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Lyon: feu d’artifice illégal activiste pour «la Vierge Marie»

Le gigantesque feu d’artifice illégal qui a été tiré à Lyon mardi 8 décembre 2020 illustre parfaitement l’hégémonie réactionnaire dans cette ville. C’est une action coup de force réalisée au nom de « la Vierge Marie » qui est typique de la Droite ultra dans sa version activiste catholique, disposant ici de grands moyens et d’un réseau vaste et très soudé pour organiser cela au nez et à la barbe des autorités.

Pendant des jours, l’information a circulé sur des groupes fermés WhatsApp, en toute clandestinité.

« Chers amis, le Gouvernement ne volera le 8 décembre ni à la Vierge, ni aux Lyonnais ! Infos pratiques au dernier moment… restez à l’écoute ! Invitez vos amis lyonnais en partageant ce lien.»

Le 8 décembre aurait du avoir lieu l’habituelle « Fête des lumières », mais elle a logiquement été suspendue en raison du contexte sanitaire. Les activistes de la Droite ultra ont donc sauté sur l’occasion pour s’opposer à l’État et à la municipalité, en marquant leur hégémonie sur la ville, car cette fête est justement la leur.

L’État n’a rien vu venir, ou en tout cas n’a pas été en mesure de l’empêcher. Les activistes ont déployé partout dans le centre de la ville des dizaines et des dizaines de feux d’artifices, en pleine rue, sur des places, à différents endroits stratégiques. Ils ont tous été tiré au même moment à 21h, pour un résultat forcément spectaculaire.

Les « Bad gones », les supporters ultras du club de football de la ville, ont partagé la vidéo de l’action mine de rien, pour la revendiquer sans la revendiquer, alors que la vidéo est publiée par une page « Lyon Fans » à l’esthétique tout à fait similaire à la leur.

Le message des « Bad gones » est alors grandiloquent, jouant à fond la fibre du romantisme catholique transcendant la réalité :

«  Nous vous partageons la dernière vidéo qui a été publiée, on ne s’en lasse toujours pas…

Montez le son et asseyez vous confortablement devant un grand écran !

….

Depuis hier dans les rues de Lyon, la question est sur toutes les lèvres…

Qui a fait ça ???

Qui est responsable de ce feu d’artifice aux quatres coins de notre belle cité ???

Des supporters de L’OL ?

Des amoureux de la capitale des Gaules ?

Des artificiers amateurs ?

L’opération du saint-esprit ?

Peut-être un peu de tout ça…. Mais qui sait…

Ce qui est sur c’est que les Lyonnais et la Vierge Marie se souviendront longtemps de ce 8 décembre 2020.

La clameur qui est montée des rues à la fin du spectacle en témoigne !

Dans la pure tradition populaire de cette fête centenaire, sans touristes sans sponsors et sans artifices commerciaux, des gones (et peut être aussi des fenottes [= de femmes supportrices]) ont rendu hommage à la protectrice de la ville et ont paré cette dernière de ses plus beaux atours !!

Qui que ce soit, qu’ils en soient ici loués !!!

Vive Lyon, vive le 8 décembre et Merci Marie !!! »

La vidéo (visible ici) est montée de manière très professionnelle, avec des prises de vue de haute qualité, montrant que tout à été préparé minutieusement, avec de grands moyens. Le tout se terminant de manière épique par un ridicule « Merci Marie ».

On a là tout un romantisme typiquement identitaire, jouant sur la pseudo-tradition de la « fête des Lumière » existant depuis 1852. Chaque 8 décembre en effet, il est censé falloir « illuminer la ville » et monter sur la colline de Fourvière pour… rendre hommage à la « Vierge Marie » et à sa « protection » contre les épidémies.

« 1852 », c’est-à-dire le XIXe siècle, c’est-à-dire plus de 50 ans après la Révolution française et l’avènement de la bourgeoisie, en pleine révolution industrielle, après le siècle des Lumières. Il ne s’agit donc là évidemment pas d’une tradition populaire, mais bien d’une construction idéologique réactionnaire montée de toute pièce par l’Église catholique, pour préserver sa domination culturelle contre la modernité portée par la bourgeoisie et la classe ouvrière émergente.

L’Église catholique a d’ailleurs fait ériger une basilique quelques années plus tard au sommet de cette colline de Fourvière, alors qu’en 1854 était choisi justement le 8 décembre pour fêter « l’Immaculée Conception ».

Il s’agit là d’une conception particulièrement délirante, mais hautement symbolique, voulant que « Marie » aurait enfanté Jésus, mais sans avoir été « souillée » du péché originel, c’est à dire de l’acte sexuel. C’est une façon de rejeter la nature, la réalité concrète et immédiate, au profit d’un mysticisme transcendant.

C’est donc un symbole très important pour la Droite ultra, qui a besoin justement de ce genre de romantisme mobilisateur. Il a donc été mis le paquet sur cette date, en profitant du confinement pour trouver un prétexte afin de s’opposer à l’État et apparaître comme rebelle, anti-système, etc., dans la plus pure tradition de l’extrême-Droite française.

Cela a forcément coûté très cher et a nécessité une logistique complexe. On comprend immédiatement à l’esthétique de la vidéo et aux images qu’il y a à l’origine de ce coup d’éclat des ultras, qui ne peuvent s’empêcher de se montrer avec un vêtement de marque « North Face » et des fumigènes. Mais forcément, pour un tel ouvrage, ils n’ont pas agi seuls et disposent d’une assise particulièrement forte dans le centre de la ville.

La Droite a d’ailleurs immédiatement soutenu l’opération, alors que celle-ci relève d’un délit très grave en raison de sa dangerosité. Pierre-Damien Gerbeaux, conseiller municipal LR de Caluire-et-Cuire, commune jouxtant Lyon, a trouvé l’idée « lumineuse », en prétendant à une « ingéniosité populaire » et moquant « le maire écologiste qui, vexé, après avoir fait la chasse au Tour de France, fait la chasse aux pétards ».

Béatrice de Montille, conseillère municipale LR à Lyon a pour sa part totalement assumé :

« dans le contexte de crise sanitaire et de confinement, cette opération a fait du bien ».

Un tel événement rappelle un problème de fond avec les trois grandes villes françaises. Marseille est inexistante politiquement de par son arriération dans le triptyque football – mafia – misère. Paris est présente avec le triptyque bobo – soirées branchées – consommation stylée. Lyon est quant à elle présente avec le triptyque bourgeois traditionnel – identitaire – catholicisme.

Dans un tel panorama, avec la crise en cours, Lyon risque donc de donner le ton d’un nouvel activisme, conforme aux besoins de la « Droite populaire » en cours de formation. Celle-ci étant appuyée intellectuellement par Marion Maréchal et son école « Science po » de droite, implantée à Lyon justement. C’est une vraie menace, que la Gauche de cette ville est incapable de freiner malheureusement.

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Pour Jean-Luc Mélenchon, les présidentielles de 2022 valent bien une encyclique

Dans une tribune au magazine La Vie, le dirigeant de La France Insoumise propose ouvertement une alliance au catholicisme. Il a bien sûr en vue les élections présidentielles de 2022.

La Vie est un hebdomadaire catholique, qui appartient au groupe Le Monde. Le quotidien Le Monde, comme Télérama, relève en effet historiquement du milieu et de l’idéologie « catholique de gauche », spiritualiste critique du matérialisme, tout comme d’ailleurs la CFDT, prolongement du syndicat catholique, la CFTC.

Autant dire que pour les gens authentiquement de gauche, tout ce milieu de Le Monde, Télérama, des « cathos de gauche »… est considéré comme sympathique, mais pris avec des pincettes, car la dimension religieuse à l’arrière-plan est massive et d’autant plus pernicieuse qu’elle est indirecte.

Cela relève très clairement de l’agenda du Vatican, qui adapte son discours selon les pays et les situations. Ouvertement pro-repli sur soi-même en Pologne, l’Église catholique prône l’accueil massif des migrants en Autriche comme « ouverture au monde » ; catho de gauche en France, l’Église catholique n’est évidemment pas comme ça en Espagne, etc.

On ne peut qu’être ainsi profondément choqué de la tribune publiée par Jean-Luc Mélenchon dans La Vie. C’est une valorisation d’un prétendu « anticapitalisme » qu’on trouverait dans l’encyclique du pape François, Fratelli tutti, publié en octobre 2020. Catholiques et anticapitalistes, même combat, nous dit Jean-Luc Mélenchon. Le titre de la tribune est sans ambiguïté aucune :

« “Fratelli tutti”, une vision partagée entre croyants et incroyants »

La présentation de la tribune par La Vie montre que l’hebdomadaire participe à ce petit jeu :

« Le député des Bouches-du-Rhône et leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon, lecteur attentif des encycliques promulguées par les papes, a lu Fratelli tutti, dont le thème de la fraternité lui a inspiré ce texte confié à La Vie. »

Lui a « confié »… tel un message personnel, somme toute : La Vie souligne une certaine intimité et Jean-Luc Mélenchon est même présenté comme un « lecteur attentif » des encycliques publiées par « les » papes. Jean-Luc Mélenchon serait-il un catholique en secret depuis plusieurs décennies ? Il adorait en même temps François Mitterrand et Jean-Paul II ?

Surtout que Jean-Luc Mélenchon va très loin dans la valorisation du catholicisme. Rien que les propos suivants l’excluent totalement de la Gauche :

« Le titre Fratelli tutti rappelle la vocation universaliste du catholicisme. Elle entre en écho avec celui de l’humanisme né en Europe avec la Renaissance. L’âpreté du rejet de celui-ci par l’Église de l’époque n’efface pas l’effet de parenté que le temps long a confirmé. »

La scandale ici n’est pas seulement d’affirmer que l’Église aurait une parenté avec l’humanisme, ce qui est une aberration totale, puisque c’est le protestantisme qui a une parenté avec l’humanisme, certainement pas le catholicisme. D’ailleurs, le catholicisme lance le « baroque » et les jésuites contre l’humanisme.

Jean-Luc Mélenchon contribue ici à l’idéologie catholique qui, après avoir écrasé le protestantisme, combattu le protestantisme et les Lumières, prétend être leur égal sur le plan moral et intellectuel. Il aide la réaction religieuse à se parer d’une aura civilisationnelle.

Et ce qui est tout autant monstrueux, c’est de dire que l’humanisme serait né en Europe avec la Renaissance. C’est tout à fait inexact. L’humanisme naît à partir de la réception des textes philosophiques arabes se revendiquant d’Aristote. Quant à la Renaissance, ce n’est pas elle qui produit l’humanisme, c’est le contraire : la Renaissance est un produit de l’humanisme.

En sachant d’ailleurs que l’humanisme et le protestantisme – grosso modo allemand, néerlandais, tchèque – se distinguent profondément de la Renaissance italienne, ce semi-humanisme qui d’ailleurs s’effondrera sur elle-même en raison de la force du catholicisme.

L’humanisme et le protestantisme, cela donne les Pays-Bas (le premier pays capitaliste du monde), cela donne la formation des États-Unis d’Amérique sur une base libérale (au sens positif du terme), cela produit les Lumières et la Révolution française.

La Renaissance ne donne rien du tout et est récupérée par le Vatican. Et on sait comment la France est à 50/50 depuis l’écrasement du protestantisme : à 50 % travaillé au corps par le catholicisme et l’idéologie de la « Renaissance » version Vatican, à 50 % penché vers l’humanisme, les Lumières.

Normalement, Jean-Luc Mélenchon est franc-maçon et relève des seconds 50 %. Il a ici entièrement retourné sa veste.

Alors, naturellement, en révisant l’Histoire comme le fait Jean-Luc Mélenchon, on peut effectivement voir en le catholicisme une force positive et le pape un ardent défenseur de l’universalisme, un allié contre le libéralisme. On peut même s’imaginer, pendant qu’on y est, que la dénonciation féodale du capitalisme par le catholicisme est révolutionnaire et finalement saluer Maurras, Péguy et Bernanos.

Paris valait bien une messe pour Henri IV, alors la présidentielle de 2022 vaut bien une encyclique pour Jean-Luc Mélenchon, qui s’imagine un grand destin.

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Le sondage IFOP «les Français et l’IVG»

Alors que le gouvernement compte allonger le délai pour la possibilité de réaliser un IVG, de 12 à 14 semaines de grossesse, un sondage rappelle ce qui est évident : personne ne considère l’IVG comme un acte banal.

C’est l’histoire d’un hold-up par les libéraux. On connaît l’escroquerie qu’est l’assimilation des migrants aux réfugiés, on a pareillement l’assimilation du droit à l’avortement à l’acceptation de l’avortement comme un acte totalement banal. Cette assimilation est un hold-up car elle s’appuie sur une situation socialement misérable pour imposer comme seule solution le « choix » relevant du marché.

Or, l’avortement n’est pas un acte banal et ce pour une raison très simple : le fœtus se développe très rapidement. À 6 semaines, l’embryon mesure 5 mm. Mais à sept semaines, ses bras commencent à se former ; à dix semaines il a des yeux, un nez, une bouche, ses doigts sont séparés, ses orteils commence à former, il bouge d’ailleurs ses membres. À 14 semaines, il fait 8,5 cm ; à 22 semaines, il fait 19 cm.


Un fœtus âgé à trois mois de grossesse

On comprend donc que, forcément, un médecin n’ait pas obligatoirement envie de prescrire des médicaments pour dissoudre le fœtus ou d’utiliser un aspirateur pour le désagréger et balancer le tout à la poubelle, car c’est ainsi que cela se passe. Ce n’est pas une question « religieuse » comme le prétendent les libéraux, mais une question de rapport à la vie et à la nature. Le fameux serment d’Hippocrate de la Grèce antique interdit de mener un avortement ; le fondateur du Front de Libération Animale (ALF), Ronnie Lee, se définit logiquement comme « pro life » puisqu’il se positionne en la défense de toute vie.

La Gauche historique n’a d’ailleurs somme toute jamais vu les choses autrement. C’est le libéralisme, transformant la vie en matière consommable, qui a changé les mœurs. Les Français sont ainsi travaillés au corps, mais ils restent heureusement au fond cohérents au sujet de l’avortement : malheureusement on ne peut pas faire autrement parfois, donc il faut accepter l’avortement, mais si on peut éviter tant qu’à faire, c’est mieux.

C’est là qu’intervient le sondage IFOP, dans un contexte de prolongation de la durée de la possibilité l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, comme escroquerie religieuse. Ce sondage pose d’ailleurs les mêmes questions qu’un sondage IFOP de 2016 et relève pareillement d’une enquête demandée par l’Alliance Vita, le prolongement de la « manif pour tous ».

Les questions sont en effet biaisées de telle manière à ce que l’avortement ne soit pas considéré comme une question naturelle et sociale, pour faire croire que les Français seraient en partie en phase avec le mysticisme catholique.

Le processus est le suivant. D’abord on fait passer aux personnes sondées le message qu’il y a 230 000 avortements en France, au moyen d’une question bidon. Le nombre est immense et frappe forcément.

Puis la personne sondée est amenée indirectement à prendre partie au moyen d’une question à la réponse évidente :

« Pensez-vous qu’un avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes ? »

Une fois la personne sondée interpellée et mobilisée, on lui pose une question piège. Voici cette question :

« Pensez-vous que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) ? »

La question est ordurière, littéralement, car on ne sait pas s’il s’agit d’éviter l’IVG en amont, par une meilleure contraception pour les femmes, une contraception masculine… ou s’il s’agit de nier la réalité sociale de l’IVG et de la réfuter unilatéralement, donc religieusement. Ici on a 72 % de oui car les gens ayant un problème avec l’avortement, mais ayant conscience des réalités sociales, sont happées dans une négation abstraite.

Vient alors le coup de massue catholique, avec l’appel à une intervention programmatique sur une base catholique forcément :

« A ce jour, le livret officiel d’information remis aux femmes enceintes qui consultent en vue d’une IVG, comporte uniquement des indications sur les démarches pour avorter. Une proposition a été faite pour modifier ce livret en y intégrant le détail des aides aux femmes enceintes et aux jeunes mères comme cela était fait jusqu’en 2001. Êtes-vous très favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou très opposé à cette proposition d’intégrer dans ce livret officiel le détail des aides aux femmes enceintes et aux jeunes mères ? »

On a alors 84 % de oui ce qui donne une « légitimité » à l’Alliance Vita pour demander, forcément, à avoir une influence sur un tel livre officiel. Puis le sondage termine par une question visant à asseoir sur une base pseudo-démocratique cette pseudo légitimité :

« La France détient un taux élevé d’avortement soit une IVG pour un peu plus de trois naissances. Pourtant la France est l’un des pays du monde où les femmes ont le plus recours à la contraception. Si les pouvoirs publics lançaient une véritable prévention de l’avortement et conduisaient une étude pour analyser les causes, les conditions et les conséquences de l’avortement, y seriez-vous personnellement… ? »

On a ici 88 % de réponse favorable, ce qui est tout à fait en phase avec le point de vue démocratique consistant à dire : l’avortement, oui, mais si on peut éviter…

L’avortement est d’ailleurs un thème exemplaire. Les gens ont une opinion, formant une opinion démocratique, mais les seuls à s’exprimer sont les religieux fanatiques et les libéraux (qu’ils soient de droite, bobos de gauche ou d’ultra-gauche) pour qui un fœtus est un objet dont on peut faire ce qu’on veut.

Ce qui donne des situations intolérables, avec des attentats contre les médecins pratiquant l’avortement aux États-Unis, ce qui est un terrorisme directement dirigé contre les femmes, ou bien un avortement jusqu’à 24 semaines de grossesse au Royaume-Uni, ce qui est totalement fou quand on sait à quoi ressemble un fœtus à 24 semaines.

Vivement que le peuple s’affirme, enfin, et ne laisse plus la parole seulement aux religieux et aux libéraux. Il en va de la condition féminine : le peuple doit appuyer matériellement les femmes, c’est à lui d’organiser une société où le meilleur ressort toujours.

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L’encyclique Fratelli tutti du pape

La nouvelle encyclique du pape a une forte résonance sociale, sans réelle originalité et montre surtout l’incapacité à aborder les vraies questions de fond.

Le pape François s’est rendu samedi 3 octobre sur la tombe de « saint » François d’assise, afin de signer une nouvelle encyclique, intitulé Fratelli tutti (Tous frères), un long texte programmatique en 287 paragraphes dont le sous-titre est « Sur la fraternité et l’amitié sociale ».

Il est très important, car il expose la stratégie catholique romaine, qu’il s’agit de combattre et ce n’est pas évident, car l’ennemi est intelligent et tenace. Déjà, il sait faire front, le pape exprimant un esprit d’alliance religieuse :

« Si pour la rédaction de [la précédente encyclique] Laudato si´  j’ai trouvé une source d’inspiration chez mon frère Bartholomée, Patriarche orthodoxe qui a promu avec beaucoup de vigueur la sauvegarde de la création, dans ce cas-ci, je me suis particulièrement senti encouragé par le Grand Iman Ahmad Al-Tayyeb [cité par ailleurs plusieurs fois dans l’encyclique] que j’ai rencontré à Abou Dhabi pour rappeler que Dieu « a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux ». Ce n’était pas un simple acte diplomatique, mais une réflexion faite dans le dialogue et fondée sur un engagement commun. »

Toute la fin de l’encyclique consiste d’ailleurs en une sorte de présentation du rôle des « religions au service de la fraternité dans le monde »

Cela n’a cependant rien de nouveau et les Français connaissent ce front, dont s’est par ailleurs toujours moqué Charlie Hebdo. Non, ce qui est bien plus pernicieux, c’est la démagogie anti-capitaliste du catholicisme romain, sa dénonciation des grandes entreprises capitalistes et de l’idéologie postmoderne qui va avec.

Le pape François paraphrase le discours de la Gauche historique, pour évidemment tout ramener à une question « spirituelle », la religion étant présentée comme le seul vrai refuge d’un monde anonyme, individualiste et cynique.

« ‘‘S’ouvrir au monde’’ est une expression qui, de nos jours, est adoptée par l’économie et les finances. Elle se rapporte exclusivement à l’ouverture aux intérêts étrangers ou à la liberté des pouvoirs économiques d’investir sans entraves ni complications dans tous les pays.

Les conflits locaux et le désintérêt pour le bien commun sont instrumentalisés par l’économie mondiale pour imposer un modèle culturel unique. Cette culture fédère le monde mais divise les personnes et les nations, car « la société toujours plus mondialisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères ».

Plus que jamais nous nous trouvons seuls dans ce monde de masse qui fait prévaloir les intérêts individuels et affaiblit la dimension communautaire de l’existence. Il y a plutôt des marchés où les personnes jouent des rôles de consommateurs ou de spectateurs.

L’avancée de cette tendance de globalisation favorise en principe l’identité des plus forts qui se protègent, mais tend à dissoudre les identités des régions plus fragiles et plus pauvres, en les rendant plus vulnérables et dépendantes. La politique est ainsi davantage fragilisée vis-à-vis des puissances économiques transnationales qui appliquent le ‘‘diviser pour régner’’.

C’est précisément pourquoi s’accentue aussi une perte du sens de l’histoire qui se désagrège davantage. On observe la pénétration culturelle d’une sorte de ‘‘déconstructionnisme’’, où la liberté humaine prétend tout construire à partir de zéro.

Elle ne laisse subsister que la nécessité de consommer sans limites et l’exacerbation de nombreuses formes d’individualisme dénuées de contenu. »

Il faut cependant bien que l’Église catholique romaine trouve des ressorts : il ne suffit pas de paraphraser, il faut des vecteurs. Ici, il y a des choses nouvelles et des choses traditionnelles. Pour ces dernières, on retrouve le combo classique désespoir/espérance : les migrants vont être de plus en plus nombreux et sont une heureuse allégorie de l’humanité en quête d’Espoir, il faut donc suivre l’appel à l’amour du nouveau testament, etc.

C’est le style « minimaliste », frugal, anticapitaliste romantique traditionnel, dont voici une illustration :

« Lorsque nous parlons de protection de la maison commune qu’est la planète, nous nous référons à ce minimum de conscience universelle et de sens de sollicitude mutuelle qui peuvent encore subsister chez les personnes.

En effet, si quelqu’un a de l’eau en quantité surabondante et malgré cela la préserve en pensant à l’humanité, c’est qu’il a atteint un haut niveau moral qui lui permet de se transcender lui-même ainsi que son groupe d’appartenance.

Cela est merveilleusement humain ! Cette même attitude est nécessaire pour reconnaître les droits de tout être humain, même né ailleurs. »

À lire l’encyclique on voit d’ailleurs très bien comment une large partie de la gauche et de l’ultra-gauche consiste en fait en des cathos de gauche, tellement le thème des migrants y est omniprésent (dans une tradition catholique de plus d’un siècle d’ailleurs concernant ce thème bien précis).

Parmi les thèmes nouveaux, en tout cas remarquables pour une encyclique, on a : une forte insistance sur la dénonciation des mafias, la critique appuyée des réseaux sociaux sur internet, une série de considérations approfondies sur le localisme et ses avantages, la réalisation d’une civilisation de l’amour par l’amour social et politique et la discussion publique, l’appel à mettre la personnalité individuelle au-dessus de tout.

Le pape reprend en fait toute la rhétorique du « personnalisme » du philosophe catholique français Emmanuel Mounier (1905-1950), pour qui la transcendance religieuse est ce qui préserve le noyau dur de la personnalité contre le totalitarisme du collectivisme.

Le pape François cite d’ailleurs à ce sujet le pape Jean-Paul II du même esprit et visant très clairement la lutte des classes, le Socialisme.

« Dans ce sens, je voudrais rappeler un texte mémorable : « S’il n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance à laquelle l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes. Leurs intérêts de classe, de groupe ou de nation les opposent inévitablement les uns aux autres.

Si la vérité transcendante n’est pas reconnue, la force du pouvoir triomphe, et chacun tend à utiliser jusqu’au bout les moyens dont il dispose pour faire prévaloir ses intérêts ou ses opinions, sans considération pour les droits des autres. […]

Il faut donc situer la racine du totalitarisme moderne dans la négation de la dignité transcendante de la personne humaine, image visible du Dieu invisible et, précisément pour cela, de par sa nature même, sujet de droits que personne ne peut violer, ni l’individu, ni le groupe, ni la classe, ni la nation, ni l’État.

La majorité d’un corps social ne peut pas non plus le faire, en se dressant contre la minorité » [St. Jean-Paul II, Lettre enc. Centesimus annus (1er mai 1991)]. »

Ce qui est frappant c’est que n’importe qui de la « gauche » postmoderne sera ici tout à fait d’accord avec les papes François et Jean-Paul II dans cette défense de « l’individu » unique en son genre contre l’horrible totalitarisme universaliste.

Cela en dit long également sur comment le pape François est un produit marketing jésuite, qui fait passer la même camelote religieuse mais en présentant de manière « inclusive ». Les deux derniers paragraphes de l’encyclique valent ici le détour.

Le pape François fait l’éloge de Martin Luther King, Desmond Tutu, Mahatma Mohandas Gandhi pour appuyer son long propos sur… Charles de Foucauld (1858-1916), un Français ancien militaire à l’esprit colonial basculant dans le fanatisme catholique et allant jouer les ermites au Sahara !

« Dans ce cadre de réflexion sur la fraternité universelle, je me suis particulièrement senti stimulé par saint François d’Assise, et également par d’autres frères qui ne sont pas catholiques : Martin Luther King, Desmond Tutu, Mahatma Mohandas Gandhi et beaucoup d’autres encore.

Mais je voudrais terminer en rappelant une autre personne à la foi profonde qui, grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et femmes. Il s’agit du bienheureux Charles de Foucauld.

Il a orienté le désir du don total de sa personne à Dieu vers l’identification avec les derniers, les abandonnés, au fond du désert africain. Il exprimait dans ce contexte son aspiration de sentir tout être humain comme un frère ou une sœur, et il demandait à un ami : « Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de toutes les âmes […] ».

Il voulait en définitive être « le frère universel ». Mais c’est seulement en s’identifiant avec les derniers qu’il est parvenu à devenir le frère de tous. Que Dieu inspire ce rêve à chacun d’entre nous. Amen ! »

On remarquera pour conclure que l’encyclique n’aborde la pandémie simplement qu’en passant et qu’elle n’est jamais abordée telle quelle comme une actualité. C’est intellectuellement paradoxal car l’encyclique précédente traitait d’écologie… Mais en même temps le pape ne peut pas assumer le réalisme et constater que la crise sanitaire vient d’un rapport désaxé à la nature : son but est d’amener à la spiritualité.

C’est là d’ailleurs un très bon argument. La crise sanitaire pose la question du rapport à la nature, notamment aux animaux, et le pape parle d’amour social et des migrants. C’est totalement déconnecté de ce que l’époque nous impose comme réflexion.

 

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Critique du salon «désir d’enfant»: la Gauche absente cède le terrain à la Droite

La Gauche, particulièrement dans son orientation féministe, devrait être à la pointe de la critique de la GPA. La gauche aurait dû être présente massivement devant le salon « désir d’enfant » à Paris qui a promu la gestation pour autrui, cette agression barbare à la dignité des femmes.

Au lieu de cela, le champ est laissé libre à la Droite catholique et c’est l’association « Juristes Pour L’Enfance », très proche de « La manif pour tous », voire quasiment une émanation de la « La manif pour tous », qui s’est montrée face au salon et qui a été relayée par la presse.

C’est dramatique, d’autant plus que leurs slogans (sur les photos ci-dessous) ont été très justes, visant précisément le cœur du problème. Impossible de ne pas se dire que ces slogans devraient être ceux de la Gauche, et qu’il y a là une très lourde faute politique à les céder à la Droite…

En 2020 en France donc, des grands bourgeois assument (en toute illégalité) de louer le ventre d’une femme pour s’acheter un enfant, mais la Gauche ne dit rien. Pire, elle accompagne cela, en prétendant que l’extension de la PMA est un progrès, alors que ce n’est qu’une étape du processus de marchandisation de la vie elle-même. Et pendant ce temps, la Droite a un boulevard pour apparaître populaire avec une démagogie d’apparence anticapitaliste.

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La crise sanitaire et le droit des croyants à croire en le monde

En mettant de côté la religion lors de la première vague de déconfinement, l’État français provoque une crise terrible. C’est surtout vrai pour l’Église catholique, pour qui le dimanche a une dimension mystique essentielle, que l’État ne comprend d’ailleurs même plus.

Le grand compromis entre l’État et les religions – la laïcité – est très puissamment ébranlé par le refus d’intégrer les lieux de culte dans le déconfinement. Ce qui compte, c’est évidemment l’économie capitaliste. Peu importe les croyances.

Il ne s’agit nullement ici de faire de l’anti-cléricalisme primaire, comme le font les anarchistes, l’ultra-gauche en général. La religion ne disparaîtra pas : elle s’éteindra, quand les croyants comprendront que ce en quoi ils croient n’est en réalité qu’une puissante réflexion sur la réalité qui a été déviée vers le ciel.

Il y a ainsi beaucoup de dignité dans les croyances religieuses et il faut bien dire dans les croyances, pas dans les rites, les croix en pendentifs, les hidjabs ou les kippas. Lorsque les religions parlent de la réalité, elles parlent de manière déformée. Il y a de l’idée, mais accepter pour autant tous les fétiches réactionnaires… ce n’est pas possible.

Tout cela demande évidemment beaucoup de culture et le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, est dépassé, parce que la bourgeoisie décadente, passé dans l’ultra-modernité, ne comprend tout simplement plus rien à part ce qui relève, au sens strict, de l’accumulation de richesses.

Invité du Grand Jury sur LCI dimanche dernier, son propos a depuis fait scandale :

« Je pense que la prière elle se fait dans un rapport à celui que l’on accompagne, célèbre, chacun choisira le mot en fonction de sa religion et soi-même, et n’a pas forcément besoin de lieu de rassemblement où on ferait courir un risque à l’ensemble de la communauté religieuse. »

Christophe Castaner s’imagine ici qu’une personne religieuse peut ainsi être indifféremment statique ou itinérante, que la notion de lieu consacré relève du moyen-âge, que le principe communautaire – une clef du succès religieux – n’a aucun sens pour les gens.

Il prouve ici une méconnaissance de la question assez impressionnante (et cela d’autant plus qu’en tant que ministre de l’Intérieur, il est aussi ministre des cultes). Surtout que la France a comme principale religion le catholicisme romain. Or, dans cette religion, Dieu est vraiment présent le dimanche dans la cérémonie religieuse, ce n’est pas symbolique comme chez les protestants. Naturellement Dieu n’est pas du tout présent, puisqu’il n’existe pas, mais pour les croyants il y a une alliance entre Dieu et le monde par ce qu’on appelle l’eucharistie. Sans eucharistie, le monde est entièrement perdu.

Citons ici Matthieu, qui raconte ce passage célèbre :

« Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le donna aux disciples, en disant: Prenez, mangez, ceci est mon corps. 27Il prit ensuite une coupe; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous; 28car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés. 29Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. »

Les protestants répètent cet épisode symboliquement, la prohibition de l’alcool chez eux, très présente culturellement historiquement, s’appuie sur le dernier propos de la citation. Pour les catholiques par contre, quel que soit leur courant de rattachement, tout cela reprend réellement forme dans l’Église chaque dimanche.

C’est par l’eucharistie que dans le monde, les Hommes sont frères. S’il n’y a plus d’eucharistie, tout est perdu.

> Lire également : Un exemple de croyance religieuse en le monde

Bien entendu, on n’a pas à y croire. Mais comment ne pas voir l’immense dignité qu’il y a dans une telle vision des choses ? Des figures sociales du catholicisme ont en ce sens publié une tribune au titre ironique, « Rouvrir les églises, pour quoi faire ?», sur le site du journal La Croix, qui n’est pas accessible gratuitement, par manque de charité chrétienne. On y lit notamment :

« Se retrouver en communauté est constitutif de la foi ? Mais pour rendre quel culte, à quel Dieu ? Dans l’eucharistie, les chrétiens font mémoire de la mort et de la résurrection du Christ. Et du don de sa vie. Dans un même élan, ils s’engagent à donner la priorité absolue au service du frère. Il s’agit de conjuguer « intériorité et engagement »,« lutte et contemplation »… »

Cela est tout à fait juste : dans une crise sanitaire, qui apporte la mort, il faut croire en la vie. Il y a beaucoup de dignité dans tout cela et le balayer d’un revers de la main, comme le fait le gouvernement, est la négation de tout un sentiment populaire, humain par excellence.

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Société

Un exemple de croyance religieuse en le monde

Karl Marx a dit que la religion est l’opium du peuple… oui mais il souligne bien que d’un côté c’est une fuite, de l’autre un appel à donner du contenu dans un monde sans contenu. Voici un exemple catholique orthodoxe, la démarche de cette version du catholicisme assumant ouvertement toute une approche mystique.

L’extrait suivant est tiré d’un document de l’Église orthodoxe d’Estonie au sujet de l’eucharistie. Si pour un anarchiste les propos qui y sont tenus sembleront totalement incohérents, par contre pour qui a la perspective de la Gauche historique, tout apparaîtra comme évident à comprendre.

« ‘‘Dans mon Royaume, dit le Christ dans le canon des matines orthodoxes du Jeudi saint, je serai Dieu et vous serez Dieu avec moi’’ (4e Ode du 3e Tropaire).

Car l’homme est à l’image de Dieu ; il est appelé à une ressemblance qui est une participation réelle à la vie divine. L’homme n’est vraiment homme qu’en Dieu.

L’homme n’est vraiment homme que déifié, puisque « Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu en lui  » (saint Athanase), puisque l’homme est un animal appelé à devenir Dieu.

L’exigence de s’unir à la source de vie qui fait notre être même ne peut être qu’un événement à l’intérieur de l’Esprit, l’avènement de l’Esprit en l’homme est toujours théomorphique : Dieu l’a créé à son image.

Tout vient de Dieu. L’expérience de Dieu vient aussi de Dieu, car Dieu est plus intime à l’homme que lui-même.
Dès lors, chercher Dieu par-dessus tout, c’est amorcer par l’acte de foi un dialogue liturgique générateur d’unité à l’image du Christ, dans lequel ont convergé une fois pour toutes l’expérience de l’homme par Dieu et celle de Dieu par l’homme. Par essence donc, l’homme est un être liturgique.

S’il participe à la vie divine, sa communion se fait à travers une vaste célébration liturgique qui englobe tout le cosmos. Si cette ouverture sur tout ce qui est créé n’existait pas, il n’y aurait pas d’amour possible auquel l’homme prît part concrètement par l’acte liturgique principal, c’est-à-dire la prière, ce centre duquel toute autre action puise sa force et est rendue valide.

C’est à cause de cela que le mystère de la personne humaine devient lieu théologique par excellence, en ce sens que créé à l’image de Dieu, il ne peut se comprendre qu’à la lumière du dogme trinitaire.

Le dogme de la Trinité, cœur de la théologie orthodoxe, devient, de ce fait, la clé de l’anthropologie où l’Ecriture, qui ne perd rien de sa dimension de l’histoire, reçoit un sens eucharistique. C’est parce que le fait divin, c’est-à-dire la Parole, fait irruption dans sa propre existence que l’homme devient « être liturgique ».

Dès lors, l’Evangile ne se limite pas à définir les rapports qui régissent les liens entre le Sauveur et le monde ; il nous fait pénétrer au centre même d’une autre dimension, une relation de divino-humanité qui est aussi relation filiale entre le Père céleste et son Fils unique, l’Esprit Saint étant pour sa part le souffle qui porte les mots et qui ne se laisse saisir et sentir que conjointement avec le Christ.

La divino-humanité s’ouvre au cœur de l’histoire par l’Incarnation du Verbe (…).

C’est pourquoi la théologie orthodoxe sera avant tout une théologie de célébration où l’homme devient le prêtre du monde, le grand célébrant de l’existence. »

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Pas de succès pour la manif du 19 janvier 2020 contre la «PMA sans père»

Un nouveau rassemblement a eu lieu dimanche 19 janvier contre le projet de loi de bioéthique, prévoyant notamment l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux lesbiennes et femmes célibataires. Si le peuple y est par définition opposé, il reste passif et ce d’autant plus que l’initiative est seulement portée par la mouvance catholique et de droite de la « manif pour tous ».

Comment la Gauche peut-elle avoir passivement adopté toute la vision du monde sur le plan des mœurs fournie par les capitalistes ultra-libéraux ? Cela en dit long et c’est le paradoxe de toute la période : la Gauche politique française n’est pas libérale en économie, mais elle l’est totalement sur le plan des mœurs. Et elle ne voit pas le problème.

C’est pourtant impossible. Soit on dit qu’il y a des normes, soit on les refuse. Si on les refuse, alors il n’y a plus de société, mais des individus atomisés. Le projet de loi de bioéthique va en ce sens.

La Droite catholique a bien compris qu’elle allait se faire liquider, et voit également une opportunité de chercher à se présenter comme anticapitaliste romantique. Car les gens vont devenir fous quand ils vont s’apercevoir que socialement il n’y a plus de père ni de mère, mais un parent 1, un parent 2, que la biologie est réfutée au nom des droits du consommateur à l’enfant.

La question n’est pas de savoir si va avoir lieu la révolte contre cette idéologie du consumérisme absolu, mais quand. La Droite catholique se place déjà, pendant que la Gauche s’effondre sous les coups de boutoirs post-modernes revendiquant l’idéologie inclusive, la mise en valeur des « racisés », la réfutation de l’hétérosexualité, etc.

Cependant, la Droite catholique est elle-même très abîmée par l’ultra-libéralisme, la nouvelle génération bourgeoise ayant balancé par-dessus bord toute valeur, sombrant dans la décadence totale. Elle a réussi à mobiliser 45 000 personnes environ, mais bien moins que la dernière fois, et la base est ostensiblement ringarde-réactionnaire.

On a ainsi eu la présence remarquée de Louis de Bourbon, duc d’Anjou, prétendant au trône de France… cela ne fait pas rêver les masses. Et la seule proposition de la Droite catholique, c’est de retourner soixante ans en arrière ! Cela n’intéresse personne.

La Droite catholique ne parviendra ainsi jamais à briser le terrorisme intellectuel libéral qui s’est abattu contre les opposants à la dérégulation totale des mœurs en cours. Quiconque ne fait ne serait-ce que remettre en question l’ultra-libéralisme dans les mœurs est présenté comme un facho.

Le graffiti « PMA pour toutes ou on volera vos enfants », tagué à Paris (à Strasbourg St Denis), est exemplaire de cette agressivité sans borne de gens directement au service de l’ultra-libéralisme, mais prétendant lutter contre la réaction et la religion.

Tout cela ne tiendra pas longtemps debout. Soit parce que les ouvriers sauront prendre en charge la défense de la civilisation à l’encontre de l’atomisation individuelle ultra-consumériste… Soit parce qu’une société fondée sur la barbarie de la consommation individualiste forcenée s’effondrera inévitablement. Les deux aspects allant par ailleurs ensemble.

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Quelques questions au président des Poissons roses, chrétiens de gauche opposés à l’extension de la PMA

Nous avons interrogé Patrice Obert, le président des Poissons roses, une plateforme de réflexion de chrétiens à Gauche. Il nous livre ici un point de vue très intéressant, très engagé sur la question de l’humanisme et du refus de la marchandisation du corps.

Les Poissons roses ont participé à un rassemblement dimanche à la Sorbonne avec des féministes liées à la Gauche et opposées à la GPA, puis à la grande manifestation contre « la PMA sans père » où ils sont intervenus en début et fin de parcours sur la grande scène.

Vous vous êtes mobilisés contre le projet gouvernemental de « PMA pour toutes », pouvez-vous préciser le sens de votre engagement ?

Nous considérons que la gauche humaniste doit s’opposer à l’extension de la PMA pour des raisons qui tiennent justement à notre positionnement à gauche : refus de la marchandisation du corps consécutif au manque de gamètes, refus d’un glissement vers un nouvel esclavagisme qui découlera de la régularisation inévitable de la GPA, nécessité d’une Écologie intégrale qui lie économie, social, environnement et éthique, car « tout est lié » ( cf. encyclique Laudato Si).

Que répondrez-vous à des critiques vous reprochant de vous mettre à la remorque des milieux catholiques conservateurs à l’occasion de la grande manifestation qui vient de se dérouler ce dimanche 6 octobre 2019 ?

Nous sommes conscients d’être sur une ligne de crête. Certains nous reprochent notre décision, mais beaucoup louent notre courage. Nous avons fait ce choix en pleine connaissance de cause. Mais nous ne voulons pas laisser ce champ à la droite. Une gauche humaniste est fondée à participer à cette protestation. Nous assumons notre positionnement de gauche ET de chrétiens.

Selon vous, qu’est-ce qui fait que la Gauche est, pour beaucoup,
largement tombée dans une vaste impasse en se mettant à la remorque des exigences individualistes « sociétales », telles la « PMA pour toutes », voire la GPA ?

La Gauche s’est ralliée à l’économie de marché de façon radicale. La PMA exprime magnifiquement cette reddition qui cumulera dans la GPA. La Gauche a abandonné la défense « sociale » et s’est rabattue sur les sujets sociétaux. C’est une lourde responsabilité, historique.

Quelles sont selon vous les apports, les exigences que peuvent apporter les chrétiens de gauche à la Gauche, mais également à la conscience humaine en général ?

Le respect de la personne humaine, la prise en compte que toutes les dimensions sont reliées ( cf. plus haut), la non-violence, le respect dans le débat, l’écoute.

Le refus d’une démesure qui symbolise le projet de PMA, le refus du « c’est techniquement possible, donc il faut le faire ».

Vous appartenez justement à un courant de critique de la vie quotidienne qui s’est développée dans les années 1930, notamment avec Emmanuel Mounier et le personnalisme. C’était une époque où la Gauche chrétienne et la Gauche marxiste assumaient toutes deux l’optimisme, l’espérance et l’imbrication de l’humanité dans la nature, à l’opposé de ce qui sera après Guerre le pessimisme de l’existentialisme, hantise tant des
chrétiens que des marxistes. Comment, en ce début du 21e siècle, assumer que la vie a un sens dans une société façonnée par le consumérisme ?

Notre analyse est que se clôt la parenthèse de la Modernité occidentale technicienne, née au 17ème siècle quand l’homme a compris que « la nature s’écrit en langage mathématique » ( Galilée). Depuis cette date, nous vivons dans les plis de cette pensée. La technique est devenue le pôle moteur de la société, et malheureusement de la planète, puisque la civilisation européenne, devenue occidentale, s’est répandue par toute la Terre. Cette civilisation a apporté beaucoup de choses positives, ne les nions pas . Mais elle se fracasse aujourd’hui sur des impasses majeures : écologique, financière, individualiste.

C’est en ce sens qu’il faut remettre au cœur la Personne, reliée aux autres humains, à la Nature, à Dieu.

Ceci conduit à remettre en cause la société de consommation ( ce que vous nommez le consumérisme), qui est devenue une société de frustration qui alimente notre désir par une publicité incessante qui nous laisse insatisfaits.

En ce sens, la situation actuelle est très intéressante : un monde ancien s’effondre et plein de jeunes pousses, encore peu visibles, émergent. Il ne faut donc pas être pessimistes, mais volontaires. Sans doute, la transition sera difficile, voire dramatique. Mais la lecture de l’histoire nous montre que l’humanité a survécu à la chute de Ninive, de Jérusalem et de Rome, qui ont été des traumatismes énormes. Aujourd’hui, la situation est encore plus grave mais la grâce a toujours surabondé là où le péché abondait.

Nous avons développé ces thèmes dans notre Manifeste, paru en 2016 au Cerf A CONTRE COURANT et dans nos publications récentes, disponibles sur notre site poissonsroses.org, notamment nos rapports sur :

– la famille durable, au-delà des fascinations biotechniques ;
– Pour une renaissance de l’Europe.

Nous publierons prochainement une « Enquête sur les Invisibles de la République ».

Par ailleurs nous ne manquons pas de noter la convergence de trois faits ( cf la vidéo sur ce sujet sur notre site 3′) :

– la montée des femmes dans la société ;
– la crise de la pédocriminalité dans une église catholique ( universelle) faite d’hommes ;
– la crise écologique.

En tant que chrétiens, bien souvent catholiques, nous lisons que cette convergence n’est pas un hasard mais qu’elle signifie la fin d’un ancien monde, le nouveau, en cours d’émergence devant être finalement « plus humain ».

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Société

Succès de la manifestation du 6 octobre 2019 contre la «PMA sans père»

Des dizaines de millier de personnes ont manifesté ce dimanche 6 octobre 2019 à Paris pour s’opposer à la « PMA sans père », c’est-à-dire l’extension de l’aide « médicale » à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules. Organisée par les milieux activistes liées à l’Église catholique, la manifestation a été une réussite indéniable.

Le succès de manifestation s’explique par le fait que la société française s’avère en général rétive aux grandes réformes sociétales du libéralisme, étrangère à son exigence historique d’humanisme et d’universalisme, au moins en apparence.

La France n’est pas un pays façonné directement par le capitalisme dans ses fondements comme le sont les États-Unis : le libéralisme n’est accepté massivement qu’à travers le filtrage de l’État. Là, il y a l’impression tout à fait juste qu’il y aura une absence totale de cadre.

« Liberté, égalité, paternité », « Un vrai daron pas des échantillons », « Il est où ton papa ? », « La médecine ? C’est fait pour soigner ! », « Maman tu es unique, papa tu es fantastique ». Tels ont été les principaux mots d’ordre – savamment choisis – de la manifestation rassemblant autour de 74 000 personnes selon la presse ce 6 octobre 2019 à Paris (et même 600 000 personnes selon les organisateurs, 42 000 selon la préfecture).

La cible, c’est donc ce qui est appelé la « PMA sans père », c’est-à-dire l’extension de l’aide « médicale » à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules.

À l’arrière-plan, il y a toute une critique de l’évolution ultra-libérale de la société, pratiquement en confrontation avec le capitalisme… Mais pour faire de la Droite catholique le bastion romantique formant une prétendue solution. Voici la liste des principaux organisateurs :

Les Associations Familiales Catholiques, Alliance VITA, Les Veilleurs, Les Sentinelles, EVeilleurs d’espérance, Juristes Pour L’Enfance, La Manif Pour Tous, Générations Avenir, La Voix des Sans Pères, Vigi Gender, Maires pour L’Enfance, Institut Famille & République, Les Familles Plumées, Trace ta route, Collectif pour le respect de la médecine, CPDH – Comité Protestant évangélique pour la Dignité Humaine, Agence Européenne des Adoptés – European Agency for Adoptees et Les Gavroches.

On a donc la mouvance, grosso modo, qui s’est mobilisée il y a sept ans en opposition au mariage homosexuel (qui représente seulement 3,5 % des mariages environ), avec une tonalité alors très familiale-bourgeoise et une hégémonie ouvertement de la Droite.

Les enjeux sont cette fois totalement différents, ils n’ont même franchement rien à voir, mais la Droite catholique compte bien présenter la lutte contre la « PMA pour toutes » comme un prolongement logique de l’initiative d’il y a sept ans. Il s’agit bien entendu d’ôter le terrain à toute critique de la part de la Gauche.

Comme la Gauche post-moderne a le dessus en ce moment, la Droite catholique se dit qu’elle aurait tort de ne pas en profiter pour se donner le monopole de la rébellion contre l’ultra-modernité capitaliste.

Cela se voit très bien lorsqu’on comprend qu’à l’arrière-plan, ce n’est pas le caractère naturel du couple hétérosexuel faisant des enfants qui est mis en avant. C’est évidemment là une thématique de la Gauche historique.

La défense de l’altérité biologique comme base de la vie est le fondement même de la critique de la « PMA pour toutes » et de la GPA de la part d’une Gauche assumant son parcours historique. C’est en ce sens qu’il faut lutter !

La Droite catholique ne compte pas du tout s’attarder sur cette dimension. Elle insiste plutôt sur la thématique du père, avec une part de justesse, mais évidemment une vraie orientation patriarcale en filigrane. Ludovine de la Rochère, la présidente de La Manif Pour Tous, a très bien résumé cela en expliquant que :

« Depuis 1917 la République française accompagne et soutient les pupilles de la nation car elle sait que l’absence de père, le vide que cause cette absence, sont difficiles. La PMA sans Père signifie que la république française ferait sciemment des orphelins de père. »

Elle a également précisé ainsi son propos :

« L’adoption n’a rien à voir avec la PMA sans Père. L’adoption vient réparer une situation. La PMA sans Père, c’est volontairement faire un enfant sans père. »

À la tribune, Pascale Morinière de la Confédération nationale des Associations Familiales Catholiques a formulé cela de la manière suivante :

« Nous ne voulons pas de votre révolution de la filiation ! Monsieur Touraine, les enfants ont vraiment besoin d’un père ! »

Nicolas Bay, du Rassemblement National, a tourné cela ainsi :

« Créer de toutes pièces une situation où un enfant serait privé de son père, et privé même de la possibilité de connaître un jour son père, ça nous paraît être une régression absolument majeure »

Encore est-il que la bataille pour la critique adéquate de la « PMA pour toutes » n’a lieu pour l’instant que dans de faibles proportions, puisque la Gauche commence seulement à se mobiliser (de manière assumée on a un secteur du féminisme, ainsi que les Poissons roses rassemblant des chrétiens de gauche).

Mais il est encore temps de se mobiliser, les organisateurs de la manifestation du 6 octobre prévoyant déjà quatre grandes mobilisations au cours de l’année, les 1er décembre, 19 janvier, 8 mars, 17 mai et 14 juin.

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Politique

Élections européennes : les dix points de la Fédération des Associations Familiales Catholiques

La famille est un thème essentiel pour l’Église catholique, au sens où pour elle c’est le point de départ et d’arrivée de l’individu et de la société. Sa lecture est, de fait, anti-historique et anti-culturelle, mais face au libéralisme économique et à la « déconstruction » promue par les libéraux culturels, elle trouve le moyen de maintenir ses positions et de repartie à l’offensive.

La Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe, présente dans 18 pays de l’Union Européenne, a rédigé un Manifeste proposant un engagement en dix points aux candidats aux élections européennes. Ce n’est pas rien : même si on refuse l’hypothèse d’un divinité omnisciente, omnipotente, etc., la religion est un phénomène social ayant de multiples caractères, qui porte historiquement également de nombreuses valeurs culturelles et civilisationnelles.

Ici, on sait comment on fait face à deux courants unilatéraux : celui qui fait de la religion une chose sacrée, le noyau de la civilisation, et celui qui, ne faisant confiance qu’à l’individu-roi, ne prend pas en compte en l’Histoire et donc la question religieuse. Ce second courant a largement travaillé la Gauche, malheureusement, et cela se lit très bien si l’on imagine les réponses possibles aux dix points de la Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe.

Surtout que l’Église catholique romaine est d’une intelligence rare. On ne le dira jamais assez. On comprend donc que tout est très subtil, très construit, résolument machiavélique. Prenons le point 7. La Gauche historique est bien entendu d’accord avec ce point en général, car il a une lecture biologique, naturelle. Les courants post-industriels, post-modernes, le rejettent par contre catégoriquement.

« 7. Reconnaître la complémentarité de l’homme et de la femme
La famille est le premier lieu d’ingénierie créative pour toute la société. Je reconnais la complémentarité de l’homme et de la femme, et m’opposerai à toute politique qui tenterait de gommer la différenciation sexuelle. »

Seulement voilà, à la dialectique homme-femme, il a été ajouté la famille comme « ingénierie créative pour toute la société ». C’est là un autre thème. Dire que l’humanité repose sur une opposition homme-femme productive, c’est une chose. Faire de la famille la base de la société, c’est autre chose. On voit comment, de manière subtile, l’Église profite des errements ou délires des courants post-industriel, post-moderne, pour réactiver le thème réactionnaire de la « famille » conservatrice, repliée sur elle-même, niant le reste de la société.

L’un des points proposés par la Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe est même explicite en ce sens :

« 2. Mettre en œuvre le « Family Mainstreaming »
La famille est la pierre angulaire de toute société. L’UE doit prendre en compte le développement des familles dans toutes ses décisions, dans le respect du principe de subsidiarité.

Je m’engage à promouvoir la mise en œuvre du « Family Mainstreaming », examen préalable des conséquences sur la famille, pour toutes les politiques publiques de l’UE. »

Le reste est du tout avenant : l’économie doit être au service de la famille (c’est dit tel quel, point 4), les associations familiales doivent se voir accorder un rôle significatif (point 3), il faut leur donner de l’argent pour relancer la démographie (point 1), la vie professionnelle doit s’adapter à la forme familiale (point 6).

Le point 5 est, quant à lui, un exemple pratiquement parfait d’anticapitalisme romantique, avec la « personne » avant l’économie et la finance, etc.

« 5. Un travail digne et productif, nécessaire pour chaque famille
La famille est un acteur premier et naturel dans la promotion de l’inclusion sociale. Je m’engage à travailler en faveur de politiques publiques n’abordant pas le marché du travail sous l’angle exclusif de l’économie et de la finance, mais d’abord en considérant la personne et ses talents, capable de contribuer au bien commun et de prévenir la pauvreté.

Je m’engage également à soutenir la reconnaissance du travail domestique accompli par les mères et pères de famille, et de la valeur du bénévolat comme contribution à la cohésion sociale. »

Le point 10 serait malheureusement accepté par toute une partie de la Gauche, devenue relativiste, communautariste. Il est considéré comme odieux, inacceptable, pour les partisans de l’universalisme, pour la Gauche historique.

« 10. Père et mère, premiers et principaux éducateurs de leurs enfants.
Les familles s’inscrivent toujours dans une perspective de long terme, et travaillent à un avenir durable. Je m’assurerai que les programmes de l’UE en faveur des jeunes respecteront et protégeront le droit des parents à diriger l’éducation de leurs enfants conformément à leurs traditions culturelles, morales et religieuses qui visent leur bien et leur dignité. »

Le point 9 est décevant et montre que l’Église n’est pas en mesure d’affronter les questions morales de notre époque. Il fait en effet seulement allusion à l’avortement et à l’euthanasie. Cela montre que l’Église est du passé, qu’elle n’est pas capable d’affronter l’ultra-individualisme et son utilitarisme.

Une partie de la Gauche non plus d’ailleurs, qui considère l’avortement comme une simple formalité administrative, alors que cela pose la question du rapport à un être vivant en partie formée. La question de l’euthanasie est pareillement très délicate : si on peut juger tout à fait logique de vouloir abréger les souffrances (ce que l’Église catholique refuse), il n’en est pas moins vrai que vue la société, les critères vont être très bas afin de se débarrasser des indésirables, des inutiles…

« 9. Respecter la dignité de l’être humain jusqu’à sa mort naturelle
La famille est le lieu naturel de l’accueil de toute vie nouvelle. Je soutiens le respect de la dignité inhérente à toute vie humaine, à toutes ses étapes, depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Je soutiendrai les politiques et les bonnes pratiques accordant un soin particulier aux enfants avant et après leur naissance et à leurs mères, ainsi qu’aux familles d’accueil et aux familles adoptantes. »

Le point 8 contourne quant à elle la question du droit au mariage homosexuel, en disant qu’il ne faut pas modifier les lois sur le mariage dans l’Union Européenne et que cette dernière ne doit pas donner pas de définition légale du mariage. C’est là rater ce qu’est le libéralisme, qui ne vise pas tant à élargir le mariage, qu’à supprimer la notion même de couple, en appelant à une infinité de formes familiales, d’alliances individuelles, etc.

Il est vrai que l’Église catholique romaine cherche simplement à maintenir ses positions, pas à supprimer le libéralisme culturel ni le libéralisme économique, car elle a accepté le capitalisme. Cela n’était pas vrai encore dans les années 1930-1940, où elle cherchait une troisième voie, national-catholique et corporatiste (notamment avec l’Espagne et l’Autriche, ses deux bastions). D’un côté, tant mieux qu’elle cesse de diffuser un romantisme fasciste. De l’autre, ses prétentions à s’opposer à l’individu-roi sont devenues bien légères sans la charge de ce romantisme. Il n’y a même pas un semblant d’idéalisme à la Bernanos… L’Église est bien dépassée !

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Société

Le mariage des prêtres, entre histoire et théologie

La question du mariage des prêtres peut se prêter à un petit aperçu historique, prétexte à une compréhension plus approfondie de ce qu’est une religion. C’est un débat nécessaire pour la Gauche, qui a perdu énormément de terrain dans sa lutte anti-cléricale ou plus directement anti-religieuse.

Le mariage, Giulio Rosati, 1885

A l’occasion des propos du pape François sur le mariage des prêtres, un article publié sur agauche.org a affirmé que le refus de ce mariage était un principe théologique inaliénable du catholicisme. Aucune « modernisation » ne serait possible, ni même souhaitable finalement, car la religion ne sert que les réactionnaires.

Un lecteur a alors fait la remarque comme quoi le mariage des prêtres n’a été interdit qu’au cours du moyen âge, afin que les prêtres cessent « de léguer les propriétés religieuses à leurs familles ». La théologie, finalement, ne jouerait un rôle que secondaire.

Cette question est tout à fait intéressante, au-delà de son simple thème, car elle pose la question du rapport entre l’économie et la culture, l’idéologie, la théologie. Pour dire les choses plus crûment on a la vieille problématique que les marxistes appellent l’opposition infrastructures / superstructures, avec tout une panoplie d’évaluations différentes de leur rapport. Vu le poids des religions dans le monde, on n’échappe pas à l’approfondissement d’une telle mise en perspective.

Cependant, en ce qui concerne la question proprement dite, notre lecteur a vraisemblablement raté l’évolution, la transformation, l’actualité de ce qu’est l’Église catholique comme religion. Le refus de la réalité matérielle au profit d’un monde idéal immaculé est en effet le cœur du catholicisme et cela de plus en plus. Ou, si l’on veut, le catholicisme est bien plus que du cléricalisme : c’est un mysticisme complet. Ce que les gens religieux ne voient pas le plus souvent, parce qu’ils ne s’intéressent pas à de telles fantasmagories.

Regardons ce qu’il en est, de manière organisée. Déjà, le catholicisme refuse le mariage, par définition même, pour ceux qui font le choix de la pureté. Il fait en effet une grande distinction entre les croyants et le personnel religieux, et même au sein de ce personnel religieux il y a une hiérarchie très importante.

Cette hiérarchie est d’ordre mystique ; elle est notamment théorisée par le (pseudo) Denys l’aréopagite. Pour faire court, lors de l’Eucharistie, le pain est vraiment le corps du Christ et le vin vraiment son sang. Mais pour que cette opération qu’on peut appeler « magique » ait lieu, il faut un magicien. Ce magicien c’est le prêtre.

Et comment fait-il apparaître le corps et le sang ? En étant l’époux de l’Église. Il a, si l’on veut, des super pouvoirs parce qu’il est marié à un seul être, l’Église qui aurait été établie à la demande du Christ. S’il se mariait à quelqu’un d’autre, il perdrait ses super-pouvoirs : il ne peut donc pas se marier avec un être humain. Ou bien, on peut inverser la proposition : si avec les protestants on enlève la dimension « magique » du dimanche, alors le vin est seulement du vin, le pain seulement du pain, et le prêtre peut se marier (il est alors simplement pasteur, par ailleurs).

En termes juridiques catholiques romains, cela donne cela dans le Code de droit canonique de 1983 :

« Can. 277 – § 1. Les clercs sont tenus par l’obligation de garder la « continence parfaite et perpétuelle » à cause du Royaume des Cieux, et sont donc astreints au célibat, don particulier de Dieu par lequel les ministres sacrés peuvent s’unir plus facilement au Christ avec un cœur sans partage et s’adonner plus librement au service de Dieu et des hommes. »

Le catholicisme est ici une religion « fusionnelle », comme l’hindouisme. Ni le judaïsme, ni l’Islam ne vont aussi loin dans ce rejet de la réalité matérielle. Voilà pour la dimension théologique.

Maintenant, on se doute bien que si telle ou telle conception a a gagné dans l’Église catholique romaine, ce n’est pas simplement parce que son argumentaire théologique était supérieur. Il y a des intérêts matériels que les différents points de vue reflétaient. Et effectivement pour empêcher la dispersion des biens de l’Église, le célibat a été instauré de manière rigide. Auparavant les hommes mariés avant de devenir prêtres pouvaient le rester, mais devenir abstinents. Comme cela ne marchait pas vraiment et qu’on avait peur que les fils réclament le poste ou les terres ou le privilèges, il a été procédé à la fin de 1100 à la suppression de l’ordination des hommes mariés.

Seulement, on aurait tort de voir simplement une sorte de machiavélisme de l’Église. Il faut en effet voir qu’avant l’an 800, l’Église n’était pas forte comme elle le fut justement après. Ce n’est qu’avec l’appui d’une féodalité développée que la religion a connu une expansion très forte qui a, on s’en doute, demandée davantage de personnel. On passe, si l’on veut, des petits monastères dans les campagnes, des églises romanes, aux églises gothiques, aux cathédrales. Avec le célibat forcé, l’Église a juste fait le ménage dans ses nombreuses recrues.

Ce qui a été machiavélique, ce n’est pas tant de décider subitement le célibat, mais de l’avoir mis de côté simplement pour devenir une religion de masse, et une fois établie, de remettre tout en ordre… De plus, si l’Église fait ce rappel à l’ordre, ce n’est pas simplement pour ses propres intérêts. C’était aussi en rapport avec sa concurrence avec la noblesse, mais ceci nous éloigne du sujet.

Donc, il y a eu ménage de fait, qui rentre évidemment en adéquation avec ses intérêts, mais il y a bien une vie autonome de l’Église. On peut prouver cela de deux manières. D’abord, l’Église d’Orient n’applique pas ce principe, sauf pour les moines et les évêques. On peut dire que l’orient n’a pas connu la même féodalité que l’occident, mais cela ne fait que déplacer le problème : pourquoi y a-t-il telle chose en occident, telle chose en orient ?

Ensuite, et c’est le grand paradoxe, le célibat du clergé ayant reçu les sacrements est, dans l’Église catholique, une règle de discipline et non d’un point de foi. Cela signifie concrètement qu’on ne touche pas au dogme si l’on instaure le mariage des prêtres : c’est juste une mesure administrative, rien de plus. C’est donc, somme toute, assez facile à mettre en place.

Mais l’Église catholique ne veut pas le faire, elle ne cesse de le rappeler. Pourquoi ? Parce qu’elle prétend être la porte vers l’au-delà. Et une structure tournée vers l’au-delà ne peut pas prétendre en même temps être tourné vers le monde matériel. C’est pour cela que les juifs, les musulmans, les protestants vaquent à leurs occupations, tout en étant de bons juifs, de bons musulmans, de bons protestants. Chez les catholiques, ce n’est pas possible : seul compte l’au-delà.

Si jamais se pose d’ailleurs la question ici des djihadistes, qui veulent atteindre l’au-delà, il faut bien voir que leur Islam « fusionne » le monde matériel et l’au-delà. Les lois musulmanes sur Terre sont déjà une préfiguration, voire un moment de l’au-delà. C’est la conception du Tawhid, de l’unicité divine.

Chez les catholiques, l’univers est quant à lui coupé radicalement en deux, et seul l’au-delà compte. La religion n’est pas qu’une structure liée à l’économie ou des intérêts matériels : elle naît aussi comme opium du peuple, inquiétude métaphysique, quête mystique de l’au-delà. En fait, elle se nourrit de l’absence de reconnaissance du monde matériel, à quelque échelle que ce soit.

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Société

L’impossible mariage des prêtres catholiques

Les catholiques français sont très réceptifs à la possibilité pour les prêtres de se marier. Or, c’est une impossibilité théologique fondamentale, comme le pape vient de le rappeler. Ce qui se révèle ici, c’est un souhait permanent de chercher à moderniser la religion catholique afin de la maintenir, sous une forme ou sous une autre : elle n’est ainsi qu’une idéologie.

Lourdes

L’Église catholique romaine, afin de ne pas perdre ses positions en France alors que le protestantisme s’élançait (avec Hus, Calvin, Luther), a fait de ce pays sa fille aînée. Plus simplement, il a été dit à François Ier qu’il jouerait un rôle central dans la nomination de la direction catholique, en échange de quoi il ne touchait pas aux privilèges matériels du catholicisme, ni à ses importantes propriétés. Cet accord a permis l’avènement sans encombre de la monarchie absolue.

Cela a amené le catholicisme français à connaître un chemin qui lui est propre. Déjà qu’au-delà de la fiction universelle du Vatican, le catholicisme est relativement différent dans chaque pays, le catholicisme français est qui plus est très autonome. Ses positions très libérales-sociales se sont d’autant plus renforcées qu’il fallait faire face non seulement à la « modernité », mais à une offensive anticléricale, anti-religieuse. Cela amène les prêtres français à tenir un discours démagogique extrêmement ouvert, très accueillant, très universaliste, etc.

Cela fait que les catholiques français ne savent même plus que si l’on n’est pas catholique, alors une fois mort on va en enfer ; ils ne connaissent rien à la théologie, aux grands principes de leur propre religion. D’où inversement les réactions ultras de minorités catholiques, qui attribuent cette situation en réalité très française au concile dit Vatican II. Les Français sont tout simplement pétris de libéralisme et par conséquent, quand ils sont catholiques, ils ont une lecture libérale de leur religion, voilà tout.

Le même phénomène existe d’ailleurs chez les juifs, les protestants et les musulmans. La grande majorité des gens se reconnaissant dans ces religions n’en connaissent pratiquement rien dans le domaine théologique, à part donc pareillement des petites minorités ultras. La religion est une forme relevant de l’antiquité, du moyen-âge ; elle ne peut pas exister ni dans une société libérale, ni dans une société où les gens sont raisonnables, autonomes sur le plan de la pensée (il y a bien lieu de distinguer ces deux sociétés !).

Si elle se maintient, c’est qu’elle est idéologie, bien plus qu’un questionnement métaphysique, chose qu’on ne retrouve que chez les intellectuels, avec parfois une vraie interrogation de type cosmologiste ou bien sur la nature de l’humanité. Les catholiques français expriment, au moyen de leur religion, un conservatisme bienveillant, dont les scouts sont finalement les meilleurs représentants. Seulement voilà on ne fait pas une religion qu’avec des scouts. Il faut un clergé.

Et étant libéraux, les catholiques français n’ont rien contre le mariage des prêtres. D’abord, parce que chacun fait ce qu’il veut, ensuite, parce que cela permettrait d’en avoir plus, d’être plus proches également du mode de vie moderne. Seulement voilà, le catholicisme est un mysticisme qui, dans la lignée d’un (saint) Augustin, d’un (saint) Thomas, (pseudo) Denys l’Aréopagite, n’en a rien à faire du monde moderne, ni même du monde matériel. Il faut aller dans le sens de la pureté divine, pas de la matière. Le mariage des prêtres est donc impossible.

Le pape était il y a peu au Panama, à l’occasion de la journée mondiale de la Jeunesse (catholique romaine), et dans l’avion qui l’a ramené à Rome, il a tenu une conférence de presse, comme il en a l’habitude. On lui a parlé du thème du mariage des prêtres, et ce pape « moderne » a été très clair :

« Personnellement je pense que le célibat est un don pour l’Église »

« Je ne le ferai pas [=autoriser le mariage des prêtres], que cela reste clair. Je peux sembler peut-être fermé là-dessus mais je ne me sens pas de me présenter devant Dieu avec cette décision. »

C’est tout à fait logique, puisque cela correspond à la base théologique du catholicisme. Le pape François a même cité (saint) Paul VI:

« Je préfère donner ma vie que de changer la loi du célibat. »

Après, il a raconté que de son point de vue on pouvait former des quarts de prêtres pour célébrer la messe dans des « endroits très éloignés », mentionnant les îles du Pacifique ou encore l’Amazonie. Mais même cela sera théologiquement très difficile à mettre en place, de par la nature « mystique » du prêtre.

Car le prêtre doit être pur, il est en liaison direct avec le divin. Il n’est pas sur le même plan que les gens qui ne font pas partie du clergé ! D’ailleurs, dans l’Église catholique orthodoxe, le clergé fait encore sa cérémonie mystique en étant masqué des présents dans l’église, car ceux-ci ne sont pas dignes d’y assister. On ne plaisante pas avec l’eucharistie chez les catholiques : le vin est vraiment considéré comme le sang de Jésus, chaque dimanche, et le pain est vraiment censé être son corps.

On boit et on mange le Christ, le dimanche à la messe. C’est évidemment difficile à avaler au 21e siècle, aussi les catholiques libéraux aimeraient bien quelques améliorations, afin de conserver leur joujou conservateur. Mais ils rentrent là en conflit avec la dimension théologique de la religion, qui en fait d’ailleurs son intérêt historique, sur le plan de l’humanisme. Un Dieu qui se fait homme, c’est le début d’une révolution intellectuelle et conceptuelle, un basculement en faveur de l’humanité. Cela mène finalement droit à l’athéisme, pour qui a une lecture humaniste et naturaliste de cette question.

Le catholicisme romain n’évitera donc pas une crise en France, de par les exigences de son public libéral ayant abandonné toute dimension théologique, et le maintien des fondamentaux…

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Politique

La valorisation ultra du catholicisme par Emmanuel Macron chez les Évêques de France

Le discours d’Emmanuel Macron devant les évêques de France, il y a quelques jours, a provoqué de nombreuses réactions, parce que le président de la République a parlé de rétablir le « lien » du pays avec l’Église catholique romaine. C’est la laïcité qui aurait été remise en cause.

Cela est erroné. La laïcité n’est qu’un compromis historique. Et, historiquement, il ne peut pas y avoir de compromis entre la Gauche et les religions, qui ne sont que des superstitions, des mensonges.

Naturellement, le contexte historique des religions est à comprendre : nier qu’elles aient apporté quelque chose serait ridicule. Une position anarchiste serait absurde. Cependant, il serait tout aussi absurde de ne pas affirmer que les religions ont fait leur temps.

Or, comme Emmanuel Macron est en même temps un libéral et un conservateur – ce qui n’est pas une contradiction, car le capitalisme libère le marché mais enferme le pays dans une communauté aliénée, consommatrice, aux personnalités déformées -, il a besoin des religions.

En particulier du catholicisme : il n’a pas hésité à parler des « liens les plus indestructibles entre la nation française et le catholicisme », de « la sève catholique » qui contribue à faire vivre la nation. On est ici dans l’idéologie de Charles Péguy, de Charles Maurras, de Georges Bernanos, mais également d’Emmanuel Mounier que, bien entendu, Emmanuel Macron a nommé.

Car le catholicisme et sa focalisation sur l’individu intégré à une communauté correspond tout à fait au capitalisme où le consommateur est encadré. Rien à voir avec le protestantisme et les Lumières où c’est la personne qui assume des choix moraux, porte la civilisation dans chacun de ses actes.

Le catholicisme est par définition un mysticisme, où l’existence humaine est un mystère hiérarchisé, avec l’Église reproduisant la hiérarchie céleste. Il n’y a plus rien à en tirer, depuis le développement des villes, depuis la fin du moyen-âge.

Il n’y pas d’humanisme catholique, c’est une absurdité, prétendre que l’Église a une portée universelle est mensonger. Emmanuel Macron se conforme à ce mensonge, en disant par exemple, avec un lyrisme quasi mystique, au sujet des débats bioéthiques :

« C’est pourquoi en écoutant l’Eglise sur ces sujets, nous ne haussons pas les épaules. Nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme. Nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtres nombre de ses points. Mais cette voix de l’Eglise, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. »

On a également droit à une citation de Pascal, ce mystique délirant, un ultra-religieux sectaire comme ce n’est pas permis, faisant partie du jansénisme :

« Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme », dit PASCAL de la religion chrétienne.

En réalité, il parlait du catholicisme, promettant l’enfer aux autres, et même aux mauvais catholiques. C’est un exemple, parmi tant d’autres, de ces contorsions nécessaires pour faire du catholicisme, qu’il faut supprimer comme toutes les religions, quelque chose apportant quelque chose.

Emmanuel Macron y croit-il vraiment ? Vu qu’il cite Georges Bataille, ce mystique semi-surréaliste cherchant Dieu sans y croire, en quête de transcendance par la transgression, c’est sans doute que c’est un « moderne » : un libéral pour qui l’Église est quelque chose de pas assez branchée, mais pourtant nécessaire.

Comme toutes les personnes imbriquées dans les classes dominantes, il ne peut pas assumer l’athéisme, et l’Église est si utile de par sa dimension réactionnaire !

Transcription du discours du Président de la République devant les Evêques de France

Collège des Bernardins – Lundi 9 avril 2018

Monsieur le Ministre d’Etat,

Mesdames les ministres,

Mesdames, messieurs les parlementaires,

Monsieur le Nonce,

Mesdames et messieurs les ambassadeurs,

Mesdames et messieurs les responsables des cultes,

Monseigneur,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie vivement, Monseigneur, et je remercie la Conférence des Evêques de France de cette invitation à m’exprimer ici ce soir, en ce lieu si particulier et si beau du Collège des Bernardins, dont je veux aussi remercier les responsables et les équipes.

Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer.

Pour cela, il n’est pas d’autre moyen qu’un dialogue en vérité.

Ce dialogue est indispensable, et si je devais résumer mon point de vue, je dirais qu’une Eglise prétendant se désintéresser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa vocation ; et qu’un président de la République prétendant se désintéresser de l’Eglise et des catholiques manquerait à son devoir.

L’exemple du colonel BELTRAME par lequel, Monseigneur, vous venez d’achever votre propos, illustre ce point de vue d’une manière que je crois éclairante.

Beaucoup, lors de la journée tragique du 23 mars, ont cherché à nommer les ressorts secrets de son geste héroïque : les uns y ont vu l’acceptation du sacrifice ancrée dans sa vocation militaire ; les autres y ont vu la manifestation d’une fidélité républicaine nourrie par son parcours maçonnique ; d’autres enfin, et notamment son épouse, ont interprété son acte comme la traduction de sa foi catholique ardente, prête à l’épreuve suprême de la mort.

Ces dimensions en réalité sont tellement entrelacées qu’il est impossible de les démêler, et c’est même inutile, car cette conduite héroïque c’est la vérité d’un homme dans toute sa complexité qui s’est livrée.

Mais dans ce pays de France qui ne ménage pas sa méfiance à l’égard des religions, je n’ai pas entendu une seule voix se lever pour contester cette évidence, gravée au cœur de notre imaginaire collectif et qui est celle-ci : lorsque vient l’heure de la plus grande intensité, lorsque l’épreuve commande de rassembler toutes les ressources qu’on a en soi au service de la France, la part du citoyen et la part du catholique brûlent, chez le croyant véritable, d’une même flamme.

Je suis convaincu que les liens les plus indestructibles entre la nation française et le catholicisme se sont forgés dans ces moments où est vérifiée la valeur réelle des hommes et des femmes. Il n’est pas besoin de remonter aux bâtisseurs de cathédrales et à Jeanne d’Arc : l’histoire récente nous offre mille exemples, depuis l’Union Sacrée de 1914 jusqu’aux résistants de 40, des Justes aux refondateurs de la République, des Pères de l’Europe aux inventeurs du syndicalisme moderne, de la gravité éminemment digne qui suivit l’assassinat du Père HAMEL à la mort du colonel BELTRAME, oui, la France a été fortifiée par l’engagement des catholiques.

Disant cela, je ne m’y trompe pas. Si les catholiques ont voulu servir et grandir la France, s’ils ont accepté de mourir, ce n’est pas seulement au nom d’idéaux humanistes. Ce n’est pas au nom seulement d’une morale judéo-chrétienne sécularisée. C’est aussi parce qu’ils étaient portés par leur foi en Dieu et par leur pratique religieuse.

Certains pourront considérer que de tels propos sont en infraction avec la laïcité. Mais après tout, nous comptons aussi des martyrs et des héros de toute confession et notre histoire récente nous l’a encore montré, et y compris des athées, qui ont trouvé au fond de leur morale les sources d’un sacrifice complet.Reconnaître les uns n’est pas diminuer les autres, et je considère que la laïcité n’a certainement pas pour fonction de nier le spirituel au nom du temporel, ni de déraciner de nos sociétés la part sacrée qui nourrit tant de nos concitoyens.

Je suis, comme chef de l’Etat, garant de la liberté de croire et de ne pas croire, mais je ne suis ni l’inventeur ni le promoteur d’une religion d’Etat substituant à la transcendance divine un credo républicain.

M’aveugler volontairement sur la dimension spirituelle que les catholiques investissent dans leur vie morale, intellectuelle, familiale, professionnelle, sociale, ce serait me condamner à n’avoir de la France qu’une vue partielle ; ce serait méconnaître le pays, son histoire, ses citoyens ; et affectant l’indifférence, je dérogerais à ma mission. Et cette même indifférence, je ne l’ai pas davantage à l’égard de toutes les confessions qui aujourd’hui habitent notre pays.

Et c’est bien parce que je ne suis pas indifférent, que je perçois combien le chemin que l’Etat et l’Eglise partagent depuis si longtemps, est aujourd’hui semé de malentendus et de défiance réciproques.

Ce n’est certes pas la première fois dans notre histoire. Il est de la nature de l’Eglise d’interroger constamment son rapport au politique, dans cette hésitation parfaitement décrite par MARROU dans sa Théologie de l’histoire, et l’histoire de France a vu se succéder des moments où l’Eglise s’installait au cœur de la cité, et des moments où elle campait hors-les-murs.

Mais aujourd’hui, dans ce moment de grande fragilité sociale, quand l’étoffe même de la nation risque de se déchirer, je considère de ma responsabilité de ne pas laisser s’éroder la confiance des catholiques à l’égard de la politique et des politiques. Je ne puis me résoudre à cette déprise. Et je ne saurais laisser s’aggraver cette déception.

C’est d’autant plus vrai que la situation actuelle est moins le fruit d’une décision de l’Eglise que le résultat de plusieurs années pendant lesquelles les politiques ont profondément méconnu les catholiques de France.

Ainsi, d’un côté, une partie de la classe politique a sans doute surjoué l’attachement aux catholiques, pour des raisons qui n’étaient souvent que trop évidemment électoralistes. Ce faisant, on a réduit les catholiques à cet animal étrange qu’on appelle l’« électorat catholique » et qui est en réalité une sociologie.Et l’on a ainsi fait le lit d’une vision communautariste contredisant la diversité et la vitalité de l’Eglise de France, mais aussi l’aspiration du catholicisme à l’universel – comme son nom l’indique – au profit d’une réduction catégorielle assez médiocre.

Et de l’autre côté, on a trouvé toutes les raisons de ne pas écouter les catholiques, les reléguant par méfiance acquise et par calcul au rang de minorité militante contrariant l’unanimité républicaine.

Pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles, je me fais une plus haute idée des catholiques. Et il ne me semble ni sain ni bon que le politique se soit ingénié avec autant de détermination soit à les instrumentaliser, soit à les ignorer, alors que c’est d’un dialogue et d’une coopération d’une toute autre tenue, d’une contribution d’un tout autre poids à la compréhension de notre temps et à l’action dont nous avons besoin pour faire que les choses évoluent dans le bon sens.

C’est ce que votre belle allocution a bien montré, Monseigneur. Les préoccupations que vous soulevez – et je tâcherai pour quelques-unes d’y répondre ou d’y apporter un éclairage provisoire – ces préoccupations ne sont pas les fantasmes de quelques-uns. Les questions qui sont les vôtres ne se bornent pas aux intérêts d’une communauté restreinte. Ce sont des questions pour nous tous, pour toute la nation, pour notre humanité toute entière.

Ce questionnement intéresse toute la France non parce qu’il est spécifiquement catholique, mais parce qu’il repose sur une idée de l’homme, de son destin, de sa vocation, qui sont au cœur de notre devenir immédiat. Parce qu’il entend offrir un sens et des repères à ceux qui trop souvent en manquent.

C’est parce que j’entends faire droit à ces interrogations que je suis ici ce soir. Et pour vous demander solennellement de ne pas vous sentir aux marches de la République, mais de retrouver le goût et le sel du rôle que vous y avez toujours joué.

Je sais que l’on a débattu comme du sexe des anges des racines chrétiennes de l’Europe. Et que cette dénomination a été écartée par les parlementaires européens. Mais après tout, l’évidence historique se passe parfois de tels symboles. Et surtout, ce ne sont pas les racines qui nous importent, car elles peuvent aussi bien être mortes. Ce qui importe, c’est la sève. Et je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation.

C’est pour tenter de cerner cela que je suis ici ce soir. Pour vous dire que la République attend beaucoup de vous. Elle attend très précisément si vous m’y autorisez que vous lui fassiez trois dons : le don de votre sagesse ; le don de votre engagement et le don de votre liberté.

*

* *

L’urgence de notre politique contemporaine, c’est de retrouver son enracinement dans la question de l’homme ou, pour parler avec MOUNIER, de la personne. Nous ne pouvons plus, dans le monde tel qu’il va, nous satisfaire d’un progrès économique ou scientifique qui ne s’interroge pas sur son impact sur l’humanité et sur le monde. C’est ce que j’ai essayé d’exprimer à la tribune des Nations unies à New York, mais aussi à Davos ou encore au Collège de France lorsque j’y ai parlé d’intelligence artificielle : nous avons besoin de donner un cap à notre action, et ce cap, c’est l’homme.

Or il n’est pas possible d’avancer sur cette voie sans croiser le chemin du catholicisme, qui depuis des siècles creuse patiemment ce questionnement. Il le creuse dans son questionnement propre dans un dialogue avec les autres religions.

Questionnement qui lui donne la forme d’une architecture, d’une peinture, d’une philosophie, d’une littérature, qui toutes tentent, de mille manières, d’exprimer la nature humaine et le sens de la vie. « Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme », dit PASCAL de la religion chrétienne. Et certes, d’autres religions, d’autres philosophies ont creusé le mystère de l’homme. Mais la sécularisation ne saurait éliminer la longue tradition chrétienne.

Au cœur de cette interrogation sur le sens de la vie, sur la place que nous réservons à la personne, sur la façon dont nous lui conférons sa dignité, vous avez, Monseigneur, placé deux sujets de notre temps : la bioéthique et le sujet des migrants.

Vous avez ainsi établi un lien intime entre des sujets que la politique et la morale ordinaires auraient volontiers traités à part. Vous considérez que notre devoir est de protéger la vie, en particulier lorsque cette vie est sans défense. Entre la vie de l’enfant à naître, celle de l’être parvenu au seuil de la mort, ou celle du réfugié qui a tout perdu, vous voyez ce trait commun du dénuement, de la nudité et de la vulnérabilité absolue. Ces êtres sont exposés. Ils attendent tout de l’autre, de la main qui se tend, de la bienveillance qui prendra soin d’eux. Ces deux sujets mobilisent notre part la plus humaine et la conception même que nous nous faisons de l’humain et cette cohérence s’impose à tous.

Alors, j’ai entendu, Monseigneur, Mesdames et Messieurs, les inquiétudes montant du monde catholique et je veux ici tenter d’y répondre ou en tout cas de donner notre part de vérité et de conviction.

Sur les migrants, on nous reproche parfois de ne pas accueillir avec assez de générosité ni de douceur, de laisser s’installer des cas préoccupants dans les centres de rétention ou de refouler les mineurs isolés. On nous accuse même de laisser prospérer des violences policières.

Mais à dire vrai, que sommes-nous en train de faire ? Nous tentons dans l’urgence de mettre un terme à des situations dont nous avons hérité et qui se développent à cause de l’absence de règles, de leur mauvaise application, ou de leur mauvaise qualité – et je pense ici aux délais de traitement administratif mais aussi aux conditions d’octroi des titres de réfugiés.

Notre travail, celai que conduit chaque jour le ministre d’Etat, est de sortir du flou juridique des gens qui s’y égarent et qui espèrent en vain, qui tentent de reconstruire quelque chose ici, puis sont expulsés, cependant que d’autres, qui pourraient faire leur vie chez nous, souffrent de conditions d’accueil dégradées dans des centres débordés.

C’est la conciliation du droit et de l’humanité que nous tentons. Le Pape a donné un nom à cet équilibre, il l’a appelé « prudence », faisant de cette vertu aristotélicienne celle du gouvernant, confronté bien sûr à la nécessité humaine d’accueillir mais également à celle politique et juridique d’héberger et d’intégrer. C’est le cap de cet humanisme réaliste que j’ai fixé. Il y aura toujours des situations difficiles. Il y aura parfois des situations inacceptables et il nous faudra à chaque fois ensemble tout faire pour les résoudre.

Mais je n’oublie pas non plus que nous portons aussi la responsabilité de territoires souvent difficiles où ces réfugiés arrivent. Nous savons que les afflux de populations nouvelles plongent la population locale dans l’incertitude, la poussent vers des options politiques extrêmes, déclenchent souvent un repli qui tient du réflexe de protection. Une forme d’angoisse quotidienne se fait jour qui crée comme une concurrence des misères.

Notre exigence est justement dans une tension éthique permanente de tenir ces principes, celui d’un humanisme qui est le nôtre et de ne rien renoncer en particulier pour protéger les réfugiés, c’est notre devoir moral et c’est inscrit dans notre Constitution ; nous engager clairement pour que l’ordre républicain soit maintenu et que cette protection des plus faibles ne signifie pas pour autant l’anomie et l’absence de discernement car il y a aussi des règles qu’il faudra faire valoir et pour que des places soient trouvées, comme c’était dit tout à l’heure, dans les centres d’hébergement, ou dans les situations les plus difficiles, il faut aussi accepter que prenant notre part de cette misère, nous ne pouvons pas la prendre tout entière sans distinction des situations et il nous faut aussi tenir la cohésion nationale du pays où parfois d’aucuns ne parlent plus de cette générosité que nous évoquons ce soir mais ne veulent voir que la part effrayante de l’autre, et nourrissent ce geste pour porter plus loin leur projet.

C’est bien parce que nous avons à tenir ces principes, parfois contradictoires, dans une tension constante, que j’ai voulu que nous portions cet humanisme réaliste et que je l’assume pleinement devant vous.

Là où nous avons besoin de votre sagesse c’est pour partout tenir ce discours d’humanisme réaliste c’est pour conduire à l’engagement de celles et ceux qui pourront nous aider et c’est d’éviter les discours du pire, la montée des peurs qui continueront de se nourrir de cette part de nous car les flux massifs dont vous avez parlé que j’évoquais à l’instant ne se tariront pas d’ici demain, ils sont le fruit de grands déséquilibres du monde.

Et qu’il s’agisse des conflits politiques, qu’il s’agisse de la misère économique et sociale ou des défis climatiques, ils continueront à alimenter dans les années et les décennies qui viennent des grandes migrations auxquelles nous serons confrontés et il nous faudra continuer à tenir inlassablement ce cap, à constamment tenter de tenir nos principes au réel et je ne cèderai en la matière ni aux facilités des uns ni aux facilités des autres. Car ce serait manquer à ma mission.

Sur la bioéthique, on nous soupçonne parfois de jouer un agenda caché, de connaître d’avance les résultats d’un débat qui ouvrira de nouvelles possibilités dans la procréation assistée, ouvrant la porte à des pratiques qui irrésistiblement s’imposeront ensuite, comme la Gestation Pour Autrui. Et certains se disent que l’introduction dans ces débats de représentants de l’Eglise catholique comme de l’ensemble des représentants des cultes comme je m’y suis engagé dès le début de mon mandat est un leurre, destiné à diluer la parole de l’Eglise ou à la prendre en otage.

Vous le savez, j’ai décidé que l’avis du Conseil consultatif national d’Ethique, Monsieur le président, n’était pas suffisant et qu’il fallait l’enrichir d’avis de responsables religieux. Et j’ai souhaité aussi que ce travail sur les lois bioéthiques que notre droit nous impose de revoir puisse être nourri d’un débat organisé par le CCNE mais où toutes les familles philosophiques religieuses, politiques, où notre société aura à s’exprimer de manière pleine et entière.

C’est parce que je suis convaincu que nous ne sommes pas là face à un problème simple qui pourrait se trancher par une loi seule mais nous sommes parfois face à des débats moraux, éthiques, profonds qui touchent au plus intime de chacun d’entre nous. J’entends l’Eglise lorsqu’elle se montre rigoureuse sur les fondations humaines de toute évolution technique ; j’entends votre voix lorsqu’elle nous invite à ne rien réduire à cet agir technique dont vous avez parfaitement montré les limites ; j’entends la place essentielle que vous donnez dans notre société, à la famille – aux familles, oserais-je dire -, j’entends aussi ce souci de savoir conjuguer la filiation avec les projets que des parents peuvent avoir pour leurs enfants.

Nous sommes aussi confrontés à une société où les formes de la famille évoluent radicalement, où le statut de l’enfant parfois se brouille et où nos concitoyens rêvent de fonder des cellules familiales de modèle traditionnel à partir de schémas familiaux qui le sont moins.

J’entends les recommandations que formulent les instances catholiques, les associations catholiques, mais là encore, certains principes énoncés par l’Eglise sont confrontés à des réalités contradictoires et complexes qui traversent les catholiques eux-mêmes ; tous les jours, tous les jours les mêmes associations catholiques et les prêtres accompagnent des familles monoparentales, des familles divorcées, des familles homosexuelles, des familles recourant à l’avortement, à la fécondation in vitro, à la PMA , des familles confrontées à l’état végétatif d’un des leurs, des familles où l’un croit et l’autre non, apportant dans la famille la déchirure des choix spirituels et moraux, et cela je le sais, c’est votre quotidien aussi.

L’Eglise accompagne inlassablement ces situations délicates et tente de concilier ces principes et le réel.C’est pourquoi je ne suis pas en train de dire que l’expérience du réel défait ou invalide les positions adoptées par l’église ; je dis simplement que là aussi il faut trouver la limite car la société est ouverte à tous les possibles, mais la manipulation et la fabrication du vivant ne peuvent s’étendre à l’infini sans remettre en cause l’idée même de l’homme et de la vie.

Ainsi le politique et l’Eglise partagent cette mission de mettre les mains dans la glaise du réel, de se

confronter tous les jours à ce que le temporel a, si j’ose dire, de plus temporel.

Et c’est souvent dur, compliqué, et exigeant et imparfait. Et les solutions ne viennent pas d’elles-mêmes.Elles naissent de l’articulation entre ce réel et une pensée, un système de valeur, une conception du monde. Elles sont bien souvent le choix du moindre mal, toujours précaire et cela aussi est exigeant et difficile.

C’est pourquoi en écoutant l’Eglise sur ces sujets, nous ne haussons pas les épaules. Nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme. Nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtres nombre de ses points. Mais cette voix de l’Eglise, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. Et sur tous ces sujets et en particulier sur ces deux sujets que je viens d’évoquer, parce qu’ils se construisent en profondeur dans ces tensions éthiques entre nos principes, parfois nos idéaux et le réel, nous sommes ramenés à l’humilité profonde de notre condition.

L’Etat et l’Eglise appartiennent à deux ordres institutionnels différents, qui n’exercent pas leur mandat sur le même plan. Mais tous deux exercent une autorité et même une juridiction. Ainsi, nous avons chacun forgé nos certitudes et nous avons le devoir de les formuler clairement, pour établir des règles, car c’est notre devoir d’état. Aussi le chemin que nous partageons pourrait se réduire à n’être que le commerce de nos certitudes.

Mais nous savons aussi, vous comme nous, que notre tâche va au-delà. Nous savons qu’elle est de faire vivre le souffle de ce que nous servons, d’en faire grandir la flamme, même si c’est difficile et surtout si c’est difficile.

Nous devons constamment nous soustraire à la tentation d’agir en simples gestionnaires de ce qui nous a été confié. Et c’est pourquoi notre échange doit se fonder non sur la solidité de certaines certitudes, mais sur la fragilité de ce qui nous interroge, et parfois nous désempare. Nous devons oser fonder notre relation sur le partage de ces incertitudes, c’est-à-dire sur le partage des questions, et singulièrement des questions de l’homme.

C’est là que notre échange a toujours été le plus fécond : dans la crise, face à l’inconnu, face au risque, dans la conscience partagée du pas à franchir, du pari à tenter. Et c’est là que la nation s’est le plus souvent grandie de la sagesse de l’Eglise, car voilà des siècles et des millénaires que l’Eglise tente ses paris, et ose son risque. C’est par là qu’elle a enrichi la nation.

C’est cela, si vous m’y autorisez, la part catholique de la France. C’est cette part qui dans l’horizon séculier instille tout de même la question intranquille du salut, que chacun, qu’il croie ou ne croie pas, interprétera à sa manière, mais dont chacun pressent qu’elle met en jeu sa vie entière, le sens de cette vie, la portée qu’on lui donne et la trace qu’elle laissera.

Cet horizon du salut a certes totalement disparu de l’ordinaire des sociétés contemporaines, mais c’est un tort et l’on voit à bien à des signes qu’il demeure enfoui. Chacun a sa manière de le nommer, de le transformer, de le porter mais c’est tout à la fois la question du sens et de l’absolu dans nos sociétés, que l’incertitude du salut apporte à toutes les vies même les plus résolument matérielles comme un tremblé au sens pictural du terme, est une évidence.

Paul RICŒUR, si vous m’autorisez à le citer ce soir, a trouvé les mots justes dans une conférence prononcée à Amiens en 1967 : « maintenir un but lointain pour les hommes, appelons-le un idéal, en un sens moral, et une espérance, en un sens religieux».

Ce soir-là, face à un public où certains avaient la foi, d’autres non, Paul RICŒUR invita son auditoire à dépasser ce qu’il appela « la prospective sans perspective » avec cette formule qui, je n’en doute pas, nous réunira tous ici ce soir : « Viser plus, demander plus. C’est cela l’espoir ; il attend toujours plus que de l’effectuable. »

Ainsi, l’Eglise n’est pas à mes yeux cette instance que trop souvent on caricature en gardienne des bonnes mœurs. Elle est cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas.

C’est pour cela que le premier don que je vous demande est celui de l’humilité du questionnement, le don de cette sagesse qui trouve son enracinement de la question de l’homme et donc dans les questions que l’homme se pose.

Car c’est cela l’Eglise à son meilleur ; c’est celle qui dit : frappez et l’on vous ouvrira, qui se pose en recours et en voix amie dans un monde où le doute, l’incertain, le changeant sont de règle ; où le sens toujours échappe et toujours se reconquiert ; c’est une église dont je n’attends pas des leçons mais plutôt cette sagesse d’humilité face en particulier à ces deux sujets que vous avez souhaité évoquer et que je viens d’esquisser en réponse parce que nous ne pouvons avoir qu’un horizon commun et en cherchant chaque jour à faire du mieux, à accepter au fond la part « d’intranquillité » irréductible qui va avec notre action.

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Questionner, ce n’est pas pour autant refuser d’agir ; c’est au contraire tenter de rendre l’action conforme à des principes qui la précèdent et la fondent et c’est cette cohérence entre pensée et action qui fait la force de cet engagement que la France attend de vous. Ce deuxième don dont je souhaitais vous parler.

Ce qui grève notre pays – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – ce n’est pas seulement la crise économique, c’est le relativisme ; c’est même le nihilisme ; c’est tout ce qui laisse à penser que cela n’en vaut pas la peine. Pas la peine d’apprendre, pas la peine de travailler et surtout pas la peine de tendre la main et de s’engager au service de plus grands que soit. Le système, progressivement, a enfermé nos concitoyens dans « l’à quoi bon » en ne rémunérant plus vraiment le travail ou plus tout à fait, en décourageant l’initiative, en protégeant mal les plus fragiles, en assignant à résidence les plus défavorisés et en considérant que l’ère postmoderne dans laquelle nous étions collectivement arrivés, était l’ère du grand doute qui permettait de renoncer à toute absolu.

C’est dans ce contexte de décrue des solidarités et de l’espoir que les catholiques se sont massivement tournés vers l’action associative, vers l’engagement. Vous êtes aujourd’hui une composante majeure de cette partie de la Nation qui a décidé de s’occuper de l’autre partie – nous en avons vu des témoignages très émouvants tout à l’heure – celle des malades, des isolés, des déclassés, des vulnérables, des abandonnés, des handicapés, des prisonniers, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse.BATAILLE appelait ça « la part maudite » dans un terme qui a parfois été dénaturé mais qui est la part essentielle d’une société parce que c’est à cela qu’une société, qu’une famille, qu’une vie se juge… à sa capacité à reconnaître celle ou celui qui a eu un parcours différent, un destin différent et à s’engager pour lui. Les Français ne mesurent pas toujours cette mutation de l’engagement catholique ; vous êtes passés des activités de travailleurs sociaux à celles de militants associatifs se tenant auprès de la part fragile de notre pays, que les associations où les catholiques s’engagent soient explicitement catholiques ou pas, comme les Restos du Cœur.

Je crains que les politiques ne se soient trop longtemps conduits comme si cet engagement était un acquis, comme si c’était normal, comme si le pansement ainsi posé par les catholiques et par tant d’autres sur la souffrance sociale, dédouanait d’une certaine impuissance publique.

Je voudrais saluer avec infiniment de respect toutes celles et tous ceux qui ont fait ce choix sans compter leur temps ni leur énergie et permettez-moi aussi de saluer tous ces prêtres et ces religieux qui de cet engagement ont fait leur vie et qui chaque jour dans les paroisses françaises accueillent, échangent, œuvrent au plus près de la détresse ou des malheurs ou partagent la joie des familles lors des événements heureux. Parmi eux se trouvent aussi des aumôniers aux armées ou dans nos prisons et je salue ici leurs représentants ; eux aussi sont des engagés. Et permettez-moi d’associer se faisant également tous les engagés des autres religions dont les représentants sont ici présents et qui partagent cette communauté d’engagement avec vous.

Cet engagement est vital pour la France et par-delà les appels, les injonctions, les interpellations que vous nous adressez pour nous dire de faire plus, de faire mieux, je sais, nous savons tous, que le travail que vous accomplissez, n’est pas un pis-aller mais une part du ciment même de notre cohésion nationale. Ce don de l’engagement n’est pas seulement vital, il est exemplaire. Mais je suis venu vous appeler à faire davantage encore car ce n’est pas un mystère, l’énergie consacrée à cet engagement associatif a été aussi largement soustrait à l’engagement politique.

Or je crois que la politique, si décevante qu’elle ait pu être aux yeux de certains, si desséchante parfois aux yeux d’autres, a besoin de l’énergie des engagés, de votre énergie. Elle a besoin de l’énergie de ceux qui donnent du sens à l’action et qui placent en son cœur une forme d’espérance. Plus que jamais, l’action politique a besoin de ce que la philosophe Simone WEIL appelait l’effectivité, c’est-à-dire cette capacité à faire exister dans le réel les principes fondamentaux qui structurent la vie morale, intellectuelle et dans le cas des croyances spirituelles.

C’est ce qu’ont apporté à la politique française les grandes figures que sont le Général de GAULLE, Georges BIDAULT, Robert SCHUMAN, Jacques DELORS ou encore les grandes consciences françaises qui ont éclairé l’action politique comme CLAVEL, MAURIAC, LUBAC ou MARROU et ce n’est pas une pratique théocratique ni une conception religieuse du pouvoir qui s’est fait jour mais une exigence chrétienne importée dans le champ laïc de la politique. Cette place aujourd’hui est à prendre non parce qu’il faudrait à la politique française son quota de catholiques, de protestants, de juifs ou de musulmans, non, ni parce que les responsables politiques de qualité ne se recruteraient que dans les rangs des gens de foi, mais parce que cette flamme commune dont je parlais tout à l’heure à propos d’Arnaud BELTRAME, fait partie de notre histoire et de ce qui toujours a guidé notre pays. Le retrait ou la mise sous le boisseau de cette lumière n’est pas une bonne nouvelle.

C’est pourquoi, depuis le point de vue qui est le mien, un point de vue de chef d’Etat, un point de vue laïc, je dois me soucier que ceux qui travaillent au cœur de la société française, ceux qui s’engagent pour soigner ses blessures et consoler ses malades, aient aussi une voix sur la scène politique, sur la scène politique nationale comme sur la scène politique européenne. Ce à quoi je veux vous appeler ce soir, c’est à vous engager politiquement dans notre débat national et dans notre débat européen car votre foi est une part d’engagement dont ce débat a besoin et parce que, historiquement, vous l’avez toujours nourri car l’effectivité implique de ne pas déconnecter l’action individuelle de l’action politique et publique.

A ce propos, il me faut rappeler la clarté parfaite du texte proposé par la Conférence des évêques en novembre 2016 en vue de l’élection présidentielle, intitulé « Retrouver le sens du politique ». J’avais fondé En Marche quelques mois plus tôt et sans vouloir engager, Monseigneur, une querelle de droits d’auteur, j’y ai lu cette phrase dont la consonance avec ce qui a guidé mon engagement, m’a alors frappé ; il y était ainsi écrit – je cite – « Nous ne pouvons pas laisser notre pays voir ce qui le fonde, risquer de s’abîmer gravement, avec toutes les conséquences qu’une société divisée peut connaître ; c’est à un travail de refondation auquel il nous faut ensemble nous atteler ».

Recherche du sens, de nouvelles solidarités mais aussi espoir dans l’Europe ; ce document énumère tout ce qui peut porter un citoyen à s’engager et s’adresse aux catholiques en liant avec simplicité la foi à l’engagement politique par cette formule que je cite : « Le danger serait d’oublier ce qui nous a construits ou à l’inverse, de rêver du retour à un âge d’or imaginaire ou d’aspirer à une église de purs et à une contre-culture située en dehors du monde, en position de surplomb et de juges ».

Depuis trop longtemps, le champ politique était devenu un théâtre d’ombres et aujourd’hui encore, le récit politique emprunte trop souvent aux schémas les plus éculés et les plus réducteurs, semblant ignorer le souffle de l’histoire et ce que le retour du tragique dans notre monde contemporain exige de nous.

Je pense pour ma part que nous pouvons construire une politique effective, une politique qui échappe au cynisme ordinaire pour graver dans le réel ce qui doit être le premier devoir du politique, je veux dire la dignité de l’homme.

Je crois en un engagement politique qui serve cette dignité, qui la reconstruise où elle a été bafouée, qui la préserve où elle est menacée, qui en fasse le trésor véritable de chaque citoyen. Je crois dans cet engagement politique qui permet de restaurer la première des dignités, celle de pouvoir vivre de son travail. Je crois dans cet engagement politique qui permet de redresser la dignité la plus fondamentale, la dignité des plus fragiles ; celle qui justement ne se résout à aucune fatalité sociale – et vous en avez été des exemples magnifiques tous les six à l’instant – et qui considère que faire œuvre politique et d’engagement politique, c’est aussi changer les pratiques là où on est de la société et son regard.

Les six voix que nous avons entendues au début de cette soirée, ce sont six voix d’un engagement qui a en lui une forme d’engagement politique, qui suppose qu’il n’est qu’à poursuivre ce chemin pour trouver aussi d’autres débouchés, mais où à chaque fois j’ai voulu lire ce refus d’une fatalité, cette volonté de s’occuper de l’autre et surtout cette volonté, par la considération apportée, d’une conversion des regards ; c’est cela l’engagement dans une société ; c’est donner de son temps, de son énergie, c’est considérer que la société n’est pas un corps mort qui ne serait modifiable que par des politiques publiques ou des textes, ou qui ne serait soumise qu’à la fatalité des temps ; c’est que tout peut être changé si on décide de s’engager, de faire et par son action de changer son regard ; par son action, de donner une chance à l’autre mais aussi de nous révéler à nous-mêmes, que cet autre transforme.

On parle beaucoup aujourd’hui d’inclusivité ; ce n’est pas un très joli mot et je ne suis pas sûr qu’il soit toujours compris par toutes et tous. Mais il veut dire cela ; ce que nous tentons de faire sur l’autisme, sur le handicap, ce que je veux que nous poursuivions pour restaurer la dignité de nos prisonniers, ce que je veux que nous poursuivions pour la dignité des plus fragiles dans notre société, c’est de simplement considérer qu’il y a toujours un autre à un moment donné de sa vie, pour des raisons auxquelles il peut quelque chose ou auxquelles il ne peut rien, qui a avant tout quelque chose à apporter à la société. Allez voir une classe ou une crèche où nous étions il y a quelques jours, où l’on place des jeunes enfants ayant des troubles autistiques et vous verrez ce qu’ils apportent aux autres enfants ; et je vous le dis Monsieur, ne pensez pas simplement qu’on vous aide… nous avons vu tout à l’heure dans l’émotion de votre frère tout ce que vous lui avez apporté et qu’aucun autre n’aurait pu apporter. Cette conversion du regard, seul l’engagement la rend possible et au cœur de cet engagement, une indignation profonde, humaniste, éthique et notre société politique en a besoin. Et cet engagement que vous portez, j’en ai besoin pour notre pays comme j’en ai besoin pour notre Europe parce que notre principal risque aujourd’hui, c’est l’anomie, c’est l’atonie, c’est l’assoupissement.

Nous avons trop de nos concitoyens qui pensent que ce qui est acquis, est devenu naturel ; qui oublient les grands basculement auxquels notre société et notre continent sont aujourd’hui soumis ; qui veulent penser que cela n’a jamais été autrement, oubliant que notre Europe ne vit qu’au début d’une parenthèse dorée qui n’a qu’un peu plus de 70 ans de paix, elle qui toujours avait été bousculée par les guerres ; où trop de nos concitoyens pensent que la fraternité dont on parle, c’est une question d’argent public et de politique publique et qu’ils n’y auraient pas leur part indispensable.

Tous ces combats qui sont au cœur de l’engagement politique contemporain, les parlementaires ici présents les portent dans leur part de vérité, qu’il s’agisse de lutter contre le réchauffement climatique, de lutter pour une Europe qui protège et qui revisite ses ambitions, pour une société plus juste. Mais ils ne seront pas possibles si à tous les niveaux de la société, ils ne sont accompagnés d’un engagement politique profond ; un engagement politique auquel j’appelle les catholiques pour notre pays et pour notre Europe.

Le don de l’engagement que je vous demande, c’est celui-ci : ne restez pas au seuil, ne renoncez pas à la République que vous avez si fortement contribué à forger ; ne renoncez pas à cette Europe dont vous avez nourri le sens ; ne laissez pas en friche les terres que vous avez semées ; ne retirez pas à la République la rectitude précieuse que tant de fidèles anonymes apportent à leur vie de citoyens. Il y a au cœur de cet engagement dans notre pays a besoin la part d’indignation et de confiance dans l’avenir que vous pouvez apporter.

Cependant, pour vous rassurer, ce n’est pas un enrôlement que je suis venu vous proposer et je suis même venu vous demander un troisième don que vous pouvez faire à la Nation, c’est précisément celui de votre liberté.

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Partager le chemin, ce n’est pas toujours marcher du même pas ; je me souviens de ce joli texte où Emmanuel MOUNIER explique que l’Eglise en politique a toujours été à la fois en avance et en retard, jamais tout à fait contemporaine, jamais tout à fait de son temps ; cela fait grincer quelques dents mais il faut accepter ce contretemps ; il faut accepter que tout dans notre monde n’obéisse pas au même rythme et la première liberté dont l’Eglise peut faire don, c’est d’être intempestive.

Certains la trouveront réactionnaire ; d’autres sur d’autres sujets bien trop audacieuse. Je crois simplement qu’elle doit être un de ces points fixes dont notre humanité a besoin au creux de ce monde devenu oscillant, un de ces repères qui ne cèdent pas à l’humeur des temps. C’est pourquoi Monseigneur, Mesdames et Messieurs, il nous faudra vivre cahin-caha avec votre côté intempestif et la nécessité que j’aurai d’être dans le temps du pays. Et c’est ce déséquilibre constant que nous ferons ensemble cheminer.

« La vie active, disait GREGOIRE, est service ; la vie contemplative est une liberté ». Je voudrais ce soir en rappelant l’importance de cette part intempestive et de ce point fixe que vous pouvez représenter, je voudrais ce soir avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui se sont engagés dans une vie recluse ou une vie communautaire, une vie de prière et de travail. Même si elle semble pour certains à contretemps, ce type de vie est aussi l’exercice d’une liberté ; elle démontre que le temps de l’église n’est pas celui du monde et certainement pas celui de la politique telle qu’elle va – et c’est très bien ainsi.

Ce que j’attends que l’Eglise nous offre, c’est aussi sa liberté de parole.

Nous avons parlé des alertes lancées par les associations et par l’épiscopat ; je songe aussi aux monitions du pape qui trouve dans une adhésion constante au réel de quoi rappeler les exigences de la condition humaine ; cette liberté de parole dans une époque où les droits font florès, présente souvent la particularité de rappeler les devoirs de l’homme envers soi-même, son prochain ou envers notre planète.La simple mention des devoirs qui s’imposent à nous est parfois irritante ; cette voix qui sait dire ce qui fâche, nos concitoyens l’entendent même s’ils sont éloignés de l’Eglise. C’est une voix qui n’est pas dénuée de cette « ironie parfois tendre, parfois glacée » dont parlait Jean GROSJEAN dans son commentaire de Paul, une foi qui sait comme peu d’autres subvertir les certitudes jusque dans ses rangs. Cette voix qui se fait tantôt révolutionnaire, tantôt conservatrice, souvent les deux à la fois, comme le disait LUBAC dans ses « Paradoxes », est importante pour notre société.

Il faut être très libre pour oser être paradoxal et il faut être paradoxal pour être vraiment libre. C’est ce que nous rappellent les meilleurs écrivains catholiques, de Maurice CLAVEL à Alexis JENNI, de Georges BERNANOS à Sylvie GERMAIN, de Paul CLAUDEL à François SUREAU ; de François MAURIAC à Florence DELAY, de Julien GREEN à Christiane RANCE. Dans cette liberté de parole, de regard qui est la leur, nous trouvons une part de ce qui peut éclairer notre société.

Et dans cette liberté de parole, je range la volonté de l’Eglise d’initier, d’entretenir et de renforcer le libre dialogue avec l’islam dans le monde a tant besoin et que vous avez évoqué.

Car il n’est pas de compréhension de l’islam qui ne passe par des clercs comme il n’est pas de dialogue interreligieux sans les religions. Ces lieux en sont le témoin ; le pluralisme religieux est une donnée fondamentale de notre temps. Monseigneur LUSTIGER en avait eu l’intuition forte lorsqu’il a voulu faire revivre le Collège des Bernardins pour accueillir tous les dialogues. L’Histoire lui a donné raison. Il n’y a pas plus urgent aujourd’hui qu’accroître la connaissance mutuelle des peuples, des cultures, des religions ; il n’y a d’autres moyens pour cela que la rencontre par la voix mais aussi par les livres, par le travail partagé ; toutes choses dont Benoît XVI avait raconté l’enracinement dans la pensée cistercienne lors de son passage ici en 2008.

Ce partage s’exerce en pleine liberté, chacun dans ses termes et ses références ; il est le socle indispensable du travail que l’Etat de son côté doit mener pour penser toujours à nouveaux frais, la place des religions dans la société et la relation entre religion, société et puissance publique. Et pour cela, je compte beaucoup sur vous, sur vous tous, pour nourrir ce dialogue et l’enraciner dans notre histoire commune qui a ses particularités mais dont la particularité est d’avoir justement toujours attaché à la Nation française cette capacité à penser les universels.

Ce partage, ce travail nous le menons résolument après tant d’années d’hésitations ou de renoncements et les mois à venir seront décisifs à cet égard.

Ce partage que vous entretenez est d’autant plus important que les chrétiens payent de leur vie leur attachement au pluralisme religieux. Je pense aux chrétiens d’Orient.

Le politique partage avec l’Eglise la responsabilité de ces persécutés car non seulement nous avons hérité historiquement du devoir de les protéger mais nous savons que partout où ils sont, ils sont l’emblème de la tolérance religieuse. Je tiens ici à saluer le travail admirable accompli par des mouvements comme l’Œuvre d’Orient, Caritas France et la communauté Sant’Egidio pour permettre l’accueil sur le territoire national des familles réfugiées, pour venir en aide sur place, avec le soutien de l’Etat.

Comme je l’ai dit lors de l’inauguration de l’exposition « Chrétiens d’Orient » à l’Institut du Monde arabe le 25 septembre dernier, l’avenir de cette partie du monde ne se fera pas sans la participation de toutes les minorités, de toutes les religions et en particulier les chrétiens d’Orient. Les sacrifier, comme le voudraient certains, les oublier, c’est être sûr qu’aucune stabilité, aucun projet, ne se construira dans la durée dans cette région.

Il est enfin une dernière liberté dont l’Eglise doit nous faire don, c’est de la liberté spirituelle

Car nous ne sommes pas faits pour un monde qui ne serait traversé que de buts matérialistes. Nos contemporains ont besoin, qu’ils croient ou ne croient pas, d’entendre parler d’une autre perspective sur l’homme que la perspective matérielle.

Ils ont besoin d’étancher une autre soif, qui est une soif d’absolu. Il ne s’agit pas ici de conversion mais d’une voix qui, avec d’autres, ose encore parler de l’homme comme d’un vivant doté d’esprit. Qui ose parler d’autre chose que du temporel, mais sans abdiquer la raison ni le réel. Qui ose aller dans l’intensité d’une espérance, et qui, parfois, nous fait toucher du doigt ce mystère de l’humanité qu’on appelle la sainteté, dont le Pape François dit dans l’exhortation parue ce jour qu’elle est « le plus beau visage de l’Eglise ».

Cette liberté, c’est celle d’être vous-mêmes sans chercher à complaire ni à séduire. Mais en accomplissant votre œuvre dans la plénitude de son sens, dans la règle qui lui est propre et qui depuis toujours nous vaut des pensées fortes, une théologie humaine, une Eglise qui sait guider les plus fervents comme les non-baptisés, les établis comme les exclus.

Je ne demanderai à aucun de nos concitoyens de ne pas croire ou de croire modérément. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Je souhaite que chacun de nos concitoyens puisse croire à une religion, une philosophie qui sera la sienne, une forme de transcendance ou pas, qu’il puisse le faire librement mais que chacune de ces religions, de ces philosophies puisse lui apporter ce besoin au plus profond de lui-même d’absolu.

Mon rôle est de m’assurer qu’il ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C’est cela la laïcité ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue et cette liberté spirituelle que je viens d’évoquer.

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« Une Eglise triomphant parmi les hommes ne devrait-elle pas s’inquiéter d’avoir déjà tout compromis de son élection en ayant passé un compromis avec le monde ? »

Cette interrogation n’est pas mienne, ce sont mots de Jean-Luc MARION qui devraient servir de baume à l’Eglise et aux catholiques aux heures de doute sur la place des catholiques en France, sur l’audience de l’Eglise, sur la considération qui leur est accordée.

L’Eglise n’est pas tout à fait du monde et n’a pas à l’être. Nous qui sommes aux prises avec le temporel le savons et ne devons pas essayer de l’y entraîner intégralement, pas plus que nous ne devons le faire avec aucune religion. Ce n’est ni notre rôle ni leur place.

Mais cela n’exclut pas la confiance et cela n’exclut pas le dialogue. Surtout, cela n’exclut pas la reconnaissance mutuelle de nos forces et de nos faiblesses, de nos imperfections institutionnelles et humaines.

Car nous vivons une époque où l’alliance des bonnes volontés est trop précieuse pour tolérer qu’elles perdent leur temps à se juger entre elles. Nous devons, une bonne fois pour toutes, admettre l’inconfort d’un dialogue qui repose sur la disparité de nos natures, mais aussi admettre la nécessité de ce dialogue car nous visons chacun dans notre ordre à des fins communes, qui sont la dignité et le sens.

Certes, les institutions politiques n’ont pas les promesses de l’éternité ; mais l’Eglise elle-même ne peut risquer avant le temps de faucher à la fois le bon grain et l’ivraie. Et dans cet entre-deux où nous sommes, où nous avons reçu la charge de l’héritage de l’homme et du monde, oui, si nous savons juger les choses avec exactitude, nous pourrons accomplir de grandes choses ensemble.

C’est peut-être assigner là à l’Eglise de France une responsabilité exorbitante, mais elle est à la mesure de notre histoire, et notre rencontre ce soir atteste, je crois, que vous y êtes prêts.

Monseigneur, Mesdames et Messieurs, sachez en tout cas que j’y suis prêt aussi.

Je vous remercie.