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Culture & esthétique

Des halles socialistes plutôt que des zones commerciales

Avec l’essor de la commande en ligne et des livraisons à domicile (ou points relais), le capitalisme s’enfonce tout en essayant de résoudre ses propres contradictions. La décadence d’un mode de production est justement complet quand même les solutions aux problèmes sont de nouveaux problèmes.

Depuis les années 1950, la société marchande a connu un véritable bond en avant, développant une multitudes de possibilités de consommation. D’un côté cela veut dire que l’abondance des biens est un progrès immense qui permet de vivre confortablement, si l’on vit dans un pays développé. D’un autre côté, cela signifie que la tendance au monopole et la mise en concurrence produisent un éparpillement. En pratique, pour trouver ce que l’on cherche il faut se rendre dans plusieurs enseignes au lieu d’une seule et souvent cela veut dire faire des kilomètres, perdre du temps et ne plus s’y retrouver.

Cela est particulièrement palpable au moment des fêtes dans la mesure où l’on veut mettre la barre haute, que ce soit en faisant des cadeaux ou préparant des repas conviviaux, mais c’est surtout une réalité qui pèse toute l’année pour ses courses au quotidien.

Galeries Lafayette, boulevard Haussman, Paris (1894, coupole 1912)

Dans un magasin A on trouve de la nourriture pour animaux correcte, dans un magasin B comment s’alimenter sainement de manière vegan, dans un magasin C le meilleur rapport qualité prix pour des produits de base, dans un magasin D l’ambiance sera moins oppressante que le magasin C mais on ne trouvera que peu de choses, ainsi de suite. C’est un vrai casse-tête du quotidien qui se multiplie dans tous les domaines de consommation.

Il ne faut pas négliger cet aspect dans la tendance à l’augmentation des achats en ligne, du recours au « drive » ou à la livraison de ses courses à domicile : il y a une tentative de résolution de ce chaos à l’échelle individuelle. Et comme cela touche l’organisation du quotidien, ce sont principalement les femmes qui ont recours à ces services.

Certes beaucoup apprécieront de faire les boutiques, mais au quotidien naviguer de zones commerciales en supermarchés en zones piétonnes, de tours de ronds-points en embouteillages et recherche d’une place de parking, c’est tout bonnement intenable.

Dans ce cadre, il faut maintenir un certain rythme, un certain standing et avec le développement anarchique des enseignes et des produits visant simplement à satisfaire des niches, rien n’est uniformisé, homogénéisé, centralisé, simplifié et surtout rendu plus agréable. Le temps libre se transforme en un long cauchemar quand il faut se confronter à ces espaces labyrinthiques d’une grande laideur. À ce titre on voit bien l’évolution esthétique de la bourgeoisie rien qu’en comparant un centre commercial d’après les années 1970 avec une galerie marchande de la fin du XIXe siècle. Entre vecteur de beauté et décadence capitaliste.

Grand Magasin à dimension populaire, Paris (1856)

Les centre commerciaux ont été imaginés chacun comme une flânerie à l’abri des intempéries, mais dès qu’une agglomération dépasse quelques milliers d’habitants ce sont plusieurs centres commerciaux, voire zones commerciales qui se font concurrence, et alors cela se transforme en course contre la montre quotidienne. À moins d’être chanceux, il faut choisir entre rationaliser ses lieux de consommation avec ses trajets domicile travail ou faire de choix plus culturels ou sain au prix de beaucoup de temps et d’argent.

En soi cela ne pose aucun problème pour le capitalisme que le temps libre du travailleur soit dédié à ce genre de course à la consommation. Mais le besoin de sérénité et surtout de rationalité trouve toujours un chemin !

Celui-ci pourrait être celui de remettre en question une vie quotidienne dictée par les lois du profit et sa laideur. Mais en l’absence de perspectives la remise en question est remplacée par un repli sur soi et une participation à l’extension de la consommation capitaliste à la sphère privée.

Avec le développement des plateformes d’achats en ligne, de la livraison et des « drive », le capitalisme exploite ses propres failles en compensant l’absence de l’objet convoité par un « parcours client » virtuel amenant à la compulsivité.

Passage Pommeraye, Nantes (1843)

Là où en allant en ligne on pensait gagner en tranquillité tout en supprimant la tentation des packaging et de la mise en rayon en faisant son panier en ligne, les publicités ciblées se chargent de rappeler qu’on ne s’est mis à l’écart de rien du tout, que la capitalisme se glisse dans la moindre pensée de manière perfide.

La seule échappatoire est politique et sur ce sujet là, il n’est pas compliqué d’avoir un minimum d’utopie car on peut faire beaucoup mieux. Alors, que serait un lieu de distribution de la marchandise tout à fait socialiste ?

Tout d’abord, le socialisme permet d’unifier les différents monopoles et ainsi de supprimer l’éparpillement des produits tout en réduisant le volume de l’inutile grâce à la planification. Il est donc possible de rendre la distribution des produits plus claire. Surtout cela permet de satisfaire la qualité des produits dans l’abondance générale. Car à y regarder de près, le capitalisme prétend à l’abondance en ne parvenant pas à répondre à la qualité, sauf à appartenir aux classes les plus riches de la société.

La « publicité » doit être limitée à promouvoir des bonnes habitudes de salubrité et à présenter les nouveaux produits élaborés dans ce sens. Cela diminue le stress psychique au quotidien et au moment des courses. Ainsi, les dépenses compulsives en raison de prétendues promotions sont éliminées.

Passage Balthus, Autun (1848)

Le moment des courses est replacé au centre de la vie quotidienne et doit pouvoir s’effectuer à moins de dix minutes de chez soi, sans prendre la voiture puisque les voitures sont bannies du quotidien du plus grand nombre.

La fin des voitures étant nécessaire pour réduire l’étalement urbain, il est évident que les zones commerciales seront repensées soit pour ramener la nature dans et aux abords des villes, soit pour créer de nouveaux centres-villes là où les grandes villes et zones commerciales avaient absorbés l’activité des bourgs secondaires. Dans le cas de cette seconde option, les nouveaux magasins socialistes sont une structure centrale pour reconstruire la vie collective dans les déserts urbains capitalistes.

On trouve une halle dans chaque quartier dans les grandes villes, celles-ci sont adaptées au nombre d’habitants par leurs dimensions et la quantité de produits, mais le choix est aussi large dans les bourgs modeste que les grandes villes. Les halles participent à l’attractivité et ainsi au rééquilibrage démographique entre ville et campagne.

La forme du lieu où faire ses courses pourrait être empruntée aux halles ou galeries marchandes puisque cela permet d’éviter les « parcours clients » des hypermarchés de la société actuelle au milieux de rayons de marchandises dont l’achat n’est pas prévu. Les galeries sont un ensemble de boutiques thématiques approvisionnées essentiellement de la marque issue des monopoles précédemment socialisés.

Ainsi, on a d’une part l’alimentaire sec, de l’autre les fruits et légumes, ou encore la parapharmacie, les produits d’entretien, etc. La qualité est mise en avant car mise à disposition du peuple tout entier, que cela concerne l’alimentation, l’habillement, l’ameublement, etc.

Les galeries sont couvertes et il est possible de ramener les chariots jusque chez soi, jusqu’aux prochaines courses. Pour les personnes âgées et le parent faisant les courses en présence d’enfants en bas âge, les halles emploient des personnes affectées à l’aide aux course et à la restauration du lien social.

Coupole en vitrail dans le magasin Printemps (Paris) reconstruit en style néo-classique en 1883

Le beau redevient un critère essentiel aux nouvelles constructions, y compris pour les halles. Leur architecture se réfère au classicisme et les ornements empruntent à différents courants figuratifs du classicisme à l’art nouveau.

Les halles socialistes sont réellement des lieux de flâneries où l’on se croise aussi bien à faire ses courses qu’à admirer les bas reliefs, tableaux, vitraux et statues représentant la Nature, les animaux ou des moments clefs de l’Histoire de l’humanité. Ce lieu, comme le reste des villes et communes populaires sont décorés avec goût pour fêter les solstices et les dates clefs de l’Histoire mondiale du mouvement ouvrier.

En somme une halle socialiste se doit d’être un carrefour entre le musée, l’architecture et la satisfaction des besoins humains. La halle a comme aspect principal de mettre en exergue le contrôle par le peuple des forces productives permettant de satisfaire les besoins. Contrairement aux grands magasins bourgeois, les halles socialistes ne font pas dans la démesure, l’objectif est de faire du beau simplement, et néanmoins répandu sur tout le territoire.

Retrouver des lieux de consommation agréables ne pourra se faire qu’avec le socialisme puisque les modalités d’accumulation du capital poussent à réduire le bâtis au fonctionnel et poussent ceux-ci en dehors des villes. Cette incapacité à faire du beau, de la qualité et de l’écologique est d’ailleurs une des choses qui va pousser inéluctablement l’Humanité dans l’ère du Socialisme.

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Culture

Le magnifique vélodrome urbain de Kiev

Un monument d’architecture urbaine et de culture populaire.

Le vélodrome de Kiev a été construit en 1913, au cœur de la ville. Il se situe ainsi à quelques centaines de mètres de la Cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, l’un des monuments les plus connus d’Ukraine, juste derrière la rue Bogdan Khmelnitski, du nom d’une figure nationale ukrainienne.

Le cyclisme, venu de France, était alors extrêmement tendance dans l’empire russe. On trouvait à l’époque sur le site un service de location et de réparation de bicyclettes, ainsi qu’au centre de la piste un théâtre d’été nommé Polar Star, avec un orchestre et une cabine de cinéma quelques années plus tard.

Après la Révolution de 1917 et l’avènement de la nation ukrainienne, l’installation sportive a bien entendu été maintenue et utilisée. Juste avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, un grand projet de rénovation était en cours avec l’idée d’un rattachement du bâtiment de la Maison de la Culture Physique à la piste.

La ville de Kiev fut très touchée par la guerre et la piste sérieusement endommagée. Mais les autorités soviétiques de la ville décidèrent rapidement de la restauration de l’installation, avec notamment un revêtement en béton moderne dès 1949. Différents bâtiments et installations furent construits dans les années suivantes, contribuant à moderniser au fur et à mesure l’édifice qui était très populaire.

Une nouvelle grande étape de rénovation-amélioration eu lieu plus tard en vue des Jeux olympiques de 1980 à Moscou. Le vélodrome avait alors le statut de piste de réserve pour les Jeux olympiques et son revêtement a été entièrement démantelé pour être remplacé par du bois, du mélèze de Sibérie, permettant une vitesse maximale autorisée de 85 km/h. La capacité de l’enceinte fut portée à 5000 places.

À partir des années 1990, le vélodrome de Kiev est progressivement tombé en décrépitude, à l’image de l’Ukraine elle-même, gangrenée par la pauvreté et la corruption. Le revêtement en bois laissé à l’air libre fût sérieusement endommagé, puis remplacé en 1996 par du béton. Le classement du vélodrome comme monument d’histoire et d’architecture en 1998 ne changea rien à la décadence du site et les dernières compétitions se tinrent en 2004.

Le 27 août 2007, par le décret 983/0/16, le ministère de la Culture de l’Ukraine se couvrit d’une honte immense en privant le vélodrome de son statut de monument historique, pour le soumettre à l’appétit féroce des promoteurs immobiliers. Ce qui devait arriver arriva et le 20 mars 2009, une partie de la piste fut démolie dans le cadre de la construction d’un immeuble de luxe.

Cela ne se fit toutefois pas sans heurt et une formidable mobilisation démocratique et populaire s’est mise en place dans la ville pour défendre l’édifice, et surtout le réhabiliter. Portée à la base par une communauté de cycliste liée à des architectes, la mobilisation a été victorieuse.

La rénovation a commencé en 2016, avec au cœur du projet une piste extérieure en béton de qualité conforme à des compétitions de niveau professionnel. Le Vélodrome fut à nouveau inauguré le 20 mai 2017, en présence du maire de Kiev  lui-même.

En juin 2015, un « velokino » (cinéma-vélo) par des cyclistes activistes : l’alimentation électrique était généré en direct en pédalant !

Aujourd’hui, la piste accueille des cyclistes de niveau mondial, régional ou local pour des compétitions, mais est également ouverte à tous, en accès libre. De nombreux événements culturels y ont lieu, comme par exemple des projections de films gratuits en plein air ou des apprentissages au cyclisme pour les enfants.

C’est devenu, en plein cœurs de la ville de Kiev, un bastion populaire, fruit d’un combat démocratique pour la culture, le sport, l’architecture, l’histoire. C’est évidement un modèle à suivre.

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Société

Un général pour superviser les travaux de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Fleuron du patrimoine historique, la cathédrale Notre-Dame de Paris voit les travaux de « reconstruction » passer sous la coupe d’un général. Une logique nationale-catholique choisie par Emmanuel Macron en phase avec son soutien à la chasse à courre.

On ne peut pas reconstruire une œuvre médiévale et ce qu’il faudrait, c’est une réhabilitation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, pas une « reconstruction ». Cependant, le catholicisme et la bourgeoisie veulent une continuité du statu quo social, culturel, idéologique. Il faudrait faire comme si rien ne s’était passé, pour prouver que rien ne peut se passer.

Cela a été le sens de la réunion du conseil des ministres le 17 avril avec la mairie de Paris, les architectes des bâtiments de France et les responsables des monuments nationaux. C’est le sens de l’appui des grands monopoles au financement (LVMH et la famille Arnault 200 millions d’euros, les Bettencourt et L’Oréal 200 millions d’euros, la a famille Pinault 100 millions d’euros, Total 100 millions d’euros, Bouygues 10 millions d’euros, Marc Ladreit de Lacharrière 10 millions d’euros, etc.)

C’est le sens de la nomination par le conseil des ministres de Jean-Louis Georgelin à la tête de la supervision des travaux de reconstruction. On est là au cœur de la réaction, puisqu’il s’agit d’un général d’armée cinq étoiles qui a occupé les fonctions de chef d’État-Major des armées de 2006 à 2010.

Il est également Grand-croix de la Légion d’honneur, Grand-croix de l’ordre national du Mérite, Commandeur de l’ordre des Palmes académiques, Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres, Médaille commémorative française avec agrafe « Ex-Yougoslavie », Médaille de l’OTAN pour l’ex-Yougoslavie, Grand officier de l’ordre de Saint-Charles de Monaco, Commandeur de la Legion of Merit USA, Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique, Commandeur de l’ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne, Grand officier de l’ordre Abdul Aziz de l’Arabie Saoudite…

Commandeur de l’ordre du mérite de Centrafrique, Commandeur de l’ordre du mérite du Bénin, Commandeur de l’ordre national du Mali, Commandeur de l’ordre national du Niger, Commandeur de l’ordre national du Tchad, Commandeur de l’ordre du mérite de Pologne, Bande de l’Ordre de l’aigle aztèque du Mexique, etc.

Il a également été grand chancelier de la Légion d’honneur : c’est lui qui a remis le grand collier de l’ordre à François Hollande lors de son élection en mai 2012…

Et ce militaire a été le grand responsable des interventions militaires françaises en Côte d’Ivoire, Afghanistan, dans les Balkans, au Liban ! Quel symbole qu’un tel militariste, qu’un tel interventionniste, soit le responsable de la « reconstruction » de ce qui est censé n’être plus qu’un dispositif religieux !

Au lieu que cela soit un « civil » expert en patrimoine, on a un militaire. Au lieu d’avoir une œuvre médiévale appartenant à l’héritage culturel national, on a un appui ouvert à la France la plus réactionnaire.

C’est même tellement vrai que ce général n’a pas hésité à remettre en cause la soumission de l’armée au pouvoir civil. Reprenant la question du conflit sur le budget entre Emmanuel Macron et son chef d’état-major Pierre de Villiers en 2017, il a affirmé en 2018 sur France Culture que :

« Ce qui reste (de cet épisode) à mon sens dans les armées aujourd’hui, c’est cette agression verbale du président de la République sur le chef d’état-major. »

C’est là affirmer que l’armée serait intouchable, tout comme les notables considèrent la chasse à courre comme intouchable, tout comme la réaction en général considère que la religion catholique est intouchable.

Il est d’une gravité a absolue qu’un telle figure militaire soit à la tête de la « reconstruction ». Cela va conférer un prestige immense à l’Armée au moment de la fin de celle-ci. Cela renforce le bloc national-catholique en France, cela appuie les étroits rapports entre la direction de l’Armée et le Vatican.

La Gauche, assumant ses valeurs historiques, doit vigoureusement dénoncer ce dispositif réactionnaire.

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Société

Notre-Dame de Paris : désacraliser le point zéro des routes de France

La cathédrale de Notre-Dame de Paris relève du passé, du patrimoine national, ce n’est pas une « actualité ». Elle ne peut pas être « reconstruite ». À moins de l’intégrer dans le dispositif idéologique religieux.

Emmanuel Macron, lors de son allocution à la télévision après la catastrophe du 15 avril 2019, a affirmé la chose suivante :

« Il nous revient de retrouver le fil de notre projet national, celui qui nous a faits, qui nous unit : un projet humain, passionnément français. »

C’est le fond philosophique justifiant sa position selon laquelle la cathédrale de Notre-Dame de Paris devra être reconstruite dans les cinq ans. Et c’est un double problème.

En effet, la cathédrale Notre-Dame ne relève pas de l’actualité nationale, mais de l’héritage culturel national. Ce sont deux choses fondamentalement différentes. Les catholiques font tout justement pour présenter la cathédrale comme une actualité, quelque chose de vivant, reliant le passé au présent et même au futur, dans une fusion du national et du religieux.

Cela ne peut pas être le point de vue de la Gauche. En fait, la seule position tenable pour la Gauche par rapport à la cathédrale Notre-Dame de Paris est que celle-ci devrait être un musée. Il faut radicalement désacraliser ce lieu au cœur de la capitale. D’ailleurs, il y a un point sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris qui est le centre symbolique des routes de France, la distance par rapport à Paris étant calculé par rapport à elle, et ce depuis 1739.

Le vrai centre de la ville devrait en fait être à la pointe de l’île de la Cité ; on aura compris qu’il s’agit de faire de Notre-Dame un symbole national-catholique, ce qui fut l’objectif de Victor Hugo. Ces derniers jours, on a eu beaucoup de commentaires comme quoi ce serait également le bâtiment représentatif de la France, ce qui n’a jamais été le cas, puisqu’on parlerait bien plutôt de la Tour Eiffel ou bien du château de Versailles.

Il faut briser tout cela, sans quoi on laisse le champ libre à la religion catholique. Ce qui amène au second problème : la reconstruction. Car tout en liant la cathédrale à l’actualité nationale (et non au passé), Emmanuel Macron entend poser une continuité nationale-religieuse, d’où son propos lyrique comme quoi :

« Nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore. »

Or, une œuvre architecturale médiévale ne peut pas être rebâti et rendue plus belle encore. On peut reproduire quelque chose à l’identique, mais la dimension historique en disparaît alors. Et ce serait une tromperie. Pas évidemment selon les catholiques, qui voient une continuité dans la cathédrale. D’où la grande importance qu’ils ont eu à souligner qu’avaient été sauvés des flammes « la sainte Couronne, la tunique de saint Louis, un morceau de la Croix et un clou de la Passion » (mettons entre guillemets ces folies). On est là en pleine superstition la plus délirante.

Il y a également la manière dont a été présenté le fait que Jacques Chanut, qui est président de la Fédération Française du bâtiment, a trouvé le coq de la flèche dans les décombres. Que ce soit le président qui le trouve, alors qu’on le pensait perdu, est présenté comme une sorte de miracle. Et ce n’est pas pour rien, car ce coq contient des reliques : une partie de la Sainte-Couronne d’épines, une de Saint-Denis et une de Sainte-Geneviève.

S’agit-il de contribuer à une telle superstition ? Absolument pas. Et comme toutes les cathédrales d’avant le XXe siècle appartiennent à l’État, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement. C’est comme pour l’École d’ailleurs : il est inacceptable que l’État rémunère les professeurs des écoles privées. Il faut même que toute l’École passe sous la supervision de l’État.

Le catholicisme, qui a été utile dans le passé, cherche à maintenir ses positions depuis longtemps caduques. Il faut finir le travail démocratique de liquidation des positions des religions dans la société.

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Culture

La responsabilité du capitalisme dans la destruction de Notre-Dame de Paris

La France est une grande puissance économique, avec un très haut niveau scientifique et technique. Si Notre-Dame de Paris a été partiellement détruite, c’est en raison d’une incapacité à mettre en œuvre des moyens pour la protéger.

La destruction par les flammes de la cathédrale Notre-Dame de Paris ne doit rien au hasard ou à une quelconque absence de chance. La France est en effet très développée, avec une très haute capacité technique. Sur le plan scientifique, il y a parmi les meilleurs ingénieurs du monde, les meilleurs spécialistes du monde.

Et des cathédrales historiques qui connaissent des travaux, il y en a eu de très nombreuses dans le monde et elles n’ont pas terminé livrées aux flammes. Le niveau d’expertise suffisant a pu être obtenu pour cela.

Il y a donc un problème fondamental dans ce qui s’est passé hier 15 avril 2019 et ce problème est très simple : c’est le refus d’investir dans la protection du patrimoine historique. Le capitalisme vise le profit et se moque de la mémoire.

Le Louvre et Versailles eux-mêmes sont pris d’assaut par des mécénats ayant en fait une réelle dimension publicitaire, alors que c’est le spectaculaire qui l’emporte toujours davantage.

C’est la raison pour laquelle la protection de Notre-Dame de Paris n’a pas été à la hauteur. Il n’y a pas eu l’engagement moral, subjectif, pour la protéger, avec des gens suffisamment motivés, déterminés, totalement engagés. Il n’y a pas eu non-plus les moyens matériels mis en place, les millions d’euros de financement pour assurer une sécurité totale.

C’est ainsi une faillite sur le plan de la civilisation. Une civilisation qui ne sait pas protéger ses monuments historiques est condamnée. La destruction des Bouddhas de Bamyan par les Talibans en Afghanistan a reflété une crise totale de ce pays, incapable d’assumer une histoire millénaire avec toutes ses facettes, toute sa richesse. De la même manière, la destruction par les islamistes des mausolées de Tombouctou a témoigné d’une incapacité historique du Mali à assumer et protéger son patrimoine.

Imagine-t-on l’Inde perdre le Taj Mahal, la Russie perdre les églises historiques des villes de son « anneau d’or », Prague perdre le pont Charles ? C’est rigoureusement impossible à moins de provoquer une secousse totale dans le pays, car cela refléterait une incapacité à assumer l’héritage culturel national. Et c’est exactement le problème en France.

La France ne se préoccupe pas de son patrimoine ; sur le plan subjectif, il lui importe peu que Air BnB colonise certains quartiers parisiens, que les jeunes ne sachent plus réellement qui sont Balzac, Zola, Flaubert, Bernanos, Maupassant, Racine, voire Molière. Il y a une image de la France et elle est considérée comme suffisante. Les vingt millions de badauds arpentant chaque année le parvis de Notre-Dame-de-Paris avec leurs appareils photos et leurs perches à selfies satisfont les édiles.

Le contenu n’intéresse plus personne quasiment ; au nom du capitalisme triomphant et du consommateur roi, l’héritage national est nié ou bien réduit à une image d’Épinal dont Stéphane Bern se fait le chantre ridicule.

Le capitalisme réduit l’héritage culturel national à un divertissement ou à quelque chose de figé et d’abstrait, d’inaccessible. Le résultat en est la négation de la culture, le dédain pour le patrimoine. Les seuls critères sont le profit et le cosmopolitisme touristique, ainsi que la valorisation de clichés pathétiques comme la tombe du soldat inconnu. C’est un nivellement par le bas provoqué par le consumérisme individualiste d’un côté, le repli identitaire de l’autre.

La Gauche historique doit ainsi lever le drapeau de l’Histoire, de l’héritage de la culture national. C’est une exigence fondamentale. Il est affolant par exemple qu’il n’y ait plus de Gauche en Italie, alors qu’il serait facile que celle-ci ressurgisse, en accusant le capitalisme d’être incapable de préserver l’immense richesse architecturale. L’effondrement de Venise est un crime et sa source est bien connue : le capitalisme structuré pour transformer la ville en une sorte de Disneyland.

Paris elle-même se transforme en Disneyland. Et avec cette négation subjective du patrimoine parisien, on a la négligence, le dédain pour sa réalité matérielle historique. C’est cela la cause de la destruction d’une partie de Notre-Dame de Paris.

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Politique

« Combattre la spéculation – exproprier Deutsche Wohnen & Co »

Depuis de nombreuses années, tous les bobos d’Europe de l’Ouest se précipitent à Berlin. Cependant, cette capitale a la particularité historique d’être populaire, avec historiquement un nombre très importants de squats portés par la gauche alternative des « autonomes », qui aujourd’hui sont légalisés ou ont disparu.

Cet embourgeoisement de la ville a donc provoqué de larges soubresauts politiques, et cela d’autant plus que Berlin étant redevenu la capitale de l’Allemagne, car cela impliquait une énorme série d’achats par les entrepreneurs, voyant ici une cible facile.

Ils ont d’ailleurs été soutenu par la mairie qui, il y a quinze ans, leur a vendu 65 700 logements. À l’époque, Berlin n’était pas encore frappée par la « hype » actuelle.

Il existe pour cette raison en ce moment une campagne à Berlin pour un référendum, appelé « Spekulation bekämpfen – Deutsche Wohnen & Co. Enteignen » – Combattre la spéculation – exproprier Deutsche Wohnen & Co.

L’objectif est l’expropriation des entreprises possédant plus de 3 000 appartements. « Deutsche Wohnen » est particulièrement ciblé, car ce géant capitaliste possède 160 000 appartements en Allemagne, dont 112 000 à Berlin. Ses bénéfices en 2018 ont été de 1,9 milliard d’euros.

Ce référendum est soutenu par les écologistes, Die Linke, ainsi qu’une partie du SPD, notamment Kevin Kühnert. Ce dernier, âgé de 29 ans, est le responsable des jeunes socialistes et un opposant fervent à la grande coalition alliant la Droite et la Gauche. Lors d’un débat télévisé, il n’a pas hésité à affirmer :

« De quel droit quelqu’un aurait-il plus de vingt appartements ? Je trouve cela juste de se positionner à ce sujet. »

Cet épisode est marquant, car au contraire d’en France, la Gauche en Allemagne s’est largement réactivée en puisant dans ses traditions, ce qui par ailleurs est également le cas en Autriche. S’appuyant sur les traditions social-démocrates du 19e siècle ayant permis un puissant enracinement, la Gauche se relève malgré des années de corruption lors de la participation au pouvoir.

Si cela ne signifie pas nécessairement qu’elle pourra réellement avancer, il y a là en tout cas quelque chose de totalement différent d’en France, où la gauche post-moderne, post-industrielle, ou populiste, ne cesse de chercher à enterrer la Gauche historique et ses valeurs.

En ce qui concerne l’expropriation elle-même qui est demandée, elle est censée passer par un dédommagement. Celui-ci serait à hauteur de 36 milliards d’euros, une somme énorme, dont le paiement est peu vraisemblable de la part de la ville de Berlin. D’ailleurs, l’expropriation est censée par ailleurs s’appuyer sur la constitution allemande ; or, cette dernière parle de biens communs à protéger, mais pas des logements, évidemment.

Cependant, on voit qu’en fait c’est la question de la propriété qui est surtout mise en avant, au-delà de la possibilité de concrétisation d’un tel référendum. C’est là quelque chose de normal à Gauche, mais malheureusement cela a totalement disparu en France depuis bien longtemps. À la Gauche historique de réactiver cela.

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Rapport entre les classes Société

La France périurbaine, une faillite morale, culturelle et sociale

Dans la France des lotissements, on s’ennuie et on travaille loin de chez soi. Mais on ne veut surtout pas du Socialisme. Les gilets jaunes ont exprimé à l’origine cette forme sociale profondément réactionnaire mise en place par le capitalisme.

La France périurbaine, c’est le plus souvent cette horreur architecturale de maisons individuelles en série, correspondant au rêve de petite propriété de pans entiers de la société française aliénée par le capitalisme, y compris dans la classe ouvrière. Même quand il n’est pas réalisé, le rêve est considéré comme à mettre en œuvre dès que possible.

Cette fascination pour la zone pavillonnaire comme refuge face au reste du monde exprime à la fois un besoin de s’arracher à la brutalité des villes qu’un repli individualiste forcené. L’égoïsme prime toutefois comme aspect principal, car avoir des enfants dans de tels endroits, c’est les condamner à une souffrance psychique et physique très importante.

Il n’y a rien pour eux. Pas de transports, pas de lieux culturels, pas de centres sportifs, juste de longs boulevards, avec des habitations individuelles à l’infini, entre les ronds points. C’est l’anéantissement de toute perspective de civilisation comme première prise de conscience de l’adolescence. Un véritable cauchemar, qui de par les faiblesses structurelles de la vie culturelle française, ne produit ni Nirvana, ni Minor Threat, deux groupes de musique d’une intensité sans pareil nés précisément d’un tel terreau aux États-Unis.

Ici en France, la seule révolte contre cet enfermement connu par plus de 15 millions de Français, c’est le Front National, désormais le Rassemblement National. Les instituts de sondages appellent cela « le vote des haies de thuyas », en référence à cet esprit petit propriétaire d’enfermement sur sa parcelle.

Avec les gilets jaunes, on a bien vu comment cette France de petits propriétaires ne peut pas supporter de faire face à l’effondrement économique. Elle sait bien que le Socialisme n’a qu’une chose à lui proposer : sa destruction. Il faut détruire ces zones, tout refaire. Elles ne sont ni des villes, ni des campagnes. Alors qu’il faut combiner les deux, avec les zones pavillonnaires on n’a justement ni la ville, ni la campagne.

La France périurbaine ne peut que le constater : elle n’a ni culture de la ville, ni sa densité en termes d’infrastructures médicales, scolaires, universitaires, administratives. Elle n’a pas non plus d’accès à la nature, d’environnement non bétonné. Aller plus loin ne servirait pas à grand-chose non plus : les représentants des chasseurs n’ont-ils pas expliqué que les forêts sont à eux et que si on n’aimait pas la chasse, il ne fallait pas habiter la campagne ?

Le souci fondamental dans toute cette histoire de toutes façons, c’est que la France périurbaine ne peut exprimer qu’un terrible ressentiment qui va renforcer le fascisme.

Parce qu’à la base, on a la même histoire que la Grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf. Pleins de petit-bourgeois ou de bourgeois petits ont voulu mener la vie de château à peu de frais, achetant une grande maison et un terrain, pour s’apercevoir que finalement il n’y avait rien dans le coin, que les crédits s’éternisaient, que le terrain ne sert à rien en soi et demande de l’entretien, que la maison consommait beaucoup d’énergie et que sa qualité laissait à désirer.

On a également des prolétaires qui les ont imités, faisant la même-chose en moins grand et moins cher, dans des quartiers encore moins intéressants.

Ces gens-là sont tellement déçus de ne pas être devenus des sortes de petits châtelains qu’ils sont aigris, alors que leur vie privée a subi les contrecoups de cet isolement, que ce soit avec la perte de vue d’amis, le divorce, etc. Les prolétaires, de par leur rôle dans la production, expriment moins cette aigreur car ils ont plus facilement conscience de la nature sociale du problème. Mais dans sa substance, cette aigreur n’en est pas moins présente chez eux également.

Ce schéma est reproductible dans pleins de variantes, que l’investissement à l’origine ait été important ou pas. Dans tous les cas, la déception prédomine et désormais il y a la hantise de ne pas basculer socialement dans le prolétariat, ou de se voir assumer sa condition prolétaire de manière franche. Cette inquiétude est un grand moteur du fascisme, alors qu’elle devrait se transformer en une volonté de changement, pour le Socialisme.

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Réflexions Vie quotidienne

La folie se propage dans les grandes villes

Le capitalisme rend les gens fous. Les psychiatres disent eux qu’on voit plus de fous, parce qu’il y a moins de place en psychiatrie. C’est une terrible capitulation de leur part, une preuve de leur étroit esprit corporatiste.

Grandes villes - Amesoeurs amesoeurs

La loi est ainsi faite qu’on n’a pas le droit de critiquer les médecins ; les psychiatres étant des médecins, on n’a donc pas le droit de les critiquer non plus. Ils « savent » ce qu’ils font et on doit donc accepter cela, et faire comme si les médecins ne formaient pas une corporation, comme si leurs attitudes et leurs évaluations ne correspondaient pas à des principes, des idéologies.

Alors, lorsque le quotidien Le Parisien interroge des psychiatres sur la recrudescence du nombre de fous à Paris (mais bien sûr dans les autres grandes villes aussi, voire en général), on a droit à des réponses simplistes et il faudrait les prendre pour argent comptant.

Il faudrait accepter, donc, qu’on ne sait pas s’il y a plus de fous ou non, que de toutes façons si on les voit plus c’est parce qu’il y a moins de places en psychiatrie, et également que les psychiatres font mieux leur travail qu’avant, repérant mieux les cas, etc.

Tout cela n’est que mensonge et ne vise qu’à financer la corporation des psychiatres. En réalité, la société se ratatine sur elle-même et les gens s’effondrent psychologiquement, psychiquement, mentalement. Les grandes villes, telles qu’elles existent sous leur forme actuelle, ne sont plus des bastions de la culture mais des lieux de désocialisation, de pression, d’aliénation. La grande ville, c’est la souffrance, à part pour une minorité aisée s’imaginant vivre de manière heureuse.

L’article reprend les chiffres du livre d’une des personnes interrogées et parle de 4,7 à 6,7 millions de « personnes touchées par la dépression en France ». Des chiffres énormes et vagues à la fois. Comment faire la part de ce que l’on pourrait qualifier de réelle dépression, et de posture égocentrique ? Comment faire la part entre ce qui tend réellement vers la dépression et ce qui tend vers de la mise en scène malsaine ?

Une personne qui évoque une envie de suicide est-elle dépressive ? suicidaire ? Ou est-elle dans une logique petite-bourgeoise égocentrique ? Tout ceci est très subjectif et extrêmement difficile à évaluer. Et tant que l’on raisonne en terme d’individus, chacun pourra avancer les chiffres les plus extravagants avec des analyses toutes les plus subjectivistes les unes que les autres. Au final on voit bien que la société n’est pas consciente d’elle-même, et que personne n’en sait trop rien.

Si l’on raisonne en termes de société, alors on peut voir aisément les dégâts d’ensemble fait aux habitants de notre pays… Encore faut-il pour cela prendre en compte le capitalisme. Si cela était fait, on échapperait à nombres d’interprétations subjectives, dénuées de tout fondement culturel, de tout rapport au travail, effectuées par les psychologues et psychiatres.

Ce qui résout la dépression, c’est la coupure avec ce qui est négatif, toxique, et cela en termes de rapports sociaux, combinée avec un retour dans un environnement naturel, sain, et un travail. La psychiatrie a tort à la base, car elle prend pas en compte la notion de travail. Le travail est le moyen humain pour développer l’esprit, pour saisir la réalité de manière rationnelle, et pour voir comment les choses se transforment.

Comment quelqu’un ayant des problèmes psychologiques, psychiques, psychiatriques, peut-il s’en sortir, s’il ne connaît pas le principe de transformation ? Il ne saura pas comment se transformer lui-même, il restera apathique, incapable de trouver une solution concrète. La société ne le lui propose d’ailleurs pas non plus, se contentant de livrer des tonnes de médicaments pour étouffer, engourdir, endormir les esprits ayant déraillés. Il est bien connu que la France est un pays hautement consommateur d’antidépresseurs : c’est déjà une raison de révolte.

Qui ne veut pas rompre avec les grandes villes, avec la folie d’un capitalisme sous haute pression, avec le mépris du travail comme force transformatrice, ne devrait pas parler de folie, car il a déjà capitulé face à l’ennemi.

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Réflexions

La France, un pays de petits propriétaires

Si les gilets jaunes n’ont pas abordé la question de la petite propriété, c’est qu’ils correspondent à la situation française, avec la majorité du pays qui est formée par une très large couche de petits propriétaires. Et cette couche qui rêve d’accumulation est bloquée non pas tant par les 1 % les plus riches, mais par les 10 % des Français qui possèdent la moitié du patrimoine total. Les gilets jaunes expriment une petite-bourgeoisie asphyxiée par la bourgeoisie.

Maison de la cité Jolivet, quartier La Fuye-Velpeau, à Tours

Quand on voit le panorama de la propriété en France, du patrimoine, on comprend tout de suite pourquoi la division entre « riches » et « pauvres » est dans notre pays une caricature, qui ne vise qu’à masquer que les vraiment pauvres sont entièrement mis à l’écart, d’où leur absence de participation aux gilets jaunes.

La moitié des ménages selon la définition de l’INSEE, donc un peu plus de la moitié des français (un ménage comportant parfois plusieurs personnes), dispose en effet d’un patrimoine d’environ 160 000 euros, consistant à 80 % en la propriété d’un logement. En fait, ce sont environ 60 % des Français qui possèdent leur logement ou sont en train d’en payer les traites.

C’est un chiffre énorme, faisant de la France avant tout un pays de petits propriétaires. Bien entendu, cette petite propriété n’a pas une valeur énorme, et les intérêts de la grande majorité de ces petits propriétaires sont les mêmes que celles des pauvres. Le souci c’est que disposer d’une petite propriété amène une mentalité de petit propriétaire.

Le petit propriétaire est conservateur, opposé au socialisme, avec une mentalité de petit entrepreneur, va dans le sens du respect des traditions, etc. Il entend protéger son bien et pour cela il a besoin que la société soit stable, les conflits gelés. Les gilets jaunes ne lui ont justement pas fait peur, parce que jamais ils n’ont aborde de thèmes allant dans le sens d’une remise en cause de la propriété.

C’est précisément pour cela que les gilets jaunes sont un mouvement réactionnaire, appuyant l’idéologie conservatrice de la France profonde, où l’État n’est conçu que comme tampon avec les « riches ». L’État n’est vu que comme pompe à fric redistributrice. Les gilets jaunes parlent de crise sociale, mais de par leur mode de vie, c’est finalement une crise du patrimoine qu’ils expriment.

Car au-delà du fait que les riches deviennent plus riches, il y a le fait que la vie coûte plus cher. Les riches imposent un rythme financier bien trop haut. On sait par exemple à quel point une ville comme Paris est devenu un bastion bourgeois ces 25 dernières années. Le slogan « Paris soulève toi » est en décalage complet avec la réalité : il suffit de regarder le prix au mètre carré et le nombre de propriétaires.

En fait, si l’on prend les 10 % des Français les plus riches, ceux-ci ont un patrimoine d’environ 600 000 euros. Avec cela, ils écrasent les autres, pas seulement parce qu’ils sont plus riches, mais parce que ce patrimoine représente à peu près la moitié du patrimoine en France. Ils peuvent truster les meilleures choses, leur compétition entre eux balaie littéralement les autres.

En fait, personne ne peut suivre et il ne reste que les miettes, les marges du pays. Ils forment le véritable problème dans notre pays, bien plus que les 1 % qui ont plus de deux millions d’euros de patrimoine et qui vivent dans leur bulle ! Mais comme les petits propriétaires rêvent de devenir des grands propriétaires, ils ne peuvent pas dénoncer les grands propriétaires, seulement les très grands propriétaires.

A cela s’ajoute l’existence des « indépendants », ces petits capitalistes qui ont eux en moyenne pratiquement 600 000 euros de patrimoine. Eux « vivent » le capitalisme et sont en permanence sous pression, en raison de la concurrence mais aussi de leur démesure. Ils ont joué un rôle essentiel dans le démarrage des gilets jaunes, cette rébellion de l’intérieur du capitalisme lui-même.

Cette lecture en termes de patrimoine éclaire beaucoup de choses : non seulement la nature des gilets jaunes, mais également la vanité de nombreux discours misérabilistes masquant que la France est un pays de petits propriétaires.

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Écologie

« Il faudra trouver d’autres arguments que les petits oiseaux »

« Il faudra trouver d’autres arguments que les petits oiseaux » : tel est l’argument d’un promoteur immobilier pour faire taire des gens refusant de voir, à Amiens, leur quartier se faire déstructurer par des barres d’habitations. Leur protestation a ceci d’exemplaire que sur le plan de l’immobilier, c’est un véritable phénomène historique, qui parti des années 1970 aboutit aujourd’hui à une France mutilée sur le plan de l’urbanisme.

Amiens Route de Rouen

Une centaine de personnes ont manifesté hier contre le projet, route de Rouen à Amiens, d’immeubles de trois étages, occupant 5200 m², pour 69 logements. Ils font face au promoteur Sigla Neuf, qui a organisé son projet avec la mairie depuis un an et demi, sans que les habitants du quartier soient prévenus de quoi que ce soit.

C’est pourtant tout leur cadre de vie qui va être bouleversé. Car Amiens n’échappe pas à cette défiguration urbaine empêchant une vie culturelle locale, malgré sa situation coincée entre Paris et Lille ; tout pays capitaliste développé engloutit tous les aspects urbains selon ses besoins, ne laissant aucune zone à l’écart. Et ce ne sont pas de ZAD dont on a besoin, mais du socialisme pour remettre tout cela à plat : il faut écraser les promoteurs.

Ceux-ci ont en effet, en attendant, les coudées franches. La mairie devait même vendre une parcelle d’un peu moins de 200 m² au promoteur, jusqu’à ce que le scandale éclate : une conseillère municipale ayant voté favorablement à cela vendait elle-même une des principales parcelles du projet au promoteur…

Les propos du responsable du projet sont édifiants également, comme le rapporte le Courrier Picard :

« Nous sommes sûrs de nous et de notre projet. Il leur faudra trouver d’autres arguments que les hauteurs de murs et les petits oiseaux pour s’y opposer. »

Ce mépris se heurte de plein front avec la réalité parfaitement comprise par les habitants, qui ne veulent pas voir leur quartier disparaître, constatant dans une pétition le faisceau des absurdités d’un tel projet :

« Inadaptation de la construction par rapport au site : alors que la zac inter campus se situe à quelques centaines de mètres et dispose de tout l’espace nécessaire à l’implantation d’habitats collectifs, pourquoi permettre une telle construction au cœur de résidences individuelles dont les jardins et la nature constituent la spécificité du quartier.

Absence de concertation avec les riverains : alors que la proximité est l’une des priorités de la charte de la démocratie locale de la ville.

Abattage de nombreux arbres quarantenaires et destruction de l’habitat des écureuils, hérissons, grives, rouge gorge et autres espèces présentes  sur 5000m2 : pendant que le réchauffement climatique est au cœur des préoccupations publiques et citoyennes et que la végétalisation est une des meilleures solutions pour rafraîchir une ville.

Infrastructures routières déjà saturées : depuis l’ouverture du CHU Sud et d’autant plus avec la mise en place des feux de croisement du carrefour de la libération. L’abondante circulation quotidienne engendre déjà polluants et risques d’accidents.

Places de stationnement déjà insuffisantes pour les riverains : du fait des constructions déjà nombreuses dans la rue et de la politique des bailleurs proposant leurs places de stationnement en supplément locatif aux locataires qui se garent donc dans la rue.

Désagréments engendrés par les travaux : encore plusieurs mois de bruit, poussières, pollutions atmosphérique et visuelle, risques de dégradations des constructions existantes du fait du creusement d’un sous sol de 100 places. »

Ce qui est très intéressant ici d’un point de vue historique également, c’est que ce sont des petits propriétaires qui se rebellent. C’est une propriété populaire : Amiens s’appuie sur des petites maisons, et ces petites maisons représentant un tout petit capital se font intégrer de force à un phénomène urbain imposé par le grand capital.

Il y a donc un phénomène de reprolétarisation, par la destruction des acquis obtenus. C’est un processus inéluctable et annonce les soulèvements populaire de demain, contre la mutilation de la vie quotidienne, l’impossibilité de profiter de la ville et de la campagne en même temps.

"We are the city, we can shut it down!"

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Société

Un plan vélo abstrait oubliant les zones périurbaines et les campagnes

Le gouvernement a présenté la semaine dernière un plan vélo censé faire passer la part du vélo de 3% à 9% dans les déplacements. Il propose quelques mesures pour les centres-villes, mais il n’y a pas de réflexion globale quant à la nature des grandes aires urbaines et des campagnes en France, largement façonnées par l’automobile et difficilement praticables en vélo.

Le vélo est un moyen de transport qui doit être soutenu, tant pour des raisons culturelles que pour des raisons écologiques. Seulement, les choses ne se décrètent pas d’en haut de manière unilatérales, en disant aux Français qu’il faut utiliser son vélo. Cela est abstrait.

Le Premier ministre Édouard Philippe a eu raison dans son discours prononcé à Angers de dire qu’il faut diffuser « la culture du vélo », évoquant un effort culturel nécessaire.

Une pratique difficile

Le chef du gouvernement a certainement bien vu les choses aussi quand il introduit son propos en parlant de la contradiction entre la faible pratique du vélo, et le fait que notre pays est celui de son invention et celui du Tour de France, l’une des principales manifestations sportives mondiales.

Mais justement, on ne peut pas comprendre cela si l’on ne considère pas les choses de manière globales et concrètes. La réalité de la configuration des villes et des campagnes à notre époque rend forcément anecdotique la pratique du vélo.

Si elle ne représente que 3% des déplacements aujourd’hui, il est difficile d’imaginer que cette pratique triplera en moins de dix ans avec quelques mesures. En l’occurrence, il s’agit surtout d’une enveloppe de 350 millions répartie sur sept années, soit 50 millions par an pour toute la France, alors que rien que la ville de Paris consacre déjà aujourd’hui 25 millions d’euros par an au vélo.

Ces sommes doivent servir à des aménagements cyclables et à côté de cela il y a la mise en place d’un forfait de 400 euros annuels pour les personnes se rendant au travail à vélo, mais à la charge des entreprises et sans caractère obligatoire. Autant dire donc qu’il s’agit d’une mesure à la marge, qui servira surtout les prétentions modernistes de quelques entreprises dans les centres-villes.

Des infrastructures pour l’automobile

Pour que le vélo soit utilisé en masse, il ne suffit pas de le décréter, il faut qu’il satisfasse à une réalité pratique. Concrètement, si le vélo triple le temps d’un trajet, il faut une conviction personnelle absolument immense pour le préférer à sa voiture. On ne peut pas imaginer compter uniquement là-dessus.

Si l’on ajoute à cela le fait que l’usage du vélo est très dangereux, tant les infrastructures, les mentalités et les règles n’existent que par et pour l’automobile, on comprend pourquoi la grande majorité des travailleurs ne l’utilisent pas au quotidien.

Autant il est possible pour un cadre vivant au coeur d’une grande métropole d’enfourcher sa bicyclette pour se rendre tranquillement au bureau à 9h ou à 10h le matin sans vraiment d’impératif horaire, autant cela est très difficile pour un ouvrier ou un salarié qui a des horaires très précises et qui habite souvent loin en banlieue ou à la campagne. D’autant plus quand on ajoute à cela la nécessité de prendre en charge les enfants, dont les établissements scolaires peuvent-être loin de l’habitation, sauf encore dans les centres-villes.

En France, les habitants des périphéries des grandes villes ainsi que ceux des villes moyennes et des campagnes représentent la grande majorité de la population. Le plan vélo du gouvernement est pour eux quelque-chose de très abstrait. Il ne correspond aucunement à leur réalité quotidienne faite, globalement, d’autoroutes reliant des zones pavillonnaires et des zones d’activités commerciales ou industrielles.

Que ce soit dans les campagnes ou à la périphérie des grandes villes, quasiment rien n’est possible aujourd’hui sans une voiture, à moins de se résigner à un isolement culturel et social, ainsi qu’économique, absolument immense.

Le plan vélo du gouvernement ne prend pas en compte cela, car il n’envisage nullement de bouleverser la réalité économique et sociale de la France. Si l’on considère l’Île-de-France notamment, on ne peut pas rationnellement dire autre chose que c’est un monstre absolument invivable qui devrait être rapidement et largement démantelé. Ce que n’envisage nullement ce gouvernement, au contraire.

L’organisation et l’aménagement du territoire est strictement conforme aux besoins du capitalisme, dont l’automobile est un vecteur et un produit indispensable.

Un choix individuel limité

D’un point de vue culturel, le vélo est souvent saisi comme totem par des gens critiquant l’automobile, de manière romantique, voire réactionnaire. Il s’agit souvent gens fades, se disant « décroissant », voir des « zadistes », méprisant le football et le Tour de France. C’est-à-dire en fin de compte des figures souvent détestables d’un point de vue prolétarien.

Si la fascination pour l’automobile est un marqueur terrible d’aliénation et de soumission au capitalisme, la fétichisation du vélo n’en est que le pendant. Un strict équivalent inversé ne permettant pas une remise en cause de la réalité matérielle.

De la même manière, le vélo est aujourd’hui utilisé comme symbole « lifestyle » pour une imagerie moderne et tendance pour des gens aisés vivant dans les centres-villes. Cela est largement issu de la culture « fixie », qui est un apanage jeune et branché du libéralisme ultra à la mode new-yorkaise.

Le plan vélo ne répond absolument pas aux exigences de notre époque. Il n’est que vaines prétentions, totalement conformes d’ailleurs aux exigences des associations d’usager souvent en dehors des réalités des classes populaires.

Cela est bien dommage, et c’est la preuve encore une fois que la Gauche n’est pas à la hauteur en France. Elle ne s’est jamais approprié la question du vélo, qui n’est abordé aujourd’hui que comme un choix individuel, laissant place éventuellement à une indemnité forfaitaire comme récompense, mais pas à une pratique correspondant à un choix de société.

Le vélo serait pourtant un très bon outil, parmi d’autres, pour façonner une organisation nouvelle du territoire et de la vie, plus conforme aux besoins sociaux et naturels.

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Culture

La Saline Royale de Claude-Nicolas Ledoux

La Saline Royale d’Arc-et-Senans est un ensemble industriel conçu par Claude-Nicolas Ledoux au dernier quart du 18ème siècle.

La situation géographique du site est dictée par les contraintes économiques. L’agencement des bâtiments quant à lui répond à une ambition d’un genre nouveau; il s’agit d’intégrer la vie des travailleurs toute entière dans le lieu de production.

Le sel est une marchandise précieuse sous l’ancien régime. La fiscalité du royaume repose en effet en partie sur la perception d’un impôt sur le sel, la gabelle.

La diversification des procédés de fabrication incluant le sel et l’essor de la bourgeoisie et de son mode de vie, deux phénomènes liés au développement du capitalisme, provoquent une hausse importante de la demande en sel.

Claude-Nicolas Ledoux est commissaire des salines de Franche-Comté, de Lorraine et des Trois Evêchés (les régions de Metz, Toul et Verdun).

Il doit faire face aux rendements insuffisants du principal site de production de cette province, situé à Salins-les-Bains. Il élabore un projet intégralement nouveau : ce sera la Saline Royale d’Arc-et-Senans.

Le site choisi pour l’implantation du nouvel outil de production dispose de nombreux atouts. La forêt de Chaux, l’une des plus étendue de France, pourra fournir le combustible nécessaire, le massif du Jura offrira la protection et la pente nécessaire au procédé de transformation de la matière première, et l’eau douce, abondante dans le secteur, permettra aux hommes de vivre.

La Saline Royale répond à un plan en demi-cercle. Il ressort une grande harmonie du dessin général du site. Cinq bâtiments alignés forment un segment servant de diamètre à un arc de cercle composé lui-aussi de cinq bâtiments.

Neuf allées disposées en rayon découpent l’espace. La maison du directeur, comme un point d’équilibre, est située au centre de cet hémicycle de 185 mètres de rayon.

Imprégné des philosophes de son siècle et de la pensée rationnelle qu’elles portent, Claude-Nicolas Ledoux produit une oeuvre architecturale guidée par la symétrie et la rigueur des formes géométriques.

Il puise largement dans l’antiquité grecque pour le dessin de ses bâtiments, répétant dans un alignement parfait les voûtes en demi-cercle (dites en plein cintre) et les frontons triangulaires portés par des colonnes. Les bâtiments de la Saline Royale sont typiques de l’architecture néo-classique.

Néanmoins, il ne faut pas se méprendre, l’ensemble architectural n’a pas de vocation philanthropique. Tout a été pensé pour servir les intérêts de la Couronne dans la production de sel. Ainsi, le large mur d’enceinte n’est percé que d’une unique porte facile à garder.

De même, la maison du directeur est placée au centre du plan, de manière à pouvoir surveiller les autres bâtiments, notamment au travers de l’oculus placé sur le fronton de la façade. De chaque côté de la maison du directeur sont positionnés symétriquement les bernes, c’est-à-dire les ateliers.

Ce sont des bâtiments abritant les dernières étapes du processus de transformation de l’eau saumâtre en sel, la cristallisation par chauffage et évaporation. Aux extrémités du segment se trouvent les bâtiments administratifs, dont le bâtiment de la gabelle.

Claude-Nicolas Ledoux a réparti les bâtiments afin de limiter les déplacements au maximum, pour éviter les efforts inutiles et ainsi gagner du temps dans les étapes de production.

Les bâtiments occupés par les forges, les maréchaux et la tonnellerie font ainsi face aux bernes.

Ledoux a envisagé la Saline Royale comme le cœur d’un projet plus ambitieux encore. Une sorte de cité idéale nommée Cité de Chaux. Organisée en une série de cercles concentriques, elle aurait consisté, si cette ville avait vu le jour, en un ensemble de bâtiments destinés à combler les besoins des travailleurs de la Saline Royale et de leurs familles dans tous les domaines.

Le projet de Cité comporte un marché, des boutiques et des ateliers artisanaux, un hôpital, un palais de justice, une nécropole, une église et des bains.

Le dessin cherche à la fois l’harmonie dans les proportions et l’équilibre entre la pierre et les arbres, en adéquation avec la pensée rousseauiste.

Seule la partie strictement productive du projet est sortie de terre. La Cité est donc réduite à l’unité de production, la Saline Royale. Les logements des ouvriers berniers ont fait l’objet d’un soin particulier. Ils sont situés au plus près des ateliers, afin de limiter les déplacements et ont été conçus pour être plus confortables que les logements communs des ouvriers de l’époque. L’idée est de fixer la population ouvrière et de conserver au mieux sa capacité de travail.

Les bâtiments des logements ouvriers présentent douze chambres de quatre lits et une grande salle commune prévue comme cuisine et pourvue d’une cheminée monumentale. A l’extérieur, les ouvriers disposent d’une surface de terrain pour la culture potagère.

Environ 240 personnes vivent et travaillent à la production, la Saline Royale met sur le marché entre 3000 et 4000 tonnes de sel par an. L’exploitation cesse en 1895 et le site restera à l’abandon près d’un siècle avant d’être entièrement restauré à la fin du siècle dernier, avec désormais un musée.