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Écologie

La photo terrifiante de Jacques Chirac et du petit cochon

C’est une photo banale pour l’époque, celle d’une figure politique mise en scène dans un contexte relevant d’une activité économique concrète. Pourtant, il y a tout dedans de l’horreur d’une époque, de la banalité sordide du mépris de la vie le plus grand qu’il soit. La photographie aujourd’hui encore ne choquera pratiquement personne. Là est le fond du problème.

La mort de Jacques Chirac a été un prétexte pour l’État pour saluer sa vie, ce qui est cohérent. Mais qu’il n’est pratiquement pas été dénoncé comme une figure minable des hommes politiques sans foi ni loi et purement à la solde de la grande bourgeoisie, comme un beauf pavoisant au salon de l’agriculture, cela est fou.

> Lire également : Jacques Chirac : un horrible bonhomme

Il y a même ces tentatives bien orchestrées d’en faire une figure à la fois passée et branchée, une sorte de hipster avant l’heure, comme ces comptes « Fuck Yeah Jacques Chirac » sur Tumblr et Instagram.

L’une des photos qu’on y voit dit à peu près tout. Les mots-clefs de la personne qui ont mis l’image sont pathétiques, mais cela n’est rien en comparaison au caractère terrifiant de ce qu’on lit dans la photographie.

Qui ne voit pas le petit cochon si jeune et tellement apeuré, qui ne voit pas la saleté, le métal, ne saisit pas l’enfermement dans un espace réduit jusqu’à acquérir une dimension relevant de l’enfer – qui ne voit pas cela ne sait pas regarder les choses en face.

La personne aux côtés de Jacques Chirac est évidemment pour beaucoup dans l’impact de l’image. Sa manière nonchalante de tenir le petit cochon, son air de regarder ce qu’on devine un animal en souffrance complète – la mère, ne pouvant sans doute même pas se déplacer ni même remuer, comme c’est la norme aujourd’hui encore… tout cela fait deviner l’entrepreneur sûr de son bon droit et tout à fait satisfait de lui-même.

Ces gens sont un cauchemar, cette photo est un cauchemar, ce monde est un cauchemar. Jacques Chirac est un parfait exemple d’administrateur d’un tel cauchemar, d’un accompagnateur de l’infamie contribuant à présenter les choses comme normales, comme ayant toujours été ainsi, comme vraies.

Dire que même le porte parole du Parti socialiste a salué à la mort de Jacques Chirac, l’homme du « terroir », ce terme dont la dimension pétainiste devrait pourtant sauter aux yeux de quiconque est à Gauche.

Car il n’est pas de neutralité. La seule chose qui soit vraie, authentique, juste sur cette photographie, c’est le petit cochon ayant l’impression d’être en perdition, désorienté, si expressif – comme les animaux le sont toujours pour qui sait le voir.

Cette photographie, de par sa nature, est pratiquement le symbole d’une époque. Et cette époque est toujours la nôtre.

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Société

SUD éducation : «Minute de silence lundi en hommage à Chirac : l’indécence»

« Minute de silence lundi en hommage à Chirac : l’indécence

Compte tenu de l’actualité, les personnels auraient pu légitimement s’attendre à ce qu’une minute de silence soit observée à la mémoire de Christine Renon, directrice d’école à Pantin qui s’est suicidée sur son lieu de travail samedi 21 septembre. Il n’en sera rien.
En revanche, le Premier ministre n’a pas perdu de temps pour publier une circulaire dans laquelle il invite les personnels à observer une minute de silence en hommage à Jacques Chirac lundi à 15 heures.

La circulaire ne prévoit aucun caractère obligatoire à cette minute de silence : elle “permet” aux agent-e-s d’y participer.

Ne cédons pas à l’angélisme du moment : Jacques Chirac n’est pas le personnage sympathique que l’on veut nous présenter. C’est un homme politique aux nombreuses sorties publiques sexistes et racistes dont la carrière s’est bâtie notamment :

– sur d’innombrables malversations financières et de détournements d’argent public, qu’il s’agisse de logement social ou du système de corruption communément appelé la “Françafrique”. Il a d’ailleurs été condamné en justice pour prise illégale d’intérêt ;

– sur le sang des Kanaks : alors Premier Ministre, il porte la responsabilité directe de l’exécution par les forces armées françaises des militants Kanaks qui luttaient pour leur indépendance ;

– sur des essais nucléaires dans le Pacifique, dont les retombées sur la santé des peuples riverains ne sont toujours pas admises par le gouvernement.

Jacques Chirac était un homme dont la politique a toujours servi le capitalisme et les intérêts particuliers. Les salarié-e-s et la jeunesse lui ont opposé les deux plus grandes grèves de ces dernières années : en 2006, contre la « loi sur l’égalité des chances » (dont le contrat première embauche qui aurait précarisé encore un peu plus les jeunes), et en 1995 contre la casse du système de retraites que le gouvernement actuel ressort du placard.

Pour SUD éducation, il n’y a donc aucune bonne raison de rendre hommage à Jacques Chirac. SUD éducation appelle les personnels à ne pas respecter cette minute de silence, et rien ne peut les y contraindre. »

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Politique

Jacques Chirac : un horrible bonhomme

Jacques Chirac est décédé ce jeudi 26 septembre 2019. Il a été la grande figure de la Droite populaire : beauf et ultra-moderne dans son soutien au complexe militaro-industriel, hyper machiavélique dans son parcours politique et simpliste jusqu’à être affable. Ce Président de la République a été l’homme de la « bonne bouffe » à la vulgarité sexiste proverbiale au chevet d’une France nombriliste s’imaginant donner des leçons au monde, tout en pourrissant sur pied.

Il est des transmissions qui sont des mystères qui nous dépassent : Emmanuel Macron a été lyrique quant à la figure de Jacques Chirac, annonçant suite à son décès un jour de deuil national. Jacques Chirac aurait aimé les Français comme les Français l’auraient aimé, il aurait été une figure politique mondiale, un fin connaisseur des arts et des artistes, capable de parler aux hommes du peuple comme aux capitaines d’industrie.

Il aurait aimé la France plus que tout, fait une haute carrière politique sans jamais oublier ses « racines ». Même le Parti socialiste a salué l’homme du terroir qu’a été Chirac !

Une belle légende nationale autour d’un homme véritablement méprisé par la Gauche pendant des décennies, jusqu’à ce que les Guignols de l’info le caricaturent de manière sympathique et lui confère l’image apolitique d’un homme rond sur tous les plans, mais capable de coups de gueule à la française, voire même de panache.

Souvent reviennent d’ailleurs les références au fait qu’il a refusé de soutenir le plan américain d’invasion de l’Irak sans l’ONU en 2003, ou lorsqu’il bouscule la sécurité israélienne lors d’un bain de foule à Jérusalem, les menaçant de reprendre l’avion s’ils continuaient à le coller de trop près. Cela plaît évidemment à ceux qui aiment les rodomontades et l’arrogance à la française, ainsi que le « jeu » impérialiste très particulier de la France à l’internationale.

Mais le fait est que la Gauche ne doit avoir qu’un seul regret : que la principale figure de la Droite n’ait pas terminé en prison. Non pas tant pour ses multiples affaires – il a même été condamné, c’est dire – que pour avoir été l’un des ennemis majeurs de la cause populaire, l’un des grands obstacles à l’affirmation du Socialisme.

Car Jacques Chirac, c’est avant tout la Droite populaire, c’est-à-dire une droite portée par la bourgeoisie traditionnelle mais capable de profiter d’un véritable soutien dans le peuple, jusqu’aux ouvriers. Jacques Chirac, c’est la tête de veau comme repas, c’est l’idéologie beauf avec une telle proportion, un tel élargissement, que même le prolo de base parvient à voter à Droite en trouvant cela très bien.

Il est d’ailleurs tout à fait évident que Jacques Chirac ne rentrera nullement dans l’Histoire, mais restera une figure insignifiante de la politique française du XXe siècle. On a déjà oublié Valéry Giscard d’Estaing, autrement plus brillant et moderniste, on en oubliera que d’autant plus un carriériste dont la principale qualité aura été de savoir serrer les mains et de faire le guignol au salon de l’agriculture.

Il est vrai que les Français aiment caresser dans leur esprit l’idée que les arrivistes au pouvoir sont tout de même brillants malgré leur dimension caricaturale, qu’ils portent le pays malgré tout à des horizons de succès illuminant le monde entier. Allons donc ! C’est toute la conception de la Ve République fondée sur le Président, ce « roi élu » pour sauver le peuple tous les sept et désormais cinq ans, qui se montre ici une fable, une fantasmagorie même.

Rien que pour son propos « À nos chevaux, à nos femmes, à ceux qui les montent », Jacques Chirac méritait le plus grand mépris. Il ne restera pas dans les mémoires et le respect, le vrai respect, se mérite bien autrement !

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Politique

Mai 1968, la droite libérale et l’interruption volontaire de grossesse

C’est mai 1968 qui a permis l’irruption des débats sur les mœurs, mais on sait que c’est la logique libérale qui l’a emporté sur ce thème, comme dans bien d’autres cas. Il est intéressant à ce titre d’aborder la question de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Ce n’est en effet pas avant 1971 qu’il y a un débat général à ce sujet et cela suit bien sûr mai 1968. Sans l’arrivée des thèmes de la vie quotidienne, cela n’aurait pas été possible. Cependant, c’est la droite libérale qui a tout organisé concernant l’IVG.

Or, cela a forcément un sens. On ne peut pas être de gauche et ne pas se dire que si des gens de droite mettent en place quelque chose au nom du libéralisme, il y a au moins un problème quelque part.

En effet, lorsque l’IVG légale est mis en place en France, Simone Veil est alors ministre de la santé, Jacques Chirac le premier ministre, Valéry Giscard d’Estaing le président de la République.

Quel est ce problème ? Regardons comment les choses se sont déroulées. A la base, donc, l’IVG est interdite, mais largement pratiquée par des centaines de milliers de femmes dans des conditions le plus souvent sordides voire mortelles, sauf celles pouvant le faire à l’étranger dans des pays où c’est légal.

En 1971, donc, le Nouvel Observateur publie le 5 avril un manifeste signé de 343 femmes affirmant ayant avoir avorté, ce qui est alors interdit et amène normalement des poursuites, et réclamant la « libre-disposition » de leur corps : « Notre ventre nous appartient ».

La question de la nature de l’interruption de grossesse n’est pas abordée, sauf à un moment précis, sous la forme d’un discours sur la production :

« Les femmes, comme tous les autres producteurs, ont de fait le droit absolu au contrôle de toutes leurs productions. Ce contrôle implique un changement radical des structures mentales des femmes et un changement non moins radical des structures de la société. »

Il est évident que c’est là une manière de contourner la question de la nature, de la nature très particulière de la « production » en question ; la grossesse est considérée comme un obstacle à l’indépendance des femmes, et donc « l’avortement libre et gratuit » lui est opposé.

nombre d'IVG et de naissances depuis 1965

On est ici dans une philosophie individualiste et existentialiste et on retrouve fort logiquement Simone de Beauvoir, l’auteure de « Le Deuxième Sexe » (« On ne naît pas femme, on le devient ») comme l’une des chefs de file du mouvement.

Une fois posée cette manière de voir les choses, tout va aller très vite. 4 000 femmes – un chiffre très faible, il y a alors 1,5 million de femmes se faisant avorter chaque année – manifestent à Paris le 20 novembre 1971 à l’appel du Mouvement de libération des femmes, qui propose également un document intitulé « Matières pour une réflexion politique sur l’avortement » (qu’on peut lire ici et ).

En octobre-novembre 1972 a lieu le procès d’une femme s’étant faite avortée alors qu’elle était mineure ; elle est relaxée notamment sous l’action de l’avocate Gisèle Halimi.

Suit, publié dans Le Monde du 5 février 1973, un manifeste de 331 médecins affirmant pratiquer des avortements illégaux. Ne faisant pas référence au serment d’Hippocrate – qui historiquement rejette l’avortement – le manifeste prône pareillement « l’avortement libre ».

En 1973, l’association « Choisir », avec Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, réclament le droit à l’avortement jusqu’à 24 semaines (il est autorisé aujourd’hui jusqu’à 12 semaines).

En juin de la même année, 10 031 médecins signent un texte publié dans le Parisien Libéré pour dénoncer le manifeste des 331 médecins. On lit entre autres, avec une allusion directe au serment d’Hippocrate :

« A chaque instant de son développement, le fruit de la conception est un être vivant, essentiellement distinct de l’organisme maternel qui l’accueille et le nourrit (…).

Devant les détresses que peuvent provoquer des circonstances tragiques, le devoir du médecin est de tout mettre en œuvre pour secourir ensemble la mère et son enfant.

C’est pourquoi l’interruption délibérée d’une grossesse pour des raisons d’eugénisme ou pour résoudre un conflit moral, économique ou social n’est pas l’acte d’un médecin. »

C’est un autre existentialiste, Jean-Paul Sartre, qui répond dès le lendemain dans Libération. Constatant le refus profond dans le secteur médical en général, il affirme que « le souci principal d’une majorité du corps médical est de défendre ses privilèges ».

des milliers de femmes par an victimes de l'avortement clandestin en France

C’est alors la droite libérale qui va résoudre le conflit, en prenant le parti des existentialistes. Le richissime Jean Taittinger, chef du groupe de luxe du même nom et ministre de la justice, tient un discours à l’assemblée nationale le 13 décembre 1973 où il défend un projet de loi autorisant l’IVG.

L’association « Choisir » constate avec satisfaction que « dans ce discours, M. Tainttinger a développé tous les arguments défendus depuis des mois par notre association. »

Le 31 octobre 1974, le journaliste Bruno Frappat écrit dans Le Monde – il en deviendra par la suite le directeur de la rédaction – un article intitulé « Un projet de loi très libéral sur l’avortement sera soumis à l’assemblée. M. Giscard d’Estaing interviendra avant le débat », dont les premières phrases sont les suivantes :

« Libéraliser l’avortement tout en faisant semblant de faire le contraire. Tel était le but du projet Ségard accepté au printemps par les diverses tendances de la majorité et qui aurait sans doute été adopté par l’Assemblée nationale si la mort du président Georges Pompidou n’avait pas écourté la session parlementaire. »

Puis il est dit :

« Le projet retenu va plus ouvertement dans le sens du libéralisme que tous les précédents. Préparé par Mme Simone Veil, il n’a pu être approuvé que parce que le président de la République a fermement montré qu’il estimait le temps venu de dire les choses clairement et d’appliquer la promesse faite par lui. »

foetus du premier au neuvième mois de grossesse

L’IVG est alors autorisée par une loi adoptée le 28 novembre 1974, après 25 heures de discussions, par 284 voix contre 189. Simone Veil est alors ministre de la santé, Jacques Chirac le premier ministre, Valéry Giscard d’Estaing le président de la République.

Quel est alors le souci ? C’est que la question de la nature de l’avortement, la question morale, a été mise alors de côté devant l’urgence pour la santé des femmes.

Et en 2018, plus de quarante années après, on peut voir que l’avortement est une pratique banalisée. Le taux annuel d’IVG pour 1000 femmes de 15 à 49 ans, autour de 14-15 %, ne change plus depuis quarante ans. Pareil pour le ratio d’IVG pour 100 naissances vivantes, de 26-27 %.

Comment ne pas se dire, comme cette grande figure historique du féminisme :

« Thérèse Clerc pratiquait des avortements clandestins avant la promulgation de la loi Veil. Selon elle, les femmes qui voulaient avorter « ne prenaient en général pas de contraception, aveuglées par toutes les débilités qu’elles entendaient à l’époque, sur le fait que cela était honteux et contre-nature », raconte-t-elle à L’Obs.

Et cette militante féministe d’évoquer avec amertume la situation actuelle : « Je suis désespérée de voir qu’un trop grand nombre de femmes ne prend toujours pas de moyens de contraception. Désespérée de voir qu’il y a en France, encore aujourd’hui, plus de 200.000 IVG chaque année. Mais ce droit est une nécessité ». »

D’un côté, il faut ce droit, mais s’il est possible d’éviter, n’est-il pas moralement juste de le faire ?

A moins qu’on considère que seul compte son propre choix, sa propre individualité – et c’était justement à cela que voulait aboutir la droite libérale en organisant à sa manière le droit à l’IVG après 1968.