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Écologie

Les agriculteurs de la vallée du Rhône provoquent un pic de pollution

Au-delà des impressionnantes images d’exploitations agricoles « en feu », comment se fait-il qu’en 2021 de telles pratiques perdurent pour faire face à des aléas météorologiques, que l’on sait exacerbés par le dérèglement climatique ?

Ces dernières années, la transition des hivers aux printemps prend de plus en plus un tournant bizarre. Le mois de février connaît régulièrement des pics intenses de chaleur, laissant à croire que l’hiver est terminé. Evidemment cela n’est pas le cas, avec souvent une brutale rechute hivernale au mois de mars-avril. Si le dicton populaire « en avril ne te découvre pas d’un fil » a de ce point de vue sa part de vérité, il est évident que le changement climatique accentue de manière terrible ces oscillations de températures.

Et cette année cela a viré au drame pour les exploitants de vergers et de vignes. Car la vague de regel de ce début avril a été précédé par une période de chaleur printanière.

Selon Météo France, le bilan du mois de février 2021 fait état d’une température moyenne de 8,3 °c, soit en hausse de 2,5 °c par rapport aux relevés 1981-2010. Puis, à la fin mars, de nouveaux records de chaleur ont été battus un peu partout en France. Le 31 mars, il a par exemple fait 21°c à Valence.

Avant, donc, cette vague de gel allant jusqu’à -5°c, voir – 7°c dans la Drôme. Pour ne pas être détruits, les arbres en début de floraison ont été protégés par les agriculteurs avec des systèmes de chauffage qui vise à allumer des blocs de paraffines pendant plusieurs nuits.

Mais voilà, des blocs de paraffine, ce sont des composés à base d’hydrocarbure. Et de tels composés qui flambent par milliers dans de très nombreuses exploitations engendrent mécaniquement de la pollution… Car on oublie souvent que le brûlage incomplet de combustibles, mais aussi de déchets organiques, est une source très importante de particules fines. C’est d’ailleurs une pratique qui est le plus souvent interdite pour cette raison là.

De telles pratiques, dans une zone comme la vallée du Rhône qui connaît une sur-concentration d’exploitations arboricoles, ne pouvaient qu’aboutir à une dégradation délétère de la qualité de l’air. Les habitants de ces villages, mais aussi du bassin lyonnais, se sont même plaints d’une odeur de brûlée, ainsi que d’un voile opaque.

Les émissions en particules fines, conjugués aux rejets en dioxydes d’azote de la circulation routière, ont atteint un tel niveau que, le 8 avril, l’organisme chargé de la surveillance de la qualité de l’air, ATMO Auvergne Rhône-Alpes, a activé le niveau de vigilance renforcée pour la vallée du Rhône et le bassin lyonnais. C’est dire à quel point cette pratique est nocive pour l’atmosphère…

Le 7 avril, à Valence Sud, le taux de concentration de particules fines de 2,5 microns était de 60 microg/m3 d’air (le double logiquement pour les PM10), lorsqu’à Pékin, il était de 65 microg/m3 d’air. Rappelons que la norme limite établie en France pour les PM 2,5 est de 20 microg/m3, et de 10 microgr/m3 pour l’OMS.

Comment se faut-il qu’il n’y ait pas d’autres moyens de contrer le gel alors même que l’on sait que le dérèglement climatique exacerbe l’effet de ces phénomènes? Doit-on vraiment choisir entre la sauvegarde de cultures et la qualité de l’air ?

Car ces pratiques ne sont pas nouvelles, elles sont utilisées depuis des décennies et des décennies pour contrer les périodes de gel : les vieilles traditions ont ici raison sur tout, sans aucune débat démocratique pour régler cette problématique. Il y a bien d’autres manières de faire, comme des éoliennes, la pulvérisation d’eau sur les bourgeons, mais la mentalité est toujours d’aller au plus vite, au plus simple, au plus habituel…

Et l’on sait combien certains agriculteurs du secteur ne sont pas prompt à se poser les questions d’une telle manière, et encore moins dans une optique populaire. Le recrutement généralisée de main d’oeuvre immigrée, travaillant et vivant dans des conditions parfois odieuses, en est le témoin.

C’est bien là que l’on voit qu’il y a un problème profond. On a là l’expression d’une incapacité à impliquer la collectivité face à une problématique liée au dérèglement climatique, et dont la réponse prise de manière unilatérale aboutit finalement à engendrer plus de pollution… Là aussi, ce fait rappelle à quel point il y a un besoin d’une nouvelle orientation démocratique, populaire pour la société.

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Écologie

L’épidémie de grippe aviaire, une énième crise dans la crise

Alors que les industriels du foie gras diffusaient massivement des spots publicitaires lors des dernières fêtes de fin d’année, les premiers cas de grippe aviaire ont été détectés au début du mois de décembre dans un élevage de canards des Landes. On assiste depuis à l’abattage massif de tous les animaux de l’élevage.

L’influenza aviaire est une maladie qui touche principalement les oiseaux, qu’ils soient d’élevage ou sauvages bien qu’elle soit plus mortelle chez les oiseaux d’élevage. Le virus peut se propager par les sécrétions respiratoires ou les déjections, et peut survivre longtemps à des températures basses.

La souche H5N8 qui circule actuellement en France et en Europe est une souche extrêmement contagieuse et elle est classée comme hautement pathogène, avec les 32 millions de canards élevés en France, la situation est plus que tendue.

Dans ces conditions, il était inévitable que la situation vire au drame pour les oiseaux d’élevage. Depuis début décembre, des foyers d’infections ont été détectés dans plus d’une centaine d’élevages de canards et d’oies en France. La maladie se développe d’ailleurs de manière exponentielle, le nombre de foyers ayant doublé en une semaine malgré les mesures mises en place.

Lorsqu’on sait que la « production » de « foie gras » consiste en un gavage forcée en à peine deux semaines, on ne peut malheureusement pas être étonné de l’horrible gestion de la situation par les principaux acteurs de ce secteur.

En effet, la solution proposée par Hervé Dupouy, président de la section palmipède de la FNSEA des landes, est de faire un « vide sanitaire » dans les élevages, c’est-à-dire qu’il propose d’abattre tous les animaux des élevages contaminés, puis de laisser les lieux sans animaux durant 2 mois.

Une solution que Marie-Pierre Pé, la directrice du comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (CIFOG), ainsi que le ministre de l’agriculture Julien Denormandie approuvent, ce dernier parlant même de « dépeuplement massif inéluctable ». C’est dire comment l’État est dépassé par une situation qui a pourrie…

Et comment ne pas le voir alors que depuis le 20 décembre ce sont déjà 400 000 animaux qui on été tués, et plusieurs centaine de milliers d’autre qui vont l’être dans les jours à venir avec d’ores et déjà la réquisition d’abattoirs par le gouvernement.

Quand on constate que les oiseaux sauvages ont peu de chance de développer une forme grave de la maladie, contrairement aux oiseaux d’élevage, on ne peut que se rendre à l’évidence de l’enfer que nous faisons vivre à ces animaux uniquement pour alimenter ce si puissant secteur du capitalisme français dont l’humanité pourrait largement se passer au XXIe siècle.

Rappelons ici simplement que la France est tout à la fois premier producteur et premier consommateur mondial de foie gras, avec trois groupes qui monopolisent le secteur, soit Euralis Gastronomie et ses 700 éleveurs, Maïsadour avec sa marque Delpeyrat, Luc Berri avec Labeyrie, pour une production qui se fait généralement dans le sud-ouest.

Avec entre 10 à 20 000 tonnes de foie gras produits par an, représentant plus de 20 millions d’oiseaux gavés, principalement des canards mais aussi des oies, la France est loin devant la Hongrie, la Bulgarie, les États-Unis, le Canada, et même la Chine…

Cette situation ne peut que nous faire penser ici aux visons qui ont été abattu par millions à l’automne 2020, considérés comme le vecteur de propagation du coronavirus. Finalement, le secteur du foie gras est à la France ce qu’est le secteur de la fourrure de visons au Danemark, et ici comme là-bas c’est toujours la même brutalité comptable infâme qui s’abat.

À chaque fois le choix est fait d’abattre les animaux sans aucune considération de leur existence, sans que le mode d’organisation de l’humanité ne soit remis en question, alors même qu’il est à la base de ce drame écologique. Pour cela, il faut se heurter à toute l’idéologie française du terroir et des paysages, et savamment entretenue par l’agrobusiness.

Alors que l’humanité est empêtrée dans l’épidémie de COVID-19 engendrée par un rapport dénaturé à l’ensemble de la biosphère, la crise de la grippe aviaire dans le sud-ouest est une énième crise dans la crise…. Tout cela doit changer. Inéluctablement, un mouvement populaire sensiblement tourner vers l’avenir va, et doit émerger pour en finir avec ces atrocités envers la vie.

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Politique

Malgré la crise sanitaire, le gouvernement ouvre les frontières pour la main-d’œuvre immigrée dans l’agriculture

Les frontières sont normalement fermées en raison de la crise sanitaire, mais les impératifs de santé ne font pas le poids face aux besoins du marché. Le gouvernement a donc décidé des dérogations afin de faire venir des immigrés dans l’agriculture. Les capitalistes du secteur ont en effet besoin d’une main-d’œuvre bon marché et surtout peu regardante sur les conditions de travail, provenant essentiellement de Roumanie et de Bulgarie.

Alors que les récoltes de fraises et d’asperges ont déjà commencé, c’est bientôt la saison pour les cerises, les pêches, les nectarines, les poires ou encore les abricots. Les besoins passeraient en quelques jours de 45 000 personnes à 80 000 personnes.

Les agriculteurs du secteur, qui ne sont nullement des paysans mais de véritables chefs d’entreprises capitalistes, prétendent manquer de main-d’œuvre. Cela paraît étonnant tant on connaît la réalité du chômage en France, particulièrement en ce moment. N’a-t-on pas entendu parler d’ailleurs ces derniers jours de ces milliers d’étudiants ayant perdu leur job avec le confinement ?

Le problème en réalité n’est pas celui de la main-d’œuvre, mais de la nature de la main-d’œuvre. Le secteur a besoin d’une main-d’œuvre immigrée afin d’exercer une pression sur le travail, en maintenant des conditions difficiles, des rendements importants et une rémunération faible.

De part leur situation, les immigrés, en l’occurrence venant principalement d’Europe de l’Est et en partie du Maghreb, acceptent des conditions inacceptables pour les travailleurs français en général. Ils l’acceptent d’autant plus facilement que les salaires sont élevés en comparaison de ceux de leurs pays. Il y a bien sûr des Français faisant « les saisons », notamment des étudiants, mais non seulement c’est de moins en moins vrai, mais en plus ceux-ci sont en général jeunes, vivant une situation considérée comme seulement temporaire. La concurrence immigrée exerce sur eux une pression sociale : soit les conditions sont acceptées, soit il faut prendre la porte.

Cette pression est d’autant plus forte qu’il y a chez les travailleurs immigrés du secteur une mentalité surtout opportuniste, imprégnée de féodalisme, s’imaginant faire un bon « deal » avec l’employeur, avec un bon salaire contre un dur labeur, lui-même valorisé en tant que tel.

Dans ces conditions, les capitalistes de l’agriculture ne veulent absolument pas entendre parler des travailleurs français, ou alors seulement dans la mesure où ces derniers se plient aux standards acceptés des travailleurs immigrés.

Il faut à ce propos rappeler l’épisode récent où une campagne a été menée pour inciter des chômeurs partiels à venir travailler dans les champs, intitulée « Des bras pour ton assiette ». Cela a été un véritable fiasco, tant les travailleurs français arrivant ont été stupéfaits des conditions de travail, préférant tout simplement ne pas revenir le lendemain. Les employeurs, anticipant souvent ces réactions, ont dans la plupart des cas refusé d’eux-mêmes les embauches, préférant s’asseoir sur une partie de la production (15 % à 20 % des récoltes d’asperges et de fraises).

Les chiffres sont ainsi édifiants : sur 300 000 candidatures, seules 15 000 ont abouti d’après le ministère de l’Agriculture, et pas forcément durablement.

Le secrétaire général de l’Interprofession des fruits et légumes frais (Interfel), Daniel Sauvaitre, a très bien résumé cette situation dans la presse :

« Pour la main-d’œuvre locale c’est : un jour il fait trop chaud, un jour il fait trop froid, et il faut s’arrêter le vendredi midi. Les cueilleurs habituels, notamment venus de l’étranger, sont davantage rompus au travail de la terre. »

Les travailleurs français osent demander des bonnes conditions de travail ? C’est inacceptable pour les capitalistes du secteur, alors il faut impérativement ouvrir les frontières pour importer de la main-d’œuvre, peu importe la crise sanitaire. Telle est l’immonde logique du capitalisme, utilisant l’immigration pour maintenir les profits et freiner la lutte des classes, faisant fi des nécessités sanitaires.

Ce qui est vrai dans l’agriculture l’est d’ailleurs aussi pour de nombreux secteurs : la restauration dans les grandes villes, le BTP, le ménage, la sécurité privée, une partie de la sous-traitance industrielle, etc. La différence étant que dans ces cas-là, la main-d’œuvre immigrée est déjà sur place, souvent en situation irrégulière, contrairement à la main-d’œuvre agricole qui n’est que saisonnière et pour qui le capitalisme ouvre les frontières avec empressement.

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Écologie

Communiqué d’Eau et rivière de Bretagne sur les pulvérisations de pesticides

Voici le communiqué d’Eau et rivière de Bretagne s’insurgeant contre le coup de force anti-démocratique des préfectures bretonnes, en pleine crise sanitaire. Il a en effet été balayé d’un revers de main toute concertation sur les distances minimales par rapport aux habitations pour la pulvérisations de pesticides.

« Distance de pulvérisation des pesticides réduites sans concertation, la double-peine pour les riverains

L’arrêté pesticides paru le 27 décembre 2019, prévoit des distances de sécurité minimales pour la pulvérisation des pesticides à proximité des lieux habités, des Zones de Non-Traitements (ZNT) de 5 m en culture basse et de 10 m en culture haute. Le premier avril, 25 départements, dont tous les département bretons, ont accepté les chartes élaborés par la FNSEA qui réduisent ces distances à 5 m pour les cultures hautes et 3 m pour les cultures basses.

Eau et Rivières de Bretagne a déposé un recours devant le conseil d’État avec 8 autres associations contre l’arrêté du 27 décembre, le jugeant très insuffisant pour assurer la protection des riverains des expositions aux pulvérisations de pesticides.

En pleine crise sanitaire, sans aucune concertation, au moment même où Air Breizh, l’agence de contrôle de la qualité de l’air, alerte sur les émissions d’ammoniac « qui proviennent des élevages de porcs, bovins et volailles », les préfets de tous les départements bretons valident une charte qui divise par deux les distances de précaution pour pulvériser des pesticides. Si nous nous inquiétions de l’inéquité de ces chartes au niveau des territoires selon les rapports de force existant, nous ne nous attendions tout de même pas à ce que cette concertation soit balayée d’un revers de main !

Pour Eau & Rivières, il s’agit purement et simplement d’un déni de démocratie. Comment peut-on parler d’une concertation alors même que, seuls, les utilisateurs de pesticides sont à la manœuvre ? Comment les représentants de l’État dans les régions et les départements peuvent cautionner ces passe-droits ? Le contexte sanitaire actuel ne doit pas être une parenthèse déconnectée de toute réalité. Les riverains sont exceptionnellement obligés de rester chez eux et ne peuvent se soustraire au éventuelles pulvérisation à leurs fenêtres.

Eau et Rivières de Bretagne demande qu’en cette période d’épidémie grave, soit suspendue la décision scandaleuse de valider ainsi des chartes qui auront des conséquences négatives sur la santé. Il sera temps, après la grave crise sanitaire actuelle, de savoir s’il faut diviser par 2 les distances de sécurité pour épandage de pesticides ou les augmenter sensiblement comme le souhaitent toutes les associations. Ces dernières jugent déjà bien insuffisantes les distances de 5 m et 10 m prévues par la loi.

Pour Eau & Rivières de Bretagne, l’objectif reste la sortie complète des pesticides dans les plus brefs délais en accompagnant les agriculteurs dans cette démarche. »

 

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Société

La prolétarisation de l’Ouest de la France depuis 1968

Si la Gauche a oublié une chose fondamentale, c’est bien l’existence de la classe ouvrière. De sujet central il y a encore quarante ans, elle a été effacée progressivement de toute intervention stratégique à gauche. Amorcé dans les années 1980, ce lessivage idéologique a trouvé sa consécration dans la décennie 1990. Pourtant, si l’on regarde une dynamique sociale comme celle de l’Ouest de la France, il est frappant de constater que ce sont justement les ouvriers qui ont massivement investi la région depuis 1968.

En France, les ouvriers représentent 20,15 % (5 395 209 personnes) de la population active (2019). Dans tous les pays de l’Ouest (Bretagne, Normandie, Pays de la Loire), leur part est partout plus élevée que la moyenne nationale, avec même des niveaux très hauts en Mayenne (31, 3%), en Vendée (31%) ou dans l’Orne (31%). Ces départements font même partie des quatre premiers endroits en termes de concentration ouvrière.

La progression des effectifs ouvriers est vérifiée partout, mais cela se fait en ligne discontinue avec une progression surtout jusqu’en 1999 puis une stagnation ensuite, ce qui est peu étonnant compte tenu des cycles d’accumulation du capital.

Bien que le premier département ouvrier de l’Ouest, la Seine-Maritime, a vu son nombre d’ouvriers baisser depuis 1968, contrairement à la Vendée qui a vu une très forte hausse entre 1968 et 1999 (environ 38 400 ouvriers en plus). Malgré une relative baisse depuis 1999, la Loire-Atlantique est également un département qui s’est ouvriérisé (29 000 ouvriers en plus).

Prenons par exemple la petite ville des Herbiers en Vendée. Elle s’est littéralement transformée. Avec presque 4 000 habitants en 1946, elle en compte maintenant 15 972. De 4 000 agriculteurs, 0 cadres et 880 ouvriers en 1968, on est passé à 108 agriculteurs, 660 cadres et 1 797 ouvriers. Avec environ 5 % de chômage (contre environ 9 % en France), la zone d’emploi structurée autour de 22 petites villes rurales concentre plus de 40 % d’emplois ouvriers boostés par la construction navale. Cela est similaire du côté de la zone d’emploi de Cholet avec 32,6 % d’emplois ouvriers.

Alors que s’est-il passé entre 1960 et 2010 ?

Avec une conflictualité intense dans les grands bastions ouvriers dans les bastions métallurgiques (région parisienne, Rhône, Est), les industriels optèrent dès la fin des années 1950 une stratégie de contournement, dite de la « décentralisation productive ».

L’objectif : éclater les unités de production, modifier la composition de classe, trop compactée et générant une culture d’atelier trop rétive aux ordres d’en haut. C’est ainsi, par exemple, qu’est fondé en 1961 l’usine de PSA-La Janais à Chartres-de-Bretagne, dans la périphérie de Rennes, mais aussi Renault à Cléon (Seine-Maritime) en 1958.

Cela entraînera logiquement l’éclosion de myriades de petites unités de sous-traitance métallurgiques, comme par exemple Faurecia (siège automobiles) implanté à Caligny (850 salariés) dans l’Orne ou Cooper Standard à Vitré (850 salariés) et à Rennes (devenu Continental en 2018).

C’était là un très bon coup politique puisque tout en sapant les collectifs ouvriers historiques, la « décentralisation productive » offrait une réponse à l’exode rural massif vidant les campagnes de l’Ouest en ces années. Le mouvement de mai 1968 accompagna cette tendance en la modernisant, notamment par la grande revendication de « vivre et travailler au pays ».

Soulignons à ce titre que le mouvement de prolétarisation des campagnes de l’Ouest entre 1968 et 1990 a trouvé a s’exprimer politiquement dans le P.S.U (Parti Socialiste Unifiée) et ce courant « chrétien de gauche ». Ce sont ces courants qui seront par là suite à la tête de la modernisation sociale et économique au cours des années 1980.

Mais ce n’est pas que ces secteurs industriels « traditionnels » qui expliquent la prolétarisation de l’Ouest, car cela est finalement extérieur à la région. Il est ici impossible de ne pas voir comment l’Ouest s’est transformé de l’intérieur pour devenir la zone agroalimentaire stratégique de France.

Résultat de la politique gaulliste de centralisation de l’agriculture en 1960-1962, les agriculteurs ont littéralement fondu depuis 1968. Cela correspond bien évidemment à la recomposition du capital, à sa concentration dans des grands monopoles de la distribution (comme E.Leclerc, puis Intermarché, dont les fondateurs sont originaires de Bretagne, ou encore Super U, extrêmement implanté dans les campagnes de l’Ouest).

Fait notable, il n’y avait aucun agriculteurs au chômage en 1968, et en 1999, sur 13 départements, il y a en avait encore 9 qui comptaient plus de 10 000 agriculteurs. En 2015, il n’y en a plus un seul. Malgré ses tentatives syndicales, la paysannerie n’a pu échapper à son sort inéluctable dans le capitalisme : devenir salarié.

En décembre 2006, l’industrie agroalimentaire est ainsi le principal employeur de Bretagne, avec une augmentation de 12 000 emplois entre 1989 et 2006, soit une augmentation de 22 % contre seulement à peine 1 % en France. L’agroalimentaire concentre ainsi 65 % des emplois industriels de la région, ce qui est 2,3 fois plus élevé qu’en France. Et dans cette industrie, c’est évidemment la production de viande et de poisson qui s’envole, avec plus de 10 % de progression entre 2001 et 2005.

Ainsi, c’est à Lamballe-Armor (16 653 habitants) que se situe sûrement l’un des plus gigantesques abattoirs, la Cooperl Arc Atlantique. La « Coop » c’est plus de 7 000 employés pour 5 800 000 cochons abattus et 13 millions de consommateurs dans le monde : un empire local qui domine toute la vie sociale et économique.

Mais on aurait pu citer aussi Socopa Viandes (propriété du monopole Bigard-Charal) et ses quatre usines (Moutauban-sur-Bretagne, Quimperlé, Chateauneuf-du-Faon, Guingamp) concentrant plus de 2 500 salariés. Mais aussi, Jean Rozé à Vitré (1 400 salariés), Fleury Michon en Vendée et ses 3 000 employés… À cela s’ajoute évidemment de multiples bases logistiques et son lot de chauffeurs, magasiniers, préparateurs de commandes, etc.

L’Ouest est l’illustration de l’ancrage absolu du capitalisme français, ayant transformé des régions anciennement paysannes en de vastes zones ouvrières où s’accumule et se reproduit le capital. La classe ouvrière est encerclée par l’ennui pavillonnaire et la monotonie du travail, tout cela sur fond d’une pollution chronique (dont le phénomène des algues vertes est une expression parmi d’autres).

Pourtant, sur le plan des consciences, il y a un retard réel puisque le poids de la mentalité paysanne, de la culture « terroir » est omniprésente, mais dans une forme « modernisée » sur fond de prégnance de l’état d’esprit « catholique de gauche ». C’est en ce sens qu’il faut comprendre la réticence, bien qu’affaiblie ces dernières années, à Marine Le Pen.

Il reste un poids certain des anciens courants des années 1970 avec un Parti socialiste qui atteint des scores relativement élevés dans la 5e circonscription de Vendée, les 1eres circonscriptions du Finistère, de l’Orne et de Mayenne. Sans parler de la Seine-Maritime qui a envoyé aux élections législatives de 2017, 3 élus PCF et un PS.

L’Ouest revêt donc une importance toute particulière pour la Gauche, celle qui se place dans la filiation des combats ouvriers de Fougères ou des sardinières de Douarnenez élisant en 1921 l’un des premiers maires communistes de France.

Ouest-prolétarisation

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Écologie

«Comment peut-on promouvoir un pareil urbanisme dans le contexte de crise climatique actuel ?»

Voici une tribune initialement publiée par Le Monde d’Albert Levy, chercheur associé au laboratoire Laboratoire Architecture, Ville, Urbanisme, Environnement du CNRS (Université Paris Nanterre). Il y explique avec des arguments très précis pourquoi il faut absolument stopper le projet pharaonique Europocity à Gonesse (95) et dénonce la folie que constitue la bétonisation et bitumisation forcenée de la région parisienne, ainsi que les pratiques agricoles intensives dans la région.

« La canicule du début de cet été avait une triple origine : la météo, le réchauffement climatique et l’îlot de chaleur urbain causé par la forte bétonisation et bitumisation de la région parisienne, caractérisée par un faible ratio d’espace vert par habitant, fruit d’un urbanisme inconséquent. Le thermomètre est monté jusqu’à 43 °C à Paris le 25 juillet. Il est urgent de stopper l’hyperdensification et de repenser les grands projets parisiens et franciliens poursuivis malgré les positions et plans sur le climat, la pollution, les mesures prises pour la transition énergétique.

Le projet Europacity, au nord de Paris, dans le Triangle de Gonesse (Val-d’Oise), est emblématique de cette contradiction : est prévu sur 80 hectares un projet d’un autre temps, avec un centre commercial de 230 000 m2 (500 boutiques), un parc de loisirs de 150 000 m2 (piste de ski artificiel, centre aquatique climatisé, salles de spectacle), des hôtels (2 700 lits), une zone de bureaux, etc., le tout desservi par une gare du Grand Paris Express (GPE) construite sur fonds publics. Un centre commercial de plus ruinerait ce qui reste de petits commerces des villes environnantes.

Ce projet pharaonique, anachronique, résulte de la coalition d’un promoteur mégalo, le groupe Auchan et son partenaire chinois Wanda, d’un architecte star danois à l’ego démesuré, Bjarke Ingels, de l’Etat, de la région et du maire PS de Gonesse médusés par un investissement de… 3,1 milliards d’euros. Comment peut-on promouvoir un pareil urbanisme dans le contexte de crise climatique et écologique actuel ?

Pourtant, la commission départementale de préservation des espaces naturels (Copenaf) est contre, l’ex-ministre Nicolas Hulot y était opposé, le plan local d’urbanisme (PLU) de Gonesse a été rejeté, la ZAC Triangle de Gonesse annulée. Mais malgré cela, l’Etat veut passer en force et a démarré cet été les travaux de la gare en plein champ, à 1,7 km de toute habitation, face à des militants sur place résolus à les freiner.

Nous voulons rappeler les incohérences des responsables politiques qui déclarent ce projet d’« utilité publique » et qui ont fait appel contre l’annulation de la ZAC, revalidée le 11 juillet, tout en parlant de transition écologique et de lutte contre le réchauffement climatique.

On constate, en Ile-de-France, un appauvrissement, voire un déclin de la biodiversité ces treize dernières années (Natureparif, 2016). Les plantes ont diminué de 20 % et les papillons de 18 % entre 2009 et 2015, la richesse des espèces a chuté de 45 % dans les grandes cultures dépourvues de bordures végétales (biotopes) contre 15 % dans celles qui en sont pourvues.

Les effectifs d’oiseaux ont baissé de 30 % en onze ans en Ile-de-France, contre 17 % au niveau national, et cela s’accélère avec l’usage croissant d’insecticides neurotoxiques (néonicotinoïdes) persistants, responsables du déclin des abeilles et des insectes. Les pratiques agricoles intensives et l’étalement urbain dû à l’urbanisation galopante sont à l’origine de cette extinction des espèces dans la région.

Cela a précipité la disparition des oiseaux avec la suppression des haies, des bandes enherbées, des arbres, des fossés, des talus, des niches écologiques favorables à la diversité des espèces. Les causes se trouvent dans l’intensification des pratiques (drainage, fertilisation azotée, sélection variétale, extension des surfaces irriguées) et, surtout, dans l’usage de pesticides qui ont fortement dégradé la qualité des habitats et réduit de plus de 10 %, en moyenne, la population des oiseaux (la moitié des bruants et des pinsons, par exemple, a disparu). Ce déclin des oiseaux, des plantes, des insectes est néfaste à l’agriculture qui dépend aussi de cette biodiversité (pollinisateurs).

L’étalement urbain et l’artificialisation des sols en Ile-de-France, par la construction de routes, d’infrastructures, et le mitage pavillonnaire périurbain, responsables chaque année de la disparition de 200 hectares de terre agricole (en cinquante ans, plus de 100 000 hectares ont été engloutis), réduisent les territoires de la faune et fragmentent leurs biotopes. Par sa taille, le projet Europacity va renforcer ce processus qu’il faut inverser par deux actions.

D’une part, en faisant évoluer les pratiques agricoles vers des solutions alternatives conformément aux objectifs du plan Ecophyto du Grenelle de l’environnement qui veut limiter l’usage des pesticides de 50 % pour 2025, en développant l’agroécologie, la diversification des cultures, l’agriculture bio, l’agroforesterie, la permaculture ; utiliser la biodiversité en restaurant les habitats semi-naturels favorables à l’installation des « auxiliaires » de culture, alternative aux pesticides, pour rendre les agroécosystèmes plus résilients, rétablir des habitats refuges, des continuités/corridors écologiques à grande échelle pour faciliter leurs déplacements, selon les objectifs même du schéma régional de cohérence écologique (SRCE).

D’autre part, il faut limiter la bétonisation, la densification et l’artificialisation des sols en Ile-de-France pour lutter contre le dérèglement climatique et préserver les terres arables, surtout quand elles sont excellentes, comme ici, à Gonesse, et en conséquence stopper Europacity.

Ces objectifs de protection des terres arables, de la biodiversité, de transformation de l’agriculture en Ile-de-France, sont au centre même du projet alternatif Carma (Coopération pour une ambition agricole, rurale et métropolitaine d’avenir) et du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG).

Le changement climatique causé par les activités humaines émettrices de gaz à effet de serre (GES), avec pour conséquences canicules, sécheresses, inondations, diffusion d’agents pathogènes nouveaux, est aujourd’hui largement prouvé. Les effets sanitaires du stress thermique sont aussi bien connus (près de 20 000 morts en France en 2003). Les villes, par leur forme, leur densité, leur fonctionnement, leur activité, leur métabolisme, sont les principales sources d’émission de GES (80 %), 20 % des émissions restantes venant, en France, de l’agriculture (fertilisation des sols et élevage).

Le changement climatique n’est qu’une facette du changement global caractérisé par l’érosion de la biodiversité qu’une hausse de plus de 1,5 °C finirait de dévaster. On sait que les écosystèmes en bon état de conservation contribuent à la lutte climatique (captage et stockage du CO2 atmosphérique par les sols et la biomasse). Une double politique s’avère nécessaire d’atténuation par transition énergétique vers l’objectif zéro carbone et d’adaptation aux conséquences du dérèglement climatique par un alterurbanisme fondé sur/avec la nature (végétalisation).

L’agriculture de la région Ile-de-France, responsable de 7 % des émissions de GES, se distingue par une forte mécanisation sur de grandes exploitations peu favorables à la biodiversité, et l’élevage y est faible (7 % des exploitations), l’atténuation des émissions de GES dans l’agriculture passe surtout par la diminution des intrants chimiques fertilisants et la production d’énergie renouvelable (méthanisation, éolien…)

Au total, plusieurs pistes sont possibles : encourager la diversification des cultures (légumineuses), protéger et développer les habitats favorables à la biodiversité (fossés, haies, arbres, bosquets, mares, lisières…), renforcer le stockage du carbone dans les sols et la biomasse par des prairies, introduire des arbres dans les cultures pour favoriser la fertilité biologique des sols et réguler leur humidité.

La région a signé le 20 mars, la charte du RES (Réseau environnement santé), « Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens », devenant ainsi la première région française à s’engager contre l’usage des substances chimiques toxiques, en respectant ses cinq points, dont les deux premiers qui exigent de « restreindre et éliminer à terme l’usage des produits phytosanitaires et biocides qui contiennent des perturbateurs endocriniens et accompagner les habitants dans cette démarche », et de « réduire l’exposition aux perturbateurs endocriniens en développant la consommation d’aliments biologiques ».

Plus de deux cents villes et territoires ont signé cette charte, dont Paris. Les effets sanitaires des perturbateurs endocriniens (PE) sont connus : baisse de la fécondité masculine et des naissances masculines, anomalies dans les organes reproducteurs mâles, problèmes de fertilité des femmes, puberté précoce, cancers du sein et de la prostate, maladies immunitaires et auto-immunes, maladies neurodégénératives, obésité, diabète… Ils sont responsables d’une crise sanitaire d’ampleur épidémique selon l’OMS.

La région veut s’engager dans la production d’une alimentation saine, sans PE, et le Plan régional santé environnement 3e génération (PRSE3) a fait de la santé environnementale un enjeu majeur de santé publique, de la lutte contre les PE une grande cause régionale, avec la suppression totale des pesticides utilisés par l’agriculture intensive et néfastes pour la biodiversité, la santé des agriculteurs et plus largement des consommateurs.

De plus, une étude menée en 2015 par le commissariat général au développement durable (CGDD) a révélé que 92 % des cours d’eau et nappes phréatiques sont contaminés par ces pesticides. Avec son pacte agricole, la région voudrait bannir ces intrants chimiques à l’horizon 2030 en déployant une agroécologie à grande échelle dénuée de tout produit phytosanitaire, une agriculture bio, sans PE. La stratégie régionale pour la biodiversité voudrait également diminuer les effets des PE sur les écosystèmes.

Là encore, le projet Carma, qui se pose à la fois comme une alternative dans la région à l’artificialisation des sols et à l’agriculture intensive, pour la production d’une alimentation saine, s’intègre totalement dans ces objectifs qui lient santé des écosystèmes et santé humaine.

Ces arguments, en faveur du projet agricole Carma, démontrent les incohérences des pouvoirs publics et de la planification régionale qui soutiennent le projet Europacity, à l’heure de la crise écologique et du débat sur le climat. »

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Communiqué du PS : « La Santé vaut plus que les profits de l’agro-business ! »

Le Parti socialiste publie un communiqué ainsi qu’un appel à soutien aux maires qui interdisent les pesticides de synthèse à proximité des habitations sur leurs communes. Chacun sait à quel point c’est aujourd’hui une question écologique et de santé publique essentielle ; la Gauche doit assumer ce combats contre les dégâts de l’agro-industrie capitaliste.

« Interdiction des pesticides : La Santé vaut plus que les profits de l’agro-business !

30 août 2019
En ordonnant mardi la suspension de l’arrêté municipal pris par le Maire de Langouët visant à interdire l’utilisation de pesticides à moins de 150 mètres des habitations dans sa commune, le tribunal administratif de Rennes, saisi pat la Préfète d’Ille-et-Vilaine, refuse au maire l’application du principe de précaution en vue de protéger la population des effets nocifs des pesticides de synthèse.
Nous dénonçons le double discours de l’Etat qui d’un côté semble vouloir donner raison au maire en annonçant par la voix du Président de la République la mise en place d’une nouvelle législation et qui de l’autre attaque l’arrêté devant un tribunal administratif et demande sa suspension immédiate.
Cette situation risque d’ailleurs de se répéter. A Perray-en-Yvelines, Château-Thierry, Parempuyre, Ruelle-sur-Touvre, Gennevilliers, Sceaux, Audincourt, dans une vingtaine de communes déjà, d’autres maires ont pris des décisions identiques pour sauvegarder la santé de leurs habitants. Ils risquent à leur tour de voir leurs arrêtés suspendus.
Dans ce contexte, nous tenons à affirmer notre soutien aux maires qui défendent la santé des gens avant les profits des grandes industries de l’agro-business. Chacun sait que les arrêtés d’aujourd’hui seront la loi de demain. C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui un appel pour amplifier ce mouvement et soutenir les maires dans leur action.
Nous affirmons également aux agriculteurs que nous avons conscience de leur situation. Ils sont victimes d’un système productiviste et industriel dépassé. Nous les invitons à se joindre à ce mouvement pour poursuivre le combat que nombreux d’entre eux mènent afin de produire une alimentation de qualité.
Notre devoir collectif est de préserver et renforcer la santé de nos concitoyennes et concitoyens et celle des génération futures. »

Voici l’appel en question, qui peut être signé ici :

« Appel à soutenir les maires dans leur combat contre les pesticides

Le Parti socialiste salue l’engagement des maires de France qui ont pris la décision d’interdire l’usage des pesticides sur le territoire de leur commune. 

A Langouët, Perray-en-Yvelines, Château-Thierry, Ruelle-sur-Touvre, Gennevilliers, Sceaux, Audincourt, Parempuyre, dans une vingtaine de communes déjà, des maires ont pris la décision d’interdire le glyphosate dans l’agriculture car, analyses à l’appui, ils ont pris la mesure des risques encourus pour la santé des habitants. Au cœur d’une controverse scientifique sur la dangerosité de cette molécule, ils ont décidé tout simplement d’appliquer le principe de précaution pour protéger leur population.  
Nous soutenons ces maires qui refusent la non assistance à population en danger, en défendant la santé des gens avant les profits des grandes industries de l’agro- business.  
Nous soutenons ces maires qui veulent garantir notre sécurité alimentaire en refusant de pratiquer « en même temps » la culture des sols pour se nourrir et la pollution de ces mêmes sols au risque d’en mourir.  
Nous soutenons ces maires qui concilient dans leur action au quotidien exigence sociale, précaution sanitaire et impératif écologique. Les mettre en cause au nom de la loi n’est pas être à la hauteur. Il est déjà arrivé dans l’Histoire que la loi ait besoin pour évoluer d’un aiguillon civique.  
Voilà pourquoi nous appelons à amplifier ce mouvement qui n’est pas contre les agriculteurs, mais qui les invite à participer avec nous au combat pour une agriculture et une alimentation qui ne soient pas dominées par les intérêts financiers de quelques-uns mais par un souci d’agronomie, d’économie territoriale, d’emploi, de qualité et qui préservent et renforcent la santé de nos concitoyens et celle des générations futures. »
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Écologie

« Pour que l’agriculture change vraiment, il faut renforcer l’enseignement agricole public »

Tribune initialement publiée dans Libération vendredi 12 avril et sur le site du snetap-fsu :

« Le Salon de l’Agriculture 2019 a fermé ses portes il y a quelques semaines. Une fois de plus pour celui ou celle qui aura traversé les allées du Parc des expositions l’impression est que le bio et le « vert » sont partout. A tel point que l’on se demande s’il existe encore une « agriculture conventionnelle ».

Le Ministre de l’Agriculture en clôture du 56ème Salon de l’Agriculture confirme d’ailleurs ce sentiment en affirmant que la « transition agro-écologique de l’agriculture est en route et qu’elle est irréversible »… et ceci pour la simple raison que la société l’exige.

Mais les faits sont têtus et les chiffres implacables. La simple communication ou l’auto-persuasion, si tant est qu’elle soit sincère, ne suffiront pas à transformer la réalité. Cette année encore ce sont près de 62 000 tonnes de pesticides qui auront été pulvérisées dans les campagnes françaises (dont 8 000 tonnes de glyphosate) avec une utilisation à la hausse en 2017 qui fait s’éloigner un peu plus encore l’objectif d’une baisse de 25 % de leur utilisation en 2020.

Pour l’agriculture biologique, si les chiffres martelés montrent une réelle progression, ils concernent avant tout le marché (7 milliards d’euros, soit + 1 milliard en 2017). Car même si on constate une progression des surfaces en bio, celles-ci ne représentent à ce jour que 1,7 millions d’hectares, soit à peine 6,5 % de la surface agricole utile (SAU), et avec des variations très importantes en fonction des régions et des cultures. Avec une progression de seulement 15 % des surfaces par an, là encore l’objectif, pourtant très mesuré, du gouvernement de 15 % de la SAU en bio en 2022 semble d’ores et déjà compromis. Et ce ne sont certainement pas les difficultés que rencontrent les producteurs bio pour obtenir les aides financières publiques, qui contribueront à donner l’impulsion nécessaire.

Malgré l’urgence pour réduire les pollutions de l’eau, de l’air, de la faune et des populations (aux pesticides et aux nitrates), la dégradation des terres arables (érosion physique, chimique et biologique), la perte de biodiversité qui s’accélère de façon alarmante, les causes du changement climatique, etc., ces quelques chiffres montrent un renoncement politique à la prise en compte des défis auxquels il nous revient pourtant de répondre collectivement et urgemment. De renoncement en renoncement, un changement radical des pratiques agricoles est dorénavant un impératif mais une partie de la profession semble encore vouloir se voiler la face, les lobbies des firmes agricoles et alimentaires n’ayant quant à eux aucunement l’intention de renoncer.

Ces évolutions indispensables des modes de production agricole nécessitent une prise de conscience collective, une réelle volonté politique d’accompagnement et d’investissements dans tous les domaines supports de cette transition nécessaire, notamment ceux de la Recherche et de la Formation et du Développement..

Concernant le domaine clé de la Formation, lors du Salon de l’Agriculture, le Gouvernement a lancé une grande campagne de promotion de l’Enseignement Agricole. Pourtant, derrière cette façade se cache une autre réalité, celle du désinvestissement des pouvoirs publics sur l’Éducation et la Formation, un désinvestissement qui ne joue pas en faveur des conditions d’apprentissage confortées dans les établissements publics agricoles et par suite du développement durable que notre société appelle pourtant de ses vœux – « marches pour le climat » à l’appui !

D’abord en renvoyant aux seules branches professionnelles le financement et la gestion des contenus de la formation professionnelle, le gouvernement, au travers de la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel », semble considérer que les titres et diplômes de demain ne devront répondre qu’aux seuls intérêts des professionnels. Il abandonne l’idée que la formation relève aussi de l’intérêt public et que la puissance publique doit assurer une représentation pluraliste dans les choix et orientation des formations et des métiers de demain. Ainsi, la commission professionnelle consultative (CPC) de l’Agriculture, chargée de l’évolution des diplômes et des formations, fonctionnait jusqu’à aujourd’hui avec l’ensemble des acteur.rices de l’Enseignement Agricole (professionnel.les, parents, enseignant.es, usagers, …). Demain, seuls la FNSEA et l’UNEP pèseront au sein de cette commission, avec les orientations que l’on sait.

Ensuite en réduisant les contenus et la professionnalisation des formations au travers de la réforme de la voie professionnelle et paradoxalement dans le même temps en dégradant la formation générale au travers de la réforme du Baccalauréat, le gouvernement s’attaque aux capacités des futur.es agriculteur.rices et des futur.es technicien.nes du secteur de relever les défis qui se présenteront à eux et elles, et de s’adapter aux évolutions nécessaires de leur environnement professionnel. Comment imaginer, dans ce cadre dégradé, une mobilisation pour faire bouger le monde agricole vers davantage d’agro-écologie ? Ainsi, le retrait de l’agronomie du Bac Général dispensé dans les établissements agricoles est contradictoire avec les enjeux du développement durable, alors que cette discipline est à la base de la compréhension des systèmes de culture.

En tendant à réduire l’Enseignement Professionnel à la seule satisfaction des besoins économiques, en plaçant la formation initiale par apprentissage dans le cadre d’un marché concurrentiel en particulier et en réduisant drastiquement les moyens pour l’Enseignement Agricole Public en général, le gouvernement fragilise, par la reprise des suppressions d’emplois dans l’Éducation, les établissements publics et favorise de fait les structures privées, comme les CFA interentreprises qui commencent à se multiplier. Cette libéralisation de la Formation, qui est en fait le « faux-nez » de la privatisation, fait peser sur elle les risques d’un lobbying encore renforcé. Les contre-réformes en cours et la baisse des moyens programmée pousseront les établissements à chercher des financements extérieurs et notamment ceux provenant des firmes phytopharmaceutiques, des industries agroalimentaires ou encore de la grande distribution.

Enfin, la réorganisation brutale – déjà très contestée – de l’Enseignement Supérieur Public et de la Recherche, relevant du Ministère de l’Agriculture, ne fera qu’aggraver la situation.

Promouvoir une agriculture qui permette demain notre souveraineté alimentaire tout en garantissant la préservation de l’environnement comme de la santé des populations, passe assurément par le maintien et le développement d’un Enseignement Agricole Public présent sur l’ensemble du territoire, mandaté pour porter cette révolution agro-écologique nécessaire, avec des exploitations et des ateliers technologiques dotés en conséquence. Nous sommes plus que jamais « à la croisée des chemins » et la représentation nationale doit prendre toute la mesure des décisions budgétaires triennales qui s’annoncent en regard d’établissements agricoles « à taille humaine », performants, mais déjà fragilisés dans le cadre du budget 2019… Les enjeux sociétaux sont majeurs et abaisser l’outil public d’enseignement et de formation agricole initiale, comme continue, serait une faute historique, sachant que nous ne pourrons pas nous contenter d’un simple ravalement de façade. Ce sont les fondations qu’il est nécessaire de conforter pour assurer cet avenir, et cela ne peut passer que par un renforcement volontariste et assumé comme tel de l’Enseignement Agricole Public.

Les signataires :

Eric ANDRIEU (Député Européen)
Gérard ASCHIERI (Membre du CESE au titre de la FSU)
Karine AULIER (Représentante de la FCPE pour l’Enseignement agricole)
José BOVE (Député européen)
Françoise BRIAND (Secrétaire générale FCPE)
Marie BUISSON (Secrétaire Générale Ferc-CGT)
André CHASSAIGNE (Député du Puy de Dôme)
Pierre CHERET (Conseiller régional Nouvelle Aquitaine)
Gilles CLEMENT (Paysagiste, botaniste, biologiste, écrivain)
Étienne DAVODEAU (Auteur de bande dessinée)
Elsa FAUCILLON (Députée des Hauts de Seine)
Jean-Luc FICHET (Sénateur du Finistère)
Sylvie FILIPEDASILVA (Co-Secrétaire Général CGT-Agri)
Sigrid GERARDIN (Co-Secrétaire générale Snuep-FSU)
Guillaume GONTARD (Sénateur de l’Isère)
Bernadette GROISON (Secrétaire Générale FSU)
Sylvie GUILLOU (Secrétaire nationale Snuitam-FSU)
Jocelyne HACQUEMAND (Secrétaire Générale Fnaf-CGT)
Joël LABBE (Sénateur du Morbihan)
Françoise LABORDE (Sénatrice de la Haute-Garonne)
Michel LARIVE (Député de l’Ariège)
Jean Marie LE BOITEUX (Secrétaire Général Snetap-FSU)
Laurent LEVARD (Agro-économiste – Co-animateur Agriculture et Alimentation de la FI)
Laurence LYONNAIS (Agent de développement local, candidate FI aux élections européennes)
Myriam MARTIN (Conseillère régionale Occitanie)
Philippe MARTINEZ (Secrétaire Général CGT)
Pierre OUZOULIAS (Sénateur des Hauts de Seine)
Roger PERRET (Membre de la commission agricole du COCT – Fnaf CGT)
Laurent PINATEL (Porte parole Confédération Paysanne)
Dominique PLIHON (Porte parole ATTAC)
Christian PRAT (Chercheur en sciences du sol, IRD)
Loïc PRUD’HOMME (Député de la Gironde)
Marie-Monique ROBIN (Journaliste, réalisatrice et écrivaine)
Eve SAYMARD (Agronome, accompagnatrice à l’installation / transmission agricole)
Stéphane TRIFILETTI (Conseiller régional Nouvelle Aquitaine)
Aurélie TROUVE (Enseignante-chercheuse AgroParisTech)
Paul VANNIER (Co-responsable du livret éducation de la France insoumise)
Thomas VAUCOULEUR (Co-Secrétaire Général CGT-Agri)
Michèle VICTORY (Députée de l’Ardèche)
Jean ZIEGLER (Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies) »

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L’indemnisation des agriculteurs par les fédérations de chasseurs

Depuis 1968, ce sont les chasseurs qui financent les indemnisations aux agriculteurs ayant connus des dégâts de la part de certains animaux comme les sangliers. C’est une chose très peu connue du grand public, mais qui signifie beaucoup pour comprendre ce que représentent la chasse en France à notre époque.

Avant 1968, les agriculteurs disposaient d’un « droit d’affût », c’est-à-dire du droit de tuer eux-mêmes les animaux qu’ils considéraient nuisibles pour leurs cultures. Cela existait dans le cadre d’une économie rurale peu concentré, avec de petites exploitations fonctionnant sur un modèle ancien.

Les campagnes françaises ont cependant changé dans les années 1950 et 1960, avec l’intensification et l’industrialisation de la production agricole. Les exploitations se sont agrandies tout en concernant de moins en moins de personnes.

Avant cette grande modernisation, la chasse, qui était déjà en partie un loisir, existait surtout par rapport à une réalité économique et des nécessités spécifiques. Il y avait la figure du paysan avec son fusil comme outil, dans le cadre de son existence rurale. Cela d’autant plus que le chasse pouvait être alimentaire.

La chasse est devenue cependant autre chose à cette même époque, concernant des personnes ayant une culture rurale, mais n’étant pas forcément des paysans. Il y a alors eu une contradiction entre les pratiques agricoles et la chasse comme loisir.

Dans le cadre de l’intensification de la production, les agriculteurs ont commencé à décimer les populations animales pouvant endommager leurs récoltes. Les chasseurs, pour qui la chasse est un loisir moderne, bien qu’existant dans le cadre de traditions rurales et d’une nécessité d’avoir un rapport à la nature, étaient opposés à cette pratique radicale. Le risque était tout simplement qu’il n’y ai plus de « gibier » à chasser.

L’État français a donc organisé un compromis par le biais d’une loi en 1968. Les agriculteurs se sont vus privés de leur « droit d’affût », mais en contre-partie les chasseurs ont pris en charge les indemnisations de récoltes dégradées, surtout par les sangliers, mais aussi par les cerfs, chevreuils, daims, mouflons, chamois et isards.

Autrement dit, les chasseurs se sont vu reconnaître la responsabilité des dégradations, en l’échange de la non-extermination de certaines espèces afin que celles-ci puissent toujours être chassées par loisir.

Pour encadrer cela, des plans de chasses sont décidés afin de réguler les populations et empêcher dans une certaine mesure ces dégâts. De la même manière, les chasseurs pratiquent l’agrainage, c’est-à-dire nourrissent les populations sauvages, surtout de sanglier, afin de les attirer ou les maintenir à certains endroits. Cela a bien sûr pour effet d’augmenter les populations, et donc le nombre d’individus à tuer.

Sur le plan idéologique, ces indemnisations permettent de justifier l’activité des chasseurs en maintenant la fiction de la régulation des espèces dites envahissantes. En effet, les chasseurs pourraient très bien militer en faveurs de mesures de protections des cultures, mais ils ne le font pas, ou seulement dans des cas particuliers où les indemnisations à payer sont trop importantes.

En termes de chiffres, cela représente des sommes énormes, entièrement à la charge des chasseurs, qui ne sont pas nécessairement des gens très riches, mis à part pour la pratique aristocratique et bourgeoise de la chasse à courre. Ils versent chaque année, dans le cadre du permis de chasse, 50 millions d’euros destinés à rembourser les dégâts causés aux agriculteurs et à mettre en place des mesures préventives. Il faut ajouter à cela 80 millions d’euros qui sont dédiés à la gestion cynégétique, c’est-à-dire à la gestion globale de ces populations animales.

Depuis 2000, à leur demande, ce sont les fédérations départementales de chasseurs, et dans certains cas la fédération nationale, qui sont chargés de payer elles-mêmes les indemnisations. Les agriculteurs doivent signaler les dégâts à la fédération de leur département qui missionne alors un expert et propose ensuite un accord, selon un barème financier établi à l’avance.

Cela est bien sûr organisé dans le détail pour éviter certains excès. Par exemple un agriculteur ne peut pas demander de remboursements pour des dégâts causés par des animaux provenant d’un « fonds » (par exemple un bois) qui lui appartient. Dans ce cas, il doit, soit acquérir un permis de chasse, soit faire appel à des chasseurs, pour « gérer » ou exterminer ces populations, selon l’option qu’il choisit.

Sur le plan juridique, cela est très particulier, car il y a un mécanisme d’indemnisation, avec une responsabilité, sans pour autant qu’il soit reconnu au sens strict une faute de la part des chasseurs. Cela revient en fait à donner une sorte de mission de service publique aux chasseurs, mais sans que cela soit le cas non-plus puisqu’il est considéré qu’ils sont responsables de ces populations d’animaux et des dégâts qu’elles causent en les maintenant.

Les Fédérations départementales ont à la fois une grande autonomie, mais en même temps elles dépendent totalement de décisions prises par l’État.

La Commission nationale d’indemnisation des dégâts (CNI) qui encadre tout cela est ainsi surtout composée de représentant de l’État :

  • un représentant du ministre chargé de la chasse qui préside la CNI ;
  • le directeur général de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, ou son représentant ;
  • le directeur général de l’Office national des forêts, ou son représentant ;
  • le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, ou son représentant ;
  • le président du Centre national de la propriété forestière, ou son représentant ;
  • le président de la Fédération nationale des chasseurs, ou son représentant ;
  • cinq présidents des fédérations départementales ou interdépartementales des chasseurs nommés sur proposition du président de la Fédération nationale des chasseurs ;
  • quatre représentants des organisations nationales d’exploitants agricoles habilitées, nommés sur proposition du ministre de l’agriculture ;

Un telle organisation ne serait exister dans le cadre d’une société réellement démocratique. On a ici quelque chose de très flou, et non efficace au sens strict, destiné en fait à maintenir une pratique minoritaire, en cherchant les moyens de la justifier culturellement.

Cela ne fonctionne d’ailleurs pas très bien et il y a régulièrement des tensions entre les agriculteurs et les chasseurs. Un article du Figaro de ce mercredi 22 août 2018 expliquait par exemple que « les paysans accusent les chasseurs de favoriser la prolifération des cochons sauvages qui causent de gros dégâts dans les cultures. »

Il n’y a bien sûr aucune recul ni aucune compréhension globale de la question des forêts ou des espaces naturels en général, et de leurs habitants animaux.

La situation aujourd’hui est que les productions agricoles humaines perturbent les équilibres naturels en faisant officie de garde-manger attrayants pour des animaux qui sont ensuite considérés comme « nuisibles ». Être de gauche et avoir un minimum de considérations écologiques, c’est au contraire prôner un certain nombre de mesures intelligentes et efficaces par rapport à cette situation.

Le meurtres des animaux par la chasse n’est pas indispensable. Il est évident que l’on pourrait systématiser la pose de clôtures spécifiques, trouver des moyens de dissuasion olfactive et gustative, ou encore réorganiser les productions en éloignant celles qui attirent le plus les animaux, comme le maïs, des bordures des forêts.

Au contraire, la chasse telle qu’elle existe aujourd’hui reflète un rapport à la nature, aux campagnes, tout à fait conforme aux valeurs de la Droite. Ce sont des valeurs conservatrices et réactionnaires ; c’est pour cela que la sensibilité envers les animaux dérange tant les chasseurs.