Il existe dans chaque pays une vie sauvage, qui a ses particularités, même si les animaux ne connaissent pas de frontières, à moins qu’il y ait des obstacles sciemment placés sur leur route. L’Arctique connaît des désagréments majeurs à ce niveau par exemple. La Finlande, dans une logique militariste, établit une clôture avec tranchées et barbelés sur 200 kilomètres à sa frontière avec la Russie. Il y a également des barrières en Norvège pour empêcher les rennes d’aller en Russie, dans le parc naturel de Pasvik Zapovednik, et d’y causer des dégâts.
Les animaux sauvages montrent donc la voie, à rebours de la logique humaine de tracer des frontières. Ils sont à la fois emblématiques à certaines régions et enclins à des voyages au-delà des frontières érigées de manière abstraite. La Biosphère ne reconnaît pas les gribouillis humains sur les cartes nationales.
C’est pourquoi des cours sur la vie sauvage à l’école, en tant que matière, permettraient de connaître son propre pays, et d’en voir également les limites, puisque la Nature ne considère pas les frontières nationales comme ayant un sens. Cela renforcerait la compréhension de la vie sauvage et cela appuierait la conception qu’il n’y a qu’une seule humanité. L’hirondelle de fenêtre va d’Alsace en Afrique australe, on peut donc apprendre sur sa propre région en Alsace, et élargir son horizon.
Comme à l’école, les mentalités sont très différentes suivant les âges, il est nécessaire que les cours sur la vie sauvage aient lieu tout au long de la vie scolaire, de la maternelle jusqu’au bac. Il ne peut pas s’agir de quelques cours fournis pendant un temps limité, pas plus d’ailleurs que ces cours ne doivent être intégrés aux enseignements scientifiques. Cela doit être une matière en tant que telle, afin de bien reconnaître qu’au-delà des connaissances, il y a la culture, et au-delà de la culture, il y a tout la sensibilité.
La grande difficulté de tout le processus ici étant, bien entendu, le respect et la distanciation. La vie sauvage doit être reconnue comme ayant une valeur en soi, il ne faut pas d’interférence. On sait d’ailleurs à quel point les photographes naturalistes se comportent de plus en plus mal dans le capitalisme, par avidité, afin de se procurer les « meilleures images ». Il y a ici une tendance à contrecarrer et avec les enfants, c’est une tâche très difficile. Les enfants sont en effet très joueurs et la mauvaise éducation qu’ils ont reçu les pousse à chercher une interaction avec les animaux, aboutissant la plupart du temps à du harcèlement en raison du manque d’empathie pour la pauvre créature martyrisée.
Le problème, c’est bien sûr de trouver des éducateurs. Il existe en France une grande tradition éducative, mais c’est celle historiquement portée par les instituteurs de la troisième république. C’est un enseignement unilatéral, dans un esprit de salle de classe. Il va de soi que c’est inapproprié pour une éducation concernant la vie elle-même. Il faut des cours qui permettent de voir, de sentir, d’entendre, de toucher, d’admirer en s’émerveillant, d’observer prudemment.
Il existe certainement de nombreuses très bonnes idées pour satisfaire à cette exigence. Mais l’école dans le capitalisme, avec sa fadeur et son professeur déversant son flot de propos, ne saurait y satisfaire. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la vivisection existe encore à l’école en France, sans que cela ne choque personne. Il y a ici une véritable révolution à mener et c’est pour cela que les éducateurs ne peuvent venir que de milieux déjà tournés vers les animaux.
La mise en place de cours sur la vie sauvage, en tant que matière à l’école, doit en fait procéder d’une révolution culturelle, avec une partie de la société qui est mise en avant pour jouer un rôle éducateur, de formation des mentalités nouvelles.
La vie sauvage comme matière à l’école exige, de toutes façons, d’aller dans le sens de la remise en cause du rapport villes-campagnes ; on pourrait dire en un sens que ces cours s’opposent le plus directement à la fascination du capitalisme pour le béton et les ronds-points. Ce qui sous-tend de tels cours, leur possibilité, c’est la volonté de regarder avec passion la vie sauvage, au lieu de l’ignorer et de participer à sa destruction.
Le Socialisme doit donc assumer une telle exigence que ces cours, tant pour son programme du futur, une fois le capitalisme renversé, que déjà aujourd’hui, malgré et contre le capitalisme. C’est une question de choix de vie et il ne faut jamais faire les choix du capitalisme, ni ceux d’un retour en arrière dans un passé idéalisé.
Dans son rapport sur la France, le FMI explique la chose suivant le 21 novembre 2022.
« Remédier à la faiblesse des résultats scolaires et aux inefficiences des dépenses d’éducation pourrait contribuer à améliorer les compétences de la population active.
Le niveau d’instruction et les résultats des élèves en France sont relativement faibles par rapport à leurs pairs, tandis que les dépenses sont relativement élevées, laissant entrevoir des possibilités de réaliser des gains d’efficience. Il pourrait s’agir notamment de rééquilibrer les dépenses excédentaires en faveur du deuxième cycle du secondaire vers l’enseignement primaire et de rationaliser les dépenses relatives au personnel non enseignant.
Pour continuer de réduire ces déficits de résultats en matière d’éducation, il conviendrait en outre d’améliorer la formation des enseignants et de prévoir une rémunération en fonction des résultats, compte tenu du faible niveau des salaires des enseignants par rapport à leurs pairs.
Les disparités liées au statut socio-économique pourraient être réduites en incitant les enseignants à travailler dans des zones défavorisées, notamment à travers la rémunération. Donner davantage de responsabilités et d’autonomie aux administrations scolaires pourrait favoriser les innovations pédagogiques. »
Ce que demande là le Fonds monétaire international n’a rien d’original, puisque depuis trente ans les bases pour en arriver là sont établies par les gouvernements successifs. La décentralisation des collèges et des lycées, avec des proviseurs choisissant eux-mêmes les professeurs, est un objectif tout à fait clair du capitalisme. Pareillement, la rémunération au « mérite », tant des professeurs dans un établissement que des établissements eux-mêmes par l’État, est considéré comme une nécessité concurrentielle.
Naturellement, tout cela est présenté comme une « amélioration », pas une mise en concurrence ; néanmoins, l’idée de compétition est souvent soulignée, même si masquée (comme ici avec les « innovations pédagogiques »).
Et s’il n’est pas parlé de privatisation, c’est parce que la décentralisation est une privatisation masquée : formellement, il n’y aura pas privatisation, mais davantage d’autonomie. La privatisation aura lieu tout de même, mais parallèlement à la décentralisation, comme effet secondaire si on veut.
Tout cela apparaît comme inéluctable non seulement de par la force du capitalisme, mais également de par le caractère réactionnaire des enseignants. Si depuis 1981 on nous vend que les enseignants sont de gauche, en réalité ils sont culturellement de droite. Avec leurs démarches engagées mais bornées et toujours agressivement hiérarchiques, du moins clairement anti-démocratiques, les enseignants ont dégoûté les élèves ou les ont écrasés.
Il faut ajouter à ça les contenus totalement anti-classe ouvrière, anti-Gauche historique qu’on trouve dans toutes les matières. Et par là il ne faut pas seulement entendre les cours d’Histoire : il faut aussi entendre la géographie, qui est vu par un prisme mercantile capitaliste. Il y a le français où toutes les valeurs post-modernes sont portées au firmament. Il y a la physique qui professe l’idéalisme et le hasard, il y a les mathématiques qui sont présentées comme une vérité en soi.
Tout cela est invisible bien entendu pour qui ne voit que la forme et ne cherche pas la signification du contenu des cours… et inversement. L’école, en France, c’est l’ennui et le par cœur, ou bien du temps qui passe de manière chaotique et qui est perdu.
Cela fait que la mise en compétition passe comme un lettre à la poste, comme le montre l’instauration sans opposition aucune de Parcoursup, la plateforme de sélection pour l’inscription aux études supérieures lorsque les élèves sont en terminale.
Il faut également mentionner l’effondrement général du niveau, dans toutes les matières… Mais naturellement, de manière beaucoup plus relative dans les bons lycées, le plus souvent privés, alors que l’ensemble des couches supérieures de la bourgeoisie française envoie ses enfants faire des études post-bac en Angleterre ou aux États-Unis (soit une dépense de 40-100 000 euros par an par enfant).
Il y a lieu de prendre conscience de cette réalité, c’est important pour cesser de croire les fictions syndicales et réformistes sur « l’école de la République ». Celle-ci est en décomposition complète, en comptant qu’elle ait jamais existé en tant que tel.
La crise de civilisation s’impose partout. Alors qu’en France l’hommage à Samuel Paty s’est tenu sobrement mais avec dignité, une attaque coordonnée islamiste frappait Vienne. L’époque est prise de spasmes.
C’est une bien belle lettre de Jean Jaurès que le gouvernement a fait lire par les enseignants à leurs élèves, à l’occasion de l’hommage à Samuel Paty, l’enseignant assassiné par un fanatique islamiste. Cela souligne la force de la question de l’éducation dans notre pays, une véritable tradition nationale avec, surtout, la figure de l’enseignant visant à élever le niveau des élèves sur le plan moral. L’engagement du professeur qui veut bien faire, sans briser les esprits mais en les faisant avancer, est quelque chose de connu et d’apprécié dans notre pays.
Non pas que tous les professeurs soient ainsi, très loin de là, ni que l’Ecole telle qu’elle existe soit agréable et épanouissante. Mais justement il y a quelques figures émergeant toujours, ici et là, faisant qu’on se souvient avec émotion de tel ou tel enseignant, qui s’est donné pour les élèves. La lettre de Jean Jaurès est donc bien choisie et on sait d’ailleurs à quel point Jean Jaurès fut un ardent républicain et un orateur extraordinaire. La finesse de ses propos, le choix méticuleux des termes et du ton, la vivacité dans la répartie… font qu’il était pratiquement un représentant de l’esprit français.
Jean Jaurès était, également et évidemment, un socialiste, de l’aile droite historiquement, ce qui ne change rien au fond car les socialistes sont en France en général des républicains de Gauche, éloignés des traditions pro-marxistes social-démocrates allemande, russe, autrichienne, bulgare, etc. On ne peut donc guère parler de récupération par le gouvernement et de toutes façons la question n’est pas du tout là. Ce qui compte, c’est de voir l’honneur du professeur, du passeur de savoir face au fanatisme.
On doit ici qualifier d’abject les diverses critiques anti-gouvernementales cherchant la petite faille pour un populisme vraiment déplacé. Profiter d’un tel événement pour accuser le ministre de l’Éducation de prôner une réforme du baccalauréat que Jean Jaurès aurait réfuté, comment dire… C’est absurde. Les terribles attentats dans la capitale autrichienne montrent d’ailleurs où est le problème.
Les attaques coordonnées dans le centre de Vienne en Autriche, en différents endroits, visant à tuer, à blesser, à terroriser, montrent que le mal est profond, qu’à côté de la machinerie capitaliste détruisant la planète on a des crises de folies réactionnaires meurtrières.
Le fanatisme islamiste est le produit d’une époque sans cœur ni esprit, où tout esprit constructif, démocratique, s’efface devant un marché capitaliste tout puissant accompagné de poches de romantismes ultra-réactionnaires idéalisant un passé romancé. Comment affirmer la Culture, la Connaissance, la Démocratie dans un tel cadre historique ? Là est le défi de notre époque et évidemment, seul le Socialisme peut porter cela.
Le drapeau de la Démocratie, du peuple organisé au niveau de la société, de l’État, est la condition impérative pour sortir d’une crise de civilisation toujours plus folle. La peur et la réflexion se combinent dans des situations nouvelles, inquiétantes et d’envergure. Il faut contribuer à être à la hauteur des questions, il faut savoir souligner les bonnes réponses. Il faut être là. Qui se met de côté dans une telle époque n’a pas saisi ce qui se passe – mais comment ne peut-on pas le saisir ?
Voici la lettre de Jean Jaurès, publiée dans La Dépêche, journal de la démocratie du midi, le 15 janvier 1888 :
« Aux Instituteurs et Institutrices
Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire et à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur: la fierté unie à la tendresse.
Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort.
Eh quoi ! Tout cela à des enfants ! —Oui, tout cela, si vous ne voulez pas fabriquer simplement des machines à épeler. Je sais quelles sont les difficultés de la tâche. Vous gardez vos écoliers peu d’années et ils ne sont point toujours assidus, surtout à la campagne. Ils oublient l’été le peu qu’ils ont appris l’hiver. Ils font souvent, au sortir de l’école, des rechutes profondes d’ignorance et de paresse d’esprit, et je plaindrais ceux d’entre vous qui ont pour l’éducation des enfants du peuple une grande ambition, si cette grande ambition ne supposait un grand courage. […]
Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale, il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. De ce que l’on sait de l’homme primitif à l’homme d’aujourd’hui, quelle prodigieuse transformation ! et comme il est aisé à l’instituteur, en quelques traits, de faire sentir à l’enfant l’effort inouï de la pensée humaine ! […]
Je dis donc aux maîtres, pour me résumer : lorsque d’une part vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque d’autre part, en quelques causeries familières et graves, vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d’éducateurs. Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront. »
Renaud Muselier, président Les Républicains des régions de France, a annoncé le 19 octobre 2020 que les présidents des régions de France prenaient « l’initiative de préparer la publication d’un ouvrage rassemblant les caricatures religieuses et politiques les plus marquantes parues dans la presse régionale aux côtés de celles parues dans la presse nationale », et cela afin de « témoigner de nos engagements à défendre les valeurs de la République et le droit fondamental de chacun et chacune de nos concitoyens à vivre en paix et dans la liberté ».
Cette initiative montre à quel point la bourgeoisie vit coupée des réalités quotidiennes et des besoins de l’époque.
La crise actuelle n’est perçue qu’à l’aune d’une liberté d’expression qu’il serait bon de réaffirmer. Les Républicains bon-teint ne raisonnent qu’à partir du passé et semblent ajouter encore plus de confusion au chaos ambiant. Avant toute chose, que représente la caricature ?
La caricature est un moyen polémique pour dénoncer un fait, une personne, une idéologie, en déformant la réalité, en choisissant l’outrance. C’est un artifice visant à condamner fortement la position de l’autre. On est dans le registre de l’affrontement, de la dérision.
C’est un procédé littéraire typique de l’esprit français ; à savoir la dénonciation politique teintée de sarcasme, d’ironie, voire d’un peu de vulgarité, et qui ne s’encombre pas trop de raisonnement. Le modèle historique par excellence auquel pensent les défenseurs à tout crin de la caricature est évidemment Voltaire, la figure de la critique des superstitions et de l’obscurantisme.
Cependant réduire le combat des Lumières contre l’obscurantisme à la seule ironie voltairienne, c’est refuser de voir l’immense œuvre collective de l’Encyclopédie portée notamment par Diderot et d’Alembert. Le combat des Lumières a surtout été le fait d’un effort collectif, d’une réflexion approfondie, d’un apport philosophique et intellectuel en vue d’émanciper leurs contemporains. Mais la droite préfère valoriser Voltaire, l’intellectuel isolé, figure de « l’insolence française ».
Par populisme, de nombreuses figures politiques tentent donc de faire croire que la caricature serait l’alpha et l’oméga de l’esprit philosophique et de la critique. Une telle attitude est un mensonge face à l’Histoire, et nous dirige tout droit vers le chaos. La période est à la confusion, à l’émotion médiatique et à l’hystérie sur les réseaux sociaux.
Le combat de la Gauche c’est d’affirmer des valeurs, des repères idéologiques et culturels. La critique des religions est nécessaire, et elle doit se faire par la connaissance, par l’instruction, par la réflexion intellectuelle et historique sur ce que représente réellement la religion. C’est une question démocratique et elle doit être traitée comme telle, sans céder un pouce de terrain aux extrémistes ; elle ne peut se résumer à des attaques outrancières, et à des postures démagogiques.
Forcément, l’attentat islamiste contre le professeur d’Histoire-Géographie Samuel Paty a créé une onde de choc chez les enseignants. Il y a, au fond, le sentiment que la situation est devenue intenable, que les choses doivent changer en profondeur. Cela s’exprime de différentes manières et on trouvera ici une contribution intéressante, s’inscrivant ouvertement dans le champ de la Gauche, avec cette tribune d’un professeur affirmant l’éducation comme réponse démocratique aux attentats.
On pourra éventuellement trouver son propos idéaliste, ou même naïf par rapport à la réalité de l’Éducation nationale aujourd’hui en France, mais cela a en tous cas le mérite d’être une affirmation démocratique franche, s’appuyant sur la raison et la conviction profonde que l’on puisse trouver le meilleur en chacun, pourvu que l’on fasse confiance à la société.
« Face à l’horreur, toujours affirmer le primat de l’éducation
Comme après chaque attentat, est interrogé ce que l’école a fait. Et c’est souvent en portant l’accusation d’une inconscience, d’un déni, voire d’une lâcheté.
Nul ne peut nier que les écoles, les collèges et les lycées soient confrontés, dans leurs vies scolaires quotidiennes, à une difficulté réelle, parfois éprouvante, quand des actes ou des propos d’élèves se révèlent incompatibles avec les principes de neutralité et de laïcité qui fondent l’école. Mais cela ne peut être confondu avec l’affirmation d’une incapacité de l’école. Elle exerce sa mission éducative en construisant avec la patience nécessaire les savoirs et la culture commune qui permettront à chaque citoyenne, chaque citoyen d’exercer sa liberté avec raison. Rien qui ne puisse se résoudre autrement que dans le lent travail qui exerce la pensée, fonde l’esprit critique sur la raison et apprend à soumettre les choix et les actes à l’exigence de la réflexion.
Qui oserait confondre cette lutte contre l’intolérance et l’extrémisme par l’éducation avec une lâcheté laxiste ? Dans les difficultés de leur travail quotidien, les enseignants savent à la fois user de la fermeté du propos et de la patience nécessaire à ses effets. Ils savent combien c’est difficile, épuisant parfois décourageant mais notre société entière leur doit de ne pas avoir renoncé.
De quoi nous parlent ceux qui invectivent une prétendue démission, une soi-disante cécité ? Regrettent-ils que face à l’expression inacceptable d’un élève, l’école fasse le choix de l’éducation plutôt que celui de l’exclusion ou de la répression ? Mais qui pourrait raisonnablement croire qu’un adolescent tenté par les folies de l’extrémisme y renoncerait plus facilement par la contrainte répressive que par l’éducation ?
Non l’horreur de ce crime ne signifie en rien que l’école ait failli. Sans doute la peur, le découragement, la sidération, la colère nous habiteront un temps… Parfois l’émotion nous submerge mais au-delà nous savons toutes et tous que l’école continuera à faire œuvre de ténacité pour construire l’esprit critique, la tolérance, l’acceptation de la différence qui restent les nécessités absolues de la démocratie.
La condamnation du crime abject et révoltant dont vient d’être victime notre collègue ne peut souffrir d’aucune relativisation. Mais contre l’horreur de la violence inacceptable, nous devons plus que jamais affirmer le primat absolu de l’éducation.
Aucune société d’égalité et de liberté ne peut faire un autre choix que celui d’une confiance absolue dans l’éducation. Cette confiance doit s’exercer autant par le respect des enseignants que dans l’exigence de politiques éducatives ambitieuses dans les finalités comme dans les moyens. Car qui pourrait feindre de ne pas percevoir l’évidence d’une difficulté majorée par la dégradation d’un service public toujours davantage privé des ressources nécessaires à l’activité quotidienne de ceux qui y travaillent?
Dans deux semaines, après les vacances scolaires, les enseignantes et les enseignants et toutes celles et ceux qui travaillent avec eux retrouveront le chemin de leur classe. Nul doute qu’ils auront à l’esprit le deuil de celui d’entre eux dont il aura été mis fin à la vie de manière si ignoble mais leur volonté de construire une société de liberté par l’instruction et l’éducation n’en sera pas affaiblie.
C’est dans le même engagement quotidien qu’ils porteront la lourde mais vitale volonté de faire de leurs élèves des citoyens libres et éclairés par les lumières de la raison et de la culture commune. Personne ne doit jamais oublier que la société entière leur doit de conduire les enfants, les adolescents et les jeunes vers les valeurs démocratiques. Cela mérite le respect et la reconnaissance de chacun comme cela mérite un investissement déterminé dans le service public d’éducation.
Paul Devin
Ce texte a été publié sur le Club de Médiapart, le 17 octobre 2020 »
Voici le communiqué initié par les syndicats de l’enseignement appelant à se mobiliser le dimanche 18 octobre 2020 pour rendre hommage à l’enseignant Samuel Paty, assassiné par un fanatique islamiste. Suit la carte des rassemblements partout en France.
« Ce vendredi à Conflans-Sainte-Honorine, Samuel Paty a été assassiné devant le collège où il enseignait l’histoire et la géographie.
Victime d’un attentat perpétré au nom d’une conception dévoyée de l’Islam, il était depuis plusieurs jours la cible d’une vindicte publique. Pourquoi cette vindicte ? Parce qu’il avait montré des caricatures de Mahomet dans l’une de ses classes où il étudiait avec ses élèves la liberté d’expression. Comme tout enseignant, il cherchait ainsi à préparer des jeunes à l’exercice de l’esprit critique, condition essentielle à une pleine citoyenneté.
Face à cette horreur, nous appelons les citoyennes et les citoyens, dans le respect des gestes barrières, à se rassembler ce dimanche 18 octobre à 15h sur la place de la République à Paris. Au-delà de ce rassemblement, nous appelons nos représentations locales à organiser des initiatives dans les jours qui viennent.
Nous nous rassemblerons pour dire des choses simples et importantes.
Que nous pensons à Samuel Paty ainsi qu’à ses proches endeuillés.
Que les enseignants doivent être soutenus dans l’exercice de leur métier.
Que nous sommes attachés à la liberté d’expression et que nous refusons les logiques extrémistes et obscurantistes.
Que nous sommes attachés à la laïcité, qui garantit la liberté de conscience.
Que ça n’est pas par la haine que nous répondrons à la haine qui a coûté la vie à Samuel Paty mais par la promotion de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Appelé par SOS Racisme, la FSU, le Sgen-CFDT, l’Unsa-Education, la CGT Educ’, SUD éducation, le SNALC, la FCPE, l’UNEF, « La FIDL – le syndicat lycéen », l’UNL, la FAGE, l’UEJF, « Dessinez Créez Liberté », le centre Simon Wiesenthal France, le Conseil Démocratique Kurde en France (CDK-F), l’Institut kurde de Paris, la LDH, Amnesty International France, le MRAP, le CIFORDOM, l’UNIOPSS, la Fédération Léo Lagrange, le Centre Simon Wiesenthal et la Ligue de l’Enseignement.
Avec le soutien de Charlie Hebdo. »
Voici la carte, réalisée par le syndicat enseignant SNES-FSU, qui liste les hommages partout en France :
Voici directement la liste des rassemblements, par ordre alphabétique :
Aix en Provence (13) Place de la mairie dimanche 18/10 15h
Albi : dimanche 15h Place du Vigan
Amiens samedi 17 octobre à 16h place Gambetta
Angers, place du ralliement dimanche 18 à 15h
Angoulême samedi 15h devant l hotel de ville
Annecy, devant la préfecture, ce samedi 16h
Apt (84) Cité scolaire dimanche 18 octobre 15 h
Arles (13) Place de la République samedi 17/10 15h
Auch : samedi 17 à 15h, place de la Liberation
Auch, Gers, ce samedi 17 octobre à 15 h
Auxerre (Mairie), Sens (marché couvert) et Tonnerre (mairie) (89) : samedi soir à 18 h
Avranches, Saint-Lô et Coutances place de la mairie dimanche 18 à 15h
Bagnols sur Cèze : dimanche 18/10 à 15h, Monument aux morts
Bastia dimanche 18/10 à 15h devant l’Inspection Académique
Bayonne sous préfecture dimanche 18 à 15h
Belfort : dimanche 18 à 15h, Place de la République devant la Préfecture
Blois dimanche 18/10 à 15h00 , devant la préfecture
Bordeaux dimanche 18/10 15h Place de la Bourse
BOULOGNE : dimanche à 15h, sous-préfecture
Bourg en Bresse devant la Préfecture dimanche 18/10 15h
Bourg-en-Bresse dimanche 18/10 15h devant la Préfecture
Bourges, Place du 8 mai 45, devant le monument de la résistance, le 18/10 à 15h
Brest : samedi 17/10 à 15h place de la Liberté
Brest, samedi 17 octobre à 15h place de la LIberté
Caen Place de la résistance dimanche 18/10 15h
Cahors : dimanche 15h devant la Préfecture
Cahors (46) : rassemblement dimanche 18 octobre à 15h devant la préfecture.
Cambrai : dimanche à 15h devant l’hôtel de ville.
Carcassonne, Portail des Jacobins, dimanche 18 à 17h
Castres : rassemblement dimanche 18 octobre à 15h place de l’Albinque
Chalon-sur-Saône dimanche 18/10 à 15h00, place de l’Hôtel de ville.
Chambéry, devant le lycée Vaugelas, ce samedi 15h
Charleville-Mézières sous la forme d’un cortège qui ira de la DSDEN à la préfecture à 15h dimanche 18 octobre
Chateauroux 15h République samedi 17/10
Cherbourg place de la République,
Clermont Place de Jaude à 15 h samedi 17 et dimanche 18
Dax devant le collège Dussarat 17h samedi 17/10
Dieppe Hôtel de ville samedi 17/10 15h
Draguignan samedi 17 à 17h30 devant la sous préfecture
Dunkerque : dimanche à 15h, parvis des droits de l’homme ( CUD)
Dunkerque Dimanche 18/10 15h parvis des droits de l’homme
Evreux Hôtel de ville samedi 17/10 15h
Foix : rassemblement dimanche 18 octobre à 15h sous la halle de Villote à Foix
Gap (05) dimanche 18/10 à 15h devant la préfecture
Grenoble, place de Verdun, dimanche 18 octobre 15h
Guéret devant la Préfecture dimanche 18 15h
La Roche sur Yon, place Napoléon, dimanche 18 à 15h
La Rochelle lundi 19/10 à 18h place de Verdun
Le Havre Hôtel de ville samedi 17/10 15h
Le Mans préfecture samedi 17/10 17h
Le-Puy-en-Velay place des Droits de l’Homme samedi 17 octobre 17h
Lille : dimanche 15h parvis des droits de l’homme, place de la République
Limoges Place de la République dimanche 18 à 15h
Longwy (54) samedi 15h lycée Mézières
Lorient :dimanche 18/10 à 15h Esplanade de la mairie
Lyon Place Bellecour dimanche 18/10 15h
Mâcon dimanche 18/10 à 15h00, Esplanade Lamartine
Marseille (13) L’Ombrière dimanche 18/10 15h
Martigues (13) devant la Mairie dimanche 18 octobre 15 h
Martigues dimanche 18 octobre 15 h devant la Mairie
Mayenne : rassemblement devant le collège Jules Ferry à 18h samedi 17 octobre
Mende : dimanche 18/10 à 15h, Préfecture (place Urbain V)
Metz (57) dimanche 15h place d’Armes
Millau, dimanche 18 octobre à 15h devant sous préfecture
Mont De Marsan devant le collège Rostand 17h samedi 17/10
Montauban : rassemblement dimanche 18 à 15h Place des Fontaines
Montpellier : dimanche 18.10 15h00 préfecture (après le rassemblement en urgence de ce jour)
Montpellier Préfecture samedi 17/10 11h et dimanche 18 15h
Mulhouse, dimanche, 15h, place de la Réunion
Nancy Place Maginot samedi 17/10 17h
Nantes, préfecture, dimanche 18 à 15h
Narbonne, Place de la Mairie, dimanche 18 à 17h
Nice samedi 17/10 14h Place Garibaldi
Nîmes : dimanche 18/10 à 15h, Préfecture
Orléans 15h martroi samedi 17/10
Paris place de la république dimanche 18/10 15h
Pau Préfecture dimanche 18 à 15h
Perigueux : 15 h arbre de la liberté dimanche 18
Petit Bourg, Guadeloupe : lundi 18h lycée des Droits de l’Homme
Poitiers, lycée Victor Hugo, 18/10,15h
Pyrénées, rue George Magnoac
Quimper : Samedi 17/10 à 15h place de la Résistance
Quimper, samedi 17 octobre à 15h place de la Résistance
Reims, dimanche 18 octobre à 15h place d’Erlon, fontaine de la solidarité
Rennes Place de la République samedi 17/10 15h
Rochefort dimanche 18/10 à 15h place J L Frot
Rouen rectorat samedi 17/10 15h
Saint Brieuc Préfecture samedi 17/10 15h
Saint-Étienne Place Jean Jaurès dimanche 18/10 17h
Saint-Girons : rassemblement dimanche 18 octobre à 12h, à la colonne de la République
Strasbourg, dimanche, 18/10,15h, place Kléber
Tarbes : rassemblement unitaire dimanche 18 octobre à 11h devant la DSDEN des Hautes-
Tarbes, devant l’Inspection d’Académie, dimanche à 11h.
Toulon Place de la Liberté samedi 17/10 17h
Toulouse : dimanche 18/10 à 15h place du Capitole
Tours samedi 17/10 15h devant la mairie
Troyes : dimanche 18 octobre 15h devant la mairie
Valence, devant la Fontaine Monumentale, dimanche 15h
Vannes:dimanche 18/10 à 15h Préfecture
Villefranche de rouergue, dimanche 18 octobre à 15h devant sous préfecture
Un crime odieux tétanise la France, mais l’obscurantisme est plus que religieux, il est lié à la fin d’une époque.
Un meurtre barbare d’un professeur d’histoire-géographie du collège du bois d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le 16 octobre 2020, et quelques mots sur Twitter comme revendication, avec la photo d’une tête coupée :
« De Abdullah, le serviteur d’Allah, à Macron, le dirigeant des infidèles, j’ai exécuté un de tes chiens de l’enfer qui a osé rabaisser Muhammad, calme ses semblables avant qu’on ne vous inflige un dur châtiment… »
C’est totalement glaçant. Le professeur avait montré une caricature de Mahomet lors d’un cours, en précisant auparavant que cela pouvait choquer et qu’il était possible de ne pas regarder si on était musulman et qu’on ne voulait pas. Son initiative prévoyante avait été prétexte d’une dénonciation par des parents d’élèves voyant à la fois une discrimination et une insulte à la religion.
En ayant une démarche laïque et non universaliste, le professeur a ouvert la boîte de Pandore. Ce fut l’engrenage d’une affaire donnant libre cours au communautarisme, puis aboutissant à un crime frappant l’opinion publique.
Les impressions sont troublées, l’émotion paralysée par la violence du crime, et dans la soirée, le président Emmanuel Macron publiait un message significatif sur Twitter, alors qu’il l’a aussi dit dans un intervention directement sur place :
« Ils ne passeront pas. »
C’est bien entendu une allusion au ¡No pasarán! des antifascistes durant la guerre d’Espagne, le mot d’ordre venant du côté communiste. Le rapprochement n’est à ce titre pas juste, car l’islamisme n’est pas un mouvement historique porté par la société, comme l’a été le fascisme, mais une aventure romantico-nihiliste à la fois cosmopolite et post-moderne.
L’Islam tel qu’on le connaît au 21e siècle est en effet, comme le judaïsme, le produit de perpétuelles reconstructions fictives d’intellectuels, de féodaux, de pétro-monarchies. Le moteur intellectuel de ces reconstructions pour l’Islam, c’est la question du califat, car sans califat, il n’y a pas de terre d’Islam, et sans terre d’Islam, pas d’Islam.
Il n’y a alors que trois options possibles. Soit on fait semblant que ce ne soit pas le cas, tout en se disant musulmans. Vient alors le risque que certains prennent au sérieux et veulent un califat. C’est le drame historique de l’Algérie, avec un FLN se voulant laïc étatiquement mais ouvertement musulman, qui a produit une société se reconnaissant dans le FIS. C’est également ce qui arrive avec la génération des islamistes français des années 1990, qui se détache d’un Islam « inconséquent ».
Soit on l’assume, mais on dit que c’est trop tôt : c’est le salafisme, le quiétisme, le repli sur une vie communautaire fermée. C’est le fameux « séparatisme » dénoncé début octobre 2020 par le gouvernement.
Soit on l’assume et on part, afin de pouvoir devenir un « véritable » être humain, dans une perspective de retour aux sources totalement romantique et esthétisée, comme les images de la vidéo de propagande « Réputation » de fin septembre 2020 le montrent.
Ce « romantisme » est cependant carbonisé depuis l’effondrement de l’État islamique, qui a littéralement grillé cette proposition délirante de « retour » en terre « pure ». Ne restent d’ailleurs concrètement plus que « l’Émirat islamique d’Afghanistan », qui relève à l’arrière-plan du nationalisme pachtoune, ou encore le Hayat Tahrir al-Sham (Organisation de Libération du Levant) qui relève d’une problématique entièrement syrienne et se place dans l’orbite turque.
Les théologiens islamistes puristes sont d’ailleurs horrifiés par ce qu’ils qualifient de « fusionnisme », même si concrètement les reliquats des groupes de l’État islamique s’appuient également sur différentes questions locales, surtout en Afrique, avec par exemple justement une première action en Tanzanie à la mi-octobre 2020.
Tout cela pour dire que l’islamisme est dans un cul-de-sac et que l’Islam est coincé dans sa proposition universaliste. De toutes façons quand on voit les joueurs du Paris Saint-Germain faire des publicités pour les paris sportifs alors que le club appartient au Qatar, l’un des deux grands financiers de l’islamisme (l’autre étant l’Arabie Saoudite), on voit bien que plus rien ne tient.
Le meurtre d’un professeur de Conflans-Sainte-Honorine a d’ailleurs été revendiqué par un jeune né à Moscou et se définissant comme « Tchétchène ». On est ici dans une sorte de nationalisme mêlé d’islamisme, tout comme d’ailleurs l’Islam turc. L’horizon universel / universaliste (pseudo universel / pseudo universaliste) a clairement disparu à la suite de l’effondrement du califat, alors qu’Al-Qaïda avec sa ligne de guérilla islamique alter-mondialiste ne s’est par ailleurs jamais remis de cette concurrence pro-califat.
L’islamisme n’est qu’un débris de l’Islam qui n’est lui-même qu’un débris d’une époque dépassée et s’effondrant sur elle-même. L’humanité n’a plus besoin des religions, de la spiritualité et de tous ces déplacement dans un ciel imaginaire des réalités terrestres, naturelles. Ceux qui s’obstinent à vouloir parler de Dieu ne visent plus qu’à nier le besoin de collectivisme, la réalité naturelle et notamment celle des animaux, la compassion pour toute vie.
C’est la fin d’une civilisation, qui s’enfonce dans l’obscurité, tout simplement, alors que s’ouvre une nouvelle époque : universelle, athée, naturelle, collectiviste.
Le système éducatif français est à la peine depuis de nombreuses années, tant par son rapport désastreux à la jeunesse que par la qualité et le contenu de son enseignement. Face à la crise sanitaire et à la survenue intempestive du confinement, il s’est littéralement effondré… finissant par tout simplement annuler les examens scolaires.
Dans un épisode de l’émission « C’est pas sorcier » datant de 2010 consacré à la grippe aviaire, il est expliqué qu’une pandémie est quelque chose d’envisagé par l’État, qu’il y a des scénari en place et qu’un confinement massif des élèves pourrait être déclaré un jour.
Dix ans plus tard, ce jour est arrivé, et c’est comme si le ciel était tombé sur la tête de l’Éducation nationale. Les moyens techniques ont pourtant évolué drastiquement depuis 2010, mais rien n’était prêt. En fait, rien n’avait été envisagé concrètement et rien n’a donc pu être mis en place.
C’est un jeudi soir que les élèves et les enseignants ont appris à la télévision qu’il ne leur restait plus qu’un jour à l’école, avant de rester à la maison. Trois semaines plus tard, le Ministre de l’Éducation nationale a fini par expliquer que les examens du brevet des collèges, des baccalauréats généraux et professionnels, des BEP et des CAP n’auront pas lieu.
Tout ce qu’il a été en mesure de proposer, c’est de compter sur les notes obtenues avant le confinement, reconnaissant de facto que rien de ce qui aura pu être fait durant cette période ne peut être pris au sérieux.
Il a aussi décidé de prolonger éventuellement l’année scolaire de deux semaines, afin de pouvoir ajouter quelques évaluations à toute hâte si un retour en classe est possible. Et encore, tout cela pour donner finalement tous les pouvoirs à des jurys qui décideront sur la base des bulletins précédents qui aura ou pas son diplôme.
C’est une manière de s’assurer de maîtriser par le haut et de manière totalement forcée et artificielle le taux de réussite final aux différents examens. Au passage, remarquons quelle fin lamentable, mais significative, cela constitue pour le dernier baccalauréat par série de l’histoire…
Depuis maintenant trois semaines, les professeurs semblent n’avoir que la débrouille afin de garder le contact avec les élèves. Certains « cours » ont lieu sur Discord, Zoom, voir même sur What’sApp ou Facebook… D’autres professeurs, soit parce qu’ils ne maîtrisent pas ces outils, soit parce que, pour des raisons souvent légitimes ils refusent de les utiliser, n’ont plus qu’un lien sporadique avec leurs élèves, ou en tous cas certains d’entre eux. Il ne s’agit plus alors que de quelques e-mails échangés, en général via les outils de l’Éducation nationale qui ont été très rapidement surchargés et dépassés.
La réalité est que beaucoup d’élèves ne se retrouvent qu’avec des fiches en guise de cours et des exercices à envoyer à leurs professeurs, qui parfois répondent à peine. Les plus sérieux s’entre-aident via des groupes de travail, notamment pour les jeunes filles. Une partie d’entre eux, dont beaucoup de garçons, délaissent totalement les cours.
La situation est encore plus compliquée dans l’enseignement professionnel où il est pratiquement impossible de suivre un cours sans une présence physique avec des machines ou des outils en particulier. Des choses auraient été possibles, mais il aurait fallu pour cela prévoir et former tant les élèves que les enseignants. Ainsi que les familles, bien sûr.
Combien d’élèves se retrouvent ainsi « au bord du chemin » ? Le Ministère n’est en fait pas en mesure de pouvoir quantifier sérieusement l’impact du décrochage dans un sens ou même du maintien du lien scolaire dans l’autre. De toute façon, il est évident que les chiffres sont vertigineux, on sait que les élèves de l’enseignement professionnel (650 000 environ), les élèves de maternelle (2, 5 millions), une bonne partie des élèves du primaire et des collèges sont massivement laissés à leur sort ou en incapacité de pouvoir suivre le principe de la « formation à distance ».
Le fait d’envisager maintenant de donner tous les diplômes du secondaire de manière administrative (sous prétexte du « contrôle continu ») est l’aveu de cet échec lamentable et le reflet d’une impréparation totale, qui ne date d’ailleurs pas du confinement…
Les prétentions ou les illusions de l’époque de Jamy dans « C’est pas sorcier » sont bien derrière nous. La perspective d’une pandémie était connue depuis des années, la crise en cours a été annoncée comme un risque des mois avant son arrivée en France, mais il n’y avait aucun plan, rien n’a été pris au sérieux. L’État a été totalement pris au dépourvu, avec une ampleur et des conséquences dont on ne peut même pas prendre encore la mesure, mais dont la pitoyable fin du baccalauréat sous sa forme traditionnelle est tout un symbole.
La faillite est complète et correspond à la fin d’une époque : celle de l’individualisme triomphant. Seule une démarche collectiviste est rationnelle.
Symbole du libéralisme triomphant, le baccalauréat a été démantelé au profit de parcours individuels à la carte, avec une place faite au contrôle continue en plus de l’examen final traditionnel. Ce contrôle continu consiste finalement en des minis épreuves assez similaires aux partiels universitaires et leur organisation pour les élèves de Première qui a lieu en ce moment se fait dans une grande confusion.
Il y est expliqué que ces nouvelles épreuves de contrôle continue (E3C), en plus du grand flou dans lequel elles ont lieu, entraînent une pression permanente de l’examen, au détriment de l’enseignement lui-même. Beaucoup d’enseignants et de syndicats d’enseignants déplorent la même chose, en plus de nombreuses autres critiques.
« Déclaration liminaire
Conseil Supérieur de l’Education du jeudi 23 janvier 2020
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
Nous assistons à une situation inédite dans l’école de la République. D’un point de vue réglementaire, des élèves ont passé les premières épreuves communes de contrôle continu(E3C), alors même que le décret relatif à la fraude ou tentative de fraude n’est pas paru. Ce texte, nous l’avons vu le mois passé en CSE et il s’appliquera bien à la génération Bac2021.
La FCPE se répète à chaque CSE : la méthode Coué ne fonctionne pas pour la conduite de changement et en particulier dans l’éducation qui exige un temps long, un temps de consensus, un temps d’explication, un temps d’organisation.
Il n’est pas possible de mettre en péril la confiance de la jeunesse en l’Ecole et en son avenir. C’était tout le sens de la communication des présidents départementaux de la FCPE dès le 26 janvier 2019 qui appelait à faire une pause. Une pause pour anticiper les difficultés, travailler à réduire les inégalités scolaires, de territoire ou de parcours. Nous n’avons pas été les seuls à demander ce temps. Mais, rien. Tout a continué et nos propositions n’ont pas été entendues.
La tension est palpable chez les parents. Nous avons lancé un questionnaire début janvier pour appréhender le niveau de compréhension et d’information des parents d’élèves sur les réformes en cours. 5000 répondants,dont plus de 40% d’entre eux ne sont pas adhérents à la FCPE et 68 % d’entre eux ont des enfants en première. Et les connections continuent.
Ce sont 70 % des parents qui se trouvent mal informés sur les réformes, qui ne savent pas comment s’organisent les E3C. 67% qui ne connaissent pas les 54h dédiées à l’aide à l’orientation et près de 60% qui se repèrent difficilement dans les spécialités.
Néanmoins, les enjeux de la réforme sont assimilés, puisque les 5 sujets de préoccupation majeurs sont l’orientation, le choix des spécialités, les E3C, Parcoursup et les nouveaux programmes.
Rappelons-nous ensemble ce qu’est le lycée, trois ans pour apprendre et préparer son projet d’avenir post bac. Trois ans de scolarité et trois de construction citoyenne pour les jeunes adultes qu’ils seront au sortir de l’Ecole. Au début des travaux sur la réforme, le nouveau bac devait permettre aux élèves de sortir d’un examen sanction, source de stress, en intégrant le contrôle continu. Un enjeu essentiel pour la FCPE.
Mais il y a eu les épreuves communes de contrôle continu, les fameuses E3C pour les initiés. Ce format hybride à mi-chemin des modus operandi des épreuves terminales et du contrôle continu, version «super devoir blanc». Dans les faits, elles ressemblent énormément aux partiels universitaires.
Par deux fois ce dernier mois, nous avons alerté publiquement sur les questions techniques comme pédagogiques, sur les inégalités qui seraient à l’œuvre dans la mise en place des E3C cette année. Nous avons demandé un ajournement.
Oui, les difficultés n’ont pas été anticipées. Oui, nous sommes dans une situation inédite et ce sont les élèves en premier lieu qui en pâtissent et qui y jouent leur diplôme national du baccalauréat. Alors même qu’il n’y avait nul besoin de créer une telle usine à gaz pour évaluer leur travail sur l’année. Nous recevons tous les jours des témoignages de situations d’élèves ou d’établissement à propos des difficultés générées par les E3C. C’est une usine à gaz qui explose aujourd’hui.
Alors, est-ce une solution pertinente pour évaluer la progression des élèves ? 18 mois de scolarité, trois sessions sur plusieurs matières, sans ôter le contrôle continu, les épreuves anticipées et les épreuves terminales. Les élèves sont ainsi continuellement sous pression d’examen: en lieu et place d’apprendre, d’analyser leurs erreurs pour progresseravec les équipes éducatives, ils bachotent.Onest bien loin d’un climat serein de travail pour les élèves, de moins d’examen et de moins de stress.
Pour la FCPE, nous sommes loin de la prise en compte de l’évaluation progressive de l’élève dans ses apprentissages et de son bien-être. Enfin, je finirai mes propos sur une alerte concernant la génération Bac 2020, les élèves qui sont en terminale cette année. Parcoursup a ouvert hier et ils passeront leurs épreuves en juin. Aujourd’hui, ils souffrent des répercussions indirectes de la réforme et des E3C, les bacs blancs sont reportés. Oui, ils sont angoissés, car ils savent être la dernière génération d’un système. Que deviendront celles et ceux qui possiblement échoueront au baccalauréat ?
Nous attendons des réponses et avant le mois de juin.
Je vous remercie de votre écoute. »
Notons également que la FCPE, à l’issue d’une conférence de presse hier, a critiqué les actions de certains professeurs jouant la surenchère en boycottant ou bloquants les épreuves. Il a ainsi été déclaré de manière assez juste, ou en tous cas illustrant bien le climat délétère ambiant :
« Cela suffit que nos gamins soient toujours les victimes de ces adultes qui n’arrivent pas à trouver les clés du dialogue […]. On est dans une situation de rapport de force, une guerre de positions entre un ministre et des enseignants, et personne ne veut lâcher »
À cela s’ajoute une grande confusion pour les élèves de Terminale, la dernière génération passant le bac sous sa forme traditionnelle, devant faire leur choix d’orientation sur la Parcoursup avec un grand flou qui règne encore sur les choix optimaux à faire, des professeurs peu au courant pour aider les familles et les élèves, etc.
Cela en dit long sur l’effondrement de notre société, dans laquelle les points de tensions se multiplient, avec une dégringolade généralisée de tout un tas de secteurs du quotidien, de tout un tas d’aspects, menant tout droit à une rupture de grande ampleur.
Voici le communiqué des fédérations de parents d’élèves FCPE du lycée et des deux collèges concernés par la mort insupportable d’un jeune s’étant opposé à une rixe pendant un cours d’EPS aux Lilas, en Seine-Saint-Denis :
« Aux Parents et responsables légaux des élèves,
Les membres de la FCPE du Collège Marie-Curie, du Lycée Paul Robert des Lilas, du collège Jean-Jacques Rousseau du Pré Saint Gervais tiennent à exprimer leurs sincères condoléances à la famille de Kewi, Gervaisien, décédé suite à une rixe qui a eu lieu ce vendredi 4 octobre 2019 aux Lilas. Nous témoignons aussi notre profonde solidarité à l’ensemble de la communauté éducative et particulièrement à ceux et celles qui ont été impliqués dans ce tragique évènement survenu pendant le temps scolaire.
La mort de Kewi est une nouvelle fois, après celle d’Aboubakar en octobre 2018, un drame pour tous. Elle n’est pas issue d’un accident, ou d’un geste malheureux, elle résulte d’une violence indescriptible.
Quand viendra le temps d’une véritable prise en compte de ces phénomènes de rixes qui ne cessent de se répéter ?
Quand viendra le temps d’une véritable prévention avec l’ensemble des acteurs des quartiers, de la communauté éducative, des collectivités locales, de la Préfecture et de la Police pour se donner les moyens d’en finir avec ces actes de violence ?
A de nombreuses reprises, nous, parents d’élèves, avons fait remonter lors de conseils d’administration, de réunions publiques ou de rendez-vous avec les instances notre inquiétude face à cette installation et banalisation de violences subies par tous : enfants, parents, équipes pédagogique et administrative.
Aujourd’hui nous sommes très en colère et abattus par le trop peu d’actions communes menées par les instances sur le territoire.
Bien sûr, des mesures exceptionnelles pour assurer la sécurité des élèves et des habitants ont été prises immédiatement : la Police Nationale, les services de l’Education Nationale et la Préfecture maintiennent une vigilance extrême, sécurisent aujourd’hui les accès au lycée et aux collèges et accompagnent psychologiquement les enfants.
Mais que se passera-t-il dans les prochaines semaines ? Les prochains mois ? Les prochaines années ?
Nous en avons assez d’entendre que nos communes sont les privilégiées du 93.
Nous demandons à ce que de véritables moyens humains et financiers soient mis en place immédiatement et sur le long terme.
Nous demandons à ce qu’une instance de coordination incluant tous les acteurs du territoire soit créée et s’inscrive dans la durée.
FCPE – Lycée Paul Robert des Lilas – fcpelyceepaulrobert@gmail.com
FCPE – Collège Marie Curie des Lilas – parents.college.lilas@gmail.com
FCPE – Collège Jean-Jacques Rousseau du Pré Saint Gervais – fcpejjrousseau@gmail.com »
« Minute de silence lundi en hommage à Chirac : l’indécence
Compte tenu de l’actualité, les personnels auraient pu légitimement s’attendre à ce qu’une minute de silence soit observée à la mémoire de Christine Renon, directrice d’école à Pantin qui s’est suicidée sur son lieu de travail samedi 21 septembre. Il n’en sera rien.
En revanche, le Premier ministre n’a pas perdu de temps pour publier une circulaire dans laquelle il invite les personnels à observer une minute de silence en hommage à Jacques Chirac lundi à 15 heures.
La circulaire ne prévoit aucun caractère obligatoire à cette minute de silence : elle “permet” aux agent-e-s d’y participer.
Ne cédons pas à l’angélisme du moment : Jacques Chirac n’est pas le personnage sympathique que l’on veut nous présenter. C’est un homme politique aux nombreuses sorties publiques sexistes et racistes dont la carrière s’est bâtie notamment :
– sur d’innombrables malversations financières et de détournements d’argent public, qu’il s’agisse de logement social ou du système de corruption communément appelé la “Françafrique”. Il a d’ailleurs été condamné en justice pour prise illégale d’intérêt ;
– sur le sang des Kanaks : alors Premier Ministre, il porte la responsabilité directe de l’exécution par les forces armées françaises des militants Kanaks qui luttaient pour leur indépendance ;
– sur des essais nucléaires dans le Pacifique, dont les retombées sur la santé des peuples riverains ne sont toujours pas admises par le gouvernement.
Jacques Chirac était un homme dont la politique a toujours servi le capitalisme et les intérêts particuliers. Les salarié-e-s et la jeunesse lui ont opposé les deux plus grandes grèves de ces dernières années : en 2006, contre la « loi sur l’égalité des chances » (dont le contrat première embauche qui aurait précarisé encore un peu plus les jeunes), et en 1995 contre la casse du système de retraites que le gouvernement actuel ressort du placard.
Pour SUD éducation, il n’y a donc aucune bonne raison de rendre hommage à Jacques Chirac. SUD éducation appelle les personnels à ne pas respecter cette minute de silence, et rien ne peut les y contraindre. »
Cela fait des années et des années qu’en France on regarde ailleurs, qu’on sait que les modèles scolaires sont meilleurs dans pleins d’autres pays, qu’il ne faudrait par exemple plus de cours en classe l’après-midi. Ce n’est cependant qu’un aspect partiel et secondaire du problème, qui est que l’École ne remplit pas son rôle d’éducation générale de la jeunesse, sa mission de civilisation.
L’esprit du capitalisme a renversé les familles, établissant des rapports entre individus aux dépens des notions de collectivité, de responsabilité, de hiérarchie des normes. À moins d’être un libéral-libertaire, c’est une évidence et quelque chose de critiquable. Le Parisien a à ce titre publié un article qui peut servir d’exemple très fort de cette situation toujours plus dramatique, où les individus errent sans jamais trouver de sens à leur propre vie.
Dans l’article « Exclu temporairement du collège, Hugo a « joué toute la journée sur l’ordinateur » », on a ainsi une mère qui pose fièrement avec son fils, tout sourire. Elle est scandalisée que son fils ait eu une journée d’exclusion pour avoir déclenché l’alarme incendie du couloir, lors de l’interruption des cours à midi. C’est typique. Qui connaît l’Éducation nationale sait que les parents sont de plus en plus des fous furieux, considérant que le collège et le lycée doivent agir comme une entreprise dont eux-mêmes seraient les clients. Et le client est roi.
Les propos de la présidente de l’Union locale des parents d’élèves de Villepinte (Seine-Saint-Denis) sont eux-mêmes assez caricaturaux :
« La plupart des gamins exclus restent vissés devant la Playstation, quand ils ne traînent pas en bas des bâtiments de leur cité. »
N’y a-t-il pas des parents capables d’enlever les câbles de la dite Playstation ? N’y a-t-il pas d’ailleurs des parents tout court ? Mais on sait que non. Bien souvent, les parents ne sont pas là, ou bien sont des « copains ». Les parents ne veulent pas être parents, c’est trop de responsabilités, ils veulent juste consommer leurs enfants.
Non pas que l’Éducation nationale soit irréprochable, au contraire même : elle vacille toujours plus, elle n’a plus de fondamentaux, tout le monde fait semblant que les choses tiennent, mais rien ne tient plus. Les professeurs sont autant arrogants qu’il y a 25 ans, sauf que les élèves ne se laissent plus faire et les conflits sont nombreux. Les jeunes ayant une culture idéologique par contre totalement nulle, cela tourne à l’antagonisme nihiliste.
Cependant, il faut bien voir qu’avec 2 500 élèves exclus en moyenne chaque jour rien qu’en Île-de-France, c’est la faute de l’Éducation nationale, pas de la jeunesse. La pédagogie qu’il faut qualifier de morbide qu’on trouve à l’école est tellement peu vivante qu’elle est considérée comme insupportable. Rien de plus normal.
À cela s’ajoute le fait que le personnel n’est pas formé, que des classes entières sont confiées sans supervision à des personnes, professeurs ou surveillants, qui ne savent pas comment se comporter avec des adolescents. Cela devient vite dramatique et les heures de « colle » pleuvent comme Don Quichotte se bat contre ses moulins. C’est absurde au possible, mais l’Éducation nationale n’est capable de s’intéresser qu’à ceux qui sont considérés comme des très bons élèves d’un côté, et à ceux qui se heurtent frontalement à sa routine de l’autre.
Cela ne veut pas dire qu’il faille sombrer dans le populisme pour autant. Sinon, on en arrive à célébrer les gilets jaunes, ce que certains font, ce qui est honteux, anti-intellectuel, anti-socialiste, à rebours de tous les enseignements du mouvement ouvrier.
Il faut au contraire de la lucidité, de la clairvoyance, de l’intelligence sociale. Il ne faut avoir aucune peur, quand on est de gauche, qu’on est pris entre le marteau de l’ennui proposé par l’école et l’enclume de jeunes aliénés par une société capitaliste qu’ils voient comme leur seul horizon.
Il faut affirmer haut et fort la morale et la justice, la supériorité de la collectivité sur le l’égoïsme, du général sur le particulier. La jeunesse, par définition, a soif d’apprendre, elle ne demande qu’à absorber ce que les adultes sont capables de lui transmettre. Et la principale chose qu’il y a apprendre, c’est à vivre ensemble, pour s’épanouir ensemble.
« Le Salon de l’Agriculture 2019 a fermé ses portes il y a quelques semaines. Une fois de plus pour celui ou celle qui aura traversé les allées du Parc des expositions l’impression est que le bio et le « vert » sont partout. A tel point que l’on se demande s’il existe encore une « agriculture conventionnelle ».
Le Ministre de l’Agriculture en clôture du 56ème Salon de l’Agriculture confirme d’ailleurs ce sentiment en affirmant que la « transition agro-écologique de l’agriculture est en route et qu’elle est irréversible »… et ceci pour la simple raison que la société l’exige.
Mais les faits sont têtus et les chiffres implacables. La simple communication ou l’auto-persuasion, si tant est qu’elle soit sincère, ne suffiront pas à transformer la réalité. Cette année encore ce sont près de 62 000 tonnes de pesticides qui auront été pulvérisées dans les campagnes françaises (dont 8 000 tonnes de glyphosate) avec une utilisation à la hausse en 2017 qui fait s’éloigner un peu plus encore l’objectif d’une baisse de 25 % de leur utilisation en 2020.
Pour l’agriculture biologique, si les chiffres martelés montrent une réelle progression, ils concernent avant tout le marché (7 milliards d’euros, soit + 1 milliard en 2017). Car même si on constate une progression des surfaces en bio, celles-ci ne représentent à ce jour que 1,7 millions d’hectares, soit à peine 6,5 % de la surface agricole utile (SAU), et avec des variations très importantes en fonction des régions et des cultures. Avec une progression de seulement 15 % des surfaces par an, là encore l’objectif, pourtant très mesuré, du gouvernement de 15 % de la SAU en bio en 2022 semble d’ores et déjà compromis. Et ce ne sont certainement pas les difficultés que rencontrent les producteurs bio pour obtenir les aides financières publiques, qui contribueront à donner l’impulsion nécessaire.
Malgré l’urgence pour réduire les pollutions de l’eau, de l’air, de la faune et des populations (aux pesticides et aux nitrates), la dégradation des terres arables (érosion physique, chimique et biologique), la perte de biodiversité qui s’accélère de façon alarmante, les causes du changement climatique, etc., ces quelques chiffres montrent un renoncement politique à la prise en compte des défis auxquels il nous revient pourtant de répondre collectivement et urgemment. De renoncement en renoncement, un changement radical des pratiques agricoles est dorénavant un impératif mais une partie de la profession semble encore vouloir se voiler la face, les lobbies des firmes agricoles et alimentaires n’ayant quant à eux aucunement l’intention de renoncer.
Ces évolutions indispensables des modes de production agricole nécessitent une prise de conscience collective, une réelle volonté politique d’accompagnement et d’investissements dans tous les domaines supports de cette transition nécessaire, notamment ceux de la Recherche et de la Formation et du Développement..
Concernant le domaine clé de la Formation, lors du Salon de l’Agriculture, le Gouvernement a lancé une grande campagne de promotion de l’Enseignement Agricole. Pourtant, derrière cette façade se cache une autre réalité, celle du désinvestissement des pouvoirs publics sur l’Éducation et la Formation, un désinvestissement qui ne joue pas en faveur des conditions d’apprentissage confortées dans les établissements publics agricoles et par suite du développement durable que notre société appelle pourtant de ses vœux – « marches pour le climat » à l’appui !
D’abord en renvoyant aux seules branches professionnelles le financement et la gestion des contenus de la formation professionnelle, le gouvernement, au travers de la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel », semble considérer que les titres et diplômes de demain ne devront répondre qu’aux seuls intérêts des professionnels. Il abandonne l’idée que la formation relève aussi de l’intérêt public et que la puissance publique doit assurer une représentation pluraliste dans les choix et orientation des formations et des métiers de demain. Ainsi, la commission professionnelle consultative (CPC) de l’Agriculture, chargée de l’évolution des diplômes et des formations, fonctionnait jusqu’à aujourd’hui avec l’ensemble des acteur.rices de l’Enseignement Agricole (professionnel.les, parents, enseignant.es, usagers, …). Demain, seuls la FNSEA et l’UNEP pèseront au sein de cette commission, avec les orientations que l’on sait.
Ensuite en réduisant les contenus et la professionnalisation des formations au travers de la réforme de la voie professionnelle et paradoxalement dans le même temps en dégradant la formation générale au travers de la réforme du Baccalauréat, le gouvernement s’attaque aux capacités des futur.es agriculteur.rices et des futur.es technicien.nes du secteur de relever les défis qui se présenteront à eux et elles, et de s’adapter aux évolutions nécessaires de leur environnement professionnel. Comment imaginer, dans ce cadre dégradé, une mobilisation pour faire bouger le monde agricole vers davantage d’agro-écologie ? Ainsi, le retrait de l’agronomie du Bac Général dispensé dans les établissements agricoles est contradictoire avec les enjeux du développement durable, alors que cette discipline est à la base de la compréhension des systèmes de culture.
En tendant à réduire l’Enseignement Professionnel à la seule satisfaction des besoins économiques, en plaçant la formation initiale par apprentissage dans le cadre d’un marché concurrentiel en particulier et en réduisant drastiquement les moyens pour l’Enseignement Agricole Public en général, le gouvernement fragilise, par la reprise des suppressions d’emplois dans l’Éducation, les établissements publics et favorise de fait les structures privées, comme les CFA interentreprises qui commencent à se multiplier. Cette libéralisation de la Formation, qui est en fait le « faux-nez » de la privatisation, fait peser sur elle les risques d’un lobbying encore renforcé. Les contre-réformes en cours et la baisse des moyens programmée pousseront les établissements à chercher des financements extérieurs et notamment ceux provenant des firmes phytopharmaceutiques, des industries agroalimentaires ou encore de la grande distribution.
Enfin, la réorganisation brutale – déjà très contestée – de l’Enseignement Supérieur Public et de la Recherche, relevant du Ministère de l’Agriculture, ne fera qu’aggraver la situation.
Promouvoir une agriculture qui permette demain notre souveraineté alimentaire tout en garantissant la préservation de l’environnement comme de la santé des populations, passe assurément par le maintien et le développement d’un Enseignement Agricole Public présent sur l’ensemble du territoire, mandaté pour porter cette révolution agro-écologique nécessaire, avec des exploitations et des ateliers technologiques dotés en conséquence. Nous sommes plus que jamais « à la croisée des chemins » et la représentation nationale doit prendre toute la mesure des décisions budgétaires triennales qui s’annoncent en regard d’établissements agricoles « à taille humaine », performants, mais déjà fragilisés dans le cadre du budget 2019… Les enjeux sociétaux sont majeurs et abaisser l’outil public d’enseignement et de formation agricole initiale, comme continue, serait une faute historique, sachant que nous ne pourrons pas nous contenter d’un simple ravalement de façade. Ce sont les fondations qu’il est nécessaire de conforter pour assurer cet avenir, et cela ne peut passer que par un renforcement volontariste et assumé comme tel de l’Enseignement Agricole Public.
Les signataires :
Eric ANDRIEU (Député Européen)
Gérard ASCHIERI (Membre du CESE au titre de la FSU)
Karine AULIER (Représentante de la FCPE pour l’Enseignement agricole)
José BOVE (Député européen)
Françoise BRIAND (Secrétaire générale FCPE)
Marie BUISSON (Secrétaire Générale Ferc-CGT)
André CHASSAIGNE (Député du Puy de Dôme)
Pierre CHERET (Conseiller régional Nouvelle Aquitaine)
Gilles CLEMENT (Paysagiste, botaniste, biologiste, écrivain)
Étienne DAVODEAU (Auteur de bande dessinée)
Elsa FAUCILLON (Députée des Hauts de Seine)
Jean-Luc FICHET (Sénateur du Finistère)
Sylvie FILIPEDASILVA (Co-Secrétaire Général CGT-Agri)
Sigrid GERARDIN (Co-Secrétaire générale Snuep-FSU)
Guillaume GONTARD (Sénateur de l’Isère)
Bernadette GROISON (Secrétaire Générale FSU)
Sylvie GUILLOU (Secrétaire nationale Snuitam-FSU)
Jocelyne HACQUEMAND (Secrétaire Générale Fnaf-CGT)
Joël LABBE (Sénateur du Morbihan)
Françoise LABORDE (Sénatrice de la Haute-Garonne)
Michel LARIVE (Député de l’Ariège)
Jean Marie LE BOITEUX (Secrétaire Général Snetap-FSU)
Laurent LEVARD (Agro-économiste – Co-animateur Agriculture et Alimentation de la FI)
Laurence LYONNAIS (Agent de développement local, candidate FI aux élections européennes)
Myriam MARTIN (Conseillère régionale Occitanie)
Philippe MARTINEZ (Secrétaire Général CGT)
Pierre OUZOULIAS (Sénateur des Hauts de Seine)
Roger PERRET (Membre de la commission agricole du COCT – Fnaf CGT)
Laurent PINATEL (Porte parole Confédération Paysanne)
Dominique PLIHON (Porte parole ATTAC)
Christian PRAT (Chercheur en sciences du sol, IRD)
Loïc PRUD’HOMME (Député de la Gironde)
Marie-Monique ROBIN (Journaliste, réalisatrice et écrivaine)
Eve SAYMARD (Agronome, accompagnatrice à l’installation / transmission agricole)
Stéphane TRIFILETTI (Conseiller régional Nouvelle Aquitaine)
Aurélie TROUVE (Enseignante-chercheuse AgroParisTech)
Paul VANNIER (Co-responsable du livret éducation de la France insoumise)
Thomas VAUCOULEUR (Co-Secrétaire Général CGT-Agri)
Michèle VICTORY (Députée de l’Ardèche)
Jean ZIEGLER (Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies) »
La vidéo d’un lycéen menaçant sa professeure avec un pistolet de type « airsoft » en plein cour a largement choqué l’opinion publique. Cette scène, insupportable, cristallise un sentiment général de délitement de la discipline dans les établissements scolaires.
Le gouvernement devait présenter ce mardi 30 septembre un plan d’action contre les violences scolaires suite à l’émoi qu’a provoqué cet épisode du Lycée Édouard Branly de Créteil. Le Ministre avait d’ailleurs réagi vivement, faisant savoir qu’il comptait rapidement faire quelque-chose.
Ces mesures ont finalement été repoussées et on aura bien compris que c’est parce que le mécontentement est très profond. Des annonces mal choisies auraient l’effet inverse de celui escompté.
« Pas de vague »
La situation en est en effet à un point où le sentiment d’exaspération est immense, avec cette impression pour beaucoup qu’il n’y a aucune perspective positive. L’ensemble des personnels des établissements scolaires subissent de plein fouet l’exacerbation des tensions de la société avec le délitement d’un certain nombre de règles de savoir-vivre, et se sentent souvent abandonnés.
Le mot-clef #pasdevagues dont se sont emparés un grand nombre d’enseignants pour raconter leurs propres expériences durant ces vingt dernières années décrit précisément ce sentiment que rien n’est fait pour remédier à une situation générale très tendue. Les problèmes sont comme mis sous le tapis et la suggestion de Jean-Michel Blanquer d’interdire les téléphones portables dans les Lycées n’a fait qu’exalter ce sentiment que les institutions ne veulent surtout « pas de vagues ».
Ce qu’il y a de plus terrible lorsqu’on regarde le film en question, c’est qu’on comprend tout de suite à quel point la situation est banale, tellement les protagonistes n’ont manifestement pas conscience de la portée de leur acte. Pas plus que la professeure, qui n’avait pas porté plainte avant la diffusion de la vidéo. Nullement étonnantes ne sont d’ailleurs les affirmations de parents d’élèves de cet établissement, résumées par l’un d’entre eux :
« Je ne sais pas si on peut parler de laxisme mais quand j’ai vu cette scène, je me suis dit que c’était du théâtre. Les enfants étaient en délire, en train de s’amuser, la prof regardait les élèves, presque amusée. Je me suis dit pourquoi personne ne réagit. Je dirais qu’il n’y a pas eu de cadre dans cette classe. Certains vont dire, elle a eu peur, ça été trop violent pour elle mais moi j’ai aussi entendu les élèves. Ils m’ont dit que c’était tous les jours comme ça avec cette enseignante ».
On est pas ici dans une violence à l’Américaine ou à la Brésilienne, mais dans une sorte de situation intermédiaire, où il s’agit plutôt d’indiscipline généralisée qui dégénère. Car, il faut bien voire que l’élève, d’une part est au Lycée, ce qui signifie qu’il a un parcours scolaire au moins un minimum satisfaisant, et d’autre part, s’enquiert de ne pas être noté absent.
Ce n’est pas une situation de décrochage scolaire avec l’immersion d’une autre société, celle des gangs par exemple, au sein de l’institution scolaire, mais une scène propre à la vie de l’institution scolaire elle-même.
C’est donc à la fois moins grave que ce qu’on pourrait craindre, et en même temps bien plus grave, tellement la situation semble dégénérer de l’intérieur, avec une menace de l’écroulement de la société sur elle-même.
Il ne s’agit pas de dédouaner la professeure en disant qu’elle n’est pas responsable du comportement de ses élèves – il y a en France beaucoup trop d’enseignants qui n’ont pas cette qualité de savoir tenir un groupe d’adolescents, et c’est inacceptable.
Il serait pour autant trop facile de l’accabler personnellement, comme il serait trop facile de résumer les choses en disant que le jeune en question n’est qu’un délinquant ayant frappé un policier quelques semaines plus tôt.
La France et la discipline
Ce que signifie cette scène, et ce que signifient les nombreux témoignages #pasdevague, c’est qu’il y a en France un grand problème avec la discipline et que ce problème devient explosif dans les établissements scolaires.
La bourgeoisie est relativement épargnée car elle place ses enfants dans des établissements privés ou publics qui lui sont quasiment réservés, qui se débarrassent des élèves au moindre problème. La grande majorité des autres établissements, publics mais aussi privés-catholiques dans certaines campagnes, se retrouvent par contre de plus en plus dépassés.
Ils n’ont pas les moyens humains et pratiques, mais surtout culturels, de mettre en place et de faire respecter une discipline convenable. Les enseignants déplorent donc le manque de soutien de leur hiérarchie qui ne veut « pas de vague », ce qui est vrai. Cela n’est cependant qu’un aspect partiel du problème, qui est bien plus profond.
Il y a en partie ici un trait culturel franco-français, où les élèves ne sont que les enfants de leurs parents qui n’aiment pas quand la police leur demande de rouler moins vite ou bien qui ne disent pas bonjour à la caissière au supermarché.
Il y a aussi en partie des raisons propres à la pauvreté et aux arriérations culturelles des personnes issues de l’immigration, qui n’ont pas toujours les codes sociaux-culturels de la France, ce qui engendre des situations conflictuelles.
Mais le problème est surtout que l’institution scolaire n’est pas en adéquation avec les aspirations profondes des classes populaires. L’École en France est surtout une vieillerie républicaine issue d’une époque où la bourgeoisie voyait un intérêt à éduquer le peuple par en haut, selon ses propres codes, dans un cadre très restreint.
Abstraction et pensée concrète
Dans bien des cas, l’éducation n’est plus l’aspect principal des établissements scolaires, dont la fonction est surtout de garder les jeunes quelque part la journée tout en triant ceux pour qui un avenir professionnel particulier est envisageable. Ce schéma, pas du tout caricatural, propre aux quartiers les plus difficiles des grandes métropoles, n’est en substance pas différent de celui qui existe partout ailleurs pour les classes populaires.
La séparation quasi-unilatérale de l’enseignement jusqu’au collège d’avec le monde du travail et le reste de la société est quelque-chose de très difficilement supportable pour un certain nombres de jeunes, surtout ceux issus de la classe ouvrière. Cela est la source de beaucoup de conflits scolaires, dont l’indiscipline n’est que le produit, ou la conséquence culturelle logique, à défaut de pouvoir exprimer les choses autrement.
L’institution scolaire française favorise l’abstraction et refuse la pensée concrète. La séparation entre la théorie et la pratique est la norme et même les travaux « pratiques » qui sont proposés dans certains cours sont présentés et organisés très abstraitement. La situation change à partir du Lycée pour les enseignements professionnels et technologiques, mais l’arrière-plan reste présent.
Si on ajoute à cela le fait que les enseignants ne sont pas recrutés ni formés pour leurs capacités à enseigner, on se retrouve justement dans cette situation où les établissements scolaires sont dépassés par l’indiscipline.
Bricolage au jour le jour
Les « vies scolaires », c’est-à-dire les surveillants (« assistants d’éducation ») et leurs chefs de service (« CPE »), gèrent quant à elles du mieux qu’elles peuvent des situations extrêmement compliquées, avec peux de moyens et absolument aucune formation ni aucune méthode de travail autre que le bricolage au jour le jour. L’Éducation Nationale compte sur le fait que les surveillants sont des personnes jeunes (on ne peut être surveillant plus de six années) et sensibles aux questions éducatives pour faire tampon entre les élèves et l’institution.
Cela n’a fait que repousser les problèmes pendant au moins les vingt dernières années, sauf que l’indiscipline devient maintenant de moins en moins supportable et gérable.
Le Gouvernement et son ministre de l’Éducation se retrouvent en ce moment dans une position délicate face à la manifestation d’une indignation profonde, alors qu’ils ont annoncé récemment des suppressions de postes et qu’une grande grève était déjà prévue pour le 12 novembre prochain.
L’annonce d’effectifs de Police dans les établissements, en plus d’être une absurdité rien que parce que la Police est déjà débordée et en sous-effectifs, relève surtout du « cafouillage » et illustre une grande panique sur la question.
La Gauche en France a une grande responsabilité sur ce sujet car elle a trop souvent minimisé les questions de discipline au profit d’une approche plus conciliantes se voulant non-réactionnaire, alors qu’il ne s’agit en fait que de savoir-vivre.
Cependant, la discipline, bien qu’étant quelque-chose de fondamental et réclamé par les classes populaires, ne doit pas être une chose abstraite, existant en dehors et par-dessus les rapports sociaux en général, et l’institution scolaire en particulier.
Tant que l’éducation générale et pratique de la jeunesse ne sera pas l’unique objet de l’École, populaire et démocratique, rien ne sera réglé. Les tensions qui existent dans les établissements scolaires ne feront qu’empirer à mesure de la généralisation de la crise dans la société toute entière.
Il ne suffira pas de réclamer plus de moyens et plus de postes – bien qu’il faille dénoncer la suppression de ceux-ci – mais il faudra considérer les choses à plus long terme, dans une perspective bien plus grande. Le système scolaire français n’est pas du tout satisfaisant pour les classes populaires, et d’ailleurs il se révèle efficace pour de moins en moins de monde, comme le montrent les grandes enquêtes internationales sur l’éducation.
Et le constat est sans appel. Il ne s’agit pas simplement d’avoir choisi non pas l’autre roman au programme, Madame de Montpensier de Madame de Lafayette. Il s’agit d’avoir posé une question directement liée à la pédérastie dans le roman Les Faux-monnayeurs d’André Gide.
Voici les deux questions posées au Bac littérature hier, la première étant celle qui nous intéresse directement :
Une critique déclare qu’à la fin des Faux-monnayeurs « tout rentre dans l’ordre ». Qu’en pensez vous ? (8 points)
André Gide avait d’abord envisagé d’inscrire les réflexions d’Edouard sur le roman dans un premier chapitre pouvant servir de préface. Il y a pourtant renoncé. Selon vous, pourquoi ? (12 points)
Or, la toute fin des Faux-Monnayeurs consiste en la phrase suivante :
« Je suis bien curieux de connaître Caloub. »
Caloub est justement un très jeune adolescent…dont le nom est un anagramme de « boucle », comme reflet de l’éternel retour vers les jeunes à soumettre.
Car celui qui dit cela est un écrivain de 38 ans, Édouard, qui couche avec son propre neveu dont il est le « mentor ». Tout le roman consiste justement à raconter comment deux pédérastes tentent d’obtenir des faveurs des lycéens, le tout à mots couverts.
Mais quand on dit à mots couverts, il faut relativiser ; les propos de l’oncle sur son propre neveu sont très clairs :
« Dès que je le vis, ce premier jour, dès qu’il se fut assis à la table de famille, dès mon premier regard, ou plus exactement dès son premier regard, j’ai senti que ce regard s’emparait de moi et que je ne disposais plus de ma vie ».
Le jeune peut d’ailleurs écrire, dans une lettre, que :
« Pour cacher son identité, Laura passe pour la femme d’Édouard ; mais chaque nuit c’est elle qui occupe la petite chambre et je vais retrouver Édouard dans la sienne. Chaque matin c’est tout un trimbalement pour donner le change aux domestiques. »
Le roman est d’ailleurs d’une large portée autobiographique.
Marc Allegret et André Gide en 1920
André Gode, dans son Journal, raconte en novembre 1918 sa définition de la pédérastie :
« J’appelle pédéraste celui qui, comme le mot l’indique, s’éprend des jeunes garçons. J’appelle sodomite […] celui dont le désir s’adresse aux hommes faits. J’appelle inverti celui qui, dans la comédie de l’amour, assume le rôle d’une femme et désire être possédé.
Ces trois sortes d’homosexuels ne sont point toujours nettement tranchées ; il y a des glissements possibles de l’une à l’autre ; mais le plus souvent, la différence entre eux est telle qu’ils éprouvent un profond dégoût les uns pour les autres ; dégoût accompagné d’une réprobation qui ne le cède parfois en rien à celle que vous (hétérosexuels) manifestez âprement pour les trois.
Les pédérastes, dont je suis (pourquoi ne puis-je dire cela tout simplement, sans qu’aussitôt vous prétendiez voir, dans mon aveu, forfanterie ?) sont beaucoup plus rares, les sodomites beaucoup plus nombreux, que je ne pouvais croire d’abord ».
Là encore, il faut être prudent. Dans le Tome II de son Journal publié dans la prestigieuse Pléiade, André Gide peut écrire des choses comme :
« La compagnie de très jeunes enfants me requiert irrésistiblement. Il en a toujours été de même et nul plaisir n’est chez moi plus sincère. »
Cela en fait davantage un pédophile et par ailleurs tous ses écrits littéraires tournent autour de cette obsession. On remarquera comme les éditions Folio jouent de cette question des jeunes garçons comme ici sur une couverture!
Les Faux-monnayeurs racontent comment des gens des milieux les plus aisés font de la pédérastie un style de vie : qu’en 2018, l’Éducation Nationale n’ait rien de mieux à proposer en dit long sur ses valeurs, sur la décadence générale sur le plan culturel, sur la corruption par le capitalisme.
Seule une Gauche ancrée dans la population qui travaille, loin des styles de vie individualistes et corrompus, peut renverser une telle situation.
C’est une ironie comme l’histoire les connaît qu’Alain Devaquet soit décédé quelques jours avant la remise hier d’un dossier au ministre de l’Éducation nationale afin de réformer le baccalauréat. Car le projet d’Alain Devaquet en tant justement que ministre de l’Éducation nationale en 1986 avait provoqué une mobilisation énorme de la part des étudiants et des lycéens.
Ceux-ci avaient compris que le projet d’Alain Devaquet était la sélection, un parcours universitaire à multiple vitesses. Ils ont été d’une grande combativité par conséquent, la répression étant elle brutale, comme en témoigne la mort de l’étudiant Malik Oussekine.
Celui-ci avait été tué par des policiers du peloton de voltigeurs motoportés, c’est-à-dire deux policiers à moto, l’un conduisant, l’autre frappant avec sa matraque. Malik Oussekine a été tué peu après minuit, alors qu’il sortait d’un club de jazz et que la police traquait des « casseurs ». Ils l’ont massacré dans un hall d’immeuble.
Cet événement, combiné à la vague contestataire contre le projet d’Alain Devaquet, a marqué toute une génération. Cela a été un marqueur de la contestation du capitalisme.
Mais en trente années, le libéralisme a largement conquis les masses. La fausse gauche célèbre le libéralisme de mœurs sans voir – ou plutôt sans prétendre voir – qu’il va de pair avec le libéralisme économique.
Aussi, cette fois, le projet de sélection passe comme une lettre à la poste chez les lycéens et les étudiants. Pire encore, il va commencer au lycée.
On connaît ici le principe : l’État laisse pourrir une situation, pour après reconnaître la nécessité d’un changement. La plupart des privatisations ont connu ce justificatif de « l’efficacité ».
Et en l’absence de connaissances politiques, de traditions de gauche, les lycéens et les étudiants tombent dans le panneau. Chacun s’imagine « sortir du lot » pour les plus carriéristes, quant aux autres, ils voient juste avec plaisir le principe d’un « bac à la carte ».
Car le baccalauréat, pour ce qui ressort du rapport remis hier au ministre concerné, supprime les séries L, ES et S. Il y aura un tronc commun et des options à choisir.
Dans le tronc commun, on trouve l’histoire-géographie, les mathématiques, deux langues vivantes, l’EPS, le français et de philosophie. Puis, en option, il y aura les mathématiques-sciences de la vie et de la Terre, lettres-langue vivante, sciences économiques et sociales / mathématiques.
En apparence, aucune différence. En pratique, pour les classes de seconde, de première, de terminale, il faudra à chaque fois re-sélectionner une de ces options. C’est la fin d’un bac universel.
De plus, les notes seront en continu, ce qui va renforcer la valeur très différente des lycées. Un bac dans tel lycée n’aura clairement pas la même valeur qu’un autre bac dans un autre lycée.
Évidemment, les options à choisir dépendront du « marché du travail ». A la soumission aux professeurs pour avoir les bonnes notes – on connaît la dimension subjective dans les matières littéraires ou les langues – s’ajoute celle aux entreprises.
Pour préserver la fiction du « bac », le projet prévoit également que la moitié de la note finale dépende de quatre examens de fin d’année, avec deux majeures au printemps, la philosophie et un oral en juin.
Enfin, pour clouer la dépendance, il n’y aura plus d’oral de rattrapage, mais l’étude du livret scolaire de première et de terminale.
C’est la négation de l’épreuve universelle et le renforcement de la soumission à la concurrence, à la compétition, aux intérêts des entreprises, et cela de manière totalement unilatérale.
Cela ne veut pas dire que le baccalauréat ait été idéal dans sa forme passée. Tous les gens de gauche savent ce que signifie l’épreuve comme mise sous pression, bachotage sans contenu, illusion sur la vie adulte qu’il y a après, etc.
Cependant, l’idée d’une épreuve universelle, pour une société reconnaissant être une collectivité transcendant les individus, ne peut être que l’exigence de base de toute personne de gauche.