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Refus de l’hégémonie

Après l’attentat de Moscou, un Vigipirate fictif

Le gouvernement français a décidé, après l’attentat de l’Etat islamique à Moscou, d’élever le niveau du plan Vigipirate à « urgence attentat ». C’est le niveau le plus élevé. C’est surtout, en réalité, une démarche fictive, de nature militariste d’un côté, relevant de l’opération psychologique de l’autre.

Tous les Français pensent en effet immanquablement au parallèle avec l’attentat contre le Bataclan, et c’est de cela qu’abuse le gouvernement.

L’objectif est de militariser la société, de faire peur, de faire bloc, de masquer que l’attentat de Moscou s’inscrit impeccablement dans la démarche occidentale de dépecer la Russie.

Qu’il y ait des attentats islamistes est une réalité. Agiter Vigipirate avec un attentat imminent est par contre fictif. Rien que la ville de Paris est un chaos complet où Vigipirate ne sert strictement à rien en cas de drame assassin. On est dans la narration, dans une narration bien organisée.

C’est absolument flagrant si on considère qu’il y a depuis le 26 février 2024 une nouvelle séquence qui s’est ouverte.

Le président français Emmanuel Macron a d’ailleurs prétendu que le groupe de l’Etat islamique qui a frappé en Russie avait également auparavant cherché à agir en France. C’est irréaliste quand on sait que la section de l’Etat Islamique qui a agi en Russie vise à un califat dans une zone composée de l’Afghanistan, au Pakistan, du Turkménistan, du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan et de l’Iran.

Et il a précisé naturellement que la France avait proposé une « coopération » à la Russie à ce sujet, que tout cela n’a rien à voir avec le régime ukrainien. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin est ensuite allé épauler ce discours au 20 heures à la télévision le 25 mars 2024.

Cela n’a aucun sens, à part celui de montrer que l’Etat agit, qu’il est incontournable. Il ne faut pas comprendre autrement la pseudo-opération anti-trafic de drogues « place nette XXL » lancée à Marseille à la mi-mars 2024. C’est de la fiction.

Ce qui se déroule, historiquement, c’est une initiative étatique à plusieurs niveaux, afin de former une tendance, une poussée, et de faire en sorte que tout s’engouffre dedans dans le cadre de l’escalade militaire visant à la guerre ouverte contre la Russie.

Agir contre cette poussée, exister dialectiquement par et contre elle, tel est le devoir de l’époque, sous le drapeau rouge !

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Refus de l’hégémonie

De l’élection présidentielle russe à l’attentat de Moscou

Quand on est dans une situation de crise, les choses vont vite, et elles tournent mal autant qu’elles le peuvent. Le 26 février 2024 est ici une date fatidique, celle qu’on verra posteriori comme une date maudite, celle du commencement d’un tourbillon sanglant.

Les 15-17 mars 2024, il y avait donc l’élection présidentielle russe. C’était l’occasion pour le régime de prouver qu’il a une hégémonie à tous les niveaux sur la société russe. Avec 77,5% de participation et Vladimir Poutine réélu avec 88,5% des voix, on est dans la démonstration de force.

Naturellement, les pays occidentaux se sont empressés de dénoncer une manipulation des mentalités et des votes par le régime, comme si une telle chose n’existait pas en occident. Surtout en France où Emmanuel Macron a été tiré du jour au lendemain du chapeau de la haute bourgeoisie moderniste. Mais, dans tous les cas, ce qui compte est que le régime russe a prouvé sa stabilité.

D’où les propos, quelques jours après, de Dmitrï Peskov, porte-parole du Kremlin, tenus au média Argoumenty i Fakty :

« Nous nous trouvons en situation de guerre. Oui, cela a commencé comme une opération militaire spéciale. Mais dès que toute cette bande s’est formée, quand l’Occident dans son ensemble a participé à tout cela aux côtés de l’Ukraine, pour nous, c’est devenu une guerre. J’en suis convaincu et chacun doit le comprendre. »

Et voilà que se passe alors, le 22 mars 2024, un effroyable attentat en périphérie de Moscou. L’État islamique a envoyé ses sbires tirer à l’arme automatique sur la foule d’un concert, comme au Bataclan. Il y a eu 133 morts, une centaine de blessés, alors que la salle de concert, le Crocus City Hall, a été incendié.

De manière notable, le président russe a affirmé dans une allocution télévisée la chose suivante :

« C’est une tuerie de masse préméditée, ils étaient déterminés à fusiller nos citoyens comme les nazis à l’époque qui fusillaient les gens sur nos territoires occupés. »

C’est une référence directe à l’Allemagne nazie voulant tuer les Slaves ou les mettre en esclavage, et indirectement aux nationalistes ukrainiens historiquement qui lui était alliée. Et, à tort ou à raison, la Russie a accusé le régime ukrainien d’être lié à l’attaque, d’autant plus que les assaillants ont été arrêtés alors qu’ils cherchaient à passer en Ukraine depuis la Biélorussie.

Quand on dit à tort ou à raison, c’est plutôt à raison si on prend les apparences, car il n’est pas un secret que de nombreux islamistes sont actifs en Ukraine, comme composante du projet de dépecer la Russie. L’objectif ici, c’est un Caucase islamiste et la « cause » djihadiste en Syrie.

Pour renforcer encore plus la problématique, il y a eu l’avertissement fait début mars 2024 par l’ambassade américaine en Russie qui aurait eu « des informations selon lesquelles des extrémistes ont des plans imminents de cibler de grands rassemblements à Moscou, y compris des concerts ».

Peu importe, de toutes façons. Ce qui compte, c’est que l’État islamique s’est concrètement aligné sur la superpuissance américaine. En cela, l’État islamique agit comme tous les pays occidentaux qui cherchent à tirer profit de la situation.

Les islamistes agissent également comme tous les sites et blogs des gens fascinés par les guerres, les armées et les informations à ce sujet (comme le site opex360), ainsi que toute la scène activiste d’extrême-Droite. Tout un petit monde d’aventuriers s’imagine qu’il y a à vivre l’effondrement de la Russie, et à en profiter.

Et qui converge également avec ces aventuriers ? Toute une fausse Gauche occidentale qui s’empresse ne pas du tout parler de l’escalade militaire française. C’est un silence tout à fait révélateur d’une nature corrompue au sein d’une grande puissance capitaliste qui se permet d’avoir des rebelles ne franchissant surtout pas les lignes rouges (Lundi Matin, le NPA, la Jeune Garde, l’UCL, le PCRF, l’OCML-VP, l’UC, le PCOF, la CDP, etc.)

En bref, le monde brûle. Et il va continuer de brûler, il ne faut pas se leurrer. Pour sortir de la crise commencée en 2020, les puissances occidentales entendent découper la Russie en morceaux, et nous, nous devons nous opposer aux initiatives de notre capitalisme. C’est le défaitisme révolutionnaire de Rosa Luxembourg et de Lénine. C’est la voie juste, celle du drapeau rouge.

L’alternative est chaque jour plus évidente : Socialisme ou barbarie!

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Société

La question du califat et la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi

Le chef de l’État islamique Abou Bakr al-Baghdadi a été tué dans une opération américaine en Syrie ce 26 octobre 2019. Cela met un terme à une intense querelle idéologique au sein de l’État islamique quant aux raisons de l’échec. C’est que la question du calife est absolument fondamentale en Islam. L’échec du califat pose un problème théologique de la plus grande ampleur et forme un défi dont la religion musulmane ne peut pas se relever.

Il est vraiment étrange de voir comment les commentateurs empêtrés dans leur confort bourgeois sont incapables de saisir la portée de la religion, alors que de manière formelle ils sont pourtant très cultivés.

Le professeur à Sciences Po-Paris Jean-Pierre Filiu, connu pour ses analyses à l’emporte-pièce, raconte ainsi au sujet de la mort du calife de l’État islamique que :

« Il n’est pas cependant certain qu’une telle perte symbolique affecte fondamentalement la direction opérationnelle de Daesh, depuis longtemps aux mains de professionnels aguerris. »

Amélie M. Chelly, « docteure en sociologie religieuse et politique, spécialiste du monde iranien, de l’islam chiite, et plus largement des phénomènes de politisation de l’islam (des Frères musulmans à Daesh) », dit la même chose :

« Les grands chefs qui ordonnent les combats sont des anciens de l’armée irakienne et des Tchétchènes qui possèdent donc de grandes compétences stratégiques et des rôles décisionnaires. Baghdadi était l’incarnation d’une idéologie, mais sa disparition physique ne l’entache en rien. Elle ne va donc pas mourir avec lui, mais continuer de vivre. »

Une telle analyse ne tient pas debout une seule seconde et elle montre que les « experts » ne comprennent vraiment rien à la question de l’Islam politique. Disons plutôt les experts français, car les experts américains ont une lecture bien plus pertinente.

C’est que le principe est le suivant. Le Coran a une sourate (4, 59) qui dit :

« Ô les croyants! Obéissez à Allah, et obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement.

Puis, si vous vous disputez en quoi que ce soit, renvoyez-le à Allah et au Messager, si vous croyez en Allah et au Jour dernier. Ce sera bien mieux et de meilleure interprétation (et aboutissement). »

Cela implique une soumission politique à un dirigeant musulman, qui ne doit plus être dirigeant s’il sort du cadre exigé par la religion. Rappelons ici que par religion il faut entendre un système à la fois moral et juridique, impliquant tous les aspects de la vie.

Le catholicisme a été obligé de capituler dans sa prétention à être ainsi, mais l’Islam de par l’appui par des formes féodales jusqu’à aujourd’hui, maintient cette orientation.

Cela implique que, quand on est musulman, on doit se soumettre à un dirigeant, grosso modo appelé calife en raison de la tradition. Certains pensent que ce n’est pas un « calife » en tant que tel, mais le principe est le même.

Cette situation permet d’être musulman et cette situation seulement. On appelle alors cela Dar al-Islam, le « domaine de la soumission à Dieu ». Dans le cas contraire, on est dans le Dar al-Harb, le « domaine de la guerre ».

Les attentats meurtriers et fanatiques de l’État islamique correspondent à cette opposition. Un musulman ne peut pas vivre, selon l’Islam, en terres non musulmanes. Il doit partir ou combattre. L’État islamique considère donc les musulmans en terres non musulmanes comme non réellement musulmans.

Al-Qaïda considère les choses pareillement, mais à une lecture par étapes et considère qu’on ne peut pas les rejeter en bloc comme l’État islamique l’a fait. Mais c’est l’État islamique qui l’a totalement emporté dans l’Islam radical, car il a assumé la formation d’un domaine « pur » politiquement et donc moralement, forcément avec un calife.

La mort du calife, qui avait pris le nom d’Ibrahim, pose donc un défi monumental à l’Islam. Soit il reconnaît que l’établissement d’un califat est impossible, mais alors il abandonne la prétention à une morale totale et il connaît le même phénomène d’intégration dans la société que le catholicisme.

Soit il garde l’utopie du califat, mais alors il est obligé d’évaluer l’expérience de l’État islamique et alors cela va renforcer tous les courants de l’Islam politique (des frères musulmans à Al Qaïda), provoquant une communautarisation et une sectarisation accompagnée de factionnalisme agressif.

Il faut bien saisir que la question n’est pas religieuse. Il ne s’agit pas de savoir si on peut prier comme musulman ou pas, mais bien de vivre entièrement la morale musulmane dans tous les actes du quotidien.

C’est là où la Gauche doit intervenir. Elle doit proposer son propre système moral, complet, aussi complet que l’Islam. En montrant que ce dernier n’est qu’une révolte romantique, féodale, contre le capitalisme.

Une telle tâche est impossible à une gauche libérale dans les mœurs, bien entendu. Seule la Gauche historique le peut, en disant par exemple : oui, il faut refuser la destruction du principe du couple par l’ultra-libéralisme, mais pas en adoptant une lecture féodal de celui-ci. Oui, la superficialité de la société de consommation doit être combattue, mais pas au profit d’un rigorisme sectaire-religieux.

Et il faut décliner cela dans tous les domaines. Sinon le monde s’effondrera dans un grand affrontement entre les décadents post-modernes et les illuminés pro-féodaux…

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Politique

La fin de l’État islamique et les islamistes

L’État islamique a perdu le dernier territoire contrôlé. Quelle va être la conséquence sur la mouvance islamiste ? C’est une seconde vague terroriste qui se profile, tout à fait différente.

L’État islamique a perdu hier son dernier territoire, en Syrie, à la frontière avec l’Irak. Ce sont les forces kurdes, dans le cadre d’un front « démocratique » avec le soutien américain, qui ont mis fin à ce régime de terreur et exportateur de terrorisme. De par son importance en tant que phénomène monstrueux et de par son impact en France, il y a lieu de porter un regard approfondi sur les islamistes dans leur rapport à cette perte de territoire.

Les islamistes ont, en effet, des réactions très diverses par rapport à tout cela et cela va juger de manière très forte sur leurs dynamiques. Il va de soi que pour des raisons d’ordre pratique – à la fois par souci de clarté et pour éviter d’aider intellectuellement les islamistes en question – l’article ne rentrera pas dans les détails sur les plans des références.

Il faut bien ici avoir en tête que la mouvance islamiste est évaluée à 20 – 25 000 personnes en France (comme par ailleurs en Allemagne ou en Grande-Bretagne). Cela amène à évaluer la base sympathisante au sens très large au double ou au triple ; la part de gens prêts à basculer dans le terrorisme est estimée à 4000 personnes (qui sont censés à ce titre être surveillés de près par les services secrets français). C’est énorme.

Quand on parle des islamistes, on peut voir qu’il existe trois blocs. Il y a les salafis de type piétiste, qui veulent vivre à l’écart du monde moderne ; il y a Al-Qaïda ; il y a l’État islamique. Leurs perspectives sont très différentes, leurs sensibilités et leurs théologies sont en apparence les mêmes, mais les démarches n’ont rien à voir.

Ainsi, les piétistes ne considèrent pas qu’il soit possible de faire de la politique, il faut organiser une vie à l’écart. La fin de l’État islamique va indubitablement les renforcer, au sens où cela signifie que la politique islamiste n’a aucune chance de réussir et qu’il faut donc passer par un sectarisme culturel, un communautarisme virulent et strict, un refus catégorique du monde moderne sur lequel il faudrait grignoter des espaces. Ce n’est pas une bonne nouvelle.

Al-Qaïda, en toute logique, devrait profiter de la fin de son principal concurrent. Depuis le départ, Al-Qaïda dit que la conquête d’un territoire centralisé est voué à l’échec. Il devrait donc en découler un certain prestige pour cette « clairvoyance » et cette organisation criminelle devrait en profiter. Cela ne sera pas le cas.

Al-Qaïda a d’énormes problèmes internes sur le plan de la direction. L’un de fils de Ben Laden est en train d’être stylisé comme chef à venir, mais rien n’est fait. À cela s’ajoute un gros problème de structures et Al-Qaïda a choisi de rester, coûte que coûte, sous la coupe des talibans afghans, afin de disposer d’une base géographique protectrice. Cependant, les talibans ont un agenda islamo-nationaliste, ce qui est différent d’Al-Qaïda.

Il en va de même avec les forces syriennes « révolutionnaires », qui soutiennent Al-Qaïda dans leur majorité, mais ont rompu leur allégeance par souci pratique dans le cadre syrien. Seul un tout petit groupe a maintenu une allégeance formelle. Ce n’est pas bon pour le prestige. Et c’est d’autant plus problématique que l’État islamique a siphonné la plupart de ses propres réseaux historiques. Al-Qaïda est donc en perte de vitesse générale, notamment dans sa production médiatique, et n’est pas en mesure d’assumer le « jihad mondial » qu’il propose. Il ne reste que l’attente ou une tentative de fuite en avant particulièrement sanglante.

Reste l’État islamique. Peu de gens le savent, mais de très graves dissensions le caractérisent depuis environ deux ans. À la base, l’État islamique est une théocratie et son justificatif idéologique est très simple : sans califat, on ne peut pas être musulman, car il faut un calife pour gouverner les croyants. Tant qu’il y avait l’empire ottoman, cette nécessité religieuse de l’Islam pouvait passer au second plan, mais depuis 1918, cette question est un serpent de mer qui a fini par parvenir sur le devant de la scène.

Face à la pression extérieure, les religieux ont cependant vécu de manière surtout cachée et ce sont les forces militaires – organisées en clans, avec des chefs de guerre – qui ont pris le dessus. À l’arrière-plan, il y a également les chefs d’origine irakienne qui ont pris le dessus. De par l’absence de hiérarchie claire et par les espaces laissés aux chefs de guerre, à quoi s’ajoute une idéologie fanatique, tout cela a provoqué une vaste corruption et des liquidations en série, de torture généralisée dans une atmosphère de paranoïa, notamment chez les lettrés se préoccupant de théologie et chez les militants venant des pays occidentaux.

Depuis deux ans, un vaste mouvement de critique interne est donc apparu dans l’État islamique. Pour cette raison, la fin de l’État islamique est évaluée de manière très différente par les deux fractions. Celle qui est légitimiste considère que l’échec actuel est une épreuve : Dieu est là pour vérifier l’authenticité de l’engagement de l’élite musulmane. Selon ces islamistes du « canal habituel », la situation est simplement là pour les éprouver. Il n’y a rien à changer, même si en pratique la seule légitimité de l’État islamique était sa territorialisation.

En revanche, pour les autres, ce qui se déroule est une « punition divine ». L’État islamique n’a pas été à la hauteur et c’est pour cela qu’il a été puni. Il a beaucoup été parlé d’une jeune femme britannique désireuse de retourner dans son pays, car elle avait un enfant, et qui a tenu des discours très favorables à l’État islamique, regrettant juste une fin chaotique et sa défaite finale. Eh bien c’est exactement représentatif de la ligne néo-romantique de ce qui est en quelque sorte un « canal historique ».

Il y a là quelque chose de terriblement dangereux. On a ici affaire à une démarche non plus simplement apocalyptique, comme avec l’État islamique qui s’imaginait mener la bataille quasi finale, mais post-apocalyptique. Le seul parallèle possible, pour saisir l’esprit de tels gens, est avec la posture du dernier carré d’islamistes lors de la guerre civile algérienne. Après avoir attendu le caractère de mouvement de masse avec le FIS et son bras armé, les défaites ont abouti à des groupes islamiques armés basculant dans un terrorisme criminel tout azimut, tout à fait en écho d’ailleurs avec les tendances régulières du FLN pendant la guerre d’Algérie à frapper indistinctement, y compris dans ses propres rangs.

Ce qui amène à un autre problème : les durs des durs de la première génération du jihad viennent d’Algérie, mais ce pays est un territoire perdu. En 2018, il n’y a pas eu un seul attentat à la bombe islamiste en Algérie, pour la première fois depuis vingt ans, alors qu’en même temps il y a eu de très nombreuses arrestations, mille armes (pistolet, mitraillette, grenades, etc.) confisquées. La frénésie criminelle des islamistes pendant la guerre civile des années 1990 a « vacciné » une large partie de la population et les manifestations contre le président algérien Bouteflika ne prennent pas du tout un virage pro-religieux, malgré la force énorme du piétisme-quiétisme islamiste en Algérie.

Or, les « néo-romantiques » auraient largement espéré un prestigieux « retour aux sources », afin de combler leurs besoins en termes d’images symboliques. Ils ne peuvent pas l’avoir : ils seront par conséquent obligés de se tourner vers la France – si l’on considère que l’idéologie islamiste est aussi, voire largement dans sa genèse historique, le produit de l’absence d’identité nationale bien définie au moment de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, aboutissant pour combler ce manque à l’utilisation massive et mystique d’un Islam identitaire et néo-féodal.

Dans tous les cas, l’émergence d’un islamisme « néo-romantique » des décombres de l’État islamique semble inévitable ; dans les faits, la scission est déjà faite et l’affrontement idéologique existe depuis deux ans déjà. La guerre d’interprétation entre la thèse de « l’épreuve » et celle de la « punition divine » ne peut qu’aboutir à une scission déjà réalisée dans les faits.

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Société

La question du retour en France des soldats français de Daech

Le retour en France de plus d’une centaine de membres de l’État islamique est considéré par l’État comme un devoir juridique. Cela pose une multitude de problèmes : moraux, juridiques, politiques, avec à l’arrière-plan le fait que la France n’a jamais assumé que l’islamisme était politique. Les conséquences sont incalculables.

Les islamistes faisant des attentats en visant des personnes au hasard sont des criminels, c’est une simple évidence. Mais leur criminalité ne relève pas de la tuerie spontanée ; elle est au contraire le fruit de longues réflexions, d’innombrables analyses, au service d’un projet politique sur une base religieuse.

L’État français a bien entendu toujours su cela. Il a considéré toutefois qu’en raison de l’importance de l’immigration depuis des pays musulmans, il fallait étouffer cette dimension. Ainsi, les islamistes des années 1990 ont été frappés par une justice les considérant comme des mafieux, quand ils n’ont pas été tués de manière extra-légale. Qu’on dise que Khaled Kelkal mérite la peine de mort est une thèse qui peut se tenir, mais en attendant il n’a pas été arrêté : il a été exécuté par les forces de l’ordre.

De la même manière, les tueurs de Charlie Hebdo, pour qui il ne s’agit pas d’éprouver une quelconque sympathie, auraient pu être arrêtés. Repliés dans une imprimerie entourée de forces armées, ne comptant pas se suicider… Il aurait été facile de les épuiser, d’utiliser des gaz, etc. L’État français n’a eu cependant aucunement l’intention de se coltiner un procès ultra-médiatisé avec des activistes d’Al Qaeda.

Après les attentats sur le territoire français de l’État islamique, l’État français a envoyé des soldats spéciaux en Irak et en Syrie afin justement d’en liquider les participants. La révélation de cela par François Hollande alors président de la république avait fait scandale alors. Avec l’effondrement de l’État islamique, cela ne suffit cependant plus. L’État français risque de se retrouver avec plus d’une centaine de combattants.

La logique voudrait qu’ils soient jugés pour leurs crimes en Irak et en Syrie. D’ailleurs le peuple français ne veut plus d’eux : ils ont choisi le meurtre et l’horreur avec un sentiment de toute puissance dans un autre pays, ils doivent en payer le prix. Et puis comment les juger en France pour des actes commis si loin, comment établir les faits ? Le peuple français considère de toute façon qu’il n’y a pas à chercher et qu’ils ont choisi un camp si criminel que la justice doit être brève, expéditive.

Seulement, évidemment, l’État français est pris à son propre rôle et veut récupérer « ses » citoyens, comme si les combattants de l’État islamique étaient des touristes perdus lors de leurs vacances. L’État français applique ici, de manière mécanique, sa conception « républicaine ». C’est absolument intenable et c’est la porte ouverte à une instabilité générale pour le Droit en France.

Une réponse de Gauche à cette instabilité ne pourra pas être de l’angélisme, de la naïveté ou une lecture infantile de l’islamisme. Ce serait une trahison du principe de Justice. La lettre ouverte au président de la République, écrite par Albert Chennouf-Meyer, père d’Abel, assassiné par Mohammed Merah, est à ce titre plein de dignité. « Mon avenir est derrière moi, je mettrai tout en œuvre pour éliminer les assassins de mon fils (…). L’État, l’armée, la république a oublié ses enfants, moi, je n’oublie pas mon fils ! »

Il n’est personne dans le peuple pour ne pas savoir que ce sont là des paroles correspondant à une exigence fondamentale de vérité et de justice.

Lire également : Lettre ouverte à Monsieur le président de la république, Emmanuel Macron, par Albert Camus-Meyer

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Lettre ouverte à Monsieur le président de la république, Emmanuel Macron, par Albert Chennouf-Meyer

Cette lettre ouverte a été publiée sur Facebook par Albert Chennouf-Meyer, père d’Abel, assassiné par Mohammed Merah il y a 7 ans.

Lettre ouverte à Monsieur le président de la république, Emmanuel Macron.

Monsieur le président, vous allez dans les semaines à venir décider, à moins que c’est déjà fait, faire revenir 130 djihadistes français dont une partie, ont les mains rouges du sang de nos enfants.

Je tiens à m’élever de toutes mes forces contre cette criminelle décision.

Vous n’êtes pas sans savoir que parmi les #islamistes de retour, qu’il y a des individus qui ont contribué à aider le terroriste musulman #MohamedMerah, l’assassin de sept innocentes personnes dont 3 enfants de moins de 8 ans ainsi que mon fils, Abel, alors âgé de 25 ans.

Je pense plus particulièrement au retour de Quentin le Brun, originaire du #Tarn.

Je vous demande solennellement de surseoir à cette décision, voire de refuser leur retour et les confier à la Syrie, pays souverain et apte à les juger.

Monsieur le président, Le 15 mars, je commémorerais le 7ème anniversaire de la disparition tragique de mon fils et je « fêterais » mon 67ème anniversaire par la même occasion.

Je jure sur l’honneur, sur la mémoire d’#Abel, mon enfant arraché très tôt à la vie à cause des préceptes arriérés d’une secte, que je ne resterai pas inactif.

Mon avenir est derrière moi, je mettrai tout en œuvre pour éliminer les assassins de mon fils. Je n’ai plus rien à perdre, l’islam m’a enlevé un fils, je ne peux pas laisser vivre paisiblement les complices de l’assassinat de mon fils de retour 7 ans après leur forfaiture. S’il faut le tuer, je le ferais !

L’État, l’armée, la république a oublié ses enfants, moi, je n’oublie pas mon fils !

Je suis sain de corps et d’esprit et je jure sur la Sainte Bible, que j’exécuterais le contrat que j’ai susurré à l’oreille de mon fils avant qu’on ferme son cercueil !

Tous les matins, ma famille affronte la question de mon petits-fils, #Éden, né après la mort de son père, qui nous demande « où est-ce qu’il est son papa ?» !

Monsieur le président, votre devoir premier selon la constitution, est de protéger le peuple. Je ne vous demande rien d’autres que d’empêcher ce barbare de revenir dans le pays qui l’a vu naître et dont il a contribué à tuer plus de 250 concitoyens.

Respectueusement Monsieur le Président !

P.S : Mes avocats, Maîtres Béatrice Dubreuil et Frédéric Picard seront informés de cette initiative, qui est personnelle et individuelle !

J’ai déposé un exemplaire de cette lettre sur le site de la Présidence.

Aldebert Camus-Meyer

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Société

Où en est le meurtrier « État islamique » ?

Les attentats sanglants en France ont profondément marqué les esprits, et pourtant l’État et les médias en France font comme si la question de l’État islamique était réglée. Tout comme « Je suis Charlie » a été effacé des marqueurs culturels, une réflexion critique sur le fanatisme religieux est censée passer à la trappe. Or, l’évolution de l’État islamique laisse entrevoir une contribution future directe et indirecte de celui-ci à la confusion et au meurtre.

L’État islamique a disposé d’un grand prestige dans une partie significative des musulmans du monde, pour une plusieurs raisons très simples :

– il proposait un « retour » fictif à des mœurs datant de l’époque suivant immédiatement l’émergence de l’islam ;

– il proposait un « retour » à une base territoriale considérée comme le patrimoine « naturel » de l’islam ;

– il concrétisait la nécessité dans la religion musulmane de vivre sous un califat.

Quelle que soit l’interprétation de l’islam des musulmans sunnites, ils ne pouvaient que considérer que ces points avaient au moins une certaine valeur. L’État islamique n’est cependant plus en mesure de conserver intact ces promesses à la communauté musulmane mondiale.

À son apogée, l’État islamique revendiquait 35 wilayas, c’est-à-dire des provinces. 19 se trouvaient en Syrie et en Irak, 16 dans d’autres pays. Le terme sous-entendait une idée d’administration et l’État islamique menait une intense propagande médiatique pour souligner sa capacité d’organisation étatique au niveau local et régional. Désormais, l’État islamique ne revendique plus pour l’Irak et la Syrie que la Wilayat al-Sham et la Wilayat al-Iraq. Les trois provinces qu’il revendiquait en Libye ont également été condensées en une seule.

Dans le Sinaï, l’État islamique est très fortement actif, bien plus que les groupes alignés sur Al Qaïda, comme le Jamaat Jund al-Islam, mais ses perspectives sont bloquées par l’État égyptien, dans une région de toute façon isolée. En Afghanistan, il réalise encore des attentats comme à Kaboul et dispose d’une petite enclave dans le Khorasan, mais il reste absolument marginal comparé aux Talibans qui allient de leur côté un discours islamiste combiné à un patriotisme très affirmé excluant toute perspective mondiale à court terme.

En Arabie Saoudite et en Algérie, l’État islamique ne semble plus véritablement actif. Le territoire gagné au Nigéria en mars 2015 a été perdu dès août 2016 et qui plus est son dirigeant, celui de la Jamaat Ahl al-Sunnah lil-Dawa wa al-Jihad (connu comme « Boko Haram »), a fait sécession, ce qui aboutit à des affrontements internes alors que l’État islamique tente de se maintenir dans le nord-est du Nigéria et autour du lac Tchad.

Rappelons ici qu’au Mali, la grande offensive islamiste avait été menée non pas par l’État islamique, mais Al Qaïda, encore active surtout avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Il y a désormais 12 000 soldats de l’ONU actifs, 4500 Français pour l’opération « Barkhane », alors que l’État malien dépense désormais 23% de son budget pour son armée.

Et c’est là que le problème commence à se poser justement. L’État islamique a échoué dans sa perspective territoriale, que justement Al Qaïda considérait comme impossible à mener. L’échec de l’un va profiter au second. Non seulement l’État islamique, dans son effondrement, va continuer à semer la confusion et le malheur, jusqu’à son extinction… mais son échec va profiter à son concurrent direct, qui lui raisonne en termes de terrorisme mondial.

A l’ultra-centralisme de l’État islamique – tout est décidé par le noyau dur, de manière absolue – va succéder une relative décentralisation du terrorisme islamiste, par Al Qaïda. Qui plus est, Al Qaïda raisonne en termes de cadres, et non pas en termes de recrutement rapide de personnes en rupture. Cela pose donc une menace terrible pour le futur.

Il serait en effet absurde de considérer que, malgré l’absurdité des religions en général et l’échec de l’islam à réaliser un projet social positif (que ce soit avec l’Arabie Saoudite wahhabite ou l’Iran chiite, deux théocraties, ou bien l’Algérie militaro-musulmane actuelle, la Libye et le « livre vert » de Kadhafi, l’État islamique, etc.), il ne reste pas le romantisme. En fait, il ne restera justement plus que ce romantisme ! Et il y a là matière à beaucoup d’irrationalisme, y compris meurtrier.