolés pour être vendus à un public se nourrissant sur le tas et cherchant un sentiment de satiété.

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Culture

Il y a cent ans naissait Sophie Scholl

Sophie Scholl représente une jeunesse capable de faire face.

Elle représente une jeunesse capable de faire face.

Les 8-9 mai 1945 l’Allemagne capitulait, et le 9 mai aurait été normalement l’anniversaire de Sophie Scholl, née en 1921. Mais cette figure du mouvement chrétien de résistance anti-nazie La Rose blanche avait été guillotinée par le régime national-socialiste le 22 février 1943.

Tel était le prix à payer pour avoir diffusé des tracts, qu’on peut lire ci-dessous, et qui abordent par ailleurs ouvertement la question des meurtres de masse commis par les nazis. Si l’Éducation nationale n’était pas décadente, à l’image de la société, les négationnistes et les gens comme Dieudonné n’existeraient même pas. Il suffit de savoir transmettre et d’affronter les forces obscures du nihilisme.

On notera que le fait que cette protestante ait comme référence, en plus du mystique et théologien Augustin (354-430), l’écrivain français Georges Bernanos avec Le journal d’un curé de campagne, semble confirmer la thèse de la base luthérienne de cet auteur. La Rose blanche est à ce titre un mouvement puisant dans le romantisme sa capacité de rébellion contre une société sordide.

roseblanche

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Culture Écologie

Art, nature et prolétariat: la sensibilité écologique vue par un militant ouvrier en 1936

Le besoin d’harmonie avec la nature est ancré dans le mouvement ouvrier depuis toujours. Les meilleurs éléments du mouvement ouvrier ont su remettre à sa place l’être humain dans la grande dynamique naturelle du monde, devant s’illustrer par une juste saisie des choses que permet le réalisme dans les arts.

En mars 1895, Georges Schmiedl, enseignant socialiste et libre-penseur, publie un appel dans le journal des travailleurs viennois à fonder un groupe touristique des amoureux de la Nature. En septembre 1895 est ainsi fondée l’ Association des Amis de la Nature, avec sa devise « main dans la main à travers les montagnes et les campagnes ».

Le but était de promouvoir un mode de vie sain (en refusant l’alcool) par les sports de plein air, et d’apporter les dernières connaissances scientifiques sur la nature à la classe ouvrière. Une classe ouvrière dont les conditions de vie dans l’empire austro-hongrois étaient particulièrement dures à cette époque.

L’initiative autrichienne se diffusa très vite en Allemagne, puis en Suisse, en Belgique et en France, etc., jusqu’à former une Internationale des amis de la Nature, très proche de l’Internationale Socialiste mais ouverte à tous. En France, cela essaima logiquement à partir de la Lorraine, avec le premier groupe fondé à Nancy en 1929. Les groupes en France, Belgique et Suisse romande diffusaient leurs conceptions autour d’une revue bi-mensuelle commune, l’Ami de la Nature.

Le Populaire, 12 octobre 1931

Dans le numéro du 1er janvier 1936, René Thuillier (1913-1989), militant communiste de Paris et de l’Aisne, et grand cycliste investit dans la Fédération Sportive et Gymnastique des Travailleurs (FSGT) y publie un article très intéressant intitulé « Art, nature et prolétariat ». En 1937, la FSGT fusionnera avec les « Amis de la Nature ».

Dans cet article, René Thuillier pose les jalons d’une pensée émancipatrice, fondée sur l’accès à la nature comme condition préalable à toute sensibilité artistique. Voici l’article :


C’était par un soir d’hiver, triste et maussade.

Dehors, une pluie fine tombait.

Confortablement installé dans la tiédeur de mon foyer familial, je lisais un recueil de poésies.

Il fait bon lire ainsi, bien au sec, bien au chaud, alors que le mauvais temps déferle derrière vos vitres. Et il est doux de laisser se former en vous, au gré de votre fantaisie, les images que vous suggèrent les mots si évocateurs de beaux vers bien cadencés. Je venais justement de commencer un poème de Stuart Merril qui débute ainsi :

Le blême lune allume en la mare qui luit,

Miroir des gloires d’or, un émoi d’incendie.

Tout dort. Seul, à mi-mort, un rossignol de nuit

Module en mal d’amour sa molle mélodie.

Plus ne vibrent les vents en le mystère vert

Des ramures. La lune a tu leurs voix nocturnes :

Mais à travers le deuil du feuillage entr’ouvert

Pleuvent les bleus baisers des astres taciturnes.


Et je revivais, à cette lecture, les sensations délicates et profondes à la fois, qu’une belle nuit d’été procure à ceux qui savent les apprécier. Seuls, des Amis de la Nature, pensais-je, peuvent goûter le charme qui se dégage d’un tel poème, car eux seuls ont pu apprécier le charme dans le nature même. Pourtant, me dis-je, ces sensations viennent de t’être évoquées grâce à quelque chose d’artificiel; des mots choisis groupés selon une cadence particulière. Art et Nature ne font-ils qu’un ou sont-ils séparables?… Voila la question qui domina ensuite ma lecture.

Et il m’apparaît qu’elle n’est pas étrangère à notre activité d’Amis de le Nature. En effet, nous n’ignorons certes pas que la nature peut nous offrir d’autres sensations que celles qui proviennent de la contemplation de ses aspects champêtres.

Nous savons que la science et toute l’activité humaine nous procurent des plaisirs artificiels et que beaucoup de ces plaisirs restent très sains. Nous ne contestons pas que certains sont même supérieurs, en intensité et en « intellectualité » à ceux que le nature nous donne directement : (Tels sont, par exemple, la musique, la poésie, la peinture, la danse, les plaisirs artistiques, en un mot, et nous ne devons pas les négliger, au contraire).

Mais il n’en reste pas moins vrai qu’en définitive, ces sensations artistiques ne sont pas indépendantes du cosmos. Bien qu’artificielles, elles s’articulent toujours sur des sensations normales ; elles prennent toujours racine dans des manifestations directes de la nature, aussi abstraites que soient les procédés artistiques mis en œuvre.

Ce qu’il faut donc, pour bien apprécier les arts, c’est avoir déjà apprécié la nature dans ses aspects champêtres, puisque, finalement, les arts ne font que suggérer, sublimer, magnifier, disséquer et parfois travestir les émotions que la nature nous donne directement. L’art, en effet, n’est qu’un moyen qui nous permet d’exprimer la beauté, et la beauté, c’est ce qui inspire l’admiration, ce qui nous charme par son harmonie.

Or, où, sinon dans les spectacles de la Nature, trouverons-nous des expressions plus normales, plus simples et plus directes de la beauté ?

Notre rôle, à nous Amis de la Nature, consiste précisément à faire connaître et apprécier les beautés de la Nature; et si nous nous adressons plus particulièrement à la classe prolétarienne, c’est que celle-ci les ignore le plus.

Certes, ce n’est pas de sa faute. Le société capitaliste qui nous dirige ne se préoccupe pas de cette question mais qui, plus que le peuple, a besoin d’être récompensé de son labeur par des sensations agréables et saines? Et qui travaille pour les lui procurer ?

Actuellement, l’art, sous toutes ses formes, est presque entièrement réservé aux classes riches. Il sert trop souvent les intérêts du régime où il se prostitue. D’autre part, il est difficile au peuple d’accéder à l’art, parce que l’instruction trop rudimentaire de l’ouvrier ne lui permet pas de comprendre les symboles artistiques nécessaires. Comment devons-nous alors poser le problème de l’art par rapport à la Nature et à la classe ouvrière ?

Certes, lorsque le prolétariat sera maître de ses destinées, il pourra diriger son éducation et son instruction au mieux de ses intérêts, mais, entretremps, que doit-il faire?

Vivre sans idéal de beauté, sans sensations d’art ? Ou pire, avec ces sensations d’ « art job-popuaire » que le commerce lui vend, mais qui sont un défi à la beauté ?

Non. La vérité est tout autre.

L’homme ne vit pas que de pain. Ce n’est pas une raison parce que le système capitaliste actuel contraint, directement ou indirectement, des multitudes d’êtres à vivre dans des taudis infects, sans air, sans lumière, sans esthétique, pour que le prolétariat considère comme normale l’existence qu’il mène.

Non. La vie peut lui donner d’autres joies que celles qu’il connaît. Elle réserve autre chose, pour le prolétaire, que les plaisirs que lui donnent les boissons, le tabac, les jeux de cartes ou de hasard, les chansons avinées ou obscènes, le cinéma abrutisseur, l’amour physique, les sports hypertrophiques ou « claqueurs ».

Notre rôle, à nous Amie de la Nature, consiste à faire connaitre au peuple qu’II peut trouver dans la Nature d’autres sources de joies, des joies plus saines, plus directes, plus normales, plus simples et plus vivifiantes…

Ces joies il les trouvera, comme nous les trouvons, dans le promenade à la campagne, dans l’excursion accomplie seul ou en compagnie de bons camarades. Nous ne prétendons pas que ces plaisirs doivent remplacer tous les auIres, bien loin de là, mais nous disons qu’ils élèvent l’esprit tout en conservant ou en re-donnant la santé au corps.

La promenade à la campagne est le meilleur des sports; si, comme nous nous attachons à faire, on profite de cette promenade pour observer, étudier la nature, pour essayer d’en comprendre ses lois, pour se mettre en harmonie avec les spectacles divers qu’elle nous donne, c’est tout ce que nous demandons.

Nous n’imposons aucune philosophie, aucune mystique. Nous disons simplement à notre camarade de travail :

— Viens avec nous ! Tu te distrairas sainement, proprement. Au contact de la nature, tu réfléchiras sur la vie avec beaucoup plus de clarté; tu te feras une conception personnelle de l’existence, tu auras beaucoup plus de facilités pour penser par toi-même. Tu deviendras ainsi une unité intelligente et indépendante dans la grande masse du prolétariat dont l’esprit, hélas, est asservi autant que le corps par le régime social actuel.

Nous ajouterons encore que toute tentative de transformation culturelle de la mentalité populaire qui ne s’affirme pas sur une réforme préalable conçue comme nous l’entendons risque d’être inopérante.

Pour élever le peuple jusqu’à l’art, à l’art sain, il faut d’abord le rendre accessible aux beautés naturelles.

C’est notre opinion et notre tâche.

R. TRUILLIER.


P. S. — J’avais fait lire ce qui précède par un bon camarade qui s’occupe beaucoup de politique.

Il m’a dit :

— C’est très bien ce que tu racontes, mais pour le moment, nous avons autre chose que cela nous occuper. Tous nos efforts doivent être tendue pour changer le régime, source de tous nos maux.

Je lui ai répondu en substance :

— Je suis d’accord avec toi, nous sommes tous d’accord avec toi. Il n’empêche que, malgré tout, le prolétariat se distrait néanmoins et où, sinon au bistrot, au cinéma, en lisant des feuilletons ineptes, etc. ?

Cela, c’est un fait, et tu ne l’empêcheras pas.

Nous lui demandons simplement, à l’ouvrier, de se distraire selon nos conceptions, que tu trouves bonnes, et, ce faisant, nous estimons collaborer, nous aussi, à la transformation du régime; ceci, bien entendu, en plus de l’action sociale, syndicale ou politique, que nous menons, avec toi, d’autre part.

R. Th

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Culture

« Rugit, gémit le vaste Dniepr »

Une très belle chanson ayant comme source le poète national ukrainien Taras Chevtchenko.

Taras Chevtchenko, Poutchaïv

Taras Chevtchenko (1814-1861) est la grande figure intellectuelle d’une Ukraine alors arriérée et écrasée nationalement. Poète, mais également peintre, Taras Chevtchenko a élevé la langue nationale ukrainienne en étant étroitement lié au peuple ; opposant au tsarisme, démocrate partisan de l’égalité sociale et de la fraternité des peuples, il eut à faire face à l’exil, à l’emprisonnement.

Les premières strophes de son poème « La cause » sont la base d’une chanson ukrainienne très célèbre, « Rugit, gémit le vaste Dniepr », mis en musique par le professeur et compositeur Danylo Yakovytch Kryjanivsky (1856-1894), dont le succès fut immédiat. Il faut dire qu’il est représentatif de l’esprit national ukrainien, parlant immédiatement au peuple.

Реве та стогне Дніпр широкий,
Сердитий вітер завива,
Додолу верби гне високі,
Горами хвилю підійма.

І блідий місяць на ту пору
Із хмари де-де виглядав,
Неначе човен в синім морі,
То виринав, то потопав.

Ще треті півні не співали,
Ніхто ніде не гомонів,
Сичі в гаю перекликались,
Та ясен раз у раз скрипів.

Rèvè ta stog’nè Dnipr chyrokyï
Sèrdytyï vitèr zavyva,
Dodolou vèrby g’nè vysoki,
Horamy khvylïou pidiïma.

I blidnyï missiats na tou porou
Iz khmary dè-dè vygliadav,
Nènatchè tchovèn v synim mori,
To vyrynav, to potopav.

Ch’tchè trèti pivni nè spivaly,
Nikhto nidè nè homoniv,
Sytchi v haiou pèrèklykalys’
Ta iassèn raz ou raz skrypiv.

Rugit et gémit le vaste Dniepr,
Furieusement hurle le vent,
Il courbe les hauts saules jusqu’à terre,
Lève des vagues pareilles à des montagnes.

Et la lune blême à ce moment
Émerge ici ou là d’un nuage
Comme une barque dans une mer bleu sombre
Qui tantôt se cabre, et tantôt plonge.

Les coqs n’ont pas encore chanté trois fois,
Personne nulle part n’a fait de bruit,
Les chouettes dans le bois se sont répondu
Et le frêne a grincé de temps à autre.

Voici également le poème Le testament de Taras Chevtchenko.

Quand je mourrai, enterrez-moi
Dans une tombe au milieu de la steppe
De ma chère Ukraine,
De façon que je puisse voir l’étendue des champs,
Le Dniéper et ses rochers,
Que je puisse entendre
Son mugissement puissant.

Et quand il emportera de l’Ukraine
Vers la mer bleue
Le sang des ennemis, alors
Je quitterais les prairies et les montagnes
Et m’envolerai
Vers Dieu lui-même
Pour lui offrir mes prières
Mais jusque-là
Je ne connais pas de Dieu !

Enterrez-moi et debout !
Brisez vos fers,
Et arrosez du sang impur des ennemis
La liberté !
Puis, dans la grande famille,
La famille nouvelle et libre,
N’oubliez pas d’accorder à ma mémoire
Une bonne parole !

Taras Chevtchenko est la grande figure nationale-démocratique ukrainienne ; il témoigne de l’existence de ce pays… que les chauvins « grands-russes » tentent de nier.

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Culture

« Tout le flegme extérieur d’un Zaporogue »

Un extrait du fameux roman Tarass Boulba de l’écrivain ukrainien Nicolas Gogol, présentant les cosaques, qui façonnent la culture nationale ukrainienne en lutte contre les Polonais et les Tatars.

Il y avait déjà plus d’une semaine que Tarass Boulba habitait la setch avec ses fils. Ostap et Andry s’occupaient peu d’études militaires, car la setch n’aimait pas à perdre le temps en vains exercices ; la jeunesse faisait son apprentissage dans la guerre même, qui, pour cette raison, se renouvelait sans cesse.

Les Cosaques trouvaient tout à fait oiseux de remplir par quelques études les rares intervalles de trêve ; ils aimaient tirer au blanc, galoper dans les steppes et chasser à courre. Le reste du temps se donnait à leurs plaisirs, le cabaret et la danse. Toute la setch présentait un aspect singulier ; c’était comme une fête perpétuelle, comme une danse bruyamment commencée et qui n’arriverait jamais à sa fin.

Quelques-uns s’occupaient de métiers, d’autres de petit commerce ; mais la plus grande partie se divertissait du matin au soir, tant que la possibilité de le faire résonnait dans leurs poches, et que leur part de butin n’était pas encore tombée dans les mains de leurs camarades ou des cabaretiers.

Cette fête continuelle avait quelque chose de magique. La setch n’était pas un ramassis d’ivrognes qui noyaient leurs soucis dans les pots ; c’était une joyeuse bande d’hommes insouciants et vivants dans une folle ivresse de gaieté. Chacun de ceux qui venaient là oubliait tout ce qui l’avait occupé jusqu’alors.

On pouvait dire, suivant leur expression, qu’il crachait sur tout son passé, et il s’adonnait avec l’enthousiasme d’un fanatique aux charmes d’une vie de liberté menée en commun avec ses pareils, qui, comme lui, n’avaient plus ni parents, ni famille, ni maisons, rien que l’air libre et l’intarissable gaieté de leur âme.

Les différents récits et dialogues qu’on pouvait recueillir de cette foule nonchalamment étendue par terre avaient quelquefois une couleur si énergique et si originale, qu’il fallait avoir tout le flegme extérieur d’un Zaporogue pour ne pas se trahir, même par un petit mouvement de la moustache : caractère qui distingue les Petits-Russiens [les Ukrainiens par opposition aux Grands-Russes, c’est-à-dire les Russes] des autres races slaves.

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Culture Culture & esthétique

Playlist россия♥україна♥россия♥україна

Une playlist pour introduire à la culture… qui va avec la paix et l’amitié entre les peuples.

Voici une playlist qui pour beaucoup de gens en France apparaîtra pittoresque, mais en même temps, incroyablement inspirante. Chaque chanson est d’une incroyable charge. Et pour faire les choses bien, loin des valeurs des va-t-en guerre, la playlist, avec uniquement des œuvres récentes, s’appuie uniquement sur des femmes, qui témoignent de leur haut niveau artistique, de leur haut niveau de culture, de synthèse.

C’est autre chose que la guerre. Et pour faire les choses encore mieux, il ne sera pas précisé qui est russe, qui est ukrainienne.

La dernière chanson est une exception relative puisqu’un éloge des sœurs, magnifique, avec un ton qui correspond bien à la tristesse des menaces de guerre entre deux d’entre elles.

Voici la playlist en lecture automatique sur YouTube, suivis de la tracklist :

  1. DakhaBrakha – Monakh (2017)
  2. Сабрина – Сестра (2019)
  3. Katya Yonder – Вновь и вновь (2020)
  4. ONUKA – UA (2014)
  5. Alina Pash – Bosorkanya (2019)
  6. Maria Teriaeva – SØS (2020)
  7. Jekka – Midnight Hour (2015)
  8. Fanny Kaplan – Smeh (2016)
  9. Нaaдя — Осколки (2020)
  10. КОЛО – Серце в Житах (2017)
  11. Navka – Цвіте терен (2020)
  12. Іванка Червінська – Покоси (2020)
  13. Magnetic Poetry – Not Alone (2017)
  14. Mustelide – Salut (2016)
  15. Три Сестры (Les trois soeurs) (juste après 1991)

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Culture

« Petit soldat » d’Ascendant Vierge

Le duo français installé Bruxelles montre encore une fois qu’il a une profondeur artistique réelle, à la hauteur de notre époque.

L’incroyable faible nombre de vues sur Youtube du pourtant excellent (ou exceptionnel, extraordinaire, etc.) Impossible mais vrai n’a pas déçu Ascendant Vierge, qui avec Petit soldat ajoute à sa patte une dimension engagée avec un texte de reproche très développé de celui qui va à la guerre.

Pour trouver quelque chose comme Petit soldat, c’est-à-dire une sorte de critique d’un aspect de la société avec un point de vue intime, dans une atmosphère oppressante correspondant aux faits, il faut indéniablement remonter aux années 1980. Les groupes « gothiques » (au sens vraiment le plus large et distordu), loin d’être autocentrés ou narcissiques, ont au contraire une démarche romantique. Si l’on prend Ascendant Vierge, on a une symbiose entre les Sisters of mercy et Siouxsie and the Banshees… Difficile de ne pas être terriblement impressionné.

On pourra arguer qu’Ascendant Vierge utilise un tempo plus dansant, plus marqué par la techno, pour ne pas dire le gabber. C’est assez écrasant. Cependant, on n’échappe pas à son époque et celle-ci est marquée par un vrai rentre-dedans. De plus, il y a un côté danse collective qui est considéré comme une valeur refuge.

Petit soldat apparaît ici comme une sorte de lointain successeur au fameux Nineteen de Paul Hardcastle, de 1985, mais remis au goût du jour, dans une ambiance sombre, tel dans un hangar avec une musique étouffante.

Et, d’ailleurs, pour conclure, remarquons que le fait qu’ascendant vierge n’ait pas atteint un succès mérité, cela doit indéniablement également au fait que la chanteuse Mathilde Fernandez propose une figure de magicienne qui fait immanquablement peur à une société superficielle.

Il faut se rappeler de l’incroyable dévaluation qu’a connu Niagara dans les années 1980, malgré une qualité indéniable de par son sens de la mélodie et des recherches très élaborées si l’on passe les petites chansons moqueuses. Alors que rien que Soleil d’hiver est une chanson d’une immense profondeur!

Espérons qu’Ascendant Vierge n’aura pas un tel dédain immérité!

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Bertrand Tavernier: un grand cinéphile est mort

Bertrand Tavernier est décédé jeudi à l’âge de 79 ans. Né en 1941, pendant l’occupation durant laquelle son père publiait des textes de Paul Eluard et Louis Aragon, il débute dans le milieu du cinéma comme assistant de Jean-Pierre Melville en 1961, et comme comme critique de films.

Son premier long métrage, L’Horloger de Saint-Paul sort en 1974 et se démarque aussitôt de la Nouvelle Vague qui a secoué le cinéma français depuis la fin des années 1950. Bertrand Tavernier assume un certain classicisme aussi bien dans son montage que dans la narration et les dialogues, imprégné par le cinéma de Max Ophuls, Julien Duvivier, Jean Renoir, Robert Bresson, Henri Decoin.

Son cinéma porta tout au long de sa carrière un regard sensible et assez juste sur le monde passé (il a réalisé de nombreux films en costumes) et présent, abordant l’importance de la civilisation, la barbarie de la guerre, les injustices sociales, mais aussi parfois simplement l’amour, la vie et le temps qui passe, accordant une place prépondérante aux sentiments.

Auteur prolifique de plus d’une trentaine de long métrage, il reste assez injustement méconnu en dehors des cercles cinéphiles.

La cinéphilie, et par extension le cinéma dans son ensemble, lui doit pourtant beaucoup car outre son oeuvre de réalisateur il était aussi un des plus grands passeurs de culture cinéma français. Doté d’une connaissance encyclopédique du cinéma il a passé sa vie à transmettre ce savoir.

Dès 1970 avec le livre référence “30 ans de cinéma américain”, qui deviendra plus tard “50 ans de cinéma américain”, il fut l’un des premiers critiques français à s’intéresser et à interviewer de réalisateurs américains, notamment certains peu connu en France comme  André de Toth ou Budd Boetticher,  et dont il projetait les films dans son ciné-club.  Il travaillait par ailleurs ces dernières années à la version “100 ans”.

Et, comme un symbole, sa dernière réalisation, en 2018, est une série documentaire en 8 épisodes, Voyage à travers le cinéma français où il présente l’âge d’or du cinéma français qu’il affectionnait tant, en profitant notamment pour mettre en avant certains artistes qu’il considère comme injustement méconnus ou oubliés. Et même si parfois il peut se laisser aller aux travers de l’oeil d’artiste à oublier le contexte et la portée d’un film, bien souvent il aime à replacer l’ensemble d’une oeuvre à ce qu’elle représente et ce qu’elle dit de l’humanité. Cela fait bien sûr echo à ses réalisations dotées d’un réalisme humaniste touchant, débordant sur le lyrisme, au même titre qu’un Jean Grémillon qu’il aimait tant. 

Il considérait comme primordial de voir, de connaître et de transmettre ce cinéma de patrimoine français, bien plus vivant qu’on ne peut le penser. 

Il disait d’ailleurs que c’était ces films, cette culture, qui l’avait fait aimer la France. 

Il était bien loin des stéréotypes du critique de cinéma français conservateur, il était ouvert à tous les cinémas du monde et à tous les genres, découvreur sans a priori mais qui savait critiquer sans mâcher ses mots.

Cette passion de la transmission et du partage se retrouve aussi dans son très riche blog où il publiait fréquemment des billets sur des films et des réalisateurs, n’hésitant pas à poursuivre les discussions en commentaire.

C’est donc un grand et humble passeur d’une partie de la culture française et du cinéma dans son ensemble qui s’est éteint. 

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Feu ! Chatterton et leur «Palais d’Argile»

Le groupe français Feu ! Chatterton a sorti son troisième album, « Palais d’Argile » le 12 mars 2021. Écrit avant le confinement, l’album résonne pourtant avec le contexte de la crise sanitaire. Il mêle les genres musicaux et les états d’esprit, oscillant entre réflexion sur le monde et sentiments amoureux, entre mélancolie et espoir.

Avec ce troisième album, Feu ! Chatterton se positionne en tant que groupe capable de renouveler la chanson française. Inspiré par Ferré, Gainsbourg ou encore Bashung, ce groupe typique du rock français montre qu’il sait puiser dans la diversité des genres, avec des références efficaces. Tantôt glissant vers le post-punk, tantôt vers l’électro avec notamment ici la collaboration d’Arnaud Rebotini.

La musique de Feu ! Chatterton est taillée pour la scène, la communion avec le public notamment par l’intermédiaire de la présence quasi mystique du chanteur, Arthur Reboul. Sa voix naturellement voilée, capable de partir dans les aigus et de vibrer de manière gutturale, donne une vie indéniable au tout, avec une palette d’émotions variées et intenses.

C’est sans doute le morceau Un Monde Nouveau, qui exprime le mieux quelque chose de notre époque, en fait l’état d’esprit d’une partie de la population française.

Pensé comme un constat sur notre époque depuis le futur, cette chanson préfigure les attentes idéalistes qui ont surgit pendant le confinement avec les considérations sur le « monde d’avant » et un hypothétique « monde d’après ».

C’est une peinture des classes moyennes éduquées face à un monde déstabilisant et l’impossibilité de trouver une porte de sortie sur leurs propres bases.

Il exprime justement l’angoisse classique des intellectuels, des artistes ayant conscience qu’il faut changer le monde mais que pour se faire il faut pouvoir le façonner. Et qu’au fond, bien qu’ils puissent être excellents à formuler des pensées complexes, ce ne sont pas les idées qui changent le monde.

Ils se sentent impuissants à transformer. C’est là qu’intervient l’obsession de « savoir faire quelque chose de ses mains », qui peut à la fois mener à une vision romantique du tous artisans ou à se tourner vers les manuels modernes.

Cet entre-deux est tout à fait palpable avec le clip qui prend place dans un décor post-industriel où les membres du groupe portent des costumes bleus marines identiques et déambulent avachis les uns sur les autres.

On a pareillement une vision de la technologie qui est ambivalente, avec une critique de son utilisation vide de sens et froide sans pour autant être dans le refus de la modernité.

« La clarté nous pendait au nez dans sa vive lumière bleue
Nous étions pris, faits, cernés, l’évidence était sous nos yeux
Comme une publicité qui nous masquait le ciel

Des millions de pixels pleuvaient sur le serveur central

Un monde nouveau, on en rêvait tous
Mais que savions-nous faire de nos mains
Un monde nouveau, on en rêvait tous
Mais que savions-nous faire de nos mains
Zéro, attraper le Bluetooth
Que savions-nous faire de nos mains
Presque rien, presque rien, presque rien. »

Trop d’amarres nous rivent au capitalisme et il n’y a personne pour les larguer collectivement. Ces amarres ce sont tous les attraits de l’hédonisme moderne de la consommation qui sont d’ailleurs dénoncés à demi-mot par Arthur Teboul dans une entrevue avec le groupe Catastrophe. Il y répond à la question « qu’est-ce qui est subversif aujourd’hui ? » :

« La discipline, la soumission, l’ordre. […] La liberté ce n’est pas sortir de tout cadre mais respecter un cadre qu’on aurait soi-même choisi […] L’abandon et la jouissance sont dans l’air du temps, la privation, voilà ce qui est subversif aujourd’hui, choisir de se priver dans un autre but. »

Finissant par citer Rousseau « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

Face a un monde sans âme, où la sensibilité s’effrite, Feu ! Chatterton nous transporte dans une ambiance lyrique, teintée d’épicurisme.

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Les Césars 2021 ou la pathétique complainte des bobos parisiens

La Cérémonie des Césars du 12 mars 2021 a été l’occasion d’un étalage particulièrement grossier et hors de propos de la part du petit milieu parisien du cinéma. En pleine pandémie de Covid-19 qui dure depuis maintenant un an, on a des gens s’imaginant à la pointe sur le plan culturel, mais dont la préoccupation est que la société se plie à leur vie de bohème coupée du peuple.

L’actrice Marina Foïs présentait la 46e cérémonie des Césars avec beaucoup d’ardeur, en robe Louis Vuitton conçue sur-mesure. Tel un prêche, sa prestation inaugurale « osait » interpeller directement la Ministre de la Culture présente dans une loge pour lui demander :

« Et comment faire lorsque l’on n’a plus confiance en son ministre de tutelle, à l’heure où se joue l’avenir du cinéma et de l’exception culturelle française ? »

Marina Foïs mérite assurément le César du meilleur cinéma fait par les gens du cinéma pour qu’on s’apitoie sur leur sort. Car l’« exception culturelle » française, c’est un milliard d’investissements par an pour quelque 250 films qui n’en rapportent même pas la moitié en salle !

L’« exception culturelle » française, c’est tout un tas de règles, de fiscalité et de subvention pour forcer à ce qu’existent des films français, avec une poignée d’acteurs et de réalisateurs extrêmement biens payés qui se partagent l’essentiel des rôles et des réalisations. Et tout ça pour qu’en fin de compte ce soit une comédie aussi creuse et insignifiante qu’« Adieu les cons » qui rafle le plus gros des prix en 2021.

C’est lamentable et forcément à un moment donné, un tel modèle est menacé. Cela n’a rien de durable d’autant plus que l’heure est à la crise sociale, sanitaire, économique, écologique. Mais les bobos parisiens ne sont pas habitués à rendre des comptes, alors ils s’imaginent que la société va éternellement consommer la soupe qu’ils produisent et jouent. Ou plutôt, ils l’exigent, quitte à assumer un cynisme inouï.

Sous couvert d’humour, Marina Foïs a ainsi prôné l’effacement des personnes âgées, car rien ne devrait entraver la vie de bohème des artistes :

« Comme ça tue les vieux, on a enfermé les jeunes et fermé les cinémas, les théâtres, les musées, et interdit les concerts pour ouvrir les églises – car on est un pays laïque – pour que les vieux qui ont eu le droit de sortir de l’EHPAD aillent à la messe ».

Difficile de faire plus odieux, plus coupé du peuple et de la réalité concrète et quotidienne de la société française. Le petit milieu parisien du cinéma s’imagine pourtant incontournable, car une des leur s’est déshabillée pendant la cérémonie avec sur le corps inscrit :

« No culture, no future » et « Rends l’art Jean » [allusion à Jean Castex, le premier ministre]

Tout cela est pathétique et terriblement décalé. C’est aussi d’une pauvreté culturelle affligeante, indigne de l’héritage culturel national français depuis le 17e siècle. Que dire également de Valérie Lemercier qui se trouve rebelle en disant « contente d’être sortie de chez moi », alors que la région parisienne n’est même pas confinée malgré la situation sanitaire catastrophique.

Il en est de même de cette célébration de la « troupe du splendide », avec Marie-Anne Chazelle, Josiane Balasko, Christian Clavier, Michel Blanc, Bruno Moynot, Thierry Lhermitte, jouant de l’embrassade sans masque et relativisant la crise sanitaire :

« Je m’aperçois que nous sommes cas contact depuis 50 ans ».

Rappelons qu’on a là des gens qui ont systématiquement promu le style et les mœurs bourgeoises parisiennes et dont le fonds de commerce humoristique a été de moquer les classes populaires pendant des années et des années.

Cérémonie bobo oblige, les Césars ont bien sûr été l’occasion aussi de l’habituelle pleurnicherie sur les « violences policières » et le soi-disant racisme de la société française, avec Jean-Pascal Zadi s’imaginant un grand contestataire en racontant :

« Tout simplement noir parle d’humanité et on peut se demander pourquoi l’humanité de certaines personnes est tant remise en cause, comme celle d’Adama Traoré ou Michel Zecler, quand certaines statues de ceux qui ont glorifié l’esclavage sont encore debout. Je remercie les César de m’avoir montré que ma mission pour l’égalité n’est pas vaine. »

C’est décalé, totalement hors-sol, mais bien représentatif d’une fausse Gauche bourgeoise qu’il s’agit de fermement rejeter, mais également d’écraser dans tous les domaines pour ne pas que les masses croient que c’est là la vraie Gauche et que la seule solution serait l’extrême-Droite.

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Daft Punk 1993 – 2021

Le duo electro-house iconique en France a décidé de mettre un terme à son existence.

En France, Daft Punk est intouchable. On dit d’ailleurs les Daft Punk, comme s’il s’agissait de cousins, de gens à la fois proches et loin. La musique des Daft Punk a réussi le tour de force d’être puissamment développée et tout à fait accessible. On est dans la quintessence de la French Touch, avec une musique cérébrale et entraînante.

L’annonce de la dissolution des Daft Punk a donc provoqué une avalanche de réactions, même des Sapeurs Pompiers de Paris, d’autant plus qu’une vidéo (tirée de leur film Electroma) a été utilisée comme « épilogue ».

Les Daft Punk ont-ils réellement eu tant de valeur que cela ? C’est à vrai dire discutable et on peut comprendre par exemple l’avis disant que les Daft Punk n’ont fait que décliner un son electro et house émergeant à l’époque, faisant tout comme Johnny Hallyday pour le rock. Si Around the world est brillant avec d’ailleurs une vidéo formidable, One more time est une prostitution régressive de la culture club.

Pareillement, si Da Funk reflète un haut niveau, tout comme bien entendu Revolution 909, avec une vraie culture club, Harder Better Faster Stronger est un variant commercial, où toute âme est écrasée au profit d’un filtrage du son aseptisé. C’est ce qui a été appelé la « House filtrée », un euphémisme pour décrire de la House dégradée pour passer commercialement. Il ne faut pas oublier que l’ignoble Music Sounds Better With You vient du groupe Stardust, un éphémère groupe de la mouvance des Daft Punk avec d’ailleurs un de leurs membres.

Il n’est pas difficile de voir que Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ne sont jamais sortis de cette contradiction entre une tendance ouverte à aller dans le sens de la pop commerciale et facile, et une culture club très développée. D’un côté, ils élargissaient le son des clubs fondés sur la House music, de l’autre ils la démolissaient comme le fit à la même époque la radio parisienne FG.

Les fans de la première heure regretteront ainsi inlassablement le premier album Homework (1997) alors que les succès commerciaux s’alignaient avec un second album Discovery qui a été un succès commercial gigantesque en 2001.

Human after All en 2005 n’a ensuite aucun impact avec son minimalisme répétitif sans orientation : les Daft Punk ont cru se préserver de la corruption avec leurs casques les préservant de la notoriété, mais ce n’est pas en section VIP à Ibiza qu’on progresse artistiquement parlant. D’où une tentative de redresser la barre avec la très réussie bande originale du film Tron Legacy en 2010 et un album s’orientant vers une néo-disco, Random Access Memories, en 2013.

Il est étonnant que depuis 2013 les Daft Punk aient été comme paralysés, alors que le meilleur était clairement devant eux. Il y avait un nouvel horizon.

Mais c’est que Daft Punk sont avant tout le produit de leur époque. Ce sont des gens de milieux bourgeois disposant de matériel et profitant de l’émergence de la techno, apportant leur contribution mais n’ayant jamais été capable de se dépasser et de prendre le parti des gens. Le succès commercial a été trop grand, la conscience politique et culturelle trop faible. Ils ont préféré faire des remix, des collaborations. Ils ont été incapables de produire le chef d’œuvre attendu.

Leur dissolution est d’ailleurs une capitulation. Le son électro a tellement évolué, que ce soit par le Hip Hop ou l’alternative R’n’b, sans parler de la musique électro en général, que les Daft Punk se sont retrouvés hors sol et hors jeu. Quand on voit qu’en 2017 la fanfare militaire du défilé du 14 juillet a repris Daft Punk devant Emmanuel Macron et Donald Trump…

Les Daft Punk restent donc emblématiques, mais ils reflètent surtout un énorme ratage. Ils accompagnent l’intégration – désintégration de la culture House Music en France. Avec donc, des morceaux populaires indéniables, mais une simplicité devenant simplisme. C’est une sacrée défaite culturellement parlant et une preuve de la capacité de corruption du capitalisme.

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Ingmar Bergman : Une passion (1969)

C’est un film qu’on ne peut affronter que si l’on sait être simplement soi-même. Un film traversé par la détresse, la violence, l’aliénation, par la passion les transcendant.

Une passion est une œuvre magistrale d’Ingmar Bergman. C’est un film en noir et blanc, comme il sait si formidablement les élaborer, mais il est en couleur. On n’y perd donc rien en termes d’intensité et on y gagne en termes de réalisme.

Cela rend encore plus envahissante la présentation de la nudité psychologique et de la détresse, d’autant plus que la question du rapport aux animaux revient inlassablement. Et tout cela est présenté, de manière très posée, comme si de rien n’était, à travers des psychologies, lorsqu’un être se lie à un autre, se retrouve sur de nouveaux rails.

Ne pas réfléchir à ces rails, c’est se laisser embarquer par ses peurs, par la violence de l’implosion sociale, celle des conflits internationaux. C’est d’ailleurs sur ce plan un film tout à fait engagé, au sens réel du terme, sans formalisme aucun. Et Une passion, c’est avant tout un film sur l’aliénation, avec des êtres montrés tels qu’ils sont, sans fard, et ne parvenant qu’avec difficulté à distinguer les contours de leur propre vie.

Une passion est ainsi un film titre d’une difficulté d’approche assez exemplaire au sens où, sans réelle maturité relationnelle, sans l’habitude de se confronter aux visages et d’en lire le sens profond, on est incapable d’en cerner les liens posés dans le film et on a l’impression de faire face à un kaléidoscope indigeste d’images hivernales.

Le film a le rythme d’une avalanche, sans esthétisation formaliste et tout en art, où la souffrance psychologique est présentée dans son élan, avec ses nuances, ses efforts, ses liaisons humaines. La présence de la musique de Johann Sebastian Bach reflète cette introspection humaine, qu’on retrouve chez le réalisateur russe soviétique Andrei Tarkosvki.

Cette référence à Bach est bien entendu, à travers le luthéranisme suédois, une affirmation de la vie intérieure.