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Événements significatifs

La contestation agricole de janvier 2024

Il n’y a plus de paysans en France. Il n’existe au 21e siècle plus que des entrepreneurs travaillant dans le domaine agricole, systématiquement au service de l’agro-industrie. Si les paysans ont été le pilier du pays, en tous cas numériquement, pendant des siècles, le capitalisme a tout changé au 20e siècle.

Il y a eu l’exode rural, c’est-à-dire de la main-d’œuvre devenant ouvrière allant massivement vers les villes. Puis il y a eu l’industrialisation des campagnes et plus récemment la tertiarisation des campagnes, alors que dans le même temps les aires urbaines se sont étendues loin à la campagne.

En 2020, la France métropolitaine comptait 389 800 exploitations agricoles, environ 100 000 de moins qu’en 2010. Cinquante ans auparavant, en 1970, il y en avait encore 1,6 millions, alors qu’en 1900, près d’un Français sur deux travaillait encore dans les champs…

Les agriculteurs d’aujourd’hui sont ceux qui ont racheté petit à petit les terres des autres, arrachant au passage les haies et utilisant allégrement tout ce que l’industrie leur a vendu comme produits chimiques et engins agricoles. Il y a bien sûr des exceptions, mais c’est à la marge. Et il ne s’agit pas de paysans, mais plutôt de petits entrepreneurs en mode artisanal, avec souvent initialement une vie urbaine ou intellectuelle.

L’aspect positif, c’est que dans un pays comme la France, la population est sortie de la précarité alimentaire. Les risques de maladies végétales et animales, les intempéries, les crises économiques sont relativement maîtrisés et en tous cas ils sont couverts par la quantité de production (concentrée à l’échelle nationale avec des interactions mondiales).

L’aspect négatif, c’est que l’agriculture ne sert plus à nourrir la population, mais à fournir de la matière première pour que l’agro-industrie fabrique des marchandises alimentaires. Ces marchandises sont généralement de très mauvaise qualité nutritives, voire franchement nocives, en plus d’être le plus souvent issue d’une souffrance animale abominable.

Les agriculteurs d’aujourd’hui n’ont pas subi ce système : ils sont dans leur très grandes majorité de droite, c’est-à-dire qu’ils sont réactionnaires sur le plan des mœurs et libéraux économiquement. Ils ont allègrement participé à ce système tout autant qu’ils l’ont promu. Le salon de l’Agriculture de Paris exprime parfaitement cette mentalité.

Les plus mesquins d’entre eux s’en sont très bien sortis financièrement et sont devenus de riches entrepreneurs, roulant en 4×4 flambant neuf et employant une myriade de petites-mains, souvent étrangères pour mieux les exploiter. On imaginera ici un riche viticulteur prenant régulièrement l’avion pour négocier de nouveau marchés à l’export.

Les plus naïfs d’entre eux travaillent sans merci chaque jour de la semaine, ne prennent jamais de vacances et sont l’otage des banques, pour un bénéfice commercial très maigre, offrant une vie à la limite de la précarité. On imaginera ici un éleveur de vaches laitières complètement asphyxié par la multinationale Lactalis à qui il vend tant bien que mal sa marchandise.

Bien entendu, ce sont les premiers qui dirigent les organismes représentatifs des agriculteurs, mais ce sont les seconds qui sont mis en avant pour faire pleurer dans les chaumières.

C’est exactement ce qui se passe en janvier 2024 avec les différents mouvements de contestations et de blocages/manifestations. Deux organisations portent le mouvement, plus ou moins en concurrence.

Il y a la FNSEA (et sa succursale Les jeunes agriculteurs), l’organisation majoritaire qui a recueilli plus de 55 % des voix lors des dernières élections des chambres d’agriculture et qui revendique 212 000 membres. Elle est libérale sur un mode moderniste et turbo-capitaliste, avec une intégration totale à la politique agricole de l’Union européenne.

Et puis il y a la Coordination rurale, qui a recueilli environ 20 % des voix lors des dernières élections des chambres d’agriculture et qui revendique 15 000 membres. Elle est libérale aussi, mais sur un mode plus traditionnel et conservateur ; elle puise son origine dans la critique de la politique agricole de l’Union européenne, avec une tendance au nationalisme.

La 3e organisation est la Confédération paysanne, qui a recueilli un peu moins de 20 % des voix lors des dernières élections des chambres d’agriculture et qui revendique 10 000 membres, mais elle est en retrait de l’origine du mouvement en janvier 2024. Elle est aussi libérale, mais avec une prétention sociale et écologiste, et surtout un conservatisme romantique (d’où l’utilisation abusive du terme « paysan » dans son nom).

La FNSEA est depuis plusieurs semaines à l’origine de la mise à l’envers des panneaux d’entrées d’agglomérations dans les campagnes. La coordination rurale est plutôt à l’origine de blocages importants dans le sud de la France. Tout ce petit monde converge maintenant dans l’idée de bloquer Paris et le marché international de Rungis.

De manière générale, ils dénoncent des charges en hausse, des normes contraignantes (en général des normes écologiques, parfois quelques normes sanitaires), des prix bas, une pression de l’agro-industrie, une concurrence européenne ou mondiale inéquitable ainsi que des négociations insatisfaisantes avec la grande distribution.

Il y a ici forcément les effets de la crise du capitalisme, qui touche tous les secteurs et impose une pression toujours plus forte sur les petites et moyennes entreprises de la part des monopoles, les grands groupes internationaux. Les entreprises agricoles même les plus importantes restent en fait des PME, elles ne pèsent que très peu face aux monopoles.

C’est pour cela qu’il y a une crise dans ce domaine, une crise propre au capitalisme, qui nécessite une analyse approfondie.

Néanmoins, la question se pose aujourd’hui pour la Gauche de savoir s’il faut soutenir ce mouvement, en tous cas les plus petits agriculteurs subissant une pression accrue. Ceux-ci sont l’équivalent rural des immigrés livreurs Uber dans les villes : ils sont indépendants sur le papier, mais sont totalement soumis à un grand groupe en pratique ; leur indépendance ne signifie que précarité, sans aucune garantie propre au salariat.

Le problème réside précisément ici : les petits agriculteurs s’imaginent pouvoir maintenir leur indépendance, ils croient en la fiction d’une meilleure négociation des prix agricoles pour assumer leur rémunération de chef d’entreprise. Ils nient totalement la crise du capitalisme. Ils n’imaginent aucunement s’émanciper des plus gros capitalistes agricoles, ni s’affronter aux monopoles de l’agro-industrie.

S’il y avait des agriculteurs voulant produire une nourriture saine et de qualité, avec une perspective démocratique, avec l’ambition de respecter mieux l’environnement et les animaux… Mais il y a là des gens déversant du lisier, brûlant des pneus, revendiquant de manière racoleuse et outrancière.

Il y a des agriculteurs qui n’en ont en réalité pas grand-chose à faire de ce qu’ils vendent, du moment qu’ils peuvent le vendre sans trop de contraintes administratives, ni de normes écologiques et sanitaires. Et puis, voire surtout, il y a en fait là-dedans énormément de gens qui sont des éleveurs ayant mis en place un système carcéral pour exploiter des animaux servant de matière première à l’agro-industrie.

La Gauche ne peut certainement pas apprécier cela. La contestation agricole de janvier 2024 est clairement et largement de droite. L’image d’Épinal de l’agriculteur qui serait un paysan aimant nourrir les gens est une escroquerie digne des pires films publicitaires. L’agriculture en France en 2024 est monstrueuse, entièrement soumise à une agro-industrie destructrice.

À notre époque, c’est tout ou rien. Soit on change tout en faisant table rase du passé, soit rien ne change en bien, seulement en pire. La crise est bien trop profonde.

Le problème, c’est que personne ne voit ça, ou plutôt ne veut voir ça. Les sondages ne sont pas du tout étonnants : ce serait près de 90 % des Français qui soutiennent la contestation des entrepreneurs agricoles. Avec un tel panorama, la France est mûre pour une victoire de l’extrême-Droite, cela ne fait aucun doute. Nous aurons bientôt notre Donald Trump, notre Jair Bolsonaro, notre Javier Milei.

Des gilets jaunes aux agriculteurs en passant par le mouvement contre la réforme des retraites, les Français veulent simplement maintenir leur niveau de vie et rien d’autre. Ils n’ont ni conscience, ni envergure ; ils se ratatinent à l’image de l’occident.

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Rapport entre les classes

La victoire du capitalisme, c’est l’écrasement de l’Histoire

Quand on pense au Capital de Karl Marx, on a souvent en tête une œuvre « économique » qui vise à la critique scientifique du mécanisme d’exploitation proprement capitaliste. C’est là une vue réduite, simpliste qui masque son envergure idéologique générale.

Car le fil conducteur de l’œuvre est contenu dans son sous-titre, très souvent effacé : critique de l’économie politique. Ce simple rappel démontre à lui seul combien Karl Marx ne visait pas un travail « économique », mais un travail de critique qui, par définition, ne peut-être qu’idéologique, et donc historique.

Le Capital, c’est la découverte des processus historiques dans le mécanisme de l’Histoire. Ce n’est pas simplement que l’Histoire se fonde sur la transformation de divers modes de production, mais que l’Humanité, de l’individu jusqu’aux rapports collectifs, s’entrecroise dans des dynamiques contradictoires pour satisfaire des besoins qui sans cesse s’approfondissent.

Ainsi, lorsque par-exemple il est analysé la « journée de travail », il n’est pas analysé seulement un rapport momentané d’exploitation, mais une mise en relation au long terme, non pas entre deux individus, mais entre des conjonctures historiques prenant la forme de classes sociales, constituées sur le long terme.

De la même manière que la critique de la marchandise se clôt par le passage bien connu sur son fétichisme qui dévoile précisément le fait que toute marchandise est avant tout le produit d’une interconnexion prolongée de milliers de personnes.

Karl Marx a ouvert le champ de l’Histoire à tous les étages de la vie humaine en en dévoilant sa clef essentielle : le développement toujours plus accru des capacités productives pour la satisfaction des besoins humains. Une clef qui se devrait d’être mise en exergue partout dans les arts, mais qui dans le capitalisme arrivé à pleine maturité est savamment effacée.

Car dans une société où le fétichisme de la marchandise règne de toutes parts, c’est l’usage du neuralyzer des Men in black qui se généralise : tout impact sur la conscience doit être effacé, écrasé. C’est vrai dans la politique, mais aussi dans l’art et dans les relations sociales, sentimentales.

Il suffit de voir une personne sur Tiktok. Que reste-il sinon une approche immédiate du présent dans le présent lui-même ? Ou bien encore, une personne qui flirte sur une application de rencontre, qu’y a t-il si ce n’est une médiation directe avec autrui sans égard pour le passé, et surtout pour l’avenir ?

Il y a aussi cette disparition, si caractéristique de notre temps, des ornementations sur les bâtiments. L’ornementation d’un édifice a toujours été l’illustration d’une époque, sa mise en perspective historique. Le fait de n’avoir plus que de simples cubes en béton illustre comment la bourgeoisie en décadence a balancé par-dessus bord toute mise en perspective d’elle-même, mais donc aussi de la société toute entière. Il ne reste plus qu’une fonctionnalité immédiate, sans ancrage dans un processus au long court.

Car l’Histoire, ce n’est pas seulement la lecture du passé dans le passé, c’est avant tout l’avenir contenu dans le passé et le passé lu dans l’avenir. On saisit les tendances lorsqu’on embrasse l’ensemble du mouvement, et cela est vrai autant du point de vue collectif qu’individuel. On ne peut pas avancer soi-même sans avoir une lecture de son propre avenir dans l’avenir collectif et cela nécessité forcément une approche de son passé, de ses erreurs, de ses avancées, etc.

L’Histoire ce n’est donc pas la séparation comme le veut la bourgeoisie du passé avec le présent et avec l’avenir, mais c’est inversement la synthèse à un moment du passé dans l’avenir et de l’avenir dans le passé.

Évidemment une telle conception, si utile pour le développement du genre humain, est impossible dans le capitalisme qui fige un présent illusoire pour mieux dérouler le tapis de la consommation dans l’océan des intérêts privés. Il ne faut ni passé, ni futur car l’un comme l’autre place la conscience individuelle devant la morale et l’universel. Et comme on le sait, morale et universalisme sont à l’opposé même de la société marchande développée…

C’est la raison pour laquelle l’enjeu du XXIe siècle est la bataille pour l’Histoire. L’Histoire non pas formellement, non pas seulement du point de vue de la critique de l’économie politique, mais dans son noyau essentiel, c’est-à-dire le mouvement contradictoire universel pour tous les phénomènes de la vie.

Si le capitalisme isole et mutile dans un présent illusoire, alors la révolution ne peut que connecter et émanciper dans un futur qui se saisit dans la lecture du passé. De fait, le présent n’existe pas et le Socialisme a ce rôle de généraliser cette manière de voir les choses à travers la planification des moyens de satisfaire et d’élargir les besoins sur une base harmonieuse.

C’est dans ce sens que les maoïstes du PCF (mlm) ont proposé récemment une nouvelle orientation partisane, celle du Parti matérialiste dialectique.

Si on regarde justement l’Histoire, on ne peut que constater que toute bataille révolutionnaire ou démocratique se situe dans l’affirmation de l’histoire comprise comme mouvement de transformation des anciennes choses en de nouvelles. C’est vrai pour les démocrates de la réforme protestante, mais aussi pour les idéologiques des Lumières, cela ne se limitant pas à la seule forme des régimes politiques mais aussi à toute les choses de la vie quotidienne.

Et cela ne peut être que d’autant plus vrai devant la question écologique qui place la classe révolutionnaire devant une responsabilité d’envergure, celle d’introduire son histoire particulière dans le grand tout de l’Univers et de la planète-terre considérée comme Biosphère.

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Rapport entre les classes

Le capital de Marx: l’intelligence ou rien

Le capital de Karl Marx est un ouvrage à la fois très long et très complexe. La question se pose ainsi : cette œuvre était-elle nécessaire ou non ? La réponse est bien évidemment oui. Tous les gens de gauche en France le reconnaîtront. C’est un minimum.

Cependant, il y a une incohérence qu’on voit tout de suite. Tout d’abord, Le capital de Karl Marx n’est pas lu. Les gens de gauche ne s’y intéressent pas. L’œuvre est considérée comme de nature trop économique ou philosophique, et bien trop longue. Tout le monde sait que lire cette œuvre représente un travail prolongé et acharné, et personne ne veut s’y mettre.

Ensuite, strictement rien n’est fait pour aller dans le sens de l’intelligence de l’œuvre. Le capital de Marx est vu comme une œuvre abstraite, qu’il faudrait opposer au travail concret. Par conséquent, il est dit qu’il faut faire du syndicalisme… Ou bien unir un maximum de principes sur quelques principes de base, pour ne pas être sectaires… On peut lire Le capital de Marx si on veut, mais cela ne peut être qu’un à-côté, quelque chose d’éventuellement utile, mais à la marge. L’intelligence est mise de côté.

Ce qui se reflète ici, c’est une position de classe. Le refus de l’intelligence, c’est le refus petit-bourgeois d’assumer une pensée systématique, une démarche complète, une idéologie parfaitement développée. Le petit-bourgeois se prétend humble, alors qu’il est sceptique ; il s’imagine ouvert d’esprit, alors qu’il est borné.

Si on accepte en effet les ressorts dialectique qu’on retrouve dans Le capital de Marx, alors rien ne laisse en effet de place au doute. Il y a la bourgeoisie, et le prolétariat, et c’est le conflit. Qui a intérêt à temporiser, à relativiser ce conflit? La petite-bourgeoisie. Qui a intérêt à atténuer l’affrontement, à arrondir les angles? La petite-bourgeoisie. Qui a intérêt à faire de l’œuvre de Karl Marx une simple inspiration, en mettant de côté l’intelligence que cela représente : la petite-bourgeoisie.

Qui a intérêt à dire : « oui, mais » ? Le petit-bourgeois français, qui relativise tout, qui ne veut surtout pas de l’intelligence. Le petit-bourgeois veut rester incomplet, il fait donc tout pour le rester.

S’il n’y avait que la bourgeoisie, les luttes de classes seraient toujours polarisés, les idées s’amasseraient d’un côté et de l’autre, dans le bon sens et dans le mauvais. Mais dans l’occident profitant du 24h sur 24 du capitalisme, il y a une immense petite-bourgeoisie, y compris de type intellectuel. Il y a une armée d’enseignants, et leur esprit est tourné vers le relativisme français, le « doute cartésien ».

Cela ne veut pas dire que les petits-bourgeois ne peuvent pas avoir une immense prétention. Ils sont vantards, comme on le sait, c’est un trait petit-bourgeois. Et il arrive souvent que les petits-bourgeois soient aisément pris de rage (comme le décrit très bien Lénine dans une fameuse citation). Ils font du bruit, parfois beaucoup de bruit, ils prétendent de grandes choses, mais dans les faits ils sont mesquins, sans profondeur, sans aucune envergure et surtout, ils n’en veulent pas.

Affiche soviétique : « deux classes – deux cultures »

L’intelligence – et l’intelligence, la vraie, est toujours une intelligence pratique – amène à contester, à se rebeller, à faire fonctionner sa matière grise de manière ininterrompue. Elle ne réduit pas à quelques dénominateurs communs, elle ne saccage pas la grandeur au profit de médiocres petits gains. L’intelligence, quand elle est vraie, s’expose, s’affirme. Elle expose les faits, elle les explique ; elle fournit les réponses, car elle sait bien poser les questions.

L’intelligence ne peut donc qu’être produite par le prolétariat, car le prolétariat exige l’Histoire et il n’y a pas d’intelligence qui ne puisse provenir du courant de l’Histoire, du flux des transformations ininterrompus à travers les siècles, les millénaires. Oui, il faut être compliqué, oui il faut la qualité, non il ne faut pas se réduire à la quantité en simplifiant, et d’ailleurs une telle démarche ne même de toutes façons pas !

Seule l’intelligence profite de la richesse inépuisable de la réalité. Seule l’intelligence permet de saisir la portée de toute situation, et de ne pas chercher une vaine fuite individuelle. La bourgeoisie veut supprimer le fond de l’intelligence : le socialisme ; la petite-bourgeoisie veut supprimer la forme du socialisme : l’intelligence. A nous d’être à la hauteur pour affirmer l’intelligence de l’époque, l’intelligence du prolétariat, l’intelligence du Socialisme.

Affiche soviétique : « Mon ami, consacrons nos âmes à la Patrie avec de merveilleux élans »
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Vie quotidienne

Même Noël est devenu moche

Dans l’imaginaire, Noël c’est encore l’image d’Épinal de la personne arpentant les boutiques et scrutant les vitrines à la recherche du cadeau idéal pour chacun de ses proches. Ce serait une ambiance, chaleureuse et réconfortante ; ce que d’aucun nomment la « magie » de Noël.

En pratique, cela est de moins en moins vrai. Le capitalisme n’en finit plus de tout lessiver et même Noël est devenu moche. Le problème n’est pas tant que Noël n’est plus une fête populaire et familiale, mais d’abord et surtout une orgie de consommation. Cela fait déjà longtemps que c’est comme ça, au moins 30 ou 40 ans.

Viggo Johansen, Glade jul (1891)

Le problème, c’est que même cette orgie de consommation n’a pratiquement plus de valeur, plus aucune « magie ». Le comble en effet, c’est que Noël consiste maintenant bien plus en une ruée vers les points relais pour retirer des objets commandés à la chaîne sur internet.

On ne choisit rien, on colle à des listes, comme pour les enfants gâtés. Une tireuse à bière pour lui, un sèche cheveux connecté pour elle. Une PlayStation 5 pour un autre qui s’identifie comme un gamer, un K-way horriblement cher pour une autre qui se rêve bobo.

Alors on part au plus pressé sur internet, en s’imaginant parfois faire une bonne affaire grâce aux prix agressifs de certaines plateformes sur certains produits d’appel. Plus de boutiques à faire donc, simplement du temps, beaucoup de temps sur internet, puis la queue dans des points relais bondés et débordant de colis jetés en vrac, sens dessus dessous.

Les cadeaux ne voyagent plus dans la hôte en osier du Père Noël (historiquement mis en avant par Coca Cola d’ailleurs), mais dans la hotte en tissu délavée et trouée du livreur pressé qui balance ça à la chaîne, de boutique point relais en boutique point relais.

Les commerçants se rendent alors compte alors qu’ils ne sont plus des commerçants, mais des supplétifs mal rémunérés des plateformes en ligne. Quelques centimes par colis ! Certains râlent un peu pour passer leurs nerfs et la presse locale ou nationale, papier ou internet, télé ou radio, est très contente de relayer ça. « Les points relais d’Avignon débordés », « Nancy : à l’approche de Noël, les relais colis saturent », « On ne sait plus où donner de la tête », etc.

Le Télégrame raconte très bien cette scène devenu typique :

« Des colis par terre, des colis sur le guichet, par dizaines. Il en arrive quasiment une centaine par jour au bar La Barrière à Saint-Martin-des-Champs (29) et une grande pièce leur est aménagée. En fin de matinée, ce mercredi, un flux incessant de clients va et vient. En cinq minutes, trois d’entre eux réclament un colis. Et malgré un large sourire affiché, les trois employés se marchent dessus et ne s’arrêtent jamais. »

Les prévisions de La Poste pour la période du Noël 2023, c’est 106 millions de Colissimo, en hausse de 6 % par rapport à 2022. Pour Chronopost (filiale de La Poste), c’est 50 millions (+12%) dont la moitié en point relais.

Du coté de Mondial relay, spécialiste de la livraison en point relais avec 12 000 commerçants affiliés en France, ainsi que 4000 armoires « Lockers », 1 500 intérimaires ont été recrutés pour la période. La plateforme flambant neuve de Harnes près de Lens (Pas-de-Calais), fleuron affiché du groupe, évoque jusqu’à 400 000 colis traités par jour contre 250 000 en temps normal.

Il y aussi DHL, UPS, Relais colis, Fedex, GLS. Et puis il y a Amazon qui gère directement une grande partie de ses acheminements. Ce sont des dizaines de millions de colis qui s’amoncèlent, dans une course effrénée et aliénée à la consommation.

Voilà à quoi ressemble le capitalisme absolument généralisé et systématisé à notre époque. Il n’y a plus aucune saveur, il n’y a même plus vraiment de Noël ; il est grand temps de renverser la vapeur, d’instaurer de nouvelles valeurs.

Là c’est vraiment flagrant : le capitalisme a gagné, et donc… il a perdu. Il n’a plus de contenu du tout, il tourne sur lui-même.

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Rapport entre les classes

Le «ticket resto» comme moyen de baisser les salaires

Initialement, les titres restaurant, sont une aide au repas du midi de la part d’entreprises qui ne fournissent pas un service de restauration, mais qui veulent proposer quelque chose aux employés. Il était donc prévu de les dépenser dans un restaurant, ou bien un snack ou une boulangerie, lors d’une pause repas.

Le principe est que l’entreprise paie la plus grosse partie du titre et l’employé n’en paie qu’une petite partie. Ainsi se fait l’aide, mais donc directement pour le repas de la pause lors des jours travaillés. Les « tickets resto » ne peuvent être octroyés que pour les jours effectivement travaillés et avec une pause repas (pas seulement une coupure) ; il n’y a donc pas de titres restaurant délivrés pour les jours de congé ou d’arrêt maladie.

Les restaurateurs ont beaucoup apprécié ce principe. En effet, les détenteurs de ces « tickets resto » y voyaient une sorte de bons gratuit pour le restaurant et se permettaient des repas qu’ils n’auraient pas pris avec leur propre salaire. D’ailleurs, il y avait parfois l’idée de devoir liquider ses « tickets resto » avant qu’ils ne périment, et donc encore plus l’idée d’un repas pas cher, qui n’aurait pas été pris autrement. Cela a largement profité aux petits restaurants surtout, c’est-à-dire des fast-food et autres kebab.

On peut dire déjà qu’à l’origine, ces titres restaurants ont été un cadeau empoisonné, car encourageant la malbouffe.

En raison de la crise et particulièrement de l’inflation, il y a eu toutefois un grand changement. En 2022, une loi a permis l’utilisation de ces titres restaurant pour l’ensemble des courses alimentaires. En fait, il y avait déjà l’habitude prise par certains de payer une partie de ses courses avec ces titres, mais cela pouvait s’avérer très aléatoire en raison du fait que seuls les produits prêts à manger étaient pris en compte.

Avec cette loi, cela devenait beaucoup plus facile et cohérent de se servir de ces titres lors de ses courses, car tout l’alimentaire est devenu directement éligible. Par exemple, le sel et le poivre, l’huile d’olive, le beurre de cacahuète, la farine, etc.

Parallèlement se sont développés les cartes à puce (type carte bancaire) en remplacement des tickets classiques, détachables dans un carnet type chéquier.

Ces derniers avaient en effet le grand inconvénient d’être plafonnés par en haut et par en bas. C’est-à-dire qu’avec un ticket d’une valeur de 9 euros, il fallait forcément avoir une note supérieure, au risque de perdre la différence. Et inversement, il fallait faire le complément directement pour une somme supérieure. Cela était peu pratique à la caisse, alors que cela restait acceptable au restaurant (avec cette idée d’un ticket de réduction).

Avec les cartes de titres restaurant, c’est beaucoup plus simple : le plafond maximal est de 25 euros par jour (sauf jours fériés) et on utilise directement le crédit utile.

Si on fait 14 euros et 22 centimes de courses, on paie directement avec sa carte « tickets resto », et ce sans contact qui plus est. Si l’on fait 74 euros de courses, on paie d’abord 25 euros avec la première carte (sans contact) puis 49 euros avec la carte bancaire habituelle (toujours sans contact). C’est simple et rapide.

Ainsi, les titres restaurant ont largement changé de nature. D’une aide, tel un service concernant les pauses repas au travail, ils sont devenus directement un élément de rémunération.

En 2023, plus de la moitié des sommes titres restaurant sont utilisées ainsi.

La dérogation pour l’éligibilité de l’ensemble des produits alimentaires aux titres restaurant devait prendre fin en janvier 2024, mais cela a été repoussé. Il a donc été officiellement et durablement entériné cette utilisation détournée des titres restaurant, qui va se généraliser.

Maintenant, venons-en à la question des salaires et de leur baisse. C’est très simple : avec une rémunération normale, il y a un salaire dit brut, qui est le vrai salaire, ainsi qu’un salaire net, qui correspond à la somme que l’on reçoit sur son compte en banque.

Avant, jusqu’au début des années 2000 peut-être, les ouvriers et les employés avaient une conscience sociale élevée en France. Ils connaissaient très bien le salaire brut et considéraient que la différence avec leur salaire « net » leur revenait, comme salaire socialisé, différé. Les cotisations et contributions salariales obligatoires étaient considérés comme un acquis et une chose à défendre.

Après les années 2000, le capitalisme s’est tellement développé, il est tellement devenu un rouleau compresseur faisant que tout est marchandise et consommation, que cette conscience du salaire brut a disparu. Seul compte donc le « net », que l’on peut dépenser soi-même en tant que consommateur. Le salaire « brut » est quant à lui considéré comme une chose étrange, à laquelle on ne s’intéresse pas, si ce n’est pour critiquer « l’État » qui « se sert ».

Si on faisait un référendum en 2023 pour demander aux salariés s’ils veulent la disparition du salaire brut en le transformant en net à payer, pratiquement tout le monde serait pour ! Ce serait bien sûr une grande catastrophe sociale, mais personne n’en aurait conscience et il serait très dure de convaincre du contraire.

Eh bien c’est exactement ce qu’il se passe avec les titres restaurant. Puisqu’ils servent maintenant à faire ses courses, il sont devenus directement un élément de rémunération. Et c’est une rémunération brute, sans cotisation sociale ni prélevèrent obligatoire.

Il ne faut pas regarder que du côté du salarié. Pour l’employeur également, cela change la donne : il y a des charges à payer à côté d’un salaire brut, pas pour des titres restaurant (ou très peu) !

On ne parle pas ici de sommes anecdotiques, mais de 150 euros à 250 euros par mois. C’est extrêmement conséquent dans la rémunération.

Les titres restaurants sont donc du salaire défiscalisé, échappant largement aux cotisations sociales. C’est un moyen pour le capitalisme de baisser directement les salaires (en n’augmentant pas suffisamment en raison de l’inflation) tout en le cachant à court terme avec une rémunération nette qui semble faire l’affaire.

Même s’ils ne servent plus à aller au kebab ou au tacos, c’est encore un cadeau empoisonné !

Ainsi, les titres restaurants sont un moyen de la grande restructuration économique dans le cadre de la crise du capitalisme. Il s’agit d’augmenter la pression sur les ouvriers et les employés, pour garantir les bénéfices capitalistes ; la baisse des salaires est une forme incontournable de cette pression.

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Vie quotidienne

Michel Clouscard et la vie quotidienne

Existe-t-il une société de consommation ou pas? Le capitalisme façonne-t-il la vie quotidienne des gens ou pas? Ce thème étant à nos yeux essentiel, il y a lieu de se pencher sur l’avis de Michel Clouscard. Ce penseur (1928-2009) a vu son activité passer inaperçue durant sa vie, à peu de choses près, mais depuis une dizaine d’années à peu près, il y a un courant de pensée qui en fait la promotion.

Michel Clouscard aurait le premier tout compris : le capitalisme est libéral-libertaire et exige un mode de vie « libéré » dont la seule liberté est de fuir dans la consommation. Mai 1968 aurait été le détonateur de ce capitalisme nouveau, qu’il appelle le « capitalisme de la séduction ».

Les philosophes issus de ce capitalisme nouveau auraient été les pires, parce qu’ils se prétendaient de gauche alors qu’ils faisaient la promotion d’un style de vie hédoniste. On parle ici des philosophes Lyotard, Foucault, Deleuze, Derrida.

Voici les grandes lignes, en apparence, de la pensée de Michel Clouscard, dont on se dit que c’est très intéressant pour effectivement dénoncer la généralisation du style de vie allant avec la société de consommation. Le souci est qu’il ne dit pas ça.

En effet, Michel Clouscard ne dénonce pas ce que nous appelons sur agauche.org le turbocapitalisme. Il ne dénonce pas du tout le renouveau du capitalisme, la naissance de nouveaux marchés au moyen de la négation des rapports naturels.

Michel Clouscard dénonce le maintien artificiel du capitalisme au moyen de micro-consommations « amusantes » qui trompent les gens fascinés (mais qui ne consomment pas).

Cela n’a rien à voir !

Tout le monde consomme-t-il ou non?

Si on regarde ce que dit la gauche de la gauche en 2023 au sujet des masses, on croirait que les travailleurs français sont pauvres jusqu’à pratiquement ne plus savoir comment payer leur loyer ou leur alimentation.

C’est évidemment complètement faux. Le niveau de vie est très élevé. La France est l’une des plus grandes puissances mondiales, même si elle est en chute libre. Tous les Français consomment. Certains consomment plus que d’autres, mais tous le font et tous relèvent de la société de consommation, même si à des degrés différents.

Tout propos misérabiliste est donc trompeur. Et Michel Clouscard y participe. Il est présenté comme un critique de la société de consommation. En réalité, il ne le fait pas car il ne reconnaît pas la société de consommation. Il critique un capitalisme qui cherche à établir une société de consommation de manière forcée, sans y arriver, ce qui est bien différent.

Michel Clouscard reconnaît tout à fait que le niveau de vie s’est élevé. Pour autant, il ne pense pas que le capitalisme se soit réellement élevé au niveau d’une vaste consommation de masse. Donc il ne dénonce pas la société de consommation telle qu’elle existe (selon nous) aujourd’hui. Il dénonce le fait que le capitalisme aimerait parvenir à une telle société de consommation (mais pour lui elle n’y arrive pas).

Pas de capitalisme par en bas?

L’idée de Michel Clouscard, c’est qu’il y a des couches sociales petites-bourgeoises qui profitent d’une manne capitaliste afin de mener une consommation « libidinale, ludique, marginale ». Cela produirait une agitation faisant vivre l’idéologie libérale-libertaire.

Mais cette agitation est « idéologique » plus qu’autre chose. D’ailleurs, pour Michel Clouscard, les monopoles domineraient tout et donc il ne peut pas y avoir de renouveau du capitalisme, de relance par en bas.

Autrement dit, Michel Clouscard ne dénonce pas la société de consommation, le capitalisme par en bas – car il ne le reconnaît pas.

Ce qu’il attaque, c’est l’existence de marges intellectuelles universitaires et d’aventuriers consommateurs « d’un nouveau style ». Michel Clouscard dénonce pour cette raison… le rock et la disco!

Déjà que c’est absurde car rien n’a été pratiquement plus populaire à l’échelle de masse que le rock et la disco dans les pays occidentaux, c’est surtout totalement réactionnaire. Mais Michel Clouscard est un philosophe du PCF d’après 1968, et le PCF a été contre Mai 1968. Le PCF, avec la CGT, a tout fait pour casser la contestation de Mai 1968.

Michel Clouscard est totalement aligné sur le PCF et sa théorie du « capitalisme de la séduction » se fonde d’ailleurs sur la théorie du capitalisme monopoliste d’État du PCF.

Le capitalisme monopoliste d’État

Michel Clouscard est un penseur du PCF et à son époque, il est totalement dans l’ombre de deux penseurs concurrents : Louis Althusser et Nikos Poulantzas. Ces deux derniers accordent une grande place à la question de l’État. Pour cette raison, ils penchent sérieusement du côté des « gauchistes », puisque eux veulent détruire l’État.

Michel Clouscard, lui, est totalement anti-gauchiste et il l’est, car il est d’accord avec le PCF : l’État est une forme neutre. Prétendre le contraire, selon lui, c’est faire du « marxisme dogmatique ». Pour Michel Clouscard, il y aurait une « société civile ».

On l’a compris : il reprend directement Antonio Gramsci, avec la même interprétation électoraliste que le Parti communiste italien à l’époque. Dans cet esprit, l’État peut pencher d’un côté, il peut pencher de l’autre.

Lorsqu’il écrit son ouvrage « La Bête sauvage, Métamorphose de la société capitaliste et stratégie » (1983), Michel Clouscard le fait après le programme commun et en assumant totalement la thèse du PCF du « capitalisme monopoliste d’État ».

Cette conception veut que l’État est devenu neutre, car avec la seconde guerre mondiale, l’impérialisme a disparu. Le capitalisme n’existe plus que par les aides de l’État. Il suffit donc de conquérir les commandes de l’État, au moyen d’une union populaire pour « autogérer » l’État, et alors on pourra prendre des mesures pour se débarrasser du capitalisme.

Cette théorie du « capitalisme monopoliste d’Etat » a été conceptualisée par le Français Paul Boccara en s’inspirant du Hongrois Eugen Varga.

Par conséquent, pour Michel Clouscard, tous ceux qui veulent dénoncer l’État par la révolution… sont en fait au service des monopoles qui veulent empêcher le PCF de prendre le contrôle de l’État par les élections et de le donner au peuple !

« Avec le Capitalisme Monopoliste d’État, l’État est totalement investi par l’économique, par les monopoles qui se sont étatisés et sont gérés par l’appareil d’État. Alors cet appareil d’État se moque de l’État croquemitaine du dogmatisme, du gauchisme, des nouveaux philosophes, des contestataires ou des terroristes.

Bien au contraire : sa mission économique est de créer les conditions superstructurales nécessaires à l’expansion économique du Capitalisme Monopoliste d’État.

Il faut mettre en place les modèles culturels de la nouvelle consommation, du nouveau marché du désir. Il faut libéraliser, révolutionner les mœurs. Pour servir au mieux les intérêts des multinationales que l’appareil d’État a fonction de gérer.

Parce que répressif au niveau de la production – productivisme, taylorisation, fordisme, cadences infernales – l’État doit organiser la libéralisation des mœurs qui permettra la meilleure circulation de la nouvelle marchandise.

L’État a besoin d’une société civile qui dénonce… l’État. Aussi, le dogmatisme, le gauchisme, les nouveaux philosophes sont les fourriers de la société civile voulue par l’appareil d’État soumis aux multinationales. »

Comme on le voit, Michel Clouscard ne dénonce pas le capitalisme en mode turbo, il ne dénonce pas le capitalisme qui se renouvelle. Pour lui, il n’y a qu’un seul capitalisme, un très gros capitalisme, qui « pense » et qui façonne la société civile.

C’est la conception réformiste et fantasmatique d’un capitalisme qui « pense », qui fait des « choix », par en haut.

Michel Clouscard n’est pas un critique du capitalisme se relançant par en bas !

Que dénonce Michel Clouscard ?

Michel Clouscard ne critique pas le capitalisme par en bas, qui pour lui ne peut pas exister. Il dénonce le gros capitalisme qui, dans ses soucis de modernité, bouscule le pays, le violente.

Si l’on veut, il ne critique pas les bobos, les start up, les influenceurs, les kebabs, mais la généralisation de la fibre et des voies pour vélos.

C’est caricaturé et pourtant cela correspond au fond de sa pensée. Voici un exemple avec sa défense du paysage français « idyllique » que le capitalisme viendrait défigurer :

« Le capitalisme monopoliste d’État a totalement détruit l’harmonie spatio-temporelle inventée par l’histoire de France (celle de ses modes de production).

Si les écologistes étaient sérieux, ils ne diraient pas vouloir protéger la nature, mais le travail de l’homme objectivé, devenu nature, décor naturel : campagne humanisée, forêt jardinée, déserts ou marécages cultivés, montagnes recouvertes d’arbres, fleuves domestiqués, etc.

« Oui au cantonnier, non à l’écologisme mondain. »

Pour substituer au rythme rural le productivisme généralisé, le capitalisme monopoliste d’État a désintégré la cellule familiale.

C’est le lieu de l’emploi et non plus le lieu d’origine qui fixe la famille, maintenant. Une extraordinaire diaspora des régions recouvre l’hexagone. »

C’est littéralement l’idéologie de Pétain, du retour à la terre. Comme si la France d’avant les monopoles, c’était le paradis ! Mais Michel Clouscard ne fait que ça, insulter ce qui est nouveau. Il n’hésite pas à considérer comme odieux que des gens, dans les années 1980, connaissent le reggae, mais pas le twist.

Ce qu’il dénonce, c’est la modernité, forcément unilatéralement mauvaise. Le capitalisme ne fabrique plus que des « gadgets » pour lui, et encore même pas pour tout le monde.

Et les rares cas où il le fait, c’est vide de sens pour lui : mettre une pièce dans un flipper, dans un juke-box, pour acheter un poster… Même le blue jean ou avoir les cheveux longs pour un garçon n’échappe pas à la critique, réactionnaire, de Michel Clouscard.

Citons sa dénonciation de la danse, incroyablement réactionnaire et délirante dans son propos même : on sent le vieux, dépassé et prompt à l’outrance.

« L’autre animation : sonore. L’autre machination : boîte à rythme, cabine leslie, pédale wah-wah, synthétiseur, fender, guitare électrique, etc.

L’autre initiation à la mondanité : psychédélique. Après la mécanique de groupe, voici la mécanique « musicale ». Branchons la sono. Le disc-jockey ouvre les vannes.

La statue accède au rythme. L’automate au déhanchement. Le désir à sa forme : les sens s’électrisent. Le mannequin s’anime de pulsions : gestes saccadés, répétés, figés. Bruitages de ces élans machinaux. Projection et transferts.

Vie de machine, corps du désir, corps rythmé. Le désir s’est éveillé. La statue est vivante : le machinal est son instinct (le vitalisme n’est que le reflet actif du mécanisme. Il n’est qu’un signifiant de l’animation machinale). L’être est gestuel. Et celui-ci est le rythme. »

Ces lignes de son ouvrage « Le capitalisme de la séduction » auraient été crétines en 1970, mais elles datent de 1981… que dire ? Un peu après ces lignes, on a même la définition du rock comme « Boum-boum : c’est toujours pareil ». En 1981 ! Après les Doors, le Grateful dead, Pink Floyd, Yes…

Le capitalisme zombie

Ce que dénonce en fait Michel Clouscard, c’est la modernité dans le cadre capitaliste. Et pour lui, elle ne peut qu’être entièrement fausse.

Car pour lui tout ne peux qu’être faux. Michel Clouscard considère que le capitalisme a déjà « disparu », conformément à la thèse du capitalisme monopoliste d’État. C’est un capitalisme zombie qui n’existe que parce que l’État le maintient en perfusion. Il est donc « faux ». Et tout ce qu’il fait est faux.

C’est ce côté réactionnaire qui a amené Alain Soral a se rapprocher de Michel Clouscard, et a écrire la préface de son ouvrage Néo-fascisme et idéologie du désir : Genèse du libéralisme libertaire. Michel Clouscard a ensuite dénoncé Alain Soral, et pourtant ce dernier représente indéniablement la substance de sa critique de la modernité « monopolistique – libertaire ». Il a simplement ajouté l’antisémitisme et la dénonciation d’un « complot » de l’élite mondiale, afin de faire tenir un édifice sinon sans fondations aucune.

Alain Soral résume d’ailleurs le mieux la thèse de Michel Clouscard, en soulignant que le capitalisme ne propose pas une vraie consommation nouvelle, mais un simulacre de consommation :

« Je reprends la thèse du trop méconnu Michel Clouscard dont j’avais préfacé « Néo-fascisme et idéologie du désir »; la voici : après guerre, les capitalistes marchands, pour étendre le marché fatalement saturé de l’utilitaire, ont eu l’intelligence de lancer, en surfant sur le vent de liberté venu d’Amérique, le « marché du désir ».

Un marché de l’inutile dont le mécanisme fonctionne comme suit : un, réduire la liberté au désir, deux, réduire le désir à l’acte d’achat. »

La consommation simulacre

Pour parler en termes marxistes, on peut dire qu’agauche.org affirme qu’il y a des marchandises partout, partout. C’est une surproduction de marchandises.

La production de masse, c’est bien ! Mais consommer n’importe comment, n’importe quoi, c’est mal !

Life deluxe for all, c’est bien ! Mais les délires ultra-individualistes de type de l’idéologie LGBT, c’est mal !

Le capitalisme a élargi les forces productives, maintenant on récupère le tout et on change de direction. Et il ne faut pas laisser faire le capitalisme qui veut élargir les marchés en dénaturant l’humanité.

Il y a le bon nouveau et le mauvais nouveau !

Pour Michel Clouscard, dans la lignée du capitalisme monopoliste d’État, il n’y a pas trop de marchandises, il y a trop de capital, il y a surproduction de capital, l’expression exacte correspondant à ce concept est la « suraccumulation de capital« .

Le capital « invente » donc des moyens pour investir, pour forcer à une consommation… Quitte à brûler cette consommation et ce capital. Pour Michael Clouscard, les nouvelles marchandises sont des simulacres : une chaîne hi-fi, une guitare électrique, un appareil photo ?

Tout cela ne sert à rien, c’est « ludique, libidinal, marginal », on a l’accordéon, ça suffit bien !

Autrement dit, pour Michel Clouscard, le capitalisme se résume à Kim Kardashian et à la téléréalité. Il accorde une valeur suprême à des consommations « stériles » totalement insignifiantes en comparaison avec l’avalanche de marchandises que produit toujours davantage le capitalisme.

En ce sens, il ne sert à rien pour critiquer la société de consommation. Il ne voit pas qu’en plus des monopoles, il y a à la base un petit capitalisme hyper actif se renouvelant. C’est la conséquence de son acceptation de la thèse du « capitalisme monopoliste d’État », qui prétend qu’il n’y aurait plus que des monopoles qui domineraient tout. Il « oublie » concrètement qui produit les contenus pour Amazon, Etsy, Netflix, Apple…

Non, la consommation dans la société de consommation n’est pas du simulacre. Elle est liée à une production réelle de marchandises. Et on s’y noie plus qu’autre chose !

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Nouvel ordre

L’avenir de la circulation passera par le train

C’est une question de civilisation.

Dans l’avenir, on peut gager sans risque, et tout particulièrement en France qui a déjà une certaine tradition en la matière, que le train aura une place centrale dans la circulation des personnes et des marchandises.

A grande échelle, il n’y a pas de moyens de transport terrestre aussi efficace que le train. Il a joué un rôle historique pour le développement de la société, par le capitalisme. Mais le capitalisme l’a relativement mis de côté, au profit des voitures et des camions, bien plus conformes finalement aux exigences du capital (pas de planification, fonctionnement en flux tendu, atomisations des acteurs économiques, privatisation des intérêts, aucune considération pour la planète et la santé de la population, etc.).

C’est tout le problème du capitalisme, qui favorise des solutions individuelles, alors qu’il faut en réalité des moyens collectifs. Il est plus naturel pour lui de se tourner vers la circulation routière, qui laisse les gens seuls face à leur besoin de se mouvoir.

Besoin d’ailleurs accru par l’existence d’une contradiction entre la ville et la campagne, qui force beaucoup de personnes plus éloignées des cœurs économiques que sont les villes à faire de longs trajets pour aller travailler. C’est ce qui explique pourquoi la voiture et le camion sont bien plus choyés par le capitalisme que les transports collectifs.

Mais le train jouera un rôle capital à l’avenir, tant sa capacité à réduire la taille du monde est importante. Les masses ont et auront besoin d’un réseau ferroviaire développé pour ne plus rouler en voiture…

Les Français de demain devront organiser démocratiquement le secteur des transports, ce qui n’est pas une mince affaire tant la situation actuelle est critique. Cette réorganisation de la société, et donc par extension de la façon de se déplacer, devra absolument avoir l’écologie comme horizon. Cela exigera de se battre contre l’étendue toujours plus vaste du réseau routier et ses millions de voitures et de camions dégazant en permanence au rythme imposé par un capitalisme qui exige que chacun s’organise à sa manière de son côté, dans un flux ininterrompu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Le train est plus rapide que la voiture. Il est aussi moins polluant et incommensurablement moins dangereux. Il permet de faire déplacer un très grand nombre de personnes en un temps record, avec une dépense énergétique moindre, là où les autoroutes connaissent des bouchons, un rendement énergétique catastrophique, des accidents au quotidien, avec des chauffards qui font trop souvent la loi…

Les masses ont besoin de trains plus performants, en plus grand nombre, plus confortables ! Il faudra rouvrir des lignes, en créer de nouvelles, procéder à la mise en place du train et ses dérivés comme le tramway comme moyens de transports principaux de la population. Tout cela bien sûr doit être couplé avec les autres moyens de transport que sont le vélo, l’avion ou encore le bateau. Il faut ajouter évidemment à cela la marche à pied, qui dans des villes et des campagnes correctement aménagées selon les besoins du peuples, et non ceux du capitalisme, sera un moyen de déplacement privilégié.

La voiture et les camions quand à eux devront se contenter d’une place limitée, là où ils sont vraiment utiles : pour le déplacement des personnes très isolées à la campagne, pour les transports urgents de proximité (police, ambulance, travaux, etc.), pour les derniers kilomètres du transport de marchandise tant dans les villes que les campagnes.

Le mot d’ordre sera simple : aucune proposition s’appuyant sur les responsabilités d’individus coincés dans le statu quo ne saurait être considérée comme une solution aux problèmes qui se poseront à l’avenir. Quelques soient les problématiques, il devra toujours y avoir une réponse à l’échelle de la société elle-même, et le train en fera partie.

Sortir de la civilisation de l’automobile pour fonder une nouvelle civilisation du train, tel doit être le programme de la Gauche !

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Vie quotidienne

Les sans-attaches et les ligotés du capitalisme

Dans la vie quotidienne du capitalisme, on peut distinguer deux types d’attitudes majeures. Il y a ceux qui vivent les choses de manière consommable, sans jamais vouloir s’engager durablement. Et il y a ceux qui suivent ce qu’on peut appeler un modèle de vie d’adulte, au sens petit-bourgeois et bourgeois du terme. Les deux camps cohabitent dans le capitalisme, mais vivent à part. Leurs mentalités peuvent se rejoindre, pas pour les mêmes raisons cependant.

Car ce qu’il faut bien saisir, c’est que ces deux attitudes majeures, ces deux styles de vie si on veut, ne dépendent pas des classes. Elles dépendent du rapport à la ville et aux campagnes. Cela ne veut pas dire qu’on soit dans un capitalisme qui se soit débarrassé des classes. Cependant, la fracture villes-campagnes sans cesse élargie par le capitalisme aboutit à une situation en développement.

Prenons par exemple la contestation « très à gauche » et celle « très à droite ». Dans les deux cas, on trouve ensemble les sans-attaches et les ligotés du capitalisme. Mais pas les mêmes ! Dans la version de « gauche », on trouvera des gens changeant d’emploi facilement ou étudiant, surtout jeunes, qui sont hyperactifs sur les réseaux sociaux, s’agitent d’autant plus qu’ils n’ont pas de responsabilités : pas de famille, pas de propriété. Ils profitent de la ville où ils s’activent d’autant plus qu’ils ont peut-être moyen de faire carrière par cette agitation. L’étudiant sans succès sait bien que plus il ira loin par exemple dans les délires LGBT, plus il va socialiser avec le turbocapitalisme et pouvoir trouver une place.

On trouve aux côtés de ces sans-attaches des ligotés du capitalisme, dans leur variante bourgeois de gauche. C’est le public de l’Observateur, le « nouvel obs » historique où les discours de « gauche » accompagnent des articles sur des montres à 2000 euros et des appartements pour CSP++. Ces gens veulent un capitalisme moderne, qui se renouvelle, qui soit social pour atténuer les chocs. Le Parti démocrate aux États-Unis est l’équivalent de tout cela.

« Très à droite », on a aussi des sans-attaches et des ligotés du capitalisme. Sauf que ces derniers ne sont pas des bourgeois : ils sont populaires. Ils ont acquis la propriété, et maintenant il ne faut plus que ça bouge. Le vote Le Pen, c’est historiquement cela. Les gilets jaunes sont également une expression de ces ouvriers et employés, artisans et commerçants ultra-conservateurs. Parvenus à un certain niveau d’accumulation de capital, ces gens aimeraient geler la situation. Tout ce qui est nouveau les dérange. Et le nouveau, voilà ce qui dérange aussi des sans-attaches… pour le coup bourgeois et grand-bourgeois. Car il y a des bourgeois restés au capitalisme à la papa.

Les agités de « l’ultra-droite » française relèvent totalement de cela et à ce titre ils ne sont même plus d’extrême-Droite. Ils assument de « réagir » au capitalisme accéléré, avec un style provocateur et brutal qui relève totalement des codes du capitalisme accéléré. Ils n’ont aucune cohérence sur le plan des idées et l’assument. Pour preuve, tous soutiennent le régime ukrainien pourtant totalement au service de l’Otan et de la superpuissance américaine. Cela ne les dérange pas, car ils voient que le régime ukrainien a une idéologie nationaliste et que les nazis y ont un immense espace en théorie et en pratique. Alors ils foncent : ils assument d’être simplement en réaction.

Il n’est pas difficile de voir ici que plus on est lié aux villes, plus on est influencé par le turbocapitalisme, alors que plus on est lié aux campagnes, plus on est marqué par la contestation « en réaction ». Ce qui ne veut pas dire qu’on soit concrètement en ville ou à la campagne. On peut en effet idéaliser la ville et la campagne. Tel urbain va avoir une image idyllique de la campagne, par l’intermédiaire de la chasse, tel habitant des campagnes va rêver d’une vie pleine de fantasmes en mode LGBT urbain. Et il y a bien entendu en France toute une série de degrés entre la campagne « absolue » et le centre de Paris.

Il est évident que tant que cette mauvaise dialectique des sans-attaches et des ligotés du capitalisme se maintient, il n’y a pas de place pour la Gauche historique. Et y en aura-t-il ? Car en France, pays occidental s’effondrant, tout a l’air coincé, tout en parvenant à se maintenir, et on peut penser qu’il y en aura pour un certain temps avant que tout cela ne soit remis en cause. Cela semble même être pareil pour tous les pays occidentaux. Dans tous, l’idéologie LGBT est assumée officiellement par les États, par l’Union européenne encore plus, et c’est pourtant toujours présenté comme une « cause » d’une portée « rebelle ». Que les gens acceptent une telle mystification, même passivement, en dit long.

De toutes manières, un pays qui finit par accepter l’idée qu’être homme ou femme, c’est dans la tête que ça se décide… a atteint un relativisme absolu. Plus rien ne peut vraiment tenir quand on a atteint un tel niveau de remise en cause de la dialectique de la réalité, avec ses oppositions bien-mal, passé-futur, positif-négatif, prolétariat-bourgeois. Tout se voit réduit à de l’individuel, à du choix de consommation. Encore faut-il pouvoir consommer… et c’est là la faiblesse du capitalisme. Si la superpuissance américaine n’arrive pas à torpiller la Russie puis la superpuissance chinoise… ce sera l’instabilité.

Là les sans-attaches et les ligotés du capitalisme cesseront d’être un obstacle à la recomposition du prolétariat dans la métropole occidentale.

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Nouvel ordre

La décivilisation, expression de la décadence de l’ordre bourgeois

Poser la question de la civilisation et de la décivilisation, c’est poser la question de l’Ordre social. Car tout ordre se doit de générer les conditions pour faire continuer et élever le niveau de civilisation : c’est le propre du développement de l’Humanité.

Quand on parle d’Ordre, on parle d’une manière d’ordonner la vie sociale de façon à ce qu’il soit garanti au plus grand nombre une vie quotidienne à peu près stable par rapport aux conditions historiques données.

L’instabilité sociale est le contraire d’un Ordre social et plus l’instabilité sociale est importante, plus les conditions d’élévation de la civilisation s’affaissent. Le processus de civilisation ne s’établit pas sur plusieurs années, il se réalise sur plusieurs décennies, si ce n’est plusieurs siècles ; cela demande nécessairement calme et stabilité.

La capacité de l’être humain d’élever le niveau de civilisation correspond donc à sa manière d’ordonner les comportements humains. Ou comme le décrit le sociologue Norbert Elias, penseur de la question qui a toutefois sanctuarisé l’ordre bourgeois comme gage du niveau de civilisation :

« La stabilité particulière des mécanismes d’autocontrainte psychique qui constitue le trait typique de l’habitus de l’homme « civilisé » est étroitement liée à la monopolisation de la contrainte physique et à la solidité croissante des organes sociaux centraux. C’est précisément la formation de monopoles qui permet la mise en place d’un mécanisme de « conditionnement social », grâce auquel chaque individu est éduqué dans le sens d’un autocontrôle rigoureux. »

Par « monopole », il faut entendre ici le lent processus de formation d’un appareil d’État entre les 13e et 18e siècles. Il faut ici rappeler justement la double dimension de l’appareil d’État qui s’il est l’expression de la domination d’une classe par une autre et également le reflet du nécessaire conditionnement des individus à des rapports sociaux plus sophistiqués.

C’est ainsi que lorsque les États du monde ont déclaré des confinements de population entre 2019 et 2020 pour lutter contre la pandémie de Covid-19, ils exprimaient non pas une domination de classe mais la continuité de la civilisation.

Les mesures de contrainte étaient en réalité une manière de contraindre les individus dans le cadre d’une société moderne où la fluidité des échanges et la mobilité sont la règle. Évidemment, les États l’ont fait dans les conditions d’un Ordre marqué par l’accumulation capitaliste et l’échange marchand, ayant pour conséquences les désordonnements qui ont suivi et continuent à s’exprimer dans les années qui suivent.

Déjà, des portions réduites de la population ont manifesté des comportements de décivilisation, avec le refus de l’autocontrainte. Ces gens ont rejeté un phénomène qui pourtant s’est déroulé sur plusieurs siècles : celui de la formation de règles publiques garanties par un organisme central contre l’intérêt privé de seigneurs locaux, se cristallisant ensuite dans des comportements jusqu’à en devenir automatiques.

Or, la question est de saisir aujourd’hui d’où vient de manière générale le refus de l’autocontrainte ? Est-ce un leg du passé, du temps d’avant la formation d’un appareil d’État centralisateur, où les petits seigneurs régnaient en maîtres sur leurs territoires ? Ou bien est-ce le produit des conditions de la société capitaliste moderne ?

Une personne qui circule à vive allure en scooter ou sur une trottinette électrique sur un trottoir piéton est-il un petit seigneur ou un individu forcené du capitalisme ?

Évidemment, cela relève en premier lieu des conditions de la société de consommation moderne. Car lorsqu’on parle de l’autocontrainte, il y a indirectement l’idée d’une plus grande subtilité des individus dans leurs relations sociales, une sorte de raffinement.

À travers la ville et l’échange marchand, le capitalisme a développé puissamment les espaces publics/collectifs à travers desquels est nécessaire un raffinement de son comportement, mais en même temps arrivé à un stade de son développement il en est une entrave.

Il suffit de prendre un grand magasin de vêtements dans un centre-ville pour s’en rendre compte. D’un côté, il y a un fourmillement d’individus qui veillent à ne pas mal se comporter mal face aux autres en respectant les codes d’usage comme ne pas essayer les habits devant tout le monde, garder une distance à la caisse, etc. Mais de l’autre côté si quelque chose grippe la mécanique, cela se ressent dans les individus qui deviennent plus aigres, plus raides, plus aigris, avec jamais bien loin un risque de dérapage, de petits conflits.

Si cela est dans l’ADN de la consommation capitaliste à ses débuts, la généralisation de la société de consommation a amené à une généralisation de l’esprit d’immédiateté qui, s’il est entravé, risque de générer des formes de brutalité, de grossièreté, même minimes.

Être raffiné, c’est savoir prendre le temps car c’est intellectualiser son rapport au monde, sa manière de vivre, de se nourrir, de se vêtir, d’aimer, d’apprécier l’autre. À l’heure des applications de rencontre, de livraison de repas à domicile, de l’écoute accélérée de musique, de la généralisation du format série, c’est toute la base de la civilisation qui s’affaisse.

Si la civilisation est le long processus de formation d’une autocontrainte psychique, avec l’attention et le temps requis, elle se heurte à société capitaliste-marchande qui, en plus d’être ultra-accélérée, va jusqu’à effacer ses propres conditions de production pour mieux fétichiser la valeur. Comment ne pas voir qu’une telle société arrivée à maturité formate des esprits dans le sens d’une décivilisation ?

Le règne abouti du fétichisme marchand, c’est l’âge d’individus narcissiques qui évoluent dans un monde abstrait. C’est l’âge de l’individu qui se moque du réel : il évolue à sa guise dans un monde sans que ne soient plus exigées ni contraintes, ni barrières quelconques, si ce n’est celles de ne pas entraver le bon écoulement des marchandises.

Et il n’est pas difficile également de comprendre que lorsque le pire de cette société de consommation moderne, soit le culte de l’égo indépendant de tout et le pire de la société féodale, soit le culte de l’honneur guerrier, se rencontrent, il y a un cocktail parfait pour des phénomènes de dé-civilisation. C’est l’individu-roi à base d’avancées guerrières, qui consomme ses échappées chevaleresques.

Il s’agit là d’une expression d’un mode de production capitaliste arrivé à maturité en ce qu’il a développé une consommation outrancière d’objets inutiles grâce au maintien d’une large partie du globe dans une situation féodale, avec pour résultat la combinaison des pires horreurs en termes de comportements.

Et comme l’État actuel est une émanation de cette société, il est évident que les institutions publiques sont à la peine pour maintenir le niveau de civilisation exigé par l’époque. Elles sont à la dérive et cela se voit en de multiples manières, des autorisations de construction délirantes au relativisme sur les incivilités sur la route jusqu’à l’acceptation-encadrement des trafics de drogue, de la pornographie, le délaissement des victimes de harcèlement scolaire…

Cela peut apparaître décalé et en même temps tout le monde comprend bien que les choses s’effondrent avec une société repartie sur les braises d’une pandémie qui n’a fait se générer aucun bilan social et culturel.

Vu du futur, tout ceci sonnera comme une évidence…

L’évidence que la société humaine développée du 21e siècle s’effondrait sur elle-même du fait de l’affaissement des vecteurs d’autocontraintes psychiques dû à un mode de production capitaliste pleinement développé.

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Culture & esthétique

Le classicisme contre le capitalisme

Le capitalisme transforme tout selon ses besoins et, pour cette raison, il n’est pas conservateur. En même temps, le capitalisme profite de ce qu’il a mis en place et en ce sens, il est conservateur. Si l’on reste prisonnier de cette opposition, alors on s’imagine qu’être de droite c’est être conservateur, être de gauche progressiste, ou inversement qu’être de droite c’est être libéral, et être de gauche pour le « maintien des acquis ».

Si on dépasse cette opposition, on est alors amené à valoriser le classicisme. Le classicisme, c’est en effet le maintien de certaines valeurs à travers les changements. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’évolution, mais celle-ci se déroule dans un cadre de valeurs bien déterminées. C’est la civilisation, au contraire du capitalisme qui lui est hyper corrosif et abîme tout.

La civilisation humaine exige la hauteur d’esprit, l’harmonie de la construction, l’envergure mentale et psychologique, la profondeur des émotions, la beauté du goût. Les 16 fondements de l’urbanisme établis en République Démocratique Allemande au début des années 1950 forment un excellent exemple d’une telle exigence.

Maison de la culture à Magdebourg 
en République Démocratique Allemande en 1951

Le classicisme, c’est ce qui se maintient malgré tout. Il y a des classiques en littérature comme en musique, en sculpture comme en peinture. Dans tous les domaines, il y a des classiques, qui ne sont pas des modèles, mais les meilleures productions du passé. On ne peut qu’être en continuité avec elle.

Le capitalisme implique inversement le renouvellement absolu des marchandises, il ne laisse donc aucun espace possible au classicisme. Il fait la promotion du subjectivisme. La fantasmagorie de « changer de sexe » est le paroxysme du culte absolu de l’ego consumériste qui « façonne » sa réalité au moyen de choix consommateurs.

Le capitalisme désormais tout à fait développé supprime donc l’idée même de classicisme. Il n’y a plus aucun domaine où le capitalisme fait semblant d’assumer une continuité culturelle. Tout est renouvelable, tout est renouvelé, de manière ininterrompue. Même les Beatles ou Mozart apparaissent comme des fantômes du passé, des reliquats d’une époque de toute façon lointaine et obscure.

Ce qui compte, pour le capitalisme, c’est le présent de la consommation. Pour les plus souffrants de cela, il y a la religion pour apporter de la transcendance. La consommation se maintient cependant, toujours victorieuse, toujours hyperactive. Il ne saurait y avoir de classiques à l’époque de Facebook, Instagram, Tiktok et Twitter.

Il n’y a pas de place pour la peinture de Léon Lhermitte, admirable peintre réaliste du 20e siècle, à une époque où ce qui compte c’est la nature consommée d’un produit. Rien ne doit pouvoir se maintenir et devenir culture, rien ne doit dépasser le cadre du marché.

Léon Lhermitte, Le repas de Midi

Dans les années 1960, il y a eu en France des révolutionnaires. Ils n’avaient aucune chance de réussir : quelle crédibilité avaient-ils face à des bourgeois maîtrisant un haut niveau de culture, d’intellect, de mœurs ? Désormais totalement décadente, la bourgeoisie ne fait même plus semblant. Elle a jeté toute prétention de continuité culturelle par-dessus bord.

La bourgeoisie française se conçoit comme un simple appendice de la bourgeoisie américaine, au point que tous les enfants des classes supérieures vont faire des études aux États-Unis, ou bien en Angleterre ou dans un autre pays, suivant les moyens. La bourgeoisie française est devenue cosmopolite ; que ce soit le bobo de l’Est parisien ou le bourgeois « old money » de l’ouest parisien, tous ont presque la même mentalité, pratiquement les mêmes approches, au fond la même sensibilité.

Libéralisme et relativisme ont des poids différents chez les uns et chez les autres, mais tous sont d’accord pour procéder à la grande liquidation. Tout se vend, tout s’achète, on peut discuter à quel prix et dans quelle mesure, mais c’est la tendance de fond.

Il n’est plus de place pour l’harmonie, pour le sens classique. C’est tellement vrai que le réalisme socialiste est absolument incompréhensible pour les bourgeois. Ils n’ont jamais su ne serait-ce que comprendre le concept. Quiconque a compris le classicisme saisit inversement tout de suite le réalisme socialiste soviétique dans l’architecture par exemple : rien qu’à voir, on comprend directement.

Pont Bolchoï Krasnokholmski, Moscou

Le capitalisme a supprimé en pratique les catégories de beau, de laid, d’harmonieux, de constructif… car ce qui l’intéresse, c’est une mentalité maladive de consommation sans cesse renouvelée. C’est la tentative de supprimer l’Histoire, la continuité de la culture, tout ce qui aboutit à des sauts dans le domaine de la civilisation. Le capitalisme enserre tous les domaines de la vie, afin d’empêcher qu’on le remettre en cause.

Le classicisme est à ce titre révolutionnaire. Il représente la possibilité d’une continuité de l’Histoire, d’une transformation de l’Histoire vers le meilleur. Qui se place en-dehors du classicisme se place en-dehors de l’Histoire, en-dehors de la vie elle-même… et se retrouve condamné à errer dans une consommation permanente, sans signification ni sens.

Le drapeau rouge porte en ce sens le classicisme, comme vecteur de la civilisation harmonieuse !

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Politique

Retraites : la France des pleurnicheries

La France est régressive.

Plus de 15 millions de téléspectateurs ont écouté l’allocution présidentielle d’Emmanuel Macron le 17 avril 2023. Naturellement, quelques centaines de personnes se sont regroupées dans la foulée, dans quelques villes (Paris, Rennes, Grenoble…), notamment pour chercher à jouer les casseurs, surtout à Lyon.

Mais surtout, ce sont les réactions du 18 avril qui sont exemplaires. Exemplaires de quoi ? Exemplaires de ce qu’il ne se passe rien en France. Il n’y a aucune mobilisation morale, intellectuelle, culturelle. Les gens sont asséchés par le 24 heures sur 24 du capitalisme. Ils n’ont aucune force.

On le voit, dans la vie quotidienne. On le voit, dans le travail politique. Et on le voit dans l’implication intellectuelle et culturelle. Agauche.org existe depuis décembre 2017, avec pratiquement 3000 articles. C’est un média qui est lu, naturellement pas assez et à la marge, mais suffisamment pour avoir un aperçu des tendances.

Et il n’y a pas de tendance, il n’y a rien. C’est exactement pareil lorsque nous avions annoncé six mois avant son déclenchement le conflit armé en Ukraine. Nous avions six mois, en fait même un peu plus, de documents à ce sujet, et personne n’est allé voir.

Il faut assumer : les gens se moquent de tout, ils ne percutent rien. Il est bien sûr toujours possible d’aller jouer au militant, au casseur, lors des manifestations et des mobilisations. Il en a toujours été ainsi. Mais ça ne rime à rien.

D’ailleurs, que propose désormais Emmanuel Macron ? Un « pacte de la vie au travail ». Il a rencontré le 18 avril les représentants des organisations patronales : le Medef, la Confédération des PME (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P) .

Les syndicats des travailleurs ne sont pas venus, mais ils y viendront. Car leur fond de commerce, c’est de « réformer » la vie salariale – autrement dit, de moderniser le capitalisme.

Et les Français sont satisfaits, même si critiques, d’une telle vie dans un capitalisme moderne. Objectivement, ils attendent tous que la Russie perde face à l’Otan, qu’elle rejoigne le tiers-monde, comme ça on pourra l’exploiter comme il faut pour maintenir le niveau de vie dans la société de la consommation.

Les réactions à l’allocution présidentielle relèvent donc de la mythomanie. Emmanuel Macron serait « complètement hors la réalité » selon Jean-Luc Mélenchon. La dirigeante de la CGT Sophie Binet a annoncé que « il n’y aura pas de retour à la normale tant qu’il n’y aura pas de retrait de la réforme des retraites ».

Ben voyons. Sauf que tout est normal, que les mobilisations n’ont en rien modifié une réalité qu’elles ne font qu’accompagner. Tout ça, ce sont des pleurnicheries. Et qui cela va-t-il aider ? L’extrême-Droite avec Marine Le Pen.

Car c’est indéniable : la fascination pour Marine Le Pen de la part des couches populaires n’a pas du tout faibli ces derniers mois, voire même elle s’est renforcée. C’est là une preuve indéniable de l’échec formel du mouvement de lutte contre la réforme des retraites.

Aucune estime pour la Gauche, aucun intérêt pour les idées de la Gauche, aucune assemblée générale réelle, soumission à l’intersyndicale, maintien des démarches corporatistes… Le bilan est désastreux.

Et toute l’ultra-gauche, tous les syndicalistes qui ont contribué à masquer ce bilan désastreux en sont les complices. Tous les gens qui ont prétendu que quelque chose pouvait en sortir de bon n’auront été que les ennemis politiques de la Gauche historique, les valets du réformisme et de l’anarchisme, ces deux aspects de la même pièce.

Seul le travail de fond a un sens, une valeur historique. Certainement pas le misérabilisme dans un des pays les plus riches du monde qui relève du dispositif américain pour faire la guerre à la Russie aujourd’hui, à la Chine demain.

La vérité est simple : qui ne veut pas rompre avec l’hégémonie de l’occident est obligé de converger avec lui ! Et de s’aligner sur le 24 heures sur 24 du capitalisme.

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Restructurations économiques

Le PCF et la CGT rêvent d’un 19 janvier 2023 de masse

Comme d’ailleurs toute la gauche du capitalisme français.

Si la réforme des retraites passe sans « contestation », le grand risque est que la contestation ne soit plus réformiste, qu’elle s’exprime depuis le capitalisme lui-même. Telle est la grande peur de la bourgeoisie, mais également de tous ceux qui vivotent du « militantisme » misérabiliste au sein d’une des grandes puissances économiques mondiales.

Il faut bien parler de misérabilisme. Voici le texte de la… pétition de la CGT. Une pétition ! Voilà le niveau où est tombé le syndicalisme français. Une pétition pour dire littéralement « Bouh la réforme est vilaine ».

Pétition

Le gouvernement a annoncé le report de l’âge de la retraite à 64 ans avec un allongement accéléré de la durée de cotisation.

Cette mesure est injustifiée : le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) l’indique clairement, le système de retraites n’est pas en danger. Il n’y a aucune urgence financière. 

Cette réforme va frapper de plein fouet l’ensemble des travailleurs, et plus particulièrement ceux qui ont commencé à travailler tôt, les plus précaires, dont l’espérance de vie est inférieure au reste de la population, et ceux dont la pénibilité des métiers n’est pas reconnue. Elle va aggraver la précarité de ceux n’étant déjà plus en emploi avant leur retraite, et renforcer les inégalités femmes-hommes.

Ce projet gouvernemental n’a rien d’une nécessité économique, c’est le choix de l’injustice et de la régression sociale.

Renforcer notre système de retraites nécessite en revanche des mesures de progrès et de partage des richesses.

D’autres solutions sont possibles ! Je soutiens la mobilisation intersyndicale et je m’oppose à cette réforme: « je signe la pétition »

Qu’on ne nous fasse pas croire que la signature de 350 000 personnes est une avancée historique, un progrès des consciences, une avancée sur le plan de l’organisation. C’est juste pathétique. On fonce dans la troisième guerre mondiale et on a ça. C’est fou.

Mais cela a un sens, historique. Le sol se dérobe sous les pieds de tous les alliés objectifs du capitalisme, de tous ceux qui servent à sa pacification sociale, aux accords corporatistes, à la corruption des masses.

Voilà la vraie raison pour laquelle tous les syndicats en intersyndicale (CFDT – CGT – FO – UNSA – FSU – CFE-CGC – CFTC – Solidaires), l’ensemble de la gauche associative et « militante »… se mettent en branle pour que la manifestation du 19 janvier contre la réforme soit une réussite. Il en va de leur crédibilité, de leur légitimité…

Si c’est l’échec – et ce sera l’échec de toutes façons – les choses iront d’elles-mêmes sans eux, et même contre eux.

Le secrétaire national du Parti communiste français, Fabien Roussel a ainsi expliqué dans le Journal du Dimanche que le 19 janvier 2023 était la seule chose qui comptait :

« On n’avait pas vu une telle intersyndicale depuis douze ans. Elle nous oblige, nous, forces de gauche. Communistes, socialistes, Insoumis, Verts, nous sommes aussi unis pour nous opposer au projet du gouvernement.

Dès le 17 janvier, avec les quatre leaders de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale [Nupes], nous lancerons une campagne de meetings communs au gymnase Japy, à Paris. L’enjeu pour la gauche est d’incarner une alternative de progrès. La Nupes appelle à manifester le 19 janvier afin de grossir les cortèges syndicaux.

Public, privé, jeunes, retraités, nous devons tous sortir massivement jeudi prochain pour dire non à cette réforme. Soyons 1 million à déferler dans la rue. Il n’y a que ce rendez-vous qui compte. »

Un million de personnes, quel populisme ! Jamais il n’y aura un million de personnes conscientes dans la rue. Et si on parvient à une telle quantité, cela sera au prix d’une déficit terrible de qualité, avec un esprit gilets jaunes et des gens s’orientant plus par rapport à Marine Le Pen qu’autre chose.

Il suffit de constater le niveau culturel et idéologique des travailleurs dans le pays. Toute la société française est imbibée de capitalisme, à tous les niveaux de la vie quotidienne.

Ces appels à ce que le privé se mobilise sont également d’une immense hypocrisie, alors que les syndicats n’existent somme toute que dans le public et que la manifestation a lieu comme d’habitude en semaine. Rien qu’avec ça on voit qu’on est dans la fiction de secteurs protégés du capitalisme français qui sentent que désormais leur statut à part va être abandonné…

Fabien Roussel a en fait la trouille, comme le révèle le propos suivant :

« Est-il responsable en pleine crise, en peine guerre, en pleines difficultés pour les salariés et les chefs d’entreprise, de mettre à l’ordre du jour un projet aussi dur pour les Français ?

Emmanuel Macron va plonger le pays dans un énorme désordre. Le Medef devrait hurler que cette réforme arrive maintenant ! »

Le désordre, voilà la grande peur d’une gauche du capitalisme qui ne combat nullement l’Otan et soutient tacitement la guerre faite contre la Russie. Ce dont elle rêve, c’est de stabilité, pour maintenir son existence. C’est pour cela qu’il veut que la manifestation du 19 janvier 2023 réussisse à tout prix. Sinon, les fractures au sein de la société capitaliste française vont précipiter des choses bien plus dures…

Philippe Martinez, le dirigeant de la CGT, ne dit pas autre chose, mais lui ne veut pas un million de personnes, il en veut carrément plusieurs millions, comme il l’a expliqué à BFMTV-RMC :

« Le 19 janvier, il faut des millions de personnes en grève et dans la rue. »

Tels sont les rêves de corrompus ayant bien profité du capitalisme lors de sa croissance depuis 1945. La crise de 2020 les met le dos au mur. Ils sentent qu’ils n’ont plus leur place, ils s’agitent vainement, ils tentent de prétendre représenter quelque chose.

C’est à ces vanités que sert le mythe mobilisateur de la « grève générale ». On peut être certain même que les plus hystériques viseront à du « spectaculaire » afin de se prétendre « révolutionnaire » aux yeux des masses.

Tout cela n’a rien à voir avec la Gauche historique. Tout cela ne fait que relever du panorama de l’effondrement de l’occident.

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Restructurations économiques

La réforme des retraites 2023 ou le dilemme du petit-bourgeois français

Lutter contre la réforme alors que le monde plonge dans la guerre mondiale?

Les Français ont des espérances petites-bourgeoises ; ils n’ont aucune autre ambition à part celle de profiter d’une vie individuelle, à l’écart de soucis, en passant le temps de manière plutôt agréable. Ce sont des beaufs façonnés par le terrorisme de la société de consommation.

Ce point de vue est juste car il se place d’un point de vue historique, international. La preuve flagrante, c’est que la France est dans l’Otan et appuie à fond le régime ukrainien, sans que cela ne dérange personne dans le pays.

Naturellement, si l’on voit les choses depuis l’intérieur de l’Occident, on s’imagine qu’au contraire les Français sont pauvres et combatifs, et que la France n’est pas vraiment en guerre, voire pas du tout.

C’est là où la question de la réforme des retraites qui se joue au début de l’année 2023 a son importance. Sur le fond, c’est une restructuration économique. Il s’agit de rogner des acquis, parce que les bilans comptables ne sont vraiment pas bons.

Par conséquent, il s’agit de faire passer l’âge de la retraite à 64 ans au lieu de 62, de faire sauter les régimes spéciaux, de jouer sur la pénibilité pour faire vaciller les acquis en place.

Ça, c’est le côté capitaliste de la question.

Sur la forme, c’est une question qui se place sur le terrain du compromis entre travail et capital. Les syndicats font office d’intermédiaire afin de négocier la réforme, l’objectif étant de maintenir le compromis général, pour que les choses ne tanguent pas.

Ça, c’est le côté réformiste – syndical de la question.

Maintenant, y a-t-il un autre aspect? La réponse est non. Cela tient à la nature de la société française. Divisons la en trois catégories.

Il y a les vieux, qui ont 50, 60, 70 ans ou plus. Avec eux c’est très simple, ils n’en ont rien à faire de rien. Après moi le déluge et ils sont bien contents de ne pas avoir à vivre ce qui va les suivre. Ils ne s’en cachent pas du tout. Ceux-là on peut les oublier.

Il y a les adultes, qui ont 30, 40 ans. Avec eux, c’est très compliqué: ils sont dans le feu de l’action du travail, mais ont bazardé tous leurs rêves adolescents et se tournent vers une nostalgie régressive d’autant plus qu’ils ne comprennent rien à ce qui se passe. Ils rêvaient de profiter d’un capitalisme à visage humain. La retraite les angoisse, mais dans un sens petit-bourgeois, car leur rêve c’est d’être propriétaire ou de préserver leur propriété.

Il y a les jeunes, adolescents ou qui ont la vingtaine. Ils sont blasés et ne font confiance en rien, ne croient en rien, ne savent rien. Ils sont une page blanche produite par l’Histoire. Et on voudrait faire de la question des retraites des lignes d’or sur ces pages blanches?

Car c’est bien le but de la gauche de la gauche qui fantasme d’une grève générale en France, qui si elle arriverait serait une caricature bouffonne de mai 1968.

Hors de question de participer à une telle fumisterie. L’actualité c’est la troisième guerre mondiale. Soit l’Occident tombe et la révolution devient possible, soit il gagne et le capitalisme surmonte sa crise devenue générale pour toute une nouvelle période.

Dans le premier cas, la question des retraites n’a aucun sens alors que le pays deviendra instable, jusqu’à devenir à feu et à sang. Dans le second, elle n’a aucun sens, car elle serait juste un accompagnement du capitalisme occidental se relançant pour toute une période.

L’actualité, c’est la chute de l’Occident, c’est cela qui compte. La réforme des retraites n’a aucune réalité à part celle de l’espoir capitaliste de parvenir à une petite restructuration ou d’un songe petit-bourgeois d’un vie individuelle beauf et consommatrice.

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Société

Il ne s’agit pas d’être « pour » ou « contre » les coupures d’électricité

On se situe au niveau de la civilisation elle-même.

L’annonce de coupures d’électricité par le gouvernement, avec un plan détaillé à ce sujet envoyé à toutes les préfectures, devrait normalement interpeller les gens sur la situation de blocage que vit l’humanité. Mais, cela semble passer comme tout le reste, et c’est normal car il y a là un problème complexe qui exige un niveau de conscience adéquat.

Quand on y réfléchit raisonnablement, on se dit qu’on ne peut ni être « contre », ni être « pour » les coupures d’électricité. On voit d’ailleurs ici combien le populisme style gilet jaune renforce la logique pragmatique de la bourgeoisie qui gère les choses en fonction d’une société minée par une crise profonde.

Pour les populistes, il ne s’agit que d’une « mauvaise gestion » due à deux hommes, François Hollande puis Emmanuel Macron. Par miroir inversé, le gouvernement peut facilement s’appuyer sur la réalité de la guerre en Ukraine, mais aussi et surtout sur l’impact qu’a eu la pandémie sur la maintenance des centrales nucléaires pour dire que le problème vient de là. À « la mauvaise gestion » répond la « gestion du cours des choses ».

Au centre de ce débat, les gens normaux restent désemparés. Il a été compris qu’on avait affaire ici à un problème d’une grande complexité où s’entremêlent de nombreux aspects. A ce titre, il ne faut pas écouter la bourgeoisie qui nous parle d’une succession de crises pour mieux masquer le fait que c’est une seule et même chose qui s’appelle la crise générale du capitalisme en ce début de XXIe siècle, et qui va donc en fait marquer tout ce siècle.

De quoi relèvent les coupures d’électricité ? D’une mauvaise gestion ou d’une nécessité liée à une « conjoncture » ? Évidemment, cela n’est ni l’un ni l’autre : les coupures d’électricité, c’est l’expression émergée du crash du capitalisme, en tant que mode de production apte à reproduire la vie quotidienne des gens.

Derrière les multiples causes que sont la guerre en Ukraine et l’inflation du prix du gaz qui impact, en tant que dernier moyen de production mobilisable pour fournir de l’électricité, le prix général de l’électricité, la sécheresse estivale comme expression de l’écocide qui mine les réservoirs des barrages d’hydroélectricité, sources essentielles pour faire face aux pics de consommation hivernale, et le retard de maintenance de centrales électriques due à la pandémie, il n’y a pas une accumulation d’aspects, mais un seul et même problème qui s’exprime à travers divers phénomènes.

Cet aspect central, c’est le fait que le capitalisme se heurte à son propre blocage historique, blocage qui lui est propre car c’est bien sa dynamique d’accumulation qui a fait entrer l’humanité dans ce mur et continue à le faire en forçant le cours des choses.

C’est finalement la même chose qu’au début de la pandémie, où le confinement était critiqué par certains comme une « gestion du moyen-âge » alors même qu’il ne s’agissait pas de savoir si l’on était pour ou contre, car telle était dorénavant la situation, exigeant d’y faire face, mais de comprendre comment et pourquoi une telle situation minait l’humanité toute entière.

Et comme pour les coupures d’électricité, on trouvait là concentré en lui le réchauffement climatique, la destruction de la nature, l’enfermement et l’anéantissement des animaux, l’asphyxie de la grande ville, etc.

C’est bien là qu’on voit qu’il y a une continuité historique entre les effets de la pandémie et la cause des coupures d’électricité, renvoyant aux oubliettes la logique d’explication de « cause à effets ».

Le rapport bancal de l’Humanité a amené à la situation d’une pandémie historique, bloquant l’ensemble de la production mondiale qui, pour redémarrer dans un cadre capitaliste, donc marchand, a connu des distorsions majeures.

Distorsions qui sont le terrain à l’accentuation d’antagonismes entre puissances, donc à la tendance à la guerre de repartage… mais aussi à des pénuries en tout genre, y compris de main d’œuvre qui minent le travail de maintenance alors même que l’écocide s’exprime toujours plus, comme les canicules et sécheresses majeures de l’été 2022.

Les potentielles coupures d’électricité de l’hiver 2022-2023 ne sont donc pas un « nouveau » phénomène après la pandémie, puis après la guerre en Ukraine et à côté du réchauffement climatique, mais l’expression nouvelle d’un même phénomène, celui de la crise générale du capitalisme.

De fait, les coupures d’électricité ne posent pas la question formelle « pour ou contre », mais bien une problématique d’ordre civilisationnel de type : « comment faire pour ne plus arriver dans une telle situation ? ».

De plus, il est fort à parier que l’anarchie du capitalisme associée à la décadence toujours plus prononcée des couches dirigeantes, cette autre expression de la crise générale, vont donner, si elles ont lieu, une tournure ubuesque à ces coupures d’électricité…

La Gauche historique se doit d’être à la hauteur de sa responsabilité en posant le problème au niveau de la civilisation humaine elle-même et non pas se ranger derrière la critique populiste, ou bien derrière un pragmatisme « de gauche » proposant une « autre gestion » plus « équitable », plus « rationnelle » etc.

On ne peut ni être pour, ni être contre les coupures d’électricité, mais on se doit d’élever le niveau de conscience pour embarquer l’Humanité dans la nécessité d’une nouvelle civilisation qui s’épargnera à l’avenir les régressions qu’elle éprouve depuis maintenant trois ans et qu’elle ne va manquer d’endurer si elle ne s’émancipe par du cours des choses.

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Société

« L’oligarchie financière »

Ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas.

Il existe dans la société des flibustiers de la finance et il est important de les définir adéquatement. Dans l’article « L’affaire Norman témoigne que les youtubeurs sont des déréglés« , il est par exemple noté comment le vrai patron, en ligne droite, du youtubeur Norman, est un milliardaire.

Il est dit de ce youtubeur :

« Ses productions relèvent de Webedia, un groupe de médias français employant 2400 personnes. Et Webedia est une filiale de Fimalac, un monopole s’occupant du divertissement, de l’hôtellerie de luxe, d’immobilier, etc.

Le propriétaire de Fimalac est le milliardaire français Marc Ladreit de Lacharrière, dans le top 30 des plus riches Français, qu est l’administrateur du club Le Siècle et président du comité français du club Bilderberg.

Il y a ainsi une ligne droite allant de Norman le youtubeur qui a l’air sympa et l’oligarchie financière. »

Les relectures avant publication ont porté l’attention sur l’emploi des termes d’oligarchie financière, et plutôt que de rajouter des lignes pas forcément opportunes à ce sujet dans l’article, il a été jugé plus utile de faire partager la réflexion à ce sujet.

Il y a deux inquiétudes qui se sont exprimées en effet. La première touche directement à l’emploi du mot oligarchie. Comme on le sait en effet, les démagogues emploient régulièrement ce mot, afin de cacher l’existence de la bourgeoisie.

Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise dénonce ainsi toujours l’oligarchie qui dominerait la France. L’extrême-Droite est friande d’une approche similaire, même si historiquement elle parle de « ploutocratie », afin d’éviter d’avoir à employer le mot oligarchie.

Une oligarchie consiste en effet en la domination d’un groupe restreint de gens, et l’extrême-Droite n’est pas contre le principe, au nom d’un « esprit aristocratique » (en fait mythomane ou reflet d’une oligarchie réelle).

La seconde inquiétude porte sur la définition des couches sociales. Ne vaut-il pas mieux en effet parler de la grande bourgeoisie, ou bien éventuellement de la très haute bourgeoisie?

Regardons ce qu’il en est en commençant avec une peinture illustrant bien le concept d’oligarchie : La fin, de Mikhail Vasilevich Kupryaniv, de 1951 (donc de l’époque du réalisme socialiste).

Ce tableau a une portée réaliste, car il montre la fin décadente d’une couche très restreinte de la société prétendant former une élite. Le caractère chaotique de la scène tranche ici avec le raffinement ou le pseudo-raffinement des objets présents.

C’est important, car une oligarchie, lorsqu’elle existe, est vraiment en rupture matérielle avec le reste de la société. L’oligarchie, lorsqu’elle triomphe dans le capitalisme comme par exemple dans l’Allemagne de Hitler, tient à des centaines de personnes.

Pour la haute bourgeoisie, on parle de milliers de personnes, pour la grande bourgeoisie, de dizaines de milliers de personnes, pour la bourgeoisie aisée de centaines de milliers de personnes.

L’oligarchie a des moyens que n’a pas le reste de la société. Quelqu’un de la haute bourgeoisie, ou même de la grande bourgeoisie, peut aisément prendre un hélicoptère ou un jet privé comme moyen de transport, ou s’acheter une Lamborghini.

Quelqu’un de l’oligarchie ne peut pas le faire : il doit le faire.

Quelqu’un de la haute bourgeoisie, ou même de la grande bourgeoisie, peut chercher à tout prix à influencer l’État et ses décisions. Quelqu’un de l’oligarchie doit le faire.

Il y a, dans l’existence de l’oligarchie, non pas simplement une mise à l’écart, mais un mur infranchissable avec le reste de la société.

C’est la raison pour laquelle la stratégie de Front populaire a été mise en place dans les années 1930. Le fascisme, c’est la prise du pouvoir de la plus haute bourgeoisie formant une oligarchie. La réponse est l’unité populaire pour former une démocratie populaire.

Dans le capitalisme libéral, il n’y a pas la domination d’une oligarchie. L’oligarchie ne se constitue dans le capitalisme que lorsque la concurrence cède la place aux monopoles dans la majeure partie de l’économie, que ceux-ci prennent le contrôle direct de l’appareil d’État. Une oligarchie se constitue alors durant ce processus et se cimente avec le fascisme.

Le socialiste hongrois émigré à Paris József Diner-Dénes écrit ainsi avec raison dans le quotidien de la SFIO Le Populaire du 24 avril 1927 que :

« Pour comprendre la politique intérieure, et même extérieure du Japon, il faut comprendre sa structure politique et sociale. Aujourd’hui, comme dans le passé, c’est l’oligarchie des anciens grands clans qui domine. »

Par contre, les sociologues pseudo-populaires Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont totalement tort d’expliquer en 2021 dans le quotidien bourgeois Le Monde que « Nous vivons sous le régime de l’oligarchie financière ».

Si c’était vrai, la France aurait un régime fasciste, et les monopoles prédomineraient entièrement. Ce n’est pas le cas. Pas encore.

De plus, l’oligarchie que met en place le fascisme, comme fusion de la tête de l’État et de la plus haute bourgeoisie, sous la direction de cette dernière, n’est pas simplement une « oligarchie financière », malgré les mots utilisés. C’est une oligarchie industrialo-financière, le second aspect étant principal.

Lénine, par exemple, dans son fameux ouvrage L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, note comment l’oligarchie financière l’emporte sur les autres variantes de capital, non pas à l’écart de l’économie, mais en en prenant le contrôle.

Il n’y a pas d’un côté l’industrie qui souffre et de l’autre les vilaines banques. Cela, c’est le national-socialisme qui le prétend. Dans le capitalisme devenant monopoliste, l’industrie fusionne avec le capital financier, ce dernier étant l’aspect principal dans le processus.

Dans le cas du youtubeur Norman par exemple, c’est l’entreprise Webedia qui s’occupe de lui. C’est l’aspect industriel. Mais l’entreprise appartient à une autre entité, totalement aux mains d’une seule personne. C’est la dimension financière.

C’est une réalité industrialo-financière.

Et cette personne qui possède l’entreprise (financière) qui possède l’entreprise (industrielle) est milliardaire, faisant partie de la base très étroite de gens ayant un capital démesuré en leur possession. C’est l’oligarchie financière.

Ses membres ne vivent pas comme des grands bourgeois, et leurs ambitions sont autres d’ailleurs. C’est une couche sociale portée par l’accumulation du capital, elle va toujours plus prendre les contrôles de l’économie et de l’État, elle va prendre le pouvoir avec le fascisme et systématiser la tendance à la guerre, à moins de l’empêcher.

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Coupe du monde 2022 : défaite morale de la France

Les audiences ont été massives, le boycott inexistant.

L’équipe de France de football a perdu la Coupe du monde de football 2022, mais la France a perdu bien plus : son âme, et son esprit. La France, les Français, ont choisi de vendre leur âme au diable qatari sans aucun scrupule, ils ont choisi d’avoir mauvais esprit. Rien ne semble pouvoir arracher les Français à leur train-train quotidien, eux qui mangent allègrement dans la soupe capitaliste, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

L’attribution de cet événement au Qatar avait pourtant provoqué un haut-le-cœur en France, en tous cas chez les gens ayant une morale. Déjà, car c’était évidemment le fruit d’une corruption, le dossier qatari auprès de la Fifa ne valant rien. Le pays est minuscule (la taille de la Corse, dont du désert), il n’y a pas de culture populaire liée au football, il n’y avait qu’un seul stade dans le pays.

Tout cela n’avait aucun sens, et il a fallu l’intervention directe notamment de Nicolas Sarkozy, très proche du régime au pouvoir au Qatar, pour que ce lamentable spectacle puisse avoir lieu. Contre toute attente, l’ancien footballeur français Michel Platini, habilité à voter pour l’attribution de ce mondial, avait alors choisi le Qatar, expliquant ensuite que le président français le lui avait demandé.

C’est odieux, et rien que pour cela il y avait en France l’obligation morale, politique et culturelle, de boycotter l’événement. Au nom du refus de ces gens ultra-riches et puissants façonnant le monde à leur manière, selon leurs intérêts, contre toute démocratie.

D’ailleurs, le Qatar correspond tout à fait à ce que les bourgeois nomment habituellement une dictature. Mais comme le Qatar est ami de la France bourgeoise, alors il n’est jamais dénoncé comme dictature. Quand on voit avec quel acharnement il est dénoncé la Russie, qui a pourtant une constitution, un parlement, des élections…

Il n’y a rien de tout cela au Qatar, qui est dirigé entièrement par une famille faisant la pluie et le beau temps, comme au début Moyen Âge avec les seigneurs locaux dans les coins reculés. C’est la charia, la loi islamique, qui prime sur place (en tous cas officiellement, car les élites du régime ne se gênent pas pour mener une vie de débauche en occident). Le Qatar est également très connu pour être un grand financeur de l’islamisme dans le monde, y compris en France, via notamment les Frères musulmans.

Mais ce n’est pas tout, puisqu’une fois les choses lancées, il y a eu de nombreuses autres raisons pour rejeter ce mondial abject. Parce que le Qatar a fait construire des stades immenses qui ne serviront à rien (voir notre article), parce que de la climatisation y a été installée dans l’idée, à l’origine, de jouer les matches par minimum 40°C.

Et puis il y a eu la question de l’exploitation des travailleurs sur les chantiers, des immigrés servant dans des conditions effroyables à un rythme endiablé et avec une pression maximale, tout cela pour servir quelques milliers de futurs touristes du ballon rond qui n’auront été présents sur place qu’un mois à peine.

Il y a même eu le service public français y mettant du sien, tellement c’était odieux, pour dénoncer ces conditions de travail avec des reportages à heure de grande écoute. On pouvait se dire qu’il se passerait quelque chose, que la France allait exister, qu’un esprit français, à la fois rationnel et « rentre dedans », plein de panache, allait prendre le dessus, que la Coupe du monde serait boycottée par beaucoup de gens non dupes de ce sinistre spectacle.

C’est exactement le contraire qui s’est produit. Les audiences ont été excellentes, les voix du boycott inaudibles. La chaîne BeIn sport (qui appartient au Qatar) revendique un demi-million d’abonnés supplémentaires en France liés à l’événement. Lors de la demi-finale de la France contre le Maroc, il y a eu 21 millions de téléspectateurs selon Médiamétrie, presque autant que lors du record absolu qui a même probablement été battu dimanche après-midi, le 18 décembre, pour la finale France – Argentine.

Tout est dit avec ce discours triomphant de l’horrible Grégoire Margotton, commentateur, interviewé par le tout aussi lamentable TV magazine à l’occasion de la finale.

« Les chiffres d’audience sont stratosphériques. Au regard des appels au boycott, et des polémiques qui ont ponctué l’avant-compétition, vous attendiez-vous à de tels résultats?

Je ne m’attendais à rien du tout. Ce que je savais intimement, c’est qu’à partir du moment où le ballon commencerait à rouler, les téléspectateurs regarderaient.

Même si on a une conscience politique et philosophique, même si on sait dans quel contexte cette Coupe du monde a été attribuée et dans quelle condition elle se déroule, on ne va pas faire porter aux footballeurs le poids et la responsabilité de tout cela.

On est chez soi, avec des copains, on attend cet événement tous les quatre ans et on a le droit de profiter d’un match sans mauvaise conscience. Le boycott télévisuel, je n’y croyais pas une seule seconde.

Après, ça n’empêche pas de parler du Qatar. On continuera à souligner les choses négatives, mais on peut aussi souligner les points positifs dans l’organisation de cette compétition. »

Voici donc la réalité du pays. Le capitalisme n’est plus du tout conquérant en France, il est absolument et entièrement installé, solidement implanté dans les corps et les esprits.

Il n’y a plus de place pour la réflexion et la rebellion, le pays est d’un conformisme hallucinant et d’une apathie déconcertante.

L’absence d’un mouvement de boycott est un échec moral monumental qui laissera des traces dans les années à venir. Il y a tout à reconstruire pour la Gauche, et chaque jour qui passe fait qu’il faut partir d’encore plus loin. Il n’y a franchement plus grand-chose à garder de cette France en dessous de tout et de ces Français minables.

La crise et la crise elle seule est en moyen de porter une dévastation brisant cet édifice – c’est de là qu’il faut partir stratégiquement pour aller à la victoire du Socialisme.

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Restructurations économiques

Les coupures d’électricité posent encore une fois la question de l’opposition ville/campagne

Le chaos du développement propre au capitalisme s’exprime ici.

La situation énergétique en France est catastrophique. Dès cet été, comme il l’avait été remarqué sur agauche.org, un membre de la majorité présidentielle promettait « du sang et des larmes » pour cet hiver.

Nous y voilà et le gouvernement tente de sauver ce qu’il peut sauver en assurant une continuité des activités tout en annonçant clairement de possibles délestages, c’est-à-dire concrètement des coupures d’électricité.

Et lorsque le capitalisme est confronté à une crise d’une telle ampleur, il fait payer les pots cassés aux classes populaires qui sont sa variable d’ajustement.

Cette situation se comprend bien à travers la lecture de l’opposition ville/campagne, que les coupures d’électricité risquent de mettre encore une fois à nu.

En effet, dans son annonce d’un plan de coupures d’électricité, le gouvernement a repris une circulaire du 5 juillet 1990 qui prévoit l’organisation de délestage par zone, en excluant 14 000 sites prioritaires et secrets, mais dont on se doute qu’ils rassemblent les lieux de sécurité, de santé et de la défense.

Cela signifie qu’il sera procédé au cas échéant à des coupures sur des zones d’environ 2 000 habitants qui sont raccordées à la même ligne électrique, soit entre 8h et 13h, soit entre 18h et 20h. Sauf si cette même ligne alimente un site prioritaire !

Ce sont 40 % de la population qui sont quasi certains d’échapper à ces coupures parce qu’ils vivent dans un quartier relié par leur ligne électrique à un site prioritaire. Ainsi de nombreux foyers de grandes villes comme Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes, vont voir le risque de coupure amoindri car la densité urbaine est telle qu’il sont forcément rattachés à une ligne alimentant un site stratégique.

D’ailleurs, si l’on peut parler de délestage pour un quartier en ville, ce sera plusieurs communes en campagne.

On pourrait se dire « ô et bien c’est comme ça »… Or non car c’est là l’expression de tout un développement réalisé par le capitalisme, ou plutôt à travers le capitalisme, et son anarchie intrinsèque.

Car ce que cela signifie c’est qu’il y a une majorité de gens qui sont éloignés de sites qualifiés de prioritaires mais en fait essentiels à la vie quotidienne, tel un hôpital, un commissariat, une caserne de pompier, etc.

Ce n’est pas un hasard si plus de 6 millions d’habitants vivent à plus de 30 minutes d’un service d’urgence, l’immense majorité vivant à la campagne.

A ce titre, un scénario parlant serait celui de la perte d’accès aux donnés mobiles téléphoniques (4g et mobile) car l’antenne relais à côté de chez soi serait touchée par un délestage alors que ne le serait pas l’électricité courante pour chez soi car la ligne serait différente que celle alimentant l’antenne téléphonique !

Dans les grandes villes, ce risque serait là aussi moins prononcé du fait d’un réseau bien plus dense d’antennes relais mobiles qu’à la campagne…

Cela montre combien le capitalisme a concentré ses éléments clefs en ville et sa proche périphérie, à commencer par sa matière humaine tels les cadres supérieurs, les ingénieurs, les directeurs et présidents-directeurs, etc., et les infrastructures fondamentales.

Alors qu’il a dans le même temps expulsé dans la campagne les prolétaires qui travaillent dans des zones industrielles infâmes, se déplacent en voiture sur des routes dangereuses tout habitant dans des maisons uniformisées et loin de tout…

Et maintenant, à ce triste panorama, il faut s’imaginer la pagaille que va être la fermeture de l’école délestée et l’absence de feux de circulation…

Le délestage de l’électricité révèle en fait tout le pourquoi du comment le capitalisme est un mode de production qui est périmé…parce que cette situation est l’expression de tout un système bancal, inégal et anarchique, et que la propension qu’a prise l’opposition ville/campagne illustre parfaitement.

La bourgeoisie croit ainsi qu’il suffit de faire un plan pour « s’adapter » aux « crises », mais c’est une illusion qui masque le fait que c’est bien tout le développement des choses qui est à revoir.

Sans même parler que ces délestages sont le résultat nécessaire de toute une situation historique marquée par la guerre (de repartage) en Ukraine ainsi que par l’écocide (effets de la pandémie sur les retards de maintenance des centrales, sécheresses pour les barrages hydroélectriques…).

Bref, c’est tout le logiciel de civilisation qui est à revoir et au coeur de ce reformatage, il ne peut y avoir que les prolétaires, marqués au fer rouge par l’opposition ville/campagne et qui s’ils s’emparent de la Gauche historique, seront à même de tout surmonter.

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Société

Les fichiers clients du capitalisme sont statistiques

Le capitalisme n’a pas besoin de personnaliser, mais d’individualiser.

L’entreprise Camaïeu s’est retrouvée en faillite fin septembre 2022, fermant 511 magasins et licenciant 2111 personnes. Le processus de liquidation devait voir la vente de son fichier clients. On parle ici de 3,8 millions de clients, sur les 12 derniers mois.

Comment un tel chiffre, un tel nombre de clients, permet de se retrouver en faillite, c’est une autre histoire. Mais donc, le fichier devant être vendu n’a pas pu l’être début décembre 2022, avec le logo, le nom etc.

Finalement, il a été enlevé de la vente. La Commission nationale informatique et liberté (CNIL) a en effet expliqué qu’il fallait le consentement de chaque personne ayant donné ses informations.

Il est important de comprendre pourquoi une telle vente a pu être stoppée, et pourquoi ça ne change rien au principe.

Il est bien connu que les grandes entreprises récupèrent le maximum de données sur leurs clients. De nombreux outils gratuits qu’on trouve sur internet, comme le moteur de recherche Google, retiennent les informations ou du moins des informations.

Pareillement lorsqu’on fait un achat et qu’on fournit ses coordonnées, un profil est établi. Quand on rentre dans un magasin, il y a également des données du téléphone qui peuvent être utilisées.

Tout cela est stocké et utilisé. Les grandes entreprises raffolent de ces données, qu’elles cherchent à collecter au maximum. De manière légale, tant qu’à faire. Mais on se doute, à moins de croire en la candeur des capitalistes et au caractère incorruptible de la société capitaliste, que sous le manteau des fichiers circulent.

Rien de neuf sous le soleil et la plupart des gens s’en moquent, une minorité trouvant ça cependant très désagréable et cherchant à l’éviter le plus possible. Cela tourne également à l’obsession dans une frange petite-bourgeoise détestant le « contrôle » et le principe même de société organisée, ou d’État.

Il est toutefois quelque chose d’essentiel à comprendre, et qui est expliqué dans l’article Google, Facebook, Youtube, Instagram: la civilisation chaîne de Markov.

Les données personnelles sont recueillies, parce qu’une personne concrète les donne, plus exactement les fournit légalement.

Mais ces données deviennent ensuite individuelles pour les statistiques. Les noms et adresses peuvent disparaître, cela ne change rien. Ce que les grandes entreprises veulent, c’est une lecture des processus des choix effectués.

Si les données permettent de savoir que tant de personnes d’un macbook surfant entre 19h et 21h préfèrent acheter un pot de fleurs beige plutôt que bleu ou jaune, c’est parfait. Il n’est pas besoin d’en savoir plus.

C’est pour cela que juridiquement il y a plein d’obstacles à la rétention d’informations personnelles, mais qu’une vaste quantité d’informations individuelles circule avec l’utilisation des téléphones portables, ainsi que des ordinateurs et des tablettes.

Qualitativement les entreprises ne connaissent pas les personnes, si l’on veut, par contre elles ont une masse d’informations formant une quantité leur permettant une activité commerciale de haute intensité.

Voilà pourquoi la CNIL peut stopper la vente d’un fichier client. Cela n’empêchera pas le capitalisme de dormir!

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Société

Coup de pression des grands laboratoires pour préserver leurs marges de profit

L’État est incapable de collectiviser ce secteur de la santé.

À partir du 14 novembre une prétendue grève est déposée par le syndicat « Alliance de la biologie médicale » (ABM), suite à la volonté du gouvernement de « récupérer » 250 millions d’euros chaque année pendant 4 ans en réduisant les tarifs des actes pratiqués par les laboratoires.

En signe de protestation, de nombreux laboratoires ont décider de fermer leurs portes en plus d’avoir suspendu les remontées du nombre de tests covid positifs. Les dirigeants des groupes de biologie médicale, représentés par l’ABM ont proposé une contribution exceptionnelle en rapport avec les profits des seules années 2020 et 2021.

Derrière cette alliance syndicale, on retrouve les plus gros laboratoires de France tels que Biogroup un leader européen avec 25 % de parts de marché dans le secteur, ou encore le groupe Inovie qui possède plus de 500 laboratoires en France et Cerba Healthcare, 600 laboratoires en France et présent dans 11 pays d’Afrique qui est également signataire de la « grève ». À eux trois, BiogroupInovie et Cerba représentent 40 % du marché.

C’est que le secteur est soumis à d’intenses fusions-acquisitions depuis les années 2000, pour arriver à une situation rapprochant chacune de ces enseignes d’une situation de monopole. En France il y avait 5000 enseignes de laboratoires en 2008, aujourd’hui elles ne sont plus que 400.

À ce titre, le chiffre d’affaire de Biogroup est passé d’un chiffre d’affaire estimé à 600 millions en 2019 à 950 millions d’euros en 2020, 1,3 milliards en 2021. Celui d’Inovie de 465 millions en 2019, à 741 millions en 2020, un peu plus de 1 milliard en 2021. Chez Cerba on est autour du milliard en 2019, 1,3 milliard en 2020 et 1,5 milliards en 2021.

On voit donc bien que les profits de ces groupes ne datent pas du covid et que la privatisation de la santé est un problème général, mais ceux-ci ont en effet augmenté de 85 % durant la pandémie.

Mais ce qu’il faut saisir, c’est que plus le capital grossit, plus d’argent est emprunté, le covid et la confiance des marchés dans ce secteur en ayant amplifié le montant. Ainsi par exemple Biogroup a emprunté un total de 2,8 milliards d’euros en 2021 afin de stabiliser son capital et pouvoir continuer sa série de rachat de laboratoires en France et en Europe.

Il y a donc d’un côté une intense activité de concurrence nécessitant toujours plus d’emprunts pour ne pas perdre sa place, de l’autre, tout ce beau monde s’organise pour la défense de leur intérêt commun à pouvoir continuer à se manger entre eux.

C’est cela que défendent les syndicats de biologistes en fermant les laboratoires qui, plutôt qu’une grève, est un véritable coup de force antipopulaire pour faire pression sur le gouvernement.

C’est un secteur qui a eu un rôle de premier ordre d’un point de vue social durant la pandémie de covid-19, mais les premières lignes étaient davantage les étudiants en médecine, les secrétaires, les employés de laboratoire, les transporteurs des écouvillons que l’Alliance de la Biologie Médicale. Si l’on parle de grève, on s’attendrait à avoir l’avis de ces personnes sur les bénéfices faits par le cartel des biologistes…

Malheureusement l’activité exemplaire de ce secteur ne permet pas une collectivisation de cette richesse pour l’ensemble du secteur de la santé : l’hôpital public, les EHPAD qui sont dans un état catastrophique.

On est face à une contradiction typique de notre époque. La pandémie avait en effet obligé le gouvernement à faire un pas dans le collectivisme en tentant de faire primer le bien-être collectif dicté par la lutte contre le virus avec la politique du « quoiqu’il en coûte ».

Désormais tout un pan de l’économie s’apprête à s’écrouler avec le retour du libéralisme débridé et l’État ne veut assumer ce qui va avec, c’est-à-dire l’austérité en rognant sur les budgets de la sécurité sociale. Alors il tergiverse et s’enfonce dans ses propres contradictions, soulevant une pierre bien trop grosse pour lui : grappiller quelques miettes de profits pour mieux esquiver la nécessité de collectiviser les laboratoires de biologie médicale.

Car collectiviser le secteur de la santé est comme ailleurs une urgence d’époque que seule la Gauche historique est en mesure d’assumer.

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Guerre Refus de l’hégémonie

La fin de l’utopie bourgeoise

L’utopique mondialisation s’est une nouvelle fois évanouie.

Hier, utopie du chemin de fer et de l’acier, aujourd’hui utopie de l’entrepôt et du conteneur, le rêve d’une humanité unifiée à travers les flux économiques parcourt le monde depuis que le capitalisme s’est réellement élancé au seuil du XIXe siècle.

Car la mondialisation telle qu’on l’entend aujourd’hui n’a pas commencé comme cela est souvent dit en 1991, mais véritablement au XIXe siècle lorsque se sont constitués les premiers trusts internationaux exportant leurs capitaux aux quatre coins du globe.

Et déjà en cette fin de siècle qui avait vu fleurir les mouvements de libération nationale, nombreux étaient les commentateurs proclamant la fin des guerres grâce au règne de la dépendance économique généralisée, alors baptisée « première mondialisation ».

A tel point que la Ligue internationale de la paix et de la liberté fondée en 1867 à Genève avait intitulé son organe « Les Etats-Unis d’Europe ». Il en allait d’une portée historique, celle d’un capitalisme bâtissant une nouvelle civilisation pacifiée. Douce et vaine illusion bourgeoise : le développement des richesses nationales restait fondé sur de puissantes inégalités entre pays, formant le lit de la rancœur et du nationalisme.

Si l’illusion fut critiquée théoriquement par quelques grandes figures du mouvement ouvrier international, tel par-exemple Rosa Luxembourg et Lénine à travers deux articles que sont « Utopies pacifistes » et « Du mot d’ordre des États-Unis d’Europe », l’horreur des tranchées de la première guerre mondiale se chargea du reste.

Maintenant soyons lucides. La « mondialisation » de l’après-guerre froide ne fut rien d’autre qu’un retour à l’élan de cette « première mondialisation ». De cet élan qui fit le bonheur des capitalistes de grandes puissances, trop content de s’élancer à la conquête des terres vierges de l’Est et de l’Asie, enfin domestiquées par l’économie de marché.

Hier comme aujourd’hui, l’illusion ne pouvait durer qu’un temps, le temps d’un cycle d’accumulation du capital. Un cycle qui a vu certains pays stagner, d’autres fleurir, le tout dans le chaos mondial d’une économie de marché qui devient tôt ou tard le tremplin pour une grande guerre de repartage.

Et c’est dans cette conjoncture historique que reprend forme le fameux « retour des nations », ce retour en arrière qu’a déjà connu l’Europe et le monde au seuil de 1914 et qui atteste la péremption de la bourgeoisie comme porteur de la civilisation humaine.

Ce processus qui prend partout en Europe, d’une manière ou d’autre, la forme d’un relatif retrait de certaines règles communautaire de commerce, voir carrément l’autonomisation de certaines chaînes d’approvisionnements économiques mondiales, à l’instar de l’industrie des semi-conducteurs.

À la télévision américaine CNN, Emmanuel Macron déclarait récemment d’une manière pragmatique qui sous-entend clairement la tendance à la guerre de repartage :

Il faut passer d’un monde où l’interdépendance et le commerce étaient un moyen d’éviter les guerres, à un monde où il faut être autonome et indépendant.

Ce qui se passe est donc tout à fait simple. La bourgeoisie a historiquement et positivement constitué des marchés nationaux à travers un processus d’unification sociale et culturelle nationale, puis de cet élan s’est constitué une spécialisation des économies alors interdépendantes, donnant lieu à un marché mondial, une « mondialisation ».

Mais la bourgeoisie ne peut aller jusqu’au bout de ce processus car sa portée historique est fondée sur l’économie de marché qui connaît des antagonismes économiques et des développements inégaux entre pays. Le clash est tôt ou tard inéluctable, et le retour à la base du marché national incontournable.

Le Brexit était déjà annonciateur de tout ce processus historique et les événements historiques de ces cinq dernières années n’ont fait que confirmer une accélération des choses.

Il y a évidemment l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les poussées des forces nationalistes un peu partout en Europe, comme en France avec les 89 députés RN élus en juin, en Suède avec les « Démocrates de Suède » devenu deuxième force politique du pays aux dernières élections législatives, et dernièrement en Italie avec la poussée fulgurante de la figure de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni, passée de 4,35 % aux élections de 2018 à 26,47 % en 2022.

En Italie, Giorgia Meloni est très claire sur cette perspective, se disant « prête à faire revivre l’Italie » et à la « faire respecter en Europe ». Et c’est le rêve de l’Union européenne, corollaire de l’illusoire mondialisation, qui s’effondre : elle reste ce qu’elle a toujours été, une interface de négociations financières et commerciales pour les pays développés de l’Ouest européen.

Là aussi, il faut se souvenir de comment le mot d’ordre des « États-Unis d’Europe » était défendu dans les années 1900 par les forces libérales-modernisatrices, tel Georges Clémenceau cherchant à s’appuyer sur l’élan de la « première mondialisation ».

Chimère car déjà se cachait la soumission aux États-Unis qui allaient devenir la principale force capitaliste mondiale au sortir de la première guerre mondiale. Et l’on remarquera combien la filiation historique de Georges Clémenceau se trouve en Emmanuel Macron, l’un comme l’autre soutenant une Europe au service de la France dans le cadre d’une alliance avec les États-Unis.

Finalement, en ce début de XXIe siècle, nous voilà revenus au point de départ de la fin XIXe siècle. Et de ce point de vue, l’enjeu est de ne pas retomber dans les erreurs du mouvement ouvrier français, alors divisé entre réformateurs et syndicalistes, tous finissant dans l’Union Sacrée d’août 1914.

Reconnaître la fin de l’illusion bourgeoise, c’est repartir sur les bases de l’utopie socialiste, celle-là qui fait de la fin des antagonismes économiques et des inégalités de développement la condition pour la réalisation d’une coopération entre les peuples du globe.