Catégories
Rapport entre les classes

La victoire du capitalisme, c’est l’écrasement de l’Histoire

Quand on pense au Capital de Karl Marx, on a souvent en tête une œuvre « économique » qui vise à la critique scientifique du mécanisme d’exploitation proprement capitaliste. C’est là une vue réduite, simpliste qui masque son envergure idéologique générale.

Car le fil conducteur de l’œuvre est contenu dans son sous-titre, très souvent effacé : critique de l’économie politique. Ce simple rappel démontre à lui seul combien Karl Marx ne visait pas un travail « économique », mais un travail de critique qui, par définition, ne peut-être qu’idéologique, et donc historique.

Le Capital, c’est la découverte des processus historiques dans le mécanisme de l’Histoire. Ce n’est pas simplement que l’Histoire se fonde sur la transformation de divers modes de production, mais que l’Humanité, de l’individu jusqu’aux rapports collectifs, s’entrecroise dans des dynamiques contradictoires pour satisfaire des besoins qui sans cesse s’approfondissent.

Ainsi, lorsque par-exemple il est analysé la « journée de travail », il n’est pas analysé seulement un rapport momentané d’exploitation, mais une mise en relation au long terme, non pas entre deux individus, mais entre des conjonctures historiques prenant la forme de classes sociales, constituées sur le long terme.

De la même manière que la critique de la marchandise se clôt par le passage bien connu sur son fétichisme qui dévoile précisément le fait que toute marchandise est avant tout le produit d’une interconnexion prolongée de milliers de personnes.

Karl Marx a ouvert le champ de l’Histoire à tous les étages de la vie humaine en en dévoilant sa clef essentielle : le développement toujours plus accru des capacités productives pour la satisfaction des besoins humains. Une clef qui se devrait d’être mise en exergue partout dans les arts, mais qui dans le capitalisme arrivé à pleine maturité est savamment effacée.

Car dans une société où le fétichisme de la marchandise règne de toutes parts, c’est l’usage du neuralyzer des Men in black qui se généralise : tout impact sur la conscience doit être effacé, écrasé. C’est vrai dans la politique, mais aussi dans l’art et dans les relations sociales, sentimentales.

Il suffit de voir une personne sur Tiktok. Que reste-il sinon une approche immédiate du présent dans le présent lui-même ? Ou bien encore, une personne qui flirte sur une application de rencontre, qu’y a t-il si ce n’est une médiation directe avec autrui sans égard pour le passé, et surtout pour l’avenir ?

Il y a aussi cette disparition, si caractéristique de notre temps, des ornementations sur les bâtiments. L’ornementation d’un édifice a toujours été l’illustration d’une époque, sa mise en perspective historique. Le fait de n’avoir plus que de simples cubes en béton illustre comment la bourgeoisie en décadence a balancé par-dessus bord toute mise en perspective d’elle-même, mais donc aussi de la société toute entière. Il ne reste plus qu’une fonctionnalité immédiate, sans ancrage dans un processus au long court.

Car l’Histoire, ce n’est pas seulement la lecture du passé dans le passé, c’est avant tout l’avenir contenu dans le passé et le passé lu dans l’avenir. On saisit les tendances lorsqu’on embrasse l’ensemble du mouvement, et cela est vrai autant du point de vue collectif qu’individuel. On ne peut pas avancer soi-même sans avoir une lecture de son propre avenir dans l’avenir collectif et cela nécessité forcément une approche de son passé, de ses erreurs, de ses avancées, etc.

L’Histoire ce n’est donc pas la séparation comme le veut la bourgeoisie du passé avec le présent et avec l’avenir, mais c’est inversement la synthèse à un moment du passé dans l’avenir et de l’avenir dans le passé.

Évidemment une telle conception, si utile pour le développement du genre humain, est impossible dans le capitalisme qui fige un présent illusoire pour mieux dérouler le tapis de la consommation dans l’océan des intérêts privés. Il ne faut ni passé, ni futur car l’un comme l’autre place la conscience individuelle devant la morale et l’universel. Et comme on le sait, morale et universalisme sont à l’opposé même de la société marchande développée…

C’est la raison pour laquelle l’enjeu du XXIe siècle est la bataille pour l’Histoire. L’Histoire non pas formellement, non pas seulement du point de vue de la critique de l’économie politique, mais dans son noyau essentiel, c’est-à-dire le mouvement contradictoire universel pour tous les phénomènes de la vie.

Si le capitalisme isole et mutile dans un présent illusoire, alors la révolution ne peut que connecter et émanciper dans un futur qui se saisit dans la lecture du passé. De fait, le présent n’existe pas et le Socialisme a ce rôle de généraliser cette manière de voir les choses à travers la planification des moyens de satisfaire et d’élargir les besoins sur une base harmonieuse.

C’est dans ce sens que les maoïstes du PCF (mlm) ont proposé récemment une nouvelle orientation partisane, celle du Parti matérialiste dialectique.

Si on regarde justement l’Histoire, on ne peut que constater que toute bataille révolutionnaire ou démocratique se situe dans l’affirmation de l’histoire comprise comme mouvement de transformation des anciennes choses en de nouvelles. C’est vrai pour les démocrates de la réforme protestante, mais aussi pour les idéologiques des Lumières, cela ne se limitant pas à la seule forme des régimes politiques mais aussi à toute les choses de la vie quotidienne.

Et cela ne peut être que d’autant plus vrai devant la question écologique qui place la classe révolutionnaire devant une responsabilité d’envergure, celle d’introduire son histoire particulière dans le grand tout de l’Univers et de la planète-terre considérée comme Biosphère.

Catégories
Rapport entre les classes

Le capital de Marx: l’intelligence ou rien

Le capital de Karl Marx est un ouvrage à la fois très long et très complexe. La question se pose ainsi : cette œuvre était-elle nécessaire ou non ? La réponse est bien évidemment oui. Tous les gens de gauche en France le reconnaîtront. C’est un minimum.

Cependant, il y a une incohérence qu’on voit tout de suite. Tout d’abord, Le capital de Karl Marx n’est pas lu. Les gens de gauche ne s’y intéressent pas. L’œuvre est considérée comme de nature trop économique ou philosophique, et bien trop longue. Tout le monde sait que lire cette œuvre représente un travail prolongé et acharné, et personne ne veut s’y mettre.

Ensuite, strictement rien n’est fait pour aller dans le sens de l’intelligence de l’œuvre. Le capital de Marx est vu comme une œuvre abstraite, qu’il faudrait opposer au travail concret. Par conséquent, il est dit qu’il faut faire du syndicalisme… Ou bien unir un maximum de principes sur quelques principes de base, pour ne pas être sectaires… On peut lire Le capital de Marx si on veut, mais cela ne peut être qu’un à-côté, quelque chose d’éventuellement utile, mais à la marge. L’intelligence est mise de côté.

Ce qui se reflète ici, c’est une position de classe. Le refus de l’intelligence, c’est le refus petit-bourgeois d’assumer une pensée systématique, une démarche complète, une idéologie parfaitement développée. Le petit-bourgeois se prétend humble, alors qu’il est sceptique ; il s’imagine ouvert d’esprit, alors qu’il est borné.

Si on accepte en effet les ressorts dialectique qu’on retrouve dans Le capital de Marx, alors rien ne laisse en effet de place au doute. Il y a la bourgeoisie, et le prolétariat, et c’est le conflit. Qui a intérêt à temporiser, à relativiser ce conflit? La petite-bourgeoisie. Qui a intérêt à atténuer l’affrontement, à arrondir les angles? La petite-bourgeoisie. Qui a intérêt à faire de l’œuvre de Karl Marx une simple inspiration, en mettant de côté l’intelligence que cela représente : la petite-bourgeoisie.

Qui a intérêt à dire : « oui, mais » ? Le petit-bourgeois français, qui relativise tout, qui ne veut surtout pas de l’intelligence. Le petit-bourgeois veut rester incomplet, il fait donc tout pour le rester.

S’il n’y avait que la bourgeoisie, les luttes de classes seraient toujours polarisés, les idées s’amasseraient d’un côté et de l’autre, dans le bon sens et dans le mauvais. Mais dans l’occident profitant du 24h sur 24 du capitalisme, il y a une immense petite-bourgeoisie, y compris de type intellectuel. Il y a une armée d’enseignants, et leur esprit est tourné vers le relativisme français, le « doute cartésien ».

Cela ne veut pas dire que les petits-bourgeois ne peuvent pas avoir une immense prétention. Ils sont vantards, comme on le sait, c’est un trait petit-bourgeois. Et il arrive souvent que les petits-bourgeois soient aisément pris de rage (comme le décrit très bien Lénine dans une fameuse citation). Ils font du bruit, parfois beaucoup de bruit, ils prétendent de grandes choses, mais dans les faits ils sont mesquins, sans profondeur, sans aucune envergure et surtout, ils n’en veulent pas.

Affiche soviétique : « deux classes – deux cultures »

L’intelligence – et l’intelligence, la vraie, est toujours une intelligence pratique – amène à contester, à se rebeller, à faire fonctionner sa matière grise de manière ininterrompue. Elle ne réduit pas à quelques dénominateurs communs, elle ne saccage pas la grandeur au profit de médiocres petits gains. L’intelligence, quand elle est vraie, s’expose, s’affirme. Elle expose les faits, elle les explique ; elle fournit les réponses, car elle sait bien poser les questions.

L’intelligence ne peut donc qu’être produite par le prolétariat, car le prolétariat exige l’Histoire et il n’y a pas d’intelligence qui ne puisse provenir du courant de l’Histoire, du flux des transformations ininterrompus à travers les siècles, les millénaires. Oui, il faut être compliqué, oui il faut la qualité, non il ne faut pas se réduire à la quantité en simplifiant, et d’ailleurs une telle démarche ne même de toutes façons pas !

Seule l’intelligence profite de la richesse inépuisable de la réalité. Seule l’intelligence permet de saisir la portée de toute situation, et de ne pas chercher une vaine fuite individuelle. La bourgeoisie veut supprimer le fond de l’intelligence : le socialisme ; la petite-bourgeoisie veut supprimer la forme du socialisme : l’intelligence. A nous d’être à la hauteur pour affirmer l’intelligence de l’époque, l’intelligence du prolétariat, l’intelligence du Socialisme.

Affiche soviétique : « Mon ami, consacrons nos âmes à la Patrie avec de merveilleux élans »
Catégories
Réflexions

Mélenchon, Marx et la nature comme « corps inorganique de l’homme »

La question de la définition de la Nature en dit long sur une France marquée par Descartes.

C’est un exemple de la dimension grotesque de la vie intellectuelle française. Du Marx mal lu, pas lu, interprété à tort et à travers, des références à des intellectuels universitaires hors sol… Que dire ?

La chose se passe ainsi : Jean-Luc Mélenchon tient des propos à l’Assemblée… Il dit qu’il ne s’agit pas de défendre la Nature, qui se défend elle-même, mais un écosystème compatible avec l’être humain. C’est un anthropocentrisme masqué : on sait que Jean-Luc Mélenchon avait parlé de manger du quinoa lors de la dernière élection présidentielle, mais c’était de la démagogie.

Et il dit alors que Marx appelle cela le « corps inorganique de l’homme » (ce qui n’est pas vrai du tout). Les éditions sociales, qui sont les éditions historiques du PCF, s’en réjouissent.

Dans la foulée, les éditions sociales mentionnent un ouvrage au sujet de cette expression. De manière délirante, cet ouvrage publié au éditions sociales a été écrit par… l’universitaire américaine Judith Butler, l’une des principales figures de la philosophie post-moderne, principalement de la théorie du genre. On ne peut pas faire plus éloigné de Karl Marx.

On peut trouver en ligne un extrait des discours délirants de Judith Butler. Rien que le début suffit :

« Ce que j’entends montrer aujourd’hui est relativement simple. L’objectif général de mon propos est de déterminer la meilleure façon de reconsidérer les Manuscrits économico-philosophiques de 1844 de Karl Marx afin de savoir si, selon l’hypothèse couramment admise, Marx est anthropocentrique. »

L’hypothèse couramment admise n’existe pas. Les gens ayant lu Marx sérieusement, et non pas de seconde main à travers des universitaires, savent très bien que Marx n’est pas du anthropocentriste (et non pas « anthropocentrique » d’ailleurs), qu’il se situe dans le prolongement de Spinoza et de Hegel, avec une lecture universelle s’exprimant justement dans une dialectique de la Nature.

Rien que le passage où Karl Marx parle du « corps inorganique de l’homme » dans les Manuscrits de 1844 le montre très clairement d’ailleurs : la dernière phrase le souligne clairement. Et d’ailleurs Karl Marx n’oppose pas du tout l’être humain à la Nature : il dit que l’être humain avec le travail est sorti de la Nature mais pour mieux y retourner. C’est le sens du communisme.

« La vie générique tant chez l’homme que chez l’animal consiste d’abord, au point de vue physique, dans le fait -que l’homme (comme l’animal) vit de la nature non-organique, et plus l’homme est universel par rapport à l’animal, plus est universel le champ de la nature non-orga­ni­que dont il vit.

De même que les plantes, les animaux, les pierres, l’air, la lumière, etc., constituent du point de vue théorique une partie de la conscience humaine, soit en tant qu’ob­jets des sciences de la nature, soit en tant qu’objets de l’art – qu’ils constituent sa nature intel­lec­tuelle non-organique, qu’ils sont des moyens de subsistance intellectuelle que l’hom­me doit d’abord apprêter pour en jouir et les digérer – de même ils constituent aussi au point de vue pratique une partie de la vie humaine et de l’activité humaine. Physiquement, l’homme ne vit que de ces produits naturels, qu’ils apparaissent sous forme de nourriture, de chauffage, de vêtements, d’habitation, etc.

L’universalité de l’homme apparaît en pratique précisément dans l’universalité qui fait de la nature entière son corps non-organique, aussi bien dans la mesu­re où, premièrement, elle est un moyen de subsistance immédiat que dans celle où, [deuxième­ment], elle est la matière, l’objet et l’outil de son activité vitale.

La nature, c’est-à-dire la natu­re qui n’est pas elle-même le corps humain, est le corps non-organique de l’homme. L’homme vit de la nature signifie : la nature est son corps avec lequel il doit main­te­nir un processus cons­tant pour ne pas mourir.

Dire que la vie physique et intellectuelle de l’homme est indis­so­lu­blement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissoluble­ment liée avec elle-même, car l’homme est une partie de la nature. »

On voit donc que Jean-Luc Mélenchon cite Karl Marx pour dire le contraire de ce dernier : pour Karl Marx la situation où la Nature fait face à l’être humain est temporaire et mauvaise, il faut retourner à la Nature, que l’être humain redevienne un animal en son sein, mais en profitant de son évolution. C’est le sens du communisme.

Pour Jean-Luc Mélenchon par contre, la scission entre l’être humain et la Nature est consommée, la Nature étant réduite à un écosystème à gérer. Cela n’a rien à voir et on comprend au passage pourquoi il est un fervent partisan de cette horreur absolue qu’est « l’aquaculture », avec des millions et des millions de poissons enfermés sous l’eau.

Alors pourquoi tout cela ? Judith Butler le dit dans l’extrait mentionné plus haut. Elle valorise Louis Althusser, bien connu pour proposer un post-marxisme structuraliste, où il rejette le jeune Marx comme « humaniste », pour mettre en avant un Marx de la maturité « structuraliste » avant l’heure. En clair, Althusser = le meilleur lecteur de Marx.

C’est une escroquerie spécifiquement française, où l’on s’imagine que la philosophie anthropocentriste du libre-arbitre élaboré par Descartes serait un ancêtre du marxisme… Alors qu’en réalité le marxisme un naturalisme déterministe dans le prolongement de Spinoza.

Voici donc ce que dit Judith Butler :

« Ce que je voudrais mettre en avant, c’est que la plupart d’entre nous qui travaillons dans le sillage du structuralisme et du post-structuralisme au cours des dernières décennies avons une grande dette envers le bouleversement intellectuel opéré par le geste révolutionnaire d’Althusser. Ma propre dette envers celui-ci pour le changement de perspective qu’il a fait advenir est immense, que cette dette ait été consciente ou non. »

Structuralistes de tous les pays, unissez-vous ! Tel est le mot d’ordre et on voit que les éditions sociales participent à cette démarche lamentable, ce qui n’est guère étonnant puisque le marxisme français est faux et pourri à la base, par incapacité à se mettre à l’école de la social-démocratie allemande. Là est la source historique du problème.

Catégories
Politique

Karl Marx, «penseur du racisme systémique»?

Faire de Marx, le grand activiste de la première Internationale, à la base du mouvement ouvrier, un auteur développant la thèse du « racisme systémique », il fallait oser. C’est ce qu’a fait Bruno Guigue, un ancien sous-préfet, c’est-à-dire lui-même une figure du « système ».

Bruno Guigue n’est pas n’importe qui. Né en 1962, il a fait l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et de la fameuse ÉNA, l’École nationale d’administration. C’est donc quelqu’un qui fait partie de l’élite intellectuelle du pays. Il a ensuite été haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur, directeur du contrat de ville de Saint-Denis, directeur général adjoint des services de la Région Réunion.

C’est donc quelqu’un qui sait ce qu’il dit et ce qu’il fait, il a d’ailleurs même affronté la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie en publiant une tribune libre critiquant Israël, ce qui a amené son éjection de son poste de sous-préfet en 2008. Notons toutefois que l’article « Quand le lobby pro-israélien se déchaîne contre l’ONU » a été publié par le site musulman Oumma.com et qu’il n’hésite pas aux provocations plus que douteuses (par exemple l’article « analogie pour analogie, frappante est la ressemblance entre le Reich qui s’assied sur la SDN en 1933 et l’Etat hébreu qui bafoue le droit international depuis 1967 »).

Simple erreur ou abandon de la Gauche ? On a la réponse dans un article plus que surprenant. Depuis quelques années, Bruno Guigue s’est rapproché du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF) et voilà qu’il publie sur le site du PRCF un article surréaliste intitulé : « Marx, penseur du racisme systémique ». Salvador Dali et André Breton sont battus.

Mentionnant les présentations assassines que Karl Marx fait du colonialisme, Bruno Guigue en déduit que, par conséquent, la « question raciale » était à la base même de la question capitaliste. Ce faisant, il fait comme Dieudonné et résume le capitalisme à une sorte de mise en esclavage parasitaire :

« Loin d’être indifférent à la question raciale, Marx en a perçu le caractère originaire, il a vu qu’elle était indissociable de la genèse du mode de production capitaliste. »

« La vérité, on le voit, c’est que Marx a compris que le racisme systémique inhérent à l’esclavagisme marchand était l’acte de naissance du capitalisme moderne ; que ce dernier épouserait bientôt la logique de ce que Samir Amin appellera le « développement inégal » ; qu’une fois les rapports de dépendance entre le Nord et le Sud institués, cette inégalité allait conférer sa véritable structure au système mondial ; qu’entre le centre et la périphérie s’instaurerait une division du travail assignant la seconde au rôle de fournisseur de main d’œuvre et de matières premières à bas prix ; que générant une exploitation en cascade, cette hiérarchisation du monde perpétuerait des rapports d’exploitation dont l’Occident capitaliste tirerait sa prospérité et dont les séquelles sont encore visibles. »

Il y aurait ainsi une sorte de « poison » dans la matrice du capitalisme. Bruno Guigue n’a donc pas lu le fameux Capital de Marx, sinon il saurait que chez lui le colonialisme n’est pas présent dans la « matrice » du capitalisme, qui par ailleurs n’existe pas, mais accompagne le développement des forces productives.

Karl Marx n’a jamais écrit, pour cette raison, d’analyses sur le racisme et encore moins sur le racisme « systémique ». Il n’y avait pour lui pas de « système », mais un mode de production. Friedrich Engels, dans son fameux « anti-Dühring », présente l’esclavage comme une étape nécessaire :

« Ce fut seulement l’esclavage qui rendit possible sur une assez grande échelle la division du travail entre agriculture et industrie et par suite, l’apogée du monde antique, l’hellénisme. Sans esclavage, pas d’État grec, pas d’art et de science grecs; sans esclavage, pas d’Empire romain.

Or, sans la base de l’hellénisme et de l’Empire romain, pas non plus d’Europe moderne. Nous ne devrions jamais oublier que toute notre évolution économique, politique et intellectuelle a pour condition préalable une situation dans laquelle l’esclavage était tout aussi nécessaire que généralement admis.

Dans ce sens, nous avons le droit de dire : sans esclavage antique, pas de socialisme moderne.

Il ne coûte pas grand chose de partir en guerre avec des formules générales contre l’esclavage et autres choses semblables, et de déverser sur une telle infamie un courroux moral supérieur. Malheureusement, on n’énonce par là rien d’autre que ce que tout le monde sait, à savoir que ces institutions antiques ne correspondent plus à nos conditions actuelles et aux sentiments que déterminent en nous ces conditions. »

Il ne coûte pas grand-chose pour Bruno Guigue de dénoncer l’esclavagisme aujourd’hui, alors qu’il n’existe plus et qu’il n’a surtout rien de capitaliste. Le capitalisme n’est pas raciste, il est même totalement anonyme. Ses blocs en compétition utilisent pour cette raison le racisme afin de mobiliser en leur faveur, mais il n’y a rien de systématique. Le capitalisme britannique méprise ou valorise l’Inde selon ses besoins : c’est le marché qui décide, pas un « racisme systémique » qui serait une « structure » comme dans le structuralisme.

Mais l’unique intérêt de son article, c’est de se demander ce que le PRCF est allé faire dans cette galère… Cette organisation se définit comme une initiative de reformation du PCF sur la base de ce qu’il a été dans les années 1980. On a pourtant ici quelque chose qui n’a rien à voir, qui est ouvertement postmoderne. C’est soit une erreur, une anecdote, soit directement une infiltration postmoderne, une bombe à retardement.

Catégories
Société

Mondiaux d’athlétisme au Qatar: «Les forçats du stade», tribune du sénateur PCF Eric Bocquet

Voici une tribune publiée par le sénateur PCF du Nord Eric Bocquet. Il critique vertement les championnats du monde d’athlétisme s’étant déroulés au Qatar, ainsi que la Coupe du monde de football qui y est prévue en 2022, en citant Karl Marx !

« Les forçats du stade

Les championnats du monde d’athlétisme au Qatar, simplement inhumains !

Une fois n’est pas coutume, nous allons parler sport. Non pas des résultats mais plutôt de ses coulisses. Je voudrais évoquer ici les championnats du monde d’athlétisme qui se sont déroulés au Qatar, à Doha.

C’est un évènement planétaire dans le domaine du sport mais force est de constater qu’on en parle beaucoup plus à propos des polémiques qu’il suscite que des performances qui y sont réalisées. Et pour cause.

Pour le marathon féminin, il y avait 68 participantes, pas moins de 28 ont abandonné l’épreuve. La raison : la chaleur insoutenable et le niveau élevé de l’humidité qui rendaient l’air irrespirable, de 37 à 42° la journée et minimum 30° le soir, température ressentie 35°. Tout simplement inhumain.

Le champion du monde français du 50 km marche, Yohann DINIZ recordman mondial du décathlon contraint, lui aussi, d’arrêter l’épreuve. Il dira de cette compétition : « C’est une catastrophe ! ».

Par ailleurs, un stade de 46 000 places, à peine rempli au quart avec 2 000 invités ! Il n’y a personne dans les tribunes.

Les performances réalisées par les athlètes qui résistent ne sont pas à leur niveau habituel. Oui, ces mondiaux sont une catastrophe sportive, humaine et sociale. Elle est aussi une catastrophe écologique avec ce stade ouvert, climatisé qui consomme autant d’énergie qu’une ville de 20 000 habitants.

Ce système du fric atteint ici ses propres limites dans le comble de l’absurdité et du cynisme. Arrêtez-ça !

La coupe du monde de football aura lieu en 2022 au Qatar par la volonté de… La justice enquête. L’Eldorado qatari construit des stades, des autoroutes, un métro pour accueillir l’évènement. Le PIB par habitant est le plus élevé du monde, 110 000 dollars par an. Deux millions d’habitants.

Les forçats qui construisent les stades, eux, touchent 180 euros, travaillent 11 heures par jour, sous les mêmes températures, 6 jours par semaine. Ils meurent d’accidents cardio-vasculaires et d’accidents du travail. Ils sont Indiens ou Népalais, prolétaires sacrifiés sur l’autel du football.

Je n’ai regardé aucune retransmission des épreuves, au-dessus de mes forces, dégouté ! Jamais cette phrase de Marx n’a été illustrée de manière aussi flagrante, le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, et, en l’occurrence, de la nature aussi.

Dépassé le marxisme ? Ah bon ! »

Catégories
Politique

Dégradations visant la tombe de Karl Marx à Londres

La tombe de Karl Marx a connu deux séries de violentes dégradations, dans une optique violemment opposée à l’idée de socialisme. Si cela n’étonne pas en soi, cela rappelle que le rejet de la Gauche s’assume toujours plus ouvertement dans tous les pays, sous une forme très radicale appelant ni plus ni moins à sa liquidation.

La tombe de Karl Marx, avec une sorte de petit monument financé par le Parti Communiste de Grande-Bretagne et inauguré en 1956, se situe à Londres, où il a longtemps habité, ayant dû fuir l’Allemagne. Elle est dans un cimetière du nord de la ville, le Highgate cemetery ; le corps de Karl Marx y repose avec celui de sa femme Jenny, ainsi que trois autres membres de sa famille.

En 1975, une association a pris en charge le maintien de ce cimetière de 15 hectares et de 53 000 tombes, dont l’entrée à la section Est, avec la tombe de Karl Marx, est désormais payante pour financer les frais d’entretien, alors que la section ouest est fermée au public à part pour quelques visites guidées, formant une sorte de petit paradis pour la Nature qui y a repris ses droits.

La tombe de Karl Marx en est la plus marquante politiquement, bien entendu, et elle a connu plusieurs actes de dégradations, et même deux tentative d’attaques à l’explosif, en 1965 et en 1970. Deux récentes dégradations, une dans la première semaine de février 2019, une à la mi-février, ont marqué les esprits. La première a consisté en une attaque au marteau, la seconde en des slogans écrits à la peinture rouge : « doctrine de haine », « architecte de génocide, de terreur et d’oppression », « meurtre de masse », « idéologie de la famine », « mémorial à l’holocauste bolchevik 1917-1953 », « 66 000 000 de morts ».

Pour trouver une dénonciation aussi brutale dans son style, il faut se tourner vers l’Ukraine, où tout ce qui relève du socialisme de près ou de loin est criminalisé de manière virulente, alors que l’État polonais aimerait bien faire de même. Car on n’est pas ici dans un simple refus, ou bien une dénonciation, on est dans une dynamique violente visant la Gauche et cherchant à obtenir sa liquidation. L’anti-socialisme, l’anti-communisme, le rejet de tout ce qui relève de la Gauche historique est particulièrement virulent, et ce dans tous les pays.

Cela ne vient pas que de la Droite ; ainsi, si l’on regarde bien, ni le PS, ni le PCF, ni LFI, ni Génération-s ne se revendiquent de Karl Marx, voire même ne s’en sont jamais revendiqués ; au mieux le considèrent-ils aujourd’hui comme dépassé, mais utile pour l’inspiration. Ainsi, la Gauche française a en général une orientation favorable à Karl Marx dans une approche très romantique. Karl Marx n’est pas lu, mais il symbolise la « critique du capitalisme » ; on ne le lit pas – de toutes façons c’est trop long, trop « dogmatique » et puis l’économie politique c’est bon pour les Allemands, pas les Français – mais on a tout de même certains de ses livres.

Il y a là une certaine schizophrénie française, qui ne date pas d’hier puisque déjà la SFIO d’avant 1914 n’était pas une réelle social-démocratie, mais un conglomérat de courants divers et variés, ayant déjà cette lecture amour-haine de Karl Marx. Rien n’a bien changé depuis ce temps-là. Le problème est évidemment que Karl Marx, qu’on le lise ou pas, représente quelque chose de très puissant historiquement, au-delà de ses idées mêmes, puisqu’il est celui qui a mis en place la première Internationale dans sa forme socialiste.

Les anarchistes ont publié une liste sans fin d’ouvrages dénonçant ce « coup de force » de Karl Marx, exprimant une nostalgie pour l’époque où l’anarchisme aurait pu, aurait dû prendre les commandes du mouvement ouvrier. Mais à part eux en France, personne ne s’intéresse à cette question, qui fait pourtant de Karl Marx, comme le montrent les dégradations, la première grande figure historique du socialisme, du mouvement ouvrier social-démocrate.

Cela signifie que la Gauche française ne pourra pas faire l’économie d’un choix à ce sujet ; il faudra bien qu’elle assume Karl Marx ou non, mais elle ne pourra pas éternellement contourner cette question. Rien que la question « les ouvriers sont-ils exploités dans le capitalisme ? » exige une réponse, qui ne peut être que positive ou négative, sans nuances. Soit la théorie de la « plus-value » de Karl Marx est juste, soit elle est fausse.

Et cette question ne sera pas, vue la situation, posée par la Gauche ; elle sera posée par la Droite, qui voudra aller toujours plus loin et exiger toujours plus de « renoncement » de la part de la Gauche. Un jour il sera demandé franchement l’anti-socialisme, l’anti-communisme. C’est absolument inévitable. Il ne faut d’ailleurs pas se voiler la face et beaucoup de gens dans le PS, le PCF, aimeraient bien se débarrasser des termes socialiste et communiste. Génération-s et la France Insoumise l’ont déjà fait et ce n’est pas pour rien.

La protection du patrimoine historique du mouvement ouvrier prendra ainsi inéluctablement dans un certain temps une tournure brutale, posant d’immenses problèmes à Gauche, mais, espérons-le, traçant également des perspectives plus claires.

Catégories
Politique

1818-2018 : bicentenaire de la naissance de Karl Marx

Il y a deux cents ans, le 5 mai 1818, naissait Karl Marx, dont l’impact dans l’histoire du monde a été immense, puisque un tiers de l’humanité, à un moment, vivait sous un régime se revendiquant de lui.
Karl Marx aurait affirmé, bien sûr, que ce n’est pas son impact qui a causé cela, mais la lutte des classes, car pour lui « l’histoire est l’histoire de la lutte des classes ». Il serait d’ailleurs erroné de faire de Karl Marx un simple intellectuel, coupé de la réalité de son époque.

Une large partie de ses écrits sont de circonstance, provoqués par telle ou telle situation, comme la Commune de Paris, la prise du pouvoir par Napoléon III ou les liaisons faites pour donner naissance à l’Association Internationale des Travailleurs, la première Internationale.

Tous n’ont donc pas le caractère général du Manifeste du Parti Communiste ou du Capital, pour citer les deux œuvres les plus centrales de son travail.

De la même manière, Karl Marx a joué un rôle essentiel dans la naissance du mouvement ouvrier de son pays, l’Allemagne. C’est la fameuse social-démocratie, dont le grand représentant historique est Karl Kautsky.

Si ce dernier est inconnu en France à part des (rares) personnes s’intéressant à cette période – le socialisme allemand est au programme du bac en histoire et il n’est jamais mentionné – il fut le grand théoricien du marxisme, obligeant des gens comme Jean Jaurès, Rosa Luxembourg ou Lénine à lire le marxisme à travers lui.

On sait évidemment ici que si Karl Kautsky est inconnu, c’est que la Gauche française n’a jamais apprécié le marxisme, d’où naturellement sa profonde faiblesse sur le plan des idées. De par la tradition syndicale, apolitique, sous les formes réformiste ou anarchiste, il y a une méfiance profonde pour les idées, la culture, la théorie.

Dans notre pays, on suspecte toujours un intellectuel de vouloir manipuler, tromper, se placer, etc. ; cela fit que dans notre pays, il n’y eut jusqu’ici pas de gens comme Antonio Gramsci, mais uniquement des fortes têtes tonitruantes, ce qui produisit Maurice Thorez, mais également Jacques Doriot.

Même mai 1968 n’a débouché que sur un gauchisme rapidement sans idées, se précipitant dans l’actionnisme le plus dispersé, pour rapidement s’épuiser : au milieu des années 1970, tout est déjà fini, à part pour des débris sincères mais totalement déboussolés, sauf bien sûr pour ceux s’étant repliés dans la tradition française du syndicalisme.

C’est ce qui fait, par exemple, que la vague maoïste, si forte parmi les étudiants alors, a alors rapidement disparu, tandis que le trotskisme a su se maintenir pour plusieurs décennies.

En ce sens, il n’est pas vraiment possible de parler d’un éventuel retour à Karl Marx de possible ; encore eut-il fallu qu’un passage par Karl Marx ait déjà été fait. Il y a bien entendu beaucoup d’intellectuels et d’universitaires qui y font référence, d’une manière ou d’une autre, mais jamais ne s’agit-il de marxisme, au sens d’une idéologie bien définie par le mouvement ouvrier.

En France, le mouvement ouvrier a encore tout à apprendre de Karl Marx, qu’il ne connaît simplement pas. On en est, finalement, avant même la social-démocratie, puisqu’en France les socialistes ont toujours été des républicains de gauche.

Même le Parti Communiste Français n’a pas su dépasser un horizon intellectuel universitaire : on chercherait en vain des analyses historiques matérialistes historiques produits par ce Parti !

Évidemment, certains diront que l’utilisation des concepts marxistes n’est pas forcément utile pour analyser la France, qu’il est plus judicieux de se tourner vers les trouvailles universitaires : le langage inclusif, la remise en cause du « genre », la « racialisation » des oppressions, une lecture tiers-mondiste favorable à la contestation religieuse, etc.

Mais c’est là sortir du mouvement ouvrier. Et justement, il faut savoir si on est dans le mouvement ouvrier historique, ou en dehors !