Comme après chaque attentat, est interrogé ce que l’école a fait. Et c’est souvent en portant l’accusation d’une inconscience, d’un déni, voire d’une lâcheté.

Nul ne peut nier que les écoles, les collèges et les lycées soient confrontés, dans leurs vies scolaires quotidiennes, à une difficulté réelle, parfois éprouvante, quand des actes ou des propos d’élèves se révèlent incompatibles avec les principes de neutralité et de laïcité qui fondent l’école. Mais cela ne peut être confondu avec l’affirmation d’une incapacité de l’école. Elle exerce sa mission éducative en construisant avec la patience nécessaire les savoirs et la culture commune qui permettront à chaque citoyenne, chaque citoyen d’exercer sa liberté avec raison. Rien qui ne puisse se résoudre autrement que dans le lent travail qui exerce la pensée, fonde l’esprit critique sur la raison et apprend à soumettre les choix et les actes à l’exigence de la réflexion.

Qui oserait confondre cette lutte contre l’intolérance et l’extrémisme par l’éducation avec une lâcheté laxiste ? Dans les difficultés de leur travail quotidien, les enseignants savent à la fois user de la fermeté du propos et de la patience nécessaire à ses effets. Ils savent combien c’est difficile, épuisant parfois décourageant mais notre société entière leur doit de ne pas avoir renoncé.

De quoi nous parlent ceux qui invectivent une prétendue démission, une soi-disante cécité ? Regrettent-ils que face à l’expression inacceptable d’un élève, l’école fasse le choix de l’éducation plutôt que celui de l’exclusion ou de la répression ? Mais qui pourrait raisonnablement croire qu’un adolescent tenté par les folies de l’extrémisme y renoncerait plus facilement par la contrainte répressive que par l’éducation ?

Non l’horreur de ce crime ne signifie en rien que l’école ait failli. Sans doute la peur, le découragement, la sidération, la colère nous habiteront un temps… Parfois l’émotion nous submerge mais au-delà nous savons toutes et tous que l’école continuera à faire œuvre de ténacité pour construire l’esprit critique, la tolérance, l’acceptation de la différence qui restent les nécessités absolues de la démocratie.

La condamnation du crime abject et révoltant dont vient d’être victime notre collègue ne peut souffrir d’aucune relativisation. Mais contre l’horreur de la violence inacceptable, nous devons plus que jamais affirmer le primat absolu de l’éducation.

Aucune société d’égalité et de liberté ne peut faire un autre choix que celui d’une confiance absolue dans l’éducation. Cette confiance doit s’exercer autant par le respect des enseignants que dans l’exigence de politiques éducatives ambitieuses dans les finalités comme dans les moyens. Car qui pourrait feindre de ne pas percevoir l’évidence d’une difficulté majorée par la dégradation d’un service public toujours davantage privé des ressources nécessaires à l’activité quotidienne de ceux qui y travaillent?

Dans deux semaines, après les vacances scolaires, les enseignantes et les enseignants et toutes celles et ceux qui travaillent avec eux retrouveront le chemin de leur classe. Nul doute qu’ils auront à l’esprit le deuil de celui d’entre eux dont il aura été mis fin à la vie de manière si ignoble mais leur volonté de construire une société de liberté par l’instruction et l’éducation n’en sera pas affaiblie.

C’est dans le même engagement quotidien qu’ils porteront la lourde mais vitale volonté de faire de leurs élèves des citoyens libres et éclairés par les lumières de la raison et de la culture commune. Personne ne doit jamais oublier que la société entière leur doit de conduire les enfants, les adolescents et les jeunes vers les valeurs démocratiques. Cela mérite le respect et la reconnaissance de chacun comme cela mérite un investissement déterminé dans le service public d’éducation.

Paul Devin

Ce texte a été publié sur le Club de Médiapart, le 17 octobre 2020 »