Depuis 1968, ce sont les chasseurs qui financent les indemnisations aux agriculteurs ayant connus des dégâts de la part de certains animaux comme les sangliers. C’est une chose très peu connue du grand public, mais qui signifie beaucoup pour comprendre ce que représentent la chasse en France à notre époque.

Avant 1968, les agriculteurs disposaient d’un « droit d’affût », c’est-à-dire du droit de tuer eux-mêmes les animaux qu’ils considéraient nuisibles pour leurs cultures. Cela existait dans le cadre d’une économie rurale peu concentré, avec de petites exploitations fonctionnant sur un modèle ancien.
Les campagnes françaises ont cependant changé dans les années 1950 et 1960, avec l’intensification et l’industrialisation de la production agricole. Les exploitations se sont agrandies tout en concernant de moins en moins de personnes.
Avant cette grande modernisation, la chasse, qui était déjà en partie un loisir, existait surtout par rapport à une réalité économique et des nécessités spécifiques. Il y avait la figure du paysan avec son fusil comme outil, dans le cadre de son existence rurale. Cela d’autant plus que le chasse pouvait être alimentaire.
La chasse est devenue cependant autre chose à cette même époque, concernant des personnes ayant une culture rurale, mais n’étant pas forcément des paysans. Il y a alors eu une contradiction entre les pratiques agricoles et la chasse comme loisir.
Dans le cadre de l’intensification de la production, les agriculteurs ont commencé à décimer les populations animales pouvant endommager leurs récoltes. Les chasseurs, pour qui la chasse est un loisir moderne, bien qu’existant dans le cadre de traditions rurales et d’une nécessité d’avoir un rapport à la nature, étaient opposés à cette pratique radicale. Le risque était tout simplement qu’il n’y ai plus de « gibier » à chasser.

L’État français a donc organisé un compromis par le biais d’une loi en 1968. Les agriculteurs se sont vus privés de leur « droit d’affût », mais en contre-partie les chasseurs ont pris en charge les indemnisations de récoltes dégradées, surtout par les sangliers, mais aussi par les cerfs, chevreuils, daims, mouflons, chamois et isards.
Autrement dit, les chasseurs se sont vu reconnaître la responsabilité des dégradations, en l’échange de la non-extermination de certaines espèces afin que celles-ci puissent toujours être chassées par loisir.
Pour encadrer cela, des plans de chasses sont décidés afin de réguler les populations et empêcher dans une certaine mesure ces dégâts. De la même manière, les chasseurs pratiquent l’agrainage, c’est-à-dire nourrissent les populations sauvages, surtout de sanglier, afin de les attirer ou les maintenir à certains endroits. Cela a bien sûr pour effet d’augmenter les populations, et donc le nombre d’individus à tuer.
Sur le plan idéologique, ces indemnisations permettent de justifier l’activité des chasseurs en maintenant la fiction de la régulation des espèces dites envahissantes. En effet, les chasseurs pourraient très bien militer en faveurs de mesures de protections des cultures, mais ils ne le font pas, ou seulement dans des cas particuliers où les indemnisations à payer sont trop importantes.
En termes de chiffres, cela représente des sommes énormes, entièrement à la charge des chasseurs, qui ne sont pas nécessairement des gens très riches, mis à part pour la pratique aristocratique et bourgeoise de la chasse à courre. Ils versent chaque année, dans le cadre du permis de chasse, 50 millions d’euros destinés à rembourser les dégâts causés aux agriculteurs et à mettre en place des mesures préventives. Il faut ajouter à cela 80 millions d’euros qui sont dédiés à la gestion cynégétique, c’est-à-dire à la gestion globale de ces populations animales.

Depuis 2000, à leur demande, ce sont les fédérations départementales de chasseurs, et dans certains cas la fédération nationale, qui sont chargés de payer elles-mêmes les indemnisations. Les agriculteurs doivent signaler les dégâts à la fédération de leur département qui missionne alors un expert et propose ensuite un accord, selon un barème financier établi à l’avance.
Cela est bien sûr organisé dans le détail pour éviter certains excès. Par exemple un agriculteur ne peut pas demander de remboursements pour des dégâts causés par des animaux provenant d’un « fonds » (par exemple un bois) qui lui appartient. Dans ce cas, il doit, soit acquérir un permis de chasse, soit faire appel à des chasseurs, pour « gérer » ou exterminer ces populations, selon l’option qu’il choisit.
Sur le plan juridique, cela est très particulier, car il y a un mécanisme d’indemnisation, avec une responsabilité, sans pour autant qu’il soit reconnu au sens strict une faute de la part des chasseurs. Cela revient en fait à donner une sorte de mission de service publique aux chasseurs, mais sans que cela soit le cas non-plus puisqu’il est considéré qu’ils sont responsables de ces populations d’animaux et des dégâts qu’elles causent en les maintenant.
Les Fédérations départementales ont à la fois une grande autonomie, mais en même temps elles dépendent totalement de décisions prises par l’État.
La Commission nationale d’indemnisation des dégâts (CNI) qui encadre tout cela est ainsi surtout composée de représentant de l’État :
- un représentant du ministre chargé de la chasse qui préside la CNI ;
- le directeur général de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, ou son représentant ;
- le directeur général de l’Office national des forêts, ou son représentant ;
- le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, ou son représentant ;
- le président du Centre national de la propriété forestière, ou son représentant ;
- le président de la Fédération nationale des chasseurs, ou son représentant ;
- cinq présidents des fédérations départementales ou interdépartementales des chasseurs nommés sur proposition du président de la Fédération nationale des chasseurs ;
- quatre représentants des organisations nationales d’exploitants agricoles habilitées, nommés sur proposition du ministre de l’agriculture ;
Un telle organisation ne serait exister dans le cadre d’une société réellement démocratique. On a ici quelque chose de très flou, et non efficace au sens strict, destiné en fait à maintenir une pratique minoritaire, en cherchant les moyens de la justifier culturellement.
Cela ne fonctionne d’ailleurs pas très bien et il y a régulièrement des tensions entre les agriculteurs et les chasseurs. Un article du Figaro de ce mercredi 22 août 2018 expliquait par exemple que « les paysans accusent les chasseurs de favoriser la prolifération des cochons sauvages qui causent de gros dégâts dans les cultures. »

Il n’y a bien sûr aucune recul ni aucune compréhension globale de la question des forêts ou des espaces naturels en général, et de leurs habitants animaux.
La situation aujourd’hui est que les productions agricoles humaines perturbent les équilibres naturels en faisant officie de garde-manger attrayants pour des animaux qui sont ensuite considérés comme « nuisibles ». Être de gauche et avoir un minimum de considérations écologiques, c’est au contraire prôner un certain nombre de mesures intelligentes et efficaces par rapport à cette situation.
Le meurtres des animaux par la chasse n’est pas indispensable. Il est évident que l’on pourrait systématiser la pose de clôtures spécifiques, trouver des moyens de dissuasion olfactive et gustative, ou encore réorganiser les productions en éloignant celles qui attirent le plus les animaux, comme le maïs, des bordures des forêts.
Au contraire, la chasse telle qu’elle existe aujourd’hui reflète un rapport à la nature, aux campagnes, tout à fait conforme aux valeurs de la Droite. Ce sont des valeurs conservatrices et réactionnaires ; c’est pour cela que la sensibilité envers les animaux dérange tant les chasseurs.