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Vie quotidienne

Même Noël est devenu moche

Dans l’imaginaire, Noël c’est encore l’image d’Épinal de la personne arpentant les boutiques et scrutant les vitrines à la recherche du cadeau idéal pour chacun de ses proches. Ce serait une ambiance, chaleureuse et réconfortante ; ce que d’aucun nomment la « magie » de Noël.

En pratique, cela est de moins en moins vrai. Le capitalisme n’en finit plus de tout lessiver et même Noël est devenu moche. Le problème n’est pas tant que Noël n’est plus une fête populaire et familiale, mais d’abord et surtout une orgie de consommation. Cela fait déjà longtemps que c’est comme ça, au moins 30 ou 40 ans.

Viggo Johansen, Glade jul (1891)

Le problème, c’est que même cette orgie de consommation n’a pratiquement plus de valeur, plus aucune « magie ». Le comble en effet, c’est que Noël consiste maintenant bien plus en une ruée vers les points relais pour retirer des objets commandés à la chaîne sur internet.

On ne choisit rien, on colle à des listes, comme pour les enfants gâtés. Une tireuse à bière pour lui, un sèche cheveux connecté pour elle. Une PlayStation 5 pour un autre qui s’identifie comme un gamer, un K-way horriblement cher pour une autre qui se rêve bobo.

Alors on part au plus pressé sur internet, en s’imaginant parfois faire une bonne affaire grâce aux prix agressifs de certaines plateformes sur certains produits d’appel. Plus de boutiques à faire donc, simplement du temps, beaucoup de temps sur internet, puis la queue dans des points relais bondés et débordant de colis jetés en vrac, sens dessus dessous.

Les cadeaux ne voyagent plus dans la hôte en osier du Père Noël (historiquement mis en avant par Coca Cola d’ailleurs), mais dans la hotte en tissu délavée et trouée du livreur pressé qui balance ça à la chaîne, de boutique point relais en boutique point relais.

Les commerçants se rendent alors compte alors qu’ils ne sont plus des commerçants, mais des supplétifs mal rémunérés des plateformes en ligne. Quelques centimes par colis ! Certains râlent un peu pour passer leurs nerfs et la presse locale ou nationale, papier ou internet, télé ou radio, est très contente de relayer ça. « Les points relais d’Avignon débordés », « Nancy : à l’approche de Noël, les relais colis saturent », « On ne sait plus où donner de la tête », etc.

Le Télégrame raconte très bien cette scène devenu typique :

« Des colis par terre, des colis sur le guichet, par dizaines. Il en arrive quasiment une centaine par jour au bar La Barrière à Saint-Martin-des-Champs (29) et une grande pièce leur est aménagée. En fin de matinée, ce mercredi, un flux incessant de clients va et vient. En cinq minutes, trois d’entre eux réclament un colis. Et malgré un large sourire affiché, les trois employés se marchent dessus et ne s’arrêtent jamais. »

Les prévisions de La Poste pour la période du Noël 2023, c’est 106 millions de Colissimo, en hausse de 6 % par rapport à 2022. Pour Chronopost (filiale de La Poste), c’est 50 millions (+12%) dont la moitié en point relais.

Du coté de Mondial relay, spécialiste de la livraison en point relais avec 12 000 commerçants affiliés en France, ainsi que 4000 armoires « Lockers », 1 500 intérimaires ont été recrutés pour la période. La plateforme flambant neuve de Harnes près de Lens (Pas-de-Calais), fleuron affiché du groupe, évoque jusqu’à 400 000 colis traités par jour contre 250 000 en temps normal.

Il y aussi DHL, UPS, Relais colis, Fedex, GLS. Et puis il y a Amazon qui gère directement une grande partie de ses acheminements. Ce sont des dizaines de millions de colis qui s’amoncèlent, dans une course effrénée et aliénée à la consommation.

Voilà à quoi ressemble le capitalisme absolument généralisé et systématisé à notre époque. Il n’y a plus aucune saveur, il n’y a même plus vraiment de Noël ; il est grand temps de renverser la vapeur, d’instaurer de nouvelles valeurs.

Là c’est vraiment flagrant : le capitalisme a gagné, et donc… il a perdu. Il n’a plus de contenu du tout, il tourne sur lui-même.

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Vie quotidienne

Les réseaux sociaux, entrave au changement

Il y a un paradoxe ou disons plutôt une contradiction : l’usage généralisé du smartphone s’inscrit dans un long mouvement de fond historique qui est la libération d’un temps socialement disponible. Le smartphone a considérablement réduit les aléas de la vie et fluidifié le quotidien.

On peut acheter immédiatement son ticket de transport, consulter rapidement les horaires et les pannes sur un réseau de transport urbain, se repérer grâce au guidage par satellite, payer directement les choses, savoir si l’on peut retrouver une personne qui est loin d’où l’on se trouve, planifier et harmoniser ses courses alimentaires, etc. Cela permet de libérer énormément de temps disponible. Il y a encore 30 ans il fallait anticiper, prévoir, voir être carrément pris au dépourvu sans moyens d’emprise pour beaucoup de choses de la vie quotidienne.

Ce temps socialement disponible relève d’un espace-temps désencastré des impératifs d’une vie quotidienne salariée et domestique caractérisée par un faible développement des moyens de communication. Communiquer exige un temps qui a été considérablement réduit tout comme cela l’a été pour travailler et se déplacer.

C’est donc l’expression d’une tendance de fond, un progrès historique du à l’élévation des forces productives qui est en continuité d’autres, tels que l’eau courante, la machine à laver le linge, les plaques de cuisson électriques, etc. Le smartphone apparaît ici comme le prolongement du processus de civilisation au sens où il favorise la stabilisation et l’efficience de la vie quotidienne.

Mais évidemment comme chacun le sait, l’élévation technologique d’une société ne tombe pas du ciel. Elle se matérialise dans le cadre de rapports sociaux déterminés, actuellement dominés et orientés par le capitalisme et sa logique marchande. Tout cet espace-temps socialement disponible pour favoriser le développement des personnalités se retrouve pris dans une logique de consommation et de marchandisation.

Au centre de cette appropriation capitaliste du temps socialement disponible, il y a évidemment les réseaux sociaux qui sont devenus un moment central et incontournable des sociétés capitalistes. Une centralité apparue au cours des années 2010 et qui vue de 2023, soit un peu plus d’un an après deux années de confinement pour cause de pandémie de Covid-19, sonne comme une évidence.

Car au lieu d’user de cet espace-temps libéré pour approfondir ses connaissances universelles, pour développer son sens artistique, sa sensibilité, etc., le capitalisme en a fait un tremplin pour le déploiement tout à la fois de nouveaux espaces marchands et d’existences entrepreneuriales.

La contradiction est donc la suivante : il n’y a jamais eu autant de temps libre à disposition de la société par une élévation technologique ayant pénétré jusqu’à la vie immédiate des gens mais, dans le même temps, il n’y a jamais eu autant d’emprise des impératifs marchands dans le quotidien.

C’est que les smartphones, en fait surtout ses contenus algorithmiques, ne flottent pas en l’air mais s’inscrivent dans un ensemble social-historique qui est la société de consommation mature. Une société marquée par une fatigue psychique et une morosité collective qui ne tient que parce qu’elle génère des individus-égocentrés shootés à la dopamine, cette molécule du « bonheur » immédiat, générée par les réseaux sociaux.

L’absence de perspective collective est compensée par la satisfaction de « petits bonheurs » égocentrés réalisées heure par heure dans une journée généralement sans exaltation aucune. La perte de sens ou le triomphe du nihilisme « no futur » dans la société bourgeoise en décadence a comme pendant l’existence des réseaux sociaux comme sas de décompression psychique. Un sas qui peut également s’avérer être un espace de promotion d’un life style pour n’importe qui en quête d’un sens existentiel.

On peut être celui qui part faire « le tour du monde » tout comme le travailleur manuel qui valorise son expérience ou bien encore la femme moderne qui pense trouver un sens à sa vie en restant mère au foyer : tout est possible à partir du moment où l’on peut justifier son existence dans un espace valorisant et générateur d’un bonheur artificiel.

On peut donc affirmer sans peine que la généralisation de l’usage des réseaux sociaux est le prolongement de tout un ensemble culturel allant de la massification des drogues à l’idéologie du développement personnel.

Dans la société bourgeoise en décadence triomphent les Paradis artificiels de Charles Baudelaire avec une généralisation de subjectivités tout à la fois épuisées et hypnotisées par le temple de la valorisation marchande.

C’est dans ce contexte qu’on ne peut comprendre pourquoi toute perspective de changement d’envergure au XXIe siècle ne peut passer par la seule case de la « prise de conscience ». La « prise de conscience » exigeait un temps libre disponible pour réfléchir – au sens de refléter – sa propre vie individuelle dans un cadre plus large que son seul environnement immédiat mais dans la société toute entière.

L’élévation des forces productives dans son cadre capitaliste à la fin du XXe siècle a fini d’occuper un tel espace-temps pour le placer au seul service du capitalisme. À ce titre, le positionnement pratique par rapport aux réseaux sociaux marque l’ADN de tout mouvement ou organisation visant un changement des choses en profondeur.

Depuis la pandémie de Covid-19, un tournant a eu lieu et il est est dorénavant incontournable de passer par l’étape de la rupture. D’ailleurs la bourgeoisie cherche tant bien que mal à réguler le monstre qu’elle a elle-même enfanté sans en comprendre les tenants et les aboutissants.

En Chine mais aussi au parlement catalan en Espagne, des discussions ont eu lieu début novembre 2023 à propos d’un encadrement de l’usage du smartphone chez les adolescents. De la même manière un maire de Seine-et-Marne cherche à interdire l’usage du smartphone chez les enfants dans l’espace public de sa commune….

Dans une autre perspective a été fondé en 2021 « le Luddite Club », un regroupement de jeunes aux États-Unis qui souhaitent ce désintoxiquer du smartphone en revenant au téléphone basique sans connexion internet.

Le problème c’est que tout cela reste piloté par en haut dans le cadre d’institutions qui ne peuvent s’attaquer frontalement au problème, ou bien orienté en des termes petits-bourgeois unilatéraux qui ne dépassent finalement pas l’idée du développement personnel.

Lorsqu’on souhaite la révolution, la critique du smartphone doit s’orienter surtout sur les réseaux sociaux comme tremplin vers une remise en cause générale de la marchandisation capitaliste. On ne peut pas se séparer des réseaux sociaux sans viser un changement général de la société qui enfante une telle mutilation des personnalités.

Ce dont il s’agit, c’est de participer à la formation de subjectivités en rupture avec tout ce qui entrave la recomposition cognitive pour un changement collectif. L’objectif c’est de contribuer à former des brèches dans les interstices du quotidien pour redéployer une subjectivité émancipée de la marchandise.

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Rapport entre les classes

La révolution sera t-elle une prise de conscience?

Quand on bascule dans le camp de la Révolution, on pense souvent deux choses. On se dit ou bien que les gens ne savent pas, ou bien qu’ils ne comprennent pas les enjeux du monde. Il s’agirait alors de « faire prendre conscience » sur tel ou tel évènement, telle ou telle problématique, etc.

Hier, alors que la grande masse des paysans ne savaient pratiquement ni lire, ni écrire, l’enjeu était bien de briser cette arriération pour mieux casser la dépendance au curé ou au notable. Il fallait en « prendre conscience » et quoi plus de simple quand la vie quotidienne était elle-même si pénible, si difficile ? En même temps, les difficultés de la vie, l’analphabétisme rendaient la tâche malaisée.

Aujourd’hui, il y a un fait inverse et tout à fait palpable : il n’y jamais eu autant peu de gens analphabètes dans le monde et pourtant les mouvements révolutionnaires n’ont jamais été aussi faibles. Alors qu’on comptait environ 12 % de personnes alphabétisées dans le monde en 1820, il y en a 87 % en 2021.

Il s’agit donc de réfléchir en sens inverse : et si les gens savaient ? Et si les gens avaient finalement compris les choses, au moins dans leur globalité ? Question inconfortable car cela place l’idée du « militant » dans un désert politique.

Évidemment, l’aliénation produit par le quotidien capitaliste ne permet pas de comprendre réellement les choses pour tout un chacun. Mais dans la société de consommation développée, il est évident que l’aliénation, c’est la « conscience » de ne pas vouloir comprendre et non plus simplement la seule dépossession de soi.

Ou plutôt : la dépossession de soi a atteint un tel niveau, une telle profondeur que tout processus conscient est lui-même subsumé par la marchandisation.

En réalité, cela montre que les choses avancent toujours plus vers la Révolution, car ce sont tous les espaces de la vie qu’il va s’agir de transformer.

Il faut bien voir que la majorité des expériences socialistes au siècle dernier ont eu lieu dans des pays arriérés, en majorité composés de paysans liés en grande partie à un quotidien répétitif basé en partie sur l’auto-suffisance.

La révolution se devait de passer par l’objectif socialiste du fait que la classe ouvrière était la seule classe sociale en mesure de porter le processus de formation nationale extirpé de son enveloppe féodale. L’enjeu prioritaire était la lutte contre le poids du féodalisme et, dans une perspective résolument démocratique, l’élévation du niveau d’éducation.

Forcément dans un tel schéma de vie, la révolution ne pouvait que passer par le stade d’une « prise de conscience » : il faut bien savoir pourquoi l’on se bat, au-delà même du fait d’améliorer son immédiat quotidien. Et quand il est parlé de savoir les choses, on parle de comprendre l’Histoire et ses modalités, d’appréhender sa dynamique et ses protagonistes, de se penser soi-même protagoniste etc.

Cela était encore vrai dans des pays comme la France de 1871. Raison pour laquelle Karl Marx a dit que les insurgés de la Commune de Paris « partaient à l’assaut du ciel ». La métaphore n’est pas que littéraire, elle représentait un cheminement historique évident, avec une classe ouvrière en cours de formation et péniblement émancipée d’une paysannerie rivée à la vie quotidienne d’ancien régime.

Il a fallu encore plusieurs décennies à la bourgeoisie française pour élever le niveau culturel de la paysannerie française et finir par l’arrimer à sa République. La voie socialiste de cette étape ayant échoué avec la faillite des héritiers de la Commune de Paris qui refusèrent le marxisme au profit de bricolages idéologiques.

Toujours est-il que le drapeau rouge, le marteau et la faucille, l’Internationale étaient autant de symboles qui illustraient l’idée que la révolution, c’était un peuple faisant l’Histoire en connaissance de cause. Aller parler de cela à un ouvrier aujourd’hui, il pourra trouver cela intéressant, mais espérer que cela le raccorde au fil historique de la lutte des classes est voué à l’échec.

Évidemment, tout cela est fort différent pour les pays du tiers-monde, où la question nationale encore non résolue rend nécessaire la prise de conscience d’un fil historique perdu… Comment par exemple régler la question ukrainienne sans passer par la connaissance du processus historique de formation de sa nation ? Tout comme la libération nationale palestinienne ne peut faire l’économie d’une prise de conscience de la trajectoire historique des peuples et nations constituées dans cette zone géographique, pour ne prendre que des exemples actuels.

Dans les nations riches constituées de longue date par contre, le capitalisme ce sont des ouvriers maniant des machines et procédures toujours plus complexes, des employés de service utilisant des réseaux informatiques sophistiqués, tout cela dans un mode de vie confortable exigeant donc des niveaux de connaissances et d’analyse plus qu’élevés.

De fait, ce sont des des gens épuisés par une vie quotidienne rythmée par les impératifs marchands d’un capitalisme pleinement développé à tous les niveaux de la vie.

Ce n’est donc pas que les gens ne veulent pas savoir, c’est qu’ils ne peuvent pas vouloir savoir les choses, bien qu’ils aient des dispositions cognitives plus importantes que le paysan du XIXe ou l’ouvrier des années 1920.

On ne peut être un protagoniste conscient dans telles conditions historiques. La révolution intervient alors dans un contexte de fatigue morale et psychique mais avec des capacités cognitives plus qu’approfondies.

Cette contradiction ne peut qu’impliquer des décrochages subjectifs sans « prise de conscience » vers l’engagement révolutionnaire mais dans une quête révolutionnaire en négatif, dont le carburant n’est rien d’autre que le crash généralisé de l’ancien monde.

Et c’est une réflexion incontournable à ce sujet dont nous avons besoin, aussi.

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Rapport entre les classes

La vraie question: la révolution sera-t-elle passive?

En apparence, demander si une révolution peut être passive n’a aucun sens. Une révolution, c’est l’irruption de forces armées prenant le pouvoir et modifiant le cours des choses. Il n’y a rien de plus actif. L’opposition entre socialistes et communistes, au début du 20e siècle, reposait sur la question de la dimension de ce côté actif. Les socialistes, quasiment tout le temps opportunistes en tout cas pour les cadres, prévoyaient une action peu active et à long terme, alors que les communistes étaient pour se précipiter, parfois trop et trop souvent.

Le problème est qu’alors que se termine le premier quart du 21e siècle, on ne voit des gens « actifs » nulle part. Jamais dans le monde le nombre de révolutionnaires n’a été aussi faible. Et leur dimension marginale sur le plan des idées et de la culture est parallèle à ce nombre si faible. Si l’on prend les soixante dernières années, il n’y aura jamais eu aussi peu de guérilla de gauche dans les pays du tiers-monde (ou même dans les pays « développés »), aussi peu d’organisations révolutionnaires de gauche dans le monde en général, aussi peu de contestations lancées par des révolutionnaires.

Ce qui existe par contre, c’est un syndicalisme, d’une part, afin de préserver ou conquérir des acquis parce qu’il faut bien vivre. Et, de l’autre, un populisme qui passe par les réseaux sociaux, par le militantisme étudiant, par les discours LGBT et l’écriture inclusive. La théorie, c’est que si on parvient à mobiliser un petit pourcentage de gens, l’opinion publique bascule. Ce qui compte donc, c’est le « réseau », comme le dit Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise le 5 octobre 2023 : « l’agora moderne, la place centrale moderne, c’est le réseau ».

Nous avons concrètement un monde de gens passifs faisant semblant d’aller bien et une poignée d’agités emplissant les réseaux sociaux et des partis politiques ou des mouvements contestataires avec très peu d’adhérents ou de participants.

Le 21e siècle est pourtant plein de défis et la révolution apparaît comme inéluctable. Doit-on alors s’imaginer que les gens vont reformer des organisations de gauche, de vastes mouvements, bien structurés, bien solides ? En admettant même que ce soit possible, il est évident qu’il n’y a de toutes façons pas le temps, ni l’énergie psychique.

Même une structure politique qui racolerait sans commune mesure (et il y a en a toujours, dans chaque pays, au moins une ou deux) se retrouverait avec des gens sans envergure, ne faisant que passer. Les gens veulent bien passer dans quelque chose, mais certainement pas y rester, et plus on augmente le niveau culturel, intellectuel, historique… plus on perd tout le monde.

Vous voyez-vous aller vers un travailleur français et lui expliquer qu’il faut une révolution bien organisée touchant les domaines de l’économie, de la politique, du social, de la psychologie, des arts, de l’écologie, du rapport aux animaux, du rapport hommes-femmes, du rapport au tiers-monde, etc. ? C’est tout simplement invraisemblable, il va vous regarder avec de gros yeux ou dire que, même si c’était souhaitable, ce n’est pas prêt d’arriver.

Le bonheur ? Un luxe. Déjà on tient, c’est déjà pas mal.

C’est en sens que la question de la dimension passive de la révolution est à saisir. Déjà, dialectiquement, il n’y a pas d’actif sans passif. Croire que les gens vont être H24 en mode contestataire, inépuisable, et ce pendant… une année, deux années, cinq années, c’est ne pas être réaliste. Il y a une dynamique actif-passif : à certains moments les gens sont actifs, à d’autres ils ne le sont pas.

D’ailleurs, voulez-vous une preuve à l’intérêt de cet article ? Eh bien voyez comment la dimension passive est déjà présente. Allez dans une grande librairie au rayon « développement personnel », comme « Les quatre accords toltèques », un bestseller. Regardez ce qui y est raconté. Vous trouverez pratiquement le même discours que la « gauche » postmoderne, les zadistes, les zapatistes, les Kurdes, La France insoumise, les anarchistes, EELV, les bobos…

Le discours qui est proposé ici, c’est que la révolution est uniquement « en soi » ou qu’elle est déjà réalisée (avec les Kurdes, les Zapatistes…) ou bien pas nécessaire (avec la « gauche » postmoderne). Ce qui compte c’est par conséquent un épanouissement subjectiviste toujours individuel, une « paix intérieure » et un rapport différent aux autres. C’est de la fiction, car il n’y a aucune analyse scientifique de rien. Mais on se sent subversif en écrivant des mots spirituels sur les murs des toilettes des bars bobos au look délabré chic.

Tout cela, c’est une vaste occupation du terrain « passif » à travers une pseudo bienveillance, dont l’idéologie LGBT est le fer de lance. C’est la niaiserie amicale, masque des rapports ultra-individualistes consuméristes. « Oh, I love you so much » dit le capitaliste américain à sa prochaine victime.

Tout cela pour dire que la révolution n’aura pas forcément lieu là où on le pense. Il ne faut pas regarder uniquement ce que font les gens, ni même ce qu’ils ne font pas. Il faut regarder là où ils placent leur énergie psychique, là où ils ne la placent pas. C’est ce que font d’ailleurs les préfets. En France, un préfet a comme tâche surtout de surveiller les tendances et de voir s’il n’y a pas une partie de la population qui se prend d’engouement dans telle ou telle direction. Si c’est vain, l’État le tolère, sinon il réprime, et dans tous les cas il surveille.

C’est cet engouement qui passe les mailles du filet du 24 heures sur 24 du capitalisme qui doit être notre boussole. C’est quelque chose de passif et d’actif, et c’est seulement ça qui peut avoir un sens. Tout ce qui est lié aux institutions est cuit, carbonisé. Tout ce qui s’insère « activement » dans la société, les gens n’y croient plus et sont trop individualisés.

Il est toujours dit qu’après la révolution, il y a aura un bouleversement culturel, on changerait les mentalités, il se passerait une « révolution culturelle » comme l’ont appelé les Chinois. En fait, elle va désormais avoir lieu avant, dans des mouvements de rupture, qui peuvent être contradictoires.

On peut avoir une révolution avec des prolétaires urbains exigeant d’accéder aux marques de mode de valeur… et des prolétaires loin de la métropole qui méprisent cette course pour eux à l’éphémère. Les uns peuvent-ils être appelés actifs, les autres passifs ? Non, bien entendu, il y a une dialectique dans tout ça.

Ce qui compte, c’est de voir que la recomposition du prolétariat dans le capitalisme français qui se déclasse ne prendra pas une forme « syndicale », « populiste », mais se déroulera en autonomie avec les institutions et les vieux styles de travail. Le prolétariat va se recomposer en se détachant du capitalisme… il le fera activement et passivement. Perdre l’un des deux côtés, c’est rater ce qui va se passer et se passe déjà !

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Vie quotidienne

Les sans-attaches et les ligotés du capitalisme

Dans la vie quotidienne du capitalisme, on peut distinguer deux types d’attitudes majeures. Il y a ceux qui vivent les choses de manière consommable, sans jamais vouloir s’engager durablement. Et il y a ceux qui suivent ce qu’on peut appeler un modèle de vie d’adulte, au sens petit-bourgeois et bourgeois du terme. Les deux camps cohabitent dans le capitalisme, mais vivent à part. Leurs mentalités peuvent se rejoindre, pas pour les mêmes raisons cependant.

Car ce qu’il faut bien saisir, c’est que ces deux attitudes majeures, ces deux styles de vie si on veut, ne dépendent pas des classes. Elles dépendent du rapport à la ville et aux campagnes. Cela ne veut pas dire qu’on soit dans un capitalisme qui se soit débarrassé des classes. Cependant, la fracture villes-campagnes sans cesse élargie par le capitalisme aboutit à une situation en développement.

Prenons par exemple la contestation « très à gauche » et celle « très à droite ». Dans les deux cas, on trouve ensemble les sans-attaches et les ligotés du capitalisme. Mais pas les mêmes ! Dans la version de « gauche », on trouvera des gens changeant d’emploi facilement ou étudiant, surtout jeunes, qui sont hyperactifs sur les réseaux sociaux, s’agitent d’autant plus qu’ils n’ont pas de responsabilités : pas de famille, pas de propriété. Ils profitent de la ville où ils s’activent d’autant plus qu’ils ont peut-être moyen de faire carrière par cette agitation. L’étudiant sans succès sait bien que plus il ira loin par exemple dans les délires LGBT, plus il va socialiser avec le turbocapitalisme et pouvoir trouver une place.

On trouve aux côtés de ces sans-attaches des ligotés du capitalisme, dans leur variante bourgeois de gauche. C’est le public de l’Observateur, le « nouvel obs » historique où les discours de « gauche » accompagnent des articles sur des montres à 2000 euros et des appartements pour CSP++. Ces gens veulent un capitalisme moderne, qui se renouvelle, qui soit social pour atténuer les chocs. Le Parti démocrate aux États-Unis est l’équivalent de tout cela.

« Très à droite », on a aussi des sans-attaches et des ligotés du capitalisme. Sauf que ces derniers ne sont pas des bourgeois : ils sont populaires. Ils ont acquis la propriété, et maintenant il ne faut plus que ça bouge. Le vote Le Pen, c’est historiquement cela. Les gilets jaunes sont également une expression de ces ouvriers et employés, artisans et commerçants ultra-conservateurs. Parvenus à un certain niveau d’accumulation de capital, ces gens aimeraient geler la situation. Tout ce qui est nouveau les dérange. Et le nouveau, voilà ce qui dérange aussi des sans-attaches… pour le coup bourgeois et grand-bourgeois. Car il y a des bourgeois restés au capitalisme à la papa.

Les agités de « l’ultra-droite » française relèvent totalement de cela et à ce titre ils ne sont même plus d’extrême-Droite. Ils assument de « réagir » au capitalisme accéléré, avec un style provocateur et brutal qui relève totalement des codes du capitalisme accéléré. Ils n’ont aucune cohérence sur le plan des idées et l’assument. Pour preuve, tous soutiennent le régime ukrainien pourtant totalement au service de l’Otan et de la superpuissance américaine. Cela ne les dérange pas, car ils voient que le régime ukrainien a une idéologie nationaliste et que les nazis y ont un immense espace en théorie et en pratique. Alors ils foncent : ils assument d’être simplement en réaction.

Il n’est pas difficile de voir ici que plus on est lié aux villes, plus on est influencé par le turbocapitalisme, alors que plus on est lié aux campagnes, plus on est marqué par la contestation « en réaction ». Ce qui ne veut pas dire qu’on soit concrètement en ville ou à la campagne. On peut en effet idéaliser la ville et la campagne. Tel urbain va avoir une image idyllique de la campagne, par l’intermédiaire de la chasse, tel habitant des campagnes va rêver d’une vie pleine de fantasmes en mode LGBT urbain. Et il y a bien entendu en France toute une série de degrés entre la campagne « absolue » et le centre de Paris.

Il est évident que tant que cette mauvaise dialectique des sans-attaches et des ligotés du capitalisme se maintient, il n’y a pas de place pour la Gauche historique. Et y en aura-t-il ? Car en France, pays occidental s’effondrant, tout a l’air coincé, tout en parvenant à se maintenir, et on peut penser qu’il y en aura pour un certain temps avant que tout cela ne soit remis en cause. Cela semble même être pareil pour tous les pays occidentaux. Dans tous, l’idéologie LGBT est assumée officiellement par les États, par l’Union européenne encore plus, et c’est pourtant toujours présenté comme une « cause » d’une portée « rebelle ». Que les gens acceptent une telle mystification, même passivement, en dit long.

De toutes manières, un pays qui finit par accepter l’idée qu’être homme ou femme, c’est dans la tête que ça se décide… a atteint un relativisme absolu. Plus rien ne peut vraiment tenir quand on a atteint un tel niveau de remise en cause de la dialectique de la réalité, avec ses oppositions bien-mal, passé-futur, positif-négatif, prolétariat-bourgeois. Tout se voit réduit à de l’individuel, à du choix de consommation. Encore faut-il pouvoir consommer… et c’est là la faiblesse du capitalisme. Si la superpuissance américaine n’arrive pas à torpiller la Russie puis la superpuissance chinoise… ce sera l’instabilité.

Là les sans-attaches et les ligotés du capitalisme cesseront d’être un obstacle à la recomposition du prolétariat dans la métropole occidentale.

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Politique

Retraites : la France des pleurnicheries

La France est régressive.

Plus de 15 millions de téléspectateurs ont écouté l’allocution présidentielle d’Emmanuel Macron le 17 avril 2023. Naturellement, quelques centaines de personnes se sont regroupées dans la foulée, dans quelques villes (Paris, Rennes, Grenoble…), notamment pour chercher à jouer les casseurs, surtout à Lyon.

Mais surtout, ce sont les réactions du 18 avril qui sont exemplaires. Exemplaires de quoi ? Exemplaires de ce qu’il ne se passe rien en France. Il n’y a aucune mobilisation morale, intellectuelle, culturelle. Les gens sont asséchés par le 24 heures sur 24 du capitalisme. Ils n’ont aucune force.

On le voit, dans la vie quotidienne. On le voit, dans le travail politique. Et on le voit dans l’implication intellectuelle et culturelle. Agauche.org existe depuis décembre 2017, avec pratiquement 3000 articles. C’est un média qui est lu, naturellement pas assez et à la marge, mais suffisamment pour avoir un aperçu des tendances.

Et il n’y a pas de tendance, il n’y a rien. C’est exactement pareil lorsque nous avions annoncé six mois avant son déclenchement le conflit armé en Ukraine. Nous avions six mois, en fait même un peu plus, de documents à ce sujet, et personne n’est allé voir.

Il faut assumer : les gens se moquent de tout, ils ne percutent rien. Il est bien sûr toujours possible d’aller jouer au militant, au casseur, lors des manifestations et des mobilisations. Il en a toujours été ainsi. Mais ça ne rime à rien.

D’ailleurs, que propose désormais Emmanuel Macron ? Un « pacte de la vie au travail ». Il a rencontré le 18 avril les représentants des organisations patronales : le Medef, la Confédération des PME (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P) .

Les syndicats des travailleurs ne sont pas venus, mais ils y viendront. Car leur fond de commerce, c’est de « réformer » la vie salariale – autrement dit, de moderniser le capitalisme.

Et les Français sont satisfaits, même si critiques, d’une telle vie dans un capitalisme moderne. Objectivement, ils attendent tous que la Russie perde face à l’Otan, qu’elle rejoigne le tiers-monde, comme ça on pourra l’exploiter comme il faut pour maintenir le niveau de vie dans la société de la consommation.

Les réactions à l’allocution présidentielle relèvent donc de la mythomanie. Emmanuel Macron serait « complètement hors la réalité » selon Jean-Luc Mélenchon. La dirigeante de la CGT Sophie Binet a annoncé que « il n’y aura pas de retour à la normale tant qu’il n’y aura pas de retrait de la réforme des retraites ».

Ben voyons. Sauf que tout est normal, que les mobilisations n’ont en rien modifié une réalité qu’elles ne font qu’accompagner. Tout ça, ce sont des pleurnicheries. Et qui cela va-t-il aider ? L’extrême-Droite avec Marine Le Pen.

Car c’est indéniable : la fascination pour Marine Le Pen de la part des couches populaires n’a pas du tout faibli ces derniers mois, voire même elle s’est renforcée. C’est là une preuve indéniable de l’échec formel du mouvement de lutte contre la réforme des retraites.

Aucune estime pour la Gauche, aucun intérêt pour les idées de la Gauche, aucune assemblée générale réelle, soumission à l’intersyndicale, maintien des démarches corporatistes… Le bilan est désastreux.

Et toute l’ultra-gauche, tous les syndicalistes qui ont contribué à masquer ce bilan désastreux en sont les complices. Tous les gens qui ont prétendu que quelque chose pouvait en sortir de bon n’auront été que les ennemis politiques de la Gauche historique, les valets du réformisme et de l’anarchisme, ces deux aspects de la même pièce.

Seul le travail de fond a un sens, une valeur historique. Certainement pas le misérabilisme dans un des pays les plus riches du monde qui relève du dispositif américain pour faire la guerre à la Russie aujourd’hui, à la Chine demain.

La vérité est simple : qui ne veut pas rompre avec l’hégémonie de l’occident est obligé de converger avec lui ! Et de s’aligner sur le 24 heures sur 24 du capitalisme.

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Réflexions

Les gens bien ne font pas de trottinette électrique

C’est le véhicule du 24h/24 turbocapitaliste.

Les gens circulant à trottinette électrique sont moches. Ils n’ont aucune allure de part la position guindée et crispée que nécessite la conduite d’un tel engin. C’est un manque cruel de style et de raffinement ; culturellement, surtout en France, c’est quelque chose de tout sauf anodin. La généralisation des trottinettes électriques est une marque évidente de décadence des mentalités, avec une américanisation totale des comportements.

Mais s’ils sont moches, c’est aussi parce qu’ils sont des feignants incapables de prendre un simple vélo, ou même de se déplacer à pied. Il ne faut pas s’y tromper : la trottinette électrique n’est aucunement une mobilité «douce ». Elle ne remplace pas les horribles voitures et les immondes scooters. Elle en est plutôt leur extension, sur des parcours courts. La trottinette électrique est typiquement une modernisation et une généralisation de l’état d’esprit « automobile » du 20e siècle.

S’imaginer seul au monde, circuler à toute allure sans aucune considération pour les autres et les règles communes, se garer n’importe où, voire emmener son propre véhicule jusque dans les rayons d’un magasin : telle est la réalité de la trottinette électrique dans les villes, comme elle l’était dans les années 1980 pour l’automobile.

D’ailleurs, on pourra faire toutes les critiques que l’on veut sur l’automobile dans les villes – et il faut faire ces critiques, mais il est indéniable qu’au moins, la circulation automobile est encadrée. Ce n’est qu’à la marge qu’il y a des salopards pour ne rien respecter. Pour la trottinette électrique par contre, c’est systématique.

Le pire en la matière vient bien sûr des flottes en libre service, où en fait c’est l’usage même que de se garer n’importe où et de ne surtout pas respecter le matériel utilisé. Qui a vécu ou est passé ne serait-ce qu’une journée à Paris ces dernières années ne peut qu’être horrifié de ce sinistre spectacle des trottinettes électriques absolument partout, y compris dans les cours d’eau…

Le référendum local proposé par le Mairie de Paris le 2 avril 2023 visant à interdire ces flottes en libre service ne pouvait qu’aboutir. Rien d’étonnant à ce qu’elles furent rejetées à près de 90% (avec toutefois un taux de participation très faible, moins de 10%).

Impossible néanmoins de considérer ce vote comme une victoire de la société. Déjà, car il arrive bien trop tard : une société réellement civilisée n’aurait jamais laissé faire depuis le début.

Surtout, car cela ne changera rien à la prolifération des trottinettes électriques personnelles, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres villes. Les trois opérateurs parisien Lime, Tier et Dott trouverons d’ailleurs probablement des parades pour continuer à exister dans la capitale après le 1er septembre 2023. On peut compter sur leur créativité capitaliste pour cela…

Toujours est-il que les trottinettes électrique sont un symbole typique de notre époque.

Une époque où la bourgeoisie française, censée être garante de la société et de son ordre, a littéralement sombré, au point de se faire déborder dans sa propre capitale par quelques hurluberlus (dont énormément de touristes étrangers).

Une époque de décadence, où le vivre ensemble recule chaque jour un peu plus en raison de l’ensauvagement de la société, qui va de pair avec l’emprise toujours plus grande du capitalisme sur la vie des gens, et inversement.

Un époque où le turbocapitalisme s’immisce partout, 24 heures sur 24. Il faut pouvoir consommer sans entrave, telle est la promesse à laquelle s’imagine céder la pauvre âme se déplaçant en trottinette électrique.

Ce n’est pas simplement que le capitalisme colonise tout, c’est aussi que les gens eux-mêmes sont des agents du capitalisme. La trottinette électrique est le parfait véhicule de l’individualiste acharné.

Il est pourtant bien plus simple de prendre un vélo (un vrai, pas un vélo avec un moteur), ou de marcher. Mais cela demande un effort, de l’organisation, alors que par contre le capitalisme permet d’aller vite partout en restant debout figé sur une plateforme en plastique dur.

Peu importe que cela pollue énormément pour de simples petits trajets, à cause des batteries, et aussi de l’électricité qui est majoritairement nucléaire en France. Peu importe que cela soit dangereux, surtout pour les piétons, mais aussi pour les usagers de la trottinette électrique eux-mêmes. Peu importe, car il faut foncer sans se poser de question, consommer sans restriction aucune.

C’est une évidence, les gens bien ne peuvent pas participer à cela, ils tiennent les trottinettes électrique et leurs usagers en horreur. Reste aux gens bien de se prendre en main et de renverser la table, au nom de la civilisation. C’est précisément le programme de la Gauche historique !