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Les Césars 2021 ou la pathétique complainte des bobos parisiens

La Cérémonie des Césars du 12 mars 2021 a été l’occasion d’un étalage particulièrement grossier et hors de propos de la part du petit milieu parisien du cinéma. En pleine pandémie de Covid-19 qui dure depuis maintenant un an, on a des gens s’imaginant à la pointe sur le plan culturel, mais dont la préoccupation est que la société se plie à leur vie de bohème coupée du peuple.

L’actrice Marina Foïs présentait la 46e cérémonie des Césars avec beaucoup d’ardeur, en robe Louis Vuitton conçue sur-mesure. Tel un prêche, sa prestation inaugurale « osait » interpeller directement la Ministre de la Culture présente dans une loge pour lui demander :

« Et comment faire lorsque l’on n’a plus confiance en son ministre de tutelle, à l’heure où se joue l’avenir du cinéma et de l’exception culturelle française ? »

Marina Foïs mérite assurément le César du meilleur cinéma fait par les gens du cinéma pour qu’on s’apitoie sur leur sort. Car l’« exception culturelle » française, c’est un milliard d’investissements par an pour quelque 250 films qui n’en rapportent même pas la moitié en salle !

L’« exception culturelle » française, c’est tout un tas de règles, de fiscalité et de subvention pour forcer à ce qu’existent des films français, avec une poignée d’acteurs et de réalisateurs extrêmement biens payés qui se partagent l’essentiel des rôles et des réalisations. Et tout ça pour qu’en fin de compte ce soit une comédie aussi creuse et insignifiante qu’« Adieu les cons » qui rafle le plus gros des prix en 2021.

C’est lamentable et forcément à un moment donné, un tel modèle est menacé. Cela n’a rien de durable d’autant plus que l’heure est à la crise sociale, sanitaire, économique, écologique. Mais les bobos parisiens ne sont pas habitués à rendre des comptes, alors ils s’imaginent que la société va éternellement consommer la soupe qu’ils produisent et jouent. Ou plutôt, ils l’exigent, quitte à assumer un cynisme inouï.

Sous couvert d’humour, Marina Foïs a ainsi prôné l’effacement des personnes âgées, car rien ne devrait entraver la vie de bohème des artistes :

« Comme ça tue les vieux, on a enfermé les jeunes et fermé les cinémas, les théâtres, les musées, et interdit les concerts pour ouvrir les églises – car on est un pays laïque – pour que les vieux qui ont eu le droit de sortir de l’EHPAD aillent à la messe ».

Difficile de faire plus odieux, plus coupé du peuple et de la réalité concrète et quotidienne de la société française. Le petit milieu parisien du cinéma s’imagine pourtant incontournable, car une des leur s’est déshabillée pendant la cérémonie avec sur le corps inscrit :

« No culture, no future » et « Rends l’art Jean » [allusion à Jean Castex, le premier ministre]

Tout cela est pathétique et terriblement décalé. C’est aussi d’une pauvreté culturelle affligeante, indigne de l’héritage culturel national français depuis le 17e siècle. Que dire également de Valérie Lemercier qui se trouve rebelle en disant « contente d’être sortie de chez moi », alors que la région parisienne n’est même pas confinée malgré la situation sanitaire catastrophique.

Il en est de même de cette célébration de la « troupe du splendide », avec Marie-Anne Chazelle, Josiane Balasko, Christian Clavier, Michel Blanc, Bruno Moynot, Thierry Lhermitte, jouant de l’embrassade sans masque et relativisant la crise sanitaire :

« Je m’aperçois que nous sommes cas contact depuis 50 ans ».

Rappelons qu’on a là des gens qui ont systématiquement promu le style et les mœurs bourgeoises parisiennes et dont le fonds de commerce humoristique a été de moquer les classes populaires pendant des années et des années.

Cérémonie bobo oblige, les Césars ont bien sûr été l’occasion aussi de l’habituelle pleurnicherie sur les « violences policières » et le soi-disant racisme de la société française, avec Jean-Pascal Zadi s’imaginant un grand contestataire en racontant :

« Tout simplement noir parle d’humanité et on peut se demander pourquoi l’humanité de certaines personnes est tant remise en cause, comme celle d’Adama Traoré ou Michel Zecler, quand certaines statues de ceux qui ont glorifié l’esclavage sont encore debout. Je remercie les César de m’avoir montré que ma mission pour l’égalité n’est pas vaine. »

C’est décalé, totalement hors-sol, mais bien représentatif d’une fausse Gauche bourgeoise qu’il s’agit de fermement rejeter, mais également d’écraser dans tous les domaines pour ne pas que les masses croient que c’est là la vraie Gauche et que la seule solution serait l’extrême-Droite.

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Ingmar Bergman : Une passion (1969)

C’est un film qu’on ne peut affronter que si l’on sait être simplement soi-même. Un film traversé par la détresse, la violence, l’aliénation, par la passion les transcendant.

Une passion est une œuvre magistrale d’Ingmar Bergman. C’est un film en noir et blanc, comme il sait si formidablement les élaborer, mais il est en couleur. On n’y perd donc rien en termes d’intensité et on y gagne en termes de réalisme.

Cela rend encore plus envahissante la présentation de la nudité psychologique et de la détresse, d’autant plus que la question du rapport aux animaux revient inlassablement. Et tout cela est présenté, de manière très posée, comme si de rien n’était, à travers des psychologies, lorsqu’un être se lie à un autre, se retrouve sur de nouveaux rails.

Ne pas réfléchir à ces rails, c’est se laisser embarquer par ses peurs, par la violence de l’implosion sociale, celle des conflits internationaux. C’est d’ailleurs sur ce plan un film tout à fait engagé, au sens réel du terme, sans formalisme aucun. Et Une passion, c’est avant tout un film sur l’aliénation, avec des êtres montrés tels qu’ils sont, sans fard, et ne parvenant qu’avec difficulté à distinguer les contours de leur propre vie.

Une passion est ainsi un film titre d’une difficulté d’approche assez exemplaire au sens où, sans réelle maturité relationnelle, sans l’habitude de se confronter aux visages et d’en lire le sens profond, on est incapable d’en cerner les liens posés dans le film et on a l’impression de faire face à un kaléidoscope indigeste d’images hivernales.

Le film a le rythme d’une avalanche, sans esthétisation formaliste et tout en art, où la souffrance psychologique est présentée dans son élan, avec ses nuances, ses efforts, ses liaisons humaines. La présence de la musique de Johann Sebastian Bach reflète cette introspection humaine, qu’on retrouve chez le réalisateur russe soviétique Andrei Tarkosvki.

Cette référence à Bach est bien entendu, à travers le luthéranisme suédois, une affirmation de la vie intérieure.

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Le sang des bêtes, de Georges Franju (1949)

Ce film d’une vingtaine de minutes est un documentaire qui mériterait d’être une référence à gauche. Il faudrait bien sûr pour cela que celle-ci s’élève jusque-là. Qu’elle revoit ses exigences culturelles. La gauche en sortirait plus forte car Le sang des bêtes est à la fois une production artistique de très haute qualité et un vecteur politique tout à fait actuel.

Le sujet du film, c’est le travail dans les abattoirs de La Villette et de Vaugirard, autour de Paris donc, à la fin des années 1940. Le spectateur assiste aux processus successifs qui font que les animaux entrant en vie dans le bâtiment n’en ressortent pas. Entre temps, les travailleurs des abattoirs auront produit des carcasses.

Georges Franju disait avoir entrepris de tourner ce film, son premier film, par amour pour les animaux, et non avoir choisi les animaux en cherchant un sujet de film. Cette formulation exprime à elle seule la sincérité de l’auteur. C’est cette démarche qui permet au réalisateur de transmettre des émotions justes au spectateur. Avec Franju, on est dans le sensible.

Le spectateur de 2021 pense bien sûr aux video-chocs, et prétendument volées, des associations qui dénoncent les conditions de l’abattage dans les abattoirs d’aujourd’hui. Et justement, l’un des traits marquant du film de Franju est de, notamment par le travail du montage, toujours lier le sort des animaux à la ville, à la circulation des hommes, au travail. Le spectateur comprend, sans qu’à aucun moment l’argument ne lui soit asséné, que la condition des animaux d’élevage est une question d’organisation de la société, qu’elle est politique.

Plan après plan, un cheval, des vaches, des veaux et des moutons sont parqués, tués, vidés de leur sang, de leurs entrailles, dépecés, décapités, démembrés. De ces opérations réalisées de manière semi-artisanale, pratiquement sans procédés mécaniques, autant dire « à la main », aucun détail ne sera caché. Pour autant, il n’y a aucune complaisance. La violence et l’horreur des manœuvres ouvrières de cette chaîne de montage inversée ne sont pas traitées à la manière d’un spectacle.

Franju a développé, à côté de son cinéma « de genre » lui aussi d’une grande qualité, une démarche documentaire originale. L’auteur parlera du « réel documentaire » à propos de son approche. Elle consiste en une construction du film permettant au spectateur de saisir le réel à partir de sensations éprouvées.

Georges Franju (à droite)

Ainsi, dans Le sang des bêtes, si les images se confrontent les unes aux autres au travers du montage, le son joue aussi un rôle de tout premier plan. Parce que la musique est de Joseph Kosma, mais surtout puisqu’un texte dit par Nicole Ladmiral et Georges Hubert accompagne le spectateur au travers de toutes les séquences. Or, une grande tension nait entre le ton et la signification du texte et les images. C’est l’ensemble qui fait sens. On peut dire que c’est le cerveau du spectateur qui projette le réel à partir des éléments qui lui sont proposés par le film. On est donc loin du film didactique ou du cinéma à thèse et de ses dissertations filmées. Pour autant, on n’est pas non plus dans l’élitisme de l’avant-garde des plasticiens aux gribouillis cryptés. Il n’est pas question de laisser le spectateur dans le doute, comme dans une expérience postmoderne ou une expo d’art contemporain. Le Sang des bêtes n’est pas équivoque. Georges Franju donne au spectateur un accès sensible à une réalité difficile et permet à l’intelligence de la saisir dans sa complexité.

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Quelques films pour enfants et pré-ados

Voici une petite réflexion sur des films pour un public exigeant : les enfants et pré-ados.

Proposer des films à des enfants et des pré-ados est toujours délicat, car ils ont une exigence moderne de vivacité que n’ont pas forcément les films du passé. Il faut savoir capter leur attention, sans pour autant tomber dans des choses purement commerciales où les neurones connaissent comme un processus de congélation. Et il faut surtout éviter ces inondations de violence, de brutalité, d’armes, qui sont malheureusement de rigueur.

Une première solution est de passer par des films d’animation qui combinent l’agitation des péripéties et un bon fond. On a ici Chicken run, Souris City (en fait il s’agit de rats), Hôtel Transylvanie ou encore Nos voisins, les hommes, Toy Story, Wall-E, Ratatouille.

De manière plus poussée, plus exotique, avec un contenu qui passe largement puisque personne n’y verra les allusions religieuses shintoïstes, on a des films de Hayao Miyazaki comme Le Château dans le ciel, Mon voisin Totoro, Porco Rosso (d’autres présentant plus de risques niveau violence graphique).

On pensera bien entendu aux petits films incroyablement réussis avec la petite taupe tchèque (Krtek) ou bien sûr les fabuleuses aventures de Moumine, bien que les livres pour enfants soient plus lugubres que la version en dessins animés japonais.

Pour les films en tant que tel, on a Sauvez Willy, E.T., La forêt d’émeraude, Le magicien d’Oz, Les goonies, Mary Poppins, Les aristochats, SOS Fantômes.

Et si l’on veut quelque chose avec plus d’action, mais une violence très contenue, sans rien de sanglant, on a le très intelligent John Carter et d’ailleurs il est impossible de ne pas lui associer une autre production Disney qu’est la série The Mandalorian. C’est encore assez limite pour des enfants, en raison du fait qu’il y ait des armes, mais le refus de la gratuité du sang et l’exigence morale font que c’est très pré-ado en définitive.

On préférera peut-être les trois films Retour vers le futur, ce qui soulignera d’ailleurs que si l’on veut éviter le racolage de la violence et du sexe, il faut forcément se tourner vers les années 1980 (d’où l’anomalie du Mandalorian).

Parce que si on prend, par exemple, Alien, Predator, Conan le barbare. Ce sont trois films à la thématique violente, qui ne visent pas des préados ni des enfants. Mais tout est extrêmement contenu, il n’y a pas de racolage.

Alien fait dans tous les cas bien trop peur pour des enfants, naturellement, d’autant plus paradoxalement qu’on ne voit quasiment pas le monstre. Mais Predator pour un pré-ado quasi ado ne présente pas de contenu choquant, ni même Conan le barbare. Un pré-ado s’y perdra, mais sans plus. C’est là qu’on voit comment les années 1980 ont un calibrage précis, avec des barrages qui n’ont pas sauté.

Même les films de super-héros actuels, où pourtant le sang ne coule pas, sont bien plus violents avec leurs incessantes actions brutales, leurs affrontements permanents. On a d’ailleurs déjà cela dans les Indiana Jones, qui ont d’ailleurs un contenu mystique et patriarcal.

On regrettera au passage les échecs de Luc Besson à réaliser ce chef d’œuvre universel, avec de l’action, du contenu mais de violence, qu’il a inlassablement chercher à réaliser (Le Cinquième élément, Valérian et la Cité des mille planètes). Ready Player One de Steven Spielberg a le même défaut, cela étant cela reste totalement valable pour des enfants, tout comme Super 8.

Mais cela manque d’un cadre imaginatif, et c’est précisément ce qui manque, relativement à des films pour enfants comme Maman j’ai encore raté l’avion, Chérie j’ai rétréci les gosses, Stuart Little, Casper, Le pôle express, etc. Il y a un cadre mais il manque un côté entraînant qui, pour autant, ne bascule pas dans le magique, l’irrationnel, etc.

C’est ce qui fait par exemple que Chicken run est exemplaire : réel, concret, avec une morale pour animaux, accessible, instructif, foncièrement amusant et captant l’attention…

Et c’est ce qui souligne que pour être marquant, un film qu’on propose à des enfants, à des pré-ados, doit pouvoir être accompagné d’autres activités tels le dessin, la lecture, des jeux. C’est là qu’on a la preuve qu’on est dans la culture.

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Melody, de Waris Hussein (1971)

Mercredi après-midi (ou Melody en version originale) est un film britannique de 1971 réalisé par Waris Hussein et écrit par Alan Parker, dont c’est la première participation pour le cinéma (il réalisera plus tard des films tels que Mississippi Burning, Angel Heart, Midnight Express…).

Film méconnu, il s’agit pourtant d’une œuvre magnifique, saisissant comme rarement une étape clé de la jeunesse, celle du premier émoi amoureux.

On y suit le jeune et discret Daniel se lier d’amitié avec le bien plus turbulent Ornshaw, et tomber sous le charme de Melody.

Le film adopte le point de vue des enfants, que ce soit au niveau du récit où tous les adultes sont des personnages secondaires, ou au niveau de la mise en scène où la caméra, lorsqu’elle quitte ses larges plans d’ensemble, se met à hauteur d’enfant pour mieux mettre à jour leur sentiment, leur vision (parfois rétrécit, comme lors des premiers flirt amoureux) du monde.

Alan Parker, qui a beaucoup travaillé dans la pub, accordera à ses propres réalisations énormément d’attention à travailler l’image de ses films, à l’ambiance, parfois au détriment de la narration. On voit ici qu’il n’était pas non plus dénué de talent de conteur.

Associé à la réalisation de Waris Hussein le film parvient à mêler poésie et réalisme des moments simples qui font la vie de l’enfance, que ce soit à l’école, au sein de sa famille, où à l’extérieur à flâner et faire les 400 coups avec les copains. 

Si le film s’attarde principalement sur les garçons, les moments mettant en scène les jeunes filles visent tout aussi juste, révélant leur plus grande maturité, que ce soit lors des scènes de danse, ou de discussion à propos des garçons.  À l’inverse les garçons sont nettement plus premier degré, plus maladroit.

Au cœur du récit, il y a cette histoire d’amour adolescente, bouleversante par ses moments de vérités, ces regards qui en disent long, ces instants de gênes, les répercussions que cela peut avoir sur les amitiés (principalement masculines). 

On se laisse totalement porter par ce film, sa joie de vivre communicative. Pour autant l’arrière-plan social n’est pas oublié, il n’est jamais très loin, principalement par le biais des parents bien différents de Daniel, Ornshaw et Melody. La violence du monde des adultes, notamment à l’école, est présentée de manière assez frontale.

Malgré cela l’énergie, l’envie de vivre, d’aimer, de cette jeunesse prend le dessus et permet d’affronter tous les obstacles, jusqu’à cette séquence finale libératrice.

Tout cela est accompagné par de superbes compositions du groupe de pop rock britannique Bee Gees, en parfaite symbiose avec la poésie et la candeur du film.

Celui ci rappelle fortement d’autres films adoptant le point de vue de la jeunesse et notamment La bande des quatre de Peter Yates (1979), qui s’attardera aussi sur les moments de vie de jeunes un peu plus âgé, à la frontière du monde des adultes, avec le même talent pour souligner toute la dignité de cette vie sur un ton poétique et humoristique, sans pour autant gommer les rapports sociaux. Et c’est dans les années 1980 que ces films adolescents connaîtront leur plus grand succès avec des titres comme The Outsiders (Francis Ford Coppola, 1983), Breakfast Club (John Hugues, 1985), Stand By Me (Rob Reiner, 1986), ou encore Heathers (Michael Lehmann, 1989). 

Soulignons cependant que ce genre existait depuis des années, avec des gros succès comme La fièvre dans le sang (Elia Kazan, 1961), ou même avec La dernière séance (Peter Bogdanovich, 1971), sorti aux États-Unis la même année.

Parmi tous ses titres Melody fait pâle figure en termes de reconnaissance et de réputation. Il n’a pourtant rien à leur envier, son sujet intemporel étant porté par une forme d’une grande modernité qui n’a pas pris une ride.

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Un homme qui dort, de Bernard Queysanne et Fight Club, de David Fincher

S’il est un thème universel qui unit la religion, la politique et les arts, c’est le rapport qu’entretient l’individu à la souffrance de ses contemporains. Un homme qui dort (Bernard Queysanne, 1974) et Fight Club (David Fincher, 1999) sont une variation de ce thème.

Ces deux films sont très différents dans leur forme. Un homme qui dort trouve dans l’usage du noir et blanc une sobriété (toute relative toutefois, puisqu’il est aussi prétexte à une série d’expérimentations visuelles) qui sert son propos. Au contraire, l’outrance de Fight club est servie par un travail sur la température de la lumière qui oscille du vert au jaune, perturbant ainsi toute la perception des couleurs qui participe à la violence ressentie par le spectateur. Dans le registre des différences, on note également les mouvements de caméra, limités pour Queysanne alors que la caméra bouge sur tous les axes chez Fincher. De même, la musique est discrète pour Un homme qui dort, alors qu’elle cogne le spectateur dans Fight Club.

Au delà de ces partis pris esthétiques qui irriguent ces films, et qu’il ne faut pas négliger car le cinéma n’est que forme, la filiation entre ces œuvres est indéniable. Toutes deux plongent le spectateur dans des détails dont l’accumulation fait vriller la perception de la réalité. Tout cela, semble-t-il, au service d’un propos.

Le propos, comme il a été dit, est le rapport qu’entretient l’individu à la souffrance des autres.

Les deux films présentent un personnage principal qui est un jeune adulte, intégré socialement, qui ne rencontre pas de difficulté particulière à aller au devant de la vie. Il se prépare à se faire une place dans la société de consommation quand il décide de faire un pas de côté. Le protagoniste est un rebelle.

Les deux narrations sont soulignées par une voix off. Un homme qui dort est, comme le roman éponyme de Georges Pérec que l’auteur a lui-même transposé en scénario, traversé de bout en bout par des phrases dont l’unique sujet est le pronom « tu ». L’actrice Ludmila Mikaël est la seule voix de ce film dépourvu d’expression orale des personnages. Dans Fight Club, dont la visée commerciale ne pouvait de toute manière pas permettre un tel parti pris, les dialogues sont nombreux entre les divers personnages, mais le personnage principal apporte des explications directement au spectateur en voix off, employant le « je ».

Dans les deux films la vie moderne devient insupportable au protagoniste. Le décor urbain, les immeubles notamment, y tient une place importante, représentant la civilisation dans sa dimension inarrêtable. Le protagoniste est un solitaire, jusqu’à l’extrême dans Un homme qui dort, fuyant les convenances, fuyant les autres, leurs bruits, leurs volontés.

Un homme qui dort présente un individu qui cultive l’indifférence vis-à-vis des autres dans une absence au monde. Fight Club consiste en une violence ultra, consentie librement dans un rapport contractualisé, par laquelle les individus existeraient de manière plus authentique. 

Le personnage principal de ces films, chacun à sa manière, s’interroge sur sa propre complétude. Il constate son insatisfaction, jusqu’à mener une expérience existentielle extrême. Il mettra alors son humanité en jeu, à la recherche d’une forme de transcendance qui le placerait au-delà des autres.

Obnubilés qu’ils sont par leur propre personne, ces hommes sont incapables d’aimer. Dans Un homme qui dort, l’indifférence aux autres, en particulier aux femmes est un des principaux aspects de l’expérience, jusqu’à ressentir « la douleur du désir ». Fight Club est quant à lui contenu tout entier dans une relation toxique dont la figure féminine est la victime. La complaisance avec laquelle le film présente la violence exercée contre cette femme, Marla, en la condamnant à revenir toujours vers son tortionnaire, est l’un des éléments qui rendent ce film particulièrement abject.

Fight Club propose l’histoire du projet subversif d’un individu qui mine une société entière en menant son aventure personnelle. En cela, le film a la prétention d’être lui-même subversif. Mais la prétendue lutte armée du « projet chaos » que dirige le protagoniste n’est qu’une bouffonnerie altermondialiste, l’omniprésence de la violence, l’étalage de la sexualité-crasse et la fameuse histoire du savon donnant par ailleurs des allures de conte nazi à l’ensemble. Cette impression n’est pas démentie par la dénonciation de l’argent, des banques et de la finance comme ennemi politique du Fight Club.

Un homme qui dort est lui aussi une histoire de subversion. Une séquence clef présente le jeune protagoniste dans un square, sur un banc qui fait face à un autre banc sur lequel est assis un vieil homme. La voix off déplore que le jeune homme ne sache atteindre l’immobilité parfaite du vieil homme, tandis que la caméra tourne lentement autour des personnages. Le film est compris dans le contexte de la France de l’immédiat après mai 1968, alors que le roman duquel il est tiré est marqué par la société bloquée des années de Gaulle, par le conservatisme.

Dans leur volonté attentatoire à la morale, les deux films présentent des protagonistes usant du même procédé : le masochisme. C’est en aimant celui qui le fait souffrir que le Fight Club propose aux individus de devenir des hommes à part entière. Un homme qui dort, quant à lui, s’oublie dans une violence sourde, ou plutôt muette, dans une négation de ce qu’il est, de son intelligence, de sa sensibilité, de son intérêt pour les autres, pour tenter de n’être qu’un observateur passif, oisif et inopérant. 

Par le fantasme et la schizophrénie dans Fight Club et par le sommeil et la contemplation emprunte de négativité dans Un homme qui dort, les protagonistes et, avec eux, les films entiers (donc bien entendu les réalisateurs et les spectateurs), assistent à la disparition du réel.

Cette affirmation est traitée à l’écran dans deux séquences au fond assez semblables dans chacun des films. Il s’agit des saccades et dégradation de la « pellicule » du film, de sa matière donc, au moment où le spectateur apprend que le double du protagoniste de Fight Club est projectionniste. Il s’agit d’une clé de lecture, mettant clairement en doute la moindre prétention au réalisme du film. Ainsi, rien ne serait réel, nous assisterions à une sorte de mise en abîme, à du cinéma dans le cinéma…

Dans Un homme qui dort, suivant une envolée du texte qui marque la profonde détestation du protagoniste pour les autres, l’image se dégrade durant une longue séquence. Le contraste s’accroît tant que le gris disparaît, l’image est alors sans nuance, composée de traits simplifiés en noir profond et blanc aveuglant. La caméra à l’épaule fend la foule, au plus proche, le grand angle déforme les perspectives, les visages et les corps apparaissent enlaidis. C’est la représentation déformée du délire du protagoniste qui approche de la fin de son aventure existentielle.    

George Pérec

A propos de sa démarche intellectuelle, Georges Pérec a dit : « S’il y a une image qui me parle d’avantage, ce serait celle d’hyperréalisme, ou l’accumulation de détails finit par rendre la chose complètement onirique, c’est le réel irréel ».

En dernière analyse, ces deux films, par leur prétention à faire disparaître le réel, sont à deux temps d’un même mouvement culturel : le postmodernisme. Un homme qui dort se situe au début de ce courant qui cherche à nier que tout ce qui est réel est rationnel, le personnage de Georges Pérec touche le fond dans une violence irrationnelle, mais il aboutira à une conclusion édifiante. Au contraire, avec Fight Club, l’individu renonce à toute quête de sens, la seule issue est alors le chaos, la destruction.

Fight Club se situe par ailleurs à un point de bascule dans l’histoire du cinéma. Il est le premier film dans lequel les images numériques intègrent toutes les dimensions du film, des mouvements de caméra à la post-production. Depuis, la CGI n’aura fait que toujours plus prendre le pas sur la mise en scène d’images réelles. Avec Fight Club, plusieurs réalités indépendantes s’engendrent et les instances narratives se diversifient. Le spectateur ne comprend rien, ou bien il comprend ce qu’il veut, à moins que, tout simplement, il n’y ait rien à comprendre.

Un homme qui dort est plus mesuré dans son attentat contre le réalisme. Il se conclut sur le constat de la vanité de l’expérience menée par le protagoniste. « L’indifférence ne t’a pas rendu différent ». Le protagoniste reste soumis au temps, qui règle invariablement la vie de tous. Le film est d’une grande virtuosité formelle et constitue une expérience sensorielle pour le spectateur. Il a reçu le prix Jean Vigo en 1974.

Après un échec en salles à sa sortie en 1999, Fight Club a connu un regain d’intérêt au travers des nombreuses éditions en DVD. Aujourd’hui, ce film est considéré par certains comme un objet culte. Il est indéniable que de la promesse de voir Brad Pitt à demi nu participe au succès de l’exploitation commerciale du film. Mais au-delà, c’est aussi que le postmodernisme a, depuis, débordé de la philosophie, de l’art, pour se répandre dans toute la société.

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La Science-fiction c’est la Gauche, la Fantasy c’est la Droite

Les valeurs de la Science-fiction et de la Fantasy s’opposent radicalement, reflétant le conflit entre le passé et l’avenir.

Le drapeau de la Fédération des planètes unies dans Star Trek (Wikipédia)

Il était tout naturel que le choix d’auteurs de Science-fiction de soutenir l’armée française à se moderniser, à prévoir des scénarios, provoque un grand émoi chez les amateurs de Science-fiction. C’est que la Science-fiction est historiquement le pendant de la Fantasy. Ces deux formes de littérature et de cinéma se sont particulièrement développées aux États-Unis, pays littéralement passé des cow-boys aux gratte-ciels. Cela a marqué les esprits et il y a eu deux directions opposés qui ont été prises.

Les progressistes se sont tournés vers l’avenir. Ils ont considéré que l’humanité connaissait une évolution de grande ampleur, que la vie quotidienne allait être révolutionnée, les barrières entre les Hommes dépassées. Pour eux, les préjugés ne pouvaient que disparaître, l’humanité prenant enfin conscience de l’universalité, de la nécessité de se tourner vers la découverte de l’espace, la science, la culture, la paix. Les grandes références historiques sont Cent ans après ou l’An 2000 d’Edward Bellamy en 1888, ainsi qu’au 20e siècle la grande fresque romanesque Les robots / Fondation d’Isaac Asimov et la première génération de la série télévisée Star Trek.

Les réactionnaires se sont tournés vers le passé. Ils ont inventé des mondes parallèles, dans un passé mythique, peuplé de races en guerre et de héros. Cherchant à détourner les esprits, ils ont façonné des mondes pittoresques, avec des êtres grotesques (elfes, nains…), des castes, de la magie, un combat entre le Bien et le Mal. Les œuvres les plus connues sont Conan le barbare, Le seigneur des anneaux, Harry Potter, Star Wars, Dune.

Culturellement, les publics se tournant vers les uns ou les autres n’ont rien à voir. Cela se lit particulièrement dans le rapport à la technologie. Les tenants de la Science-fiction sont tout à fait ouverts aux évolutions technologiques, aux ordinateurs, aux robots, etc. Les tenants de ce qu’on doit appeler la Fantasy ont par contre une profonde haine de la technologie, comme en général du monde moderne. Le fond de leur approche est d’ailleurs la « révolte contre le monde moderne » propre à l’extrême-Droite.

Le cycle de Fondation, un classique incontournable pour les gens de Gauche

Alors que la Science-fiction dit qu’un monde décadent doit être dépassé par l’avenir, la Fantasy dit qu’un monde dégénéré doit laisser la place aux valeurs d’on ne sait trop quel monde parallèle fantasmagorique.

Alors que la Science-fiction dit que l’humanité s’en sort par une communion collective, la Fantasy valorise un monde divisé en castes où tout le monde doit être à sa place. C’est pour cela qu’à la liste mentionnée plus haut, il faut par exemple ajouter Astérix et Obélix, une œuvre totalement réactionnaire. Il faut évidemment ajouter Blake et Mortimer, Tintin et Milou, deux bandes dessinées jouant naturellement sur le côté magique, les extra-terrestres, etc. Dans tout ces œuvres il y a un ordre passé auquel on revient indéfiniment. Chacun à sa place, tout à sa place, c’est une lecture romantique-communautaire tout à fait réactionnaire.

Voilà pourquoi il ne faut pas se dire : tel auteur est de gauche, il fait ci, tel auteur est de droite, il fait ça, tel lecteur est de gauche, il lit ça, tel lecteur est de droite, il fait ça. Ce n’est pas ainsi que cela marche. C’est la culture de gauche en général qui produit les auteurs et les lecteurs, c’est l’idéologie de droite en général qui produit les auteurs et les lecteurs. Ce qui se joue, c’est ce qu’on appelle la lutte des classes. Elle passe par des multiples vecteurs historiques, à travers les auteurs, les lecteurs, les œuvres.

Tout est le reflet d’un processus, voilà pourquoi une œuvre qui se tourne vers le passé reflète la tentative de freiner le cours de l’Histoire, d’en empêcher le développement. Une œuvre tournée vers l’avenir est par contre le produit de la tendance à la transformation. Lorsqu’une série de science-fiction de série B comme Babylone 5 montre des personnages sacrifiant leur vie pour les autres, c’est le reflet de la victoire du collectivisme historiquement sur l’égoïsme et le passé.

C’est le sens du fameux propos de Spock dans Star Trek : « L’intérêt du plus grand nombre l’emporte sur l’intérêt d’un seul ». C’est notre avenir.

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Culture Guerre

Sept jours en mai, de John Frankenheimer

Sept jours en mai est un film américain du réalisateur John Frankenheimer sorti en 1964 et qui s’inscrit dans ce qui sera plus tard nommé sa « trilogie de la paranoïa”, au côté d’Un crime dans la tête (1962) et L’Opération diabolique (1966).

Alors que la tension de la guerre froide atteint son paroxysme en 1962 avec la crise des missiles de Cuba, la crainte d’une guerre nucléaire se propage largement dans le monde et aux États-Unis tout particulièrement. 

Ainsi dans les années qui suivent un certain nombre de films vont s’emparer de ce thème. Rien que sur l’année 1964 on peut notamment citer Docteur Folamour de Stanley Kubrick, Point Limite de Sidney Lumet et Sept jours en mai

Probablement le moins connu des trois, adapté du roman du même nom écrit par Fletcher Knebel et Charles W. Bailey II, il n’en demeure pas moins captivant à la fois en tant qu’objet cinématographique et témoignage de son époque. 

Plusieurs thématiques cher à John Frankenheimer se trouvent ainsi mêlés dans ce thriller politico-militaire qui imagine un futur proche où un général américain va tenter de monter un coup d’état afin d’empêcher la fin de la guerre froide et le démantèlement de l’arsenal nucléaire entériné par les présidents américain et soviétique.

On y retrouve, comme dans le film de Sidney Lumet, le même discours sur l’inéluctabilité d’une guerre atomique tant que ces armes existent et sur le danger que celles-ci représentent pour le monde entier. Comme le dit une des pancartes d’un des manifestants au tout début du film Peace on Earth, or No Earth at all (Paix sur Terre, ou pas de Terre du tout). 

John Frankenheimer y ajoute une critique de la paranoïa de l’époque, et des années qui ont précédé, le sénateur McCarthy (instigateur de la “chasse aux sorcières” dans les années 1950) étant d’ailleurs ouvertement nommé.

Cette hystérie anti-rouge fut d’ailleurs le thème central de son précédent film Un crime dans la tête.

L’aspect paranoïaque et ici plus diffus mais non moins présent tout du long par l’excellente mise en scène de John Frankenheimer, tantôt oppressante, tantôt à nous faire douter de la réalité du complot.

Deux célèbres acteurs se partage l’écran : Burt Lancaster dans le rôle du général complotiste, et Kirk Douglas, un colonel sous les ordre du premier qui va tenter de mettre à jour le coup d’État.

Opposition de deux stars, qui partage pourtant dans le film la même opinion sur la fin de la guerre, mais dont la dissension nait de leur vision contradictoire de la république états-unienne et de sa démocratie. 

Alors qu’on pourrait le qualifier de film d’anticipation, John Frankenheimer donne une représentation très réaliste des évènements, agrémenté de séquences à la mise en scène troublantes, déstabilisantes, instaurant une ambiance de doute et de peur servant son propos.

Il ne faut pas non plus oublier qu’un an avant la sortie du film a lieu un autre immense choc dans l’histoire des États-Unis avec l’assassinat du président John Fitzgerald Kennedy.

Avec son propos pacifiste, aspirant à sortir au plus vite de l’ère nucléaire où les hommes n’ont plus de prise sur leur survie, et son rappel des valeurs démocratique, John Frankenheimer livre une œuvre intense, profondément ancré dans les tourments de son pays et de son époque, mais qui dépasse largement les frontières géographiques comme temporels.

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Folle à tuer (1975) et Le prix du danger (1983), de Yves Boisset

Yves Boisset est un réalisateur français ayant principalement œuvré pour le cinéma dans les années 1970 et 1980 avant de se tourner vers la télévision. 

La plupart de ses films sont ouvertement engagé à gauche, bien ancré dans les thèmes de l’époque : la violence de la police avec Un condé (1970), L’Attentat (1972) qui s’inspire de l’assassinat de Mehdi Ben Barka, la guerre d’Algérie dans R.A.S. (1973) ou encore le racisme qui traverse beaucoup de ses films et qui est le thème central de Dupont Lajoie (1975).

Il lui a parfois été reproché de manquer de finesse dans son propos politique, souvent ouvertement explicité par des dialogues ou des séquences, qui peuvent parfois donner l’impression d’être jeté à la figure du spectateur, et pouvant le faire sortir du film par un aspect un peu trop forcé.

Sur ce point ci Folle à tuer est surement un de ses films les plus subtiles.

Adaptation d’un roman de Jean-Patrick Manchette, Marlène Joubert y incarne une jeune femme qui sort d’un établissement psychiatrique pour être embauché en tant que gouvernante du neveu d’un riche industriel, et qui vont se retrouver tout les deux traqués par des tueurs. 

La folie est un thème important du film, comme il l’était au sein de la gauche dans les années 1970 avec des mouvements “anti-psy”. Sans aller jusque là, Yves Boisset met superbement en scène cette société dans laquelle survivre sans devenir fou, sans se faire broyer ou corrompre par le système, est extrêmement difficile. 

Ainsi le personnage de Marlène Joubert, Julie, est assez passionnant, puisqu’elle va être considéré tout le film comme une personne folle, déséquilibré tout au long du film alors qu’elle nous apparait bien à nous, spectateur, comme le seul personnage sain d’esprit, en fuite dans un monde totalement fou. 

L’autre personnage principal du film est Thomas, le jeune garçon dont elle doit s’occuper incarné par Thomas Waintrop et qui va suivre une évolution personnelle et dans sa relation avec Julie, débutant en enfant totalement délaissé au milieu d’une profusion de jouets et d’images télévisuelles. 

Il est d’ailleurs à noter la justesse de jeu pour un si jeune acteur dans un rôle compliqué. 

Et si c’est deux personnages parviennent un temps à fuir tout un système qui leur courre après pour les détruire, c’est ensemble, en s’entraidant et en évoluant ensemble.

La production du film est franco-italienne et cela se ressent. Par la présence au casting de Tomás Milián, acteur cubain qui a joué dans de nombreux films de genre italien, principalement des westerns et des poliziotteschi (des polars typiques des “années de plomb”). Mais aussi par son approche de la mise en scène et la violence de la première moitié du film qui rappelle justement ces polars italiens.

Yves Boisset a également filmé un autre type de fuite dans son film Le prix du danger

Le nom du film vient de l’émission de télévision qui organise la traque d’un homme qui doit échapper à cinq tueurs lancés à ses trousses. S’il survit et qu’il arrive à rejoindre un lieu secret, il remporte un million de dollars.

Ce scénario, adapté d’une nouvelle du même nom écrite par Robert Sheckley et publié en 1958 rappelle, celui plus connu, de Stephen King, Running Man, paru en 1982 et adapté en film en 1987.

D’autres films ont déjà porté un regard critique sur la télévision, on peut penser à Un homme dans la foule (1957) de Elia Kazan, à Network (1978) de Sidney Lumet ou encore à La mort en direct (1980) de Bertrand Tavernier, dans lesquels Yves Boisset va puiser.

Et il aura lui-même de l’influence sur d’autres films. Le présentateur de l’émission, incarné par Michel Piccoli, peut ainsi faire penser au présentateur de Hunger Games. On retrouve le même style grossier, quasi grotesque jusque dans la coiffure, et le ton profondément cynique se prétendant du côté du candidat qui court à sa perte.

Mais les dérives du système télévisuel n’est pas le seul thème du film.

Il est aussi question de la corruption des esprits, avec le personnage principal interprété par Gérard Lanvin qui est prêt à tout pour s’extraire de sa condition de prolétaire, pour se lancer dans cette quête de réussite individuel à tout prix.

Et il y a la question de la violence, d’une certaine fascination morbide pour la mort, qui ne peut que nous renvoyer à l’époque des jeux du cirque de l’Antiquité. 

Dans ce film, Yves Boisset pose un propos très frontal, quasiment provocateur. 

Un dialogue allant même jusqu’à parler de la société du spectacle, Yves Boisset étant influencé par le gauchisme situationniste (dont était aussi proche Jean Patrick Manchettte, auteur du roman Folle à tuer). 

Ce sont ainsi deux films intéressants à plus d’un titre, avec de vrais qualités cinématographiques, un propos plus ou moins subtile, de la part d’un important réalisateur français du film de genre engagé de l’époque. 

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Culture

Point Limite de Sidney Lumet et La Bombe de Peter Watkins

En 1962 a lieu la crise des missiles de Cuba, un des points d’orgue des tensions entre les deux blocs de la guerre froide. Cela a profondément marqué le monde, et en particulier la population des États-Unis, leur faisant pleinement prendre conscience du risque d’une nouvelle guerre mondiale, celle-ci devant prendre la forme d’une guerre thermonucléaire.

Ce n’est donc pas un hasard si deux ans plus tard sortent coup sur coup deux films qui s’emparent du sujet de l’arme nuclaire : Docteur Folamour (Dr. Strangelove) de Stanley Kubrick et Point Limite (Fail Safe), de Sidney Lumet. Le premier ayant d’ailleurs intenté un procès au second afin de pouvoir sortir son film en premier.

En 1964 Sidney Lumet a déjà quelques réalisations de long métrage à son actif, et de beaux succès avec des films comme Douze Hommes en colère (1957) ou L’homme à la peau de serpent (1960). 

Point Limite est une adaptation du roman Fail Safe écrit par Eugene Burdick et Harvey Wheeler. Le scénario adapté est signé Walter Bernstein, auteur engagé qui figura sur la liste noire du cinéma durant le Maccarthysme des années 50, époque où il fit sa première collaboration avec Sidney Lumet pour la télévision sur la série Danger (où il n’est donc pas crédité). C’est également lui qui sera à l’écriture quelques années plus tard de Traître sur commande, réalisé par Martin Ritt.

Si Douze Hommes en colère est encore aujourd’hui le film le plus connu de son réalisateur il partage un certain nombre de points communs avec Point Limite

Sans aller aussi loin dans le huis clos, après une présentation de quelques-uns des principaux protagonistes, Point Limite ne se passe plus que dans quelques lieux clos : le cockpit d’un avion de guerre, la salle de réunion des hauts gradés militaires, la salle du téléphone rouge du Président… 

Ainsi si le thème du film est l’arme nucléaire et toute la mécanique et machinerie qui peut mener à une guerre thermonucléaire, la caméra de Sidney Lumet est centré sur des humains. Mais des humains sans cesse divisés, séparés, qui communiquent davantage par téléphone et radio qu’en contact direct. 

Tout le talent de mise en scène Sidney Lumet permet alors, à partir de rien (deux acteurs et un téléphone par exemple), d’exprimer un universalisme teinté de mélancolie d’une rare puissance, par l’écriture, par la direction d’acteur ainsi que par le cadrage et le jeu sur les ombres, séparant les acteurs pour mieux les réunir et les laisser s’exprimer leur plus profonde humanité.

Un autre point commun entre les deux films est qu’on retrouve ici, dans le rôle de président des États-Unis, l’acteur Henry Fonda, déjà présent dans Douze hommes en colère avec un personnage similaire, épris de moral, de justice et de valeurs démocratiques. 

Certaines scènes sont d’ailleurs d’un tel niveau d’humanité, de fraternité qu’on peut être étonné de les voir se tenir au plus haut sommet de l’État et de l’armée. Cela n’enlève néanmoins rien à la portée du film, qui présente également son lot de personnages cyniques et guerriers. 

La séquence d’ouverture qui nous présente quatre des protagonistes a d’ailleurs une grande importance dans la tension dramatique du film. On découvre alors des individus à la rupture, en prise avec les maux et la violence de la société. Avant de découvrir qu’il s’agit de personnes très haut placées qui vont devoir gérer une des plus graves crises de l’humanité. C’est une brève incursion dans le réalisme de la société de l’époque, avant de pénétrer dans un environnement bureaucratique cloisonné et policé.

Il est d’ailleurs à noter que pour ce qui est des décors l’armée américaine a refusé d’apporter tout aide au film, Sidney Lumet et son équipe ont ainsi du se débrouiller pour imaginer et mettre en scène les différentes pièces, les écrans de surveillance, les avions, pour un résultat qui fonctionne parfaitement.

On peut ainsi voir Point Limite comme une prolongation de Douze hommes en colère, le vertueux personnage d’Henry Fonda est devenu président des États-Unis, et il ne s’agit plus de débattre et décider d’un parricide et de la vie et mort d’un accusé, mais de celle de l’humanité tout entière. 

Film intemporel, ce film à suspens fait encore écho aujourd’hui, de par son humanisme et son universalisme, et car la menace d’une apocalypse nucléaire continue de peser sur tous les êtres vivants de la planète soixante.

Un an plus tard, en 1965, sort le film La Bombe (The War Game) de Peter Watkins. Il s’agit d’un documentaire-fiction commandé par la chaîne anglaise BBC imaginant ce qui se passerait en cas d’attaque nucléaire sur l’Angleterre. 

Devant la teneur du film, très documenté (basé entre autre sur l’étude des bombardements de Dresde, Londres, Tokyo, Hiroshima, Nagasaki…), réaliste et donc terrifiant, la chaîne voulu annuler sa diffusion, mais en raison d’un flou dans le contrat de production il put malgré tout sortir en salle où il rencontra un franc succès aussi bien public que critique.

On y suit  le déroulement d’une attaque nucléaire, des instants qui précèdent, comment s’y préparer (ou plutôt comment on ne peut pas s’y préparer), à l’attaque en elle-même et ses terribles conséquences.

Peter Watkins, réalisateur résolument pacifiste et engagé (il tournera plus tard Punishment Park), en fait un documentaire acerbe, où il n’épargne rien au spectateur, lui rappelant que cette fiction pourrait bien tourner en réalité et toute l’horreur l’accompagnant.

Car il ne s’agit pas ici d’un soldat qui va mourir à la guerre pour des intérêts impérialistes, tout aussi barbare que cela soit, mais de l’anéantissement de famille entière, de toute une population. 

Au-delà du thème nucléaire qui réunit ces deux films, ce qui ressort de ces deux visionnages c’est l’impression d’inéluctabilité d’une telle guerre tant que ces armes existent. 

Point Limite suit ainsi une trame scénaristique très déterministe. Aussi important soit les protagonistes il n’est plus question de choix, de libre arbitre. C’est d’ailleurs pour cela que la crédibilité des vertus morales du Président et de ses conseillers importe peu. Le mal est déjà fait, c’est tout un système qui est à l’œuvre, et le grade ne vaut alors plus grand chose face à la marche de l’histoire.

On retrouve ce sentiment devant La bombe, si une telle guerre venait à être déclenchée, il serait déjà trop tard pour espérer quoi que ce soit.

Ce sont ainsi deux films très importants, qui portent en eux une urgence pacifiste et universaliste qui résonne encore aujourd’hui.

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Culture

Décès de Sean Connery, retour sur quelques films

L’acteur écossais Sean Connery est décédé dimanche 1er novembre 2020 à l’âge de 90 ans. Il a été très tôt célèbre pour avoir interprété James Bond durant les cinq premiers films de la franchise. Il est aussi très connu pour son rôle de père d’Indiana Jones ou celui d’officier de police « incorruptible » dans le film du même nom de Brian De Palma. Voici un retour sur quelques-uns de ces films les plus marquants.

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La filmographie de Sean Connery est extrêmement riche mais sa partie la plus intéressante est probablement celle des années 1960 et 1970, qui s’est faite en parallèle de ses rôles de super espion.

En 1965, il joue pour la première fois sous la direction de Sidney Lumet dans La Colline des hommes perdus. À cette époque, Sidney Lumet n’a pas encore réalisé ses films les plus célèbres mais s’est déjà fait un nom de réalisateur progressiste, notamment avec le fabuleux 12 hommes en colère, ôde à la justice et à la démocratie et où il fait la démonstration qu’une réalisation n’a pas besoin de multiplier les effets de caméra pour déborder d’intensité.

La Colline des hommes perdus est un excellent film dont le projet est d’ailleurs porté par Sean Connery. On y suit cinq détenus d’un camp militaire disciplinaire anglais durant la seconde guerre mondiale, s’attaquant au despotisme des petits chefs, à l’absurdité des ordres dans l’armée, à sa violence pour briser mentalement les individus. 

Le titre vient de la colline de sable que doivent escalader encore et encore les détenus dès que leur sergent le décide, sous le soleil libyen.

La charge contre une discipline de la peur et de l’humiliation, n’ayant aucun sens, faisant fi de toute morale, dépasse assez clairement le cadre de l’armée que l’on finit par oublier, emporté par la mise en scène de Sidney Lumet qui change au cours du film de focale pour se rapprocher toujours plus des visages déformés par la peur et la colère devant l’injustice. 

Il s’agit de la première des cinq collaborations entre Sean Connery et Sydney Lumet dont la plus célèbre est probablement le très noir The Offence sorti en 1973, certainement la meilleure prestation de l’acteur écossais.

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Cinq ans après La colline des hommes perdus, on le retrouve dans un autre film tout aussi passionnant : Traître sur commande, de Martin Ritt. 

Martin Ritt est un réalisateur américain assez méconnu aujourd’hui, qui a pourtant réalisé de grands films, souvent marqués par un cinéma ouvertement engagé, dans des genres aussi variés et populaires à l’époque que le western (Hombre, 1967), le drame aux accents de film noir (L’homme qui tua la peur, 1956), ou le film d’espionnage (L’Espion qui venait du froid, 1965).

Avec Traître sur commande (The Molly Maguires), il prend pour base une histoire inspirée de faits réels, celle du groupe secret des Molly Maguires qui dans les 1870, face à la répression des organisations syndicales dans les mines de charbon de Pennsylvanie, menèrent plusieurs actions de sabotages et d’agressions.

Ainsi le film prend place au sein d’une communauté d’émigrés irlandais vivant dans une ville des plus austères, comme sortie de terre uniquement pour l’exploitation de la mine de charbon. Austérité renforcée par une photographie volontairement terne, et les nombreuses séquences dans la quasi-obscurité étouffante de la mine.

L’enjeu du film repose sur l’infiltration d’un agent de police (interprété par Richard Harris) au sein des travailleurs de la mine, avec pour but le démantèlement et l’arrestation des têtes des Molly Maguires. 

Si Martin Ritt ne laisse qu’assez peu de doute sur son parti-pris dans le récit, l’intérêt du film va bien plus loin et est multiple.

Il a tout d’abord une approche très réaliste, quasi-documentaire de la vie de ces mineurs, de leur travail. Ainsi le film s’ouvre sur une longue séquence où l’on suit les hommes descendre à la mine, dans un travail difficile et dangereux. Pas une parole n’est prononcée pendant près d’un quart d’heure et pourtant le cinéaste nous a déjà embarqués avec lui. 

On peut d’ailleurs noter qu’outre Richard Harris, la vraie tête d’affiche du film est bien Sean Connery, et pourtant sa première ligne de dialogue n’arrive qu’assez tardivement. 

La recherche de la justice est une nouvelle fois au cœur du film, ainsi que le questionnement moral du personnage de Richard Harris, mais aussi de la femme du village minier avec laquelle il va nouer une relation. 

Comme chez Sidney Lumet, la radicalité du film, dans son propos et dans sa mise en scène, tranche nettement avec les gros rôles de Sean Connery à l’époque. 

Il dira d’ailleurs bien plus tard que Traître sur commande et La colline des hommes perdus font partie des films dont il est le plus fier.

En 1974 sort probablement la plus grande bizarrerie de la filmographie de l’écossais : Zardoz, de John Boorman. 

Le film est extrêmement connu pour le look de son acteur principal, improbable avec ses bottes qui remontent à mi-cuisse, son slip rouge assorti à ses cartouchières en guise de bretelle, la moustache et le catogan.

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Le film fait effectivement assez cheap, mais c’est un peu court pour le classer dans la catégorie des « nanar sans intérêt ».

S’il joue souvent l’équilibriste, jamais bien loin de tomber dans le grotesque et le mauvais goût, dont on pourrait considérer qu’il franchit parfois la limite, John Boorman livre une fable philosophique qui n’en demeure pas moins intéressante.

Le film s’inscrit dans la lignée de films produits par les gros studios hollywoodiens se rattachant à la contre-culture, comme par exemple les très bons Silent Running de Douglas Trumbull (1972) et Soleil Vert de Richard Fleischer (1973), deux violentes charges écologiques.

Dans Zardoz la population humaine est divisé entre « Les Éternels », qui ont réussi à atteindre l’immortalité et se sont construits un territoire préservé et imprenable, et « Les Brutes », vivant dans un monde ravagé par la violence et la barbarie, et fournissant de la nourriture aux Éternels.

Entre les deux se tient le « Dieu » Zardoz, prenant l’apparence d’un immense visage de pierre, flottant dans les airs et flattant les bas instincts des Brutes, leur fournissant des armes, les poussant à s’entre-tuer et les maintenant dans un état de barbarie.

Dès le début du film, on sait que ce Dieu n’est qu’une supercherie. 

On découvrira aussi rapidement que la vie des Éternels, dont la représentation fait volontairement penser à des hippies, n’est pas si enviable, la disparition de la mort leur ayant retiré une part d’humanité, retirant finalement toute vie de leur monde. 

Le film n’est pas exempt d’ambiguïtés, car on y sent une défiance à l’égard du collectif et du communisme dans la représentation des Éternels, mais dans le même temps le libre arbitre se retrouve mis en cause par une révélation vers la fin du film. 

Pour terminer nous pouvons également citer L’homme qui voulut être roi, un savant mélange de film d’aventure et de comédie grinçante, mis en scène par John Huston (1975), qui prolonge les thématiques du pouvoir et de la religion puisque Sean Connery y incarne un franc-maçon aventurier qui parviendra à devenir roi d’un pays par la guerre et la superstition, et dont l’esprit navigue entre avidité, quête de pouvoir, et absurdité de sa propre condition.

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Culture Guerre

L’incontournable téléfilm Le Jour d’après (1983), manifeste de gauche

C’est un téléfilm – largement de la qualité d’un film d’ailleurs – qui sera vu une fois dans sa vie et il y aura alors un avant et un après. Impossible de rester pareil après un tel film et d’ailleurs il est à proscrire chez les moins de 18 ans, même si l’atmosphère générale n’est pas celle des années 1980, même si on y revient. C’est qu’entièrement réaliste dans sa dimension portraitiste, Le jour d’après expose une chose simple : le jour d’après, c’est-à-dire le jour d’avant et le jour d’après le déclenchement de la troisième guerre mondiale entre les monstres américain et soviétique.

Le film est très clairement sur une base de Gauche, de la manière la plus claire au sens de la manière la plus vraie. Ce sont les faits qui sont montrés, avec un passage du portrait de la vie réelle et quotidienne d’Américains loin des grands centres comme New York à la présentation de leur condition le jour d’après. On voit le peuple avec les yeux du peuple dans la réalité du peuple.

La chaîne ABC – où le film fut diffusé le 20 novembre 1983 devant cent millions d’Américains absolument emportés – mit un maximum de bâtons dans les roues à la production,ayant même à un moment éjecté le réalisateur, Nicholas Meyer, tout en réussissant à procéder à de multiples coupes. Pourtant la chaîne fit en même temps la promotion du film, assumant par là-même d’être en conflit avec le Pentagone qui évidemment exigeait non pas une dénonciation de la guerre, mais de l’URSS.

On se doute, en effet, que le film met dos à dos États-Unis et URSS, soulignant bien leur rôle moteur dans l’élan à la guerre. Le réalisateur fut naturellement dénoncé comme un « traître » par les propagandistes acharnés du militarisme et du nationalisme impérialiste.

Il est vrai qu’ABC produisit dans la foulée, pour se rattraper, la série Amerika, qui se déroule dix ans après la prise du contrôle des États-Unis par l’URSS et la perte générale des « libertés », afin de relancer la machine de propagande en faveur de la guerre. Mais que Le jour d’après ait pu être diffusé en dit long sur la contradiction principale aux États-Unis alors, avec un complexe militaro-industriel qui, tout comme celui d’URSS, poussait à la militarisation et au conflit, et une société voyant bien qu’elle se faisait embarquer dans un projet criminel et fou.

Le film est littéralement admirable dans la mesure où il montre que pour les Américains, le patriotisme américain est lié à la réalité quotidienne et ne consiste pas en une abstraction : l’opposition entre le peuple et un État entièrement séparé de lui est limpide, le rapport au drapeau américain dans tout le film est d’un symbolisme très fort. Dommage que le niveau technique, notamment pour le cadrage, n’ait pas été de meilleure qualité, car on aurait eu alors quelque chose d’époustouflant.

C’est cependant secondaire au sens strict, ce qu’on voit est vrai et c’est cela qui compte. Pour cette raison, l’impact de ce film fut, de fait, immense sur l’ensemble de la société américaine ; il fut également vu au cinéma par 3,5 millions de personnes en Allemagne de l’Ouest et ne laissa personne indifférent à travers le monde quant à ceux qui furent en mesure de le voir.

De manière plus spécifique, il fut également vu au plus haut niveau américain, y provoquant un traumatisme d’autant plus étonnant qu’on a là les premiers criminels en chef avec leurs équivalent soviétiques. Le président américain Ronald Reagan, un militariste forcené pourtant, affirma par la suite que le film avait joué un rôle d’importance pour aller dans le sens de la signature du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en 1987. Cette même année, le film fut d’ailleurs diffusé à la télévision soviétique.

Le film est disponible sur YouTube, ainsi que sur des plate-formes de streaming avec les sous-titres en anglais. Même si on maîtrise mal cette langue, la dignité de ce qui est présenté est si simple et vraie qu’on saisit cependant tout tout de suite, inévitablement.

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Société

Le MMA en France, entre télé-réalité, jeu télévisé et show business

Relevant techniquement du sport, le MMA relève surtout du capitalisme excitant le malsain, le grotesque, le sanglant, pour fasciner et faire consommer.

Si on avait dit aux Français en 1990 que la télé-réalité serait particulièrement implantée en France et que le MMA serait officiellement reconnu par l’État, jamais ils ne l’auraient cru. Un pays comme la France se targue de culture et s’il y a une chose qui a toujours été claire, c’est le refus d’une américanisation de la culture.

On sait en effet qu’aux États-Unis, un pays d’immense culture, le capitalisme a largement contaminé la plupart des espaces d’expression. Un marché immense, des investissements lourds disponibles, une infantilisation significative… ont fait des États-Unis un exemple de l’abrutissement des masses.

Nombreux sont les films dénonçant cette tendance au spectacle vide de sens et corrupteur des esprits, jouant sur le malsain et le grotesque pour attirer l’attention, captiver. On peut citer Running man en 1987 avec Arnold Schwarzenegger, satire humoristique des jeux du cirque modernes, où un individu est traqué par des tueurs devant les caméras.

Ce film s’appuie d’ailleurs sur le bien plus sombre Le Prix du danger, film franco-yougoslave de 1983 avec Gérard Lanvin et Michel Piccoli. Il y a également Le jeu des millions, un film des années 1970 qui suit le même principe.

Le Prix du danger a énormément marqué les esprits alors en France, ou plus exactement il avait puissamment troublé de par la dimension de ce qu’il présentait. Il a été un véritable marqueur culturel, un véritable traumatisme à l’échelle de la société.

Mais les gens ont considéré alors que c’était une allégorie, que jamais les médias n’iraient vraiment dans cette direction, avec de la télé-réalité, des actions scénarisées par les producteurs, avec une obsession pour la violence, le sang. N’y avait-il pas une Gauche pour bloquer tout cela ? La France n’était-elle pas un pays où la culture est centrale, où le respect de la dignité humaine est une valeur sacrée ?

Et pourtant la direction a bien été prise. La reconnaissance du MMA en France témoigne du nivellement par le bas par rapport à cette époque ; ce qui semblait une exception est désormais la règle. Les Français ne valent pas mieux que les Américains : ils consomment ce qu’on leur propose. Des produits sucrés aux hamburgers, du MMA à la télé-réalité, même si c’est stupide cela plaît et cela permet de passer le temps.

Dans le capitalisme, tout ne sert plus qu’à cela d’ailleurs, passer le temps. Rien ne reste. Tout est jetable, jusque le partenaire dans les couples. Et, forcément, dans une telle logique de marché, il faut en rajouter toujours plus.

Tout comme la pornographie va toujours plus loin dans l’étrange et le violent, on a donc désormais le MMA, avec des combattants forgés pour la télévision, cognant pour la télévision, gladiateurs des temps modernes occupant les esprits, qui comme cela évitent les vraies questions et la culture.

Le MMA est un sport, disent ses partisans, mais le but est de passer à la télévision, d’accrocher les esprits par la violence, de provoquer des émotions malgré soi, de contribuer au show business avec tout une mise en scène avant et après les combats.

Le MMA en France, c’est un mélange de télé-réalité, jeu télévisé et show business, qui passe par le plaisir de cogner quelqu’un d’autre et de le montrer. C’est de la barbarie mais moderne, conforme aux valeurs et aux besoins du capitalisme.

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Politique

«V» les visiteurs, le modèle idéologique des complotistes

Cette série des années 1980, à la fois ridicule et stupide, fournit la base même de l’approche « dissidente » des complotistes.

Produite entre 1983 et 1985, « V » est une série qui fournit tous les éléments de la démarche complotiste. Cela n’est pas dû à l’intelligence du script ni au jeu des acteurs, le tout étant d’une nullité indiscutable. C’est que la série reflète l’esprit violemment anti-communiste des États-Unis des années 1980, dont Star Wars est un exemple bien connu.

Le schéma est toujours la même. D’un côté, des populations diverses, désordonnées mais créatives, avec des individus authentiques et plein d’initiatives… De l’autre, une machine froide et anonyme, pratiquement robotique et en tout cas sans états d’âme, dont le but est d’absolument tout uniformiser.

La série « V » a toutefois une particularité qui la distingue de Tron, Rambo II, Rocky IV, Star Wars, Top Gun, etc. En effet, dans tous ces films l’ennemi est parfaitement identifié. Ce qui fait la particularité de « V », c’est sa dimension paranoïaque. On a des envahisseurs extra-terrestres voulant prendre l’eau sur Terre et manger les humains.

Au sens strict, un film comme « They live » (Invasion Los Angeles), de John Carpenter et sorti en 1988, est strictement équivalent. Seulement « They live » possède une dimension satirique, sa dénonciation de la société de consommation prime sur le reste, l’ambiance est à une révolte autant contre « l’occupant » que contre les gens qui acceptent d’être hypnotisés.

On a rien de tout cela dans « V », qui se veut le portrait de résistants se formant sur le tas. On a le même principe dans le film de John Milius de 1984, L’aube rouge, où une poignée de jeunes américains organise la guerre de guérilla contre l’occupant soviéto-cubain. Quelque chose vient s’ajouter pourtant : les « visiteurs » se déguisent en humains, alors qu’ils sont des « reptiliens ».

Ces « reptiliens » déguisés en humains, cela ne tient pas debout et la scène d’une reptilienne déguisée en humaine en train d’engloutir un cochon d’Inde vivant en deux secondes est d’une stupidité complète.

On a toutefois tous les ingrédients pour la conception d’un régime d’occupation par des forces inhumaines. Les théories nazies avaient déjà ce principe d’une « occupation » intérieure et après 1945, elles allèrent encore plus loin avec la théorie du « ZOG » (Gouvernement d’occupation sioniste). « V » apporta une inspiration en plus.

L’Anglais David Icke a ainsi directement repris la thèse au début des années 1990, avec un succès important, pour expliquer que des reptiliens extra-terrestres créés génétiquement cherchent à prendre le contrôle de planète Terre, composant notamment la famille Rothschild et la famille royale britannique, etc.

C’est aberrant, mais là n’est pas la question. Ce qui compte, c’est le modèle paranoïaque, digne des folies furieuses des années 1920 dans toute l’Europe, surtout en Allemagne. La petite-bourgeoisie avait besoin de dénoncer le capitalisme sans le dénoncer, de mobiliser les ouvriers en sa faveur, mais sans remise en cause de la propriété.

On parle évidemment de cas extrêmes mais, en même temps, le petit parti nazi totalement délirant est devenu un mouvement de masse et la SS, avec des fantasmes mystiques complètement fous, a été un organe d’État extrêmement puissant. Des millions et des millions de personnes ont perdu la vie à cause de cette idéologie servant de levier aux conquêtes nazies.

« V » n’est évidemment pas une série raciste et, d’ailleurs, il y a des allusions contre le racisme et l’antisémitisme, le nazisme est clairement dénoncé par la bande. Cependant, cette idée d’une armée d’occupation non pas « neutre », mais particulièrement agressive, avec des « dissidents » cherchant à lutter contre un ennemi invisible… on a exactement la psychologie des complotistes.

Des fanatiques des thèses nazies à l’ancienne aux gilets jaunes, des partisans de l’antisémitisme « réconciliateur » d’Alain Soral aux tenants de la quenelle, on retrouve la même logique : le système est inhumain et porté par des forces occultes, à la fois anonymes et assassines. Toute l’Histoire est mensongère, toutes les informations sont trompeuses et il faut diffuser une dissidence dont les contenus sont, par définition même, aussi flous que la petite-bourgeoisie comme classe sociale.

« V » les visiteurs est ainsi une série très intéressante, au-delà de sa nullité, car elle présente des caricatures psychologiques qu’on retrouve justement chez les complotistes. Il y a bien plus d’intérêt à cela, à saisir la nature sociale du phénomène que de perdre son temps à « expliquer » comme le font les « décodeurs » du Monde et autres anti-complotistes tout autant petit-bourgeois que les complotistes.

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Société

Une cérémonie des Césars teintée de comédie féministe

Vendredi 28 février s’est tenue la soirée des Césars, un événement incontournable pour le cinéma français. Plus qu’un événement, c’est une académie dont la morale douteuse peut nominer douze fois un délinquant sexuel et faire salle comble, faisant de toute entreprise féministe dans ce cadre un simulacre absurde anti-populaire.

Aux Césars, les films sont nominés par environ 4700 académiciens issu de l’industrie du cinéma. Ces personnes sont anonymes, cela donne déjà un aperçu de l’aspect anti-démocratique que cela peut avoir. Ces gens n’ont donc de comptes à rendre à personne et cela passe pour un processus impartial qu’on ne peut pas remettre en cause.

Voici ce que disait le directeur générale de la SACD, Pascal Rogard, à Franceinfo vendredi :

« Ce qu’il a fait dans sa vie privée [R. Polanski, ndlr] est très contestable, peut-être critiqué, mais il a quand même été jugé aux États-Unis et pour le moment il ne fait pas l’objet de plaintes en France »

Il dit en même temps qu’en dernière instance, si les académiciens l’avaient nominés, on ne pouvait remettre ça en cause.

On a donc un délinquant sexuel fugitif (il est toujours inscrit comme recherché par Interpol) dont le travail cinématographique pourrait être apprécié car violer des gens, de surcroît des enfants, ferait partie de la vie privée et ne regarderait personne.

Une telle manière de penser est en fait représentative de la morale, ou plutôt la non morale de cette institution bourgeoise issue de mai 68 sur le plan des mœurs.

L’académie des Césars veut conserver un mode de vie issu de la « libération sexuelle » qui est en fait de prôner l’absence de limites. Une absence de limites profitant en général aux hommes, aux personnes ayant l’ascendant sur les autres.

C’est là l’héritage d’une gauche moderniste, bourgeoise, libertaire, libertine et amorale.

Face à cela, la fausse-gauche postmoderne essaie de s’ériger en alternative en réclamant une modernisation de l’intérieur. C’est ainsi que la présidence des Césars démissionne, proposant comme présidente par intérim Margaret Ménégoz. Cette décision provoque le contentement chez les personnalités frondeuses des Césars, ayant signé la pétition dénonçant le fonctionnement élitiste de cette institution.

Comme pour la question du manque de représentation des « minorités » dans le cinéma français, l’idée c’est que si on met plus de femmes, plus de noirs et d’arabes, plus de « LGBTQI++ », on aura une institution nouvelle, pouvant influencer positivement la société.

C’est le sens de la démarche de Florence Foresti, qui avait été désignée pour présider la séance. Elle n’a pas renoncé à son rôle, pensant qu’elle pouvait en tant qu’individu, faire passer un message à travers un one woman show déplacé. Elle y a tourné à la dérision le Roman Polanski des années soixante-dix et pas la même occasion faire rire de ses victimes aussi dans un moment extrêmement malaisant.

Pour la plupart des gens présents, la grogne est acceptable, mais complètement faire capoter la cérémonie, c’est impensable.

Adèle Haenel est venue y assister, sachant pourtant que Polanski était nominé douze fois, espérant encore que l’agitation virtuelle aurait pu changer quoique ce soit à l’esprit de tout un milieu. Elle a donc quitté la salle avec une dizaine d’autres actrices pour marquer le coup, sincèrement choquée, mais prisonnière de son propre milieu.

Cette « fronde » au sein de l’institution conservatrice patriarcale du cinéma français, n’est autre que l’affirmation du post-modernisme, qui pour s’opposer au patriarcat est capable d’inventer par ailleurs quelque chose comme la pornographie féministe.

La réelle opposition à tout cela est en fait la morale populaire, intransigeante avec toute déviance. Si on plaçait Polanski au milieux des gens normaux en disant qui il est et ce qu’il a fait, il n’y aurait pas lieu de tergiverser sur son art. Un « pointeur » reste un « pointeur ».

Mais les gens du peuple qui font du cinéma se font aspirer par la bourgeoisie, laissant derrière eux une bonne partie de leur valeurs.

La culture populaire voudrait une démarche complète, incorruptible et avec pour objectif de combattre la décadence morale et de mettre en avant le réalisme, l’émancipation collective.
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Culture

Joker, un film problématique aussi bien sur la forme que sur le fond

Le film Joker rencontre un large succès, aussi bien critique puisqu’il a décroché le Lion d’or à la Mostra de Venise, que public avec déjà plus de trois millions d’entrées en France. Il n’en est pas moins problématique, aussi bien sur la forme que sur le fond.

En à peine plus de dix ans, nous en sommes à la troisième interprétation du personnage du Joker après Heath Ledger dans The Dark Knight en 2008, Jared Leto dans Suicide Squad en 2016 et à présent Joaquin Phoenix. Une belle preuve d’originalité et de capacité créative de la part d’Hollywood…

Ceci étant dit, si ce film s’inscrit lui aussi comme une production dans l’univers super-héroïque de DC Entertainment et Warner Bros, il a l’ambition de s’en distinguer par son approche, bien plus proche du drame que du film d’action et sa mise en scène « auteurisante ».

On ne peut nier qu’on est dans un registre cinématographique bien différent des Avengers, Justice League, ou Suicide Squad. On n’en reste pas moins loin du chef d’œuvre décrit ici et là.

> Lire également : Les blockbusters dénoncent la collectivité et les machines

Sur la forme tout d’abord. L’ambition ne fait pas un film et la prétention de Todd Phillips se fait trop voyante. L’ensemble apparaît forcé, les effets de mise en scène plaqués et même la performance de Joaquin Phoenix, certes de qualité, semble être configurée pour les Oscars.

Il est d’ailleurs regrettable que les performances d’acteurs se trouvent bien plus largement acclamées (et récompensées) dans ce genre de rôle grandiloquent, plutôt que pour des interprétations plus en subtilité, comme ce fut le cas de Joaquin Phoenix dans ses collaborations avec James Gray par exemple.

Et malgré ce ton oscillant entre poseur et suffisant, certaines séquences tombent dans le classique travers de prendre le spectateur par la main pour souligner lourdement certains éléments scénaristiques.

Que cela soit imputable au réalisateur ou à la production n’enlève rien au fait que cela en fait un film assez bancal dans sa forme, entre volonté de faire autre chose, sans trop avoir le savoir faire pour, ni la possibilité de se détacher d’un système de production et de création cinématographique. Nous restons bien loin sur le plan formel des références ouvertes de Todd Philipps que sont Taxi Driver ou La Valse des Pantins de Martin Scorsese, dont il reprend d’ailleurs l’acteur principal de ces deux films, Robert De Niro.

Mais la plus grosse critique qui est imputable à ce film concerne son propos plus ou moins sous-jacent. Il y a deux manières de le voir, qui se rejoignent finalement : soit comme un film terriblement réactionnaire, soit comme un film profondément nihiliste.

Toujours est-il qu’il sera compliqué d’y trouver une once de valeur de gauche, ou ne serait-ce que positive. Le film exprime la folie générée par les grandes métropoles où l’absence de nature est criante, ce qui favorise une société abandonnant ceux qui ont besoin d’aide, ainsi que les services publics de santé. Mais sans parvenir à le comprendre.

Le problème est que le peuple y apparaît presque toujours malveillant, par de la violence gratuite, des moqueries, de l’indifférence, de l’individualisme.

Cette misanthropie se mélange avec un haut degré de populisme, notamment lorsque les classes populaires vont prendre parti pour le meurtrier employé de Wayne Enterprise, avec pour seul base une haine des plus riches. Une haine qui nous est présentée dans sa dimension la plus nihiliste et populiste : sans politique, culture, valeur, sans but ni idéologie. Mais capable de tourner en un rien de temps au lynchage.

Et si le film se veut léger en termes d’action, le dernier quart montre une violence assez crue et brut. Là où celle-ci était problématique dans le dernier film de Quentin Tarantino pour son aspect fun, cool et décomplexée, ici le plus dérangeant est le manque de recul, voir la complaisance vis-à-vis de celle-ci et du personnage du Joker, qui termine tel un héros.

Le thème du « fou » qui le devient sous la pression et la violence de la société aurait pu être intéressant si la société mise en scène ne représentait pas un tout, presque organique, où la barbarie est partout (voir surtout chez le peuple) et l’espoir, nulle part. Et si la folie du personnage ne se résumait pas quasiment à un simple TOC de fou rire.

Difficile de ne pas penser au violent nihilisme et à l’anticapitalisme romantique de Fight Club, film à juste titre utilisé dans la propagande de groupuscule s’assumant ouvertement fasciste à l’époque.

Ou au dernier volet réactionnaire de la trilogie Batman de Christopher Nolan, The Dark Knight Rises, d’où le peuple de Gotham était totalement absent et les rues occupées uniquement par la police pour combattre le mal et des terroristes d’extrême-gauche anti-finance.

Certains auront beau argumenter que ce qui nous est présenté n’est pas notre monde, mais Gotham et un univers fantastique, ou que Joker est quand même un super-vilain, que Fight Club prend une autre tournure dans son final (alors que le dernier plan est le plus romantique du film), etc. Mais il faudrait être sacrément de mauvaise foi pour nier l’aspect principal qui se dégage de ces films, ce qu’on en retient.

C’est ici globalement la même recette nauséabonde qui peut vite passer pour subversive sans certaines bases culturelles, politiques et idéologiques, c’est-à-dire tout ce que la Gauche postmoderne tend à liquider.

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Culture

Francis Ford Coppola et Martin Scorsese ont raison de dénoncer les films de super-héros

Le capitalisme fait l’éloge de l’irrationnel et exige la cessation de toute capacité de raisonnement. Incapable de créativité, il recycle de manière ininterrompue. Les films de super-héros sont un exemple reflétant parfaitement ce processus de destruction de la culture. Il est donc notable et fort heureux qu’ils soient dénoncés avec les mots justes par Francis Ford Coppola et Martin Scorsese.

Les acteurs et réalisateurs de films de super-héros ont été très choqués des propos de Francis Ford Coppola et Martin Scorsese. Ils ont évidemment dit qu’il s’agissait de grands artistes pouvant dire ce qu’ils voulaient, mais qu’ils rataient le fond de la question. Le cinéma des films de super-héros serait un cinéma nouveau, d’une autre époque qu’eux.

Tout cela est vain, ridicule. Les films de super-héros n’ont aucune profondeur ; leur scénario est élémentaire, leur irrationalisme et leur complotisme prédominant. C’est une fuite dans une bulle sans aucun contenu, totalement sucré et radicalement infantilisante.

Les propos de Martin Scorsese sur les films de super-héros sont donc confondants et il a raison :

« Je ne les regarde pas. J’ai essayé, vous savez. Mais, ce n’est pas du cinéma.

Honnêtement, la chose dont ils se rapprochent le plus, aussi bien faits soient-ils, avec des acteurs faisant le meilleur au vu des circonstances, ce sont des parcs d’attractions. »

« Ce n’est pas du cinéma dans lequel des êtres humains tentent de transmettre des émotions, des expériences psychologiques à d’autres êtres humains. »

Martin Scorsese tient des propos justes, car les super-héros sont inhumains, leur monde est une illusion. C’est une imagination sans fondement, un subjectivisme total. C’est pratiquement religieux et ceux qui les vénèrent ont le même degré de primitivisme que des païens.

Francis Ford Coppola a réagi de la manière suivante aux propos de Martin Scorsese :

« On s’attend à ce que le cinéma nous apporte quelque chose, un éclaircissement, une connaissance, une inspiration. Je ne pense pas que qui que ce soit retire quelque chose du fait de voir toujours le même film.

Martin [Scorsese] a été gentil quand il a dit que ce n’était pas du cinéma. Il n’a pas dit que c’était méprisable, c’est ce que je dis. »

Francis Ford Coppola parle là de culture, ce que précisément les défenseurs des films de super-héros ne comprennent pas, car ils préfèrent l’imaginaire, le non-réel. Ils tiennent à leur fuite.

Ken loach, qui pratique un réalisme qu’on peut trouver discutable dans son approche, a tenu des propos tout aussi parlants :

« Ils sont produits comme une marchandise, à l’image des hamburgers et n’ont rien à communiquer, ni aucune imagination à partager. Il s’agit de fabriquer un produit qui fera un profit pour une grosse compagnie – c’est un exercice cynique. »

Mais, en réalité, c’est la position de n’importe quelle personne défendant la culture. Et les films de super-héros combattent la culture.

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Culture

Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino : encore de l’ultra-violence

Once Upon a Time in Hollywood, le nouveau film de Quentin Tarantino est encore une fois accueilli avec ferveur par la critique. Toutefois, on peut légitimement être très sceptique quant au message délivré par ce film.

Quentin Tarantino est devenu une icône de la culture populaire moderne pour ses films « cool », dans lesquels s’entremêlent B.O mythique, violence esthétisée et références à différents cinémas de genre très populaires (film de kung fu, western, film de guerre, etc.) Dans ses films, la technique est au service d’un scénario souvent minime, au profit d’une œuvre esthétique qui fonctionne sur la citation et la parodie.

Once Upon a Time in Hollywood se déroule en 1969, une époque hautement symbolique durant laquelle la contestation sociale et politique est particulièrement intense à travers le monde : les États-Unis sont quant à eux déchirés par la guerre du Vietnam.

Quentin Tarantino choisit volontairement de placer son film à cette période, dans un Hollywood fantasmé et totalement coupé des réalités sociales et politiques du monde. Certains diront qu’on ne peut lui faire de procès d’intention, le titre, écrit à la manière d’un conte assume cette déréalisation. C’est justement le cœur du problème. Le réalisateur nous livre là un de ses films les plus réactionnaires.

Comme à son habitude, il utilise la réalité historique pour y placer ses obsessions. L’épicentre mondiale de l’industrie du divertissement de masse est filmé avec nostalgie, la nostalgie d’une époque révolue : celle de la pseudo insouciance des sixties, avec ses voitures de sports, ses fast-foods et ses soirées débridées dans le manoir Playboy. Une période que Quentin Tarantino semble regretter lorsqu’il se perd dans de longs plans descriptifs faisant la part belle aux grosses cylindrées et à l’industrie du spectacle hollywoodien.

Comme à son habitude il s’applique à rendre cool et à sublimer une certaine « culture populaire » et ses représentations, à travers ce haut lieu symbolique qu’est Hollywood. Son cri d’amour à cette période révolue résonne aujourd’hui comme particulièrement anachronique et réactionnaire. Toute l’effusion sociale et politique de l’époque est gommée : il ne reste que le portrait de la ville aux illusions et ses symboles, voiture, virilité, consommation. Tout ce dont nos sociétés ont besoin de se libérer.

Un des personnages principaux joué par Brad Pitt, héros ultra-violent, incarnation de la virilité la plus rétrograde, est accusé d’avoir tué sa femme. Le film joue sur l’ambiguïté du personnage, sans jamais questionner sa violence. Au contraire, tout est fait pour le sublimer et le rendre attrayant.

La place des femmes, comme souvent dans ses films, est hautement problématique. Dans Once Upon A Time In Hollywood, il n’y a que trois types de femmes : les femmes légères du Playboy mansion, la femme fétichisée (Sharon Tate) et les épouvantables femmes de la communauté de Charles Manson.

1969, dans la mémoire collective idéaliste, c’est la période qui marque la fin des illusions, la fin de l’insouciance de l’après guerre. Ici, la transition est symbolisée par le massacre de Sharon Tate par la « famille » de Charles Manson. C’est cette charnière que Quentin Tarantino veut représenter et comme à son habitude, il utilise un procédé habituel de ses longs métrages : la déréalisation. Comme dans Inglorious Basterds ou Django Unchained, il s’affranchit volontairement de toute vraisemblance historique pour représenter l’histoire telle qu’il la fantasme.

Une fois encore, le procédé est abject, puisque toute l’intrigue du film conduit à cette ultime scène d’ultra-violence : véritable défouloir et apologie de la vengeance et de la justice par soi-même, qui réécrit l’histoire comme le réalisateur l’aurait aimé. C’est du pur subjectivisme, qui aide simplement la société à se reproduire dans ses caractères les plus violents et social-darwinistes.

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Only lovers left alive et la corruption culturelle du cinéma

Only lovers left alive est une expression de la corruption culturelle de notre époque : des sommes colossales sont mises en circulation afin de produire des œuvres qui répondent aux intérêts du capitalisme. Ces montants permettent de faire vivre tout une population de parasites dont le seul but est de diffuser et d’entretenir une vision du monde qui correspondent aux intérêts d’un mode de production en perdition.

L’individualisme est ainsi toujours de mise, la culture est niée et les classiques sont vidés de toute substance et réduits à des objets de consommation. Peu importe la forme, tant que cela s’oppose au Socialisme.

> lire également : Only Lovers Left Alive (2013)

Le capitalisme du XXIe siècle a depuis longtemps renversé le mode de production féodal dans les pays occidentaux, il n’a aucune raison de produire des Lumières. La question n’est plus de partir à l’assaut du vieux monde, mais de se maintenir à tout prix : produire toujours plus, écouler toujours plus de marchandises… Culturellement, le film est plus proche d’une montre Apple que d’un Spleen de Paris de Baudelaire.

Aux productions les plus racoleuses et les plus caricaturales répondent d’autres plus réfléchies, plus travaillées. D’un côté des séries comme Game of thrones ou Star Trek : Discovery, et de l’autre des films comme Only lovers left alive.

Les personnes trop corrompues se contenteront des premières et les personnes qui cherchent à se raccrocher à quelque chose de plus fin, des secondes.

Le piège est de chercher ce qui s’oppose, en apparence, aux grosses productions. Le piège est de trop s’intéresser aux détails et à la technique. Le piège est d’en arriver à un matérialisme primitif qui est prêt à louer un film pour ses plans et le jeu de ses acteurs.

Tout le problème du cinéphile contemporain est là : il est capable de voir toutes les prouesses technique d’une œuvre, de la situer dans une époque, un contexte ; il connaît tous les autres films du réalisateur et tous les films des principaux acteurs ; etc. mais il est incapable de voir qu’un film n’a pas d’âme.

Le cinéphile est trop passif dans sa démarche : il place le cinéma dans un petit monde à part et à chaque visionnage ne regarde que ses sens. À la fin du film, il demande à ses sens si ce qui leur a été proposé leur a plu. Si sa vue a apprécié une scène, il demande pourquoi et répond sur un plan purement technique : le mouvement de la caméra et le jeu des acteurs étaient parfaits. Si son ouïe a aimé, il répond que le son était de bonne qualité, que la bande originale était agréable à entendre et bien choisie. Mais il a du mal à aller au-delà : le cinéphile ne veut pas aller au-delà de l’écran, ou très peu. Le cinéphile veut être guidé, et si le voyage lui a plu, alors le film est jugé positivement.

En ne regardant qu’à l’intérieur de soi, on oublie le monde. Le cinéma devient alors un refuge, voire un moyen de reconnaissance sociale pour les plus opportunistes. Au lieu de rejeter, en général, les productions des sociétés capitalistes et de faire quelques exceptions, le cinéphile cherche un marché, une niche et accepte ce petit monde. La démarche se comprend… mais c’est une impasse de laquelle il faut sortir.

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Culture

Only Lovers Left Alive (2013)

Only Lovers Left Alive est une film de Jim Jarmusch sorti en 2013. Prétentieux, sans âme et sans contenu, il a pourtant été acclamé par la critique. Le film est un exemple parfait de l’incapacité des sociétés bourgeoises à produire de la culture : il n’y aucune proposition, aucune perspective, aucun esprit de synthèse ; simplement une logique d’accumulation.

L’histoire est centrée autour d’un couple de vampires : Adam et Eve. Le premier est un dandy misanthrope et le second vit principalement à travers lui. Adam est au début du XXIe siècle une rock star de l’ombre, un musicien mystérieux vivant dans une maison à moitié abandonnée de Detroit. Eve vit à ce moment là à Tanger ; elle a ses habitudes nocturnes loin du monde.

Le film commence réellement avec l’arrivée d’Eve à Detroit, elle y retrouve son amant et le reste du film suivra leurs nuit passées ensemble chez Adam, dans les rues de Detroit, dans une salle de concert et pour finir à Tanger. On y apprend quelques anecdotes sur leur relation, leurs relations passées ou encore leur moyen de se procurer du sang sans avoir à tuer.

L’image du poète torturé et du génie

Si l’on devait résumer le film en quelques mots, on pourrait dire qu’il est un film de l’image : l’image du poète torturé, l’image de génie créateur, l’image du romantique suicidaire, l’image de l’artiste drogué, etc. Le film n’a aucune dignité, il ne vit que par et pour ces images : une accumulation – censée donner une esthétique, une culture et surtout une profondeur.

Adam est présenté comme un musicien extrêmement talentueux, il vit entouré d’instruments (surtout des guitares) et de matériel d’enregistrement. Il cherche à produire et à expérimenter : il se retrouve à jouer de la guitare avec une baguette de batterie puis un archet de violon… dans un logique de déconstruction sans intérêt. On est dans du pseudo-psychédélique.

Vient ensuite la drogue et ses paradis artificiels : le sang humain est dégusté dans des petits verres et la première gorgée procure une sensation de bonheur intense, les personnages sont enfin délivrés, pour quelques instants, du monde matériel.

Mais cela ne suffit pas, il en faut plus au héros de Jim Jarmusch : Adam est un romantique. Ou plus exactement l’image d’un romantique : sensible et suicidaire, génie créatif et hautain.

Les cheveux mi-longs et en bataille, il apparaît souvent torse nu ou en partie, pieds nus sur ses tapis. Il ne sourit jamais, et vit dans le passé : vinyles, collection d’anciennes guitares, portraits de grands personnages historiques.

Une insulte à Byron et aux époux Shelley

Tourmenté, il méprise profondément les humains qu’ils nomment « les zombies ». Ce mal lui viendrait de la fréquentation de Byron et de Shelley puis de français, si l’on en croit Eve. On pouvait tolérer jusque là la platitude du film, qui n’était pas complètement dénué d’intérêt sur le plan purement technique, mais là Jim Jarmusch a franchi la limite : cracher sur Byron et Shelley !

Que le réalisateur s’imagine cultivé parce qu’il distille tout un tas de références culturelles et scientifiques tout au long de son film, passons. Mais faire de Byron et de Shelley des poètes torturés qui diffusent des idées suicidaires… Non. Ce n’est pas acceptable. Être imbu de sa personne est une chose, cracher sur ceux qui ont représenté des grands moments dans l’histoire de l’Angleterre, et par extension de l’humanité, non.

Byron et Shelley n’avaient rien à voir avec un dandy misanthrope comme Adam. Le travail des deux amis et poètes n’est pas comparable avec la musique fade et sans envergure d’une rock star décadente. La mort de Byron est aux antipodes de la vie retranchée et sans envergure du vampire. La défense d’une vie naturelle de Shelley va à l’encontre du mépris qu’a Adam pour la vie et son attitude de camé raffiné.

On pourra essayer de défendre le directeur en disant que le personnage partageait peut-être les opinions de Shelley et Byron à l’époque et que le temps l’a tout simplement usé. Dans ce cas, Adam serait nostalgique de ce passé, il essaierait de s’y raccrocher, il chercherait un refuge… quelque chose, un idéal, même un reste, une miette. Mais il n’en est rien. Le personnage n’est qu’une image, l’image malsaine du poète torturé.

De plus, s’il avait encore ne serait-ce qu’un reste de romantisme, il n’aurait jamais pu qualifier Mary Shelley, née Wollstonecraft Godwin, de « délicieuse ». L’auteur de Frankenstein (œuvre immense et malheureusement méconnue en raison de caricatures) est simplement placée là, pour ajouter une nouvelle référence… (Les plus ardents défenseurs de Jim Jarmusch pourront toujours dire qu’il s’agissait probablement de la mère de Mary Shelley, toutes deux portaient le même prénom, mais évoquer une Mary Wollstonecraft quelques secondes après avoir parlé de Byron ne peut que faire penser à la fille qui épousera Percy Shelley et deviendra Mary Shelley – et dans tous les cas, la remarque reste abjecte.)

D’ailleurs, toute cette mentalité de consommateur qui ne voit dans la culture que des objets à poser sur une étagère est parfaitement illustrée dans la scène du départ de Tanger.

Eve prépare alors ses valises pour rejoindre son amant à Détroit et décide d’emporter des livres. Bien évidemment, son appartement comporte des piles de livres anciens disposées contre les murs, sans raison sinon de faire passer Eve pour une personne cultivée. Au moment de choisir, le film la montre en train de feuilleter de nombreux ouvrages en plein de langues, et à ce moment on peut en apercevoir un au fond de la valise : un livre sur Basquiat, l’artiste contemporain américain. De l’art contemporain, des références pour les références, des classiques consommés et vidés de toute substance… Voilà la culture portée par le film.

On pourrait continuer avec la référence à Faust : lorsqu’Adam se rend à l’hôpital pour chercher du sang humain, il se déguise en médecin et porte un badge au nom de « Dr. Faust ». Et la liste des références plus ou moins cachée est encore longue. Et tout ça pour quoi ? Rien.