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Société

Chasse à courre, tuerie et voyeurisme

La chasse à courre est née comme un passe-temps sportif dans une époque arriérée, tout comme la boxe. Mais aujourd’hui nous sommes bien plus civilisés et le ressorts sont fondamentalement différents. On a affaire au principe nietzschéen « ce qui ne me tue pas me rend plus fort », avec une fascination pour la mise en jeu violente, pour le sang, pour la mort. C’est pour cela que toutes ces activités violentes, brutales, ne vont pas sans la présence d’un public. Le voyeurisme est le pendant du sadisme.

La loi interdit depuis quelques mois de remettre un animal vivant à une meute de chiens. Il va de soi que cette loi ne sera jamais appliqué. Elle se heurte au principe même de toute une forme de chasse, de toute une manière de concevoir le rapport à la mort.

Car la mort est une obsession ici, en liaison avec la notion de souffrance. L’animal doit être traqué et périr sous les coups, le sang doit couler, et tout cela doit être vu. Il y a une dimension cathartique diront ici les chasseurs, sauf que justement la catharsis c’est de purger ses passions par la symbolique théâtrale, pas de réaliser des pulsions meurtrières en se donnant un spectacle.

Il n’y a en effet pas de chasse à courre sans suiveurs et les chasseurs eux-mêmes apprécient de se montrer, de se donner en spectacle. La mise en scène que présuppose la chasse est un véritable système de comportements et d’esthétique. C’est du théâtre… Du théâtre sanglant.

La véritable question à l’arrière-plan, c’est : comment une société peut-elle accepter d’avoir en son sein des centaines de milliers de gens appréciant de tuer ? Serait-ce parce que les chasseurs ne sont pas plus visibles, finalement, que les ouvriers des abattoirs ? Non, la véritable réponse réside dans le libéralisme. La société n’assume pas la morale, car elle s’est pliée au capitalisme qui dit que chacun fait ce qu’il veut du moment qu’il n’y a pas de préjudice pour autrui.

Si untel aime frapper ou se faire frapper, s’il y a un contrat, alors c’est acceptable. La morale se dilue alors dans les contrats à l’échelle de toute la société. Les médecins norvégiens ont été longtemps excellents ici, puisqu’ils ont refusé, malgré le contrat signé entre eux par les boxeurs, d’accepter de contre-signer les accords médicaux nécessaires pour les combats par KO. Un médecin ne peut pas accepter que quelqu’un se fasse du mal.

Il faudrait que la société fasse pareil. Il est malsain de regarder des femmes se faire régulièrement violer dans Games of thrones : la société l’empêche. Il est malsain que des enfants s’amusent avec des armes factices : la société l’empêche. Il est malsain de jouer à des jeux vidéos où l’on tue des gens : la société l’empêche. Il est malsain d’aller tuer des êtres vivants dans les forêts : la société l’empêche.

Comment peut-on tolérer la promotion de la mort, ces innombrables photos qu’on trouve dans le monde entier, avec des victimes exposées telles des trophées ? Comment un esprit peut-il être aussi vicié pour apprécier cela ?

Il est vraiment temps que ce triste spectacle cesse, en se rappelant que ce n’est pas un spectacle justement. L’idéologie de la « victoire sur la mort », de la « volonté de puissance », du triomphe par la brutalité sanglante… doit s’effacer devant la civilisation !

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Écologie

Les devises existentialistes de la chasse à courre

Les équipages de chasse à courre ont traditionnellement une devise, qui reflète leur vision du monde. Cette dernière est un mélange d’esprit retors propre à l’esprit de traque et de raffinement aristocratique hautain.

chasse à courre

La chasse à courre correspond tout à fait à l’esprit d’extrême-droite, car elle est un mélange du raffinement le plus ultra et de la vulgarité la plus laide. Cela se voit particulièrement dans les devises employées, où il y a un vrai effort pour combiner ces deux aspects. Il faut que cela se voie : on est dans le chic et le sale, dans l’ordre et le désordre.

Quand l’équipage La Plaine a comme devise « Respect, chasse et discipline », c’est un triptyque devant souligner le côté ordonné d’une chose désordonnée par définition comme la chasse. Le respect est tant du côté ordonné que du côté désordonné : c’est cela qui fournit la dynamique réelle de la chasse à courre dans les attitudes, les postures, les manières.

On est très précisément dans la révolte contre le monde moderne, avec un rejet du confort et un éloge du raffinement. La traque est censée porter avec elle un dépassement de soi, elle est censée amener la formation d’un être humain d’autant plus régulier qu’il s’est comporté en sauvage, mais en sauvage organisé de manière méthodique.

Il y a par conséquent un esprit volontariste particulièrement marqué, avec un mot qui revient de manière régulière, persévérance : « Chasse avec passion et persévérance », « Perçant persévérant », « Méthode et persévérance », etc. La devise « Rends toi, nenni ma foi » va dans le même sens, avec davantage de pittoresque.

Il faut être capable d’être présent de manière entière dans cet affrontement, jusqu’au bout et sans être interrompu. On comprend pourquoi la présence d’opposants est un affront terrible pour des gens qui ont comme devise des « Courre toujours », « Toujours et partout », « Toujours au trou », « Chasse tout le temps à tout vent », « Chasser, toujours chasser », « Vas-y donc », etc.

Et leurs réactions sont d’autant plus agressives, que la chasse à courre oblige l’esprit à avoir un esprit de traqueur, de harceleur. Il y a un côté terriblement malsain dans la démarche, qui est typique d’une attitude médiévale à la fois pragmatique et perverse. Ce qui est mis en avant, c’est une posture très élémentaire, et très calculatrice en même temps.

L’équipage du rallye des Ambarres a ainsi comme devise « Ténacité et mauvaise foi », ce qui est d’un tel mauvais esprit qu’on pourrait l’attendre de gens à l’esprit mafieux, comme tel ou tel groupe de rap de banlieue. C’est l’esprit du forçage, du maintien coûte que coûte sans se préoccuper ni de l’avis des autres, ni des faits, ce qui est inévitable, car une fois qu’on est lancé dans la traque, il n’y a plus qu’elle qui compte.

Si les films Predator n’avaient une grande dimension critique anti-mafia (les prédateurs extra-terrestres s’amusent à chasser, mais ne visent que des tueurs, des criminels, et seulement si ceux-ci ont des armes à la main), ces gens adoreraient, en raison de l’ambiance pesante du filet qui se referme lentement sur la victime. La devise « Le matin au bois, le soir aux abois » est ici fascinante de perversité, si l’on peut dire.

Deux choses fondamentales sont alors liées à cette perspective : d’un côté, le social-darwinisme, avec le fait de se battre, de combattre pour survivre, et de l’autre la dimension censée être transcendante d’un affrontement avec la vie comme thème, exactement comme pour la corrida.

Pour le premier aspect, on a des devises comme « Exister c’est lutter », « Mériter », pour le second cela passe souvent par les animaux, vecteur de la transcendance : « Les chiens d’abord », « Au cul des chiens », « Petits par la taille, mais grands par leur courage » (pour la chasse aux lapins), ou encore « Par amour du lièvre » de l’équipage La Fontaine Saint Michel.

Cette dernière devise ne doit pas étonner. De la même manière que les afficionados considèrent que le taureau est mort dans une ode à la vie (qui est un « combat »), les veneurs font de l’animal traqué un symbole mystique du sens de la vie. La chasse à courre n’est pas pour eux une aberration, mais une démarche en fait strictement parallèle à l’existence, d’où des devises comme « Vénerie, la vie » ou encore « Chasse d’abord ».

La chasse à courre est un existentialisme, et en cela elle est résolument moderne. Elle est un existentialisme qui plonge dans l’attitude aristocratique où il n’y avait pas de sens de la vie, car pas de travail, mais avec toute la posture moderne du choix de l’identité.

Voilà pourquoi, par ailleurs, la gauche post-moderne, post-industrielle, ne s’y intéresse pas du tout. Le fond de la méthode est le même : on choisit qui on veut être, on donne un sens à sa vie, etc.

Cela explique aussi l’incompréhension totale des veneurs par rapport aux critiques qui leur sont faites. Ils se voient comme des gens aimant la vie, puisqu’ils lui donnent un sens. Tel rallye s’intitule Bon plaisir, tel autre Rallye bonne humeur avec, comme devise pour l’équipage, « Toujours gai ». Tel autre équipage a choisi « Qui va doux va loin ».

Qui veut donc critiquer la chasse à courre doit saisir cette dimension existentialiste, et soi-même échapper à l’existentialisme, sans quoi il y a le risque d’être fasciné, ou au moins d’éprouver un respect pour une entreprise difficile exprimant des choix individuels pour donner du sens à la vie.

Il faut savoir aimer la nature pour ce qu’elle est, apprécier le respect de la vie comme sens de la vie elle-même, et non pas chercher ce qu’il n’y a pas par oisiveté et désœuvrement, par nihilisme et aliénation.

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Écologie

La chasse à courre : une survivance féodale devenue une insupportable expression de la réaction

La chasse à courre du cerf s’est constituée dans notre pays à l’époque féodale, c’est-à-dire à partir du tournant du IXe siècle, comme un rituel propre à l’aristocratie militaire, et plus encore, à la royauté. Mais dès cette époque, sa constitution a été envisagée dans la perspective de son abolition nécessaire à venir, qu’il est temps de réaliser à notre époque.

chasse à courre

La base dont hérite le Moyen Âge fait d’abord de la chasse au cerf une activité indigne, l’animal étant présenté dans la tradition de l’Antiquité comme le symbole de la lâcheté, sa viande comme molle et malsaine. À l’époque romaine, on lui reproche dans la littérature latine sa faiblesse, le fait de fuir devant la meute de chiens qui le poursuit en refusant le combat. À son image, on qualifie d’ailleurs les soldats déserteurs de cervi.

Le poète romain Martial conseille donc aux citoyens nobles ou de bonne réputation de laisser l’animal aux chasseurs des populations rurales asservies, qui leur correspond en tout point : cervi relinques vilico (laisse le cerf aux vilains). Au contraire, on lui oppose, autant dans la tradition latine que dans les récits celtes ou germaniques, la chasse à l’ours ou au sanglier. Ces deux animaux, et en particulier le sanglier, sont affublés d’une image qui permet à l’aristocratie féodale en voie de constitution à la fin de la période antique, de s’affirmer sur le terrain des vertus et du symbole, comme classe combattante, servante de l’ordre public.

Affronter un sanglier devient donc un rituel exprimant le courage, la force et la puissance de cette classe sociale face à un animal que l’on décrit comme fulminant, enragé, ne cédant pas face à la menace, chargeant hors de sa bauge, les soies hérissées, l’oeil enflammé en répandant une odeur épouvantable. Sa chasse nécessite un équipage nombreux de cavaliers et de chiens, dont beaucoup meurent dans la traque, se terminant en un face à face sauvage opposant l’animal acculé et furieux à un homme seul qui se doit de l’empaler et de l’achever au couteau au péril de sa propre vie.

Il s’agit donc là d’un rituel particulièrement brutal et barbare dans sa forme, au point justement où les forces les plus avancées de la féodalité sont poussées à partir du XIIe siècle à entreprendre une progressive mais incomplète mise au pas de la pratique de la chasse sous tous ses aspects, mais en particulier concernant les rituels de la distinction de l’aristocratie.

Tout d’abord, la chasse au sanglier subit une dépréciation, menée notamment par les forces de l’Église. Celle-ci reprend la culture latine et met en forme les récits celtes et germaniques en les annexant au dispositif culturel du christianisme. Le sanglier se voit ainsi doter d’une image peu à peu satanique. La simple reprise mot pour mot des descriptions antiques, latines ou non, permet dans le nouveau cadre, de dresser le portrait d’un animal sauvage, épuisant les meutes, les chevaux et les hommes, qui terminent leur chasse dans un état proche de la transe. Son aspect brutal et sauvage, pousse les clercs à assimiler l’animal, tout comme l’ours, au paganisme, à l’ignorance, à la barbarie.

L’animal en vient à être considéré au cours des XII-XIVe siècles à l’instar du loup comme un simple nuisible malfaisant, responsable de la destruction des vignes ou des cultures, et même on le tient responsable de la mort du roi Philippe le Bel en 1314. Il se range donc à partir de ce point au rang d’une bête qu’on doit désormais éliminer de manière utile et technique, non plus par une chasse à courre à cheval, mais à l’aide de simples rabatteurs piégeant l’animal dans les filets ou des trappes afin de l’éliminer prudemment et sans combat.

En parallèle, la culture chrétienne met progressivement en avant la chasse au cerf, qui se voit valoriser comme proie et doter d’une dimension civilisée, c’est-à-dire dans le cadre historique d’alors, chrétienne. Dès l’époque des Pères de l’Église, à la fin de l’Antiquité, le cerf est assimilé au Christ lui-même en jouant sur l’homophonie latine : cervus/Servus (le cerf/le Sauveur). Dans le même ordre d’idée, le cerf est assimilé à la conversion, au baptême, sur la base du Psaume 42, dans lequel le croyant est assimilé à un cerf assoiffé cherchant la source du Seigneur.

L’animal gagne donc une place dans les registres iconographique mobilisés pour décorer les églises et dans les textes à valeur symbolique ou religieuse. Sa viande enfin est elle-même mise en valeur sur la base du Deutéronome (le livre des commandement de l’Ancien Testament dans la tradition mise en forme par l’Église romaine) qui présente sa chair comme étant la plus pure de toute. Sur cette base culturelle, l’Église entend donc clairement pousser à policer la chasse, à lui donner une dimension chrétienne.

Les récits hagiographiques, présentant la vie de saints comme étant des modèles à suivre, intègrent aussi la présence du cerf comme animal christologique, présentant la conversion de chasseurs apercevant l’animal avec une croix lumineuse entre ses cors.

Ces derniers sont eux aussi progressivement assimilés par la symbolique chrétienne : on note la présence de dix cors, parallèle avec les dix commandements, on note la repousse de ceux-ci comme écho à la Résurrection, on rappelle aussi que Pline, (auteur latin tenu pour être une source des « sciences naturelles » au Moyen Âge), observe que le cerf utilise ses cors pour forcer les serpents à sortir de leur trou avant de les tuer, ce qui fait écho à la lutte du Christ contre Satan. La chasse au cerf devient donc un rituel rejouant la Passion, un sacrifice charitable qu’offre l’animal, dont la traque et l’exécution doivent donc être policées, ritualisées.

En un mot, ne pouvant abolir la chasse dans le contexte de la féodalité, l’Église, comme avant-garde culturelle de la classe aristocratique, a simplement été en mesure de la civiliser par une forme, un contenu, qui correspondait à ses valeurs. Exactement comme elle a cherché pour les mêmes raisons à encadrer la guerre par le mouvement de la Paix de Dieu et par les Croisades.

Finalement, le dispositif même de cette chasse, assimilé à la chasse noble par excellence, finit de facto par raréfier les grandes chasses aristocratiques. La chasse au cerf en effet suppose concrètement la maîtrise juridique de vastes espaces forestiers. En conséquence, la concentration des pouvoirs et le progressif monopole sur les forêts, finit par en faire l’apanage des seuls plus puissants parmi les aristocrates, et surtout du roi lui-même, appuyant ici toute la dynamique féodale à l’élaboration d’un État monarchique centralisé que soutien l’Église. Les traités de véneries qui se développent justement au XIVe siècle à destination de la haute noblesse illustrent le caractère distinctif de la chasse à courre visant le cerf, comme une affirmation sociale de la supériorité et de la domination des grandes dynasties aristocratiques sur la société féodale de France. Parmi eux, le plus célèbre est certainement le Livre de chasse du comte de Foix Gaston Phoebus, et il s’y exprime très précisément ce qu’est alors devenu la chasse à courre :

Toutes les personnes ne sont pas mues de la même volonté ou du même courage, mais elles sont de natures diverses, comme l’a voulu Dieu notre Seigneur, qui ordonna ainsi plusieurs formes de chasse, qui sont de diverses manières afin que chacun put trouver chasse à sa plaisance et selon son État, car les unes appartiennent aux puissants, les autres aux faibles, et je vais donc vous les présenter par ordre. Je commencerai donc par la vénerie des cerfs, comment on les prend à la force des chiens, chasse qui est la plus plaisante qui soit. C’est une bonne chasse que celle du cerf, car c’est belle chose que de bien traquer un cerf, belle chose de le poursuivre, de le courir longuement jusqu’à l’abattre, soit en eau soit sur terre, belle chose la curée, belle chose de bien l’embrocher, de le dépecer et de lever les chairs. C’est une belle bête et plaisante, et je tiens là que ce soit donc la plus noble des chasses.

Si l’action de l’Église dans le cadre de l’essor de la féodalité a eu une incontestable dimension progressiste en faveur de la culture, du soutien de la vie, on saisit immédiatement, et dans le cadre même de la féodalité toutes les limites cependant, toutes les contradictions de cette oeuvre. L’Église n’était pas en mesure de briser l’aristocratie et ses besoins de distinction, au vu de la faiblesse des connaissances scientifiques et de sa capacité d’action bornée par le cadre du féodalisme dont elle était elle-même partie prenante. Elle a donc dû au final abolir ces ambitions morales, elle n’était pas en mesure de pousser à l’abolition concrète et effective de la chasse.

Celle-ci, et en particulier la chasse à courre, est donc restée un rituel aristocratique, un espace permettant l’expression du caractère le plus archaïque de cette classe, dont les racines plongent précisément dans les formes les plus avancées du tribalisme barbare et toute sa brutalité ici prolongée. En dépit de tous les efforts pour faire avancer cette question dans le cadre féodal, cette barbarie suinte encore ouvertement de ce texte du XIVe siècle.

On peut donc mesurer depuis notre époque, en 2019, à quel point le maintien de la chasse à courre constitue un archaïsme réactionnaire exprimant toute la brutalité barbare des éléments les plus attardés du féodalisme. Le sentiment de rejet écoeuré exprimé par les masses face à la chasse à courre, face à la brutalité de son exercice, face à toute l’arrogance anachronique de ses pratiquants qui la prolongent à l’ère de l’exigence démocratique et populaire en faveur de la vie, en faveur d’un rapport harmonieux à la biosphère est donc un sentiment juste, qui va dans le sens du progrès, dans le sens même de l’Histoire.