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Lutte ouvrière en faveur de la «PMA pour toutes» et de la collectivisation des enfants

Le débat sur l’extension de la PMA a fait ressortir les vieilles idées d’ultra-Gauche et la position de Lutte ouvrière est ici très croustillante. Il y a à la fois la défense de la « PMA pour toutes », simple choix individuel car la famille serait un préjugé bourgeois et un prolongement intellectuel allant jusqu’à prévoir un avenir où les enfants sont éduqués collectivement.

La Gauche historique veut prolonger le cadre développé par le passé et c’est pourquoi elle n’a jamais rejeté la famille comme forme historique. Ce n’est pas le cas des courants « avant-gardistes », telle l’Union communiste (trotskyste), connue sous le nom de Lutte ouvrière, qui rejette formellement le mariage comme institution.

Pour cette raison, elle ne voit aucune raison de s’opposer à la « PMA pour toutes » :

« La famille telle que la décrivent les adversaires de tout progrès dans les mœurs, papa, maman et les enfants, n’a jamais existé que dans leurs manuels de morale ou d’éducation civique. Elle correspond aux rapports de propriété et d’héritage institués par la bourgeoisie, mais certainement pas à son comportement. L’adultère est en effet le pendant du mariage bourgeois (…).

Dans sa longue histoire, l’humanité a connu bien des formes sociales et bien des organisations familiales. Elle a aussi connu, et c’est heureux, nombre de progrès scientifiques et médicaux.

À quel titre en priverait-on les femmes qui veulent porter et élever un enfant seules ou en couple homosexuel ? D’autant que la vie, bonne ou mauvaise, fait que c’est déjà le cas de millions de femmes.

Il n’y a pas de forme de famille naturelle, pas plus qu’il n’y en a d’idéale, et l’important n’est pas tellement de savoir comment on fait les enfants que comment on les élève (…).

Une société débarrassée de la propriété privée en finira aussi avec la famille bourgeoise, le pouvoir d’un individu sur un autre, celui de l’homme sur la femme, du géniteur sur la progéniture, et éduquera collectivement tous ses enfants.

Les sinistres débats d’aujourd’hui seront alors oubliés depuis longtemps. »

Ce point de vue est totalement absurde, mais Lutte ouvrière ne l’enlèvera jamais de son site et pas seulement parce qu’il a été publié dans la version papier. On est là en effet dans la plus pure tradition de l’ultra-Gauche trotskyste.

Cela surprendra beaucoup de gens pensant connaître Lutte ouvrière, mais c’est qu’ils n’ont pas compris qu’il y a un discours général d’un côté, des précisions détaillées de l’autre (comme le fait de rejeter la Résistance armée anti-nazie de la Seconde Guerre mondiale, car les soldats Allemands étaient des « prolétaires en uniforme »).

Il est vrai que c’est compréhensible qu’ils aient ce double discours : comment en effet expliquer aux gens qu’ils ont tort sur absolument tout dans leur existence, que l’amour n’existe pas et que leurs enfants ne le sont pas ?

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Extension de la PMA : l’absence d’une opposition de gauche à l’Assemblée nationale

Le débat parlementaire sur le projet de loi bioéthique est très intense, avec pas moins de 587 amendements déposés sur l’article premier concernant l’extension de la PMA. Au lieu d’être à l’avant-garde de l’opposition, la « Gauche » représentée à l’hémicycle se fait l’accompagnatrice forcenée du libéralisme – ce sont d’autres forces qui, malheureusement, s’accaparent et détournent les valeurs qu’elle devrait porter.

Ce sont surtout la Droite et l’extrême-Droite qui mènent l’opposition à l’extension de la PMA. C’est là quelque-chose de terrible car cela renforce leur hégémonie culturelle sur la société française et leur apparente crédibilité aux yeux des classes populaires.

Il ne faut pas être dupe ici : si beaucoup de Français n’étaient jusque-là pas opposés à l’extension de la PMA, car ils sont très perméables au libéralisme, ce n’était pas pour autant un soutien engagé. Mais quand on rentre au cœur du sujet, quand les vraies questions sont posées, alors les arguments contre la PMA touchent largement la population et tout le monde le sait.

Marine Le Pen s’en donne donc ici à cœur joie pour apparaître démocratique, s’accaparant la morale populaire, rappelant des choses fondamentales : « on ne peut pas naître de deux mères » et le projet de loi revient à « mettre en place un mensonge légal » en faisant croire qu’il n’y a plus de père.

La députée RN se paye même le luxe de préciser qu’elle pense que deux femmes peuvent très bien élever un enfant, ainsi que deux hommes – il faudrait effectivement être très réactionnaire et pétris de certitudes conservatrices pour penser l’inverse.

On a dans le même genre les propos du député Joachim Son-Forget, une personnalité très complexe, brillante mais tourmentée, qui penche vers la Droite. Rappelant avoir apprécié le discours de Marine Le Pen soutenant « l’intérêt premier de l’enfant », il explique alors :

« Les faits sont tenaces. Je ne peux pas entendre que la biologie n’existe pas et que seul l’environnement compte. Je sais que j’ai les yeux bridés, que j’ai une couleur de peau qui fait que quand je croise des Coréens, ils me reconnaissent, étant d’origine coréenne.

Je sais qu’au fond de moi, je suis probablement un bon Haut-marnais, bien de ma campagne haut-marnaise. C’est tout cela qui cohabite en moi. Donc, on ne saurait nier l’un, pour accepter l’autre. Les faits sont vraiment tenaces. »

C’est la même rengaine anti-PMA du côté de la Droite traditionnelle, qui explique en long, en large et en travers en quoi tout cela mène évidemment à l’autorisation de la GPA. Le député LR Arnaud Viala a par exemple reproché au gouvernement et à la majorité de « mentir aux Français », tellement le projet de loi porte en lui « une ouverture presque immédiate » de la GPA.

Rien de tout cela chez les députés liés à la fausse Gauche, celle qui est post-industrielle et post-moderne, qui a pour seul horizon d’accompagner le libéralisme prenant le masque du « progrès » et des « droits ». Des socialistes ont même déposé des amendements réclamant l’autorisation de la PMA post-mortem, alors que le PS a de son côté produit un communiqué pour dénoncer les opposants :

« Celles et ceux qui s’opposent à ce texte continuent malheureusement d’ignorer les familles homoparentales qui vivent dans notre pays et de s’opposer aux droits des femmes. »

Il y a même des fous furieux qui veulent pousser encore plus loin le projet en prônant l’ouverture de la PMA à des soi-disant « hommes transgenres ». Cela aboutirait donc à ce que des personnes ayant voulu être identifiée comme « homme » à l’état civil deviennent… mère !

On nage en plein délire, mais c’est pourtant très sérieusement que cela a été discuté en commission, sous la présidence de l’ancien socialiste Jean-Louis Touraine. Il y a également des propositions de fécondation in vitro dite ROPA, c’est-à-dire le fait de féconder l’ovocyte d’une des femmes d’un couple lesbien puis de faire porter l’enfant à l’autre femme, histoire de faire comme s’il y avait vraiment « deux mamans »…

Ironie du sort, c’est du côté de La République en marche qu’il faut se tourner pour trouver un propos sérieux ayant un minimum de dimension. Ou plutôt, ex-LREM, car la députée Agnès Thill a été exclue du mouvement en juin suite à ses prises de positions allant «  à l’encontre de la Charte et des valeurs inclusives du Mouvement ».

On notera ici qu’avant d’atterrir chez Emmanuel Macron, elle a été membre du Parti socialiste dans les années 1980 et qu’elle est fille d’ouvrier. Ce qu’elle dit dans l’extrait ci-dessous, c’est exactement le genre de propos que devraient avoir des députés vraiment à Gauche, pour s’opposer à l’extension de la PMA :

« Votre loi, Madame la Ministre, est criminelle. C’est souffrance contre souffrance. Il ne faudra pas dire « cette France-là a été humiliée ». Votre loi, c’est s’offrir un être humain. On ne s’offre pas un être humain, Madame la Ministre. Un être humain n’est ni un objet, ni un projet, ni une promesse de campagne.

Loin d’abolir les inégalités, votre loi les aggrave. Votre loi soulève des questions de marchandisation du vivant, d’eugénisme, de sélection, le dévoiement du sens de la médecine et la voie du design de l’enfant parfait « comme nous le voulons » que vous déverrouillez. Au delà des bornes, il n’y a plus de bornes.

Ce n’est pas le droit qui refuse un enfant à ces femmes, c’est la biologie. Il n’y a ni discrimination, ni inégalité et vous le savez très bien. L’affirmer à longueur de média c’est mentir et manipuler l’opinion. La liberté si fièrement revendiquée n’est qu’une liberté de consommateurs. Des Français accèdent au hard-discount reproductif, qu’il faudra reconnaître en France.

Si la PMA, la congélation ovocytaire, le DPI, la recherche sur embryon, si tout cela existe, c’est aussi parce qu’elle enrichit médecins, généticiens, biologistes, patrons de start-up, juristes, avocats, banquiers en sperme et en ovule. Et vous faites semblant de ne pas le voir !

Aidez l’autre, voyez-vous, et vous le savez, c’est l’aider à accompagner ses limites. C’est l’aider à accepter ses limites et vivre avec. Ce n’est pas dépasser le possible humain. On ne peut décemment pas destituer la figure paternelle au motif que des nouvelles familles apparaissent. »

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Société

Quelques questions à Martine Segalen, ethnologue opposée à la GPA

L’examen du projet de loi bioéthique, qui inclut l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, a commencé ce mardi 24 septembre à l’Assemblée nationale. Nous avons posé quelques questions à Martine Segalen, spécialiste de la sociologie de la famille, connue pour son engagement féministe contre la GPA et s’interrogeant sur l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de lesbiennes.

Martine Segalen est professeure émérite à l’université de Paris Nanterre et membre du LASCO (Laboratoire d’analyses socio-anthropologiques du contemporain). Elle a dirigé la revue Ethnologie française et a publié plusieurs ouvrages parmi lesquels A qui appartiennent les enfants ?, Eloge du mariage ou Sociologie de la famille (9e edition avec Agnès Martial)

– Pour quelles raisons avez-vous émis des réserves à l’extension de la PMA ?

« Il y a 50 000 raisons, mais ce que j’avais mis en avant et qui me frappait, c’est que l’État fabrique un enfant sans père, ce qui est assez fort du point de vue du droit. Par ailleurs, le grand problème est celui de la dérive vers la technicisation du corps humain, sujet que Sylvianne Agacinski (auteur de L’Homme désincarné [2019], NDLR) a bien traité. Mais, j’ai le sentiment que lutter contre la PMA n’a pas de sens, car on voit bien que c’est un projet politique qui va se faire. Là où vraiment on essaiera de retrousser ses manches, c’est pour l’étape d’après, la GPA. »

– Vous avez affirmé récemment que la procréation est devenue un marché et que cet élargissement de la PMA pourrait être utilisé pour demander l’accès à la GPA au nom de l’égalité. Vous voyez un lien direct entre PMA et GPA ?

« En effet, il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas s’en rendre compte avec les matraquages médiatiques récents, qui nous expliquent toujours que la GPA c’est merveilleux et qu’on fait ça dans les meilleures conditions et que les enfants sont très heureux. D’ailleurs le bonheur des enfants n’est pas en question, c’est quand-même leur mode de production qui pose question. »

– Pensez-vous que l’extension de la PMA va bouleverser les modèles familiaux ?

« Je ne dis pas que c’est un bouleversement du modèle familial, je reconnais que maintenant il y a énormément de formes familiales. Un modèle familial unique d’ailleurs, il n’y en a jamais eu. Au cours du temps, les modèles familiaux comme vous dites sont extrêmement divers et depuis que la famille change, avec le divorce, les recompositions familiales, le non-mariage, etc., il y a longtemps que tous les sociologues sont d’accord pour dire qu’il n’y a pas de définition unique de la famille et que le modèle dit bourgeois a disparu.

On pouvait tenir le discours du bouleversement dans les années 1980 ou 1970 en se référant aux années précédentes, mais depuis il y a eu suffisamment de changements familiaux pour dire qu’il n’y en a pas.
Par ailleurs, le fait de faire élever des enfants par deux personnes du même sexe, ce n’est pas du tout non plus un bouleversement familial. J’ai déjà écrit cela depuis longtemps, quand on travaillait sur les grand-parents. Jean-Paul Sartre et tant d’autres gens ont été élevés par une grand-mère et une mère, une mère et une tante, etc. Je récuse donc les mots de bouleversement familial. Pas plus que le mariage pour tous, je ne pense pas que cela va bouleverser la société. »

– L’opposition à la PMA est surtout le fait de mouvements liés à la Droite et aux catholiques. Selon vous, pourquoi la Gauche a-t-elle abandonné ces thèmes ?

« J’ai lu cela quelque part : ce sont des procréations médiatiquement assistées ! C’est-à-dire que les médias n’arrêtent pas depuis des années de travailler l’opinion, les mouvements LGBT nous montrent que c’est normal, que c’est un progrès, qu’il y a eu l’évolution depuis la famille patriarcale jusqu’à l’homoparentalité, tout ça c’est des progrès. Discours donc soutenus par la gauche qui réfute toute critique ou repousse toute contestation.

C’est vrai que c’est plus de liberté, ce sont des libertés nouvelles, des occasions, des opportunités ouvertes bien entendu aux couples homosexuels femmes pour l’instant. Donc, s’il y a plus de libertés, c’est un progrès ; c’est vrai que c’est un progrès pour ces couples-là mais est-ce que ça veut dire qu’on est « progressiste » ? Quand on est de gauche, on est forcément progressiste, donc les autres sont forcément réactionnaires. Ainsi la gauche a du mal à se placer à contre-courant, même s’il existe quelques paroles courageuses.

Cependant, il y a des murmures, qu’on n’entend guère mais par exemple, j’ai surtout travaillé dans le cadre d’actions contre la GPA et il y a des gens qui sont écolos qui pensent que PMA, puis GPA, sont tout à fait contraires aux valeurs du mouvement écologiste. Mais pour l’instant, si on est de gauche et qu’on dit qu’on est contre la PMA, on va être mis au banc de la société de gauche et de la société des médias.

J’ai fait tout un travail, qui n’est pas publié, sur Le Monde et les articles du Monde dans les années 1980. C’était au moment de la naissance de la petite Louise Brown, d’Amandine et de toutes les avancées technologiques en matière de reproduction. Il y avait une prise de parole dans le Monde qui était très forte de la part de médecins, de philosophes qui en tout cas posaient des questions en termes philosophiques et éthiques, qu’on n’entend absolument plus aujourd’hui. C’est très curieux et maintenant il n’est plus question que de répondre aux désirs puisqu’on peut les satisfaire. »

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Des familles face aux dealers devant une école de Saint-Denis

Les télévisions ont relayé ces derniers jours l’initiative de parents contre les trafiquants de drogue à Saint-Denis, au nord de Paris. Ce sont surtout des mères de famille qui ont repris avec la rentrée la chaîne humaine qu’elles constituent chaque jour devant l’école de leurs enfants, pour la protéger symboliquement. Le trafic de drogue y est en effet un véritable fléau, qui pourrit littéralement la vie des habitants.

L’intrusion de dealers dans le groupe scolaire l’Ermitage-Balzac-Hugo le 13 mai dernier a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. L’école est en effet située entre deux « fours », c’est-à-dire des points de vente très fréquentés, pour ainsi dire quasiment des supermarchés de la drogue, ou plutôt des drives où les clients ne font que passer rapidement.

Cela fait déjà des années que la ville de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis, le fameux département 93, est ravagée par les trafics de drogue ainsi que tout un tas de comportements anti-sociaux. Le trafic y est tentaculaire, il s’insinue partout comme le rapporte une habitante. La ville est aux portes de Paris, relativement accessible, alors les clients parisiens viennent s’y approvisionner en masse.

Le trafic se fait à ciel ouvert, au vu et su de tout le monde. Les plus jeunes, qui officient en tant que simples guetteurs dont le rôle est de crier « ça passe », disent gagner 80 euros par jour. Ce commerce est complètement ancré dans la vie locale et son tissu économique et social.

Pour autant, il n’y a rien de véritablement organisé et c’est un véritable chaos qui règne dans ces quartiers gangrenés par le trafic et les comportements mafieux, soumis à une concurrence sauvage entre les différents « fours ».

On comprend alors que les familles en ont ras-le-bol, surtout quand le trafic s’insinue dans l’école du quartier, en pleine journée. Les propos du collectif « Coup de balai à Saint-Denis – Bien vivre à Saint-Denis 93 » sont ainsi très dures, mais aussi très justes :

« Nous sommes des parents, enseignants, habitants du quartier Delaunay-Belleville-Sémard à Saint-Denis (93) bien décidés à récupérer notre espace public envahi par la drogue et les dealers et à lutter pour plus d’égalité dans tous les domaines. »

Il faut s’imaginer ici que les gens sont venus chercher leurs enfants à l’école et ont vu la police armée dans l’établissement. Les élèves avaient été confinés dans les classes le 13 mai dernier (selon le même protocole qu’en cas d’alerte attentat), alors que des individus liés au trafic s’étaient introduits dans l’établissement parce que poursuivit par la police.

Trente grammes de résine de cannabis (l’équivalent de 100 euros de marchandise) ont été découverts quelques jours plus tard, alors que ce n’était pas la première fois que de la drogue était retrouvée dans le groupe scolaire.

Il est très intéressant d’écouter ici ce reportage diffusé mardi sur France culture, qui prend le temps de donner la parole aux habitants, y compris aux jeunes liés au trafic :

Le portrait de la ville qui y est dressé est vraiment saisissant. Une telle situation est absolument inacceptable et on se dit que, si cette chaîne humaine est un geste évident de dignité populaire, c’est bien la moindre des choses. Comment ne pas vouloir prendre la fuite, plutôt ? À moins de ne pas pouvoir partir, d’être coincé là…

On ne peut qu’être saisi d’effrois en entendant cette personne rapporter les propos du commissaire, disant que ce n’est pas son problème et que de toutes façons les gens sont complices, eux-mêmes étant consommateurs et peu enclins à aider la police. Quel triste panorama.

Il faut dire ici la faillite terrible du PCF, qui gère cette ville de 111 000 habitants depuis plus de cent ans (hormis quelques années où les maires PCF Jacques Doriot puis Marcel Marschall sont passés sous l’égide fasciste du PPF). Le premier maire SFIO, Gaston Philippe, y a été élu en 1912. C’était un bastion ouvrier, c’est devenu une zone de non-droit.

Il serait trop facile cependant d’incriminer simplement le « 93 ». Si le trafic de drogue existe ainsi dans cette excroissance sombre de la grande métropole capitaliste parisienne qu’est Saint-Denis, c’est parce que la drogue est aussi présente partout ailleurs. Il n’y a pas de trafic à Saint-Denis sans des centaines de milliers de consommateurs à Paris et dans toute l’Île-de-France, comme partout ailleurs dans le pays.

Ce devrait être le rôle de la Gauche, l’un de ses grands combats, que de rejeter fermement la drogue en la combattant culturellement et socialement. Seulement, il faut pour cela accepter d’en finir avec le libéralisme, cette idéologie bourgeoise qui fait qu’on considère que chacun a le droit de faire ce qu’il souhaite, qu’il doit se voir respecté en tant qu’individu, en fait en tant que consommateur.

La véritable Gauche, celle de la classe ouvrière, du mouvement ouvrier, n’accepte pas ce libéralisme. Le combat culturel et social contre la drogue est alors une évidence. C’est une condition indispensable pour reconquérir des endroits comme Saint-Denis, en refaire des bastions populaires, des places fortes de la Gauche en région parisienne.

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Les Français se sont réduits au travail, à la famille, à la patrie

Ulysse et les sirènes

On peut parler comme on le veut sur l’État français, dire qu’il est laïc, qu’il pratique l’égalité des droits, qu’il préserve la liberté, qu’il maintient la fraternité, etc. En attendant les Français sont ce qu’ils sont et leur horizon est terriblement restreint.

Le capitalisme vend beaucoup de rêves et quand on y croit, on rêve littéralement sa vie. Mais au quotidien, c’est le terre-à-terre qui l’emporte et les intérêts des Français ne vont pas bien loin. Déjà pour eux leur travail est une part énorme de leur identité, c’est-à-dire qu’ils ne conçoivent pas vraiment qu’ils vendent leur force de travail pour vivre. Ils le savent, ils le vivent, cela les insupporte, mais leur travail reste leur identité tout de même, sans réel recul. Le taux de syndicalisation en France est pour cette raison très restreint.

À côté de cela, il y a la famille. Bien entendu, fonder une famille fait partie du sens de la vie. Mais le sens de la vie ne s’y restreint pas, il y a aussi les arts, la culture en général ; il y a l’épanouissement des sens, le progrès intellectuel, l’admiration devant la nature, la joie fascinée devant les animaux, etc. Les possibilités du monde moderne sont d’ailleurs ici énormes, et pourtant que voit-on ? Que le repli sur le noyau familial est resté quelque chose de très présent, pour ne pas dire qu’il a tendance à prendre un côté clanique.

S’il n’y avait d’ailleurs pas le capitalisme pour faire imploser les familles ainsi que les couples, les gens en retourneraient pratiquement au patriarcat. Pour caricaturer, la France est constituée de gens refusant totalement le couple, la famille, ou bien de gens résumant leur vie à une forme de couple, de famille, particulièrement replié sur eux-mêmes. Exagéré ? Il suffit de regarder autour de soi.

Et il y a la patrie. Les Français ne sont pas des Suédois ou des Américains : ils ne mettent pas des drapeaux nationaux partout et ne se mettent pas en rage ou en pleurs si on critique leur pays. En revanche, il leur faut leur crise régulière de chauvinisme. S’il n’ont pas leur petit triomphe national, leur petite réussite napoléonienne parvenant à la tête de l’actualité de temps en temps, ils sont très mécontents.

Autant dire que non seulement tout ce panorama n’est pas terrible, mais qu’en plus il imprègne la société de valeurs réactionnaires. Il y a ainsi un substrat particulièrement nocif sur les idées de Gauche. Comment veut-on qu’il y ait une utopie qui s’affirme chez des gens ayant réduit tout leur horizon au noyau familial ? Comment veut-on qu’un esprit de collectivité s’installe – et il devrait s’installer de manière naturelle – chez des gens qui confondent leur existence personnelle et leur soumission individuelle à leur employeur ?

Hiver - Nuit - Vieillesse et mort, Caspar David Friedrich

Il est évident que la Gauche fait face à des obstacles culturels gigantesques. Alors, bien sûr, on peut faire comme les anarchistes, et casser parfois en manifestations ou se replier sur une ZAD. C’est toutefois de l’existentialisme, pas de la politique, et encore moins de la culture. D’ailleurs, qu’ont produit les anarchistes depuis une décennie, sur le plan culturel ? Strictement rien. Au moins, dans les années 1960 il y avait Léo Ferré et être anarchiste, c’était au moins être un peu snob, un peu exigeant sur le plan de l’autonomie des idées. Mais là, franchement, qu’y a-t-il ? Que les anarchistes aient considéré qu’il fallait se précipiter chez les gilets jaunes en dit assez long.

Oh, argumentera-t-on, n’est-ce pas le cas d’une partie de la Gauche ? Oui, c’est vrai et c’est malheureux. La majorité de la Gauche cependant n’a pas concrètement soutenu les gilets jaunes ; seule une partie s’est prononcée pour, voire a participé au mouvement. Et c’est une grave preuve de désorientation culturelle. Que le Parti socialiste soit obligé d’aller chercher Raphaël Glucksmann est un exemple assez pathétique de cela, justement. Comme si la Gauche n’était pas capable d’apporter des idées nouvelles, des gens nouveaux, comme si elle devait aller chercher ailleurs de quoi pouvoir exister.

Ce que fait Raphael Glucksmann justement, on peut le noter, est la même chose que ce qu’Emmanuel Macron a fait avec François Hollande. Être de gauche, mais pas vraiment, se présenter comme techniquement très utile, même si on n’a aucun parcours à Gauche et que philosophiquement, on ne sache même pas ce que c’est… Et l’on croit qu’avec Raphael Glucksmann, on va être capable de se confronter aux valeurs réactionnaires de la France profonde ? C’est tout simplement impossible.

Après, c’est une question d’objectif et d’analyse de la réalité. Si l’on pense que le capitalisme est indépassable et qu’aucune crise ne peut ébranler la France, alors soit. Si on a conscience toutefois de la gravité historique de la situation, si on sait qu’on a un tournant, il ne faut pas tergiverser. Il faut travailler, travailler et encore travailler.