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La vague nationaliste en Europe

Si l’on regarde les résultats de ces élections européennes dans leur globalité, le constat est flagrant : les nationalistes réalisent un percée générale sur le continent. Les députés d’extrême-droite seraient 115 au Parlement européen, soit trois fois plus que pour la dernière mandature.

Les commentaires sont nombreux sur les résultats des élections européennes. Parmi les plus courants, il y a celui comme quoi la vague d’extrême-droite aurait, finalement, été moins forte que prévue. Sur 28 pays qui se rendaient aux urnes, ce ne sont « que » six d’entre eux qui placent une formation nationaliste en tête, dont la France.

La vague semble ainsi stoppée et la poussée écologiste forme un écran de fumée sur une réalité bien plus grave. En effet, il y a une tendance de fond qui devrait être analysée comme le fait principal pour la Gauche.

En Finlande par exemple, il est parlé de la percée des écologistes. Il est vrai que les Verts passent de 14 % en 2014 à 16 % en 2019. Mais, avec comme ailleurs un regain de participation (43 %), le fait que le parti des « vrais Finlandais » ait obtenu 14 % (contre 12 % en 2014) a de quoi alerter. Les « Vrais finlandais » avaient déjà réussi à obtenir 39 députés au parlement lors des élections législatives d’avril.

La situation est bien plus avancée dans de nombreux autres pays, avec une extrême-droite ayant acquis une position hégémonique.

En Grande-Bretagne, l’option nationaliste s’est concentrée sur le Brexit et portait carrément le nom de Brexit Party. Cette liste a recueilli 31,6 % des suffrages contre 14 % pour les travaillistes sur fond d’abstention élevée (63 %). C’est un coup de vis donné aux intérêts nationalistes et aux élans guerriers.

Paralysée, la société civile anglaise se réfugie dans une abstention stérile alors qu’à la fin mars, ce n’était pas moins d’un million de personnes qui défilaient à Londres pour exiger un nouveau référendum sur le Brexit. Malgré une protestation écologique naissante avec le médiatique mouvement « Extinction Rebellion », les verts anglais ne réunissent que 11 % des voix, ce qui est plus faible qu’en France.

Avec ce nouveau score très favorable pour le Brexit, il y a là un aiguisement des rapports de forces avec une probable sortie sans accords de l’Union Européenne. Cela ne peut que renforcer la tension internationale générale, et il faut penser ici en particulier à la situation de Gribaltar, l’enclave britannique qualifiée de colonie par l’Espagne et depuis récemment par le Parlement européen.

De la même manière en Italie, la Liga obtient 33 % alors qu’elle en rassemblait seulement 6 % en 2014… Son allié populiste, le « Mouvement 5 étoiles », ne recueille que 17 % des suffrages et la véritable Gauche se retrouve loin derrière, écrasée et broyée. La coalition de gauche Coal La Sinistra n’atteint que 1,74 % et le reste de la Gauche italienne s’est faite torpillée par les libéraux-centriste du Partito Democratico, qui siège avec les socialistes européens.

C’est comme si tout était a refaire, car finalement les leçons du passé n’ont pas été comprises. Pourtant, s’il y a une leçon à retenir de la tradition antifasciste, c’est bien que l’arrivée d’une force nationaliste au pouvoir n’est pas l’expression passagère d’une « crise ». Elle est surtout, et essentiellement, une expression profonde de l’état dysfonctionnel du capitalisme en route vers le repli chauvin à l’intérieur et la guerre ouverte à l’extérieure pour se relancer. C’est pour cela qu’il trouve un appui solide dans la société et pas simplement dans l’« élite ».

Le cas de la victoire triomphante de la Liga aux élections européennes de 2019 en Italie en est une nouvelle illustration, et cela ne présage vraiment rien de bon…

Et que dire de la situation polonaise où le parti « Droit & Justice », ultra-conservateurs et complaisants avec les forces néonazies, a obtenu 45, 4 % des suffrages ? Pourtant dans ce pays, une très large alliance entre libéraux, conservateurs, verts, et sociaux-démocrates s’était bâtie pour empêcher son triomphe. Ce fut peine perdue puisque cette coalition obtient seulement 38,5 % des voix, alors même que l’augmentation de la participation des polonais a été spectaculaire (45,7 % contre 23, 8 % en 2014…) En Hongrie, le parti réactionnaire du premier ministre Victor Orban a obtenu 52 % des voix (51 % en 2014), avec 35 points d’avance sur le parti libéral en seconde position. Le Parti socialiste hongrois, allié aux Verts, n’obtient que 6,66 % des suffrages.

En Autriche, la Droite, qui avait placé depuis décembre 2017 un ministre d’extrême-droite au ministère de l’intérieur (tout récemment démis de ses fonctions), arrive largement en tête avec 10 points de plus que le SPÖ qui obtient 23,40 % des voix. Le FPÖ, l’extrême-droite, qui s’émancipe de plus en plus de la Droite, est en faction juste derrière avec un score important de 17,20 %.

C’est la déroute en Grèce pour la coalition de gauche « radicale » SIRIZA d’Alexis Tsipras qui a fait campagne « contre l’extrême droite » et « pour un front progressiste ». La Droite, qui a mobilisé de manière nationaliste en s’opposant à l’accord de reconnaissance de la Macédoine du Nord, arrive en tête des élections européennes avec 10 points d’écart et fait aussi un carton aux élections municipales et régionales qui avaient lieu en même temps.

Il faut parler de la Belgique également où c’est la division avec d’un côté l’extrême-droite qui fait un carton en Flandre et de l’autre la Gauche qui se maintient en Wallonie et arrive en tête du scrutin du collège francophone (avec 26,69 % pour le Parti socialiste et 14,59 % pour le Parti du travail de Belgique).

On est donc bien loin d’un essoufflement des nationalistes. Cela d’autant plus que dans les pays où cette force dirige ou domine la vie politique, elle est écrase les autres forces à plate couture.

Comment pourrait-il en être autrement ? C’est la tendance à la guerre qui s’exprime, et s’est une fois de plus renforcée ce dimanche 26 mai en Europe. La Gauche va devoir se ressaisir en assumant le Socialisme et une identité antifasciste, anti-guerre, à la hauteur de l’époque.

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La liste de l’Alliance royale pour les élections européennes

À l’occasion des élections européennes, l’Alliance royale (AR), mouvement royaliste qui a la particularité de ne se revendiquer ni de l’orléanisme, ni du légitimisme, a décidé de présenter une liste.

Il apparaît très clairement que ce n’est qu’une démarche de communication, afin de profiter d’une tribune pour faire passer le message de l’organisation. En effet, l’AR explique se présenter pour « se faire entendre comme parti politique » (elle se différencie ici de l’Action française, qui est davantage dans une logique putschiste) et « proposer une autre voie pour l’Europe ».

Pour le reste, la pauvreté du programme est ouvertement revendiquée :

« Pour faire entendre sa voix, l’Alliance royale, constituée en parti politique, a entrepris de s’exprimer régulièrement à l’occasion des diverses consultations électorales. Les royalistes doivent devenir une véritable force politique. La campagne européenne s’inscrit dans cette démarche. L’Alliance royale a déjà présenté des listes régionales en 2004, 2009 et 2014.

Nous ne voulons pas entrer ici dans le détail des mesures économiques et politiques, mais donner les grandes lignes de ce que devrait être une France royale au cœur de l’Europe. »

Pour le reste, la ligne générale est globalement assez simple : un rejet total de l’Union européenne et de toute forme politique organisée au niveau continental, au profit d’une « Communauté des Etats européens » qui ne serait qu’un cadre juridique au service des États pour les questions qu’ils ne pourraient régler seuls, et à laquelle chaque État membre pourrait proposer des « initiatives » n’engageant que les pays en accord avec celles-ci. Trois « initiatives » sont proposées par l’AR : la coopération pour favoriser les échanges économiques, la surveillance des frontières et la sécurité, ainsi que la protection de l’environnement, non pas perçu dans sa dimension naturelle, mais bien comme patrimoine, dans une vision réactionnaire et anthopocentrée.

On l’aura compris, il s’agit de renforcer la puissance française dans le monde, de manière agressive. L’AR considère en effet que la France « a des intérêts dans le monde et des alliances qui ne concernent pas ses voisins européens », évoquant la « francophonie » et l’outre-mer (qui relève de sa « compétence seule »). Comment ne pas-y voir là une volonté de renforcer la présence française dans ses ex-colonies (qui sont toujours sous dépendance) ou dans les pays d’Afrique dont elle contrôle une bonne part de l’économie ?

Le renforcement du capitalisme français est d’ailleurs le seul fond concret de l’AR. C’est là son projet de base : un capitalisme français qui se lance de manière agressive dans le monde, de façon indépendante. Évidemment, le tout est enrobé d’un habillage prétendant défendre une vision du monde.

Quelle est-elle, justement, cette vision du monde ? C’est simple : une « France capétienne » et une « Europe chrétienne ».

La république est considérée comme nationaliste et xénophobe par essence (de la part de l’AR, la chose est quand même cocasse) et trop jacobine et étatiste. Implicitement, on retrouve le vieux fond régionaliste des contre-révolutionnaires, qui rejettent l’État centralisé, tout comme l’universel, pour lui préférer une société corporatiste du « terroir », de la « France profonde » contre l’État « technocratique », dans la droite lignée d’un Maurras.

Quant à l’Union européenne, « sans consistance », elle est assimilée au « mondialisme », à une dictature supranationale qui serait coupée des nations, des « pays profonds », dirigée par une « oligarchie » de l’ « argent ». On est là, quoique de manière plus feutrée qu’à l’Action française, dans les clichés anticapitalistes romantiques propagés par le fascisme et tous les réactionnaires, menant souvent à l’antisémitisme (de Proudhon à Soral, en passant par Maurras ou Barrès, Le Pen ou Pétain).

Bref, la liste de l’Alliance royale est une variante institutionnelle et davantage opportuniste de l’Action française, avec le même fond réactionnaire, traditionaliste, nationaliste et pleinement au service des intérêts capitalistes français, dans un renforcement de la tendance à la guerre.

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La Dissidence française aux élections européennes

Les élections européennes à venir sont l’occasion pour les listes fascistes d’émerger et de proposer leurs programmes. Parmi ces listes, la Dissidence française se pose en maîtresse de la froideur et de la dureté du fascisme, qui se donne une image gauchisante pour happer les masses en quête de justice sociale.

Avec la liste Dissidence française, on s’enfonce dans le fascisme pur et dur. La présentation visuelle du programme, en toute première page, donne le ton à elle seule : du rouge, du blanc, du noir. C’est que la liste se veut « révolutionnaire conservatrice », comme il est écrit en gros comme titre du programme. On est donc en face d’un programme national-révolutionnaire, typiquement fasciste. D’ailleurs, les trois phrases résumant le programme sont on ne peut plus claires : « relever le défi identitaire », « libérer l’économie française », « établir la souveraineté intégrale ». Xénophobie, capitalisme ultra-agressif, et isolationisme chauvin à prétention démocratique.

La France serait en déclin, dirigée par « une classe politique totalement dépassée, rongée par la corruption, et incapable de faire face aux défis du XXIème siècle ». « Jadis forte et respectée dans le monde, notre Nation n’est plus que l’ombre d’elle-même ».

La volonté de « régénérer la nation » pour redevenir une puissance capable d’aller à la confrontation directe avec le monde entier est très claire. À ce déclin devrait s’opposer un État administrateur, efficace et fort. La proposition est alors que cet État règne par ordonnances uniquement. On coule dans l’anti-parlementarisme (le nombre de parlementaires doit d’ailleurs être abaissé à 500) et l’autoritarisme les plus profonds.

Il s’agirait également de protéger constitutionnellement « les racines charnelles et millénaires de la France, européennes et chrétiennes ». Si l’héritage culturel laissé par le christianisme doit effectivement être protégé, il doit surtout être rendu au peuple pour ce qu’il est : un témoignage du passé que l’on doit étudier. Or, ici, cet héritage est fantasmé, glorifié et le programme ne laisse aucun doute sur le fait qu’il compte bien maintenir ces reliques du passé dans l’actualité culturelle et politique du pays, renforçant par là la réaction, notamment catholique.

Conformément à cet esprit conservateur, l’homophobie est également assumée au travers de la question de la loi Taubira. Les fascistes souhaitent abolir cette loi afin de « frapper de nullité les « mariages » célébrés entre personnes de même sexe ». Cette attaque contre la dignité des homosexuels, cette négation de l’amour qui peut exister entre deux hommes ou deux femmes, sont intolérables.

Le piétinage de la dignité des femmes ne s’arrête d’ailleurs pas là. Il est question dans leur programme de créer « un statut spécial pour les mères de famille ». L’idée est de verser un revenu d’existence lorsqu’elles choisissent de ne plus travailler, pour s’occuper de leurs enfants et de leur maison. Payer des femmes pour qu’elles restent soumises au patriarcat et aux valeurs réactionnaires de la « femme au foyer » attendant que son mari rentre du travail donne le vertige. Encore une fois, la dignité de la femme est niée, et ne lui est réservée qu’une existence pleine d’ennui, de routine, entre tâches ménagères et navette scolaire pour les enfants. Enfants qui souffriraient, eux aussi, d’un tel modèle familial.

Cette pensée archaïque ne va bien évidemment pas sans la critique réactionnaire du post-modernisme. Ainsi, ils rejettent et interdisent la « théorie du genre » et « l’écriture inclusive », non pas car elles représentent une multiplication des cases dans lesquelles ranger des « individus » qui seraient « uniques » et au-dessus des classes, mais bien par pure réaction. Elles sont alors remplacées par « une sensibilisation au patriotisme et à la citoyenneté dès l’école primaire » : une manière détournée de dire qu’il faut, dès l’enfance, manipuler le peuple afin qu’il soit « transcendé » par la Nation, par le nationalisme et le fascisme.

Le nationalisme tient d’ailleurs une place importante dans le programme, naturellement, notamment en ce qui concerne la « préférence nationale » (devant être « affirmée constitutionnellement ») et le militarisme. Les emplois, les logements, les allocations et prestations sociales sont donc réservées « en priorité » aux « nationaux ». Les soins médicaux et le refuge pour les sans-papiers ne sont plus assumés, et l’argent est consacré à « l’aide au retour » des immigrés « dans leur pays d’origine ». Le budget de la défense nationale est porté à 3,5% du PIB et la force de frappe nucléaire est non seulement préservée, mais également protégée par la constitution.

On y retrouve aussi des propositions de type « gilets jaunes », populistes, comme la diminution des taxes, une justice plus dure et expéditive, et l’usage du référendum. Toutes les taxes, cotisations salariales, patronales, pour les entreprises comme pour les particuliers seraient abolies pour instaurer une taxe unique de 9% sur les transactions électroniques au sein du territoire français. Le référendum est utilisé pour valider la nouvelle constitution (écrite et proposée par des fascistes, donc) dans un horrible simulacre fantasmé de « démocratie », et les référendums avec consultations citoyenne pour les questions touchant aux communes (vues comme les « échelons démocratiques fondamentaux ») sont « systématisés ». La justice, quant à elle, laisse place à la « tolérance zéro » pour lutter contre le « laxisme judiciaire ». L’idée selon laquelle les institutions de la république manquent de poigne et d’efficacité est donc nettement assumée. Pour les fascistes, il faut que ça tourne ! Et sans « venir jouer les pleureuses », comme ils pourraient tout à fait le dire.

Mais là où les très éventuels doutes sur le caractère profondément fasciste du programme sont forcés de voler en éclat, c’est quand Dissidence française parle de la presse, des syndicats et de liberté d’expression. Ainsi, « les subventions à la presse, aux partis politiques et aux syndicats sont supprimées. La pratique des sondages d’opinion est encadrée », et « les lois d’entrave à la liberté d’expression et à la recherche historique sont abrogées. La neutralité du Net est sanctuarisée. »

On voit là clairement que ces personnes ne se tiennent pas aux côtés des travailleurs, mais bien aux côtés de ceux qui possèdent les moyens de production. Les syndicats y sont sabotés et les travailleurs laissés sans protection, et les partis politiques aussi, ce qui relègue la bataille des idées en arrière-plan… L’encadrage des sondages d’opinion peut tout dire et rien dire, mais implique quoi qu’il en soit un contrôle des opinions apportant la contradiction.

Quant au deuxième point… Ce n’est ni plus ni moins que de la langue de bois pour légaliser le négationnisme, l’antisémitisme, les discours complotistes.

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Vienne et le « grand remplacement »

Pratiquement la moitié de la ville autrichienne de Vienne est composée d’étrangers, le reste étant souvent également issue de l’immigration. Mais celle-ci est historique et s’appuie sur des ressorts déterminés par la situation politique et géographique. Même ce « grand remplacement », d’ampleur énorme, n’a pas été « décidé » : il est une simple conséquence des aléas de l’histoire.

La thèse du « grand remplacement » venue de la Droite identitaire a fini par acquérir un certaine notoriété, ce qui intellectuellement est très étonnant. On a même le droit à une liste électorale sur ce thème pour les élections européennes (La ligne claire), menée par Renaud Camus lui-même.

Faut-il en effet qu’on soit coupé de toute regard réaliste, matérialiste, concret, appelons cela comme on le voudra, pour ne plus être capable d’analyser les phénomènes propres au capitalisme et à l’immigration ?

Il est vrai que de part et d’autres, les leviers sont puissants. La thèse du « grand remplacement » fait appel à la théorie du complot, et cela fascine aisément. De l’autre, la négation des réalités économiques, sociales et culturelles de l’immigration est un leitmotiv du libéralisme. On ne touche pas à ce qui est bon pour le business.

Aussi, rien de tel que de porter un regard sur une ville européenne où le « grand remplacement » est un fait, pour des raisons historiques. On veut savoir si le « grand remplacement » existe ou pas ? Jetons un œil sur la ville de Vienne aujourd’hui et qu’y voit-on ? Que plus de 40 % des habitants sont d’origine étrangères. Que la majorité des lycéens parlent une langue autre que l’allemand à la maison.

La ville donne même des statistiques pour chaque arrondissement. Cela donne par exemple 36,5 % pour le premier arrondissement, le plus chic (avec donc une immigration russe et fortunée notamment). Mais encore 47,8 % pour le 10e arrondissement, 50,1 % pour le 20e arrondissement, 42,2 % pour le 4e arrondissement, 28,7 % pour le 13e arrondissement.

Comme il n’y a pas la double nationalité en Autriche, ces gens d’origine étrangère ne peuvent souvent pas voter ; leur niveau éducatif étant bas et le système administratif-juridique très tortueux, ils présentent des possibilités importantes d’emplois à bas salaires. Ils vivent également parfois de manière ouvertement ghettoisée, ainsi avec des zones turques ou serbe où l’entre-soi est total.

Autant dire que c’est le jackpot pour le capitalisme. Quelle continuité politique peut-il y avoir dans une ville où la moitié de gens vient d’arriver, à une génération près ? Cependant, Renaud Camus aurait tort ici de voir un exemple de « grand remplacement » tel qu’il l’entend. Car Vienne a toujours été ainsi. L’immigration a toujours été massive et bien souvent les gens qui votent pour l’extrême-droite, voire même les responsables de l’extrême-droite (comme son dirigeant Strache), ont des noms slaves, notamment tchèques.

C’est que la ville de Vienne était en effet à la base la capitale de l’Autriche, puis de l’Autriche-Hongrie. Là était centralisée la richesse, les entreprises pour la partie directement autrichienne (le reste étant dans la partie tchèque, notamment Brno, la Manchester morave). Les gens affluaient, dans le cadre de l’exode rural. Pour survivre, il fallait arriver à Vienne.

L’antisémitisme effroyable de cette ville avant 1914 vient notamment de l’arrivée de pauvres hères juifs des zones totalement arriérées de Galicie, sous domination autrichienne (et non hongroise). Cela a provoqué un choc culturel et les démagogues se sont rués sur la question.

Au début du 20e siècle, deux millions de personnes s’entassaient donc dans cette ville, dans des conditions d’hygiène effroyables, bien pire encore que dans les autres pays développés de l’époque. Une fois l’empire disparu, avec ses institutions, la ville a perdu une partie très importante de ses habitants ; à l’horizon 2029, elle reviendra à ce chiffre de deux millions. Mais elle a donc été traversée par l’immigration, car elle a été un carrefour.

Il en va de même pour Paris, capitale d’un pays qui a été un empire. Nul machiavélisme à cela, et les grands capitalistes ne sont pas des marionnettistes ordonnant au personnel politique d’enclencher tel ou tel levier. Ils ne peuvent que suivre des tendances se déroulant malgré eux, en fonction des opportunités. Ce sont les intérêts qui prédominent.

On peut bien entendu regretter tout ce chaos, cette absence de planification, cette communautarisation, cette destruction des traditions propres à une ville. Mais s’imaginer qu’il y aurait une « cause » est une abstraction intellectuelle, car les choses se transforment et le capitalisme transforment les choses selon ses besoins, voilà le problème.

Si Renaud Camus n’était pas un idéaliste cherchant une « cause », il dirait : quelle est la nature du phénomène, sur quoi repose-t-il ? De quoi découle-t-il, de quelles tendances de fond, propre à une réalité économique ? Au lieu de cela, il fait un fétiche du phénomène de l’immigration et imagine un complot, comme si le capitalisme pouvait « penser » et qu’on pouvait séparer l’immigration de toute la réalité historique. Mais une multitude d’entrepreneurs ne pensent pas en commun ! Ils agissent de manière chaotique selon leurs intérêts particuliers.

L’immigration est une simple conséquence du chaos qui règne dans le monde. La division entre employeurs et salariés obligent des millions de personnes à se déplacer loin, à tout abandonner, à s’insérer dans des dispositifs économiques précis. Ils croient choisir, mais ils ne choisissent rien du tout. Personne ne choisit rien. C’est l’Histoire qui décide, et en ce moment, c’est le capitalisme qui fait l’Histoire.

Si Renaud Camus veut maintenir la culture, la civilisation, comme il le prétend, alors qu’il assume l’Histoire et qu’il cherche à la transformer, au lieu d’idéaliser l’Histoire du passé et de penser qu’elle va réapparaître simplement en le « décidant » par en haut.

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Philippe de Villiers reprend les thèses du PCF du début des années 1950

Figure de la Droite dans sa composante à la fois dure et catholique, Philippe de Villiers vient de sortir un ouvrage pour dénoncer l’Union européenne. Son argumentaire nationaliste est en fait un copié-collé inversé des thèses du PCF dans les années 1950.

L’ouvrage J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu (Fayard) de Philippe de Villiers est largement salué par la presse de Droite. Le Point, par contre, n’est pas du tout content et y voit une démarche « complotiste ».

L’idée est en effet très simple : Philippe de Villiers prétend révéler des documents d’époque montrant que le projet de construction européenne ne fut pas une belle idée issue de la guerre et de la Résistance, mais un projet monté par les États-Unis d’Amérique pour disposer d’un marché où écouler ses marchandises.

Les États-Unis auraient monté des structures pour arroser d’argent et former des cadres organisant une construction européenne servant leurs intérêts.

Voici comment Philippe de Villiers présente la chose au Parisien.

« Les preuves que j’apporte à travers les archives montrent que les Américains ne voulaient pas d’une « Europe-puissance ». Ils voulaient un marché annexe pour écouler leurs surcapacités productives, et une simple « commission exécutive » dans un bloc transatlantique où les nations européennes viendraient se fondre sous une gouvernance mondiale. Ce projet a été exécuté par Jean Monnet. Dans ses Mémoires, il annonce d’ailleurs que l’Europe « ne sera qu’une étape » vers un marché planétaire de masse (…).

J’ajoute que le troisième Père de l’Europe, Walter Hallstein [avec Jean Monnet et Robert Schuman], était un juriste d’Hitler. Il a appartenu à quatre organisations nazies, a été professeur en enseignement du nazisme, a été capturé par les Américains, rééduqué avant d’être propulsé président de la Commission européenne. Ils le tenaient. Découvrir que l’architecte du traité de Rome a été un bureaucrate nazi est quand même inquiétant.

Monnet et Schuman partageaient trois obsessions avec lui : la première, c’est que les nations sont des survivances du passé, ce que croyait aussi Hitler qui, supranationaliste, faisait primer la race ; la deuxième, c’est qu’il faut faire sauter la séparation entre l’économie et le politique d’où l’influence des lobbys ; la troisième, c’est qu’il faut fondre l’Europe dans un bloc transatlantique. Mon livre évoque aussi le passé de Schuman qui fut ministre du maréchal Pétain et fut frappé « d’indignité nationale » en 1945. Le mythe de l’Europe comme prolongement de la Résistance est un mensonge. »

Philippe de Villiers est très fier de lui et affirme avoir « découvert » quelque chose, qu’il appelle le « mondialisme ». On voit mal pourtant comment il pourrait y avoir un « mondialisme » en 1950 alors que la moitié du monde se revendique du socialisme et s’oppose au capitalisme. Mais le fond de la question n’est pas là : oui ou non la construction européenne a-t-elle été un projet américain ?

Le Point, qui fait partie de la Droite traditionnellement pro-américaine, se moque de lui en résumant sa vision à « un Da Vinci Code dans l’Union européenne » ; Christian Lequesne, professeur à Sciences-po Paris, et Sylvain Schirmann, professeur à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et spécialiste de la construction européenne rejettent catégoriquement cette thèse.

Et c’est là tout de même qu’on voit l’effondrement du niveau de culture politique. Car Philippe de Villiers, malgré sa prétention d’intellectuel réactionnaire cherchant à former un néo-romantisme catholique national, ne fait que dire de manière déformée… ce que le Parti Communiste disait dans notre pays dans les années 1950.

Évidemment, Philippe de Villiers détourne ce que le PCF disait dans un sens nationaliste, puisqu’il fait partie des ultra-chauvins voulant que la France rétablisse ses velléités impériales (il rejoint ainsi tant Marine Le Pen que Jean-Luc Mélenchon). Le PCF, quant à lui, rejetait le militarisme. Voici ce qu’il dit, dans une déclaration commune de juillet 1950 des Partis Communistes de France, d’Allemagne, d’Italie, de Grande-Bretagne, de Hollande, de Belgique et du Luxembourg.

« La réalisation du projet Schuman aboutirait à mettre les industries minières et sidérurgiques ­ et par voie de conséquence l’ensemble de l’économie ­ de la France, de la Grande-Bretagne, de la Belgique, du Luxembourg, de l’Italie et de la Hollande sous le contrôle des magnats capitalistes de la Ruhr, eux-mêmes aux ordres des financiers de Wall Street. »

Cette thèse était partagée alors par le PCF et la Gauche des socialistes, tandis que la Droite de socialistes rejoignaient le centre et la mouvance de la Droite catholique pour l’accepter mais dans un sens inverse, en l’assumant politiquement, administrativement. Ce fut historiquement très clairement un levier pour casser la Gauche en deux et isoler les communistes… Ainsi que pour satisfaire la production américaine cherchant à développer ses possibilités de trouver des débouchés.

Nul mondialisme donc, ni complot, ni même de complotisme : c’est tout simplement du capitalisme. Et quand on ne saisit pas cela, on bascule dans des explications aux tendances historiques bien connues. Philippe de Villiers explique ainsi le « mondialisme » par l’activité de Rotschild, Soros, et en arrive dans son livre, dans une même perspective dont on devine le sens, à évoquer Moïse et Josué pour dénoncer les fondateurs de la construction européenne…

« Depuis soixante-dix ans, on nous répète que l’idée d’une super-nation européenne a surgi des entrailles des peuples, que c’est la ferveur populaire qui, par un phénomène inouï d’immanence eschatologique, a porté le processus d’intégration communautaire et, ainsi, favorisé le dépassement du droit international public traditionnel. Au cœur de cette « histoire sainte », Jean Monnet, l’Inspirateur, est une sorte de Moïse. Robert Schuman, qui fait tomber les murailles de Jéricho à coups de déclarations sonnantes, est une sorte de Josué. »

Voilà où mène l’irrationnel, mais il serait erroné de ne pas voir que l’irrationnel n’est pas que folie : il est aussi un moyen de détourner d’une compréhension correcte de choses. Philippe de Villiers agite une manière de voir les choses, pour pas qu’on se tourne vers la critique de la construction européenne par le PCF et la Gauche des socialistes des années 1950… Qui est précisément ce dont on a besoin aujourd’hui.

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Les défections de la liste électorale des gilets jaunes conduite par Ingrid Levavasseur

Cinq jours après avoir annoncé qu’il en serait le directeur de campagne, le gilet jaune Hayk Shahinyan a finalement quitté la liste électorale conduite par Ingrid Levavasseur pour les élections Européennes. Cette grande confusion montre l’absence de rationalité et de perspective historique d’un mouvement qui n’est qu’une agitation hystérique des classes moyenne en perte de vitesse.

Ingrid Levasseur est une figure médiatique depuis le début du mouvement des gilets jaunes, mais elle est opposée à d’autres figures comme Priscillia Ludosky ou Eric Drouet.

Ces derniers ont un positionnement plus radical, imaginant plutôt un soulèvement insurrectionnel pour faire plier les institutions. Au contraire, la liste « gilets jaunes » s’imagine pouvoir changer les institutions en s’y intégrant.

Le nom de la liste est ouvertement populiste puisqu’il reprend l’anagramme du référendum d’initiative populaire (RIC) pour devenir «Rassemblement d’initiative citoyenne». Il n’y a pas de contenu, simplement un état d’esprit « gilet jaune » avec l’idée de surfer sur la vague du mouvement en rassemblant « des gens qui ont fait cette mobilisation depuis le début sur les ronds-points ».

Cela est donc fait à la va vite, sans véritablement de sérieux dans la forme elle-même. Rien que la question pourtant primordiale du financement n’est pas réglée puisqu’il a été proposé un « crowdfunding », alors que cela n’est pas vraiment autorisé par le code électoral.

Mais, plus significatif, il y a cette démission du directeur de campagne cinq jours après l’annonce de la liste. Hayk Shahinyan a en fait cédé à la pression des gilets jaunes qui ne supportent pas cette initiative. Ses justifications en disent long sur le caractère velléitaire des gilets jaunes, qui vont loin dans la prétention mais ne sont capables de rien assumer concrètement.

Voici ce qu’il dit pour se dédouaner, avec une prétention assez hallucinante pour quelqu’un qui abandonne ses comparses en plein vol :

« Ce que l’on reproche toujours à ceux qui nous « dirigent » c’est de ne jamais reconnaître leurs erreurs, être incapables par un égo surdimensionné de faire un pas en arrière pour corriger le tir et avancer mieux, penser avec arrogance que leurs certitudes incarnent la vérité.

Penser que le « doute » est réservé aux Hommes faibles.

J’ai toujours pensé que douter, à une dose raisonnable, est un signe de sagesse et d’intelligence, se poser des questions, se remettre en question, corriger ce qui doit être corrigé.

La précipitation avec laquelle je me suis laissé emporter dans une configuration différente de ce que je prônais depuis des semaines, suivie de la blessure grave de Jérôme que je connais et pour qui j’ai beaucoup de respect et l’accumulation des blessés graves, l’approche de la grève générale illimitée dont l’appel fut lancé, la certitude que quelque chose de structuré doit pourtant naître de tout cela, sous une forme ou sous une autre, l’approche d’une échéance électorale qui peut constituer une opportunité si elle est préparée de manière intelligente, la sortie prochaine de la période hivernale qui pourrait voir la mobilisation s’intensifier d’avantage, la fin du grand débat et les déceptions évidentes qui vont suivre et pourraient renforcer la mobilisation, et bien d’autres paramètres encore créent le doute.

Celles et ceux qui affirment avec certitude détenir LA solution, je m’en méfie toujours, je préfère ceux qui réfléchissent objectivement et calmement sans crier des affirmations en permanence.

J’ai pris la décision de me retirer de toutes mes activités, revenir à Lyon, et prendre une semaine pour analyser, réfléchir, préparer des propositions, et prendre du recul.

J’ai toujours été et je serai toujours un homme libre, que cela plaise ou non.

Je ne lâcherai pas le combat. Jamais.
Mais je dois retrouver du recul. »

Ces propos sont lamentables tellement ce n’est pas sérieux. On a là quelqu’un qui devait cinq jours avant diriger la campagne d’une liste promise à un grand écho médiatique, qui explique en fait que tout cela a été fait dans la précipitation et que peut-être bien qu’il va se passer autre chose de mieux autrement ! Il parle d’ailleurs d’une hypothétique grande grève générale, un mythe typiquement syndicaliste, alors que la liste qu’il devait diriger a en quatrième position un chef d’entreprise, ce qui est complètement antinomique.

Ce chef d’entreprise d’ailleurs, Frederic Mestdjian, qui reste sur la liste, le défend pourtant malgré sa défection. Il explique que « Hayk a besoin d’un peu de temps pour lui», précisant qu’il avait tout laissé de côté sur le plan professionnel et qu’il a des « échéances administratives ».

Tout cela n’a aucun sens et en dit long sur cette grande catastrophe politico-culturelle qu’est le mouvement des gilets jaunes. Cela part dans tous les sens, tout et n’importe quoi y est raconté sans que cela n’ait aucune valeur.

Notons également la défection de celui qui devait être en huitième position sur la liste, Marc Doyer. Il part pour ne pas nuire au projet suite aux critiques à propos du fait qu’il avait été candidat à l’investiture La République en marche (LaREM) aux législatives de 2017. Ce gilet jaune est donc un « déçu » d’Emmanuel Macron, qui passe d’un bord à l’autre, d’un populisme à un autre, sans aucune constance, sans aucune cohérence.

C’est typique, absolument typique, et il faut bien comprendre de toute façon que le gouvernement d’Emmanuel Macron voit d’un très bon œil cette liste gilets jaunes, tant pour affaiblir son opposition que comme moyen d’empêcher toute expression rationnelle, toute critique s’inscrivant dans la lutte des classes.

La Gauche française a ici une grande responsabilité, car en se retrouvant isolée, divisée, affaiblie, elle offre un boulevard pour ce type de démarche et cette grande confusion sociale.